Couverture de RERU_041

Article de revue

Lectures bibliographiques

Chroniques métropolitaines

Pages 147 à 180

1C’est la période des vœux et des bonnes résolutions.

2En matière de vœux, il faut souhaiter que la R.E.R.U. qui fête en 2004 son vingt cinquième anniversaire puisse prendre un engagement pour un bail supplémentaire de la même durée. C’est aussi la période des bonnes résolutions, et la R.E.R.U. doit continuer, développer et intensifier des revues bibliographiques, des commentaires de lecture et des comptes rendus de colloques et de séminaires. Nous souhaitons évidemment élargir et varier le nombre de volontaires dans la mesure où, malheureusement, ce sont souvent les mêmes qui se livrent à cet exercice, même s’il n’est pas forcément reconnu important en France pour les dossiers universitaires et c’est avec réticence que l’on se livre à cet exercice au demeurant passionnant. Mais « l’intergénérationnel », en cette affaire, peut à l’évidence être favorisé : on aime davantage être cité, commenté, que lire les autres.

3Et pourtant, la littérature sur nos champs se développe et la production est non seulement abondante mais s’enrichit à un rythme accéléré : ce n’est pas la production scientifique qui est en crise, mais on aurait plutôt une crise des commentateurs et des fournisseurs gratuits d’ouvrages …

4Il ne suffit pas de conseiller mais aussi de donner l’exemple et l’on propose ici des chroniques métropolitaines qui représentent une série de lectures menées entre la canicule et la fraîcheur hivernale, qui concernent aussi bien la grande ville que la ruralité, qui s’intéressent à l’économie spatiale et urbaine, mais tout autant à l’économie industrielle et à celle de l’innovation sans ignorer, évidemment, la littérature anglo-saxonne : c’est une suite à nos chroniques estivales des années antérieures. On force sans doute excessivement l’attention métropolitaine parce que c’est notre regard particulier en ce moment, même si là encore, des ouvrages sur l’histoire montrent tout l’intérêt qu’il y a à ne pas s’enfermer dans l’actualité la plus prégnante : « la ville grouillante et inquiétante, à la fois insolite, merveilleuse et scandaleuse » (PINOL, 2003, tome 1, 435). Il y a aussi nécessité et utilité de rendre compte de la littérature non francophone : c’est comme cela aussi que l’on assure notre présence dans la communauté internationale.

5On aimerait que, dans la même direction, puissent être mises en œuvre des chroniques ou des perspectives par grands domaines composant nos préoccupations scientifiques.

6On trouvera sans doute dans ces chroniques des moments d’enthousiasme et des réactions d’humeur, mais les commentaires bibliographiques doivent être l’occasion de lancer ou de prolonger des débats scientifiques.

TORRE A., (ed.), 2003, Le local à l’épreuve de l’économie spatiale ; agriculture, environnement, espaces ruraux, Études et Recherches sur les Systèmes Agraires et le Développement, n° 33, INRA

7Il faut parcourir ce volume (grand format, 216 pages) avec une pluralité d’attentes des auteurs et du lecteur qui en permet alors des réactions et des commentaires variés.

8- Il y a incontestablement une légitimité « organisationnelle et institutionnelle » de nature interne à l’Institut National de la Recherche Agronomique (INRA) quant à la nécessité de montrer aux instances dirigeantes et à d’autres directions que l’INRA tient une grande et bonne place au sein de ce qui apparaît (partiellement à tort et de manière tronquée dans le titre général) sous l’appellation « économie spatiale ». On a écrit régulièrement, notamment dans cette revue et on a témoigné par exemple à l’École Chercheur INRA du Croisic (décembre 1999) publiquement de l’apport important des chercheurs INRA et ceux plus généralement liés au Ministère de l’Agriculture par d’autres structures (CEMAGREF, ENESAD, ENITA…) dans le domaine de la Science régionale : on confirme s’il le fallait cette réalité qui donne progressivement lieu à des filiations, des échanges dont bénéficie globalement la communauté scientifique. On aurait pu, peut être, et par exemple dans l’introduction de A. TORRE, évoquer d’autres contributions moins rurales ou directement liées au rural-agricole tenues à l’École Chercheur, souligner les rencontres et les échanges qui se nouent à l’occasion de l’ex programme DADP rebaptisé Pour et Par le Développement Régional (PSDR) et qui incitent à des recherches entre équipes INRA et devraient encore davantage mobiliser l’INRA et les chercheurs universitaires.

9- Une deuxième lecture qui prédomine derrière l’attention reconnue au local et à l’économie spatiale, est l’affirmation de la présence du poids et de la pertinence des travaux menés en termes de proximité : A. RALLET en fait une présentation « Propos d’étape » intéressante notamment dans ses relations avec la notion de territoire, d’espace (13) et avec les approches en termes de coordination. Il montre six thèmes de dynamiques de proximité classés « selon un crescendo institutionnel » et il ouvre 4 perspectives, notamment la seconde : « étendre la réflexion sur la proximité à des domaines encore peu explorés comme l’analyse de l’emploi et des marchés du travail, des services de proximité ou la métropolisation » (22). A. RALLET sait que nous sommes prêts pour discuter de métropolisation et de ce qu’il évoque (une proximité géographique non organisée) et plus précisément, une proximité géographique désorganisée par la taille propre des métropoles, ainsi que du théorème du dernier kilomètre. (On a d’ailleurs avancé dans cette discussion lors de débats des Entretiens Jacques CARTIER à Lyon en décembre 2003).

10Plusieurs papiers retenus, notamment de jeunes chercheurs, s’efforcent, souvent avec bonheur, parfois de manière superfétatoire, d’illustrer l’analyse de la proximité ou à en montrer « tout » l’intérêt même si les applications empiriques peuvent s’en éloigner ou même en être relativement déconnectées. Il n’est pas nécessaire d’en vouloir trop faire…

11- Une troisième lecture en « creux » semble, au-delà du titre principal, s’intéresser aux territoires (dans leur conceptualisation, leurs confrontations à des enjeux politiques et tout particulièrement ceux du développement durable, même territorial (d’où le D.D.T. comme le propose N. LAHAYE), leurs articulations entre éléments élémentaires (l’exploitation ou la commune) ou régionaux. D’un autre point de vue, on est confronté surtout aux processus, aux techniques de représentation de la territorialisation. Et là, on va bien au-delà « du local à l’épreuve de l’économie spatiale », et nous semble-t-il, vers les espaces ruraux et ou agricoles à l’épreuve de territorialisations conceptuelles, méthodologiques et politiques. Peut-être, cette tendance qui nous paraît lourde dans ce volume, l’est moins ou peu à A. TORRE et à ceux, nombreux, qui ont lu les papiers : il manque d’ailleurs à notre sens, une conclusion-synthèse-orientation, d’autant que les textes semblent avoir été relus et revus il y a maintenant quelques mois.

12Une dernière remarque peut être faite relativement à l’attention portée entre le « théorique » et le « pratique », même si comme souvent, les relations sont délicates, du moins sur un plan formel : on sent bien ici que plusieurs papiers ont eu envie –ou ont été priés-, d’insister sur une dimension théorique (voir remarque 2), et qu’ils s’y efforcent même si parfois l’exercice relève d’une tentative délicate. De bonnes analyses empiriques, et il y en a, semblent parfois se chercher des « protections » ou des garanties qui apparaissent vaines ou plaquées.

13Ce panorama d’ensemble proposé, quelques commentaires « pointillistes » : COURLET s’efforce de bien distinguer district (en général, marshalliens, italiens…) et SPL (31). On note toujours avec réserve une tendance (ici d’ailleurs modérée) de vouloir appliquer SPL à « toutes les sauces » et de faire un saut dans la gouvernance, elle aussi « bonne fille ». Bonne lecture proposée par SAIVES et LAMBERT sur un domaine insuffisamment et injustement traité : pour aller vite « territoires, ressources, aptitudes » dans une perspective de sciences de gestion, même si une synthèse proposée par quelques tableaux (54) a une lisibilité parfois hasardeuse. Le texte de V. ANGEON, nous ramène à sa thèse et à la Caraïbe (Ste Lucie et Martinique) et à l’histoire « longue…. et le caractère quasi invariant d’une monoculture d’exportation pilotée par des dispositifs de protection » (64). M. FILIPI propose une présentation (qui aurait pu être réduite dans « l’histoire ») des secteurs coopératifs en France pour ensuite en donner une lecture réticulaire ; une application à Midi-Pyrénées confirme les transformations majeures dans le secteur coopératif et l’intérêt de recourir à l’économie de la connaissance et de l’innovation. A. BENITEZ applique la proximité de dehesas andalouses (objet de sa thèse) dans une perspective de développement durable. Elle valide facilement l’approche par la proximité mais laisse ouverte les interrogations de fond. C’est dans l’articulation des facteurs locaux et globaux que la question de l’avenir des forêts de dehesa doit être posée.

14J.C. PAOLI s’interroge sur les Contrats Territoriaux d’Exploitation (CTE) comme modalité d’introduction, d’intégration (il propose même le terme intrusion, p. 117) entre développement agricole et développement durable : lui aussi comme FILIPI, distingue cadre de réflexion et « exercices appliqués en Corse ». Il traite directement de la nécessaire et délicate question de la territorialisation des politiques publiques : « arbitrer entre des intérêts contradictoires » (125). Des emprunts du côté de la littérature du développement territorial (analyse des acteurs, coopération, évaluation) devraient enrichir cette démarche. M. BONIN et S. LARDON entrent dans une problématique dite de « modélisation graphique » fortement chorémique ; des illustrations sont proposées sur l’Ardèche, le Causse Méjan : à la différence peut être d’autres papiers, on aurait aimé davantage de réflexions sur la modélisation : il est court (ou condensé) de dire que l’on « combine l’analyse fonctionnelle et l’analyse spatiale pour identifier des indicateurs spatiaux de fonctionnement » (133). On pourrait élargir et confronter de multiples travaux marqués par la géographie, l’aménagement ou encore l’économie ; A. TORRE et F. PAPY dans ce qui peut être la remarque de type 1, s’efforcent de développer un duo agronomie et économie pour la prise en compte de la conciliation de la production agricole et la gestion de ressources naturelles. Ils évoquent la référence au système de centre réactualisé, revitalisé, disent-ils p. 153 par M. SEBILLOTTE, et interrogent les deux grands champs scientifiques : on élargit vite ces deux disciplines tout en « oubliant » que la science régionale, notamment dans les domaines urbains et périurbains s’interroge aussi –récemment on en convient-, sur les mêmes questions et des coopérations s’imposent. On est convaincu de rapprochements indispensables. N. LAHAYE, on l’a dit, nous incite au DDT, même si une partie de son texte repart de bien loin surtout pour retrouver beaucoup de proximité : il est vrai qu’elle convient d’un questionnement large… sur le fleuve Garonne, « pour avancer autour d’un triptyque développement durable, territorialisation, partenariat inter-institutionnel » (188). Ces questions centrales pour le développement territorial trouvent dans la littérature « locale » ou celle du développement public-privé managérial (terminologie sans fin et souvent sans borne) des références que l’on aurait pu mobiliser.

15P. TRIBOULET et A. LANGLET finissent le volume par un développement sur les représentations territoriales de l’agriculture à partir de maillages fins, et des applications en Midi-Pyrénées. Des représentations montrent les spécificités, même si les auteurs se veulent résolument plus ambitieux : ils souhaitent rendre compte de la complexité de la société, de l’espace, des niveaux pertinents d’analyse, de politiques à conduire. Il s’agit bien de définir, mesurer, et maîtriser « des entités spatiales » (208).

16Un document à garder près de soi pour :

  • mesurer comment l’INRA mobilise des chercheurs et des thématiques. Ce volume est en ce domaine un propos d’étape partiel qu’il faudra situer dans la production plus générale de l’INRA (programme PSDR) et celle de la Science Régionale et de l’Économie spatiale ;
  • apprécier les créations, les propositions qui sont faites : elles sont nombreuses et ont par exemple une grande variété de matériaux à davantage connaître ;
  • mesurer encore l’énorme mise en commun nécessaire pour la valorisation d’une accumulation forte, trop éclatée, insuffisamment connue et partagée.
On sent bien des interrogations permanentes et renouvelées : le développement régional et territorial face ou par le développement durable, les perspectives de l’économie spatiale plus largement entendue en matière d’analyses du local dont évidemment l’agricole, le rural et l’urbain, les multiplicités de réponses méthodologiques à la question qui nous est tous posée : celle de la territorialisation. On sait qu’A. TORRE est ouvert à ces questions, qu’il a une conception large et tolérante de la coopération : ses proximités se nourrissent d’élargissement et de débats ouverts. Il nous propose un certain nombre de type d’épreuves : à tous d’y participer.

SKIFTER ANDERSEN H, 2003, Urban Sores, on the interaction between Segregation, urban Decay and deprived Neighbourhoods, Asghate

17Urban Sores : soulignent l’idée d’infections, d’usure ou d’injustice urbaines.

