Notes
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[1]
Nous remercions Sandrine Levasseur, le référé anonyme, ainsi que les participants aux séminaires du LIEPP, de France Stratégie et de l’OFCE pour leurs nombreuses corrections et remarques qui ont permis d’améliorer sensiblement la rédaction de cet article.
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[2]
Pour le Luxembourg, la première place en termes de taux de prélèvements obligatoires sur le capital s’explique par le poids très élevé des revenus financiers, et non par une forte fiscalisation de ces revenus.
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[3]
Pour mémoire, 358 198 foyers étaient soumis au seul ISF en 2017, d’après la DGFiP.
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[4]
Pour un historique des droits de mutation depuis 1870, voir Dherbécourt (2019), et pour une réflexion sur les fondements philosophico-économiques de la fiscalité de l’héritage, voir Masson (2018).
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[5]
Une taxe similaire avait été adoptée par le gouvernement Jospin en 1999. Elle avait dû être supprimée en 2004 car jugée contraire à la libre circulation des personnes par la Cour de Justice des communautés européennes.
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[6]
Ce dernier est égal à la rentabilité exigée par les actionnaires.
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[7]
Les bénéfices non distribués sont imposés.
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[8]
Pour connaître les détails et spécificités des réformes adoptées dans chaque pays, on pourra se reporter à Genser (2006).
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[9]
Pour davantage de détails, on pourra se reporter utilement à Sørensen (2010), tableau 5.1.
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[10]
« while the dual income tax reform might potentially have had positive efficiency gains, part of the benefits was probably offset by increased income-shifting activities ».
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[11]
Loi n° 2017-1836 du 30 décembre 2017 de financement de la sécurité sociale pour 2018.
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[12]
Loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018.
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[13]
Le choix d’imposition à l’IR+PS plutôt qu’à la flat tax peut se justifier notamment dans le cas d’une cession anticipée de titres de PME ; en effet, l’abattement peut, au bout de 8 ans, atteindre 85 %.
1La fiscalité du capital en France présente plusieurs singularités par rapport aux 27 autres pays de l’Union européenne, d’après le rapport sur les tendances fiscales en 2016 (Commission européenne, 2018). Tout d’abord, le taux de prélèvement sur le capital y est l’un des plus élevés (première position si on exclut le Luxembourg [2]). Ensuite, l’immobilier y est lourdement taxé (première position). Enfin, la France fait partie des rares pays où les hauts patrimoines sont imposés sur la fortune en dépit d’une intense concurrence fiscale et d’une forte mobilité du capital.
2Les débats et les choix politiques sous-jacents à la taxation du capital sont guidés par un double impératif de justice et d’efficacité. Le caractère juste de la fiscalité du patrimoine revêt deux dimensions. La première est celle de la justice horizontale, à savoir qu’il convient de taxer de façon « égale » des revenus « identiques », charge au législateur de définir explicitement les notions de « taxation égale » et de « revenus identiques ». La seconde dimension est celle de la justice verticale : chaque citoyen doit participer au financement de la dépense publique en fonction de sa capacité contributive, et la société garantit à chacun des droits fondamentaux en termes d’accès à un minimum de subsistance. Il appartient alors au législateur de poser les bases de calcul de la contribution de chaque administré (quelle assiette de prélèvement ? quel taux ?) et d’identifier le minimum de subsistance à satisfaire (qu’est-ce qu’un individu est en droit d’attendre de la solidarité nationale ?). Le débat sur l’efficacité repose sur le fait que le capital a une utilité sociale. L’épargne nouvelle, investie dans le développement des entreprises et dans la construction de logements et d’infrastructures publiques ou privées, permet en effet d’accroître la capacité de production, et donc l’offre de biens et services, ce qui est aussi favorable aux salaires et aux niveaux de vie futurs des populations. La fiscalité « socialement optimale » du capital doit donc remplir deux objectifs : permettre un financement justement réparti du fonctionnement de l’État et de sa politique redistributive, d’une part ; ne pas porter préjudice à une allocation efficace de l’épargne ainsi qu’à une accumulation suffisante de capital productif sur le territoire national, d’autre part.
