Notes
-
[1]
Comme le montrent Ramaprasad et Malliaris (2011), les variations de change euro-dollar peuvent jouer un rôle important d’amortisseur de l’impact des fluctuations du prix du pétrole.
-
[2]
Afin de tester de potentiels effets dynamiques et croisés, nous avons introduits plusieurs retards : seule la variable contemporaine ressort significative.
-
[3]
Une option strictement équivalente économétriquement consiste à utiliser un terme d’interaction entre les variations de prix du pétrole et l’une des deux variables muettes. Le terme d’interaction mesurera la différence entre les deux états de la nature (l’effet marginal), tandis que dans notre spécification nous mesurons les deux effets moyens (et non la différence entre ces deux effets).
-
[4]
Il est intéressant de comparer nos résultats à l’étude de Malliet et al. (2020) où le choc associé au prix de l’énergie dû à la crise de la Covid-19 produit des effets permanents via une incitation pour l’économie à adopter une technologie de production différente – cet effet pouvant être contrecarré par une taxe carbone afin d’orienter les choix des firmes vers une réduction des émissions de gaz à effet de serre.
-
[5]
Les marges unitaires, qui représentent le ratio entre l’Excédent Brut d’Exploitation (EBE) des entreprises en valeur et leur production en volume, se différencient du taux de marge qui est le rapport entre l’EBE en valeur (respectivement en volume) sur la valeur ajoutée en valeur (respectivement en volume).
-
[6]
Les marges unitaires pour l’ensemble de l’économie s’élèvent à 20 % de la production des entreprises en volume. Pour 2020, une amélioration d’1/2 point de ces marges unitaires correspond à près de 19 milliards d’euros.
1La récession inédite de l’économie mondiale à la suite du développement de la Covid-19 et au confinement des économies a fait chuter instantanément les prix du pétrole autour de 20 dollars le baril. Alors que le prix du baril de Brent se situait au-dessus des 100 dollars entre 2011 et 2013, il avait déjà connu une forte baisse fin 2014 pour s’établir autour des 35 dollars début 2016. Après un pic autour des 80 dollars fin 2018, il évolue entre 60 et 70 dollars le baril depuis 1 an et demi (graphique 1).
Évolution du prix du baril de Brent de pétrole
Évolution du prix du baril de Brent de pétrole
2Les prix de certains contrats sont même passés en territoire négatif fin avril au plus fort des mesures de confinement et de restriction des déplacements. Ces évolutions sont dues à des capacités de stockage épuisées et/ou à des mécanismes de marchés très spécifiques. Le contrat pour livraison en mai du pétrole WTI (principale référence des transactions de pétrole aux États-Unis) arrivait à échéance le lundi 20 avril. Tous les investisseurs ne disposant pas de capacités de stockage physique ont donc dû liquider leurs positions, quel que soit le prix. Le phénomène a été amplifié par l’évolution d’un tracker indiciel (ETF) sur le WTI qui n’a pas vocation à organiser les échanges physiques de pétrole. Cet épiphénomène, tout anecdotique qu’il puisse être, n’en reflète pas moins la violence de la chute des prix du pétrole. Le pétrole s’échange depuis juin 2020 autour des 40 dollars le baril, ce qui représente une baisse de plus de 30 % par rapport au cours au 1er janvier 2020.
3L’évolution du prix du pétrole risque de rester atone dans un futur proche du fait d’un profond déséquilibre entre la production mondiale de pétrole (80 mb/j) et la demande (50 mb/j). En effet, entre le développement d’une deuxième vague de l’épidémie et des écarts de production très négatifs (les PIB en 2020 seront bien en-dessous de leurs niveaux potentiels), il y a fort à parier que la demande mondiale de pétrole restera faible. Dans ce contexte, la baisse a toutes les chances de se transmettre à l’économie réelle.
4Ce travail, complémentaire de celui réalisé par les auteurs (Heyer et Hubert, 2016) dans lequel l’effet des variations du prix du pétrole sur la croissance économique française était analysé, a pour objectif d’étudier les canaux de transmission d’une telle baisse du prix du pétrole aux ménages et aux entreprises françaises en quantifiant l’effet de cette baisse sur les prix à la consommation et les prix de production. Quels sont les gains de pouvoir d’achat pour les ménages ? Comment les marges unitaires des entreprises réagissent ?
5Pour répondre à ces questions, nous procédons en deux temps. Nous estimons d’abord l’effet linéaire des variations de prix du pétrole sur une double décomposition des prix de production (entre ses différentes composantes et entre secteurs) et sur un indice des prix à la consommation (IPC) en période de confinement. Cette double décomposition des prix de production et le calcul d’une inflation plus fidèle au panier de consommation effectif en période de confinement représente une première contribution de ce travail. Ensuite, nous estimons des élasticités non-linéaires conditionnellement au sens de variation des prix (hausse ou baisse), à la taille de ces variations (fortes ou faibles) et à la position dans le cycle économique lorsqu’elles ont lieu (croissance ou récession). Cette seconde contribution a pour objectif d’identifier l’effet d’une forte baisse des prix du pétrole en période de récession afin d’apporter un éclairage sur ce que pourraient être les effets de la baisse des prix du pétrole liée à la crise de la Covid-19 sur les ménages et entreprises françaises. Cette crise est différente des autres crises économiques de par ses raisons, sa nature et sa soudaineté ; on peut aisément imaginer que les relations économiques usuelles en soient affectées.
6Ce travail s’inscrit dans la littérature sur la transmission de la variation des prix du pétrole aux autres prix dans l’économie. Sans prétention d’exhaustivité, on peut mentionner Gautier et Le Saout (2015) pour les prix des carburants, Kang et al. (2016) pour les prix boursiers, Chadi et Kpodar (2020) pour les prix à la consommation, Choi et al. (2018) sur la composante domestique de l’inflation, Myers et al. (2018) pour les prix de production, et Fueki et al. (2019) pour les anticipations d’inflation.
