Note
-
[*]
Première version juin 2002, version révisée septembre 2002.
-
[1]
Les tests les plus courants en la matière sont l’Indice I de MORAN, le multiplicateur de LAGRANGE (LM pour LAGRANGE Multiplier) déterminé pour les erreurs (LMERR) et pour l’autorégression (LMLAG), le multiplicateur de LAGRANGE robuste, Robust LMlag et Robust LMerror, sur l’autorégression et sur les résidus ne nécessitant pas la normalité des résidus et le test de KELEJIAN-ROBINSON.
-
[**]
Le chiffre entre parenthèses renvoit à la note en fin d’article.
Introduction
1La configuration des villes est marquée depuis plusieurs décennies par une diminution des densités en leur centre, un accroissement de l’espace occupé par la population et les emplois, repoussant ainsi leurs frontières initiales. Faibles, voire négatifs dans le centre, les taux de croissance de la population deviennent significativement positifs en périphérie (BESSY-PIETRI, 2000). Cet étalement concerne principalement la population et, dans une moindre mesure seulement, les emplois.
2Cette dispersion spatiale des ménages et de certaines activités est source de nombreuses opportunités. Certaines communes situées dans les espaces périurbains, longtemps soumises de manière irrésistible à un exode rural et à un déclin démographique pendant de nombreuses années, enregistrent désormais l’arrivée de nouveaux ménages et dans certains cas d’emplois. Cette migration nécessite et autorise simultanément la mise en place de services aux ménages et la production de biens publics locaux.
3Cet étalement urbain s’accompagne également d’effets négatifs importants. Les migrations alternantes se caractérisent par un recours croissant à la voiture particulière. Même si des progrès significatifs ont été accomplis en termes de consommation énergétique et de réduction de pollution émises par les véhicules, l’augmentation des trafics doublée à un accroissement des distances parcourues annulent largement ces gains unitaires. Cette pollution urbaine imputable majoritairement aux transports contribue de manière significative à une croissance de la morbidité dans la population et du nombre de décès prématurés. En retenant une estimation moyenne, la pollution urbaine est à l’origine de plus de 1 000 morts par an pour 21 villes de plus de 250 000 habitants (Société Française de Santé Publique, 1996). La congestion liée aux déplacements quotidiens est synonyme également de temps perdu dont le coût pour la collectivité est estimé à 2 % du PIB dans les pays d’Europe occidentale (Commission Européenne, 1995). En outre, l’hégémonie croissante de la voiture particulière dans les déplacements quotidiens, nonobstant les investissements importants dans les transports collectifs urbains, réalisés par l’État et les collectivités territoriales, est à l’origine des crises de financement cumulatives que connaissent les autorités organisatrices de transport (MADRE et MAFFRE, 1997 ; TABOURIN, 1998).
4Les solutions à ces problèmes sont principalement recherchées dans le domaine des transports. Elles visent à rendre plus attractifs les transports collectifs par une offre tarifaire diversifiée et une qualité de service en termes de fréquence et de vitesse commerciale accrues. Une réduction de la voirie et, plus largement, une augmentation de la pénibilité des déplacements en voiture particulière viennent renforcer les premières mesures. Enfin dans certaines villes européennes, la tarification de certaines infrastructures sous la forme de péage urbain est envisagée et même dans certains cas déjà instituée.
5Or la physionomie de la ville renvoie aussi aux choix de localisation des ménages et des activités. L’identification des variables explicatives qui concourent à cette nouvelle configuration apparaît indispensable. Quelles sont les forces centrifuges et centripètes à l’origine de cette évolution ?
6Le modèle standard de l’économie urbaine offre un premier cadre d’intelligibilité des choix de localisation des ménages. Il identifie des variables déterminantes dans leur prise de décision. Moyennant des hypothèses, il conclut même à une forme de répartition des densités de population en ne retenant que la seule distance au centre comme facteur explicatif. Cette représentation simplifiée souffre cependant de limites qui appellent des amendements voire un dépassement théorique (1re partie).
7La confrontation au réel de prédictions de ce modèle standard ou des amendements introduits constitue une étape incontournable. L’estimation de formes fonctionnelles sur des données spatialisées se heurte cependant au phénomène de dépendance spatiale et nécessite la mise en œuvre d’outils idoines (2ème partie).
I – Des cadres théoriques d’intelligibilité
8Le modèle standard de l’économie urbaine, appelé également modèle monocentrique, offre un cadre théorique des choix de localisation des ménages. Certaines de ces hypothèses relatives en particulier à l’isotropie de l’espace et l’homogénéité des réseaux de transports et à la localisation des emplois au centre apparaissent fortes et nécessitent d’être relâchées.