3On peut également assigner à la fiscalité deux autres missions d’ordre pratique et politique, allant au-delà de la seule question de l’optimalité sociale : la simplicité, autrement dit une fiscalité compréhensible et dont le paiement est facilité ; et l’acceptabilité au sens où une majorité de citoyens doit soutenir le système socio-fiscal et consentir implicitement à payer l’impôt.
4Lors de la campagne présidentielle de 2017, le débat politique a mis en concurrence plusieurs visions :
- La fiscalité du capital serait plus favorable à l’immobilier qu’aux investissements dans le secteur productif (Emmanuel Macron) ;
- La taxation de la fortune via l’impôt de solidarité sur la fortune (François Fillon et Emmanuel Macron) aurait des effets délétères qui conduiraient des entrepreneurs à quitter la France pour l’étranger afin d’y installer ou y créer leur activité ;
- La concentration accrue du capital serait synonyme d’un retour des inégalités sociales, ce qui légitimerait une taxation accrue des hauts revenus (Jean-Luc Mélenchon), et donc du capital, ainsi qu’un alignement de la fiscalité du capital sur celle du travail.
5La loi de finances 2018 adoptée par le Parlement fin 2017 a concrétisé le choix fiscal du Président fraîchement élu Emmanuel Macron. Cette loi modifie la façon dont le capital est taxé en inscrivant quatre changements majeurs : l’adoption d’un prélèvement forfaitaire unique (PFU), qui conduit à un taux proportionnel unique de 30 % (prélèvements sociaux (PS) inclus) sur l’ensemble des revenus financiers ainsi qu’aux plus-values sur valeurs mobilières ; une suppression partielle de l’impôt sur la fortune désormais restreint au seul patrimoine immobilier net des crédits en cours ; une imposition au PFU des gains financiers des contrats d’assurance avec des encours supérieurs à 150 000 euros ; une baisse du taux de l’impôt sur les sociétés à 25 % à l’horizon de 2022, contre 33,3 % en 2017.
6Cet article s’intéresse à la mesure du taux d’imposition économique du capital. Plus précisément, nous cherchons à comprendre comment les changements opérés par la loi de finances 2018 modifient les taux marginaux de prélèvement sur les revenus générés par les différents actifs qui composent le patrimoine. La juste estimation de ces taux est instructive à deux égards : du point de vue des arbitrages financiers (consommation/épargne, allocations de l’épargne) et des incitations à investir (efficacité productive), elle donne une idée de la façon dont les revenus marginaux nets du capital sont affectés ; du point de vue de l’équité (et aussi de la neutralité fiscale), les écarts de taux marginaux révèlent un traitement fiscal inégal des revenus du capital.
7Notre champ d’analyse se focalise sur les hauts patrimoines. Ce choix repose sur trois motivations. D’abord, le capital est fortement concentré, ce qui signifie que les comportements en matière d’épargne de ces populations ont des effets plus massifs. Ensuite, ces ménages ont en général saturé de nombreux dispositifs fiscaux avantageux pour l’épargne (plans d’épargne en actions, comptes d’épargne réglementés, etc.) car ces derniers sont plafonnés, ce qui rend ces hauts patrimoines plus sensibles à la fiscalisation hors niches fiscales. Leurs arbitrages financiers sont alors principalement guidés par les taux marginaux supérieurs d’imposition. Enfin, la suppression partielle de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) ne concerne que les patrimoines supérieurs à 1,3 millions d’euros. Par conséquent, par hauts patrimoines, nous entendons les ménages soumis au taux marginal supérieur de l’impôt sur le revenu (71 215 foyers sur 37,9 millions de foyers fiscaux en 2017, d’après la DGFiP) et qui paient l’ISF [3].