7Du côté des estimations linéaires, nos résultats montrent que l’effet des variations du prix du pétrole est, par rapport à l’inflation standard, moitié moindre sur l’inflation hors carburants et cinq fois moindre sur l’inflation « confinement ». Pour les entreprises, l’effet des variations du prix du pétrole sur les prix de production est positif. L’élasticité des coûts salariaux unitaires (CSU) et des coûts unitaires des consommations intermédiaires (CUCI) à un choc pétrolier est positive et deux fois plus élevée pour le CUCI. L’élasticité des CUCI est hétérogène entre secteurs : faible dans le secteur des services marchands et très forte dans l’industrie. Ces hausses liées aux différents coûts unitaires sont en partie absorbées par les marges unitaires. Cela est notamment le cas pour le secteur des services marchands dont les marges absorbent plus de 60 % de la variation contre 13 % dans l’industrie.
8Concernant les estimations non-linéaires, l’effet sur l’IPC « confinement » apparaît symétrique : l’élasticité est plus forte pour une baisse que pour une hausse des prix du pétrole. Du côté des entreprises, l’effet sur les prix de production, les coûts salariaux unitaires et les marges unitaires est ainsi plus fort à la suite d’une baisse des prix du pétrole. De même, l’élasticité des marges unitaires et des différents coûts aux fortes variations des prix du pétrole est bien plus importante que l’élasticité aux petites variations des prix du pétrole. Cependant, ces effets se compensent, si bien que l’effet total sur les prix de production est le même, que les chocs pétroliers soient grands et petits. Enfin, l’effet total sur les prix de production est plus fort en période de croissance élevée : cet effet étant tiré par le coût des consommations intermédiaires. Il est intéressant de noter que l’effet des variations des prix du pétrole sur les marges unitaires est quant à lui plus fort étant donné les caractéristiques de la situation actuelle. La baisse des prix du pétrole liée à la crise de la Covid-19 devrait donc avoir un effet stabilisateur pour les entreprises via une hausse de leurs marges unitaires.
9Au final, ces estimations nous suggèrent que le choc pétrolier du début d’année 2020, caractérisé par une baisse, forte, et en période de récession, des prix du pétrole n’aura que très peu d’effets sur l’inflation. Les ménages, confinés et une fois soustrait l’effet sur le prix des carburants, ne bénéficieraient donc pas d’une hausse de leur pouvoir d’achat via cette baisse des prix du pétrole. Du côté des entreprises, l’effet de la baisse des prix du pétrole sur leur prix de production est réel et va leur permettre de restaurer leurs marges unitaires. Nos estimations indiquent que cette baisse du prix du baril à la suite de la crise sanitaire a permis d’améliorer les marges unitaires des entreprises de plus d’1/2 point en 2020, estimation qui pourrait même s’élever à 0,75 point compte tenu de la taille du choc pétrolier – et jusqu’à 1 point pour les secteurs des transports, de l’énergie et de l’agriculture. Ainsi, le choc d’offre n’est peut-être pas là où on l’imagine.
1 – Identification de chocs exogènes sur le prix du pétrole
10Nous avons retenu pour mesurer les prix du pétrole en termes réels le prix d’une variété dans le commerce international de pétrole brut, le Brent (principale référence des transactions de pétrole en Europe), en euros et déflaté par l’indice du prix à la consommation de la zone euro [1].
11Il convient ensuite de faire la distinction entre les variations endogènes aux cycles économiques du prix du pétrole et les variations dites « exogènes » afin de corriger d’un potentiel biais d’endogénéité (Kilian, 2009). Ainsi, l’origine des fluctuations du prix du pétrole peut être diverse : elle peut être liée à des variations de l’activité mondiale (choc de demande), à celle de l’offre de pétrole (choc d’offre) ou à des événements géopolitiques ou climatiques. Or l’incidence de la variation du prix à l’activité peut être influencée par la nature du choc : une forte augmentation des prix du pétrole à la suite d’un choc favorable de l’activité mondiale devrait, selon toute vraisemblance, avoir un impact moins récessif qu’un choc négatif sur la production de pétrole (Archanskaïa et al., 2012). L’objectif de cette première étape est donc de contrôler l’influence de la demande mondiale sur les prix du pétrole.
12Afin de prendre en compte cet effet des cycles économiques sur les prix du pétrole, nous avons régressé les variations mensuelles de notre indicateur de prix du pétrole (en euros constants) sur celles du PIB mondial (interpolées linéairement à la fréquence mensuelle) sur la période 1990-2020. Le résidu de cette équation peut être considéré comme représentant les variations du prix du pétrole orthogonales à la demande mondiale, et donc les variations induites par des chocs exogènes. Ces variations exogènes peuvent refléter les chocs géopolitiques ou climatiques, mais nous faisons l’hypothèse que ces variations des prix du pétrole sont « exogènes » vis-à-vis des cycles économiques et de l’évolution des prix. Nous estimons donc l’équation suivante :
14où εt constitue la série de chocs exogènes sur le prix du pétrole, c’est-à-dire les évolutions du prix réel du Brent hors effet de la demande mondiale, exprimées en euros (entre parenthèses figure la t-stat). Ce résidu est ainsi utilisé dans les estimations suivantes comme instrument exogène pour mesurer l’effet causal des variations du prix du pétrole sur les prix.
15Le graphique 2 illustre ce résultat : selon cette démarche, les fluctuations du prix du pétrole seraient essentiellement dues à des chocs exogènes, les chocs d’activité expliquant l’essentiel de la hausse observée au cours de la deuxième moitié des années 2000 et la baisse observée fin 2008 et début 2009. Ce résultat confirme celui de Bernard et al. (2013) obtenu sur les trente dernières années au moyen d’un modèle vectoriel autorégressif (VAR), du prix du pétrole, de l’activité économique mondiale et aussi de la production de pétrole.