18Publié par le même éditeur, dans la même série Urban and Regional Planning and Development, l’ouvrage de H. SKIFTER ANDERSEN peut venir en complément ou en contre-point de Governing European Cities proposé sous la direction de H.T. ANDERSEN et R. Van KEMPEN (2001), que nous avions recensé (RERU, 2001, IV, 667-669). La problématique d’ensemble porte globalement sur des préoccupations identiques ; en vrac et en désordre, la fragmentation sociale, l’exclusion, la différenciation sociale… (voir VRANKEN in H.T. ANDERSEN et R.Van KEMPEN 2001, 71-91) ou la ségrégation, le déclin urbain proposé cette fois par SKIFTER ANDERSEN. Même si les concepts peuvent être différents, plus ou moins emboîtés, interdépendants ou confus, même s’ils sont abordés par des disciplines variées (sociologie dominante là, références davantage liées à une attention spatiale relativement aux Urban Sores), même si curieusement pour un observateur français, les auteurs responsables des deux ouvrages semblent peu se connaître, les Urban Sores à l’évidence ignorent Governing European Cities alors que les ouvrages se nourrissent de recherches et d’études comparatives européennes. Les questions fondamentales sont largement comparables, confondues, aux terminologies, aux concepts, aux objectifs près. On nous permettra modestement, compte tenu de la tendance forte de H. SKIFTER ANDERSEN à s’auto-citer, de renvoyer à un commentaire (LACOUR, 2003, Cahiers de Géographie du Québec, vol. 47, 321-327), lié à l’atelier organisé par P.Villeneuve sur des questions de même nature lors du Colloque ASRDLF 2002 de Trois Rivières : nous plaidons encore pour davantage de clarifications conceptuelles et pour une spécification précise des situations contingentes évoquées. Les deux ouvrages, celui de SKIFTER ANDERSEN tout particulièrement, se nourrissent d’expériences européennes et évidemment danoises, ces dernières étant le filtre privilégié (explicitement ou implicitement) de lecture permettant souvent une classification générale : ainsi « la diversité des politiques de renouvellement urbain permet de distinguer trois grandes stratégies, une concernant des politiques de réhabilitation urbaine (Autriche, Danemark, Suède), une autre marquée par de "strong central priorities" valable pour le Royaume-Uni, la France, la Norvège et les Pays-Bas, et une troisième caractérisée par une faible implication publique en Suisse et en Allemagne ».

19À vrai dire, ces commentaires confirment des travaux et des politiques relativement connus et au demeurant l’ouvrage y consacre peu de place. L’intérêt essentiel de Urban Sores se trouve dans les efforts de proposer des définitions et de mettre à jour des mécanismes. Même si la démarche est quelque peu répétitive, la démonstration hachée, on retient l’idée forte que la « ségrégation est un produit de l’inégalité sociale et spatiale ». Si la différenciation renvoie à une approche ou à un constat en quelque sorte « neutre », sans connotation préalable positive, même si la différenciation peut être entendue comme porteuse de diversité et de variété, sans arrière pensée négative, -encore que la différenciation puisse être socialement et politiquement recherchée en termes de refus de mixité sociale-, elle constitue ainsi le socle à partir duquel peut se développer et se renforcer, s’entretenir les ségrégations ou ce que l’auteur évoque par « l’exclusion of places ». Sur ces bases, l’auteur propose des généralisations intéressantes qu’il résume astucieusement par des schémas soulignant la puissance et le renforcement de processus, (voir les pages 63, 65, 69) qui mettent au clair des mécanismes d’enchaînement connus notamment par les spécialistes des dynamiques des centres des villes en matière commercial ou de logement. En passant, de bons commentaires quoique rapides sur le « cycle de la gentrification », qui peut permettre le déclenchement d’un renouveau urbain et -on y pense moins-, une accentuation de la ségrégation. On est bien au cœur de la dynamique urbaine et on sent bien l’importance et l’urgence de ces préoccupations : faut-il alors démolir des logements, repenser totalement (et qui va le faire et à quelle échelle spatiale, avec quels moyens ?) les politiques urbaines. Bien entendu, sont concernés les logements sociaux, leur démolition partielle, mais bien davantage : on peut parler sans trop d’emphase d’une certaine reconquête urbaine et de l’urbanité. C’est tout l’enjeu central pour la France de la loi d’orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine. C’était un des thèmes majeurs du Colloque 2003 de l’ASRDLF à Lyon, c’est un de nos programmes de recherches menés en commun avec D. MIGNOT, A. AGHITERA-BALANGER et les chercheurs de l’IERSO. Nos réflexions menées au titre de l’Atelier Économies Urbaines du PUCA du Ministère de l’Équipement vont dans le même sens : il nous faut davantage nous préoccuper de Métropolisation, de Dynamique Urbaine, de Ségrégation et d’Intégration sociale et spatiale.

ACS Z.J., 2002, Innovation and the growth of cities, E. Elgar

20On attendait beaucoup de cet ouvrage quand on l’avait commandé à la bibliothèque et on est globalement déçu, même si le livre présente de grandes qualités : à tout le moins se méfier du titre qui est trompeur.

21- La quasi seule référence à la ville et à la croissance urbaine est à trouver via A. MARSHALL (p.154), mais indirectement par les externalités MAR et à la JACOBS et les débats consécutifs à ces deux grands types d’externalités, ce qui est évoqué dans le chapitre 9 « Heterogeneity versus specialization ». Ajoutons pour être honnête que Florida dans la préface renvoie à W. THOMPSON malheureusement oublié dans la bibliographie générale, il rappelle que les villes « sont les “incubateurs” de l’innovation ». A l’évidence, ACS l’a oublié et n’en tient pas compte comme il ignore généralement la ville et les phénomènes urbains dans ce volume : c’est ce que je lui reproche dans son titre en forme, à mon sens, de dol… Si l’ouvrage mérite pourtant attention, c’est qu’on retrouve ici, des papiers connus et des remarques importantes sur la théorie de l’innovation.

22- Le chapitre 9, par exemple, comme pratiquement tous les autres, n’est pas original : ici, c’est un article de J. de La MOTHE et G. PEQUET publié dans Papers in Regional Science, mais l’annonce en est honnêtement faite dans la préface (13-14). Seul avantage, on dispose ainsi d’un document plus pratique qu’un ensemble d’articles.

23- Plus classiquement aujourd’hui, l’ouvrage veut souligner la place de la technologie de l’innovation, en montrer l’importance, voire la primauté, et ensuite tenter de voir (quand même a-t-on envie d’ajouter) qu’elle ne localise pas n’importe où, n’importe comment. En parodiant KRUGMAN évoqué dans certains articles, l’espace, plutôt ici la géographie compte. Il y a bien « concentration dans des lieux particuliers » comme l’évoque Florida. On ne dira pas que c’est une grande révélation tant maintenant la jeune génération de chercheurs en Science Régionale, ceux qui se revendiquent en Économie industrielle ou Économie de l’Innovation, nous a habitué et transmis les grandes références anglo-saxonnes qui, en retour d’éventuels séjours de professeurs américains invités en Europe ou en France, témoignent de faibles souvenirs, voire d’aucune référence : sous réserve d’erreur ou d’oubli, les seules citations françaises concernent GIBRAT (1931) et PERROUX (1960). D’autres chapitres sont des reprises de ANDRETSCH-FELDMAN (2), VARGA-ANSELIN (3-4), au demeurant intéressants et dans certains cas, essentiels.

24Du chapitre 10 (Regional innovation systems), on retient un plaidoyer singulier et appuyé pour l’approche en termes de systèmes qui revient à la mode après avoir été vertement critiquée et jetée aux orties. Elle nous permettrait « une base pour la formulation de conjectures soulignant que des facteurs variés sont importants pour l’innovation technologique » (179).

25On souligne encore l’influence néo-schumpetérienne et néo-institutionnelle avant de se référer à l’idée d’un système national d’innovation à la LUNDVALL et à la NELSON qu’heureusement, en tant que problématique, mais aussi parfois en termes de réussite, plusieurs travaux ont traité en termes de système régional. Un tableau (183) tente de caractériser ces deux lectures (avec une insistance spéciale peut-être sur les aspects négatifs ou nocifs du système national ?).

26Que dire alors sur l’épilogue (chapitre 11) sinon que, au-delà de l’ambition saine de proposer un éventuel enrichissement ou même un synthèse de trois types de travaux la nouvelle économie géographique à la KRUGMAN, la nouvelle théorie de la croissance endogène à la ROMER et la nouvelle économie de l’innovation à la NELSON, « au-delà des avantages et des limites de chacune de ces littératures » (formule répétée deux fois, 192), le travail reste à faire pour l’essentiel. La littérature sur les villes peut aussi proposer des éléments de compréhension sur la croissance de l’innovation… On espère que c’est une affaire à suivre, au moins du côté de la littérature francophone : à construire et rapidement.

WEBSTER C, WAI-CHUNG LAI L, 2003, Property Rights, Planning and Markets. Managing spontaneous cities, E. Elgar

27C’est un ouvrage important malgré ou à cause de la fausse modestie des auteurs (219), importance valorisée dans la quatrième de couverture par de grandes références, notamment RICHARDSON et NIJKAMP, puisqu’il ne s’agit rien de moins que de proposer « l’analyse de la planification urbaine du management en se servant du langage et des idées de la nouvelle économie institutionnelle » (219) dans la lignée de COASE. C’est dire toute l’attention qui est accordée à l’analyse des coûts de transaction et de la théorie des droits de propriété, mais bien davantage : les auteurs entendent quasiment tout relire et réécrire une partie de la théorie économique et l’analyse urbaine à partir de cette perspective. Ainsi, on accordera une place déterminante à tout ce qui se rapprochera des informations parfaites, parfaitement circulantes, comprises, et à des coopérations-collaborations sans coût, tout en récusant des modèles qui supposent l’existence de l’information parfaite, la symétrie d’informations. Cela permet dans le même mouvement de « renvoyer dans leur buts », analyses néo-classiques traditionnelles et approches interventionnistes (pour le dire légèrement) des États ou des collectivités infra-nationales d’un côté, et de l’autre, toutes les utopies qui ne sont que « des visions romantiques d’ordre alternatif… ou de réactions expérimentales aux ordres existants » (24) : sont ainsi visées dans la même phrase « la République sans classe de PLATON, la société sans classe de MARX, la macro-"écontopia-Keynesienne" comme la microécontopia de PIGOU » (26). Le titre est ainsi dédié à la théorie des Droits de Propriété…

28C’est un livre qui entend se situer délibérément dans le XXIème siècle (première page de l’introduction) pour dépasser les débats, à peine sous-entendus, latents et inutiles du 20ème, ce XXIème siècle sera l’« urban century » (dernière formule de la conclusion) et sans doute la plus osée sinon hasardeuse… Écrit dans un style qui se veut résolument théorique, pédagogique en déroulant des paragraphes et en proposant à la fin de chaque chapitre, une sorte de résumé, ce livre cependant n’est pas simple à lire, l’écriture est parfois lourde. L’évocation ou le rappel de références sur les biens publics, les droits de propriété et d’autres références que, pour notre part nous ignorons (FOLDVARY 1994 ; BARZEL, 1997), ou certaines qui évoquent Hong Kong ou la Chine et dont certains proverbes, dits chinois, nous paraissent décidément transcontinentaux et même … landais !

29C’est un ouvrage donc important envoyé par l’éditeur à notre demande, procédure qui se raréfie et à laquelle nous accordons une forte attention. Reste cependant à déterminer les raisons de l’importance et de l’attention que mérite ce livre, dans la mesure où l’on peut y trouver une multiplicité d’arguments, un grand nombre de centres d’intérêt de nature différente et hiérarchisée.

301 – Me fiant sans doute à la notice d’information de l’ouvrage, (voir p.114), j’ai surtout retenu le sous-titre « Managing Spontaneous Cities », faisant rapidement le lien avec JOHNSTON (2001), l’espoir étant de développer un éventuel rapprochement entre ces Spontaneous cities et les Emergent Cities (p.16) : « des règles simples -liées à des décisions d’échange décentralisées-, peuvent organiser et ordonner des systèmes extrêmement complexes ». Et de ce point de vue, des arguments apparaissent en liaison avec « la créativité spontanée » d’HAYEK, celle de l’adaptabilité des organismesmarchés dans la lignée des évolutionnistes autant que chez les théoriciens du public choice. On trouvera alors dans cet ouvrage un nombre important de références à la ville et à l’urbain qui justifie le sous titre incontestablement, mais, qui à mon sens, reste cependant secondaire pour la construction d’une théorie urbaine, puisqu’on a, en matière urbaine, des allusions, des clins d’œil, des évocations. Plus discutables, des remarques elliptiques ou définitives : la congestion des services publics ou domaine public dans les villes (8), « les villes sont des manifestations spatiales d’actes coopératifs » (14), les villes, c’est quasiment comme une firme, vieille et actuelle affirmation que nous avions déjà discutée (LAJUGIE, DELFAUD-LACOUR, 1985 ; AYDALOT, 1985).

31Les planificateurs urbains, les urbanistes ont tendance à raisonner en termes « d’utopies spatiales, physiques ou graphiques » (25) : « les mégavilles évitent la mort liée à la congestion monocentrique en devenant polycentriques » (27). Et, des décisions des gouvernements français d’interdire l’installation de centres commerciaux ou l’agrandissement de la surface de certains, ont conduit « dans l’ensemble les supermarchés français à offrir des services de qualité inférieure » (39). On montre comment Kowlon Walled City a évolué quand l’aéroport en plein centre a déménagé. On affirme « qu’il est suffisant d’introduire l’idée que la ville est une organisation, un nœud de contrats, la ville comme une firme », la firme étant définie préalablement par cette référence à un « nœud de contrat», la rencontre rapide avec Von THÜNEN et une interprétation « catallactique » (78) : « à chaque moment du temps, la ville offre aux individus, une carte d’économies d’agglomérations, une carte de coûts et d’opportunités de transaction» (81). On nous annonce la rupture de la géométrie monocentrique dans la ville post industrielle (82) même si ne sont pas précisées la rupture, la géométrie, et la ville post industrielle ; « l’ordre spatial (qui fait l’objet d’un chapitre intéressant et qui mène à des réactions) peut être compris comme étant la spécialisation spatiale de la connaissance » (84), les externalités sont essentielles à l’existence et à la dynamique des villes (103).