8Nos résultats donnent une évaluation de l’ampleur de la baisse des taux marginaux supérieurs. La suppression partielle de l’ISF a permis de ramener les taux marginaux supérieurs en dessous de 100 %, éliminant un aspect potentiellement confiscatoire de l’ISF. Le PFU a également réduit l’imposition des revenus financiers soumis au taux marginal supérieur de l’impôt sur le revenu (IR), ce qui correspond à l’objectif recherché. La baisse de l’IS a un effet non négligeable. Nos calculs mettent également en évidence trois conséquences de la convergence des taux de fiscalisation des revenus du capital :
- Le PFU sur l’assurance-vie réduit la fiscalité pour des retraits avant 8 ans ; pour la partie des contrats supérieure à 150 000 euros, la fiscalité devient indépendante de l’horizon de détention.
- Il en est de même de l’imposition des plus-values réalisées sur valeurs mobilières qui ne dépend plus de l’horizon de détention.
- La baisse de l’imposition des revenus obligataires est notable.
9L’article s’organise comme suit. Nous revenons d’abord sur l’évolution de la fiscalité du capital au cours du temps, son incidence potentielle sur les choix économiques et sur la mesure des taux marginaux d’imposition. Nous discutons ensuite des arguments économiques qui ont conduit à un arbitrage en faveur de l’adoption du PFU et d’une suppression partielle de l’ISF. Enfin, nous calculons les taux marginaux économiques avant réforme pour différentes classes d’actifs (obligations, actions et immobilier), puis évaluons l’impact de la loi de finances 2018. La dernière section conclut.
1 – Quelques rappels : comment la fiscalité du capital s’immisce-t-elle dans les arbitrages économiques privés ?
1.1 – La fiscalité du capital en France : un bref historique
10Traditionnellement en France, une distinction fiscale s’est opérée sur l’assiette de prélèvement selon la nature des différents actifs détenus, mais aussi selon l’origine du revenu (capital ou travail). Jusqu’en 2007, étaient soumis à un prélèvement libératoire les obligations et les plus-values sur valeurs mobilières tandis qu’étaient soumis à l’impôt sur le revenu (IR) les dividendes versés aux actionnaires, les revenus fonciers et les plus-values immobilières, au même titre que les revenus du travail. Deux changements vont modifier profondément la fiscalité du capital : un impôt sur les grandes fortunes (IGF) est instauré en 1982 avec un taux marginal supérieur de 1,5 %, et un prélèvement social est instauré en 1989 avec la création de la contribution sociale généralisée (CSG) qui frappe également les revenus du capital. Parallèlement, des dispositifs réglementés avec une fiscalité allégée ont également été mis en place : parmi les plus anciens, le Plan d’Epargne Entreprise (PEE) créé en 1966 permet aux salariés de soustraire leur intéressement de l’imposition à l’IR lorsqu’il est épargné sur ce compte bloqué ; des comptes d’épargne réglementés (PEL, CEL, Livret A, Codevi-LDD) permettent d’échapper partiellement ou totalement à l’impôt ; les Plans d’épargne en action (PEA) ont été créés en 1992 avec, au bout de 5 ans, des gains en capital taxés seulement aux PS ; l’assurance-vie bénéficie d’une imposition spécifique avec des gains financiers soumis aux PS et un prélèvement forfaitaire libératoire (PFL) qui diminue avec le temps ; de nombreux dispositifs de fiscalité immobilière vont proposer des impositions différenciées des revenus fonciers en intégrant différentes règles d’amortissement de l’investissement initial.
11Le traitement fiscal des dividendes a pendant longtemps intégré l’avoir fiscal, c’est-à-dire le montant d’impôt sur les sociétés (IS) déjà payé par l’entreprise. Le contribuable déclarait à l’IR le dividende perçu additionné de l’avoir fiscal et le montant dû d’IR était ensuite diminué de l’IS déjà payé. Cela permettait de taxer le profit brut distribué à l’IR au lieu de l’IS, ce qui permettait aussi d’éviter une double imposition. En 2005, l’avoir fiscal a été supprimé et remplacé par un abattement, avant imposition, du dividende (infra).
12La fiscalité immobilière a toujours présenté une singularité puisque la détention de biens immobiliers est soumise à deux impôts spécifiques : une taxe lors de l’acquisition (droits de mutation à titre onéreux ou DMTO) et une taxe pendant la détention (taxe foncière). Concernant la taxe foncière, la question de la juste estimation de la valeur locative est souvent posée (Trannoy, 2011). La valorisation ancienne de certains biens rend l’impôt inique, ce qui milite pour une revalorisation plus régulière.