Variations mensuelles du prix du baril de pétrole et variations nettes des effets de la conjoncture mondiale
Variations mensuelles du prix du baril de pétrole et variations nettes des effets de la conjoncture mondiale
2 – Canaux de transmission à l’économie française
2.1 – Le modèle d’estimation économétrique
16Nous estimons l’impact d’un choc pétrolier – analysé dans la section précédente – sur nos différentes variables de prix – que nous présentons dans les sections suivantes – à l’aide d’un estimateur des Moindres Carrés Ordinaires Dynamiques (DOLS en anglais) pour l’équation suivante :
18où la variable dépendante Xt mesure l’inflation des prix à la consommation ou de production, εt est notre série de chocs pétroliers décrit dans la partie 1. Nous contrôlons en outre l’impact que peut avoir l’écart de production « Output gap » en anglais. du PIB français, OGt, calculé par l’OCDE, sur l’inflation. Le nombre de retards ou valeurs futures de notre variable dépendante est déterminée par le critère Akaike. Notre période d’estimation va de janvier 1990 à mars 2020 [2].
19Avant d’estimer l’impact des chocs pétroliers sur les prix à la consommation et les prix de production, nous testons ce modèle sur l’évolution des prix des carburants et produits pétroliers pour lesquels la transmission de l’évolution du prix du pétrole est directe et bien documentée. Nous estimons donc l’équation (1) avec comme variable dépendante l’évolution des prix de l’ensemble des carburants, du sans plomb 98 ou des produits pétroliers.
20Le tableau 1 montre l’élasticité estimée de ces différentes mesures de prix. Une hausse exogène des prix du pétrole de 1 % se traduit par une hausse significative des prix des carburants, du sans plomb 98 et des produits pétroliers d’environ 0,23 % (en moyenne) dans le même mois. Sur notre échantillon, la variation des prix du pétrole explique un peu moins de la moitié de la variance des prix de ces 3 mesures. Ce résultat est cohérent avec Radchenko et Shapiro (2011) qui trouvent une élasticité des prix des carburants aux variations non-anticipées des prix du pétrole d’au minimum 0,31 % aux États-Unis, et Bortoli et Milin (2016) qui estiment cette élasticité entre 0,1 et 0,2 % en France.
Élasticités des prix des produits pétroliers à un choc pétrolier
Estimations linéaires | |||
---|---|---|---|
Carburants | SP98 | Produits pétroliers | |
β | 0,219*** | 0,257*** | 0,244*** |
[17,46] | [15,65] | [18,08] | |
N | 358 | 263 | 358 |
R2 | 0,47 | 0,49 | 0,49 |
Élasticités des prix des produits pétroliers à un choc pétrolier
Note : Statistique du t de student entre parenthèses. * p < 0.10, ** p < 0.05, *** p < 0.01. L’équation estimée comprend OG comme contrôle. Les autres paramètres ne sont pas reportés par souci de parcimonie. Lecture: Une hausse de 1 % du prix du pétrole entraîne une augmentation de 0,219 % du prix des carburants (en rythme mensuel).2.2 – La transmission aux prix à la consommation
21À présent, nous évaluons l’incidence d’une variation des prix du pétrole pour le consommateur. En première approche, nous utilisons l’indice des prix à la consommation (IPC) calculé par l’INSEE. Cet indice est basé sur l’observation d’un panier fixe de biens et services, actualisé chaque année. Chaque produit est pondéré, dans l’indice global, proportionnellement à son poids dans la dépense de consommation des ménages. Il permet ainsi d’estimer, entre deux dates, la variation moyenne des prix du panier de consommation moyen des ménages.
22Cependant, la période récente, pendant laquelle les prix du pétrole ont fortement baissé, se caractérise par des mesures de confinement qui ont mécaniquement limité la consommation de certains des éléments du panier de consommation habituel. Afin de mieux prendre en compte la répercussion du contre choc pétrolier sur le pouvoir d’achat des ménages durant cette période, nous avons calculé un IPC plus fidèle au panier de consommation effectif pendant la période de confinement. Pour ce faire, nous utilisons deux approches complémentaires qui peuvent s’appréhender comme des bornes haute et basse de l’effet du confinement sur la consommation. Dans un premier cas, nous calculons un IPC hors carburants en imaginant que le confinement n’a pour seul effet que de limiter les déplacements. On soustrait donc la contribution de l’évolution du prix des carburants à l’IPC total. Dans un second cas, nous calculons un IPC « confinement ». On se concentre sur le panier de consommation des biens et services des secteurs qui ne sont pas ou peu affectés par le confinement sur la base des estimations de l’OFCE (2020). On calcule un IPC restreint à ces biens et services en gardant les pondérations relatives constantes. L’hypothèse implicite est donc qu’il n’y pas eu de réallocation de la consommation : ce qui n’est pas consommé est épargné.
23Le graphique 3 montre l’évolution des trois mesures d’inflation décrites ci-dessus sur la période 1999-2020. L’inflation « normale » telle que mesurée par les variations annuelles de l’indice des prix à la consommation standard apparaît plus volatile que les deux autres mesures.
Variations mensuelles des différents indices de prix à la consommation
Variations mensuelles des différents indices de prix à la consommation
24Nous estimons ensuite l’élasticité de ces trois mesures d’inflation au prix du pétrole. Comme indiqué dans le tableau 2 qui résume les résultats de ces estimations, une hausse de 1 % du prix du pétrole entraîne une augmentation de 0,016 % de l’inflation (en rythme mensuel, équivalent à 0,2 % en rythme annuel). Cet effet des variations du prix du pétrole est moitié moindre sur l’inflation hors carburants et 5 fois moindre sur l’inflation « confinement ». On peut tirer deux enseignements de ces résultats : l’effet positif à attendre sur le pouvoir d’achat des ménages de la baisse des prix du pétrole au printemps 2020, alors que les économies étaient confinées, est infime, tandis que son impact sur l’inflation, une fois soustrait l’effet sur les carburants, apparaît relativement faible. La moitié de la transmission se fait via les carburants et la somme des catégories de produits affectés directement (énergie et produits plastiques) ou indirectement (effets de second tour) représentent l’autre moitié. Les ménages ne profitent donc pas dans un contexte de confinement – au travers d’une baisse des prix à la consommation – de la forte baisse des prix du pétrole.
