Notes
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[1]
Faisaient partie du jury Mesdames les professeurs Sophie de Mijolla-Mellor, Mareike Wolf-Fedida, Colette Rigaud et Messieurs les professeurs Claude de Tichey et Yves Clot, un jury représentatif au regard des références épistémologiques que je viens de rappeler.
Devenir sujet dans la modernité
1De l’identification à l’identité. Psychologie clinique et psychanalyse
2Habilitation à diriger des recherches soutenue par Luc RIDEL le 15 octobre 2003
3dirigée par le Pr Mareike Wolf-Fedida
4Composition du jury :
5Sophie de Mijolla (président)
6Claude de Tichey, Colette Lhomme Rigaud (rapporteurs)
7Yves Clot, Mareike Wolf (membres)
8Comme pour toute HDR, l’objectif de celle-ci a été de regrouper, en les finalisant, l’ensemble de mes recherches et d’expliciter, ce faisant, mes positions et références épistémologiques. Certains de ces travaux demandaient, en effet, à repenser les distinctions et articulations nécessaires, telle que Freud en a montré la voie dans ses « Essais de psychanalyse », entre la psychanalyse et une psychologie clinique, nécessairement collective sinon sociale.
9C’est pourquoi entre les différentes orientations de l’UFR Sciences Humaines Cliniques où je travaille actuellement, j’ai retenu après m’être informé concrètement des orientations actuellement existantes, celle intitulée « Interactions de la psychanalyse » dirigée par le Professeur Sophie de Mijolla-Mellor [1].
10Si la psychanalyse concerne les pulsions inconscientes et les structures psychiques, la psychologie clinique prend en compte les inter-relations, la situation et le contexte significatif qui est le nôtre aujourd’hui. Il lui revient dès lors de décrypter et de penser, dans une perspective clinique, celui au sein duquel nous nous trouvons aujourd’hui situés, à savoir celui de la modernité.
11Une modernité précisément caractérisée par un malaise dans l’identification, non qu’il s’agisse du processus même puisque celui-ci est en quelque sorte atemporel mais les figures susceptibles de constituer les modèles et étayages pour d’indispensables identifications, ce que traduit l’aphorisme suivant : « rien n’est plus aujourd’hui évident, rien ne va de soi. »
12Et cependant, le projet de la psychanalyse tout autant que de la psychologie clinique c’est bien de promouvoir ce « devenir sujet », un sujet considéré comme un être de désir, de parole et de projet qui puisse disposer de références et de repères. Sont dés lors envisagés, dans ce texte, ce sujet, son identité, sa construction, sa subjectivation, en nous focalisant sur les processus et la processualité souvent complexe et dialectique qui lui permet de réaliser son projet. On précisera simplement que le concept de sujet ne signifie pas la même chose en psychanalyse et en psychologie clinique. Leur objet ne se superpose pas.
13Pour la psychanalyse, en effet, considérant le rapport du sujet à son ou ses objets, ce n’est pas l’objet en tant que tel qui est visé par cette discipline mais la pulsion et donc le sujet du désir inconscient comme nous le dévoile l’histoire des identifications successives. L’écoute des avatars de ces diverses relations d’objet, que confirme le développement et les modalités du transfert, n’est qu’un détour par l’objet afin que le patient en sache un peu plus sur cet insaisissable objet de son désir, c’est-à-dire sur lui-même en tant que sujet divisé et conflictuel.
14La psychologie clinique, de son côté, reconnaîtra, dans la construction du sujet, mais il s’agit ici d’un autre sujet, la place qui revient aux interactions, interrelations et relations d’objet donc à l’altérité et au contexte, aux situations et donc à la modernité.
15Ainsi, au-delà des précautions que Freud se sentait obligé de prendre pour bien spécifier l’objet qu’il mettait en évidence à savoir l’inconscient, nous pouvons désormais tirer profit d’une référence conjuguée à la psychanalyse et à la psychologie clinique pour étudier des objets de recherche qui ont constitué dans mes travaux des objets d’étude et des centres d’intérêt tels la et les crises, la violence, l’identité, la précarité, l’exclusion ou le projet. « Le projet, ainsi que l’écrit Piera Aulagnier, est ce qui, sur la scène du conscient, se manifeste comme effet des mécanismes inconscients propres à l’identification ». Cette perspective valide une nécessaire double lecture des objets de recherche qui ont été et sont toujours les miens et que je vais maintenant rappeler en me référant aux notions particulièrement heuristiques de représentations et de processus.