1.1 – Le modèle standard de l’économie urbaine
9Il trouve son origine dans les travaux d’ALONSO (1964) et de MUTH (1969) et a connu depuis ces travaux fondateurs de nombreux développements, dont FUJITA (1989) offre une vision synthétique. Il postule l’existence d’un centre d’emplois unique exogène. Tous les points de l’espace se caractérisent par une distance au centre.
1.1.1 – Les concepts et mécanismes
10L’objectif de ce modèle est de déterminer la localisation de résidents. Ces derniers maximisent sous contrainte budgétaire une fonction d’utilité comprenant la superficie du logement, et la consommation d’un bien composite correspondant à l’ensemble des autres biens. Le bien composite en tant que numéraire a un prix égal à l’unité. Le prix du logement est fonction de la distance au centre. Outre ces dépenses, il convient d’intégrer un coût de transport occasionné par les déplacements domicile-travail qui constitue une force de rappel.
11La détermination de la localisation d’équilibre d’un individu représentatif nécessite l’introduction du concept de rente d’enchère qui correspond au prix maximal qu’un individu est prêt à payer à une distance du centre pour obtenir un niveau d’utilité donné. Pour chaque distance au centre, il est possible de déterminer une situation optimale qui se caractérise par une rente offerte et une superficie optimale de logement, consommée par le ménage. La courbe de rente offerte est donnée par la pente de la droite de contrainte budgétaire pour une localisation à une distance du centre et qui est tangente à la courbe d’indifférence pour le niveau d’utilité. La superficie optimale de logement et la quantité de bien composite consommées sont données par l’intersection de la courbe d’indifférence et la droite de contrainte budgétaire. Moyennant certaines hypothèses, on montre que la courbe de rente offerte est décroissante avec la distance en tout point. Le sol est alors affecté à l’individu dont l’enchère est la plus élevée. La courbe de prix du sol sur l’ensemble de la ville est donc la courbe enveloppe supérieure des courbes de rente offerte.
12La courbe de rente foncière permet de dériver la répartition des densités de population. Plus sa pente est faible, plus les localisations périphériques sont privilégiées relativement aux localisations centrales et réciproquement.
1.1.2 – Les facteurs explicatifs des configurations urbaines
13Le modèle standard identifie également des variables déterminantes dans les choix de localisation des ménages.
14Une baisse des coûts de transport génère un effet-prix et un effet-revenu. Une localisation périphérique des ménages est possible avec des coûts de transport plus faibles. Dans le même temps, elle autorise une augmentation du revenu qui induit une croissance de la consommation de logement.
15Les effets d’une hausse généralisée du revenu sont similaires à ceux d’une baisse des coûts de transport. Elle autorise une consommation accrue de logement. Cette consommation supplémentaire suppose cependant que la disponibilité de sols est suffisante, non soumise à des contraintes de zonage. Les politiques d’aides aux logements ou d’accession à la propriété ont des effets similaires à une hausse des revenus. Elles constituent en effet un accroissement du revenu disponible des ménages et favorisent un étalement urbain. Cette incitation à gagner la périphérie est d’autant plus forte que ces aides sont soumises à des conditions de revenus des ménages et des prix du logement, lesquels sont moins élevés en périphérie. Cet étalement urbain n’intervient cependant que si l’élasticité-revenu de la demande de logement est positive et si l’augmentation du revenu n’a pas d’incidence sur les coûts de transport ou que l’élasticité-revenu de la demande de logement est supérieure à celle des coûts de transport par unité de distance.
16Une augmentation de la population se traduit par une extension de la ville, une augmentation du prix du sol et des densités en tout point de la ville mais la pente de rente offerte reste identique. La situation est différente si, à population donnée, la composition des ménages évolue entre les actifs et les inactifs. Ces derniers ne supportent pas de coûts de déplacement qui viennent en réduction du revenu. Mais la diminution du nombre d’actifs se traduit également par un revenu moindre. Dès lors, on montre que si l’élasticité-revenu de la demande de logement est élevée (supérieure à 1) alors la diminution de la demande de logement induite par cette baisse de revenu est plus importante que la baisse du coût de transport. Dans ce cas, les ménages ont tendance à privilégier les localisations centrales aux localisations périphériques. La pente de la courbe de rente offerte augmente. Comme précédemment, la croissance de la rente et la baisse du revenu se traduisent par une hausse des densités en tout point et une frontière urbaine qui se rapproche. En revanche, si l’élasticité-revenu de la demande de logement est faible (inférieure à 1) alors l’effet de la baisse des coûts de transports est plus sensible relativement à la baisse du revenu conduisant les ménages à privilégier les localisations périphériques. La pente de la rente foncière diminue. On a dans ce cas deux forces opposées, la baisse des rentes foncières génère une augmentation de la consommation de logement et une baisse des densités. Mais, simultanément, la baisse du nombre d’actifs du ménage occasionne une baisse de la quantité consommée de logement par la diminution des revenus.