Élasticités des prix à la consommation à un choc pétrolier
Estimations linéaires | |||
---|---|---|---|
IPC | IPC hors carburants | IPC confinement | |
β | 0,016*** | 0,007*** | 0,003*** |
[7,60] | [3,67] | [3,18] | |
N | 358 | 358 | 287 |
R2 | 0,15 | 0,05 | 0,08 |
Élasticités des prix à la consommation à un choc pétrolier
Note : Statistique du t de student entre parenthèses. * p < 0,10, ** p < 0,05, *** p < 0,01. L’équation estimée comprend l’output gap comme contrôle. Les autres paramètres ne sont pas reportés par souci de parcimonie.Lecture : Une hausse de 1 % du prix du pétrole entraîne une augmentation de 0,016 % de l’inflation (en rythme mensuel, équivalent à 0,2 % en rythme annuel).
2.3 – La transmission aux prix de production
25Du côté des entreprises, la dynamique des prix à la production reflète celle des différents coûts qui pèsent sur la production d’un bien, à savoir les coûts salariaux, ceux des consommations intermédiaires, les impôts nets des subventions sur la production ainsi que les marges des entreprises. S’interroger sur l’incidence d’une variation des prix du pétrole sur les prix de production revient alors à évaluer son incidence sur ces différentes composantes.
26Comptablement, l’indice de prix à la production de la branche i se décompose de la manière suivante:
28Avec
EB | : | Excédent Brut d’Exploitation (B2). |
RemSal | : | Rémunération salariale (D1) (Salaires et traitements bruts (D11) + cotisations sociales effectives à la charge des employeurs (D121) + cotisations sociales imputées (D122)). |
ImpNet | : | Impôt sur la production (D29) – Subvention d’exploitation (D39). |
CI | : | Consommation intermédiaire (P2E). |
29En conséquence, les fluctuations des prix à la production synthétisent les prix des coûts unitaires des composantes de la production que l’on peut, à l’instar de Ponton (2020), résumer par l’égalité comptable suivante :
31Avec
MargesUnitaires | : | EBE par unité de production |
CSU | : | Coût salariaux par unité de production |
TaxesUnitaires | : | Montant des impôts nets des subventions sur la production d’exploitation par unité de production |
CUCI | : | Coût unitaire des consommations intermédiaires |
32Cette décomposition peut être réalisée à l’aide des comptes nationaux trimestriels de branche fournis par l’INSEE. Les graphiques ci-dessous (graphique 4) indiquent le poids respectif de chacune de ces composantes dans le prix de production en moyenne sur la période allant du premier trimestre 1990 au premier trimestre 2020.
Poids des différentes composantes dans les prix de production (1990t1-2020t1)
Poids des différentes composantes dans les prix de production (1990t1-2020t1)
33Un premier enseignement est le très faible poids (moins de 4 %) des taxes unitaires dans les prix de production quel que soit le secteur étudié. Un deuxième enseignement est que le coût des intrants par unité produite (CUCI) représente près de la moitié des prix de production. Il dépasse même les 2/3 dans l’industrie tandis qu’il pèse pour 44 % des prix de production dans les services marchands. De leur côté, les CSU représentent 18 % des prix de production dans l’industrie contre 27 % dans les services marchands. Enfin, les marges unitaires pèsent entre 13 % pour l’industrie et 25 % dans les prix des services marchands.
34À l’instar de l’analyse décrite sur les prix à la consommation, nous avons estimé l’élasticité des prix à la production, ainsi que ses composantes, à un choc pétrolier. L’incidence d’un choc pétrolier sur les prix de production est évaluée à partir de l’estimation de l’équation présentée dans la partie précédente en retenant comme variable à expliquer (Xt) les prix de productions, puis ses différentes composantes prises individuellement. Les estimations portent sur la période 1990-2020. Les résultats des estimations sont résumés dans le tableau 3 et le graphique 5.
Élasticités de prix de production et de ses composantes à un choc pétrolier
Élasticités de prix de production et de ses composantes à un choc pétrolier
Note : Statistique du t de student entre crochet. * p < 0.10, ** p < 0.05, *** p < 0.01. L’équation estimée comprend l’output gap comme contrôle. Les autres paramètres ne sont pas reportés par souci de parcimonie.Lecture : Pour l’ensemble de l’économie, en rythme mensuel, une hausse de 1 % du prix du pétrole entraine une augmentation de 0,015 % du prix de production, de 0,02 des CSU, de 0,039 des CUCI et une baisse de 0,046 des marges unitaires.
Contribution à l’élasticité des prix de production à une hausse du prix du pétrole
Contribution à l’élasticité des prix de production à une hausse du prix du pétrole
Note de lecture : Dans le secteur marchand, l’élasticité des prix de production à une variation de 1 % du prix du pétrole est de 0,017. Une hausse de 1 % du prix du pétrole entraîne une augmentation de 0,219 % du prix Hors effet sur les marges, cette élasticité aurait été de 0,022 dont plus de 80 % s’explique par la hausse du coût des intrants unitaires à la suite du choc sur le prix du pétrole. Les entreprises de ce secteur absorbent 35 % de cette incidence par l’intermédiaire de leurs marges unitaires.35Les principaux résultats peuvent être synthétisés de la manière suivante :
- Un choc pétrolier n’a pas d’incidence significative sur les taxes unitaires quel que soit le secteur étudié ;
- Les élasticités du CSU et du CUCI à un choc pétrolier sont positives : si ce signe était attendu pour l’élasticité du CUCI, pour celle du CSU il reflète l’indexation des salaires aux prix. Notons également que l’élasticité est deux fois plus élevé pour le CUCI. Si l’élasticité du CSU est très proche dans les différents secteurs étudiés (proche de 0,02), cela n’est pas le cas pour celle du CUCI. Cette dernière est faible dans le secteur des services marchands (0,027) et très forte dans l’industrie (0,068 pour l’industrie manufacturière) ;
- Compte tenu du poids important du CUCI dans les prix de production (notamment dans l‘industrie), avant effet des marges, la variation des prix de production à la suite d’un choc pétrolier passe alors principalement par la variation des coûts des intrants (73 % pour les services marchands et 90 % pour l’industrie) ;
- Une partie des variations du prix de production induites par celles des CSU et des CUCI est absorbée par les marges unitaires. Cela est notamment le cas pour le secteur des services marchands dont les marges absorbent plus de 60 % de la variation contre 13 % dans l’industrie ;
- Au total, pour l’ensemble de l’économie, en rythme mensuel, une hausse de 1 % du prix du pétrole entraîne une augmentation de 0,015 % du prix de production. Cette élasticité est 3 fois plus élevée dans l’industrie manufacturière tandis qu’elle est 2 fois plus faible dans le secteur des services marchands. Une forte absorption par les marges dans les services marchands couplée à un poids et une élasticité du CUCI plus faibles explique la faiblesse de l’élasticité des prix de production dans ce secteur.