32De nombreuses pages sont d’ailleurs consacrées aux externalités avec éventuellement un clin d’œil urbain. On voit toute la richesse mais aussi les débats : il reste à construire ma propre interprétation de ce que WESTER et WAI-CHUNG LAÏ ont dit…

332 – L’ambition théorique affirmée « se veut résolument au service d’un combat », c’est un ouvrage théorique, concernant une tâche pratique très pressante : « gouverner, administrer, manager et planifier les villes », argument bien connu : le marché reste le moins mauvais système économique… C’est peu dire qu’aux yeux des auteurs, non seulement il y a évidemment urgence, nécessité aussi d’expurger de vieilles et mauvaises idées ou pseudo théories ! Il est d’ailleurs intéressant de lire et de voir comment souvent en même temps, dans la même phrase se mêlent combat doctrinal (les auteurs refusent de parler d’idéologie… sauf peut-être pour les autres) résolu et arguments théoriques bien serrés. On a compris bien entendu la conviction, la démonstration confirmée par l’histoire et l’observation quotidienne des auteurs que « l’ordre qui émerge dans les villes et dans les systèmes de villes est largement déterminé par les forces du marché ». Un véritable débat est ainsi posé : la question d’ordre émergent, spontané concernant la ville. On parle d’ailleurs « de capitalisted Cities, luttant contre une culture de l’étatisme du bien-être ». On est, on l’a dit déjà, résolument dans une certitude où les gouvernements quelles qu’en soient les raisons (politiques, clientélisme, manque d’informations…) sont en général moins efficaces que les formes de planification, de contrôle ou de régulation liées aux marchés. Sont ainsi analysées « les faiblesses ou limites des marchés : les modalités ou les fondements (ce qui est plus grave) conduisent rarement à de bonne réponses… (voir le contrôle des prix du logement, les politiques de logement sociales ou « la fameuses ceinture verte de Londres, exportée dans le monde entier… »). On a vu les utopies remises à leur place, même si on continue pour notre part à y voir des éléments parfois nécessaires, actifs et utiles. Certes, les auteurs reconnaissent volontiers que de nombreuses personnes sont gênées (d’admettre que les marchés sont des institutions « bénévolentes » (47), mais ils évoquent cependant les arguments en faveur d’intervention étatique ou de gouvernements locaux en retenant des faiblesses des marchés d’un côté, (arguments liés à l’efficacité) et de l’autre des références morales ou normatives sur l’égalité ou l’équité (plutôt leur absence) des relations contractuelles.

34Pour autant, en théoriciens réalistes, les auteurs admettent volontiers que « les marchés ont besoin d’État » (52), que la gouvernance doit être précisée, organisée, mais dans le domaine et par les modalités de la reconnaissance et de la régulation des coûts de coopération.

353 – Une autre lecture, pour notre part complémentaire avec la première, consiste en un des apports particuliers de l’ouvrage dans la définition et la mise en ordre de principes fondamentaux liés à l’idée majeure que « les individus et les firmes recherchent des opportunités de coopération par des coûts de transaction faibles et que… dans cette quête, des principes d’ordre émergent spontanément » (53-54), mobilisant le cas échéant et en tant que nécessité, des collaborations marché-État :

  • le principe d’ordre organisationnel ;
  • le principe d’ordre institutionnel découlant du précédent, qui reconnaît des formes dites spontanées (conventions, habitudes, références morales et éthiques (60), d’autres organisées par des contrats privés (en particulier le rôle reconnu aux associations), et d’autres encore mises en œuvre par l’État ;
  • le principe d’ordre de garantie et de protection qui freine l’anarchie et qui définit, on dirait en français, les droits et devoirs des personnes, des collectivités ;
  • enfin un principe d’ordre spatial auquel est consacré tout le chapitre IV, essentiellement construit par « les avantages de la concentration spatiale, de la différenciation spatiale et de la spécialisation économique» (14) ou d’un autre point de vue, par « l’agrégation et la fragmentation » aussi bien des tailles, des formes des villes, de leurs quartiers, que des conquêtes urbaines de continents, les États-Unis, l’Asie… Une formule équivoque soulignée par les auteurs cependant dit que l’histoire des villes est l’histoire de cette sorte d’approfondissement institutionnel entre acteurs suivant les phases, argument recevable mais ici tellement général qu’il devrait être repris et affiné dans une perspective plus centrée sur la croissance et sur l’histoire de la croissance urbaine. Ce chapitre, essentiel pour nous, aux terminologies parfois délicates à traduire et pouvant donner confrontations et ambiguïtés, nous laisse cependant interrogatif notamment sur plusieurs points : l’évocation en quelques lignes (une dizaine à peine) des travaux de l’économie géographique manque de sérénité et de sérieux. Certes, les auteurs de manière rapide et légère veulent bien leur reconnaître davantage de capacité explicative en termes de dynamique économique par rapport à ceux de la NUE (argument au demeurant discutable), mais ils sont « incapables de représenter de manière utile la réalité » (79). On peut évidemment au moins dans cet ouvrage, gentiment, mais tout autant fermement, leur retourner le compliment… J’avoue cependant que je suis parfois agacé quand je vois utiliser le modèle de KRUGMAN à une série de questions dont le moins que l’on puisse dire est le manque évident de pertinence.
- On sait bien que la ville repose notamment sur la quête de lieux et de mécanismes localisés qui maximisent la rencontre efficace de personnes ou d’activités, qui freinent les gaspillages, notamment de temps et de distance, qui favorisent par une certaine densité, une potentialité de rencontres, de cristallisation : « plus de 90 % des Européens nous dit BATTY, 2001, cité p. 86, vivent à moins d’un mile d’une église fondée au Moyen Âge ». On pense comme base de travail que des approches en termes de métropolisation peuvent aider à rendre compte de certains de ces mécanismes et on reste interrogatif sur l’apport net des droits de propriétés.

36- On retient comme piste une double idée à creuser, à davantage instrumentaliser : celle qu’avec la complexité croissante des villes et des mécanismes de propriété, il faut avoir recours « à une tierce partie », -assurances, financiers, banquesdont les rôles sont insuffisamment connus en ces domaines. On pourrait ainsi s’interroger sur the Urban Divide and the third God ; celle ensuite, qu’avec les processus de développement urbain de long terme, s’accentuent les mécanismes de fragmentation des droits de propriété sur la terre et les logements, phénomènes qu’il faudrait généraliser quant aux limites, aux frontières des communes par exemple, et aux avancées spatiales de l’urbanisation, sans forcément recourir explicitement à la théorie des droits de propriété…

374 – D’autres lecteurs seront davantage intéressés par la vision des auteurs sur les externalités, les biens publics, le domaine public en termes néo institutionnels : on retrouve la théorie des clubs, les débats PIGOU-COASE relativement connus et banalisés maintenant à travers la prise en compte du développement durable et de l’économie de l’environnement, avec des arguments permettant d’améliorer la reconnaissance et l’action par une attention aux droits de propriété : c’est de leur management et de leur combinaison que naissent les bonnes externalités, c’est de leur ignorance ou de l’attente souvent béate ou prétentieuse de l’intervention de l’État que se généralisent les externalités négatives. Et tous relèveraient de la même logique (voir liste 155). Assurément, une intéressante présentation de réponses et de questions…

38On pourrait certainement trouver d’autres entrées, noter les sévères condamnations parfois, de bonnes idées : les jésuites au Paraguay, St FRANÇOIS d’ASSISE dont la simplicité de son message (181) s’est ensuite complexifié par la Papauté, au point de devenir inaudible, Napoléon qui voulait punir l’Angleterre, le servage en U.R.S.S., les premiers ports européens en crise…. Tout cela pouvant (devant) être revu, régi par la théorie coasienne et néocoasienne…

39On note ainsi l’ampleur des idées que je crains parfois d’avoir trouvé en désordre. Il reste que essentiellement, de mon point de vue (partiel et orienté sur la théorie urbaine et les politiques liées à la croissance des villes), plusieurs éléments peuvent être notés à l’agenda de la discussion.

40? Les villes sont des manifestations spatiales « d’actes de coopérations ». Elles sont marquées par les avantages universels liés à la concentration, à la différenciation spatiales et à la spécialisation économique.

41? Elles traduisent et résultent de phénomènes spontanés, non planifiés, souvent non planifiables et liés généralement au bon sens collectif des acteurs et de la propriété privée. L’adaptabilité est plus grande avec des décisions décentralisées : voir nos travaux IFREDE-IERSO sur la ville émergente dans le Lubéron (2003).

42? Les défaillances du marché notamment concernant la ville sont réelles, mais elles justifient des décisions étatiques lourdes, structurelles alors que les problèmes sont de court terme et sont insuffisamment éclaircis et « responsabilisés ».

43? L’adaptabilité des villes se manifeste notamment et quasi automatiquement par une transformation des formes (quartiers, centres, périphérie), une diversification des fonctions, bref une catalaxie bénéficiaire à tous (ou presque) : voir ici une page extraordinaire, p.35 ; c’est quasiment un miracle généralisé, retrouvant un proverbe forestier landais « il faut chauffer le bois pour qu’il puisse te chauffer ». Les démarches qui « planifient » le développement urbain et territorial à travers les contrats (la ville, nœud de contrats, le plan de contrats), soulignent bien cette dialectique fragmentationspécification et recomposition-agrégation.

44? Si des classifications sont proposées, améliorées ou enrichies (voir par exemple la typologie des coûts de coopération (41) liés à l’analyse institutionnelle, elles peuvent être utilement (en s’efforçant de les instrumentaliser pour les rendre mesurables) mobilisées pour des approches théoriques ou concrètes (LACOUR, PUISSANT, GAUSSIER, 2003).

45? Les principes d’ordre proposés, aux intitulés près, peuvent être confrontés à d’autres logiques que traite par exemple régulièrement l’analyse urbaine et spatiale. De ce point de vue, les principes évoqués et leur croisement matriciel portent en eux une dynamique encore implicite probablement plus riche et moins mécanique que celles auxquelles pensent les auteurs. Il reste donc à leurs yeux à utiliser toute cette masse d’information pour se préparer à ce XXIème siècle qui parodiant MALRAUX, sera urbain ou ne sera pas… L’ennui, c’est que d’autres lectures estivales confirment que le siècle urbain est évidemment largement antérieur.

RAINES P., (ed), 2002, Cluster development and policy, Ashgate

46À lire ce petit volume parce qu’il est modeste et intelligent.

47Construit dans la lignée de l’European Policies Research Centre de l’Université de Strathclyde dont on connaît notamment les travaux de BACHTLER, WISHLADE et JUILL, ce travail se veut très appliqué, s’appuyant sur des études de cas (7) dont on dira plus bas qu’elles sont diverses, différentes et sans doute difficiles à comparer. Mais il a un grand avantage par rapport à d’autres volumes souvent plus prétentieux : derrière une partie théorique (courte) une trentaine de pages sur un total de 190, et le chapitre 11 qui sert de conclusion, de bonnes questions sont posées, un rappel, que l’on eût aimé plus fortement marqué, avec les travaux du Développement local et de l’économie territoriale des années 80 et 90 qui fondent en partie la réflexion sur le cluster. Le cluster donc, terme neutre, ou qui relève de l’effet de mode (?), de l’effet de catalyse ou d’un paradigme véritablement constitué. La cohérence d’ensemble de l’ouvrage tient sans doute aussi à P. RAINES qui en a rédigé plusieurs parties et qui fait directement passer ses idées notamment quand il examine des cas concrets : on sent bien qu’il est marqué d’un côté par l’influence de PORTER et de l’autre par une attention aux analyses de développement et de politiques régionales, spécialité de Strathclyde.

48P. ACHE pose en point de départ une relation forte entre la thématique du cluster et le « nouveau régionalisme » (7) sans véritablement le montrer. Il rappelle les diamants de Porter en notant bien cependant la base de l’interrogation « clusterienne » : comment produire et assurer des avantages comparatifs et différentiels et tenir compte des effets de concentration géographique. C’est une question centrale du développement territorial allant évidemment au-delà du cluster, sa réalité, son mythe, son fantôme (formule utilisée par P. RAINES, p. 160, qui a de l’humour), une éventuelle déclinaison évoquée p. 11 et reprise d’ENRIGHT (2000) « working-clusters, latent, ……. potential, … wishful thinking clusters ».

49Entraîné dans ce vaste mouvement créatif, on a envie d’en proposer d’autres qui mériteraient attention et débat : ainsi de block-clusters pour certains cas particulièrement entraînant (Tampere peut-être ?), des grow-ter (contraction de growth cluster pour discuter un lien évoqué (trop rapidement p. 25) entre les analyses à la PORTER et à la PERROUX ; surtout et peut être plus sérieusement des urban clusters ou clusties (pour cities) dans la mesure où on voit en creux notamment dans les cas évoqués et plus généralement dans la littérature, la place des villes (pas forcément les grandes) que l’on oublie régulièrement d’évoquer, (WEBSTER, WAI-CHUNG LAI, 2003).

50Pour aller vite, on pourrait évidemment dire que c’est la faute à PORTER, à PERROUX justement et à tous ceux qui ont voulu « sur-industrialiser » les analyses de cluster en n’en retenant que les entrées ou les « perspectives » (13) liées à l’innovation. P. ACHE a le bon goût et la mémoire vivante d’évoquer AYDALOT-KEEBLE sur la place de l’environnement local qui joue (ou non) un rôle central en matière de développement, d’innovations : c’était bien toute l’importance de l’idée de milieu innovateur, que mode anglaise dominante, on préfère rebaptiser cluster analysis ou cluster policy… En tout cas, ACHE évoque AYDALOT, CAMAGNI, le GREMI, MAILLAT, des analyses liées beaucoup aux apports francophones tournant autour de l’importance reconnue à la cohérence et à la coopération au sein d’un territoire, (ce dernier mot a toute sa place), et des approches en termes de processus.

