Notes
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Première version novembre 2002, version révisée février 2003.
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[**]
Les chiffres entre parenthèses renvoient aux notes en fin d’article.
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[1]
Année de première parution indiquée entre [ ], réédition signalée entre ( ).
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[2]
Selon Mark GRANOVETTER (2002) cette vision a mené à une conception néo-hobbesienne des relations du marché comme désagréables, brutales et courtes.
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[3]
Couramment traduit par « encastrement », l’embeddedness trouve d’autres synonymes, citons par exemple enchâssement, enchevêtrement, enclavement, insertion, immersion, etc. Un dialogue avec Mark GRANOVETTER nous a permis de découvrir néanmoins que la traduction la plus appropriée du terme est « en lité ». Nous nous en tenons cependant à la traduction d’encastrement car celle-ci est la plus répandue dans la littérature. C’est notamment celle-ci qui est utilisée par Isabelle THIS-SAINT JEAN dans l’ouvrage Le Marché autrement. Les réseaux dans l’économie (2000), traduisant en français certains des textes fondateurs de GRANOVETTER.
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[4]
Dans le cadre de cette recherche - pour laquelle nous fournissons nos premiers résultats - nous concentrons uniquement notre attention sur les liens qui unissent les douze entrepreneurs étudiés avec les autres entrepreneurs et clients effectifs et potentiels du territoire d’implantation. Nous délaissons délibérément les connexions entre ces entrepreneurs et les institutions politiques. Cette dimension, c’est-à-dire l’« encastrement politique » (ZUCKIN et DI MAGGIO, 1990) des entrepreneurs est l’objet de nos recherches en cours.
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[5]
Fred BLOCK (2001, p. 24, note 10) suggère que ce serait de ses lectures sur l’industrie minière anglaise, et plus précisément sur l’extraction du charbon encastré dans les murs de roche des mines, que POLANYI aurait tiré la métaphore de l’encastrement.
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[6]
L’action sociale est pour Max WEBER « son problème central », ce problème étant « pour ainsi dire constitutif de la sociologie en tant que science » (WEBER, [1922] 1971, p. 21). Elle se subdivise idéalement en quatre composantes qui constituent autant d’orientations possibles de l’action sociale (ibid. p. 22-3) : « en finalité », « en valeur », « affectuelle » et « traditionnelle ». Selon WEBER (ibid., p. 23) : « Il arrive très rarement que l’activité, tout particulièrement l’activité sociale, s’oriente uniquement d’après l’une ou l’autre de ces sortes d’activité. (…) elles ne sont que de purs types, construits pour servir les fins de la recherche sociologique, desquels l’activité réelle se rapproche plus ou moins, et – plus souvent encore – les combine ».
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[7]
Par « ‘autrui’ il faut entendre ou bien des personnes singulières et connues, ou bien une multitude indéterminée et totalement inconnue » comme l’argent (WEBER, [1922] 1971, p. 19).
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[8]
James G. MARCH (1994) suggère que lorsque les acteurs prennent une décision, ils se posent la question : « Qui suis-je et quelle est l’action la plus appropriée pour mon rôle ? », ne basant donc pas leurs choix sur leurs seules préférences individuelles. MARCH parle de « logic of appropriateness ».
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[10]
Selon Mark GRANOVETTER (1973, p. 1361) : « la plupart des notions intuitives de ’force’ d’un lien (…) devraient être satisfaites par la définition suivante : la force d’un lien est une combinaison (probablement linéaire) de la quantité de temps, de l’intensité émotionnelle (la confiance mutuelle), de l’intimité (les confidences mutuelles) et des services réciproques qui caractérisent le lien ». Derrière le critère de durée se loge une double idée, d’une part le temps passé ensemble et d’autre part, l’ancienneté de la relation.
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[11]
Des vacances récentes d’amis en Algérie m’ont permis de récupérer quelques articles économiques de la presse locale. Particulièrement intéressé par l’un d’entre eux intitulé « Le marché des Trois-Horloges refait surface » (La Presse Initiative, mardi 19/11/2002, p. 8), je l’ai parcouru. Je vous retranscris ici la fin de l’article : « Plus qu’un marché, un lieu de rencontre, espace public dans tous les sens du terme, lieu de rencontres par excellence, le marché, à l’instar des cafés maures et des hammams, est allé au-delà de sa vocation commerciale, en jouant un rôle dans la dynamique sociale : connaissances durables, mariages, apprentissage de métiers, associations commerciales. « Personnellement, je n’ai pas d’exemple précis, mais je suis persuadé que beaucoup de liens familiaux se sont noués à la faveur d’une rencontre inattendue, d’une discussion inopinée » dit HAMID, un sociologue de formation de la rue Hassena (ex-Suffren) ».
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[12]
Cet aspect ressort très clairement de la définition en quatre points de l’analyse de réseaux proposée par Alain DEGENNE et Michel FORSÉ : « La structure pèse formellement sur l’action selon un déterminisme faible (…) ; La structure affecte la perception des intérêts des acteurs (…) ; L’« individu est rationnel (…) ; La structure est l’effet émergent des interactions » (1994, pp. 14-15).
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[13]
Que dire du site du 11/19 à Loos-en-Gohelle - commune frontalière de Lens - lorsque l’on aperçoit ses deux terrils jumeaux, les plus hauts d’Europe ?
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[14]
Au milieu du XVIIIe siècle, la Compagnie des mines d’Anzin s’est équipée de la toute première machine à vapeur installée en France.
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[15]
Les puits du groupe de Lens furent fermés assez rapidement : l’exploitation à la fosse 2 fut arrêtée en 1961, et les derniers puits du groupe furent fermés en 1972.
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[16]
Les tableaux sont librement inspirés des études menées dans le cadre de l’ouvrage Petite entreprise et développement local, publié sous la direction de Colette FOURCADE (1991).
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[17]
Un point important du travail d’AKERLOF montre que le marché sur les voitures d’occasion peut ne pas exister du tout alors que des vendeurs et des acheteurs existent et seraient prêts à faire une transaction, ou que le volume d’échange sera inférieur à ce qu’il aurait été si les informations avaient été distribuées d’une manière symétrique. De même sur le marché du travail, les offreurs de travail qualifiés ou déqualifiés n’obtiennent pas un salaire correspondant à leur compétence et à l’effort engagé en vue d’acquérir les signes scolaires certifiant ceux-ci.
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[18]
Dans l’une des très rares études de réseaux inscrites du côté de la demande, Paul DI MAGGIO et Hughes LOUGH (1998, p. 622), montrent par exemple que 52,4 % des consommateurs américains, confrontés au « Lemon principle » (AKERLOF, 1984), passent par des relations amicales pour acheter des voitures d’occasion à un particulier, 32,8 % pour un achat à un professionnel, et 26,6 % pour l’achat de voitures neuves. Selon les auteurs, « les relations interpersonnelles jouent un rôle crucial dans beaucoup de décisions de consommation - non seulement dans le processus de recherche, mais aussi dans le choix des partenaires d’affaires » (ibid., p. 623).
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[19]
Ronald S. BURT met en avant de manière éclairante les propriétés informationnelles des relations de réseaux. Celui-ci soutient que les réseaux agissent comme un filtre qui dirige, concentre et légitime l’information. Il souligne que les bénéfices informationnels des réseaux se déclinent sous trois formes : access, timing, referrals (BURT, 1992, pp. 13-18).
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[20]
L’OCDE (1998, p. 9) circonscrit assez bien la notion de capital humain qui désignerait « les connaissances, qualifications, compétences et autres qualités possédées par un individu et intéressant l’activité économique ». Pour Ronald S. BURT (1992, p. 8), il renvoie aux « aux qualités naturelles, au charme, à la santé, à l’intelligence, combinées avec les qualifications (…) acquises ». Il possède les mêmes caractéristiques que le capital financier, il est la propriété d’un acteur et est nécessaire « pour transformer les matières premières en un produit compétitif » (ibid., p. 9).
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[21]
Comme le notent GALASKIEWICZ et ZAHEER (1999, p. 245) : « il y a certaines normes, règles et choses considérées comme allant de soi que les acteurs en relation respectent et honorent ». Or, selon James S. COLEMAN (1990), une norme existe lorsque le droit socialement défini de contrôler une action n’est pas détenu par un acteur mais par les autres.
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[22]
Dans nombre d’industries et de secteurs d’activité (films, banques, marché des valeurs, etc.) le statut agit d’ailleurs comme signal de qualité, qui oriente la sélection des partenaires.
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[23]
Nous reprenons ici exactement les expressions employées par les acteurs interrogés lors de nos entretiens.
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[24]
L’étude de Mark GRANOVETTER ([1974], 1995) sur la recherche d’emplois dans la banlieue de Boston nous rejoint sur ce point puisqu’elle ne révèle aucune volonté intentionnelle des acteurs recherchant un emploi d’effectuer des investissements dans certains contacts afin d’acquérir des informations sur de potentielles opportunités. Même dans ses études sur la formation du secteur de l’électricité aux États-Unis, GRANOVETTER et ses collaborateurs (GRANOVETTER, 1990a, pp. 102-107 ; 1994, pp. 89-91 ; GRANOVETTER et MCGUIRE, 1998 ; McGUIRE et al, 1993 ; McGUIRE et GRANOVETTER, 1998, 2003) exposent comment Thomas A. EDISON et son secrétaire personnel Samuel INSULL activent des contacts dans les différentes sphères institutionnelles pouvant être utiles à l’implantation de leur réseau de distribution collectif privé d’électricité. Est donc bien présente l’idée d’un « réseau intentionnel » (purposive networks) (GRANOVETTER, 1992a, p. 51), au sens d’une action coordonnée pour un but spécifique. Néanmoins, s’empressent-ils aussitôt de démontrer que nombre des ressources mobilisées l’ont été indépendamment des efforts d’EDISON et d’INSULL. Voir aussi GRANOVETTER (1999, 2002).
Introduction
1L’analyse de la création d’entreprises, et plus généralement de l’action économique, ne peut se passer d’une intégration pleine et effective des cadres relationnels et des structures institutionnelles sans lesquels elle ne pourrait se déployer, contrairement à ce qu’en pense l’approche économique néoclassique. Selon elle, l’entrepreneur est un « idiot social » (SEN, 1977) : un être égoïste, autonome, guidé par la seule recherche de son intérêt personnel. Cet intérêt individuel sous-tend la recherche de la profitabilité associée à la réalisation de la fonction économique de son entreprise, c’est-à-dire la disponibilité de ressources et l’accessibilité au marché. L’action de cet être générique est atomisée : disposant de moyens supposés rares, il doit parvenir à les combiner habilement afin de les utiliser pour en tirer un avantage maximum. Ce comportement type suppose de la compétition entre les entrepreneurs et ce faisant un lieu où se joue cette concurrence. Ce lieu considéré comme un idéal est le marché au sein duquel le prix contient toute l’information nécessaire pour prendre des décisions efficientes. Bien que ce marché ne soit qu’hypothétique, il n’en est pas moins une référence pour toutes les parties atomisées prenant part aux échanges.