16Telles qu’elles nous sont apparues après analyse des processus qui les animent, les crises constituent une expérience bouleversante. Chacune des composantes de l’ensemble considéré, personne, organisation, semble développer des systèmes de représentations parallèles. La crise se traduit alors par un effondrement, une perte de sens et la disparition des règles du jeu qui avaient jusque-là prévalu. Cet état de fait rend impossible toute confrontation et donc tout conflit, renvoyant chacun, s’il s’agit d’un sujet individuel ou chacune des parties s’il s’agit d’un ensemble social, à son isolement et à son impuissance.
17L’analyse du déroulement de diverses crises nous a permis dans une perspective longitudinale, d’identifier trois moments : un premier qui est décrit comme celui d’une absence apparente de conflits c’est-à-dire celui d’une espèce d’âge d’or, le second est celui du malaise, c’est celui des pressentiments et de l’angoisse concernant l’advenir, celui au cours duquel on cherche à identifier ce qui se passe, c’est avec l’indécision qui le caractérise, le temps de la véritable souffrance. La crise proprement dite ne serait alors que le moment du dévoilement, celui où alternent fusion et fission, indécision, mêlant contradictoirement comme l’évoque l’idéogramme chinois qui le signifie, catastrophe et espérance.
18Cette recherche a conduit à préciser la distinction indispensable à effectuer entre les notions de crise, telle que nous venons de la définir et celle de conflit qui lui est fréquemment associée. Le conflit se développe au contraire à l’intérieur de règles du jeu qui continuent à exister même si elles se trouvent malmenées. L’autre y est toujours perçu comme tel. Il est un protagoniste, un partenaire ou un adversaire qui demeure malgré le différent qui oppose, quelqu’un avec lequel on a envie ou besoin d’avoir affaire par le recours à la négociation et au compromis. La reconnaissance malgré tout ou l’ignorance de l’autre distinguent ainsi le conflit et la crise, distinction que l’on retrouvera avec les notions de violence et d’agressivité, d’envie et de jalousie.
19La recherche intitulée « Identité professionnelle, identité de sexe et Sida » réalisée au sein de l’univers carcéral, a permis de montrer que ceux des surveillants qui « s’en tiraient » le mieux étaient ceux qui se montraient capables de construire, au sein d’un univers de rapports de force et de violence, un rapport « humain », de gré à gré, énonçant en clair : « Tu es détenu et moi, le surveillant, on en obligé de vivre ensemble. Si tu me reconnais et que tu me respectes, je te reconnaîtrai et je te respecterai. » Ainsi pouvaient se construire ou se reconstruire, au sein de rapports a priori antagonistes, de véritables rapports humains. Et d’ailleurs ceux-ci représentaient de surcroît, ici et maintenant plutôt qu’au-delà de la détention, un travail éducatif ayant comme projet une « reconnaissance » mutuelle, particulièrement pertinente !
20Une seconde situation examinée pour le travail qu’elle propose sur le « devenir sujet dans le contexte de la modernité a été celle du « Diplôme Universitaire de formateurs d’adultes » que je conduis, au sein de l’UFR, depuis maintenant une douzaine d’année. Y est mis en évidence la processualité du parcours et la dialectique identitaire qui s’y développe.
21Luc RIDEL
225 rue Nicolas Charlet - 75015 Paris
23Mots-clés : Crise – Modernité – Identité – Identification – Sujet – Subjectivation.
24Key-words : Crisis – Modernity – Identity – Identification – Subject – Subjectivation.
Parcours, questionnements
25Habilitation à diriger des recherches soutenue
26par Luiz Eduardo PRADO DE OLIVEIRA le 13 janvier 2003
27dirigée par le Pr Sophie de Mijolla-Mellor
28Composition du jury :
29François Richard (président)
30Serge Lesourd (rapporteur)
31Angela Coutinho, Julien-Daniel Guelfi, Alain Vanier (membres)
32Sophie de Mijolla-Mellor (directeur)
33Le mémoire en vue d’une habilitation à diriger des recherches que j’entends soutenir est divisé en cinq parties, dont certaines présentent leurs propres sous-divisions.