51P. RAINES, grand organisateur de l’ouvrage se demande si une politique « clustérienne » (?) existe, ce qui le conduit à préciser ou plutôt à élargir tout ce que l’on peut mettre dans le cluster : une manière de rendre plus coopératifs les acteurs d’un milieu donné, un nom symbolique et mobilisateur pour habiller de manière moderne des pratiques banales ou concernant des secteurs traditionnels, une volonté définie par des acteurs publics avec des interventions notamment par des investissements pour créer et diffuser de l’innovation qui circule d’ailleurs dans l’ouvrage comme commandeur implicite et peu défini. Plusieurs schémas simples proposent en quelque sorte un « cœur » acceptable d’une éventuelle théorisation minimale des clusters. Les intérêts et les ambiguïtés soulevés par cette démarche, nous paraissent se trouver dans deux orientations fondatrices de l’analyse et de la politique des clusters :

  • d’un côté une entrée essentiellement liée à l’économie industrielle et aux analyses science-technologie (évoquée p.31) ;
  • de l’autre une entrée initiale, fondatrice (et oubliée peut être) dépendant de l’économie régionale-spatiale et aux analyses de la connaissance et du savoir. Autrement dit, deux approches qui ici aussi devraient être complémentaires et qui oublient trop souvent de l’être. On peut alors retrouver RAINES en conclusion (on va revenir aux études de cas) comme on peut d’ailleurs commencer la lecture par ces mêmes pages 159-177. On plaide pour une réintroduction spatiale des lectures de clusters, les « enraciner » à leurs environnements territoriaux (3ème Université Européenne d’Été Montesquieu – Bordeaux IV, 2003). Dans plusieurs cas, la référence au cluster (163), le « paradigme » pour faire écho à l’introduction, ressemblent fortement à des démarches de prospectives (voir Colloque de Lille 2002 où nous retrouvons ici des débats que nous avions avec P.H. DERYCKE, G. JOIGNAUX et B. GUESNIER). Il est légitime ici de rappeler que J.L. GUIGOU avait initié les Rencontres de La Villette sur les S.P.L. P. RAINES a raison de souligner l’aspect « vendable » de l’idée de cluster qui, comme celle de prospective, a mobilisé les consultants, les structures territoriales et dans certains cas, en effet, « le concept (de cluster) a été vendu dans des lieux où il n’était pas nécessairement une politique de développement approprié » (172). Alors quels avantages de la démarche cluster ? Faire vendre ces livres, réunir des Séminaires ? Repenser aussi et plus sérieusement les analyses et les politiques de développement spatial et territorial (176) et leurs liens avec les organisations, les acteurs et les institutions.
On a dit que la bibliographie était relativement correcte, mais que curieusement, dans la partie théorique, on réglait bien vite (une demie page à peine) le sort des districts à la MARSHALL pour ne quasiment rien dire des districts italiens. Sur cet ensemble de questions, on continue à trouver l’ouvrage de I. PANICIA, Industrial Districts (2002), commenté l’an dernier absolument déterminant. Décidément, « People must clustered together » dérivé du Cambridge International Dictionary…

52Quelques commentaires rapides sur la partie dite pratique : la Vallée de l’Arve traitée par F. JOSSERAND permet d’évoquer la DATAR curieusement devenue (40) « Délégation à l’Aménagement du territoire et à l’aide », et à travers elle, la politique nationale que l’on entend conduire pour « reconstruire » les territoires (43), favoriser le développement local en soutenant les P.M.E., et en incitant de multiples coopérations sur le terrain d’acteurs publics et privés. Est évoqué le rôle de l’Institut Recherche, Économie, Production, Développement (I.R.E.P.D) et on aurait souhaité voir citer les travaux par exemple de COURLET. Bien entendu JOSSERAND parle des systèmes productifs localisés ; je ne suis pas certain qu’un lecteur non français puisse bien comprendre la place de la DATAR notamment dans l’opération SPL évoquée, les particularités de la Vallée de l’Arve avec son histoire, son enracinement, son côté « bon élève », bon exemple régulièrement cité. De même, on s’interroge sur la bonne adéquation de la Vallée de l’Arve avec le modèle de PORTER (50 !) et sur le sens du commentaire qui dit que le « cluster » est compliqué par son ancrage à un territoire très particulier, un ensemble complexe de facteurs historiques, économiques, politiques et même anthropologiques (….) qui existent dans la Vallée de l’Arve (50). On penserait plutôt le contraire : un cluster qui n’aurait pas d’ancrage ?

53Le Luxembourg traité par M.L. ROONEY se rapprocherait de la Vallée de l’Arve en ce qu’il s’agit d’adapter en permanence une zone industrielle ici en déclin et on va, relativement classiquement, s’appuyer sur le savoir, la technologie pour déboucher sur de l’innovation et de la coopération multi-acteurs, pluri-institutions. Et notamment comme pour la Rhénanie-Westphalie, le recours à des fonds européens qui auraient pu faire l’objet d’un commentaire final et général. La Rhénanie-Westphalie, justement, s’oppose au Luxembourg par l’ampleur régionale des questions à traiter même si on évoque (P. ACHE) une politique de nouvelle industrialisation (74) : on est clairement confronté à une désindustrialisation sévère dans un environnement extrêmement urbanisé rendant particulières, urgentes mais délicates les opérations de reconquêtes des friches industrielles et urbaines. Ici l’auteur assimile politique de cluster à quête d’une économie de compétence (77) et déroule comme il le dit des cas très différents qu’il aurait été utile de mieux distinguer. Les mêmes commentaires concernant la Vallée de l’Arve pourraient être faits sur le Pays Basque (espagnol) où est rappelé le rôle du gouvernement basque de Vitoria (on aurait aimé des commentaires sur les orientations retenues par M. ARDENZA) : en quoi le cluster favorisait ou pouvait développer l’identité basque (94), et finalement à quoi ont vraiment répondu les clusters basques ? Les avantages sont plus affirmés que démontrés. P. RAINES prend en charge le chapitre Écosse qui évidemment n’est pas de même nature que celui correspondant à la Vallée de l’Arve ou de la Styrie et du coup on s’éloigne presque du sujet pour parler « développement régional » revue par la récente Dévolution. On a droit à un rappel de l’importance de la qualité du whisky et un survol des différents aspects des clusters, réalités locales construites autant parfois qu’habillage, réactivation, réorientation de politiques habituelles (117). Le cas autrichien, celui de la Styrie relève de deux domaines différents, l’un reposant sur l’industrie automobile, l’autre sur le bois, qui conduit plus précisément à une lecture en termes de croissance endogène ou de développement territorial au sens que W. STHÖR (non référencé) a fortement traité. On songe aux expériences québécoises de l’Abitibi-Témiscamingue et Tampere (traité par P. RAINES), parfois comparé dit-il à un « Manchester finnois », qui doit beaucoup à Nokia. Cela souligne du même coup l’ambition nationale et même internationale du cluster : on veut favoriser un système d’innovation national (146). Ces études de terrain menées essentiellement en interviews directes avec les intervenants montrent ainsi une grande variété que l’on aurait pu mieux souligner dans un chapitre général, de même des cartes auraient été utiles.

DUTOUR T, 2003, La ville médiévale, O. JACOB (ISBN : 2-7381-1238.2)

54On sort de la lecture de la ville médiévale un peu étonné : moins d’ailleurs sur le Moyen Âge, ses découpages temporels, les débats qu’il suscite dans la mesure où je reste hugolien et fasciné par cette période, mais étonné par une double interrogation :

  • le Moyen Âge, aussi, est « pleinement devenu une civilisation urbaine » (11), « la croissance urbaine médiévale est dans une large mesure spontanée » (12), « le monde carolingien…… n’est pas rural mais profondément urbain –à sa façon- » (45). Pleinement urbain donc, faisant suite à la faillite de l’empire romain et de « la ruine de l’idéal romain de la ville » (70). Cet argument est longuement évoqué, mais pour l’auteur, l’urbain est en grande symbiose avec le rural, l’agricole, bref le local, le « surbanisme » (196) explicitement revendiqué, comme il caractérise le monde, c’est-à-dire l’Europe déjà élargie.
  • la seconde interrogation porte moins sur le Moyen Âge dont nous ne discuterons évidemment pas les datations : on aime bien au fond « cette vision des choses encore la plus couramment admise : "le Moyen Âge commence mal et finit bien parce qu’il disparaît" » (235). Mais cette vision est contestée par l’auteur : cette création de ville, cet urbanisme et cette urbanisation, cette civilisation urbaine sont-ils finalement aussi proches de nous, moins différents que nous l’attendions ? Ou bien est-ce l’auteur qui volontairement utiliserait des termes, aurait des regards et des attentions qui seraient souvent bien proches de nos propres références et terminologie d’économistes ? L’auteur avoue (244) nécessaire une certaine « distance critique vis-à-vis des contemporains car leurs représentations peuvent conduire et construire une théorie qui explique et sanctifie à la fois un état social et véhicule un point de vue sur son évolution ». Alors non seulement le Moyen Âge revu par HUGO m’enchante et la ville médiévale de T. DUTOUR nous passionne.
Mais ce n’est pas au demeurant un texte facile et de ce point de vue on se demande un moment si DUTOUR n’écrit pas, suivant la formule de A. SCHIAVONE « que pour les spécialistes » ou tout autant pour défendre un point de vue, une démarche : sa perspective interactionniste, terme finalement bien ambigu pour reconnaître « l’importance reconnue à la rencontre au côtoiement des hommes, créateurs de la réalité sociale qu’ils partagent ». Et au-delà d’une forte bibliographie, de notes nombreuses, il ne veut pas perdre une ligne ni abuser des retours à la ligne. On veut bien aussi considérer « les faits sociaux comme des situations qu’on ne peut comprendre sans s’interroger sur la façon dont les acteurs les définissent » (16)… À l’évidence, il y a, dans le chapitre 1 et dans le chapitre 9 des débats, prises de position doctrinale, théorique et méthodologique qui concernent certainement le monde des historiens et qui me rappellent certaines anciennes réunions à la Maison des Sciences de l’Homme d’Aquitaine (MSHA) concernant là aussi le changement social : « on avait demandé à des « vrais historiens » de nous expliciter les enjeux.

55Certes, des questions qui agitent les historiens –au moins médiévistes-, il y en a pour autant qu’on ait pu les percevoir et les comprendre, on retrouvera ces débats dans SCHIAVONE avec quasiment le même traitement. Ainsi PIRENNE, DUBY, BERENGO, BREZZI (voir aussi par exemple les notes 5, p. 284, 285 ; n° 63, p. 301, note 31, p. 308) ont l’air de relever de courants contestés quand il faudrait suivre FOSSIER et DUBOIS… On n’est pas certain d’avoir tout compris dans les infra-notes des notes : à chacun de régler ses affaires, ou d’en mieux préciser les enjeux épistémologiques. Plus intéressants pour nous, plusieurs visions :

56- La ville romaine existe parce que l’État Romain l’impose ; la ville médiévale existe sans que rien ne l’impose. Ce qui est central, c’est évidemment l’idée d’un Moyen Âge « devenu pleinement civilisation urbaine », dépassant les idées banales des villes de foires ou de quelques cités italiennes. Certes, comme toute ville, « la ville médiévale n’existe pas tant qu’elle n’est pas d’abord construction sociale ; elle est d’une certaine manière d’abord concept ou idée avant d’être réalité », et l’auteur assume cette idée que « la ville médiévale est un être de discours ; c’est une représentation globale, à la fois descriptive et explicative » (17) « comme on a tant » romancé et idéalisé positivement et négativement la ville industrielle. Cependant, la ville, toute ville signifie concentration humaine sur un espace restreint et liaison (identification dit DUTOUR) entre ville et vie civilisée, argument moins géographique (une densité) et davantage politique, culturel et social : la ville ainsi est porteuse, créatrice de valeurs sociales autant d’ailleurs qu’elle les crée. La fin d’une ville serait son incapacité à faire appliquer les règles qu’elle a définies ou à fonctionner en cohérence avec les valeurs fondamentales retenues. Ici, on doit garder présent l’héritage grec de l’idée de cité « une agglomération dotée de sanctuaires, d’une forteresse (acropole), d’un marché (agora), et entourée de campagnes » (22). Un changement majeur va survenir quand la cité deviendra ville au sens intra muros et pourra, prétendra vivre sans la campagne ou au détriment de celle-ci. Comme on doit aussi abandonner ou nuancer l’héritage romain, rompre avec une évolution régulière, « normalisée » entre « la Rome antique et l’occident moderne » comme dit SCHIAVONE : DUTOUR plaide davantage pour une certaine continuité et changement, (passage relativement compliqué, et de toute manière il refuse les chronologies légendaires à la PIRENNE) : « le plus court chemin vers la compréhension de la ville médiévale ne passe pas nécessairement par le rapprochement avec la ville romaine. Rome a légué aux temps postérieurs un formidable héritage fait de ville, mais les trois quarts des villes européennes existantes en 1500 sont nées au Moyen Âge et la ville médiévale n’est pas la ville romaine. Les hommes du Moyen Âge ont inventé la ville » (29).

57La ville, alors jusqu’au 9ème siècle, sera essentiellement une ville épiscopale parce que l’évêque est militaire, homme de pouvoir, « homme du Roi » souvent avant même que d’être homme d’église et de foi. Au 6ème siècle, « on appelle "cité", la ville de l’évêque » (35). Cela restera longtemps exact : « Dans une vraie ville, il y a un évêque » (85).

58On sait aussi que, en conservant ces fonctions, la ville deviendra ou confortera un système de protection-défense d’un territoire, une certaine vision aussi qui en opposé, fera reconnaître la « nocivité de la ville » que DUTOUR illustre joliment et dont on sait la place encore actuelle (de plus en plus actuelle peut-être) : DUTOUR commentant RUPERT de DEUTZ : « il condamne ce qui pour lui est le principe même de l’existence de la ville : l’argent » (48), vision inquiétante mais que l’on peut lire autrement. C’est l’argent, non plus pensé en termes de chrématistique mais permettant des opportunités, assurant des échanges offrant de nouveaux produits. (Voir ce qui est dit par exemple de la ville de M. POLO) : « La ville, organisme rassemblant des hommes socialement hétérogènes dont la diversité même donne lieu à la naissance de combinaisons originales ».