17La répartition des aménités dans l’espace constitue également une force centrifuge ou centripète selon leur nature. Leur prise en compte dans le modèle standard conduit à envisager désormais un espace hétérogène où certains lieux ont des caractéristiques propres (PAPAGEORGIOU, 1973 et 1976 ; DIAMOND, 1980 ; BRUECKNER et al, 1999 ; GOFFETTE-NAGOT, 1999). Ces aménités sont intégrées dans la fonction d’utilité du consommateur. Mais leur consommation n’est pas l’objet d’un paiement direct. Il peut y avoir en revanche des phénomènes de capitalisation de ces aménités dans le prix des biens fonciers. Dans le cas où ces aménités sont relativement plus présentes en périphérie qu’au centre, elles viennent contrecarrer les coûts de transports et participent à un choix de localisation périphérique des ménages. En revanche, si l’attractivité du centre liée à des aménités exogènes (BRUEKNER, THISSE, ZENOU, 1999) est importante relativement à la périphérie, les ménages auront tendance à réduire leur consommation de logement et retiendront une localisation au centre.
1.1.3 – Les conséquences pour l’occupation de l’espace
18Le modèle standard identifie non seulement les variables déterminantes dans le choix de localisation des ménages. Moyennant des hypothèses qui ont évolué dans le temps selon les auteurs (BRUECKNER, 1982 ; PAPAGEORGIOU et PINES, 1989 ; ANAS et KIM, 1992 ; ANAS et al., 2000), relatives à la forme de la fonction de production de logement et celle de la demande de logement, à une distribution de revenus, il en déduit une forme fonctionnelle spécifique de répartition de population dans l’espace la densité de population décline de manière exponentielle avec la distance.
19Cette forme exponentielle s’écrit de la façon suivante : D(x) = D0e–?x, où D(x) est la densité résidentielle, D0 la densité extrapolée au centre de la ville x la distance au centre, et ? le gradient de densité, i.e. le taux de variation de la densité selon la distance au centre. L’interprétation des paramètres de cette fonction est simple. Plus ? est élevé, plus la ville est concentrée. De même, une diminution de ? dans le temps pour une même ville, avec ou sans diminution du paramètre D0, traduit une tendance à l’étalement urbain.
1.2 – Développements
20Le modèle standard de l’économie urbaine est un premier cadre d’analyse des configurations urbaines. Il repose cependant sur des hypothèses lourdes qu’il est nécessaire de relâcher.
1.2.1 – Modèle avec anisotropie de l’espace et hétérogénéité des réseaux de transports
21Pour établir à une relation distance - densité comme le prédit le modèle standard concernant l’occupation de l’espace, il est nécessaire que le coût de transport soit une fonction univoque de la distance au centre. Cela suppose une isotropie de l’espace et une homogénéité des réseaux de transport. Or cette hypothèse est en infraction par rapport à la réalité, caractérisée par une coexistence des réseaux à forte capacité dont le nombre est limité dans l’espace et des infrastructures de plus faible capacité à vitesse réduite.
22Cette absence d’isotropie ne remet pas en cause la relation entre densité et coût de transport. Mais compte tenu du fait que les coûts de transport varient pour des localisations situées à distance égale du centre, la relation entre distance et densité cesse d’être univoque. La relation entre densité et distance est alors la combinaison d’une relation entre densité et coût de transport et d’une relation entre coût de transport et distance.
23Nous avons développé un modèle théorique intégrant cette anisotropie de l’espace et cette hétérogénéité des réseaux de transport. Nous en déduisons une relation dissymétrique entre coût de transport et distance : à distance donnée, les localisations pour lesquelles les coûts de transport sont élevés sont plus nombreuses que celles pour lesquelles ils sont faibles. Plusieurs prédictions ont été déduites de ce modèle théorique concernant en particulier la qualité de la relation entre indicateur d’éloignement et densités, l’existence d’autocorrélation spatiale et la présence d’aléas dissymétriques dans la relation distance – densités (JAYET, PEGUY, 2000).