2La condition nécessaire et suffisante pour que cet espace abstrait de concurrence pure et parfaite soit effectif est la « loi de l’indifférence » (JEVONS, 1931), l’impersonnalisation de l’échange. Dans cette perspective, les entrepreneurs ne sont que des « preneurs de prix » (price takers), des monades interchangeables. Albert HIRSCHMAN illustre parfaitement ce postulat d’atomisation sociale : « Un grand nombre d’acheteurs et de vendeurs preneurs de prix anonymes disposent d’une information parfaite (…), fonctionnent sans aucun contact humain ou social prolongé entre les parties qui échangent. Sous la concurrence parfaite il n’y a aucune place pour le marchandage, la négociation, la contestation ou l’ajustement mutuel et les divers opérateurs qui contractent ensemble n’ont pas besoin d’entretenir de relations récurrentes ou continues entre eux » (HIRSCHMAN, [1982] 1986, p. 123) [1] [**]. Cette idée est ancienne et trouve, de manière éclairante, ses prémisses dans un passage de The Wealth of Nations, d’Adam SMITH ([1976] 1991, pp. 205-206). A. SMITH y dénonce les liens personnels qui unissent les intervenants sur le marché, il y voit un frein à la concurrence pure et parfaite du fait de comportements potentiellement collusifs.
3Pour l’approche économique néoclassique, les conditions de l’échange entre les acteurs sont censées fournir la meilleure solution, dite Pareto-optimale. Tous les écarts par rapport à cette fiction sont donc caractérisés comme des imperfections, des frictions. Ces frictions correspondent précisément aux relations sociales entre les intervenants sur le marché. Dans cette représentation idéale, l’acte entreprenant est ainsi envisagé comme le résultat d’une action atomisée, mue par la quête utilitariste de l’intérêt personnel, ce qui sous-tend la loi de la maximisation du profit, sans tenir compte des relations sociales liant les entrepreneurs sur les marchés [2].
4Ce que nous souhaitons démontrer dans le présent texte est la nécessité de reconsidérer cette logique de la création d’entreprises interprétée au travers de mécanismes strictement économiques (SCHUMPETER, 1912 ; BAUMOL, 1968 ; KIRZNER, 1973 ; CASSON, 1982 ; etc.). En effet, les travaux portant sur l’entrepreneuriat font généralement des entrepreneurs, des êtres héroïques à la seule recherche de leur intérêt personnel. Notre thèse est que cette approche est inadéquate pour expliquer le comportement entreprenant car celui-ci est irréductiblement « encastré » (embedded) [3] au sein de réseaux des relations sociales (ALDRICH et ZIMMER, 1986 ; GRANOVETTER, 1995 ; McGUIRE et al, 1993 ; McGUIRE et GRANOVETTER, 1998, 2003 ; PLOCINICZAK, 2002b, 2003) qui le façonnent. Nous déplaçons donc le propos bien connu en économie du « Pourquoi l’entreprise ? » (COASE, 1937) pour se demander comment ces réseaux, de par les ressources qu’ils pourvoient, s’avèrent être des éléments sociaux décisifs dans le processus de création des Très Petites Entreprises (TPEs). Plus précisément, notre hypothèse de départ tient à ce que les réseaux de relations sociales qui parcourent le territoire d’implantation sont centraux pour comprendre la création des TPEs car ils fournissent aux entrepreneurs un capital social local, complément contextuel irréductible aux autres formes de capital (physique, financier et humain). Il importe dans cette perspective de nous interroger sur la nature de la relation qui lie la petite entreprise émergente à son environnement local. Ce qui est certain, c’est que face à celui-ci, la TPE ne vit pas de façon isolée : l’environnement relationnel local lui fournit les moyens de son développement tout en produisant également un ensemble de contraintes qu’il lui convient de gérer. Cet environnement concourt à la construction sociale des échanges marchands des TPEs.
5Le premier point du texte (§ I) s’attache à offrir un éclairage théorique de nature socio-économique du lien qui unit l’action économique de l’entrepreneur aux relations sociales inscrites sur le territoire d’implantation de son entreprise. Une fois éclairé l’encastrement local de l’entrepreneur, nous tentons de comprendre au travers de l’étude de douze TPEs de l’arrondissement lensois le processus d’insertion des entrepreneurs dans leur environnement relationnel local, c’est-à-dire saisir le dialogue que ces douze chefs d’entreprises instaurent avec les acteurs - clients et autres entrepreneurs - de leur territoire d’implantation [4] (§ II). La caractérisation des formes de dialogues éclairée doit alors nous offrir une vision plus fine - formes et contenus - des relations établies entre ces entrepreneurs et les membres de la structure relationnelle locale, et ce faisant nous permettre de saisir en quoi les relations sociales locales - le capital social localement situé des entrepreneurs - constituent un outil au service de la pérennité des TPEs. Tous ces phénomènes sociaux, habituellement réduits à des éléments de contingences entourant la naissance des institutions, contribuent dans les faits activement à la construction locale du marché des TPEs confirmant l’intuition que « le marché anonyme des modèles néoclassiques est virtuellement nonexistant » (GRANOVETTER, 1985, p. 495) (§ III).
I – De l’entrepreneur atomisé à l’entrepreneur localement encastré
1.1 – La Nouvelle Sociologie Économique et l’« Embeddedness »
6Kenneth J. ARROW (1986, p. 385) reconnaît que « la rationalité n’est pas une propriété de l’individu isolé, mais qu’en fait elle tire non seulement sa force, mais sa signification même du contexte social dans lequel elle est ancrée ». Récemment, ARROW (1998, p. 97) a avancé l’idée que « porter une attention plus soutenue à la structure sociale de l’économie pourrait révéler un principe général selon lequel les croyances et préférences peuvent êtres elles-mêmes le produit d’interactions sociales non médiatisées par les prix et les marchés ». Le constat du Prix Nobel d’Économie 1972 constitue l’une des nombreuses réflexions qui animent un débat initié depuis une quinzaine d’années : celui de l’encastrement de l’action économique au sein de structures sociales. C’est Karl POLANYI (1944, 1957) qui le premier a introduit et utilisé la notion d’encastrement [5]. Pour lui : « L’économie humaine (…) est encastrée et insérée au sein d’institutions, économiques et non économiques. L’inclusion de la dimension non-économique est vitale » (POLANYI, 1957, p. 250). Dans cette perspective, l’encastrement correspond à la pénétration de tout un ensemble de règles sociales, politiques et culturelles dans les sphères de la production et des échanges économiques (PLOCINICZAK, 2002a, 2002c). POLANYI a donc le mérite de poser une question tout à fait centrale : l’activité économique peut-elle réellement se mettre en marche sans les médiations sociales qui la sous-tendent ? Nous ne le pensons pas et avec lui et la Nouvelle Sociologie Economique (NSE) - et plus particulièrement Mark GRANOVETTER - nous nous érigeons contre une représentation de l’activité économique qui soit a-sociale, a-historique et atomisée.
7Pour le lecteur non initié, il convient de préciser que la NSE est un courant théorique - non encore unifié - qui s’efforce d’expliquer les faits économiques à partir d’éléments sociologiques (LÉVESQUE et al, 2001 ; PLOCINICZAK, 2002c ; STEINER, 1999, 2002 ; SWEDBERG, [1987] 1994, 2003 ; SMELSER et SWEDBERG, 1994 ; SWEDBERG et GRANOVETTER, 1994, 2001 ; TRIGLIA, 1998 ; etc.). Selon cette approche : « beaucoup de problèmes économiques, qui par la tradition sont vus comme appartenant au camp de l’économiste, peuvent être mieux analysés en tenant compte des considérations sociologiques » (SWEDBERG et GRANOVETTER, 2001, p. 2). Concernant la création des TPEs, la NSE peut nous aider à comprendre comment les entrepreneurs mobilisent des ressources au travers de leurs relations et comment les mécanismes de la structure sociale dans laquelle ils évoluent influencent l’allocation des ressources. La NSE s’appuie pour ce faire sur trois principes généraux qui, pris ensemble, lui donnent une véritable unité théorique :
- L’action économique est une forme de l’action sociale. L’action est ici sociale avant d’être économique puisque « d’après son sens visé par l’agent ou les agents [elle] se rapporte au comportement d’autrui, par rapport auquel s’oriente son déroulement » (WEBER, [1922] 1971, pp. 4, 20) [6]. Dans cette perspective, « n’importe quel contact entre les hommes n’est pas de caractère social, (…) seul l’est le comportement propre qui s’oriente significativement d’après le comportement d’autrui » (ibid., p. 20) [7]. Mark GRANOVETTER, en accord avec Max WEBER entend l’action en tant qu’elle suppose le rapport des uns aux autres, indépendamment de savoir si elle implique de la solidarité, de la réciprocité, etc. Une relation sociale est ainsi « le comportement de plusieurs individus en tant que, par son contenu significatif, celui des uns se règle sur celui des autres et s’oriente en conséquence » (ibid., p. 24). Néanmoins, comme le spécifie WEBER, l’activité économique d’un individu isolé n’est une action sociale « que dans le cas et dans la mesure où elle [l’action d’un individu] fait intervenir le comportement de tiers. (…) dès qu’elle spécule sur le fait que des tiers respecteront le pouvoir personnel de disposer en fait de biens économiques » (ibid., p. 20).
- Les institutions économiques sont socialement construites (BERGER et LUCKMANN, 1966 ; GARCIA, 1986 ; PORAC et VENTRESCA, 2003). On peut concevoir les institutions comme des « réseaux sociaux figés » (GRANOVETTER, 1992a, 1992b). Elles « comportent une dimension normative en renvoyant à l’idée de comment les choses doivent être faites [et] évoquent, (…), une impression de solidité : elles deviennent réifiées, ressenties comme des phénomènes externes et objectifs du monde, plutôt que comme des constructions sociales - qu’elles sont pourtant » (GRANOVETTER, 1990a, pp. 98-99).
- L’action économique est socialement située ou encastrée. Renoncer à l’usage de l’hypothèse de rationalité parfaite du modèle économique standard ne signifie pas tomber dans l’irrationalité, cela signifie plutôt que la rationalité soit mise en œuvre d’une manière plus complexe, située, contextualisée en mettant l’accent sur « l’intelligence avec laquelle la décision est orchestrée » (MARCH, 1991, p. 140) [8], en tenant compte des contraintes relationnelles et institutionnelles imposées aux acteurs, de la variété de leurs objectifs dont les origines sont à chercher dans le contexte social au sein duquel ils s’inscrivent lorsqu’ils élaborent leurs actions. Pour remettre en cause le « réductionnisme instrumental » (SWEDBERG et GRANOVETTER, 2001, p. 9) dont fait montre l’individualisme méthodologique de la théorie économique standard [9], l’action économique se doit d’être accompagnée d’une appréciation de l’importance des objectifs non économiques - qui interviennent dans la satisfaction des préférences bien définies de l’entrepreneur - qui de plus est profondément encastrée dans des structures d’interactions sociales, très étendues dans le temps et dans l’espace (GRANOVETTER, 1990a, p. 95). Dans cette perspective, l’entrepreneur n’est plus uniquement guidé par son intérêt personnel, mais aussi par d’autres dimensions essentiellement relationnelles comme la confiance, le statut, l’approbation, la recherche de prestige, les normes et le pouvoir dont les origines sont à rechercher au sein du contexte social.