59Autre thème existant « l’urbanisation » ; elle va être relativement rapide et générale et productrice de ces sociétés urbaines davantage sans doute que de civilisation urbaine. On note l’apparition des fonctions des notables, des élites, avec de nouveaux repères sociaux, économiques, culturels et politiques. C’est aussi dans cette montée en puissance de l’urbanisation, -à commencer par le développement urbain hors les murs, cette dilatation de la cité dont parle DUTOUR (110)-, que se confortent et consolident des liens villes-campagnes par le rôle des propriétaires « de biens et de droits fonciers en ville et à la campagne », non en opposition, bien au contraire avec un changement de nature de l’urbanisation : elle devient autour des Xème et XIIème siècles, intensive en liaison avec une évolution importante (souvent ignorée ou attendue 3 ou 4 siècles après) des changements technologiques ; c’est sans doute un des points où j’ai le plus appris. Les villes marchandes le sont aussi parce qu’elles sont plus efficaces, ont davantage à échanger et ont créé des valeurs favorables à un capitalisme naissant (voir SCHIAVONE). Du coup, plus que jamais, se renforcent les liens villes-campagnes en faveur des citadins : « le lien étroit des citadins avec la terre se concrétise par l’aller-retour incessant des gens et des biens entre la ville et la campagne » (134). Des villes naissent ou se développent et on note des « villes polynucléaires », des créations totalement neuves dont les bastides. Je regrette ici fortement le peu de pages qui leur sont consacrées, alors qu’elles constituent une véritable novation urbaine de colonisation de peuplement agraire, des lignes de défense, de modernité financière, fiscale et souvent politique. On comprend que l’auteur ait largement investi Dijon dans ses recherches, Reims, les villes italiennes, celles de la Hanse, mais sur cette histoire courte mais centrale de bastides, on aurait aimé ici ses propres commentaires. De même, au titre des lectures rapides, les châteaux de terre évoqué à peine (15), auraient pu mérité une réflexion de type urbain car par exemple, sur le site du château d’Albret à Labrit, cette thèse est soutenue : moins une ville évidemment qu’une forme d’urbanité. Quand même, d’après DUTOUR, « au bout du compte, peu (de bastides) sont indiscutablement devenues des villes (Libourne, Sainte Foy la Grande, La Réole par exemple), la plupart restant des bourgs ruraux, tels ceux de la région d’entre Dordogne et Garonne qu’on appelle en Bordelais "L’entre Deux Mers", Cadillac, Créon, Sauveterre de Guyenne, Sainte Croix du Mont » (140).

60Plus longuement et plus heureusement, l’auteur souligne les notions de seigneurie territoriale, l’émergence de réalités locales et de pouvoirs locaux, et peut-être aussi « de vives controverses et des perspectives d’interprétation inconciliables » (154) dont à nouveau la question de savoir si pour aller vite, l’an 1000 est une mutation, une rupture, un mythe : suivant DUTOUR, l’historiographie des dernières cinquante années a singulièrement conduit à des nuances ou à des réajustements, -certains essentiels comme la place de la croissance économique et démographique, une autre lecture des relations maîtres-dépendances et du coup ville-campagne avec comme chez SCHIAVONE une attention « à la ponction sur la force de travail transférée par une ponction sur les revenus du travail » (159)… Il n’y a donc pas lieu de retenir l’an 1000 (251) : ni naissance d’un monde nouveau, ni mort total d’un système condamné. Gardons alors pour nous, la symbolique forte et la peur née du passage au 1er janvier 2000 ; les historiens peut-être en traduiront une singulière représentation. L’auteur traite en profondeur cette dynamique territoriale, explicite finement les fondements que nous connaissons bien par « la théorie des lieux centraux » (évoquée p.165), l’émergence du pouvoir : « la ville, lieu central, … le centre d’un territoire, un lieu privilégié de la vie sociale où se côtoient les élites de tous les horizons propriétaires compris » (177). Mais la ville qui gagne sa liberté, qui produit des bourgeois, des pouvoirs qui consolident les grandes familles propriétaires fonciers importants, est en mouvement permanent par l’immigration, les difficultés sociales, celles aussi de déracinements et des exclusions ! Aux grandes foires, au luxe, aux raffinements qu’évoquent Venise, Florence, Dijon et Reims, doivent être ajoutées les réalités des hiérarchies sociales pour lutter contre les « aléas de l’existence » (120) pour mieux consolider aussi le pouvoir des élites et des notables.

61Il n’est pas simple de lire les historiens, comme ils peuvent trouver parfois longues, pénibles nos formalisations qui ne permettent pas forcément une lecture directe et partagée. Mais c’est enrichissant : on croit avoir compris que « au début du Moyen Âge, à peu de choses près, la terre est tout ; à la fin du Moyen Âge, la ville n’est peut être pas tout, mais il n’y a plus, dans les élites, de carrière ni de vie sociale qui puisse l’éviter » (260). Resterait quand même à voir ce que pensent d’autres historiens sur Rome, le Moyen Âge, la ville, les élites et les dynamiques urbaines : on commentera l’énorme et fabuleuse « Histoire de l’Europe Urbaine ».

SCHIAVONE A., 2003, L’histoire brisée. La Rome antique et l’occident moderne, Belin

62C’est passionnant, intelligent et on souhaite que cet ouvrage (286 pages, petit format et aussi petits caractères surtout pour les notes) soit lu, apprécié, en grande urgence : avant même de terminer les dernières simulations, de tester du logit et du probit, de mêler technologique et tectonique : allons voir et lire cette Histoire brisée d’un professeur de droit romain qui nous apprend énormément, nous enchante, et nous interroge.

63Certes, au départ, des interrogations ou les commentaires de SCHIAVONE nous paraissent à la fois classiques et banaux : ainsi, on n’est guère étonné que AETIUS ARISTIDE soit enthousiaste de la puissance de Rome ; qu’il y ait une multitude de villes « resplendissantes d’éclat et de grâce », « une magnificence des villes et de la vie urbaine » conforte SCHIAVONE dans le constat que, décidément, « la civilisation romaine, elle aussi avait été un phénomène essentiellement urbain » (41). On a ainsi envie d’entendre conformation, explication de ce qui est connu, souligné : Rome était dans Rome et commandait le monde, Rome non seulement gérait (plutôt bien) sa propre population d’un million d’habitants, mais administrait « "ce miracle" romain (dans) sa pleine extension mondiale : l’empire n’unifia jamais les économies provinciales mais construisit un réseau d’interdépendances et de rapports sans précédent » (216). La grande question qui travaille ici SCHIAVONE, n’est, elle non plus pas nouvelle : pourquoi et comment cette puissance, cette fabuleuse organisation, cette machinerie militaire, cette logistique quasiment sans faille allaient-elles comme le dit SCHIAVONE « dévorer ce monde ? » (22). Alors une énième histoire du déclin et de la chute de l’Empire Romain ?

64À vrai dire, cette question est peut-être essentielle pour les spécialistes de l’histoire dite ancienne, certainement objet de débats et de querelles pointues entre certains spécialistes, mais jusque là, rien qui ne mériterait un tel enthousiasme de notre part. Et pourtant, l’auteur montre qu’entre le premier et le second siècle de notre ère, se joua un moment fort où les César jouèrent l’Histoire aux dés et, mécaniquement, irrémédiablement, ils produisirent sans le vouloir, sans s’en rendre compte « quelque chose comme une orbite morte de l’histoire » (222). Du coup, on devient attentif, pressé de connaître l’énigme de cette histoire policière revue par FELLINI, où se mêlent, en cherchant bien, la silhouette de J. FORD et celle de S. LEONE : une sorte de péplum « repassé à l’envers » pour voir si l’assassinat de Rome et de son empire pouvait être évité, retardé et pour savoir si -le syndrome de BRUTUS généralisé ici et étendu –, les coupables de la mort de Rome, n’étaient pas seulement ceux qui avaient écarté les vaincus comme étrangers, comme l’évoque l’Empereur CLAUDE dit le Sage, parlant de la chute des Lacédémoniens et des Athéniens (215) ; ce fut surtout « un milieu de notables agrario-bureaucratique rénové et élargi… » (216). Ainsi, « le caractère grandiose de l’édifice -devenu plus tard, depuis le haut Moyen Âge, un mythe de la mémoire de l’occident-, n’aura pas peu contribué à sa ruine » (216). Rome non seulement n’était plus dans Rome mais n’était plus capable d’assurer sa richesse et sa puissance par des prélèvements « des zones périphériques plus riches » (81) : une sorte de mondialisation inversée pour mieux en assurer la primauté et l’envergure.

65On comprend mieux l’intérêt du lecteur qui se voit invité à participer à cette enquête, à voir pourquoi « l’histoire s’est brisée ». Sans doute c’est moins d’une Histoire brisée dont on parle ici, que du miroir que nous-mêmes, héritiers de la civilisation (grecque) et romaine, attendons généralement du regard que nous portons à cette civilisation que nous pensons la nôtre. C’est de ce miroir brisé, de ces regards étonnés et inquiets qu’il faut parler parce que ce qui est en cause, c’est « un univers privé de signification… un espace occupé par une civilisation riche et raffinée mais spirituellement vide et d’autant plus aride et dévaluée qu’en étaient plus manifestes les facilités et avantages matériels » (20).

66Dans un premier temps, on laisse l’auteur, qui heureusement y passe peu de pages, sur le continuisme ou les ruptures : encore une histoire de spécialistes. Et en effet, SCHIAVONE citant F.W. WALBAUK (1946) [dans un petit essai… qui peut être n’a pas eu le succès qu’il méritait] interroge : « Pourquoi n’y a-t-il pas une montée rectiligne du progrès depuis l’époque d’HADRIEN jusqu’au vingtième siècle, mais un parcours bien connu où se succèdent, déclin, Moyen Âge, Renaissance et modernité ? » (35). Parcours bien connu ? C’est beaucoup dire, d’autant que les historiens nous expliquent que, justement il y a beaucoup à revoir : ainsi on est passé du « pourquoi l’empire n’avait pas résisté, à comment la crise » (36) ; on doit se méfier des ruptures et des dates-clefs : « toute hypothèse "continuiste" a de bonnes raisons d’être utilisée dans le travail historiographique. Le temps, dans la perception qui en a été donnée à notre espèce, est avant tout continuité… Sous toute rupture (et l’auteur cite aussi bien 1789 que 1917), on peut retrouver les fils qui se sont maintenus et qui relient même la plus radicale des nouveautés à un passé proche ou lointain », (37). Il faut que ce message soit entendu –un instant si on peut dire-, pour éviter tout sentiment de soudaine découverte ou d’imparable nouveauté à ce qui souvent est purement ignorance de la littérature. Qu’il soit médité aussi pour mieux saisir la difficulté des découpages et la facilité de SARTRE reprochant à FOUCAULT « le coup de la lanterne magique ». Mais en retour, des moments, des « périodes » doivent être proposés dans leurs incertitudes temporelles comme bornes et frontières de travail. SCHIAVONE d’ailleurs tout en plaidant pour une perspective longue, veut trouver, comme il dit, la « signification de la trame qui s’est déchirée » (38), pourquoi il y a eu « bifurcation évolutive » (40), pourquoi existent des fractures qui doivent être mises à jour et expliquées, et notamment en matière urbaine : SCHIAVONE confirme DUTOUR : « nos villes d’aujourd’hui en Europe sont, sous bien des aspects la continuation directe de ce qu’elles étaient au Moyen Âge, en revanche, elles ont un rapport de type presque exclusivement archéologique avec les villes romaines enfouies sous terre…., enfouies par la violence de l’histoire » (42). Il faut nuancer, remettre en cause « cet empire aux mille villes,… l’admirable vitalité de ses centres urbains » (31). Cette civilisation romaine « phénomène essentiellement urbain » (41, voir aussi GAILLARD J., 1997 et notre commentaire RERU, n° 5) a certainement en partie, structuré nos villes actuelles et nos mentalités et normes urbaines. On insiste en passant : relisons ou découvrons GAILLARD pour apprendre, certes, mais aussi être convaincu que l’on peut être sérieux, profond, et… manier l’humour. De ce point de vue, c’est vrai que SCHIAVONE semble oublier la joie et la gaieté de Rome.

67Passons évidemment sur le rappel (109) que « le marché fut toujours un phénomène urbain » (idée que nous sommes prêts d’ailleurs à discuter), que Rome soit un lieu de « concentration énorme » (mais destinée à s’annuler dans une abondance et une consommation qui ne laissaient rien entrevoir au-delà d’elles (117), lieu aussi de gaspillages, d’improductivité, de chômage et de marginalité structurels (125). Ce dernier commentaire peut être généralisé à l’Empire et l’on tentait [plutôt avec efficacité] de compenser ces difficultés par les fameux pain et cirque. Plus intéressante, la capacité « urbano-mondialisante » de Rome de mettre à son profit le modèle périphéries [riches] vers la capitale (sans véritable autre richesse que « politiques » et « coercitives ». Ayons en tête cette vision réaliste aussi d’un empire organisé, contrôlé, « logistique », « ce miracle romain et cette rationalité impériale » (titre d’un chapitre) mais « dans sa réalité, l’empire -du point de vue de la géographie économique de son territoire- était ponctué d’une poussière de microsystèmes clos et isolés, dont les dimensions et la composition démographique variaient en fonction de la configuration des lieux et de l’histoire des implantations » (83-84). Si on avait peut-être oublié que Rome fut une singulière puissance coloniale…, SCHIAVONE a décidé de nous le rappeler.