341°) Une « autobiographie intellectuelle », déjà prête, sous le titre de « Parcours : questionnements ».
352°) Une analyse critique de mes travaux publiés, sous-divisée en quatre parties :
362.1. Les études à partir de l’analyse comparative de l’article de Freud au sujet des Mémoires d’un névropathe, de Daniel-Paul Schreber, et ce livre lui-même, mettant en relief ce que Freud a pu y lire, ce qu’il n’a pas pu y lire, la genèse de ses thèses qu’il présente alors et les sources d’inspiration de Schreber lui-même. Ceci constitue l’essentiel de mes livres Schreber et la paranoïa : le meurtre d’âme, de 1996, et Freud et Schreber : les sources écrites du délire, entre psychose et culture, de 1997.
372.2. Les études au sujet de la paranoïa à partir de Freud. En effet, dans son autobiographie, Schreber ne présente pas un véritable cas de paranoïa, mais un tableau clinique beaucoup plus complexe, que même le diagnostic de « démence paranoïde », hérité de Kræpelin ne semble pas à même de saisir. Le livre de Schreber est pionnier de la description d’une dynamique de la psychose, qui l’amène de la catatonie au travestisme, accompagné de fantasmes transsexuels parallèles à des formations obsessionnelles et à une bonne intégration sociale. En ce sens, il est exemplaire d’une évolution psychotique spontanée, sans médicaments. Dans le titre de son article, Freud retient le diagnostic de « démence paranoïde », mais dans son texte lui-même il le traite comme un cas de paranoïa. À ce titre, il est intéressant de faire un relevé des cas de paranoïa étudiés par Freud et de les comparer à celui de Schreber. Cela rend également possible le questionnement des quatre formules descriptives du refoulement et du retour du refoulé proposées par Freud. Ceci constitue l’essentiel de deux de mes articles : « Schreber, Mesdames, Messieurs », paru dans la Revue française de psychanalyse, et « La libération des hommes », paru dans les Cahiers Confrontation. Un dernier article les complète : « Words eaten with love », paru dans Art & Text, a + t.
382.3. L’élargissement des compréhensions acquises à l’approche clinique des psychoses, où le repérage du contre-transfert est progressivement affirmé. Ceci paraît dans des nombreux articles, publiés entre 1986, dans la Nouvelle revue de psychanalyse ou dans les Cahiers Confrontation, et 1999, dans Le Divan familial.
392.4. À partir de la traduction des Controverses entre Anna-Freud et Mélanie Klein, je remarque la très forte incidence de la vie institutionnelle des psychanalystes sur la théorie qu’ils élaborent. La logique interne propre à l’articulation de quelques concepts clés sur lesquels ils travaillent se trouve marquée par les enjeux des institutions auxquelles ils participent. Ainsi, Mélanie Klein part à la recherche de nouvelles articulations des concepts freudiens avec ceux de Ferenczi, d’Abraham ou de Tausk. Cependant, son affrontement avec Anna Freud, l’amène à rigidifier sa théorie et à refuser d’admettre la notion de contre-transfert.
403°) Le raffermissement théorique d’anciennes pistes de recherche et le développement de nouvelles, qui mûrissent depuis peu.
41Ainsi, ce qui se formule progressivement est une clinique des psychoses qui tient à la fois des thèses de Piera Aulagnier et de François Perrier, à partir du Schéma I de Lacan, des thèses kleiniennes sur l’élaboration œdipienne précoce et de quelques textes souvent négligés de Freud. Les concepts essentiels de cette approche, en l’état actuel de mon parcours, sont ceux de palimpseste, que j’expose sans l’avoir encore théorisé, et de vestige, approfondi par Sophie de Mijolla-Mellor.