1.2 – Les deux faces de l’encastrement local : relationnel et structural
8L’encastrement relationnel de l’entrepreneur renvoie à l’influence directe qu’exercent sur son comportement les relations bilatérales qu’il a développées dans le temps au travers de ses interactions répétées avec d’autres. Cette influence est corrélée à la « force des liens » qui unit cet entrepreneur à un (d’)autres(s) acteur(s). La force d’un lien repose sur quatre caractéristiques : la durée de la relation, l’intensité émotionnelle, l’intimité et les services réciproques que se rendent les partenaires [10]. Différentes études suggèrent que les contacts fréquents entre les acteurs assurent le partage d’informations, l’émergence d’un ensemble de normes de comportement, de règles informelles qui permettent d’encadrer et d’ajuster les comportements (MACAULAY, 1963 ; GULATI, 1995 ; UZZI, 1997). L’existence de telles relations rend le comportement d’autrui plus prévisible « en créant des attentes concernant l’action de l’autre dans des situations d’incertitude » (BECKERT, 1996, p. 829). Cette influence bilatérale se diffuse au niveau des attentes qui se développent entre l’entrepreneur et les acteurs du territoire. Ces derniers ont habituellement une histoire particulière dans une relation : « ils ont affaire l’un à l’autre dans des voies qui sont conditionnées par l’histoire spécifique de leurs interactions » (GRANOVETTER, 1990b, p. 101). Une part de l’explication de l’émergence de telles relations réside dans « le désir des individus de tirer plaisir des interactions sociales qui constituent leur quotidien de travail. (…) Comme dans tous les autres aspects de la vie économique, le recouvrement par des relations sociales de ce qui peut commencer dans des transactions purement économiques joue un rôle crucial » (GRANOVETTER, 1985, p. 498) [11].
9Bien que cette forme d’encastrement permette d’éviter l’atomisation locale des entrepreneurs, et constitue le moyen par lequel on échappe au simple discours lorsque l’on évoque le concept d’encastrement, elle risque cependant de mener à une « atomisation dyadique », sorte de réductionnisme qui consiste à s’intéresser aux relations personnelles locales de l’entrepreneur, à un niveau bilatéral sans porter de regard sur la manière dont ces relations sont elles-mêmes « encastrées dans des structures d’ordre supérieur » (GRANOVETTER, 1990b, p. 98). C’est sur ce mode binaire que fonctionne l’orthodoxie économique lorsqu’elle fonde et justifie l’échange marchand, pensé comme mise en rapport de deux agents ne portant attention qu’à la quantité et aux prix des marchandises. L’espace marchand n’est dans ce contexte qu’une suite de rencontres binaires, strictement bilatérales. Dans ce cas, « l’atomisation, loin d’avoir été supprimée, [est] simplement transférée au niveau de la dyade » (GRANOVETTER, 1985, p. 487), de la relation sociale bilatérale. Ce qui est vraiment crucial pour l’analyse des échanges marchands des TPEs est certes de prendre en compte les relations bilatérales des entrepreneurs mais aussi de parvenir à rendre compte des voies par lesquelles la structure relationnelle locale influence ces échanges. Braquer les projecteurs exclusivement sur la dimension strictement bilatérale de l’encastrement local des entrepreneurs ne nous restitue pas la pleine image des relations qu’ils possèdent - tissent - avec les interlocuteurs de leur territoire d’implantation parce que leurs relations sont elles-mêmes encastrées au sein d’un ensemble plus vaste de relations : les réseaux sociaux locaux. En effet, si une relation bilatérale a des répercussions sur d’autres acteurs - on peut parler ici de transitivité - alors pourquoi et selon quelle légitimité théorique occulter ces répercussions pour dépeindre la réalité de la création des TPEs ? Il importe d’assembler, de connecter ces relations à d’autres. Intégrées dans le raisonnement, les relations de chaque entrepreneur, aussi bien que les relations de leurs relations, dessinent la structure globale d’un réseau de relations sociales locales au sein duquel tout entrepreneur est inséré. La dimension structurale de l’encastrement local des entrepreneurs permet la prise en compte de telles relations puisqu’elle met en lumière l’existence de « contacts dyadiques mutuels (…) connectés à d’autres » (GRANOVETTER, 1992a, p. 35). Elle souligne ainsi le fait que « l’action et les résultats économiques, comme toute action et résultats, sont affectés par les relations dyadiques (par paires) et par la structure d’ensemble du réseau de relations » (ibid., p. 33).
10Ce qui est évidement consubstantiel tant à l’encastrement relationnel que structural de l’entrepreneur est l’inscription temporelle de ses relations sociales. Il importe en effet d’éviter le réductionnisme temporel qui considère ses relations et les structures de ses relations comme si elles n’avaient pas d’histoire. Notre expérience personnelle nous prouve d’ailleurs que dans nos relations courantes, nous avons une sensibilité individuelle à certains détails, des émotions reliées aux souvenirs qui font que même en l’absence prolongée de contacts, nous repartons d’un certain état de compréhension et de sentiments partagés. Nous ne considérons pas chaque situation comme radicalement nouvelle car nous avons toujours en nous nos interactions passées. Et même « si nous n’avons pas été en contact avec un individu depuis de nombreuses années, lorsque nous le retrouvons, notre relation ne repart pas à zéro, mais d’un certain nombre de connaissances et de sentiments communs, hérités du passé » (GRANOVETTER, 1990a, p. 99). En outre, « les caractéristiques des structures relationnelles résultent-elles également de processus temporels et on ne peut également pas comprendre autrement que comme des accroissements de ces processus » (ibid., p. 99).
1.3 – La contextualisation locale de l’acte entreprenant
11Notre thèse de l’encastrement local suggère donc que l’action économique de l’entrepreneur est modelée et contrainte par la structure de relations territoriales dans laquelle elle est inscrite et souligne deux aspects fondamentaux de l’acte entreprenant : son caractère situé et relationnel. Situé, dans le sens où chacune des actions de l’entrepreneur est irréductiblement associée à d’autres acteurs, objets, événements et circonstances inscrits sur son territoire d’implantation. Relationnel, dans le sens où les entrepreneurs ne se comportent pas, et ne prennent pas leurs décisions « comme des atomes, indépendants de tout contexte social, pas plus qu’ils ne suivent docilement un scénario, écrit pour eux et qui serait fonction de l’ensemble des catégories sociales auxquelles ils appartiennent. Au contraire, les actions qu’ils entreprennent pour atteindre un objectif sont encastrées dans des systèmes concrets, continus de relations sociales » (GRANOVETTER, 1985, p. 487).
12L’encastrement local de l’entrepreneur implique que chaque situation particulière qu’il rencontre dépend des caractéristiques intrinsèques de la structure sociale considérée du territoire, c’est-à-dire des réseaux sociaux locaux à l’intérieur desquels il est inséré lorsqu’il prend une décision ou effectue une action. Le lieu de l’explication des comportements entreprenants passe ainsi de l’entrepreneur héroïque – atomisé - à « un cadre de référence plus large et plus social » (GRANOVETTER, 1994, p. 88) : la structure sociale locale. Il en résulte que l’environnement relationnel local des TPEs n’est pas un simple stimulus environnemental mais plutôt une composition de relations sociales, de réseaux et d’actions individuelles. La perspective de l’encastrement local avance ainsi l’idée que les motivations économiques et sociales des entrepreneurs sont irréductiblement entrelacées territorialement. En prêtant une attention moins soutenue aux attributs psychologiques et individuels des entrepreneurs en faveur d’une réflexion beaucoup plus approfondie de leur habileté à identifier et prendre avantage des opportunités offertes par la mobilisation de leurs relations sociales localement situées, une lecture structurale - en termes de réseaux - de la création des TPEs peut nous offrir une analyse détaillée des liens bilatéraux tissés par les entrepreneurs tout en fournissant un cadre propice à l’exploration des formes relationnelles et structurales nécessaires à la construction locale des échanges marchands des TPEs.
13Si la structure relationnelle en place sur le territoire d’implantation, au sein de laquelle les entrepreneurs s’insèrent irréductiblement, influence leurs actions, ceux-ci n’en sont par pour autant mus par des forces qui les transcendent. La logique de l’encastrement local ne tombe pas dans un holisme méthodologique exacerbé, entendu comme l’étude de formes sociales qui échappent à la conscience et à la maîtrise des acteurs mais qui les contraint dans leurs comportements. Si les réseaux de relations interpersonnelles constituent une voie explicative de l’acte entreprenant, c’est en raison des relations concrètes entre les acteurs du territoire qui dessinent eux-mêmes la structure relationnelle locale. En mettant les relations au centre de l’analyse, se dessine alors une méthode d’investigation dans laquelle l’action des entrepreneurs et la structure relationnelle du territoire dans laquelle ils évoluent sont deux dimensions intrinsèquement inséparables : à travers les relations sociales qu’ils tissent, les entrepreneurs puisent les ressources dont sont porteurs les réseaux sociaux locaux - ce qui ouvre la porte aux motifs de l’action - tout en étant néanmoins contraints par ces systèmes relationnels locaux. Puisque le concept de « relation » ne fait pas disparaître le niveau individuel, les liens dont il est question dans les réseaux locaux des entrepreneurs peuvent faire directement l’objet d’une interprétation en termes de motifs de l’action. Dans cette perspective, rien n’empêche que le comportement adopté par les entrepreneurs modifie, en retour, la configuration relationnelle de la structure sociale locale. En effet, puisque les relations sociales tissées par les entrepreneurs ne sont pas indépendantes de la forme prise par la structure relationnelle initiale du territoire - car cette dernière en facilite certaines et en rend d’autres plus ardues - en retour certaines configurations relationnelles initiées par ces mêmes entrepreneurs favorisent ou défavorisent la reproduction globale de la structure relationnelle du territoire. De fait, l’analyse en terme d’encastrement permet d’assurer l’explication du comportement des entrepreneurs encastrés dans la structure des relations locales, dont l’évolution dépend de ce système structuré de relations. L’originalité de l’analyse tient donc à ce qu’elle évite de tomber dans deux orientations théoriques souvent considérées comme antinomiques, le holisme et l’individualisme méthodologique. Celle-ci, se place en fait à leur intersection - dans l’entre-deux - tout en s’efforçant de les dépasser selon une dynamique entre l’action individuelle des entrepreneurs et la structure relationnelle locale [12].