36D’une analyse sectorielle plus fine, dont les résultats sont reproduits dans le tableau figurant en annexe, il est possible de classer les différents secteurs à la suite d’un choc pétrolier de la manière suivante (graphique 6) :
- Les secteurs dont la variation des prix de production provient essentiellement de celle du coût des intrants (CUCI) : dans cette catégorie, nous retrouvons un très grand nombre de secteurs. Si l’ensemble des secteurs industriels y figurent, c’est également le cas des secteurs des transports (HZ), des services immobiliers (LZ), des services aux ménages (RU) et de l’agriculture (AZ) ;
- Les secteurs dont la variation des prix de production provient essentiellement de celle du coût salarial unitaire (CSU) : Peu de secteurs sont dans ce cas de figure. C’est le cas toutefois du secteur des services financiers pour lequel l’intégralité de la variation des prix de production à la suite d’un choc ou contre-choc pétrolier passe par celle des CSU. À un degré moindre, nous trouvons les secteurs du commerce (GZ) et de l’hébergement et restauration (IZ) ;
- Les secteurs dont la variation des prix de production est totalement absorbée par les marges : Dans quatre secteurs étudiés, l’élasticité des prix de production à un choc pétrolier ou contre-choc n’est pas significative car l’intégralité du choc est absorbée par un comportement de marges. Ces quatre secteurs sont ceux de l’agriculture (AZ), des services immobiliers (LZ), des services aux entreprises (MN) et des services aux ménages (RU) ;
- Les secteurs dont la variation des prix de production n’est pas du tout absorbée par les marges : à l’inverse, dans quatre autres secteurs, les entreprises ne semblent pas utiliser leurs marges pour compenser les variations de leurs prix de production à la suite d’un choc ou contre-choc pétrolier. C’est le cas du secteur des denrées alimentaires (C1), de la construction (FZ), de l’Hébergement et restauration (IZ) et des services financiers (KZ).
Contribution à l’élasticité des prix de production à une hausse du prix du pétrole dans les différents secteurs
Contribution à l’élasticité des prix de production à une hausse du prix du pétrole dans les différents secteurs
Note de lecture : Un secteur se trouvant sur la droite de ce graphique indique que la variation de ses prix de production à la suite d’un choc pétrolier provient essentiellement de celle du coût de ses intrants (CUCI). Inversement, un secteur se trouvant sur la gauche signifie que le choc passe principalement par les coûts salariaux unitaires (CSU). Par ailleurs, plus un secteur est en bas du graphique, plus les marges unitaires ont été absorbées les variations de prix de production du secteur à la suite d’un choc pétrolier. Enfin, le diamètre des ronds indique la taille du secteur en termes de valeur ajoutée.3 – Les non-linéarités liées au contexte de la crise de la Covid-19
37Par ailleurs, il est possible que les effets des variations du prix du pétrole sur les prix ne soient pas linéaires (voir Heyer et Hubert, 2016 pour une revue des raisons théoriques sous-jacentes à ces non-linéarités). Cela pourrait en outre possiblement expliquer l’élasticité quasi-nulle que nous estimons dans un cadre linéaire. En particulier, on peut imaginer trois sortes de non-linéarité. Les agents économiques peuvent être en mesure d’absorber plus facilement le choc lorsqu’il est faible, ils ne répondent pas nécessairement de la même façon à une hausse ou à une baisse (en particulier s’ils sont proches de leur contrainte budgétaire) et ils ne prendront pas les mêmes décisions en fonction de l’environnement macroéconomique et donc ne réagiront pas de la même façon à un choc donné si celui-ci a lieu en période de croissance (lorsqu’il existe déjà des tensions sur les prix des biens et du capital) ou de récession (lorsque les revenus et marges sont comprimés).
38Nous modifions donc l’équation (1) pour introduire des termes non-linéaires et ainsi estimer l’élasticité des prix aux variations du prix du pétrole dans les 3 cas mentionnés ci-dessus. Plus précisément, pour chacun des cas, nous définissons deux variables muettes. L’une, D1t, vaut 1 lorsque la variation du prix du pétrole est positive (ou forte ou en période de forte croissance économique) et 0 sinon, et l’autre, D2t, vaut 1 lorsque la variation du prix du pétrole est négative (ou faible ou en période de faible croissance économique) et 0 sinon [3].
40Le coefficient estimé β1 nous renseigne ainsi sur l’effet des variations des prix du pétrole sur les prix lorsque celles-ci sont positives (ou fortes ou en période de croissance économique) tandis que le coefficient estimé β2 nous indique l’effet des variations des prix du pétrole sur les prix lorsque celles-ci sont négatives (ou de faible ampleur ou en période de faible croissance économique).
41Le tableau 4 détaille les élasticités des prix à la consommation aux variations du prix du pétrole en fonction des caractéristiques de ces variations et du contexte macroéconomique. On observe que l’effet des variations des prix du pétrole sur l’inflation est quasi symétrique quel que soit le sens des variations (hausse ou baisse). Cependant on peut noter que l’effet sur l’inflation « confinement » est nul pour une hausse des prix du pétrole alors qu’il est significatif pour une baisse. L’amplitude du coefficient est limitée par rapport à l’effet sur l’inflation normale (4 fois moindre), mais il y a bien une asymétrie : une hausse du prix du pétrole n’augmente pas l’inflation « confinement » alors qu’une baisse du prix du pétrole réduit l’inflation « confinement ». Une potentielle explication pourrait venir des effets de second tour qui représentent une large part de la transmission des variations de prix du pétrole vers les prix de consommation, qui pourraient être plus importants lorsque le prix du pétrole diminue.