1.2.2 – Modèles d’équilibre général spatial
24Même si l’ambition d’ALONSO (1964) était d’envisager un équilibre général spatial, le modèle standard en considérant la localisation des emplois au centre comme exogène lors de l’analyse des choix résidentiels des ménages adopte une logique d’équilibre partiel.
25Or la dispersion de la population est susceptible de générer une déconcentration des activités, relatives en particulier à la production de biens et services aux ménages, activités cherchant à développer la proximité avec les résidents. En outre, si certaines firmes sont sensibles aux économies d’agglomération et demeurent localisées au centre, d’autres sont incitées à gagner la périphérie, sous les effets de concurrence pour l’occupation du sol et des effets de congestion au centre.
26Les développements récents des modèles d’économie géographique, substituant au cadre traditionnel de deux régions, celui de l’espace urbain prennent en compte les interactions entre firmes et ménages sur le marché des biens et sur le marché du travail, ainsi que les interactions entre firmes, sous la forme d’externalités technologiques ou d’échanges sur le marché des inputs (on trouvera dans FUJITA (1990), FUJITA, THISSE (1997), DURANTON (1997) ANAS et al., (1998) des revues détaillée de cette littérature).
27FUJITA, et al. (1997) insistent sur le rôle que le marché du travail peut jouer dans la dispersion des firmes, parallèlement à la concurrence pour l’occupation du sol et aux externalités technologiques. Pour ce faire, ils s’intéressent aux conséquences de la localisation d’une firme de taille importante au sein ou en périphérie d’une ville monocentrique où le salaire est déterminé sur un marché local du travail et où des externalités technologiques sont introduites sous la forme d’une décroissance de la productivité de la nouvelle firme avec sa distance aux autres firmes (localisées au centre). La localisation de la nouvelle firme au centre d’emploi entraîne, du fait de la concurrence qu’elle affronte sur le marché du travail, une augmentation du salaire local, susceptible d’attirer de nouveaux ménages vers une localisation résidentielle centrale. À l’inverse, une localisation en périphérie de la ville permet à la nouvelle entreprise d’échapper à la concurrence sur le marché du travail et de réduire le niveau local du salaire. Cette réduction n’empêche pas la localisation périphérique des travailleurs attirés par cette firme, puisqu’ils trouvent à proximité de la firme une concurrence pour l’occupation du sol moins intense qu’au centre. On trouve ici des conditions d’émergence de centres d’emploi secondaires liées au fonctionnement des marchés locaux du travail et à la pression foncière.
28GOFFETTE-NAGOT (1998) propose un modèle de concurrence monopolistique dans lequel les ménages consomment un bien différencié produit à rendements d’échelle croissants et un bien homogène localisé. La force de dispersion est constituée par la consommation de ce bien qui ne peut se faire qu’à un seul endroit. Ce modèle distingue également deux types de firmes, les « firmes manufacturières » et les « firmes distributrices ». Les premières assurent la production de biens intermédiaires différenciés. La technologie retenue est à rendements d’échelle constants. Ces firmes sont supposées être localisées au centre. Les ménages constituent la main-d’œuvre dont elles ont besoin. Les secondes assurent la distribution des biens finis produits par les premières. Ces firmes de distribution sont supposées mobiles. La production se fait à rendements d’échelle croissants. Le transport des biens intermédiaires génère un coût qui est supporté par les firmes de distribution.
29Les ménages supportent des coûts de transport liés aux déplacements domicile-travail et au transport du bien final jusqu’à la firme distributrice. En se localisant en périphérie, les ménages subissent une moindre pression foncière mais supportent des coûts de déplacement domicile-travail importants. À ces coûts s’ajoutent ceux liés au transport des biens finaux, si les firmes de distribution sont restées localisées au centre. Ces dernières en maintenant une localisation centrale minimisent les coûts de transport du bien intermédiaire mais supportent simultanément une concurrence pour l’occupation des sols. En liant le profit des firmes distributrices à la densité de population, la dispersion de la population devient une force d’attraction pour ces firmes, force qui est contrecarrée par les coûts de transport des biens intermédiaires en provenance des firmes manufacturières supposées être localisées au centre.
30Les conclusions issues des simulations réalisées sont en partie proches de celles obtenues dans le cadre du modèle standard. Une baisse des coûts de transport domicile-travail équivaut à une augmentation du revenu. Elle occasionne un étalement urbain caractérisé par une augmentation de la population en périphérie et par une extension de la frontière urbaine. La baisse des coûts de transport des biens finaux se traduit là aussi par un étalement de la population mais la frontière de la ville est identique. Les forces centrifuges n’opèrent sur les firmes distributrices que si la dispersion de la population est suffisante et que si le coût de transport du bien intermédiaire est faible. Une causalité circulaire s’instaure alors avec l’arrivée de nouveaux résidents, sensibles à la localisation de ces emplois en périphérie. Ils constituent à leur tour une force d’attraction pour d’autres firmes.