68Mais peu à peu, on doute de Rome, de cette ville dont pourtant on nous a expliqué certaines de ses difficultés actuelles par son inscription « romaine antique »… C’est que nous voyons trop Rome comme nous la voulons voir : un mélange de CARACALLA et de FELLINI, le Colisée et la Via Appia… CÉSAR et NÉRON entre Cinecitta et Hollywood. On a fait sans doute trop de théorisation excessive et « idéalisée » (et DUTOUR nous conduit à la même prudence) de la ville (du site résidentiel et du pouvoir de l’évêque) et ici la ville du lieu des échanges et du commandement. On a tendance à une généralisation excessive et peut être rapide : d’un côté, en sortant de Rome (et même dans la ville-mère), l’idée de Cité-État (« à laquelle se rattachait une civilisation paysanne », 165) reste essentielle, c’est-à-dire ce lien ville-urbanité-campagne patrimoine terrien, induisant déjà une sorte de globalité-mondialité de Rome dans « un monde de petites autarcies – de cellules indépendantes et autosuffisantes » (165). D’un autre côté, en tirant excessivement cette fois la lecture dans une lignée continuiste, se maintiendra, sinon l’organisation du moins l’esprit de la centuria fondée sur un ensemble, « entre le soldat qui combat, le citoyen qui vote et le propriétaire terrien qui cultive et produit » (61) ; l’auteur ne parle pas, pour le moment, on va y revenir, des esclaves qui travaillent…

69Un troisième thème déterminant et qui fonde notre plaisir de lire ce travail porte sur ce qu’on pourrait a minima appeler avec l’auteur une « économie de l’Antiquité », ou de manière plus ambitieuse un débat central sur l’épistémologie et la méthodologie de l’histoire et d’une démarche qui doit être rigoureuse, inventive et curieuse. Sans doute, « l’Histoire est une science qui n’admet pas les expériences et les contre-épreuves » (204), mais SCHIAVONE ici veut dépasser le regard historique qui privilégierait par exemple l’économie, le social ou encore le politique, c’est essentiellement ce que fait DUTOUR. C’est en cela qu’il est passionnant, c’est délibérément une Économie de l’Antiquité qu’il veut proposer : « ce qui fait défaut, c’est un minimum de perception de l’économie en tant que secteur distinct de l’activité économique » (46), c’est vouloir avoir en tête A. SMITH explicitement mobilisé (28) comme de nombreux économistes dont l’École historique allemande, QUESNAY mais aussi MONTESQUIEU, NORTH, FOGEL… SMITH voudrait trouver le schéma d’un système unitaire susceptible d’être étudié comme un organisme régulé par des lois scientifiquement descriptibles : une sorte d’« "ordre naturel" analogue à celui qu’on croyait retrouver en physique et en astronomie » (48). Vaste ambition, mais aussi sain rappel à l’ordre que nous propose un professeur de droit romain… pour nous interroger, peut-être sur nos propres missions : à trop nous enfermer dans le concept flou ou le calcul s’affirmant à trois chiffres après la virgule, ne sommes-nous pas, comme Rome, en train de nous saborder sans nous en rendre compte ?

70Et cette véritable quête d’une économie politique de l’Antiquité, certes elle « semble inscrite dans la géographie et l’anthropologie plus que dans l’histoire » (105). Hiérarchie recevable partiellement : évidemment « la mer fut le grand protagoniste du commerce antique et avec elle les fleuves et le vent » (105) ; oui à l’évidence, la terre et la mer, le foncier et l’argent… Mais au-delà SCHIAVONE insiste et ce n’est pas rien : l’économie romaine n’a pas su « se tenir debout par elle-même » (57) ni « libérer PROMETHEE » (idem). Deux questions essentielles sont posées qui dépassent et transcendent cette économie romaine :

71- La première qui est permanente et commune à beaucoup de domaines est pourtant reléguée dans la longue note 32 du chapitre III (250-251). Comment se servir à rebours de nos connaissances actuelles (savoir, concepts, mesures et tests de validation) sans être coupable de travail de faussaire, mais en tentant d’éviter « le caractère fortement autocentré, du point de vue historique, de toute la construction » (250) du moins à partir de la science économique moderne. La construction de l’économie serait ainsi spécifique, différente en tout cas de la théorie politique moderne et la pensée juridique qui auraient trouvé (et trouveraient encore) dans « l’héritage antique, un patrimoine historique et théorique auquel elles ne cessent de se ressourcer, dans un dialogue continue que la pensée économique ne pouvait imiter » (40). Dans la même lignée d’interrogations rationnelles ou rationalisées par la Renaissance et ensuite les Lumières, on peut être confronté « à la règle selon laquelle le plus complexe (dans notre cas la théorie des économies industrielles, 250) est toujours en mesure d’expliquer le plus simple ». Et l’auteur évoque évidemment MARX et encore GOULD, LEVI-STRAUSS.

72- La seconde interrogation retrouve MARX, bien entendu mais aussi, pour une « complémentarité trop longtemps ignorée, Max WEBER et K. POLANYI » (254). Et ici se retrouve abordée pour la millième fois peut être le point de savoir si cette période romaine est ou non une économie primitive (ou relève d’« une interprétation primitiviste des économies antiques » (59). Régulièrement en effet, des thèses, des ouvrages paraissent qui contestent ces lectures et même les condamnent. Ici, SCHIAVONE est clair : c’est bien une économie sans véritable accumulation, fondée sur un interventionnisme permanent, un quasi pillage organisé et légitime politiquement et militairement par le centre, au détriment des périphéries riches. Les villes, du moins Rome, ne produiront guère que des « services », enclencheront peu de mécanisme, d’accumulation, de valorisation, et elles continueront à fonctionner –à prospérer en apparence-, suivant l’extraction et la circulation de richesses et de valeurs agraires et déjà s’installeront sur le devant de la scène économique : « le seigneur rentier » (121), « le propriétaire de terres et d’esclaves restait un rentier et ne devenait pas un entrepreneur » (123). La société, son organisation, son capital et ses valeurs symboliques restent marqués par une vision « antimatérialiste », hostile au progrès, aux technologies (sauf à finalité militaire). Dans une sorte de vision du monde à deux entrées complémentaires (vision actuelle héritée de la Renaissance, et d’une certaine opposition entre Fides et Ratio), la vision antique aurait privilégié la qualité, la beauté, la pensée « sur la matérialité obscure et contraignante du monde physique » (185), qui porterait en elle, si on déchiffre l’auteur, une vision matérielle, pessimiste « désenchantée » (179), une lutte permanente contre la rareté et la nature. D’où aussi une sorte de confusion, d’incommunicabilité ou de glorification du mythe de l’antiquité : « le fameux "pragmatisme" romain était social, non technologique ; il concernait l’administration, la politique, le droit, l’organisation militaire et, dans une moindre mesure, les techniques de la persuasion et du consensus : "l’art oratoire et la satire" » (177) ; décidément, un refus délibéré ou involontaire de produire de la valeur marchande par de l’accumulation et de la technologie.

73Une des explications de cet enfermement finalement hautain et autodestructeur, de surcroît quasiment programmé de Rome, au-delà de l’héritage étrusque, grec, des avantages généraux de l’économie rentière, coloniale et étatique, tiendrait pour Schiavone aux relations entre « les esclaves, la nature, les machines » (ch. 9, le plus long et à l’évidence celui qui tient le plus à cœur à l’auteur) ; et tout particulièrement, relativement aux esclaves. De ce point de vue, « la société romaine entre l’époque des guerres puniques et le siècle des Antonins (a) été une société esclavagiste » (133) : sa chance mais aussi sa punition. On sait les définitions variées de l’esclave par Aristote (une machine douée de parole), on se voit rappeler que ce phénomène a pu être compris comme « une espèce d’adéquation à une loi naturelle », « un principe universellement accepté » (137) : les esclaves, nombreux, peu coûteux, étaient chargés des tâches de production, au sens le plus large du terme : « l’esclavage constituait, dans la mentalité des couches dominantes, le modèle social prévalant dans toute représentation du travail manuel » (145), étaient ceux qui avaient un travail pénible, répétitif, quantitatif, dégageant peu de valeurs marchandes, puisque restant essentiellement dans la sphère domestique, même largement entendue : celle de l’essentiel de la matérialité quantitative des échanges, nécessitant (relativement) peu de capitaux, voyant peu d’avantage à s’orienter vers des gains (en temps ou en coût) permis par le recours à la technologie. Et les vastes territoires conquis, dominés, nourriciers de la folie dépensière et de la nécessité interventionniste de Rome, ne sauraient faire oublier, dans leur immensité, que Rome était condamnée de l’intérieur, « prisonnière d’elle-même et de son imagination métaphysique » (173). Et l’esclavage était en quelque sorte, le ciment quotidien, fonctionnel et efficace de la société romaine, comme le garant de « résultats les plus performants et tout à la fois, un obstacle infranchissable excluant toute solution alternative » (180)… sauf à attendre HEGEL et MARX mobilisés ici encore.

74Et c’est là que l’auteur « compare » l’esclavagisme romain et américain, où la case de l’oncle Tom rencontre la villa romaine, où le péplum trouve son pendant dans la Mama de Autant en emporte le Vent : (JEE and LO, 2003) : l’esclavage ne peut mécaniquement freiner ou retarder le développement (181), mais cette rencontre de l’Empire romain et des États Confédérés souligne que le modèle américain « s’exerçait … dans un monde déjà transformé par le capitalisme… ». L’esclavage américain précisément parce que enraciné dans un milieu excentré et local-, était un système à sa façon « "parasite" d’un monde dominé par le travail libre » (181). Enracinement aux États-Unis, dans une société qui avait progressivement « mauvaise conscience » et formellement et politiquement, elle se construira beaucoup dans le sang de la guerre civile.

75Un travail qui interroge directement les économistes et pas seulement ceux qui travaillent dans le champ urbain… Seuls regrets : l’absence d’une bibliographie finale qu’il faut rechercher dans les notes, et une conclusion (?), le chapitre XII, un peu rapide aussi bien en pages qu’en arguments de fond : une sorte d’opposition simpliste (et peu digne de l’auteur) entre une Antiquité bloquée en elle-même, sur la politique, les passions, l’immatériel, et une Modernité occidentale fondée sur les sciences, les techniques, le travail… Ces deux limites évoquées, un grand moment de lecture et de réflexions.

L,2004,I,1 - CROZET Y., MUSSO P. (directeurs d’ouvrage), 2003, « Réseaux, services et territoires. Horizon 2020 », Éditions de l’Aube, Collection Bibliothèque des Territoires, DATAR, 263 pages, (reçu en janvier 2004)

76Écrit par une quinzaine d’auteurs, ce livre est le résultat des réflexions prospectives collectives développées à la DATAR par un groupe « R.S.T. », saisissant de façon prospective trois secteurs d’activités : énergie, transports, Technologies de l’Information et de la Communication (TIC). De 1999 à 2002, en plein bouleversement dans le champ des industries des réseaux, le groupe est parti d’incertitudes pour aboutir à des inquiétudes.

77Les incertitudes concernent trois champs :

78- Réseaux et territoires : butoirs aux tendances actuelles (baisse absolue des coûts, étalement urbain, accroissement de la mobilité) ? Choix publics en matière de financement des réseaux (quelles bases de rendement ?) ; adéquation (choix résidentiels des ménages et stratégies des firmes) ; maillage du territoire ?

79- Pratiques, usages et temporalités : marges de manœuvre des individus ou des groupes, adéquation entre valeurs et comportements ? Acceptabilité de formes marchandes et industrielles dans les services publics… ?

80- Services, régulations et systèmes d’acteurs : articulation des différents niveaux (local, national, européen, mondial) : influence de la société civile sur les mécanismes de régulation, notion d’intérêt général dans les différents types de services ? Quel équilibre entre les trois systèmes d’acteurs (puissances publiques, mouvements sociaux, puissance économique) ?

81Pour chacun de ces champs aux questions posées, les auteurs ont apporté des réponses sous forme d’hypothèses (5 réponses pour 15 questions) qui combinées entre elles ont permis la construction de cinq scénarios :

  • le « global marchand », le déploiement d’une économie globale, organisée par un capitalisme intelligent et responsable, surmontant conflits et crises ;
  • le « global coopétitif », le local confronté à la globalisation grâce à une résistance identitaire des territoires ;
  • l’Europe subsidiaire : la globalisation génératrice de difficultés passe par de nouvelles formes de régulation dans un cadre européen, capable de relever les défis de la complexité ;
  • « l’issue européenne », intégration politique européenne ? ou tout au moins des institutions fortes capables d’imposer les arbitrages nécessaires : l’Europe-puissance, constructiviste, couronne l’édifice des subsidiarités simplifiées et hiérarchisées ;
  • l’État-nation revisité, une restauration républicaine transcende les exigences de l’économie globalisée, et produit une solidarité durable dans un cadre national éprouvé.
Ces cinq scénarios posent des incertitudes quant au développement des Réseaux et des services, en particulier si l’on prend en compte le type de gouvernement et la régulation dominante :
  • pour le « global », c’est le marché, la concurrence avec régulations faibles, productions centralisées,
  • pour le « glocal », c’est le local, régulations faibles, énergies renouvelables, production décentralisée,
  • pour l’« Europe subsidiarisée », c’est la régulation au plan des régions européennes avec maîtrise de l’énergie, nombreux niveaux de subsidiarité, crise modérée,
  • pour l’Europe centralisée, c’est la rationalisation des réseaux européens, la centralisation de la production au plan européen,
  • enfin, pour le retour à la nation, c’est le gouvernement concentré, risque de crise nationale, effort sur la production (maîtrise de l’énergie nucléaire).
Ainsi, chaque scénario décrit un type de gouvernement dominant : l’absence d’analyse structurelle ne permet pas de distinguer les tendances motrices.

82À l’issue de ces scénarios, des préconisations pertinentes, sectorielles sont élaborées : énergie, transport, TIC pour les années à venir. Celles-ci n’auraient-elles pas pu être développées sans le travail des scénarios ? (Janvier 2004).

83Christian LEMAIGNAN

84Université de Poitiers

L,2004,I,2 - GROSSETTI M., LOSEGO P. (éditeurs), 2003, « La territorialisation de l’enseignement supérieur et de la recherche. France, Espagne, Portugal », L’Harmattan, Paris, (reçu en février 2004)

85La période est propice à la réflexion sur l’organisation de l’enseignement supérieur et de la recherche, en particulier lorsqu’elle repose sur une comparaison internationale. En l’occurrence cet ouvrage s’appuie sur une recherche conduite dans le cadre d’un programme InterregIIC - Sud-Ouest Européen et propose une comparaison « sociogéographique » des activités scientifiques de trois pays.