Élasticités des prix à la consommation à différents types de chocs pétroliers
Estimations linéaires | |||
---|---|---|---|
IPC | IPC hors carburants | IPC confinement | |
β | 0,016*** | 0,007*** | 0,003*** |
[7,60] | [3,67] | [3,18] | |
N | 358 | 358 | 287 |
R2 | 0,15 | 0,05 | 0,08 |
Effet asymétrique | |||
β1 positif | 0,015*** | 0,007** | 0,002 |
[4,46] | [2,36] | [1,33] | |
β2 négatif | 0,016*** | 0,007** | 0,004*** |
[5,17] | [2,30] | [2,60] | |
Effet taille des chocs | |||
β1 grand | 0,017*** | 0,008*** | 0,003** |
[7,59] | [3,97] | [2,47] | |
β2 petit | 0,012*** | 0,003 | 0,005*** |
[3,30] | [0,94] | [2,93] | |
Effet conditionnellement au taux de croissance du PIB | |||
β1 | croissance forte | 0,019*** | 0,011*** | 0,003** |
[6,88] | [4,28] | [2,50] | |
β2 | croissance faible | 0,013*** | 0,004* | 0,003** |
[5,36] | [1,85] | [2,54] |
Élasticités des prix à la consommation à différents types de chocs pétroliers
Note : Statistique du t de student entre parenthèses. * p < 0.10, ** p < 0.05, *** p < 0.01. L’équation estimée comprend l’output gap comme contrôle. Les autres paramètres ne sont pas reportés par souci de parcimonie. La distinction entre grands et petits chocs pétroliers correspond aux chocs supérieurs ou inférieurs à 1 écart-type (soit 9,5 %). La variable de croissance forte ou faible est basée sur le taux de croissance moyen du PIB sur notre échantillon (soit 0,13 % en rythme mensuel).42Concernant les faibles et fortes variations du prix du pétrole, on observe que les fortes variations ont un impact plus prononcé, comme attendu, sur l’inflation et l’inflation hors carburants. Cependant l’effet est inversé pour l’inflation « confinement », avec une élasticité plus forte dans le cas de petites variations des prix du pétrole. Une interprétation de ce résultat pourrait être que la structure du panier de consommation de cet indice « confinement » l’isole des effets directs et n’est impactée que par les effets de second tour.
43Enfin l’effet des variations des prix du pétrole sur l’inflation n’apparaît pas identique en fonction de la conjoncture économique. L’effet est plus fort en période de croissance élevée : un choc inflationniste aura d’autant plus de chances d’être répercuté dans les prix qu’il existe déjà des tensions sur les marchés des biens et services. L’inflation « confinement » fait à nouveau ici valeur d’exception : l’effet est le même dans les deux situations conjoncturelles. On peut à nouveau imaginer que la structure spécifique du panier de consommation est responsable de ce résultat.
44Au final, ces estimations nous suggèrent que le choc pétrolier du début d’année 2020, caractérisé par une forte baisse des prix du pétrole en période de récession n’aura que très peu d’effets sur l’inflation. Les ménages ne bénéficieraient donc pas d’une hausse de leur pouvoir d’achat via cette baisse des prix du pétrole.
45Le tableau 5 montre les élasticités des prix de production aux variations du prix du pétrole dans les différents contextes énoncés. On observe que l’effet des variations des prix du pétrole sur les différentes composantes des prix de production n’est pas symétrique en fonction du sens des variations de prix (hausses ou baisses). L’effet sur les prix de production, les coûts salariaux unitaires et les marges unitaires est ainsi plus fort à la suite d’une baisse des prix du pétrole. De même, l’élasticité des marges unitaires et des différents coûts aux fortes variations des prix du pétrole est bien plus importante que l’élasticité aux petites variations des prix du pétrole. Cependant ces effets se compensent si bien que l’effet total sur les prix de production est le même avec grands et petits chocs pétroliers.
Élasticités des prix de production à différents types de chocs pétroliers
Prix de production | CSU | Marges unitaires | Taxes unitaires | CUCI | |
---|---|---|---|---|---|
Estimations linéaires | |||||
β | 0,015*** | 0,020*** | -0,046*** | -0,008 | 0,039*** |
[3,88] | [4,08] | [-4,48] | [-0,66] | [5,19] | |
N | 344 | 341 | 333 | 354 | 343 |
R2 | 0,58 | 0,56 | 0,52 | 0,19 | 0,64 |
Effet asymétrique | |||||
β1 positif | 0,012** | 0,019** | -0,044*** | -0,012 | 0,044*** |
[2,08] | [2,23] | [-2,81] | [-1,04] | [3,55] | |
β2 négatif | 0,019*** | 0,036*** | -0,050*** | 0,001 | 0,038*** |
[3,62] | [4,83] | [-3,10] | [0,05] | [3,30] | |
Effet taille des chocs | |||||
β1 grand | 0,015*** | 0,033*** | -0,063*** | -0,251** | 0,046*** |
[3,66] | [0,57] | [-5,08] | [-2,50] | [5,28] | |
β2 petit | 0,015* | 0,018 | -0,007 | 0,114 | 0,024 |
[1,74] | [1,56] | [-0,33] | [1,47] | [1,48] | |
Effet conditionnellement au taux de croissance du PIB | |||||
β1 | croissance forte | 0,020*** | 0,026*** | -0,057*** | -0,037** | 0,048*** |
[3,55] | [3,01] | [-5,15] | [-2,40] | [4,32] | |
β2 | croissance faible | 0,009 | 0,038*** | -0,033*** | 0,007 | 0,032** |
[1,48] | [3,90] | [-2,80] | [0,67] | [2,50] |
Élasticités des prix de production à différents types de chocs pétroliers
Note : Statistique du t de student entre parenthèses. * p < 0.10, ** p < 0.05, *** p < 0.01. L’équation estimée comprend l’output gap comme contrôle. Les autres paramètres ne sont pas reportés par souci de parcimonie. La distinction entre grands et petits chocs pétroliers correspond aux chocs supérieurs ou inférieurs à 1 écart-type (soit 9,5 %). La variable de croissance forte ou faible est basée sur le taux de croissance moyen du PIB sur notre échantillon (soit 0,13 % en rythme mensuel).46Enfin l’effet des variations des prix du pétrole n’apparaît pas identique en fonction de la conjoncture économique. L’effet total sur les prix de production est plus fort en période de croissance élevée : cet effet étant tiré par le coût des consommations intermédiaires. En combinant les trois non-linéarités qui caractérisent la situation de 2020 où le choc pétrolier est négatif, fort et a lieu en période de croissance faible, l’élasticité des prix de production est quasi-identique à celle en situation normale (0,014 contre 0,015). En revanche, elle est significativement inférieure à celle dans le cas d’un choc négatif, grand mais en période de croissance (0,018). Les prix de production devraient donc se réduire relativement peu. Il est intéressant de noter que l’effet des variations des prix du pétrole sur les marges unitaires est quant à lui plus fort étant donné les caractéristiques de la situation actuelle. La baisse des prix du pétrole liée à la crise de la Covid-19 devrait donc avoir un effet stabilisateur pour les entreprises via une hausse de leurs marges unitaires [4].