31Ces différents modèles offrent un cadre d’analyse des choix de localisation des ménages et/ou des activités. Le modèle avec anisotropie de l’espace et hétérogénéité des réseaux de transports que nous avons développé offre un plus grand réalisme que le modèle standard initial. Ils identifient également des variables déterminantes des configurations urbaines. Elles ont trait aux coûts de transport pendulaires des ménages, aux facteurs influençant la demande de logement des ménages comme le revenu, la structure des ménages, à l’attractivité relative des lieux, aux coûts de transport des biens finaux entre les firmes et les ménages, au fonctionnement du marché du travail et à la concurrence entre firmes et ménages sur le marché foncier. Les travaux empiriques auront pour fonction de tester les prédictions théoriques de ces modèles et d’évaluer l’impact de ces différents déterminants dans les configurations urbaines.
II – Estimations économétriques
32Les estimations économétriques que nous avons réalisées partent du constat de la rareté des travaux économétriques menés au niveau des villes françaises. Elles traduisent également la volonté de dépasser les aléas de l’étude monographique menée sur une ou quelques villes et d’adopter une démarche systématique et comparative sur les aires urbaines françaises. Dans un premier temps, les prédictions du modèle standard sur la répartition de la population suivant la distance au centre ainsi que celles issues du modèle intégrant anisotropie de l’espace et hétérogénéité des réseaux de transport ont été testées. Dans un second temps, les tests économétriques mobilisant comme variable explicatives la distance au centre ont été enrichis par l’introduction d’autres déterminants. En outre, travaillant sur des données localisées, la présence de dépendance spatiale a nécessité la mise en œuvre d’outils appropriés.
2.1 – Tests des prédictions du modèle standard et du modèle avec anisotropie et hétérogénéité des réseaux de transport
33La prédiction du modèle standard de l’économie urbaine relative à l’occupation de l’espace a été testée sur 123 aires urbaines (plus de 8 200 communes) telles que l’INSEE les a définies (LE JEANNIC, 1996), pour les quatre derniers recensement de la population (1975, 1982, 1990, 1999).
34Sur la base de ces estimations réalisées pour ces aires urbaines, le suivi du gradient ? dans le temps de la fonction exponentielle négative permet d’évaluer l’étalement urbain. En moyenne, celui-ci décroît de 1,5 % entre 1975 et 1999. Son évolution au sein de cet intervalle de temps est cependant plus erratique. On peut également noter la convergence des résultats obtenus, avec les estimations sur les densités et la population cumulée, sur le lien entre taille des aires urbaines en termes de population, densités au centre et niveau d’étalement. Plus la population des aires urbaines est faible, plus les densités moyennes au centre sont peu élevées et plus l’aire urbaine est concentrée avec des gradients de niveaux importants.
35L’estimation de cette forme fonctionnelle pour les emplois indique une moindre dispersion de ceux-ci dans l’espace relativement à la population. La segmentation de ces emplois en secteurs ou groupes distincts fait apparaître des spécificités. Les emplois de service aux ménages ou emplois de distribution sont davantage déconcentrés que les autres types d’emplois.
36Cependant plus que de chercher et d’estimer de nouvelles formes fonctionnelles susceptibles de rendre compte de l’occupation de l’espace, nous avons opté pour l’exploration de deux pistes de recherche.
37La première vise à tester les prédictions du modèle théorique développé intégrant anisotropie de l’espace et hétérogénéité des axes de transport. Dans cet optique, de meilleurs indicateurs du coût de transport que les distances euclidiennes, traditionnellement retenues dans les estimations économétriques, ont été recherchés. Des distances-réseaux et des distances-temps ont été calculées moyennant des hypothèses de vitesse, de congestion pour 1 600 communes. Les distances réseaux exprimées en km, se distinguent des distances euclidiennes ou à vol d’oiseau en rendant compte des distances effectivement parcourues par les individus en fonction des réseaux de transport existants. Les distances-temps exprimées en minutes renvoient à la durée de déplacement des ménages sur les infrastructures existantes. Souhaitant également prendre en compte l’évolution de l’accessibilité fonction du développement du réseau routier et autoroutier, ce travail de détermination de distance-temps et de distances réseaux a été entrepris non seulement pour l’année 1990 mais aussi pour 1975 avec une reconstitution de l’avancement des différentes infrastructures.