14Ainsi, en identifiant les relations sociales locales situées des entrepreneurs et leurs régularités, une approche structurale de la création de TPEs contextualise le comportement des membres de la structure en faisant appel aux caractéristiques spécifiques de leurs interconnexions. Elle rend possible la compréhension de phénomènes locaux émergents découlant des relations entre les acteurs, dont on ne peut pas rendre compte par une simple agrégation des attributs des membres de la structure.
II – L’inscription sociale de l’entrepreneur au sein de son environnement relationnel local : l’exemple de l’arrondissement lensois
15Si l’habileté de l’entrepreneur, ses objectifs et buts, le mode de gestion de son entreprise constituent des facteurs déterminants qui contribuent à son succès, d’autres facteurs plus subtils et moins apparents sont donc à prendre en considération. Le territoire relationnel local, c’est-à-dire la structure relationnelle dans laquelle l’entrepreneur inscrit sa TPE et à l’intérieur de laquelle il est amené à s’insérer est un paramètre déterminant ses chances de succès. Ainsi, en quoi ce cadre relationnel local peut-il influer le développement de la petite entreprise, et par quels canaux se diffuse cette influence ? Comment l’entrepreneur parvient-il à mobiliser les opportunités offertes par la structure relationnelle locale en contournant les contraintes qui lui sont associées pour assurer son inscription dans cet environnement et ce faisant en tirer avantage pour la pérennité de son entreprise ? Pour trouver des éléments réponses à ces interrogations, nous nous sommes intéressés au processus de création de douze très petites entreprises de l’arrondissement lensois.
2.1 – L’arrondissement lensois : un territoire au passé charbonneux
16Le terril qui borde l’autoroute A1 Paris-Lille, à hauteur de Douai, pourrait encore faire croire au visiteur qu’il entre dans le « pays noir » [13], ancien territoire-usine de 120 km de long s’étendant de Valenciennes aux collines de l’Artois. Par le passé, ce territoire était l’un des plus riches de France, fournissant, un siècle durant, et jusqu’aux années 1950, les deux tiers de la production française de charbon. Pour le profane, il y a peu encore, penser au charbon n’était-ce pas aussitôt évoquer le Nord - Pas-de-Calais, le plat pays où les terrils remplaçaient les montagnes, où l’alignement monotone des corons était le symbole de la révolution industrielle ? [14]. Ces mines, qui à la Libération, avaient été regroupées au sein d’une entité unique, les Houillères, étaient en tête des évolutions techniques et de la production jusqu’alors.
17Malgré - ou à cause - de conditions de travail et de vie pénibles, tant décriées par Émile ZOLA dans Germinal, la production de charbon n’a cessé d’augmenter dès la fin du XIXe siècle au sein des divers bassins miniers de la région. Pendant plus de deux siècles et demi, ces mineurs - à l’avant-garde des luttes sociales - dont on disait qu’ils étaient l’aristocratie de la classe ouvrière, ont fait, sans toujours en profiter, la richesse de cette région. En 1939, 60 % de la production française étaient issus du Nord Pas-de-Calais. Nationalisées en 1946, les Houillères de la région et leurs 200 000 mineurs gagnèrent « la bataille du charbon », indispensable à la relève du pays tout entier. À l’époque, le charbon représentait 86 % de la consommation d’énergie. Les compagnies minières, aux pouvoirs parfois plus étendus que ceux des municipalités, construisirent alors des maisons, des routes, des églises contribuant au développement socioéconomique du territoire. Ces « villes-champignons » attirèrent alors de nouvelles populations, d’abord polonaises puis nord-africaines. Partout, l’habitat se transformait par la multiplication de ces corons, alignements de maisons basses.
18Néanmoins, au cours du XXe siècle, même si le rendement des mineurs continuait à croître, l’appareil productif lui commençait à vieillir et certaines veines trop profondes ne pouvaient être exploitées de façon rentable. Dès le début des années 1950, le charbon fut alors détrôné par le pétrole. Aujourd’hui, bientôt trois siècles après sa découverte à Fresnes-sur-Escaut (1720), et bien qu’ayant profondément marqué toute la région Nord Pas-de-Calais de leurs empreintes, les chevalets ne remontent plus le charbon arraché aux entrailles de la terre dans laquelle il était encastré. La région a ainsi vu la dernière berline remonter les gaillettes de la fosse de Oignies le 21 décembre 1990 marquant définitivement l’arrêt de l’exploitation de la houille dans le Nord Pas-de-Calais [15], mettant un terme à la grande aventure commencée 270 ans plus tôt.
19L’exploitation minière fait désormais partie intégrante de l’histoire du territoire. Cette aventure a imprégné profondément le tissu économique, social, politique et culturel des anciens bassins miniers du nord de la France, notamment celui de l’arrondissement lensois. Situé au cœur de l’Artois, composé de 39 communes, cet arrondissement s’organise autour d’un chef-lieu : Lens, capitale de la Gohelle et centre de gravité d’une agglomération de 350 000 habitants.
2.2 – Méthode d’analyse et portrait des entreprises
20Dès le début de notre travail, notre volonté a consisté à restituer les actions réalisées par chaque entrepreneur sur leur territoire d’implantation lors du processus de création de leur entreprise. Afin d’explorer les implications de l’encastrement local de ces entrepreneurs, nous avons conduit une étude ethnographique durant la période février 1999 - juillet 2002. Nous avons interviewé le(s) dirigeant(s) et les employés de douze TPEs de l’arrondissement lensois. L’échantillon a été construit à partir des donnés recueillies auprès des registres de la Chambre de Commerce de Lens listant les créations de TPEs de l’arrondissement. Pour le recueil des données, nous avons contacté par téléphone les dirigeants de chaque TPE en nous présentant comme effectuant un travail de recherche sur la création d’entreprises. Nous avons alors effectué trois entretiens d’une heure et demie espacés de six mois chacun avec les représentants de la direction de chaque entreprise. Les unités étant de très petite taille, il ne nous a pas été difficile d’obtenir de tels entretiens avec les chefs d’entreprises. Ces interviews étaient semi-dirigées et strictement individuelles. Des entretiens non directifs - d’une heure en moyenne - ont aussi été menés avec les employés ayant connu la période de démarrage de l’entreprise. Nous avons aussi effectué pendant plusieurs semaines - des observations directes sur les lieux de production. Il nous a alors été donné l’opportunité d’affiner les réponses obtenues durant les entretiens. L’approche ethnographique est à ce niveau des plus intéressantes pour étudier l’encastrement local des entrepreneurs parce qu’elle nous oblige à comprendre les causes, conséquences et mécanismes par lesquels la structure relationnelle locale influence, affecte le processus de création des entreprises, la construction locale des échanges marchands des TPEs.
21Afin de donner une vue synthétique et dynamique de l’ensemble des phénomènes observés, nous avons choisi de présenter les résultats au travers des quatre tableaux en annexe [16]. Ces tableaux sont le fruit d’un cadre d’interprétation établi selon un processus d’aller-retour entre les phases d’observation, de cueillette des données et de structuration des observations. Ces différents tableaux visent donc à reconstituer le plus fidèlement possible les faits observés.
2.3 – Le type de dialogue instauré par les douze entrepreneurs avec leur environnement relationnel local
22Une TPE qui tente de s’intégrer au sein d’un nouveau territoire se doit de trouver une forme d’insertion, qui peut passer par la vente d’un produit spécial, d’une prestation de services adaptée aux spécificités locales, etc. Le but est d’arriver à combler un manque, de satisfaire un besoin non pleinement satisfait. Or, chaque procédure se heurte à la singularité des territoires ; la connaissance de ses opportunités et de ses contraintes est donc une nécessité. En effet, la TPE s’intègre au sein d’un système relationnel déjà structuré qui influence la structure même de l’environnement local. Ce système relationnel fait référence aux bases d’une cohérence localisée entre les acteurs du territoire. Notre objectif est ici de reconstituer et caractériser la nature du dialogue qui s’instaure entre l’entrepreneur et les acteurs du territoire - clients potentiels et autres entrepreneurs - et ce, en spécifiant comment cet environnement relationnel peut devenir une variable décisive pour l’entrepreneur.
23Tout entrepreneur a besoin de moyens, de ressources. Les relations qu’il parvient à tisser avec les acteurs du territoire peuvent lui permettre d’accéder et de mobiliser de telles ressources. Les ressources informationnelles possédées par les acteurs du territoire d’implantation constituent un type de ressources particulièrement pertinent pour l’entrepreneur. Ce que nous révèlent les tableaux 2, 3 et 4 est intéressant à cet égard, car tous trois illustrent les processus relationnels par lesquels les entrepreneurs ont acquis certaines informations leur permettant d’étendre la gamme de leurs compétences et de perfectionner leurs méthodes de gestion, ce qui dans les cas des entreprises n° 2, 3, 4, 5, 7, 9, 10 s’est traduit par une évolution de la nature du projet initial (tableau 4).
24Nous savons depuis les travaux de Frank H. KNIGHT (1921) et de Friedrich Von HAYEK (1945) que la question de l’information est ancienne à l’intérieur de la théorie économique. Le premier, a montré combien le mécanisme concurrentiel supposé par la théorie néoclassique repose sur une hypothèse forte concernant l’information des acteurs sur les événements futurs, c’est-à-dire leur capacité à définir des distributions de probabilités sur l’ensemble des événements possibles. Dès lors que les entrepreneurs ne sont ni complètement ignorants, ni complètement informés, il faut faire place à la notion d’incertitude pour définir l’essence du contexte dans lequel se prennent leurs décisions. Dans une voie différente, le second mis en évidence qu’en tant que procédure décentralisée, le marché fonctionnait grâce à des informations connues et mobilisées seulement localement, c’est-à-dire par les acteurs qui les détiennent. La décentralisation des décisions est donc non seulement fonctionnellement adaptée, mais elle est rendue nécessaire au bon fonctionnement du marché précisément dans la mesure où elle correspond à la décentralisation des informations pertinentes. À la croisée de ces travaux fondateurs, le prix Nobel d’Économie 2001 - avec STIGLITZ et SPENCE - George A. AKERLOF (1984) a mis en évidence le problème de la prise de décision dans un large éventail de contextes comme le marché des voitures d’occasion (acheter ou non une voiture d’occasion) ou l’assurance (accepter ou non d’assurer un individu) en situation d’asymétrie d’informations (les vendeurs connaissent mieux que les acheteurs l’état du véhicule, l’assuré mieux que l’assureur l’état de santé de l’assuré). Dans ces cas de figure spécifiques, mais dont le degré de généralité est élevé, le marché ne permet plus d’aboutir aux résultats usuels de la théorie économique néoclassique, en termes d’optimalité ou même d’efficacité [17]. Le marché fait problème puisque le mécanisme des prix ne suffit plus à donner l’information pertinente pour les différents acteurs.