42Un autre axe de recherche que je propose à l’École doctorale Recherches en Psychanalyse est celui de l’articulation clinique de la notion de contre-transfert et celle de l’étude de la vie institutionnelle des psychanalystes, à partir de l’étude historique des analyses conduites par Freud telles qu’elles apparaissent non seulement dans ses textes majeurs, mais aussi dans ses correspondances. Cette étude historique porte aussi sur les exemples fournis par d’autres auteurs, contemporains de Freud ou postérieurs à lui, pour aboutir aux cas que j’expose dans mes derniers articles.
43Ce qui apparaît et qui reste à développer est un questionnement de la technique psychanalytique communément admise. Ma propre auto-analyse de mon parcours institutionnel m’amène à questionner l’incidence de l’histoire de l’institutionnalisation de la psychanalyse sur la formalisation de ce qui deviendra la « cure type ». Ce troisième axe de recherche que je propose également à l’École doctorale obéit à des orientations qui apparaissent dans des articles restés à ce jour inédits en français, ainsi que dans certains articles parus intégralement ou dans une première version en français. Comme exemple des premiers, je cite « Little Jeremy’s struggle with autism, schizophrenia and paranoïa » (« Le petit Jérémie en lutte contre l’autisme, la schizophrénie et la paranoïa »), paru d’abord dans l’International Forum for Psychoanalysis et dans la Revista Latino-Americana de Psicopatologia Fundamental en 1999, avant de connaître un autre développement dans A Language for Psychosis : The Psychoanalysis of Psychotic States, l’année d’après, ou encore « Sarah e os campos : clínica, metapsicologia e contra-transferencia » (« Sarah et les camps : clinique, métapsychologie et contre-transfert »), publié dans Psicologia Clínica, en 2000, à paraître en deux différentes versions en français. Comme exemple des seconds, je cite « Le contre-transfert et les origines de la technique analytique », publié par Sophie de Mijolla-Mellor dans Les femmes dans l’histoire de la psychanalyse ou le développement intégral, enrichi d’exemples cliniques, de « O conceito de Outro e a abordagem das psicoses » (« Le concept d’Autre et l’approche des psychoses »), paru dans Controvérsias em psicanálise, en 1999, après avoir connu une ébauche faible sous le titre de « Autre », paru dans Esquisses Psychanalytiques, en 1988, ainsi que « Le secret des lettres : incidences sur les cures des fantasmes relatifs l’institution psychanalytique », paru au Coq-Héron.
44Ce double axe de recherche porte, d’une part, sur une étude de la technique psychanalytique employée par Freud dans chacun des cas cliniques qu’il expose, et non seulement à partir de son œuvre théorique, mais aussi à partir de sa correspondance, d’autre part, liée à la progression de l’institutionnalisation de la psychanalyse à travers ses crises récurrentes.
45Ce sont là les propositions de recherche, de séminaires, d’interventions dans des séminaires ou de direction de thèses que je peux apporter actuellement à l’École doctorale Recherches en psychanalyse, à savoir, pour les résumer, « Questions préliminaires à toute approche psychanalytique des psychoses aujourd’hui », « Questions critiques au sujet de la technique psychanalytique après un siècle de son exercice » et, enfin, « L’ombre de l’institution psychanalytique sur la cure individuelle menée par les analystes qu’elle reconnaît ». Dans ce dernier thème, d’autres questions auraient leur place, comme celle de différentes conceptions de la « subjectivité », en reprenant pour l’essentiel la disparité entre les conceptions éminemment matérialistes, telles celles de Freud et de Marx, et toutes les autres, qui débouchent en fin de compte sur l’ésotérisme ; ou encore celle des multiples articulations entre le collectif et la cure individuelle, qui apparaît aussi néanmoins parmi les questions au sujet de l’approche possible des psychoses.
46Luiz Eduardo PRADO DE OLIVEIRA
47107 rue Mouffetard - 75005 Paris
48Mots-clés : Psychose – Transfert – Contre-transfert – Formation des analystes.
49Key-words : Psychose – Transference – Counter-transference – Analytical training.
Géopsychanalyse du sujet
50Habilitation à diriger des recherches soutenue par Fethi BENSLAMA le 10 décembre 2003
51Directeur : Madame le Professeur Danièle Brun
52Composition du jury :
53Alain Vanier (président)
54Michèle Bertrand, Roland Gori (rapporteurs)
55Paul-Laurent Assoun,
56Danièle Brun (directeur)
57Jean-Luc Nancy
58Le document de synthèse présente deux parties. La première expose les champs d’investigations antérieurs, que je me propose de continuer et de prolonger par de nouvelles formulations, développées dans la deuxième partie.