38Les résultats des ajustements réalisés avec la fonction exponentielle négative sur les densités en retenant les distances réseaux et les distances-temps apparaissent significativement meilleurs que ceux privilégiant les seules distances euclidiennes.
39Compte tenu de la difficulté de déterminer de meilleurs indicateurs de coûts de transport et de la facilité d’utilisation des distances euclidiennes pour des travaux économétriques, une deuxième piste de recherche a été explorée. Elle vise à estimer une répartition de la population en fonction de distances euclidiennes en mobilisant des frontières inversées. À notre connaissance, cette démarche n’a jamais été envisagée sur des densités de population. Elle permet de prendre en compte un aléa dissymétrique et offre en cela des résultats significatifs pour différentes aires urbaines pour 1975, 1982, 1990 et 1999.
40Ces estimations retenant des indicateurs de coût de transport plus probants que les distances à vol d’oiseau ainsi que celles réalisées avec des frontières inversées ne viennent pas infirmer, dans une perspective poppérienne, les prédictions du modèle que nous avions développé avec anisotropie de l’espace et hétérogénéité des réseaux de transport.
41Ces estimations aux résultats significatifs demeurent encore imparfaites. Un double effort est à produire pour, d’une part, intégrer l’autocorrélation spatiale éventuellement présente dans ces ajustements et, d’autre part, pour introduire d’autres variables explicatives des configurations urbaines que la seule distance au centre.
2.2 – Un double effort : prise en compte de l’autocorrélation spatiale et enrichissement du modèle standard
42L’introduction de l’espace dans l’analyse oblige à intégrer une éventuelle interaction spatiale entre les variables. « L’autocorrélation spatiale traduit l’idée que les valeurs prises par une variable aléatoire X dans un ensemble de zones géographiques ne sont pas disposées au hasard, mais sont souvent proches pour deux observations spatiales voisines » (JAYET, 1993, p. 53). La littérature sur cette question est importante (ANSELIN, 1988 ; JAYET, 1993 ; ANSELIN et FLORAX, 1995 ; JAYET, 2001 ; LE GALLO, 2001).
43Les tests statistiques sur les ajustements réalisés avec les moindres carrés ordinaires (MCO) sur les fonctions de densités indiquent la présence d’autocorrélation spatiale et imposent la mise en œuvre des outils de l’économétrie spatiale. L’existence de procédures sur la base de tests statistiques [1] [**] permet non seulement d’apprécier la nature de l’autocorrélation mais aussi de sélectionner parmi les trois types de modèles de l’économétrie spatiale, le modèle spatial autorégressif, le modèle spatial avec autocorrélation des résidus et le modèle spatial combinant les deux, le modèle autorégressif avec autocorrélation des résidus, le modèle le plus approprié.
44La prise en compte de ces effets nécessite également la détermination d’une matrice W qui restitue les interactions entre les observations. Une forte interaction entre les observations i et j se traduira dans cette matrice de poids par un terme wij non nul.
45Ainsi, dans un premier temps, des estimations d’un modèle spatial avec autocorrélation des résidus avec la fonction exponentielle négative sur des densités pour les 123 aires urbaines françaises précédemment sélectionnées sur les 4 derniers recensements 1975, 1982, 1990 et 1999 ont été menées. Deux types de matrice d’interaction, W1 correspondant à une interaction inversement proportionnelle à la distance entre les centroïdes et W2 où l’interaction inversement proportionnelle au carré de la distance entre les centroïdes.
46La confrontation des résultats obtenus suivant les MCO, sans prise en compte de l’autocorrélation spatiale et ceux réalisés par le maximum de vraisemblance, intégrant l’autocorrélation spatiale indique que le sens de variation du gradient n’est pas remis en cause sur la période 1975-1999. Cependant l’intensité de variation de l’étalement urbain sur la période apparaît plus faible et des variations au sein de cet intervalle de temps sont opposées.
47Dans un deuxième temps, nous avons procédé à des estimations d’un modèle spatial autorégressif avec autocorrélation des résidus (SARMA) sur un échantillon réduit pour les communes appartenant à des petites et des grandes aires urbaines pour 1982 et 1990. Outre la distance au centre, d’autres variables issues du modèle standard telles que les revenus des ménages, le niveau d’équipements, la présence d’aménités naturelles significatives, la taille de la commune centre, le taux d’activité, la présence d’emplois totaux et d’emplois de « distribution » (services aux ménages) conduisent à des résultats conformes aux prédictions théoriques.