13Un canal important d’acquisition de patrimoine est lié aux donations et aux successions. Les droits de mutation à titre gratuit (DMTG) frappent les transferts lors des successions [4].
14L’année 2007 marque un tournant avec une première tentative de distinction fiscale claire entre revenus financiers et revenus du travail : les dividendes deviennent également imposables au prélèvement forfaitaire libératoire. L’élection de François Hollande en 2012 inverse la tendance : la volonté d’aligner la fiscalité des revenus du travail et du capital est clairement affichée, et tous les revenus du capital intègrent l’assiette fiscale de l’IR. En outre, la crise ayant fragilisé l’économie et les finances publiques, deux motivations ont légitimé l’alourdissement de la fiscalité du capital. D’abord, les causes de la crise étaient financières et le capitalisme financier était jugé « coupable ». Ensuite, il pouvait paraître préférable de taxer davantage les revenus des hauts patrimoines qui présentaient de plus fortes capacités contributives au regard du reste de la population.
15Pour les hauts patrimoines, la question de la mobilité du capital est problématique : à trop vouloir les taxer, il peut y avoir une tentation de départ à l’étranger. Pendant la période de cohabitation 1986-1988, l’impôt sur les grandes fortunes (IGF) a été supprimé pour ce motif. Suite à l’alternance gouvernementale de 1988, il a été rétabli par la loi de finances de 1989, sous le nom d’impôt sur la fortune (ISF). Le nouveau taux marginal supérieur a été fixé à 1,1 %, un taux plus faible que celui de l’IGF. Le gouvernement Rocard a également introduit un plafonnement pour limiter l’impact potentiellement confiscatoire de l’ISF : le total ISF+IR ne pouvait dépasser 70 % des revenus. Dominique Strauss-Kahn a remonté ce plafond à 85 % en 1991. En 1996, le gouvernement Juppé a « plafonné » ce plafonnement : la réduction d’ISF ne pouvait pas être supérieure à 50 %. En 2006, l’instauration d’un bouclier fiscal sous le gouvernement Villepin s’est superposée à ce plafonnement. L’objectif était que le montant d’impôts directs (IR, ISF, taxes foncières et d’habitation sur la résidence principale) ne puisse dépasser plus de 60 % des revenus. Après l’élection de Nicolas Sarkozy, la loi TEPA du 21 août 2007 a réduit ce taux à 50 %. Le gouvernement Fillon a supprimé le bouclier fiscal en 2011 avec, en contrepartie, une diminution du taux d’ISF (le taux marginal supérieur a été réduit à 0,5 %) et une hausse du seuil d’entrée à 1,3 millions d’euros contre 790 000 euros précédemment. Pour décourager les potentiels départs à l’étranger, une exit tax a été instaurée [5]. Cette dernière a permis d’imposer, même après leur départ, les plus-values mobilières réalisées en France par les anciens contribuables. Après l’alternance de 2012, le gouvernement Ayrault a fait voter en 2013 une remontée des taux d’ISF (taux marginal supérieur porté à 1,5 %). La loi de finances 2013 a également prévu d’inclure des revenus latents, notamment la variation de la valeur de rachat des contrats d’assurance-vie et le bénéfice distribuable pour les entrepreneurs, dans le calcul du plafond (IR+ISF) de 85% des revenus. Le Conseil d’Etat a déclaré « contraire à la Constitution l’intégration des revenus latents dans le dénominateur du calcul du plafonnement » car cela « conduit à une appréciation de la capacité contributive des redevables en traitant comme des revenus des sommes qui n’ont pas été effectivement perçues et qui pourront dans certains cas ne jamais l’être ». En retour, il a imposé un plafonnement de l’impôt total (IS+ISF) à 75 % du revenu réellement perçu.