59Cette division m’a permis d’abord, de retracer un cheminement qui commence très tôt avec la rencontre de la psychanalyse en Tunisie, à travers la lecture de la Science des rêves de Freud traduite en arabe par Moustapha Safouan ; rencontre qui fut décisive dans mon expatriation en vue d’études psychanalytiques à l’Université Paris 7. La formation clinique que j’y ai reçu, puis l’entrée dans la recherche en psychiatrie adulte, m’a amené assez rapidement à m’intéresser aux états délirants de patients venant du Maghreb. Par la suite, mon champ d’exploration s’est étendu à l’observation des effets subjectifs de l’exil sur plusieurs générations dans la banlieue Nord de Paris, où mes recherches en psychopathologie ont trouvé leur ancrage pratique et théorique.
60Simultanément, le contexte d’une crise historique majeure dans le monde musulman, avec ses retentissements sur le plan international, et jusqu’au terrain même où je travaillais, m’a conduit à entreprendre une recherche sur la généalogie symbolique du sujet en islam, afin d’approcher la nature exacte de cette crise et d’en comprendre les effets sur les femmes, les hommes et les adolescents que je rencontrais dans la pratique clinique.
61Le lien entre ces deux aspects s’est progressivement dégagé autour de la question de l’extension des processus de la modernité au sujet dans le monde ; processus qui affectent les enracinements signifiants de la vie psychique individuelle, autant que leurs appartenances aux psychés de masse.
62Le titre : Géopsychanalyse du sujet vient d’une part, désigner cette dimension effective d’une recherche où la psychanalyse a permis d’éclairer des figures du sujet dans des lieux, dans des sites langagiers, dans des situations actuelles différentes, précipitées dans le mouvement historique de la modernité étendue au monde. D’autre part, il indique la tentative et le projet, esquissé dans la deuxième partie, de formuler une nouvelle construction problématique, en tenant compte à la fois des acquis et des avancées de la recherche psychanalytique sur un plan général.
I – Le diwan occidental : parcours, détour
63Diwan : ce terme fait signe à Goethe qui désigna ainsi le lieu d’écriture d’un rapprochement entre l’Occident et l’Orient, où je me suis placé par mon parcours dans la fonction d’interprète de leur discorde, à partir de la psychanalyse.
64Ce parcours commence par une étude dans le champ de la psychose, sur les bouffées délirantes des migrants maghrébins hospitalisés en psychiatrie, vers la fin des années 1970. La particularité de leurs délires m’a conduit à établir des rapprochements avec le langage des mythes, puis de là, à m’engager dans une recherche sur les rapports entre psychopathologie et anthropologie, entre psychisme et culture. Alors que mes recherches cliniques sur l’exil commençaient à partir d’une consultation de l’Aide sociale à l’enfance en Seine-Saint-Denis, la question de l’islam envahissait les devants de la scène mondiale. J’en constatai d’une part, les résonances chez mes patients, et d’autre part, les effets d’obscurcissement intellectuel pour tous, tant sa gravité s’avérait grande. C’est en tant que chercheur et psychanalyste que j’ai décidé d’y répondre, en engageant une étude sur les fondements du langage et de la parole aux origines de l’islam, telles que les retrace sa mémoire textuelle. Cette recherche donnera lieu à un premier ouvrage intitulé : La Nuit brisée (Ramsay, 1988), qui constitue une première approche de la généalogie du sujet en islam.