4 – Conclusion : quel impact sur les marges des entreprises de la baisse récente du prix du baril ?
47Notre travail met en avant différents aspects de l’incidence de l’évolution du prix du baril sur les prix à la consommation et à la production :
- Sur les prix à la consommation, l’effet positif à attendre sur le pouvoir d’achat des ménages de la baisse des prix du pétrole au printemps 2020 (-30 %), alors que les économies sont confinées, est infime (inférieur à -0,1 %). En effet, la moitié de la transmission se fait via les carburants, et la somme des catégories de produits affectés directement (énergie et produits plastiques) ou indirectement (effets de second tour) représentent l’autre moitié ;
- Du côté des entreprises, l’effet de la baisse des prix du pétrole sur leurs prix de production est réel et va également leur permettre de restaurer leurs marges unitaires ;
- Si l’élasticité des prix, à la consommation comme à la production, au prix du pétrole est très proche dans le cas d’une hausse ou d’une baisse de ce dernier, ces différents effets dépendent par contre de la phase du cycle conjoncturel ainsi que de la taille du choc : plus ce dernier est important, plus l’élasticité est forte. En revanche, en basse conjoncture, l’incidence sur les prix n’est pas significative. Pour les prix de production, cela s’explique par un comportement de marge des entreprises plus important en basse conjoncture qui absorbe les variations de coûts.
48Nous pouvons en guise de conclusion appliquer ce dernier résultat à la situation observée depuis le début de la crise sanitaire. Au cours de l’année 2020, le prix du baril de Brent est passé de 64 dollars (respectivement 57 euros) en janvier à 18,5 dollars (respectivement 17 euros) en avril, pour s’établir aujourd’hui autour des 40 dollars (respectivement 34 euros), niveau qui devrait se stabiliser jusqu’à la fin de l’année selon notre prévision. Pour rappel, en octobre 2019, nous prévoyions un baril à 60 dollars (respectivement à 54.5 euros) tout on long de l’année 2020 (graphique 7). L’écart entre notre prévision d’octobre 2019 et le niveau constaté reflète l’incidence de la crise sanitaire sur le prix du baril de Brent en 2020. En partant de cet écart, et en utilisant les résultats présentés dans ce travail, nous avons évalué l’incidence d’une telle baisse sur les marges unitaires des entreprises.
Évolution et prévisions du prix du baril…
Évolution et prévisions du prix du baril…
49Pour l’ensemble de l’économie, nos estimations indiquent que cette baisse du prix du baril à la suite de crise sanitaire a permis d’améliorer les marges unitaires [5] des entreprises de plus d’1/2 point en 2020, estimation qui pourrait même s’élevée à 0,75 point compte tenu de la taille du choc [6].
50Si certains secteurs ne connaissaient aucune amélioration de leurs marges unitaires à la suite de cette baisse des prix du pétrole – c’est le cas pour l’hébergement et restauration, la construction, les services financiers, les matériels de transports et les denrées alimentaires –, pour d’autres en revanche, ce choc pétrolier a permis d’augmenter significativement les leurs (graphique 8). Pour les secteurs des transports, de l’énergie et dans l’agriculture, la baisse du prix du pétrole aurait permis d’accroître de plus de 1 point leurs marges unitaires et peut donc être considérée comme un choc d’offre significatif.
51On notera que cet effet sur les marges unitaires ne semble pas exclusivement lié à l’intensité énergétique des différents secteurs (voir graphique 8), mais pourrait être déterminé par la structure de concurrence au sein de chaque secteur.