48L’introduction de ces variables dans le modèle spatial combinant autocorrélation des résidus et autorégression assurent des gains en termes d’ajustements statistiques relativement aux ajustements réalisés suivant les MCO et ceux fondés sur la seule distance au centre.
49Le passage des estimations avec des MCO à celles avec dépendance spatiale a des effets différents selon les tailles des aires urbaines. Pour les grandes (+150 000 hab.), l’intégration de la dépendance spatiale modifie uniquement les coefficients des facteurs. Pour les communes des petites aires urbaines, ce changement porte également sur la significativité des variables. La variable population de la commune centre comme celle sur le taux d’activité ne l’est plus dans le cadre du modèle SARMA.
50Pour les variables elles-mêmes, indépendamment des années 1982 ou 1990, des types de matrices d’interaction retenues et des types d’aires urbaines, certaines d’entre elles apparaissent comme très significatives, comme le niveau d’équipements et de services des communes, l’existence d’aménités naturelles, le coût de transport. Les signes de ces variables sont conformes à ceux attendus. En particulier, on retrouve une baisse des densités, qui s’accentue entre 1982 et 1990, à mesure que les coûts de transport augmentent. L’impact de ces variables sur les densités est également non négligeable.
51Des spécificités interviennent cependant selon la taille des aires urbaines. L’impact du niveau des équipements sur les densités est plus significatif pour les communes des grandes aires urbaines que pour les communes des petites aires urbaines. Cette situation est inversée pour l’incidence des aménités naturelles. La taille de population de la commune centre n’apparaît comme structurante que pour les communes des grandes aires urbaines. Le revenu moyen des ménages a contrario n’est significatif que dans le cas des communes des petites aires urbaines pour les deux années envisagées.
52L’introduction de variables liées à l’emploi dans des modèles SARMA assure là aussi un gain dans la qualité des ajustements produits par rapport au MCO. Par rapport aux estimations n’intégrant que des variables correspondant aux déterminants du modèle standard, ce gain est effectif pour les emplois de distribution pour les deux types d’aires urbaines. Pour les emplois totaux, il ne l’est que pour les communes des petites aires urbaines. L’hypothèse émise d’un impact différencié selon les emplois sur les densités de population semble ne pas être infirmée.
Conclusion
53Les estimations réalisées aboutissent à des résultats significatifs. Les différentes prédictions du modèle standard de l’économie urbaine ainsi que du modèle développé avec anisotropie de l’espace et hétérogénéité des réseaux de transport ne se trouvent pas infirmées dans une perspective poppérienne.
54Le dépassement de certaines limites relatives à cette recherche est nécessaire en particulier dans le test de méthodes d’estimations avec d’autres matrices d’interaction et dans une prise en compte plus fine des interactions populations – activités.
55Enfin, si l’objectif est la recherche de villes plus compactes, aux densités plus élevées, les leviers à actionner seraient à rechercher en particulier dans la limitation des gains de temps et dans une politique de localisation des équipements. Cependant, au préalable, se pose une question plus large : le consensus autour de la densification comme « panacée » est-il bien fondé ?
Bibliographie
Bibliographie
- ALONSO W., 1964, Location and Land Use, Cambridge, Mass., Harvard University Press.
- ANAS A., ARNOTT R., SMALL K.A., 2000, « The panexponential monocentric model », Journal of Urban Economics, n° 47, pp. 165-179.
- ANAS A., KIM I., 1992, « Income distribution and residential density gradient », Journal of Urban Economics, n° 31, pp. 164-180.
- ANSELIN L. FLORAX R., 1995, « Small properties of tests for spatial dependence in regression models », in ANSELIN L., FLORAX R., (eds), New Directions in Spatial Econometrics, Springer, Berlin, pp. 21-74.
- ANSELIN L., 1988, Spatial Econometrics: Methods and models, Kliwer Academic Publishers, 284 pages.
- BESSY-PIETRI P., 2000, « Les formes récentes de la croissance urbaine », Économie et Statistiques, n° 336, pp.35-52.
- BRUECKNER J.K., 1982, « A note on sufficient conditions for negative exponential population densities », Journal of Regional Science, n° 22, pp. 353-59.
- BRUECKNER J.K., THISSE J.-F., ZÉNOU Y., 1999, « Why is central Paris rich and downtown Detroit poor ? An amenity-based theory », European Economic Review, n° 43, pp. 91-107.
- Commission Européenne, 1995, Vers une tarification équitable et efficace dans les transports. (Livre vert), Bruxelles, Com 95-691.