25Une analyse structurale du processus décisionnel de l’entrepreneur permet, à ce niveau, de fournir une interprétation alternative qui repose sur l’identification des réseaux de relations sociales inscrits sur le territoire d’implantation de la TPE. S’il convient d’insister sur la nature informationnelle des réseaux sociaux locaux, car ceux-ci offrent un accès à des informations bien plus abondantes que ne peut en récolter un entrepreneur isolé, nous ne pouvons néanmoins postuler que tous ces réseaux soient des sources d’informations. Ce que nous révèlent cependant les attitudes des entrepreneurs n° 2, 3, 4, 7, 10 et 11 (tableau 3) est que, plus qu’un processus de rationalité économique, le comportement de recherche « est fortement encastré dans d’autres processus sociaux qui contraignent et déterminent étroitement son déroulement et ses résultats » (GRANOVETTER, [1974] 1995, p. 39). En réponse à l’incertitude qui les entoure, ces six entrepreneurs portent leur attention sur les réseaux de relations interpersonnelles qui parcourent le territoire et sur les informations que ces réseaux pourvoient (GUENNIF et PLOCINICZAK, 2003) [18]. Ces relations sociales confèrent un avantage informationnel aux entrepreneurs selon trois voies bien distinctes : l’accès, la synchronisation et le renvoi d’opportunités [19] : (a) L’accès se rapporte à la réception d’une information pertinente pour l’entrepreneur car l’émetteur (de l’information) a la connaissance que celui-ci pourra l’utiliser effectivement. Des liens nombreux avec les tierces parties favorisent l’accès à ces informations (BURT et KNETZ, 1995) ; (b) La synchronisation des écoulements d’informations souligne la capacité des contacts personnels des entrepreneurs à fournir des informations avant qu’elles soient disponibles aux acteurs ne disposant pas de tels contacts, ce qui accroît la valeur anticipée d’une telle information. La synchronisation permet ainsi de disposer d’avantages informationnels au sujet de partenaires et d’opportunités au moment opportun ; (c) Le renvoi d’opportunité enfin est un processus relationnel qui fournit des informations aux entrepreneurs au sujet d’opportunités disponibles, augmentant par conséquent l’occasion de combiner et d’échanger des informations. Le renvoi d’opportunités consiste en un écoulement d’informations, non seulement sur les opportunités disponibles mais incluent fréquemment l’approbation réputationnelle pour l’acteur impliqué, ce qui influt non seulement sur la valeur prévue de la combinaison et de l’échange mais aussi sur la motivation d’un tel échange.
26Cette dimension informationnelle mise en avant coïncide de manière inattendue avec les travaux économiques dès lors qu’ils font intervenir les relations de marché où n’est supposée aucune connexion généralisée entre les acteurs, dans lesquelles l’information est distribuée de manière inégale entre les acteurs. En effet, étant donné le degré d’incertitude associé au processus de création d’entreprises, l’accès à une information riche et pertinente, via les réseaux de relations interpersonnelles de l’entrepreneur, peut diminuer ses coûts de recherche. Les relations qu’un entrepreneur tisse avec d’autres acteurs du territoire deviennent la source de telles informations. En d’autres termes, le réseau de relations interpersonnelles au sein duquel tout entrepreneur est encastré sur son territoire d’implantation peut être le dépositaire d’une information riche et pertinente sur les opportunités et les contraintes associées à ce territoire. Cet avantage informationnel lui permet d’anticiper et d’élargir son processus d’apprentissage et d’évolution, ce qui ex post influe sur le niveau de l’échange lui-même et ce faisant, sur la profitabilité de son entreprise. Les tableaux 2, 3, 4 nous offrent la possibilité de saisir et spécifier la manière dont ces entrepreneurs ont procédé pour tenter de s’insérer dans la structure relationnelle locale.
27Les entreprises n° 1 et n° 6 correspondent aux deux salons de coiffure qui se sont succédés entre 1988 et 1995, l’entrepreneur n° 6 ayant repris l’entreprise de l’entrepreneur n° 1. Il a lui-même cessé toute activité en 1995. Ainsi l’entrepreneur n° 1 s’est lancé dans une activité de solarium, qui a conduit à la juxtaposition d’activités hétérogènes, en outre peu compatibles avec les besoins d’une population locale essentiellement âgée et issue d’un milieu ouvrier. De même, à la lecture du tableau 3, qui souligne le processus d’apprentissage, nous constatons que l’entrepreneur n° 1 ne procède à aucune collecte d’informations sur les caractéristiques de l’arrondissement et adopte un comportement purement réactif. L’acquisition de nouvelles compétences par l’intermédiaire des stages de coiffure ne peut inverser la tendance, le constat trop tardif des pertes financières l’a obligé à cesser son activité. Les deux entrepreneurs de l’entreprise n° 6, quant à eux, ont adopté la même gestion stratégique que celle développée dans leur salon de coiffure situé dans le centre de Lens. Bien qu’une courte période de réorientation (tableau 2) ait conduit à une baisse des tarifs, leur volonté de rentabilité n’a pu être assurée, ce qui a abouti à la fermeture de l’activité en 1996. Les dirigeants de ces deux entreprises se sont en fait composés une attitude apparente d’indépendance à l’égard du contexte local. Peut-être étaient-ils tentés inconsciemment, d’éviter tout ce qui pouvait être perçu comme un indice d’une incompétence quelconque, sachant que les deux dirigeants de l’entreprise n° 6 ont déjà eu l’expérience de la création d’un salon de coiffure dans le centre de Lens. Il est possible de schématiser de la manière suivante la forme du dialogue - ou plutôt dans ce cas le monologue - développé par ces entrepreneurs avec le territoire (figure 1) :
Attitude « hermétique » des entrepreneurs n° 1 et 6
Attitude « hermétique » des entrepreneurs n° 1 et 6
28Au regard des tableaux 2 et 3, nous pouvons apprécier la logique déployée par les entrepreneurs n° 5, 8, 9 et 12. Dès l’origine, ces dirigeants ont clairement défini leurs projets : satisfaire la particularité des besoins de la clientèle locale. Le débit de boisson, souhaite ainsi pleinement tirer profit d’une clientèle masculine au travers la retransmission de matchs de football, alors que le boulanger et le boucher entreprennent progressivement une légère diversification de leurs prestations. Cependant, au regard des réorientations effectuées, on peut s’apercevoir que ces entrepreneurs attendent que les opportunités et contraintes locales se présentent à eux (t1) pour prendre une décision (t2). Celle-ci est donc effectuée ex post à l’étude du contexte local. La logique développée par ces quatre entrepreneurs est de type interface. Ce groupe est à l’écoute du territoire, exploitant les opportunités et s’adaptant aux contraintes diverses du local mais selon une attitude que nous qualifions d’attentiste (figure 2).
Attitude « attentiste » des entrepreneurs n° 5, 8, 9 et 12
Attitude « attentiste » des entrepreneurs n° 5, 8, 9 et 12
29Un caractère commun aux entrepreneurs n° 2, 3, 4, 7, 10 et 11 avec celui décrit précédemment est la recherche de satisfaction des besoins d’une clientèle de proximité. C’est dans ce sens, par exemple, que l’entrepreneur n° 2 a étoffé sa gamme de plaques funéraires, de fleurs artificielles et entrepris une large diversification de ses prestations de services, de façon à répondre à l’ensemble des besoins des clients à travers des livraisons gratuites dans un rayon de cinq kilomètres. L’entrepreneur n° 3 a, quant à lui, progressivement constitué sa compétence, d’abord à partir de contrats qui lui ont été confiés par un groupe de clients locaux. Par la suite, grâce à des processus de fertilisation croisée de divers savoir-faire avec d’autres entreprises, l’entrepreneur a pu affiner la définition des limites de son métier pour parvenir à construire librement sa compétence. Ce groupe d’entrepreneurs a développé un apprentissage des particularités de l’arrondissement. Cette logique - en totale opposition avec la logique développée par les entrepreneurs n° 1 et 6 - se singularise par une volonté exacerbée d’indépendance. De même, nous atteignons, à travers le groupe composé des entrepreneurs n° 2, 3, 4, 7, 10 et 11, un niveau d’intensité plus important en ce qui concerne la relation qui lie ces entrepreneurs à l’environnement local, celle-ci apparaissant comme un enjeu fondamental pour eux. La nature de cette relation peut être appréciée au regard du tableau 3 qui retranscrit les mécanismes par lesquels les entrepreneurs de ce groupe recherchent activement des informations sur l’arrondissement par l’intermédiaire des clients (entrepreneurs n° 4, 9, 10, 11, 12), de partenaires locaux (entrepreneurs n° 2, 3, 5, 7) ou encore grâce aux relations tissées dans d’autres contextes (relation d’amitié pour l’entrepreneur n° 8). L’acquisition de telles informations leur permet d’anticiper les évolutions environnementales de l’arrondissement (tableau 4) afin de « coller au mieux » au besoins réels de l’arrondissement. Or, ce processus de recherche est aventureux car la jeune entreprise ne possède aucun, ou peu, de repères pour fonder l’ensemble de ses prévisions. C’est donc avant tout par la collecte d’informations crédibles et pertinentes sur l’existence des ressources disponibles et des potentialités offertes par l’environnement local, que ces entrepreneurs parviennent à anticiper et à s’adapter aux besoins réels de leur environnement relationnel. La logique comportementale de ces entrepreneurs est ici de type volontariste, interactive :
Attitude « interactive » des entrepreneurs n° 2, 3, 4, 7, 10 et 11
Attitude « interactive » des entrepreneurs n° 2, 3, 4, 7, 10 et 11
30Ainsi si les entrepreneurs 1 et 6 adoptent un comportement hermétique aux spécificités de leur environnement local, les entrepreneurs n° 5, 8, 9 et 12 privilégient quant à eux une approche attentiste dans le sens où ils attendent qu’une opportunité s’offre à eux, ou la rencontre d’un problème pour agir et s’adapter. Les entrepreneurs n° 2, 3, 4, 7, 10 et 11, au contraire de ces deux précédents groupes, développent une approche de type interactive étudiant attentivement l’arrondissement et ses particularités et recherchant activement des informations riches et pertinentes pouvant être utilisées à bon escient pour favoriser et soutenir leurs affaires.
III – Le capital social local des entrepreneurs de l’arrondissement lensois
31Pour notre propos, le capital social local des entrepreneurs se réfère à la somme des ressources actuelles ou potentielles encastrées à l’intérieur, disponibles au travers, et dérivées des relations sociales locales possédées par un acteur individuel - l’entrepreneur - ou collectif - le territoire -, l’accès à ces ressources devant avoir des conséquences positives pour l’action. Les différents types de ressources circulant au travers des réseaux sociaux locaux ne constituent donc pas en elles-mêmes le capital social local des entrepreneurs, d’un territoire. La conceptualisation du capital social local nécessite en effet de tenir compte à la fois de [1] la nature des ressources qui sont inhérentes au sein du réseau de relations sociales qui parcourent le territoire d’implantation, mais aussi et surtout de [2] l’accessibilité et l’habileté à mobiliser effectivement de telles ressources au besoin par un entrepreneur, en vertu de son encastrement à l’intérieur d’un système structuré territorialisé de relations sociales.