Effet de la baisse du baril de pétrole sur les marges unitaires des entreprises par secteur en 2020
Effet de la baisse du baril de pétrole sur les marges unitaires des entreprises par secteur en 2020
Élasticités de prix de production et de ses composantes à un choc pétrolier
Estimations sectorielles détaillées | |||||
---|---|---|---|---|---|
Prix de production | CSU | Marges unitaires | Taxes unitaires | CUCI | |
Agriculture (AZ) | 0,032 | 0,018 | -0,054*** | 0,005 | 0,026** |
[1,25] | [0,57] | [-2,61] | [0,08] | [2,47] | |
Energie (DE) | 0,026*** | 0,040* | -0,120*** | 0,007 | 0,083*** |
[2,69] | [1,69] | [-3,67] | [0,24] | [4,00] | |
Denrées alimentaires (C1) | 0,022* | 0,014** | -0,016 | -0,066 | 0,031** |
[1,71] | [2,35] | [-0,89] | [-0,93] | [2,20] | |
Équipements électriques (C3) | 0,007** | 0,019** | -0,081* | -0,019 | 0,028** |
[1,95] | [2,20] | [-1,65] | [-0,36] | [2,42] | |
Matériels de transport (C4) | -0,008 | 0,030 | -0,004 | -0,034 | -0,011 |
[-0,66] | [0,87] | [-0,51] | [-0,79] | [-1,18] | |
Autres produits industriels (C5) | 0,026** | 0,039*** | -0,111*** | 0,024 | 0,047*** |
[2,20] | [3,93] | [-4,83] | [0,52] | [3,11] | |
Construction (FZ) | 0,011*** | 0,015*** | -0,033 | -0,010 | 0,018*** |
[3,42] | [2,80] | [-0,87] | [-0,45] | [3,94] | |
Commerce (GZ) | 0,012** | 0,062*** | -0,098*** | -0,091** | 0,030*** |
[2,47] | [5,52] | [-3,23] | [-2,26] | [3,11] | |
Transports (HZ) | 0,018*** | 0,011* | -0,225*** | 0,043 | 0,078*** |
[2,84] | [1,96] | [-8,71] | [0,64] | [3,95] | |
Hébergement & restauration (IZ) | 0,009*** | 0,020** | -0,034 | -0,102* | 0,013** |
[2,60] | [2,10] | [-1,04] | [-1,87] | [2,50] | |
Information & communication (JZ) | 0,016* | 0,032** | -0,043*** | -0,070 | 0,036* |
[1,83] | [2,20] | [-2,94] | [-1,24] | [1,90] | |
Services financiers (KZ) | 0,023 | 0,015* | 0,019 | -0,007 | -0,008 |
[1,60] | [1,80] | [0,37] | [-0,61] | [-0,81] | |
Services immobiliers (LZ) | -0,005 | -0,010 | -0,023** | 0,009 | 0,075** |
[-0,82] | [-0,58] | [-2,24] | [0,81] | [2,40] | |
Services aux entreprises (MN) | -0,001 | 0,008* | -0,034*** | -0,015 | 0,007** |
[-0,54] | [1,71] | [-3,04] | [-1,27] | [2,03] | |
Services aux ménages (RU) | 0,001 | 0,023 | -0,052* | -0,033 | 0,010* |
[0,10] | [1,51] | [-1,83] | [-0,44] | [1,87] |
Élasticités de prix de production et de ses composantes à un choc pétrolier
Bibliographie
Références
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- Bortoli C. et K. Milin, 2016, « Qui a bénéficié de la chute du prix du pétrole ? », INSEE, Note de conjoncture, mars, pp. 41-61.
- Chadi A. et K. Kpodar, 2020, « How Large and Persistent is the Response of Inflation to Changes in Retail Energy Prices? », IMF working paper, n° 20/93.
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- Heyer É. et P. Hubert, 2016, « Trois questions autour de l’impact du prix du pétrole sur la croissance française », Revue de l’OFCE, n° 147, pp. 197-222.
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- Kilian L., 2009, « Not all oil price shocks are alike: Disentangling demand and supply shocks in the crude oil market », American Economic Review, vol. 99, n° 3, pp. 1053-1069.
- Malliet P., F. Reynès, G. Landa, M. Hamdi‑Cherif, et A. Saussay, 2020, « Assessing Short‑Term and Long‑Term Economic and Environmental Effects of the COVID‑19 Crisis in France », Environmental and Resource Economics, n° 76, pp. 867–883.
- Myers R., S. Johnson, M. Helmar et H. Baumes, 2018, « Long-run and short-run relationships between oil prices, producer prices, and consumer prices: What can we learn from a permanent-transitory decomposition? », The Quarterly Review of Economics and Finance, n° 67, pp. 175-190.
- OFCE, 2020, « Évaluation au 30 mars 2020 de l’impact économique de la pandémie de COVID-19 et des mesures de confinement en France », OFCE Policy brief, n° 65, mars.
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- Radchenko S. et D. Shapiro, 2011, « Anticipated and unanticipated effects of crude oil prices and gasoline inventory changes on gasoline prices », Energy Economics, vol. 33, n° 5, pp. 758-769.
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Mots-clés éditeurs : pandémie Covid-19, marges unitaires, inflation, pétrole
Mise en ligne 18/12/2020
https://doi.org/10.3917/reof.168.0137Notes
-
[1]
Comme le montrent Ramaprasad et Malliaris (2011), les variations de change euro-dollar peuvent jouer un rôle important d’amortisseur de l’impact des fluctuations du prix du pétrole.
-
[2]
Afin de tester de potentiels effets dynamiques et croisés, nous avons introduits plusieurs retards : seule la variable contemporaine ressort significative.
-
[3]
Une option strictement équivalente économétriquement consiste à utiliser un terme d’interaction entre les variations de prix du pétrole et l’une des deux variables muettes. Le terme d’interaction mesurera la différence entre les deux états de la nature (l’effet marginal), tandis que dans notre spécification nous mesurons les deux effets moyens (et non la différence entre ces deux effets).
-
[4]
Il est intéressant de comparer nos résultats à l’étude de Malliet et al. (2020) où le choc associé au prix de l’énergie dû à la crise de la Covid-19 produit des effets permanents via une incitation pour l’économie à adopter une technologie de production différente – cet effet pouvant être contrecarré par une taxe carbone afin d’orienter les choix des firmes vers une réduction des émissions de gaz à effet de serre.
-
[5]
Les marges unitaires, qui représentent le ratio entre l’Excédent Brut d’Exploitation (EBE) des entreprises en valeur et leur production en volume, se différencient du taux de marge qui est le rapport entre l’EBE en valeur (respectivement en volume) sur la valeur ajoutée en valeur (respectivement en volume).
-
[6]
Les marges unitaires pour l’ensemble de l’économie s’élèvent à 20 % de la production des entreprises en volume. Pour 2020, une amélioration d’1/2 point de ces marges unitaires correspond à près de 19 milliards d’euros.