86On ne peut être qu’impressionné par l’étendue du travail réalisé et la qualité de la synthèse compte tenu de la diversité des méthodes et des entrées retenues. L’ouvrage présente ainsi une histoire de la construction des « cartes scientifiques » des différents pays, une étude de l’évolution récente des publications scientifiques et enfin, une analyse des conditions de redéploiement spatial de l’enseignement supérieur et de la recherche au sein des « sites universitaires émergents » du Sud-Ouest de la France. Vaste objet donc, qui offre une vision extrêmement détaillée du développement contrasté de trois systèmes d’enseignement supérieur et de recherche.

87L’entrée délibérément territoriale est intéressante à double titre. Elle permet d’une part de replacer le processus de « régionalisation » de l’enseignement supérieur et de la recherche dans un contexte historique pour tenter d’en tirer des enseignements quant aux orientations actuelles et aux perspectives ouvertes : la régionalisation est-elle synonyme d’autonomie ? Le maillage du territoire est-il compatible avec « l’impératif » d’excellence scientifique ? Quels sont les éléments de cohérence du système universitaire qui permettent ce maillage ? Autant de débats soulevés dont on pourra regretter qu’ils restent le plus souvent sous-entendus… charge au lecteur d’interpréter les éléments présentés à la lumière d’une méthode toujours clairement exposée cependant.

88L’entrée territoriale permet d’autre part une lecture différente du lien entre recherche publique et territoire. La désormais très volumineuse littérature sur les spillovers géographiques traite bien souvent de la recherche publique comme d’un attribut des territoires qui constitue à la fois un facteur d’attraction des activités technologiques mais répond aussi à une logique de localisation en fonction du potentiel technologique présent. Il y aurait donc des mécanismes d’autorenforcement dans la localisation des activités de recherche publique et privée, reposant sur le potentiel offert par les interactions locales. Ici encore, l’important travail réalisé apporte des éléments de réponse au débat sur l’importance de la territorialisation de la recherche. En ne reprenant ici que quelques traits majeurs, notons tout d’abord la très forte inertie de localisation de ces institutions et le rôle essentiel de l’histoire, des réseaux d’acteurs ainsi que des orientations en termes de politiques scientifiques qui affectent largement les formes de territorialisation de la recherche publique. Il en résulte que les « externalités attendues » ne relèvent pas d’une simple mécanique de diffusion des connaissances mais d’un jeu subtil entre les différents niveaux de compétence territoriale, de la concurrence et du maillage urbains confronté à des logiques institutionnelles évolutives de la recherche scientifique. Ce n’est qu’à partir de la prise en compte de cette complexité des logiques à l’œuvre que l’on peut comprendre la forme d’insertion locale de la recherche publique.

89Ces débats ne sont pas toujours directement abordés par les différentes contributions mais chaque partie de l’ouvrage ajoute des éléments pouvant éclairer les enjeux actuels d’évolution des systèmes d’enseignement et de recherche. La cohérence de l’ouvrage repose sur l’analyse du mouvement de « territorialisation » (entendue ici comme une décentralisation assortie d’une modification des relations de l’université à son environnement local) qu’ont connu les systèmes universitaires des trois pays étudiés.

90La première partie de l’ouvrage présente l’évolution de la carte universitaire des trois pays en mettant en évidence des évolutions très proches depuis le XIXème siècle : le développement des cartes scientifiques est fait d’une alternance de grandes périodes de stabilité et de changements brutaux. Le centralisme caractérise les trois systèmes durant toute la première partie du XXème siècle alors que l’après-guerre voit émerger une nouvelle logique de développement de l’enseignement supérieur et de la recherche. Avec une temporalité quelque peu différente, ces trois pays voient en effet se développer « l’offre » d’enseignement supérieur sous la pression démographique des années 50 et 60. La forme diffère entre les pays compte tenu de l’histoire (académies en France avec le dualisme Paris/province, Universités provinciales en Espagne avec la bipolarité Madrid/Barcelone, centralisme très fort de Lisbonne lié à la faiblesse de l’enseignement supérieur) et des évolutions politiques, mais la tendance est présentée comme générale. On a parfois du mal à suivre la périodisation proposée et chaque chapitre (M. GROSSETTI pour la France, P. LOSEGO pour l’Espagne et S. GRACIO pour le Portugal) présente fort heureusement quelques résumés qui facilitent une lecture parfois difficile. On voit ainsi apparaître une logique convergente d’émergence des cartes scientifiques actuelles : longue stagnation, puis créations de nouvelles universités sous la pression démographique et enfin, à partir de la fin des années 80, un fort mouvement de régionalisation et de marche vers l’autonomie des universités (à des degrés divers bien entendu, l’Espagne étant plus « avancée » dans ce domaine). Le chapitre traitant du cas espagnol interroge d’ailleurs sur la question de la « concurrence » entre les sites. Elle est présentée comme le moteur du développement des nouvelles universités et aurait donc un impact « positif » sur l’évolution de la carte scientifique. La question est essentielle, et particulièrement polémique dans la situation actuelle des universités françaises. On pourra regretter un manque d’approfondissement de cette question, en particulier autour de la qualité de l’offre de formation. La deuxième partie apporte cependant des éléments complémentaires.

91Le travail considérable réalisé par B. MILLARD (chapitres 4 et 5) autour des publications scientifiques permet de pousser plus avant la réflexion. On retrouve ainsi la logique de construction des cartes scientifiques avec un niveau d’activité scientifique qui dépend de l’ancienneté et de la taille des centres universitaires (effets capitale et anciens centres universitaires). La tendance à la déconcentration est aussi perceptible au cours des années 90 avec une tendance plus marquée en Espagne. Ce pays se distingue aussi par la structure des spécialisations disciplinaires relativement homogènes au niveau des Provinces alors que la diversité est plus forte dans les deux autres pays (qui suivent plus une logique de réplication des spécialisations en respectant la hiérarchie des tailles).

92L’approche par les copublications confirme la distribution inégale des activités scientifiques, les « grandes régions » universitaires étant plus ouvertes à l’international. La déconcentration est cependant perceptible avec une accélération des collaborations excluant les « capitales ». Ici encore, la comparaison internationale apporte des éléments intéressants. D’un point de vue méthodologique, il semble qu’il existe des effets de seuils qui invitent à la prudence lorsque l’analyse porte sur des valeurs relatives : l’ouverture internationale (ou même inter-régionale) est souvent plus forte pour les sites dont le niveau de publication est le plus faible. Autrement dit, le recours aux compétences externes semble très fortement lié au manque de ressources internes. Il y aurait donc ici matière à réflexion sur la logique de constitution des réseaux scientifiques, le degré d’ouverture semblant plus lié au manque de ressources locales qu’à l’excellence scientifique. En matière de structure régionale des collaborations, on retiendra la tendance intra-régionale en Espagne par comparaison au fonctionnement plus interrégional de la France. Ceci est présenté comme résultant de la constitution historique des cartes scientifiques : collaborations entre « centres académiques » en France vs construction « provinciale » en Espagne et effet des réseaux interpersonnels. Il reste qu’ici encore de nombreuses questions se posent mais sans trouver de réponses. La production scientifique française semble être guidée par une logique hiérarchique et une proximité « plus disciplinaire que géographique », mais ceci n’est pas approfondi. Dans le cas espagnol, on peut pourtant essayer de rapprocher une plus forte fréquence des collaborations intra-régionales et une plus forte spécialisation disciplinaire. On ne sait alors plus s’il faut voir dans ce dernier cas un effet proximité disciplinaire, un effet constitution de réseaux interpersonnels ou un effet de concurrence entre provinces qui limite l’étendue des collaborations. Ce qui nous ramène à la question des effets « bénéfiques » de la concurrence entre sites universitaires. La hiérarchie des collaborations est-elle affectée ou non par cette concurrence ? S’agit-il d’un frein (« repli provincial ») ou au contraire d’un stimulant de l’activité scientifique ? On aurait apprécié une comparaison plus approfondie et une mise en perspective de l’évolution de la carte scientifique avec l’analyse des publications qui aillent au-delà du constat de la montée des « centres secondaires ».

93La troisième partie n’apportera de réponses que dans le cas français avec une étude très approfondie de la situation des « sites universitaires émergents » dans le Sud-Ouest de la France. Cette dernière partie pose de nombreuses questions quant à l’avenir de ces nouveaux sites et apporte un éclairage original sur l’articulation entre statut des enseignants chercheurs, contexte de la concurrence urbaine et liens science-industrie. Le chapitre 6 (P. LOSEGO, M. GROSSETTI et C. MANIFET) tente une typologie des différents sites dont on retiendra… l’extrême diversité. On trouvera cependant une analyse très intéressante de l’armature urbaine et de ses conséquences en matière d’évolution de l’équipement universitaire. Les deux chapitres suivants (P. LOSEGO, M. GROSSETTI, A. AUGE et C. BESLAY) mettent en perspective les logiques de la recherche et les logiques territoriales. Au-delà du champ étudié, l’originalité du travail réside dans la présentation des contraintes de carrière des enseignants (le poids de tâches « péripédagogiques ») qui ont des difficultés à développer une activité de recherche indispensable à la pérennisation de ces sites tout en étant confrontés à une demande forte des élus locaux. La mise en exergue des contradictions générées par la territorialisation de ces sites secondaires est certainement l’un des points forts de cette partie. On retrouve ici la question des seuils des équipes de recherche pour lesquelles la proximité à la fois géographique et disciplinaire en conditionne l’existence, le problème de l’encastrement des chercheurs dans des réseaux locaux, condition mais aussi frein au développement de la recherche et surtout, l’introduction du temps et de l’histoire qui conditionnent la mise en place de synergies locales.

94Le dernier chapitre de M. GROSSETTI et D. FILATRE synthétise très bien l’ensemble des problèmes soulevés au travers d’une grille d’analyse prospective de ces implantations universitaires. On revient ainsi sur le thème de la territorialisation de l’enseignement et de la recherche dont on soulignera la complexité. Les « systèmes régionaux » d’enseignement et de la recherche dont on soulignera la complexité. Les « systèmes régionaux » d’enseignement et de recherche sont pris dans différentes logiques génératrices de diversité : logique de l’armature urbaine et des politiques d’Aménagement du Territoire, logique institutionnelle de l’enseignement supérieur, logique économique de transfert de technologie et de marché local du travail, logique démographique et de mobilité des étudiants. Notons au passage que la question de la concurrence est abordée au travers de celle que se livrent les territoires pour accéder au statut de villes ou de régions universitaires. La réponse proposée et la critique qui émerge de ce volumineux travail tient finalement à l’absence d’une politique claire « d’aménagement du territoire universitaire et scientifique » en France.

95Au final, que penser d’un travail aussi riche et volumineux ? On ne pourra que le recommander aux lecteurs de la RERU ! Il s’adresse à un large public au premier rang desquels les enseignants chercheurs, mais aussi à tous ceux qui s’intéressent au champ urbain, à la question du lien entre innovation et espace… et aux élus locaux qui fondent parfois trop d’espoir sur le développement d’un site universitaire. (Février 2004).

96Christophe CARRINCAZEAUX

97Université Montesquieu-Bordeaux IV

L,2004,I,3 - REGARDS SUR LES PME, 2003, « PME : clés de lecture », n° 1, 64 pages ; « PME : l’appui à la création », n° 2, 96 pages ; « Gestion du personnel et de l’emploi », n° 3, 74 pages ; « Les PME et l’environnement », n° 4, 126 pages, Agence des PME, (reçu en janvier 2004)

98L’Agence des PME qui a pour mission principale et complémentaire (de celle d’autres institutions, organismes et associations) l’amélioration de la connaissance des Petites et Moyennes Entreprises (PME) par la création et l’animation d’un « Observatoire des PME » et par l’information au service des PME, grâce à l’ouverture et la maintenance d’un « Portail PME », nous offre avec ces quatre premiers volumes, un éventail déjà très riche de connaissances sur une composante du système productif souvent évoquée par de nombreux acteurs qui n’en perçoivent peut-être pas toutes les véritables potentialités.

99Sachant l’importance cruciale que revêtent la création, la croissance, le fonctionnement et la pérennité des PME dans le tissu économique et social des territoires, il ne fait aucun doute que la présente série « REGARDS SUR LES PME » va constituer une source d’information originale pour connaître et analyser cette composante essentielle du système productif de chaque territoire. Élus, animateurs, développeurs, voire chefs d’entreprises eux-mêmes, ne manqueront pas d’y puiser expériences, solutions et projets pour promouvoir une meilleure participation des PME au service des territoires.

100Le n° 1, PME : clés de lecture, définitions, dénombrement, typologies, est présenté comme un travail fondateur. Avec l’aide de l’INSEE et de la DEcas, Henry SAVAJOL, Directeur des Études et de la Stratégie à la BDPME, met l’accent sur les méthodes statistiques et les diversités d’approches liées aux diversités de regards portés sur les PME ou aux multiplicités des procédures qui leur sont appliquées. Synthétique, ce document clarifie la description et donne envie d’attendre l’actualisation des statistiques.

101Le n° 2, PME : l’appui à la création, point de vue du créateur, analyse documentaire. C’est le regard des porteurs de projets eux-mêmes qui est présenté à la suite d’une enquête, sur les appuis existants, dont ils ont pu ou non bénéficier. Les 1537 créateurs d’entreprises interviewés qui ont permis de cerner l’intensité et le rôle de l’appui et de l’accompagnement à la création, seront suivis grâce à de nouvelles enquêtes dont les résultats sont attendus avec intérêt par les créateurs comme par les structures institutionnelles. L’analyse des structures existantes et de leur action qui complète ce volume, est fondée sur les sources documentaires innovantes et d’organismes compétents.

102Le n° 3, Gestion du personnel et de l’emploi dans les petites entreprises, pose de manière cruciale comment les chefs d’entreprises de moins de 50 salariés appréhendent leur fonction et leur rôle de « patrons ». Ils se considèrent comme artisans, commerçants, professions libérales dans les petites entreprises, et si le terme de chefs d’entreprise accompagne la croissance des effectifs, ils sont satisfaits d’un personnel qu’ils recrutent et gèrent eux-mêmes, impliquant indépendance mais aussi solitude dans les prises de décision, tout en se plaignant des charges sociales.