3.1 – Formes et contenus des relations sociales locales des entrepreneurs
32Les monographies des douze TPEs de l’arrondissement nous ont permis de déceler un ensemble de démarches cohérentes : nous avons pu constater chez les entrepreneurs des groupes volontariste et attentiste une volonté de s’inscrire dans la structure sociale de l’arrondissement au travers un processus de collecte d’informations, d’anticipation et de réorientation. L’environnement relationnel local semble être en interpénétration avec ces TPEs émergentes. En effet, si l’entreprise se fond dans cet environnement à travers l’ensemble relationnel qu’elle construit, réciproquement l’environnement local s’insère dans l’entreprise puisque cette dernière est obligée de le comprendre. Ces entrepreneurs sont ainsi amenés à choisir, parmi les atouts du territoire, ceux à partir desquels il sera possible d’assurer l’insertion de leur entreprise sur le territoire. Si l’habileté de l’entrepreneur à obtenir des informations crédibles en tissant des liens avec ses différents interlocuteurs, membres de la structure relationnelle locale, lui assure une insertion à l’intérieur du territoire, il convient de donner sens à ses liens, de caractériser leurs formes et préciser leur contenu.
33La forme des liens tissés entre l’entrepreneur et ses interlocuteurs locaux exprime leurs propriétés qui existent indépendamment de leur contenu, informationnel par exemple. Comme le remarque Emmanuel LAZEGA (1996, pp. 443) : « Le terme ‘réseau’ suggère une homogénéité des relations entre les partenaires ; en fait, c’est tout le contraire. Il y a différents types de relations entre partenaires : asymétriques ou symétriques, à court ou à long terme, etc. ». En effet, un lien peut être présent ou absent entre différents acteurs du territoire. Néanmoins, entre ces deux extrêmes la forme d’un lien varie. Nous avons spécifié dans la première partie du texte quatre caractéristiques permettant d’identifier la forme : la durée de la relation, l’intensité émotionnelle, l’intimité et les services réciproques que se rendent les partenaires.
34Si comme le suggère le processus d’insertion des entrepreneurs de l’arrondissement lensois, les relations sociales locales permettent de collecter et de diffuser des informations, elles sont aussi et surtout une source unique permettant d’assembler et transmettre de multiples autres ressources qui pourraient ne pas être générées en l’absence de telles relations. La notion de contenu révèle la signification substantive - la raison de l’occurrence - d’un lien particulier entre l’entrepreneur et les membres de la structure relationnelle locale. Il convient de reconnaître la diversité des échanges et des transferts de ressources, c’est-à-dire de saisir la variété du contenu des relations, la nature et la source de l’interdépendance entre l’entrepreneur et ses interlocuteurs locaux. Puique les entrepreneurs évoluent sur le territoire local au sein de multiples liens, de multiples formes de concurrence/coopération (DEI OTTATI, 1994). Même si la variété des relations tissées par les entrepreneurs sur ce territoire est potentiellement non exhaustive car ces liens sont aussi nombreux que le type de ressources qui circulent entre eux, et si nous avons déjà repéré les ressources informationnelles, il convient d’y adjoindre les ressources matérielles, humaines, normatives et statutaires.
35Bien que nous effectuons la distinction analytique entre ces catégories, il importe surtout de maintenir à l’esprit qu’au sein des relations la plupart du temps ces ressources se chevauchent. Un point fondamental de l’analyse est ici de prendre en considération la dimension « multiplexe » (GLUCKMAN, 1967) des relations tissées par les entrepreneurs. Ce concept met l’accent sur le fait qu’une relation donnée possède des contenus - liens - multiples, sert à plus d’un type d’échange à la fois, relie deux acteurs ayant plus d’un rôle : entrepreneur et ami, entrepreneur et parent, entrepreneur et concurrent, etc. Les réseaux relationnels locaux des entrepreneurs sont ainsi multiplexes car les relations tissées contiennent différents contenus relationnels, différents types de ressources. La propriété centrale d’une relation multiplexe est qu’elle permet aux ressources d’un lien d’être appropriées par un entrepreneur pour l’usage dans d’autres relations, augmentant le niveau d’ensemble de ses ressources disponibles.
3.2 – Les ressources accessibles via le capital social local des entrepreneurs
36Les réseaux de relations locales des entrepreneurs de l’arrondissement lensois leur permettent tout d’abord de mobiliser du capital physique (outils de production) et financier. Le capital financier représente la dimension transactionnelle des relations de réseaux (achats, ventes, contrats) effectuées entre l’entrepreneur et les acteurs du territoire. La diversité des relations territoriales des entrepreneurs n’est néanmoins pas réductible aux seules transactions. Elles ne représentent en fait qu’un moment de leur activité relationnelle. Loin d’être isolées des liens sociaux, ces relations transactionnelles s’encastrent au sein de liens familiaux. Comme le souligne PECQUEUR (1989), la solidarité familiale est à la base de la création et du développement de nombreuses entreprises. Ce sont précisément de tels liens de parenté qui sont à l’origine de la création de l’entreprise n° 3, l’entrepreneur ayant bénéficié du soutien financier de son père, dirigeant de l’entreprise n° 5 lors du processus de création de sa TPE. En outre, parmi les employés de l’entreprise n° 3, nous constatons de nombreux liens familiaux - cousins et beaux-frères - et amicaux de longue date avec le chef d’entreprise.
37Un autre type de ressource circulant au travers de la structure relationnelle de l’arrondissement lensois est humain. Le capital humain correspond aux aptitudes, aux habiletés et aux connaissances acquises par transmission, éducation et formation [20]. L’exemple de l’entrepreneur n° 3 est à cet égard éclairant, celui-ci ayant bénéficié, au travers des passations de contrats locaux de rénovation, de savoir-faire d’autres TPEs, avec lesquelles il fut en relation de travail. Le cas de l’entrepreneur n° 2, fleuriste, est aussi significatif puisque la relation qui s’est tissée entre la femme du chef d’entreprise et son ancienne patronne, chez laquelle celle-ci a appris le métier de fleuriste s’est maintenue tout au long du processus de création prenant des formes diverses et variées : soutien dans la gestion des stocks, dans la sélection des produits destinés à la vente, des fournisseurs, etc. C’est dans le même ordre d’idée que se comprend l’acquisition de méthodes de gestion par l’entrepreneur n° 10 où l’ancien patron du créateur lui l’a fait bénéficier de son expérience.
38Parallèlement à ces ressources, les relations sociales qui encastrent localement l’entrepreneur au sein de la structure sociale de l’arrondissement véhiculent des ressources intangibles, normatives, voire morales. De telles ressources ne peuvent être comprises en des termes individualistes mais relationnels car leur définition même se fonde sur des relations sociales, produites au sein de réseaux sociaux [21]. La norme partagée, qui soutient et renforce les relations entre les acteurs de l’arrondissement représente un certain degré de consensus dans la structure relationnelle locale. L’aspect fondamental de ces normes, lorsqu’elles sont solidement établies, est qu’« elles projettent une aura sur la manière d’être et de se comporter (…) basées sur des relations personnelles [elles] persistent souvent au-delà des avantages prévus par les incitations » (GRANOVETTER, 1999, p. 160).
39Étant entendu que l’expérience, la « dépendance de chemin » (DAVID, 1985) de tout entrepreneur lui est propre et qu’il imagine, élabore et fait évoluer son entreprise à la lumière des opportunités qu’il provoque et/ou qui s’offrent à lui, ses valeurs peuvent ne pas être semblables à tous ses interlocuteurs. Or, si le territoire local est un lieu de production, d’échanges économiques il est aussi et surtout un lieu d’apprentissage des usages, des pratiques, des règles et normes locales qui lui confèrent sa spécificité. Dès lors, pour exister et bénéficier d’un certain statut au sein de la structure relationnelle déjà stabilisée, culturellement et politiquement solidifiée sur le territoire, les entrepreneurs ne peuvent uniquement imposer leur identité en fonction de leurs propres finalités. Ils doivent la construire socialement par apprentissage et s’adapter au cadre de représentation commun des acteurs en présence sur le territoire, en tenant compte de leurs rôles, de leurs identités, ce qu’ont parfaitement compris les entrepreneurs n° 2, 3, 4, 7 et 10. L’entrepreneur doit en fait parvenir à s’insérer dans la « socio-culture » (PECQUEUR, 1989) du milieu relationnel dans lequel il tente de s’inscrire car les acteurs en place au sein de la structure relationnelle locale baignent au sein d’une identité commune qui, historiquement enracinée dans la communauté politico-culturelle (COURLET, 1997), lubrifie leurs relations. Pour ce faire, il incombe à l’entrepreneur de discerner les règles et valeurs dominantes collectivement partagées par les membres du territoire, car ces règles et valeurs construites collectivement, transmises et partagées, sortes de référentiels collectifs, constituent le socle normatif permettant la connaissance et la reconnaissance entre les membres de la structure relationnelle locale.
40L’entrepreneur doit avoir une conscience claire de l’identité locale et de ses « règles du jeu » (BRUSCO, 1999), et ce, afin de se faire reconnaître et admettre par la structure relationnelle. Cette dimension sociale dépasse le cadre strictement marchand qui est mis entre parenthèses. Un exemple de cela nous est fourni par l’entrepreneur n° 2 qui a contribué au financement de l’équipe de football d’entreprise possédée par l’entrepreneur n° 5. Cette logique peut être appréhendée comme signifiant que l’entrepreneur n° 2, nouvellement arrivé, n’avait pas l’intention de spolier l’entrepreneur n° 5 d’un quelconque pouvoir d’achat dont dispose la clientèle locale, étant donné que ces deux TPEs sont situées l’une en face de l’autre. Ex post, cette volonté d’entente relationnelle a offert des avantages aux deux entrepreneurs, par l’intermédiaire d’un échange de clientèle selon un procédé de publicité réciproque. En effectuant une donation à l’entrepreneur n° 5, le dirigeant n° 2 a ainsi clairement exprimé sa volonté de considérer l’autre entrepreneur comme un des partenaires naturel du développement de son entreprise. Quant aux liens établis par ce même entrepreneur n° 2 avec un entrepreneur ayant la même activité que lui (fleuriste), ceux-ci peuvent se traduire par un comportement équivoque qui mêle à la fois la coopération et la compétition. La volonté de parvenir à maîtriser de telles relations de compétition/coopération/émulation (BECATTINI, 1987, 1990 ; DEI OTTATI, 1994), souligne l’importance qu’accorde l’entrepreneur en question à l’analyse des pouvoirs relatifs que peuvent exercer les acteurs environnants sur sa propre activité, car le projet du dirigeant-créateur n’a, a priori, aucune raison de rencontrer le seul assentiment des acteurs environnants.