65Mes travaux sur l’exil sont au centre de mes recherches cliniques. Le terme d’exil n’était pas d’usage dans notre discipline à l’époque (fin des années 80). En l’introduisant avec un groupe de chercheurs autour de la revue Intersignes (créé en 1990), de préférence à celui d’immigration dont la connotation sociologique envahissait tout le champ du discours, nous avons voulu marquer une spécificité qui repose sur les considérations suivantes : la clinique nous montrait que l’expérience du déplacement pour un sujet, bouleverse l’ensemble de ses rapports à son existence, et met en jeu des processus psychiques normaux-anormaux qui peuvent enclencher un cours pathologique, sous certaines conditions subjectives. Cette dimension n’était pas reconnue à l’homme déplacé, puisque la logique du discours « migrant » était une logique adaptative, et parfois négatrice de la singularité de son destin psychique, sous les dehors de la reconnaissance de son identité culturelle, qui en faisait un exemplaire de sa communauté. L’exil qui désigne le fait du hors lieu (ex-il), nous a permis de nommer plus rigoureusement, la portée de cette expérience, en tant qu’elle met en question dramatiquement le rapport du sujet psychique, au lieu. Par la suite, nous avons étudié les processus de transmission de ces avatars de l’exil, sur la génération suivante des enfants et des adolescents qui en deviennent les héritiers à leur insu.
66Les travaux sur les incidences subjectives de l’exil se sont développés dans un contexte collectif et urbain, bouleversé par une crise à multiples facettes qui a affecté tout le réseau historique des institutions et des idéalités constitutives du sujet européen moderne, depuis la seconde guerre mondiale. On ne pouvait dès lors ignorer cet aspect, aussi bien sur le plan des mécanismes qui installent des machines à produire la déchéance humaine propre aux sociétés ultra-modernes, que dans l’ordre du discours qui les accueille, par exemple sous la catégorie de « l’exclusion », pour proposer un savoir et une technologie de réparation, de réinsertion, de correction. Je me suis également intéressé au problème de l’errance des jeunes et aux violences impulsées par les haines identitaires.
67Parallèlement, mes recherches dans le domaine de la santé m’ont amené à mesurer l’importance des savoirs et des techniques biologiques et médicales dans la mutation qui produisit le sujet moderne.
68J’ai également retracé succinctement, les résultats de mes recherches sur une quinzaine d’années concernant la généalogie du sujet en islam, qui se sont concrétisées par un ouvrage récemment paru : La Psychanalyse à l’épreuve de l’islam (Aubier, 2002). L’islam était resté en effet, à l’écart de la théorie freudienne du monothéisme. Aussi, ai-je tenté ici, de rapprocher le savoir psychanalytique du niveau d’étiage de ses élaborations concernant le judaïsme et le christianisme. L’occasion de vérifier les hypothèses de Freud sur un terrain non-frayé, m’a donné la possibilité d’éclairer certains problèmes concernant le positionnement de la question du père et du refoulement constitutif de l’institution islamique, autour de la jouissance féminine.
69On le voit bien, ces recherches ont pour centre de gravité la question du décentrement du sujet, considéré sous l’angle du « hors lieu » de l’homme déplacé, du lieu de la modernité et de ses transformations vertigineuses par la science et la technique, du lieu ébranlé de l’islam. Aussi, le titre géopsychanalyse du sujet s’est-il imposé de lui-même pour cerner ce dont il s’agit.
II – Géopsychanalyse du sujet
70Dans cette partie, j’ai tiré les conséquences du précédent parcours de recherche et essayé d’esquisser, en même temps, un redéploiement problématique autour du projet d’une géopsychanalyse du sujet.
71Au niveau le plus élémentaire, cet énoncé géopsychanalyse du sujet, semble indiquer que pour une part, l’objet de notre discipline appelle à une nouvelle analytique du rapport sujet-monde.
72Cet appel est déterminé par une radicalisation et une extension des processus de transformation du monde historique de la modernité, et par des avancées du savoir psychanalytique qui est partie prenante de cette transformation.
73S’agissant du premier aspect, ces processus ont été nommés dans le champ du discours par le terme de mondialisation, qui semble ignorer la place du sujet, dont il est pourtant l’émetteur et le destinataire. Ce n’est pas la première fois. On ne parlera pas ici « du sujet du monde » ou « du sujet de la mondialité », formulations qui recèlent la même pesanteur de Wetltanschauung que leurs prédécesseurs : « le sujet universel », le kosmostheoros, ce sujet panoptique du savoir du monde proposé par Kant, ou encore de l’international. Pour la psychanalyse, il n’y a qu’un seul sujet qui se décline selon les lieux et les noms, c’est-à-dire selon une géographie de la parole en langues. Or, il est arrivé quelque chose à ce sujet par le fait de la science, qui l’a rendu transposable, après avoir avéré sa division et bouleversé sa topique, le contraignant à passer du mode utopique, à la modalité hétérotopique. Ce sont là quelques éléments de l’analyse que nous avons proposés, afin de se dégager du culturalisme.