- DIAMOND D.B., 1980, « Income and residential location: Muth revisited », Urban Studies, n° 17, pp. 1-12.
- DURANTON G., 1997, « La nouvelle économie géographique : agglomération et dispersion », Économie et Prévision, n° 131, pp. 1-24.
- FUJITA M., 1989, Urban economic theory, New-York, Cambridge University Press, 366 pages.
- FUJITA M., 1990, « Spatial Interactions and Agglomeration in Urban Economies », in CHATTERJI M., KUENNE R.E., (eds), New Frontiers in Regional Science, Londres, MacMillan, pp. 184-221.
- FUJITA M., THISSE J.-F., 1997, « Économie géographique, problèmes anciens et nouvelles perspectives », Annales d’Économie et de Statistique, n° 45, pp. 37-87.
- FUJITA M., THISSE J.-F., ZENOU Y, 1997, « On the Endogenous Formation of Secondary Employment Centers in a City », Journal of Urban Economies, n° 41, pp. 337-357.
- GOFFETTE-NAGOT F., 1998, Croissance et configurations des aires urbaines, Papier présenté aux 5emes journées « Méthodes et théories en sciences régionales », Les Diablerets (Suisse), 8-10 janvier 1998.
- GOFFETTE-NAGOT F., 1999, « Urban spread beyond the city edge », in HURIOT J.-M., THISSE J.F. Economics of Cities, New-York, Cambridge University Press.
- JAYET H., 2001, « Économétrie et données spatiales : une introduction à la pratique », Cahiers d’Économie et de Sociologie Rurales, n° 58-59, pp. 105-129.
- JAYET H., PÉGUY P.-Y., 2000, Densités urbaines, distances et coûts d’accès au centre, Colloque ASRDLF « Développement régional, économie du savoir, nouvelles technologies de l’information et de la communication », Crans-Montana (Suisse), 69 septembre, 23 pages.
- LE GALLO J., 2001, « Économétrie spatiale: l’autocorrélation dans les modèles de régression linéaire », Économie et Prévisions, à paraître.
- LE JEANNIC T., 1996, « Une nouvelle approche territoriale de ville», Économie et Statistique, n° 307, pp. 21-42.
- MADRE J.-L., MAFFRE J., 1997, « La mobilité des résidents français. Panorama général et évolution », RTS, n° 56, juillet-septembre, pp. 9-25.
- MUTH R. F., 1969, Cities and housing: the spatial pattern of urban residential land use. Chicago, University of Chicago Press.
- PAPAGEORGIOU Y.Y., 1973, « The impact of the environment upon the spatial distribution of population and land values », Economic Geography, n° 49, pp. 251-256.
- PAPAGEORGIOU Y.Y., 1976, « Urban spatial analysis : 1. Spatial consumer behaviour », Environment and Planning A, n° 8, pp. 423-442.
- PAPAGEORGIOU Y.Y., PINES D., 1989, « The exponential density function : first principles, comparatives statics and empirical evidence », Journal of Urban Economics, n° 26, pp. 264-268.
- PÉGUY P-Y., 2000, Analyse économique des configurations urbaines, Thèse de doctorat en Sciences Économiques, Laboratoire d’Économie des Transports, Université Lumière Lyon 2, soutenue le 20 décembre 2000, 489 pages.
- Société Française De Santé Publique, 1996, La pollution atmosphérique d’origine automobile et la santé publique. Bilan de 15 ans de recherche internationale, Collection Santé et Société, n° 4, mai, 251 pages.
- TABOURIN E., 1998, Le modèle QUIQUIN actualisé à l’horizon 2005 sur l’agglomération lyonnaise, rapport LET pour le SYTRAL, 92 pages.
Mots-clés éditeurs : aires urbaines françaises, économétrie spatiale, modèle standard de l'économie urbaine, étalement urbain, densités
Mise en ligne 01/04/2012
https://doi.org/10.3917/reru.024.0521Note
-
[*]
Première version juin 2002, version révisée septembre 2002.
-
[1]
Les tests les plus courants en la matière sont l’Indice I de MORAN, le multiplicateur de LAGRANGE (LM pour LAGRANGE Multiplier) déterminé pour les erreurs (LMERR) et pour l’autorégression (LMLAG), le multiplicateur de LAGRANGE robuste, Robust LMlag et Robust LMerror, sur l’autorégression et sur les résidus ne nécessitant pas la normalité des résidus et le test de KELEJIAN-ROBINSON.
-
[**]
Le chiffre entre parenthèses renvoit à la note en fin d’article.