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Cette première création de La Belle au bois dormant est due à Ivan Vsevolozhsky, sur une musique de Tchaïkovski et une chorégraphie de Marius Petipa.
Les pages précédentes décrivaient le tutu à partir de l’expérience de la danseuse. Ici, c’est la démarche du costumier qui est à l’honneur : le nom de Jérôme Kaplan n’est peut-être pas très connu, mais ses costumes, extrêmement présents sur les scènes internationales, sont vus chaque année par des milliers de spectateurs.
1Jérôme Kaplan est scénographe, créateur de décors et costumes, formé à l’École nationale supérieure des arts et techniques du Théâtre. Il travaille essentiellement pour le ballet, principalement à l’étranger depuis une dizaine d’années, pour de grandes structures. Les deux tutus présentés sur les images ci-contre ont été créés pour Don Quixot (Don Quichotte) et Tornerose (La Belle au bois dormant), respectivement produits par Het Nationale Ballet d’Amsterdam et le Ballet Royal du Danemark.
2Comment s’approprier un élément aussi stéréotypé que le tutu ?? Quelle histoire se raconte le créateur de costumes ?? C’est ce que nous enseigne la confrontation de ces deux objets. Jérôme Kaplan signe très souvent la création globale du décor et des costumes. Ceci lui permet de maîtriser entièrement l’univers plastique du spectacle. Si ces deux tutus présentent des similitudes révélatrices des techniques propres à leur concepteur, ils expriment aussi deux univers très différents.
3Les jupons sont constitués de plusieurs épaisseurs de tulle que Jérôme Kaplan aime travailler en dégradé, partant du ton chair au plus près du corps, pour se colorer progressivement vers la périphérie, rejoignant la tonalité du tissu de la jupe. Ce travail en dégradé allonge la silhouette de la danseuse. Les superpositions et transparences des tulles autorisent de nombreuses variations. Dans La Belle au bois dormant, le jupon d’Aurore est blanc, mais légèrement coloré par un voile doré placé sous la jupe.
4Sur le tulle, il y a la jupe, surmontée du bustier. Cette partie du costume s’accorde à l’ensemble, et donne la couleur de la pièce. La Belle au bois dormant est un hommage au siècle de Louis XIV, plus particulièrement à Jean Bérain, décorateur à la cour, et Jérôme Kaplan est resté fidèle à l’esprit de la toute première création, en 1890 à Saint-Petersbourg [1]. La scénographie puise dans les gravures de l’époque et les décors du Grand Siècle, avec leurs gloires et nuées. La jupe du tutu d’Aurore évoque les rhingraves, découpée en une vingtaine de morceaux qui se posent délicatement sur le jupon de tulle, sous les tassettes qui font le lien avec le bustier ?; la photographie présentée ici est prise en cours de réalisation. Le ballet Don Quichotte, quant à lui, s’inspire des Ménines de Vélasquez. Le bustier de Kitri en interprète les lignes et les détails, tels que la fleur qui orne le haut du corsage, et la pointe soulignée par des applications de tissu doré qui rehaussent ce costume rouge sang. Ces applications font partie du vocabulaire plastique de Jérôme Kaplan et structurent également le tutu d’Aurore dans La Belle au bois dormant, aussi bien le bustier que la jupe. Le graphisme de ce détail, réalisé en lin recouvert de lamé, pour donner un léger volume, est volontairement grossi pour être vu de la salle, et est réglé en essayage, sur le corps de la danseuse. Dans ces deux costumes, le haut du buste et les bras sont nus. Le bustier d’Aurore est prolongé d’un léger drapé blanc cassé sur la poitrine. Les bretelles, indispensables au maintien du bustier, sont fines dans le costume d’Aurore, plus marquées dans celui de Kitri. Ces bretelles, comme le raccord du bustier à la jupe, se positionnent à l’articulation, pour ne pas entraver les mouvements. Les bustiers sont faits en plusieurs parties : dans le costume de Kitri, les côtés sont en satin stretch élastique, et le devant en tissu rayé rouge et bordeaux, les lignes de la pointe assurant le raccord entre ces parties. Les bustiers sont maintenus par des baleines à ressort qui accompagnent avec souplesse les mouvements et respirations des danseuses.
5Le tutu est spécifiquement utilisé dans le ballet classique, et ceci appelle une remarque sur le travail du créateur de costumes. Ces ballets sont appelés à tourner, parfois pendant plusieurs années. Ils peuvent aussi être recréés, et ce type de production s’inscrit dans une pérennité que ne connaissent pas la plupart des spectacles vivants. Il est donc indispensable pour le créateur de costumes de garder une mémoire précise de sa création. Jérôme Kaplan élabore des maquettes très détaillées, en grand format (A3). Chacune est dessinée et peinte à la main. La technique de Jérôme Kaplan produit des maquettes précises, dans des palettes de couleur riches et lumineuses, dues à l’usage de pigments dilués. Les lavis laissent voir le trait de crayon, qui souligne la ligne, et exprime les détails. On ajoutera que le dessin est un outil de communication international, et que sa précision est aussi le gage d’une bonne entente entre les différents acteurs de la production.
6Outre la pérennité, l’autre caractéristique du grand ballet classique, c’est le nombre. Il faut compter environ 200 à 300 costumes pour des ballets tels que ceux-ci, ce qui équivaut à 70 ou 80 dessins originaux. Les deux tutus présentés ici sont des premiers rôles, et sont donc des modèles uniques.
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Cette première création de La Belle au bois dormant est due à Ivan Vsevolozhsky, sur une musique de Tchaïkovski et une chorégraphie de Marius Petipa.