74Si ces formulations sont rendues possible, c’est parce que les avancées de la recherche psychanalytique en France permettent d’entrevoir une sortie de l’anthropologie psychanalytique, telle qu’elle s’est développée aux États-Unis d’Amérique depuis un siècle. Celle-ci se meut, dans sa grande majorité, dans l’élément de l’ethos, comme s’il était hors la parole et le discours. De ce fait, ses apports sont restés très limités sur le plan clinique et psychopathologique.
75Précisément, l’ancrage de la recherche dans la clinique et dans la psychopathologie, permet de retrouver un mode d’intersection des savoirs, autour de ce que nous avons appelé l’engramme du symptôme, qui renoue avec la démarche freudienne initiale qui a présidé à la rencontre entre la psychanalyse et les sciences de la culture.
76L’observation clinique et l’analyse des effets subjectifs de l’exil sur plusieurs générations, nous ont donné l’occasion de formuler quelques hypothèses pour penser les processus de transposition du sujet, en dégageant d’une part le schéma du double tour et de la disjonction-ajointement autour de l’enjeu du Nom-du-père, et d’autre part, le schéma d’un passage de la question du père, de la structure utopique de l’idéal du sujet, à la structure hétérotopique, en concordance avec la spatialité extérieure du monde moderne. Cependant, utopie et hétérotopie du sujet ne sont pas traitables en dehors du fait du langage. Il y a probablement une grande complication du langage de l’hétérotopie, de telle sorte que le père, par exemple, devient non localisable ; il est nulle part et en même temps partout.
77En attendant, ces hypothèses ne sont pas destinées seulement à rendre compte des contraintes de l’exil, ou bien au sujet récemment entré dans la transposition mondiale. Il nous semble qu’elles concernent aussi, le sujet dans le monde installé depuis plus longtemps dans la science et la technique. D’abord, parce que chez lui, la succession de disjonctions dans son univers symbolique et imaginaire se font de plus en plus nombreuses et rapides, et que la recherche des ajointements peut prendre aussi des tours catastrophiques, tant sur le plan individuel que collectif. De ce point de vue, le discours sur l’éthique du vivant et les pratiques psychologiques d’humanisation et de subjectivation de l’intervention technique, font partie de l’ajointement et constituent un des pôles de nos recherches.
78Fethi BENSLAMA
797 rue Pinel - 93200 Saint-Denis
80Mots-clés : Sujet – Lieu – Nom – Exil – Père – Géopsychanalyse.
81Key-words : Subject – Place – Name – Exile – Father – Geo-psychoanalysis.
Clinique, psychanalyse et psychopathologie. La vie psychique – de la création à l’anéantissement
82Habilitation à diriger des recherches soutenue par Catherine DESPRATS-PÉQUIGNOT le 10 décembre 2003
83dirigée par le Pr Alain Vanier
84Composition du jury :
85Danièle Brun (présidente)
86Paul-Laurent Assoun, Michèle Bertrand, Roland Gori, (rapporteurs)
87Alain Vanier (directeur), Édouard Zarifian.
88Le document de synthèse présente, rassemblées selon trois principaux axes en liens réciproques, les recherches, passées ou en cours, dans le champ de la psychanalyse et de la psychopathologie. S’inscrivent dans ce champ des recherches cliniques et fondamentales concernant la vie sexuelle (libidinale), la psychosexualité, les fondements, les conditions, les organisations de la vie psychique, libidinale et amoureuse, des recherches ayant trait aux procédures et aux processus de création et de découverte, aux visées et enjeux psychiques de la démarche pour créer (entre autres de certains peintres), et aussi des recherches impulsées par des situations cliniques qui portent sur des limites, par la rencontre de sujets en souffrance, si ce n’est en détresse psychique et le travail qui a pu ou non se faire avec eux.