103Le n° 4, Les PME et l’Environnement, enjeux et opportunités, expose l’opinion des responsables de PME sur l’environnement, recueillie et analysée à l’issue d’une enquête effectuée auprès d’un millier de chefs d’entreprise. L’importance des enjeux environnementaux est bien une préoccupation des chefs de PME. Leur place sur le marché de l’offre de biens et services environnementaux (éco-activités) s’affirme posant le problème de pistes d’action destinées à faciliter leur développement. La présentation du contexte réglementaire et des politiques publiques permet de situer les avantages et les contraintes qui résultent de leur mise en œuvre pour les PME : on le conçoit, l’attitude responsable de nombreuses PME dans ce domaine invite à prospecter et conforter toutes nouvelles solutions pertinentes.

104Ces quatre premiers volumes de la collection Regards sur les PME, sont incontestablement prometteurs d’informations directement utilisables par l’intelligence économique et sociale des territoires dont les acteurs ne manqueront pas d’être en attente d’autres résultats tant d’actualisation des précédents que d’ouvertures sur des sujets préoccupants : exportation, mondialisation, Technique d’Information et de Communication, réseaux internes versus réseaux externes, gouvernance locale… Mais pourquoi anticiper alors que la production présente montre clairement que l’Agence des PME a su ouvrir une vitrine, une collection (Regards sur les PME) « destinée principalement aux personnes et organismes, publics et privés, dont le travail et les missions concourent à la création, au développement et à la transmission des PME, et à tous ceux qui, à un titre ou à un autre, ont la capacité d’améliorer les services de toutes natures, administratifs ou commerciaux, qui sont rendus aux PME ».

105Alors que toutes les instances appellent à la coordination des activités, à la coopération intercommunale, au traitement transversal des problèmes de développement territorial dont le tissu de PME constitue très souvent le noyau dur de résistance, c’est bien d’une circulation d’information sur les capacités et sur les besoins de ces PME que l’on doit se concentrer alors que les mutations économiques s’accélèrent et « imposent » des situations territoriales irréversibles, dramatiques.

106Ajoutons que l’Agence des PME offre maintenant un accès à l’information grâce aux TIC, un portail à consulter : www.portailpme.fr (Février 2004).

107Bernard GUESNIER

108Université de Poitiers

L,2004,I,4 - FERRARI S., POINT P. (sous la direction de), 2003, « Eau et littoral : préservation et valorisation de la ressource dans les espaces insulaires », Éditions Kartala, Université de La Réunion, 335 pages, (reçu en janvier 2004)

109L’eau, Bien Public Mondial ? Question fondamentale sans doute, et justifiée, puisque notre planète en est le principal constituant, mais dont la réponse en terme de gestion collective est aujourd’hui bien plus complexe.

110Pourquoi serait-on en manque de cette ressource aussi largement disponible ? C’est que le problème d’une régulation de l’équation globale offre - demande est loin de répondre à des situations très diversifiées, révélées depuis plusieurs sommets mondiaux consacrés à l’environnement.

111Aujourd’hui, la gestion durable de l’eau apparaît comme une préoccupation majeure. Si le sommet de La Haye qualifie le 21ème siècle d’être celui du stress hydrique, et donc de la crise de l’eau, c’est que nous sommes face à une diminution de l’eau disponible alors que les usages, les besoins sont en croissance.

112Le Festival international de Saint-Dié des Vosges d’octobre 2003, a bien montré dans toutes ses dimensions l’enjeu d’une véritable « gouvernance » de l’eau : dimensions sanitaires, écologiques, stratégiques, économiques, politiques que l’on peu résumer ici en quelques phrases : « On considère que l’eau est rare dans 26 pays regroupant une population de 232 millions d’habitants. Par ailleurs, sur 6 milliards d’habitants, 1 habitant sur 4 n’accède pas à de l’eau de qualité suffisante, et 1 sur 2 ne dispose pas d’un système d’assainissement adéquat. Au cœur de cette tendance, les zones côtières, localisées à moins de 60 km d’une côte, où vit déjà plus de 60 % de la population mondiale subiront les pressions les plus fortes : risques d’altération de la ressource en eau, d’aggravation des conflits d’usage, de menaces sur le développement économique et social avec la dégradation de la biodiversité (récifs coralliens, littoraux, mangroves…) et les pollutions d’origine terrestre ».

113L’ouvrage réunit les contributions d’un séminaire de recherche tenu le 15 juin 2001 à l’Université de La Réunion. Pluridisciplinaires, les contributions portent sur les outils juridiques et leurs implications pour les décideurs (collectivités territoriales, État, gestionnaires de l’eau) en matière d’une double protection de la quantité et de la qualité de la ressource, mais aussi sur les outils économiques et les incitations à la protéger, ou encore les solutions techniques autorisant la dépollution.

114Les communications mettent l’accent sur de nombreux sujets : le droit de l’eau et la protection du littoral, la valorisation des usages de l’eau et le développement économique local, la préservation de la qualité de la ressource en présence de besoins domestiques croissants, les dégradations de l’eau et leurs impacts sur la production agricole… La pluralité des approches proposées (théoriques et appliquées) apporte des éléments utiles dans la réflexion d’une gestion patrimoniale et durable de l’eau. Si les enseignements de ce séminaire étaient bien sûr centrés sur l’application à la gestion de l’eau de l’Ile de La Réunion, ils fournissent néanmoins, par la diversité des critères, des indicateurs, des modalités d’intervention pour différentes gouvernances chargées d’espaces littoraux (insulaires), de bassins fluviaux, de grands fleuves (dont les statuts internationaux sont reconnus ou non), ou encore de grandes cités multimillionnaires…

115Malgré la richesse de l’ouvrage, on comprendra que nous sommes face à un chantier ouvert qui mérite une véritable visite pour aider à préparer des solutions efficaces, mais aussi citoyennes. (Février 2004).

116Bernard GUESNIER

117Université de Poitiers

L,2004,I,5 - DEBARBIEUX B., LARDON S., (sous la direction de), 2003, « Les figures du projet territorial », Séries Bibliothèque des Territoires, Collection Monde en Cours, Éditions de l’Aube, DATAR, 272 pages, (reçu en février 2004)

118Lorsque Pierre VELTZ, dans « Mondialisation, villes et territoires, une économie d’archipel », 1996, PUF, Paris, recommande, pour réussir le développement local, de mettre en place un « cadre collectif de représentation et d’action », on peut se demander s’il englobait dans la « représentation » l’iconographie, les images, les cartes, les graphiques, les figures comme supports à l’élaboration des projets de territoires. Comme il est devenu difficile de séparer aménagement et développement local, on conçoit l’importance que revêtent aujourd’hui les outils de représentation dont l’iconographie constitue un puissant moyen d’expression « pour tous ceux qui veulent donner à voir, préfigurer ou penser ensemble un territoire ».

119« Alors que des élus veulent s’engager dans une réflexion prospective et stratégique en vue, par exemple, de choisir les statuts d’une communauté de communes, ou d’un projet commun global ou thématique (paysage, économie, patrimoine, tourisme, social, etc.) de développement de leur territoire, Mairie-conseils (Caisse des Dépôts et Consignations) a initié, en réponse une démarche d’autodiagnostic spatialisé de leur situation, partagé avec d’autres acteurs locaux et l’a mise en œuvre sur une cinquantaine de territoires. De nombreux techniciens et intervenants l’ont en outre utilisée, en totalité ou en partie, dans d’autres cadres de travail », page 237.

120En raison du rôle crucial que peut prendre ce recours à la figure dans la démarche prospective, on perçoit l’intérêt de cet ouvrage novateur qui nous offre un vaste panorama des méthodes utilisées et une collection des expériences de cartographie participative. Les contributions de plus d’une vingtaine d’auteurs sont agrémentées d’une cinquantaine de figures illustrant les possibilités offertes par la représentation graphique et la richesse d’un ensemble d’instruments sans doute méconnus, d’autant plus qu’« on adhère volontiers à l’idée de démocratie locale participative ; on la pratique beaucoup moins au quotidien. On vante volontiers les bienfaits des technologies de l’information (géographique, TIG), mais on se garde bien d’y recourir, excepté peut-être pour rendre accessibles quelques informations basiques à caractère général sur l’internet. Une enquête réalisée début 2003 montre à quel point les villes françaises sont encore loin de mettre à profit les capacités des TIG pour supporter des dispositifs de participation », page 73.

121Ce constat pessimiste et le jugement sévère qui peut en découler sur la réelle volonté d’organiser une participation démocratique pour l’élaboration des projets de territoires, nous incitent à prendre une plus exacte connaissance de l’état des savoirs, des méthodes proposées, et des expériences relatives à l’utilisation de l’image dans la prospective territoriale. L’ouvrage offre « quatre types de contenus portant (1) sur la nature de l’iconographie mobilisée dans l’exercice de projet et de prospective de territoire, (2) sur les façons de produire et de mobiliser cette iconographie, (3) sur les enjeux cognitifs de la représentation iconographique et (4) sur les enjeux sociaux et institutionnels de la communication territoriale par l’image. Dans cette perspective, cet ouvrage s’efforcera d’apporter des réponses à trois questions fondamentales : qu’est-ce qui se joue dans les diverses façons de représenter les territoires en projets ou en devenir ? Qu’est-ce qui se joue dans les diverses façons de conduire la mise en représentation ? Qu’est-ce qui se joue dans la mise en débat de la représentation produite ? », page 8.

122Il est clair que l’outil n’est pas neutre et que se posent plusieurs questions transversales : rapport entre l’image et le projet, influence sur la conduite du processus participatif, formes de représentations mobilisables, rôle des figures graphiques dans la construction de représentations publiques qui accompagne le diagnostic et l’élaboration du projet de territoire.

123Plusieurs expériences situées sont exposées, mettant l’accent sur la présentation de dispositifs de production iconographique et de participation publique, en les illustrant par des agencements d’acteurs singuliers sur divers contextes territoriaux. On relèvera notamment l’apport incontournable de la projection d’espaces virtuels en 3D.

124Les textes sont issus des contributions d’un séminaire de travail organisé à l’ENGREF - Clermont-Ferrand avec la participation du groupe de prospective 7 de la DATAR. Le texte de cadrage de B. DEBARBIEUX situe bien l’apport de cet ouvrage. « Neuf enjeux de l’iconographie de projet et de prospective de territoire » qui montrent que les « figures du projet territorial » sont désormais sans doute incontournables pour tous les aménageurs-développeurs des espaces publics. (Février 2004).

125Bernard GUESNIER

126Université de Poitiers

S,2004,I,1 – « Les industries de la connaissance », Symposium international, 5 et 6 juin 2001, ISBN 2-9111320-18-2, Éditions de l’Actualité Scientifique Poitou-Charentes, 240 pages, (reçu en février 2004)

127La Mission Poitou-Charentes pour les industries de la connaissance installée en mai 2000, a été chargée de proposer une stratégie de développement économique fondée sur ces activités. Elle a demandé à ses partenaires de procéder à un état des lieux et à une mise en perspective des analyses économiques et des politiques entrepreneuriales ou managériales qui caractérisent son domaine de réflexion et de préconisation stratégique « les industries de la connaissance ». En juin 2001, deux cents experts et spécialistes de la production, de la transmission et de la gestion des connaissances se retrouvent au Futuroscope à Poitiers. Ce premier symposium, SIC 2001, sera suivi de nombreuses autres réunions de travail, rencontres thématiques, séminaires dont SIC 2002 à Montréal et SIC 2003 à Poitiers.

128Les marchés du savoir appellent de nouvelles entreprises, de nouvelles stratégies. Le capital immatériel est devenu un facteur stratégique pour l’entreprise. Tandis que l’accès à une multitude de gisements de connaissances et leur utilisation individuelle ou collective représentent une formidable source d’enrichissement culturel pour le citoyen.

129Gérer, organiser et traiter les données disponibles pour les transformer en connaissance, suppose de nouveaux métiers, de nouvelles compétences, de nouveaux savoir-faire : le « Knowledge Management » est au cœur de l’économie cognitive.

130L’ouvrage permet de faire le point sur les marchés du savoir, les enjeux territoriaux et sociaux de l’économie de la connaissance, la gestion et le partage des connaissances ; une lecture à recommander pour faire le point sur un sujet dont les termes posent problème : industries et connaissance.

S,2004,I,2 – « Les politiques de protection et de valorisation des patrimoines dans la mondialisation », Mission pour les industries de la connaissance, Contribution aux travaux du Conseil de l’Europe, ISBN 2-9111320-18-2, Éditions de l’Actualité Scientifique Poitou-Charentes, 156 pages, (reçu en février 2004)

131En février 2003, une rencontre exceptionnelle de personnalités et d’experts internationaux, nationaux et régionaux s’est tenue à l’Espace Mendès-France de Poitiers, pour tenter d’apporter des éléments de réponse aux questions suivantes :

132« Qu’est-ce que la valorisation du patrimoine ? Que représente-t-elle en termes juridiques, économiques, financiers ou administratifs ? Quelles en sont les traductions opérationnelles et les résultats ? Quels moyens ou quelles organisations faut-il mettre en œuvre pour qu’un tel capital soit exploité dans les meilleures conditions et pour le meilleur profit des habitants des territoires ? ».

133« Les travaux se sont articulés autour de quelques thématiques clés : la frontière entre domaine public et marché, quels outils de gouvernance ; les modèles économiques et les contraintes industrielles liés au patrimoine et à sa numérisation ; les enjeux, les risques, les opportunités, les faiblesses et les forces des territoires ».

134La diversité des valeurs esthétique, artistique, historique, cognitive, économique, sociale, etc. que l’on attribue aux patrimoines montre à l’évidence que le chantier de la protection et de la valorisation est loin d’être terminé : sujet à suivre.

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