16En 2017, la tendance s’est fortement inversée avec la loi de finances 2018 (infra). La volonté d’encourager l’entreprenariat, l’orientation de l’épargne vers l’investissement productif et donc le développement des entreprises ont conduit à la création d’un nouveau prélèvement libératoire sur les revenus financiers : le prélèvement forfaitaire unique (PFU). Cette mesure est complétée par une réforme de l’ISF : la base fiscale du nouvel impôt est réduite à la seule détention d’actifs immobiliers, c’est la naissance de l’impôt sur la fortune immobilière (IFI). Ensuite, les gains financiers de l’assurance-vie sont désormais soumis au PFU après 8 années de détention pour les contrats supérieurs à 150 000 euros. Enfin, la baisse programmée de l’IS s’inscrit dans une logique de concurrence fiscale : pour rester compétitive, la France doit adopter une fiscalité du capital similaire à celle des autres pays.
17Dans la logique du programme d’Emmanuel Macron, le gouvernement pourrait aller plus loin en supprimant l’exit tax. D’un certain côté, cette dernière pouvait être jugée utile car décourageant les départs en augmentant le coût du départ. D’un autre côté, elle pouvait être jugée inefficace dès lors qu’elle décourageait les plus fortunés à s’installer en France et les entrepreneurs à fort potentiel à développer leur activité productive sur le territoire national.
1.2 – Fiscalité du capital et arbitrages économiques : consommation/épargne et choix d’investissement des entreprises
18Au niveau de l’épargnant, la fiscalité (IR+PS+ISF) agit sur les arbitrages à 3 niveaux : (1) elle modifie ses arbitrages lorsqu’elle ne taxe pas de la même façon les actifs détenus (le principe de neutralité fiscale ne s’applique alors pas) ; (2) elle réduit le revenu de l’épargne (effet revenu) ; (3) elle modifie la valeur actualisée des prix futurs, ces derniers augmentent avec la baisse du rendement net, ce qui a un impact sur les arbitrages intertemporels (effet substitution favorable à l’achat de bien présent).
19Au niveau de l’entreprise, l’impôt sur les sociétés (IS) influe sur le coût du capital dès lors que l’amortissement économique diffère de l’amortissement fiscal. Dans ce cas-là, la mesure fiscale du bénéfice diffère de sa mesure économique. La fiscalité a également un impact sur le coût du capital lorsqu’une entreprise recourt à l’autofinancement. Puisque que le coût financier [6] du financement par fonds propres n’ouvre pas droit à une déductibilité fiscale [7], le taux d’imposition des sociétés a un impact sur le coût du capital. Dès lors que la fiscalité s’immisce dans le coût du capital, elle a une incidence sur les choix d’investissement (Gubian et al., 1986).
20Au niveau global, la fiscalité du capital provoque un écart entre le rendement net perçu par l’épargnant et la rentabilité brute du capital :
21Revenu financier perçu = Bénéfice fiscal – IS– IR – PS – ISF
22L’écart total s’exprime ainsi :
23Bénéfice économique – Revenu financier perçu = (Bénéfice économique –Bénéfice fiscal) + IS + IR + PS + ISF.
24Cet écart traduit une distorsion dans les comportements d’épargne et les stratégies de financement des entreprises. Dans la suite de l’article, nous nous intéresserons uniquement à la distorsion existante entre le bénéfice fiscal et le bénéfice perçu après l’inclusion de l’impôt sur les sociétés. La composante de biais fiscal (Bénéfice économique –Bénéfice fiscal) liée à une différence conceptuelle entre la mesure fiscale et la mesure économique ne sera pas quantifiée.
1.3 – Mesurer les taux d’imposition pertinents : du taux apparent au taux économique
25L’appréciation de l’incidence de la fiscalité sur le capital n’est pas la même que celle sur le travail. En effet, le revenu du capital est la rémunération d’un renoncement temporaire à une somme d’argent alors que le revenu du travail est la compensation financière d’un effort productif fourni pendant une période donnée.
26Déterminer le taux économiquement pertinent a déjà fait l’objet de nombreux calculs (Sterdyniak, 2012 ; Antonin et Touzé, 2015 et 2017 ; Allègre et al., 2016). Apprécier un taux économique nécessite d’intégrer cinq dimensions : l’inflation, la maturité, l’imposition de la détention, la nature des revenus (revenus versés ou plus-values) et la superposition des fiscalités.