41Ces liens qui « contournent le marché » (PECQUEUR, 1989) mais qui surtout le façonnent, le construisent, permettent de mieux cerner les relations qui se tissent entre l’entrepreneur et les acteurs qui bordent son entreprise. Ainsi l’encastrement structural local de l’entrepreneur dans son environnement relationnel immédiat met l’accent sur le rôle actif de prospection relationnelle nécessaire à l’acquisition de la reconnaissance des acteurs en présence. En parvenant à obtenir la reconnaissance de l’entrepreneur n° 5, acteur central de la structure sociale de l’arrondissement, l’entrepreneur n° 2 a envoyé un signal positif aux autres membres de la structure relationnelle, et s’est vu voir conférer un certain statut. À la différence de la réputation qui peut être un capital de départ reposant sur la perception qu’ont eu d’autres acteurs du comportement antérieur de l’entrepreneur, le statut de l’entrepreneur ne dérive pas seulement de la démonstration passée de sa qualité, ce qui dans notre étude est quelque peu délicat à apprécier étant donné que l’entrepreneur tente de s’inscrire sur le territoire et n’est par conséquent pas connu de ses membres, il dérive du statut associé à ses partenaires d’échange (PODOLNY, 1994, p. 460). Alors que la réputation implique la connaissance détaillée des attributs de l’entrepreneur, son statut met en évidence le rang qu’occupent ses partenaires dans le groupe social. Un entrepreneur peut ainsi avoir un statut élevé et une réputation terrible, comme c’est le cas pour une « prima donna ». Mais il est clair néanmoins, que le statut d’un entrepreneur à l’intérieur du territoire influence sa réputation, sa visibilité pour les autres acteurs [22]. La mise en exergue du statut conféré à un entrepreneur par les acteurs locaux souligne en quoi et comment la réussite de la création d’entreprise peut être fortement conditionnée par la participation de la population locale, ou du moins, d’une partie qui s’incarne au final par la légitimation ou non du projet. La dimension territoriale des relations sociales de l’entrepreneur prenant alors dans cette conception toute sa dimension.
42Derrière la notion de statut se cache celle de pouvoir, or relation et pouvoir se situent exactement sur un même niveau (CROZIER et FRIEDBERG, 1977, p. 97 ; FRIEDBERG, 1993, p. 113). Il existe en effet un lien irréductible entre pouvoir et interdépendance, entre pouvoir et coopération (PLOCINICZAK, 2001) car « on entre dans une relation de pouvoir parce que l’on doit obtenir la coopération d’autres (…) pour la réalisation d’un projet » (FRIEDBERG, 1993, p. 115). Mais si la concurrence sur le territoire demeure toujours la règle, elle s’aménage pour admettre des solidarités locales. Une régulation normative implicite est instaurée et s’exprime par une sorte de « concurrence disciplinée » (PECQUEUR, 1989) dans laquelle l’entrepreneur pense d’abord à nouer des relations de nature coopérative pour ex post penser la concurrence. L’étude de l’arrondissement lensois révèle ainsi qu’une norme de réciprocité est sous-jacente aux relations établies par certains entrepreneurs, de telle sorte que chacun ressent un engagement envers l’autre partie plutôt qu’un désir de tirer profit de n’importe quelle situation. La norme de réciprocité serait d’ailleurs pour BAKER (2000, p. 131) : « le moteur des réseaux ». Transhistorique, le concept a largement été utilisé pour comprendre les logiques des districts industriels (COURLET et PECQUEUR, 1992). Au sein de l’arrondissement, la réciprocité fait référence à l’« engagement », à la « mobilisation », aux « promesses tenues », aux « conseils », aux « échanges d’expériences », aux « dépannages », à la « transmission de trucs » (PECQUEUR, 1989) [23]. C’est dans cette optique par exemple que l’entrepreneur n° 2, fleuriste, bénéficie chaque année de la gratuité des hangars de l’entreprise n° 3, la semaine de la Toussaint, pour stocker le fort surplus de marchandises que génère cette période de l’année pour son activité.
43Le processus de formation de ces ressources normatives est parallèle à celui en œuvre pour les ressources matérielles, c’est-à-dire fonction des investissements successifs effectués par les entrepreneurs, ce qui ex post leur offrent la possibilité d’obtenir des retours sur investissement croissants. Les échanges de l’arrondissement prennent ainsi souvent la forme de relations marquées par une « bonne volonté mutuelle », par une sorte de « sentiments d’amitié et d’un sens de l’engagement personnel diffus » (DORE, 1983, p. 460). Ces acteurs échangent de façon répétée, se connaissent bien, accordent de la valeur à la « parole donnée ». Dans bien des cas, les entrepreneurs adoptent un comportement consistant en un enrichissement des relations au travers de la confiance et de la réciprocité, comportement qui ne peut être exprimé en termes de prix ou de dispositifs contractuels. Comme le souligne André ORLEAN : « la confiance ne peut se déployer qu’au sein d’une théorie qui ne réduit pas les relations sociales à la simple mise en forme des jeux d’intérêt » (ORLEAN, 1994, p. 19), « la production de la confiance nécessite nécessairement des médiations sociales » (ibid. p. 33). Les interviews nous ont ainsi révélées que les relations d’affaires des entrepreneurs de l’arrondissement possèdent une forte dimension personnelle, car ils « gardent une mémoire de leurs échanges et des conditions dans lesquelles ils se sont déroulés » (PECQUEUR, 1996, p. 216) de sorte que les facteurs sociaux telles que l’identité et la confiance influencent la nature du rapport économique et le comportement des entrepreneurs. Tous les entrepreneurs reconnaissent en effet l’importance de ces connections étroites.
44Au final, il semble bien qu’à l’intérieur du territoire, les motivations des entrepreneurs et leurs comportements ne soient ni purement égoïstes ni purement coopératifs mais bien plus une construction sociale locale, une variable endogène : une propriété émergente de la structure sociale dans laquelle leurs comportements viennent s’immerger.
Conclusion
45Notre travail sur l’encastrement local des entrepreneurs de l’arrondissement lensois suggère qu’une intégration des cadres relationnels locaux dans l’explication du processus de création des TPEs tend à offrir une image de l’entrepreneuriat qui est à mille lieux de se conformer à l’idiot social raillé par Amartya SEN. Ce comportement type, où autrui ne serait qu’une donnée exogène, laisse place à « la connexion indissoluble de l’acteur avec son cadre social » (BECKERT, 2000, p. 3), à son encastrement au sein de systèmes concrets et continus de relations sociales locales, territorialisées. Loin d’être atomisés, l’étude de l’arrondissement lensois révèle que les entrepreneurs entretiennent des relations personnelles, tissent des liens d’amitié, et de fidélité suffisamment récurrents avec les acteurs de leur territoire d’implantation pour voir émerger une structure relationnelle qui parcourt l’environnement local. Cette mise en évidence permet donc de rompre avec l’image de l’entrepreneur héroïque puisque les relations personnelles interviennent dans le processus de création des TPEs, dans le fonctionnement des échanges économiques, dans la construction sociale du marché des TPEs (BAGNASCO, [1988], 1993) ou, pour le dire autrement, puisque la participation au marché ne détruit pas les relations sociales.
46Si nous nous sommes intéressés à la construction, mobilisation, et activation faites par les douze entrepreneurs de leurs relations sociales avec les clients et autres entrepreneurs de l’arrondissement et aux bénéfices que celles-ci leur fournissaient, il importe surtout de ne pas occulter le fait que ces bénéfices profitent en même temps aux autres membres de la structure relationnelle locale au travers d’une part, de prix plus attractifs et d’une meilleure qualité pour les clients, et d’autre part d’une concurrence disciplinée, voire d’une coopération entre les entrepreneurs. Ce point tend à souligner que de telles relations encastrées localement permettent de développer et maintenir un capital social local, favorable à la dynamique socioéconomique du territoire : de par les valeurs informelles et les normes partagées qu’il génère, il facilite la coordination et la coopération implicite ou explicite entre les acteurs du territoire et ce, pour un bénéfice mutuel. Ce capital est donc un bien privé collectivement local, une qualité issue de la structure relationnelle territoriale dont les acteurs peuvent profiter à titre personnel et dont les agents économiques extérieurs ne peuvent bénéficier. Cette dimension collective met en avant les avantages que peuvent retirer certains acteurs de leur participation à la dynamique relationnelle locale et ce faisant, aux normes associées de la réciprocité et de la confiance, même lorsque ces acteurs n’ont pas contribué à les produire. Si la dimension bien privé/bien collectif local peut surprendre puisqu’elle reflète d’ordinaire deux niveaux d’analyse considérés comme distincts : l’individuel (l’entrepreneur) et le collectif (la structure relationnelle locale), ces dimensions n’en sont pas pour autant concurrentielles et antinomiques mais bien complémentaires : si le premier échelon s’intéresse à l’utilisation faite par un entrepreneur de ses relations sociales locales et aux bénéfices que celles-ci lui fournissent, ces bénéfices peuvent en même temps profiter aux autres membres du territoire.
47En outre, un entrepreneur (A) n’a pas nécessairement conscience du capital social dont il bénéficie puisque les ressources obtenues au travers de son réseau dépendent de ses contacts directs (B1, B2, …, Bn) - de son encastrement relationnel local - mais aussi des contacts de ses contacts (C1, C2,…, Cn) - son encastrement structural local - c’est-à-dire de ses relations indirectes, sur lesquels l’entrepreneur n’a que peu - sinon aucune - emprise. L’étude de l’arrondissement lensois nous révèle ainsi - et c’est là un point essentiel - que les relations sociales qui pourvoient aux entrepreneurs les ressources nécessaires à la réalisation de leurs objectifs n’ont pas été construites d’une manière délibérée afin de satisfaire des objectifs purement instrumentaux et n’ont donc été l’objet d’investissements spécifiques - en terme de temps passé à nouer et maintenir des relations - afin de les atteindre. Dans bien des cas, les résultats économiques permis par ce capital social local sont les sous-produits plus ou moins contingents d’activités engagées pour atteindre d’autres buts (COLEMAN, 1990, pp. 312, 317-318) [24]. Le cas de l’entrepreneur n° 2, est un exemple de cela. En effet, la relation qui unit la femme du chef d’entreprise et son ancienne patronne n’a pas été tissée pour que cette dernière lui apporte son soutien dans la gestion des stocks, dans la sélection des fournisseurs, des produits destinés à la vente, etc. lors de la création de son entreprise. La relation originelle était de type employeur-employée et rien ne laissait présager que celle-ci allait se transformer en une relation d’amitié puis de conseils ayant un impact direct sur les performances économiques de l’entreprise n° 2. N’étant pas situé à l’intérieur des entrepreneurs, mais dans la structure de leurs relations sociales avec les autres acteurs du territoire, pour posséder un capital social local, un entrepreneur doit donc être relié à d’autres acteurs. Ce sont précisément ces autres acteurs, et pas lui-même, qui constituent la source réelle de son avantage. Ne pouvant exister dans un « vacuum », la valeur du capital social local des entrepreneurs dépend ainsi des interactions entre les acteurs de la structure relationnelle locale, des réseaux sociaux parcourant l’ensemble du territoire d’implantation des TPEs.