89La convergence et l’entrecroisement de certaines questions explorées au fil des recherches ont conduit, sur la base d’une clinique de l’extrême rapprochant des situations et des expériences psychiques qu’on pourrait penser sans relation et ouvrant sur des problèmes métapsychologiques ayant trait au psychique dit primitif, à porter l’accent sur les conditions d’animation ou d’anéantissement de la vie psychique, les processus et opérations qui sont là agissants et, dans ce fil, sur l’incidence de la vie psychique dans celle du corps.
90La mise en résonance insolite de situations et d’expériences psychiques dont font l’épreuve involontaire des sujets, telles celles que peuvent connaître des hospitalisés en réanimation, et de tout autres situations et expériences que recherchent « volontairement » d’autres sujets, tels certains peintres en tant que créateurs, est ici une voie privilégiée pour une approche des fondements organisateurs du psychique pouvant éclairer ses compétences à porter vers le vivre ou le mourir des sujets pris dans ces situations et expériences.
91L’appréhension de celles-ci dans le temps de la relation clinique « au lit du malade » ainsi qu’au cours du travail analytique qui a pu s’effectuer avec des sujets, et ce que disent sur leur démarche, ses procédures et ses visées, des créateurs, constituent le matériau à partir duquel sont avancées des hypothèses et des propositions sur les relations psychiques fondamentales, les enjeux et les « forces psychiques » pouvant pousser un sujet côté vie et création ou côté anéantissement et destruction, parfois d’un même pas.
92L’interrogation de ces situations et expériences, dont peuvent résulter l’autodestruction par suicide, des somatisations impliquant parfois un risque vital, comme la réalisation d’une œuvre, a conduit à porter un accent particulier sur les formes de survivance et d’actualisation du psychique primitif, sur le rapport du sujet à l’autre/Autre et sur son rôle, sa fonction dans l’instauration de la vie psychique et les conditions de son animation ou de sa déperdition, sur l’incidence aussi de ces conditions et de ce rapport dans la vie corporelle.
93Sur fond des axes de recherches, des travaux et questionnements qu’ils rassemblent et dont participe l’étude inédite exposée dans le document de synthèse, se dessine, au regard des recherches en chantier ou des perspectives de recherches, une recomposition du champ programmatique de recherches où ces axes, qui sont toujours en eux-mêmes des voies actives, sont impliqués. C’est selon deux pôles génériques en liens internes que cette recomposition est présentée dans le document.
94Un pôle : psychanalyse « hors cure » – de situations cliniques extrêmes aux faits de culture. Où se pose, entre autres, la question de la méthode, des conditions de sa mise en œuvre, de son heuristique, celle aussi des conditions de la pratique clinique et de la recherche en psychanalyse « hors cure », ainsi en milieu médical.
95Un pôle : actualité du psychique « primitif » – de la clinique à la métapsychologie. Des processus de découverte et de création aux processus constituants et organisateurs du psychique primitif. Formes et manifestations du psychique « primitif ». Émergence, éveil de la vie psychique, question de ce qui l’anime ou la mortifie. Fonctions et incidences dans les « conditions de vie » ou les « conditions de mort » du psychique du rapport du sujet à l’Autre. Fonction et rôle opératoire du psychique dans le somatique.
96Catherine DESPRATS-PEQUIGNOT
9756 rue Jeanne-d’Arc - 75013 Paris
98Mots-clés : Psychanalyse – Psychopathologie – Vie psychique – Vie libidinale et amoureuse – Psychique primitif – Animation – Désanimation – Anéantissement – Art et création – Situations cliniques extrêmes – Psychanalyse hors cure.
99Key-words : Psychanalyse – Psychopathology – Psychic life – Libidinal and love life – Primitive psyche – Animation – Disanimation – Annihilation – Art and creation – Extreme clinical situations – Psychoanalysis outside the cure.
Notes
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[1]
Faisaient partie du jury Mesdames les professeurs Sophie de Mijolla-Mellor, Mareike Wolf-Fedida, Colette Rigaud et Messieurs les professeurs Claude de Tichey et Yves Clot, un jury représentatif au regard des références épistémologiques que je viens de rappeler.