27Dans les calculs présentés ci-après, nous nous efforçons de calculer le taux d’imposition marginal qui s’applique ex ante à un euro de revenu supplémentaire, pour un actif et une maturité donnés. L’OCDE utilise une mesure alternative de taux marginal effectif, basée sur la méthode développée par King et Fullerton (1994). Elle se rapproche de la nôtre à ceci près que la maturité est supposée aléatoire et que la distribution de cette maturité est supposée suivre une loi exponentielle qui dépend d’un paramètre. La mesure du taux marginal effectif s’obtient alors en comparant, pour un euro investi, les taux de rendement interne de l’opération financière avant et après taxation du capital. OCDE (2018) présente une mesure de ce taux marginal effectif pour différentes classes d’actifs et dans différents pays.
L’inflation
28Le rendement du capital doit s’apprécier en termes réels. A l’instar de l’usure naturelle du capital physique dans le temps qui vient en réduire la valeur d’usage, l’inflation traduit aussi une perte, celle de la valeur en pouvoir d’achat de l’épargne. En général, la fiscalité du capital autorise à intégrer l’amortissement physique pour réduire le revenu du capital imposable, mais exclut l’inflation, ce qui crée une distorsion. Pourtant, la base fiscale économiquement pertinente devrait être le revenu réel, c’est-à-dire le revenu dont la valeur reste égale dans le temps. Une déductibilité de l’inflation devrait donc être autorisée. La non déductibilité implique que le contribuable paie une taxe sur l’inflation, ce qui crée un écart entre le taux de taxation apparent et le taux économique. L’écart entre le taux de rendement nominal (r) et le taux d’inflation (π), r – π, est le revenu réel que rapporte 1 euro placé pendant un an. τapparent . τ est l’impôt payé. L’équation ci-dessous donne la formule explicite du calcul qui lie le taux économique au taux apparent :
30Lorsqu’il y a de l’inflation (π > 0), le taux économique est supérieur au taux apparent.
La maturité d’un placement
31La durée de détention est un critère important pour apprécier l’impact de la fiscalité. En effet, de nombreux produits d’épargne proposent des fiscalités différenciées selon que l’épargne est taxée à l’entrée, pendant la durée de détention ou à la sortie :
- Taxation à l’entrée : l’épargne investie ne donne pas droit à une réduction d’impôt (τe).
- Taxation à la sortie : les revenus accumulés et les plus-values réalisées sont taxés au taux (τs).
- Taxation au fil de l’eau : les revenus accumulés et les plus-values réalisées sont taxés au taux (τd)
- avant d’être capitalisés.
32Le tableau 1 récapitule l’évolution du gain financier nominal net (GFNnet) obtenu à un horizon T selon les différentes configurations précitées. Le gain financier réel brut (GFRbrut) est le gain réel qu’obtiendrait un épargnant en l’absence de fiscalité.
Placement avec une maturité T : gain financier nominal après impôt (GFNnet)
Fiscalisation à l’entrée et défiscalisation à la sortie | Défiscalisation à l’entrée (τe) et fiscalisation à la sortie (τs) | |
---|---|---|
Défiscalisation pendant la détention | (1 + r)T – 1 | |
Fiscalisation au fil de l’eau (τd) | (1 + (1 – τd).r)T – 1 |
Placement avec une maturité T : gain financier nominal après impôt (GFNnet)
33Il est mesuré par .
34On déduit alors le taux d’imposition économique :
La fiscalité sur la valeur du capital
36Il existe un lien entre revenu et valeur du patrimoine. Lorsqu’on taxe la détention d’un capital d’une valeur de 1€ au taux τK, le revenu réel net du capital est alors égal à r – π – τK. On déduit alors que le taux économique se calcule comme suit :
38Le taux économique d’imposition sur le revenu réel du capital est inversement proportionnel au rendement réel. À taux de prélèvement constant, une baisse du rendement réel induit une hausse du taux d’imposition économique.