48Au final donc, l’enseignement majeur de notre étude sur la construction sociale du marché des TPEs de l’arrondissement lensois est que, si la société ne débute pas avec la personnalisation des relations (SIMMEL, 1950) et la réalité économique des échanges marchands avec le primat du lien entre les choses (MARX, [1867] 1978, Livre 1, p. 83-94 ; SIMMEL, [1900] 1987) au détriment des liens entre les personnes (COVA, 1995), force est de reconnaître alors qu’ainsi formulé « le social » se trouve bien présent, là où tout économiste néoclassique ne peut (veut ?) se l’imaginer : au sein des relations marchandes, irréductiblement construites socialement, localement.
Les douze entreprises
Les douze entreprises
Processus d’évolution des entreprises
Processus d’évolution des entreprises
Processus d’apprentissage des entrepreneurs
Processus d’apprentissage des entrepreneurs
Processus d’anticipation des entrepreneurs
Processus d’anticipation des entrepreneurs
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Mots-clés éditeurs : capital social, entrepreneuriat, marché, encastrement local, réseaux sociaux
Mise en ligne 01/01/2012
https://doi.org/10.3917/reru.033.0441Notes
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Première version novembre 2002, version révisée février 2003.
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Les chiffres entre parenthèses renvoient aux notes en fin d’article.
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[1]
Année de première parution indiquée entre [ ], réédition signalée entre ( ).
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[2]
Selon Mark GRANOVETTER (2002) cette vision a mené à une conception néo-hobbesienne des relations du marché comme désagréables, brutales et courtes.
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[3]
Couramment traduit par « encastrement », l’embeddedness trouve d’autres synonymes, citons par exemple enchâssement, enchevêtrement, enclavement, insertion, immersion, etc. Un dialogue avec Mark GRANOVETTER nous a permis de découvrir néanmoins que la traduction la plus appropriée du terme est « en lité ». Nous nous en tenons cependant à la traduction d’encastrement car celle-ci est la plus répandue dans la littérature. C’est notamment celle-ci qui est utilisée par Isabelle THIS-SAINT JEAN dans l’ouvrage Le Marché autrement. Les réseaux dans l’économie (2000), traduisant en français certains des textes fondateurs de GRANOVETTER.
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[4]
Dans le cadre de cette recherche - pour laquelle nous fournissons nos premiers résultats - nous concentrons uniquement notre attention sur les liens qui unissent les douze entrepreneurs étudiés avec les autres entrepreneurs et clients effectifs et potentiels du territoire d’implantation. Nous délaissons délibérément les connexions entre ces entrepreneurs et les institutions politiques. Cette dimension, c’est-à-dire l’« encastrement politique » (ZUCKIN et DI MAGGIO, 1990) des entrepreneurs est l’objet de nos recherches en cours.
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[5]
Fred BLOCK (2001, p. 24, note 10) suggère que ce serait de ses lectures sur l’industrie minière anglaise, et plus précisément sur l’extraction du charbon encastré dans les murs de roche des mines, que POLANYI aurait tiré la métaphore de l’encastrement.
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[6]
L’action sociale est pour Max WEBER « son problème central », ce problème étant « pour ainsi dire constitutif de la sociologie en tant que science » (WEBER, [1922] 1971, p. 21). Elle se subdivise idéalement en quatre composantes qui constituent autant d’orientations possibles de l’action sociale (ibid. p. 22-3) : « en finalité », « en valeur », « affectuelle » et « traditionnelle ». Selon WEBER (ibid., p. 23) : « Il arrive très rarement que l’activité, tout particulièrement l’activité sociale, s’oriente uniquement d’après l’une ou l’autre de ces sortes d’activité. (…) elles ne sont que de purs types, construits pour servir les fins de la recherche sociologique, desquels l’activité réelle se rapproche plus ou moins, et – plus souvent encore – les combine ».
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[7]
Par « ‘autrui’ il faut entendre ou bien des personnes singulières et connues, ou bien une multitude indéterminée et totalement inconnue » comme l’argent (WEBER, [1922] 1971, p. 19).
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[8]
James G. MARCH (1994) suggère que lorsque les acteurs prennent une décision, ils se posent la question : « Qui suis-je et quelle est l’action la plus appropriée pour mon rôle ? », ne basant donc pas leurs choix sur leurs seules préférences individuelles. MARCH parle de « logic of appropriateness ».
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[10]
Selon Mark GRANOVETTER (1973, p. 1361) : « la plupart des notions intuitives de ’force’ d’un lien (…) devraient être satisfaites par la définition suivante : la force d’un lien est une combinaison (probablement linéaire) de la quantité de temps, de l’intensité émotionnelle (la confiance mutuelle), de l’intimité (les confidences mutuelles) et des services réciproques qui caractérisent le lien ». Derrière le critère de durée se loge une double idée, d’une part le temps passé ensemble et d’autre part, l’ancienneté de la relation.
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[11]
Des vacances récentes d’amis en Algérie m’ont permis de récupérer quelques articles économiques de la presse locale. Particulièrement intéressé par l’un d’entre eux intitulé « Le marché des Trois-Horloges refait surface » (La Presse Initiative, mardi 19/11/2002, p. 8), je l’ai parcouru. Je vous retranscris ici la fin de l’article : « Plus qu’un marché, un lieu de rencontre, espace public dans tous les sens du terme, lieu de rencontres par excellence, le marché, à l’instar des cafés maures et des hammams, est allé au-delà de sa vocation commerciale, en jouant un rôle dans la dynamique sociale : connaissances durables, mariages, apprentissage de métiers, associations commerciales. « Personnellement, je n’ai pas d’exemple précis, mais je suis persuadé que beaucoup de liens familiaux se sont noués à la faveur d’une rencontre inattendue, d’une discussion inopinée » dit HAMID, un sociologue de formation de la rue Hassena (ex-Suffren) ».
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[12]
Cet aspect ressort très clairement de la définition en quatre points de l’analyse de réseaux proposée par Alain DEGENNE et Michel FORSÉ : « La structure pèse formellement sur l’action selon un déterminisme faible (…) ; La structure affecte la perception des intérêts des acteurs (…) ; L’« individu est rationnel (…) ; La structure est l’effet émergent des interactions » (1994, pp. 14-15).
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[13]
Que dire du site du 11/19 à Loos-en-Gohelle - commune frontalière de Lens - lorsque l’on aperçoit ses deux terrils jumeaux, les plus hauts d’Europe ?
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[14]
Au milieu du XVIIIe siècle, la Compagnie des mines d’Anzin s’est équipée de la toute première machine à vapeur installée en France.
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[15]
Les puits du groupe de Lens furent fermés assez rapidement : l’exploitation à la fosse 2 fut arrêtée en 1961, et les derniers puits du groupe furent fermés en 1972.
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[16]
Les tableaux sont librement inspirés des études menées dans le cadre de l’ouvrage Petite entreprise et développement local, publié sous la direction de Colette FOURCADE (1991).
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[17]
Un point important du travail d’AKERLOF montre que le marché sur les voitures d’occasion peut ne pas exister du tout alors que des vendeurs et des acheteurs existent et seraient prêts à faire une transaction, ou que le volume d’échange sera inférieur à ce qu’il aurait été si les informations avaient été distribuées d’une manière symétrique. De même sur le marché du travail, les offreurs de travail qualifiés ou déqualifiés n’obtiennent pas un salaire correspondant à leur compétence et à l’effort engagé en vue d’acquérir les signes scolaires certifiant ceux-ci.
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[18]
Dans l’une des très rares études de réseaux inscrites du côté de la demande, Paul DI MAGGIO et Hughes LOUGH (1998, p. 622), montrent par exemple que 52,4 % des consommateurs américains, confrontés au « Lemon principle » (AKERLOF, 1984), passent par des relations amicales pour acheter des voitures d’occasion à un particulier, 32,8 % pour un achat à un professionnel, et 26,6 % pour l’achat de voitures neuves. Selon les auteurs, « les relations interpersonnelles jouent un rôle crucial dans beaucoup de décisions de consommation - non seulement dans le processus de recherche, mais aussi dans le choix des partenaires d’affaires » (ibid., p. 623).
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[19]
Ronald S. BURT met en avant de manière éclairante les propriétés informationnelles des relations de réseaux. Celui-ci soutient que les réseaux agissent comme un filtre qui dirige, concentre et légitime l’information. Il souligne que les bénéfices informationnels des réseaux se déclinent sous trois formes : access, timing, referrals (BURT, 1992, pp. 13-18).
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[20]
L’OCDE (1998, p. 9) circonscrit assez bien la notion de capital humain qui désignerait « les connaissances, qualifications, compétences et autres qualités possédées par un individu et intéressant l’activité économique ». Pour Ronald S. BURT (1992, p. 8), il renvoie aux « aux qualités naturelles, au charme, à la santé, à l’intelligence, combinées avec les qualifications (…) acquises ». Il possède les mêmes caractéristiques que le capital financier, il est la propriété d’un acteur et est nécessaire « pour transformer les matières premières en un produit compétitif » (ibid., p. 9).
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[21]
Comme le notent GALASKIEWICZ et ZAHEER (1999, p. 245) : « il y a certaines normes, règles et choses considérées comme allant de soi que les acteurs en relation respectent et honorent ». Or, selon James S. COLEMAN (1990), une norme existe lorsque le droit socialement défini de contrôler une action n’est pas détenu par un acteur mais par les autres.
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[22]
Dans nombre d’industries et de secteurs d’activité (films, banques, marché des valeurs, etc.) le statut agit d’ailleurs comme signal de qualité, qui oriente la sélection des partenaires.
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[23]
Nous reprenons ici exactement les expressions employées par les acteurs interrogés lors de nos entretiens.
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[24]
L’étude de Mark GRANOVETTER ([1974], 1995) sur la recherche d’emplois dans la banlieue de Boston nous rejoint sur ce point puisqu’elle ne révèle aucune volonté intentionnelle des acteurs recherchant un emploi d’effectuer des investissements dans certains contacts afin d’acquérir des informations sur de potentielles opportunités. Même dans ses études sur la formation du secteur de l’électricité aux États-Unis, GRANOVETTER et ses collaborateurs (GRANOVETTER, 1990a, pp. 102-107 ; 1994, pp. 89-91 ; GRANOVETTER et MCGUIRE, 1998 ; McGUIRE et al, 1993 ; McGUIRE et GRANOVETTER, 1998, 2003) exposent comment Thomas A. EDISON et son secrétaire personnel Samuel INSULL activent des contacts dans les différentes sphères institutionnelles pouvant être utiles à l’implantation de leur réseau de distribution collectif privé d’électricité. Est donc bien présente l’idée d’un « réseau intentionnel » (purposive networks) (GRANOVETTER, 1992a, p. 51), au sens d’une action coordonnée pour un but spécifique. Néanmoins, s’empressent-ils aussitôt de démontrer que nombre des ressources mobilisées l’ont été indépendamment des efforts d’EDISON et d’INSULL. Voir aussi GRANOVETTER (1999, 2002).