Nature des revenus : revenus versés ou plus-values
39La fiscalité peut introduire une distinction selon que le revenu financier est issu d’un versement (intérêt ou dividende avec un rendement r) ou d’une plus-value, notée pvT = pT – p0, réalisée à l’issue de la vente à un prix pT après une détention d’une durée T d’un actif acheté p0. La principale distinction opérée dans le cadre de l’imposition des plus-values est la possibilité d’appliquer chaque année un amortissement, noté α, et donc une réduction de la base imposable, selon la durée de détention. Le taux d’imposition économique à l’horizon T se calcule alors comme suit :
Superposition des fiscalités
41Les fiscalités sur le capital se juxtaposant, il est important d’en apprécier l’effet cumulé. Cet effet n’est pas le même selon que les fiscalités sont additives ou multiplicatives. Dans la seconde configuration, les impôts déjà payés sont déductibles de la base fiscale alors que ce n’est pas le cas dans la première configuration. Par exemple, une partie de la CSG n’est pas déductible à l’IR.
42Le tableau 2 récapitule pour les principaux placements comment et à quel moment les différents prélèvements financiers se superposent.
Placements et superposition des fiscalités
Placements et superposition des fiscalités
43En ce qui concerne la détention d’actions, on notera que l’incidence de la fiscalité dépend de la façon dont est affecté le dividende. Le profit d’une entreprise est imposé d’abord à l’IS. Ensuite, il est soumis aux PS+IR (taux progressif, PLF ou PFU depuis 2018) s’il conduit à verser un dividende. Dans le cas où le dividende n’est pas versé, le revenu n’est pas soumis aux PS+IR (ou PFU depuis 2018). Ce non-versement augmente la valeur financière de l’entreprise. Cette plus-value est taxée à l’issue d’une vente d’actions. Si la plus-value est réalisée après une période de détention suffisamment longue, le non-versement du dividende bénéficiera alors d’un abattement avant d’être soumis à l’IR.
44Le régime des plus-values en matière immobilière est un régime à part : les plus-values sur résidence principale ne sont pas imposées tandis que les plus-values sur les autres biens sont soumises aux PS et à l’IR mais bénéficient d’un abattement.usqu’en 2011, l’abattement était de 10 % par an à compter de la 5e année de détention, ce qui entraînait une imposition nulle après 15 ans de détention. Depuis, deux types d’abattement cohabitent à compter de la 5e année. Pour l’IR, l’abattement est de 6 % par année jusqu’à la 21e année puis de 4 % la 22e année. Après 23 ans de détention, la plus-value est exonérée d’IR. Pour les prélèvements sociaux, l’abattement est plus lent : 1,65 % par an jusqu’à la 22e année, 1,6 % par an la 22e année, puis 9 % par an ensuite. Au-delà de 30 années de détention, la plus-value est exonérée de prélèvements sociaux.
45L’assurance-vie est un placement qui dispose de son propre régime fiscal. Les gains des contrats résiliés sont soumis aux prélèvements sociaux ainsi qu’à un taux de prélèvement libératoire. Ce dernier est de 35 % pour des contrats résiliés avant 4 ans, de 15 % pour les contrats résiliés entre 4 et 8 ans et de 7,5 % au-delà de 8 ans.
2 – Réformer la fiscalité du capital : quels arbitrages publics ?
2.1 – Les fondements théoriques de l’imposition duale
46La réforme fiscale de 2018 vise à rapprocher le modèle français des modèles scandinaves (Danemark, Finlande, Norvège et Suède). Ces pays ont réformé leur système d’imposition entre 1987 et 1993 [8]. Le modèle-type est un système dual. Dans la terminologie anglo-saxonne, le terme de dual tax correspond à une taxation différenciée du capital et du travail. Ce système combine des revenus du travail taxés à des taux progressifs et des revenus du capital taxés à taux fixe (flat tax). Cette taxation différenciée est également celle qui est prônée par la Mirrlees Review on Tax Reform. Dans une telle optique d’un impôt unique sur le capital, il est important que la base taxable de l’impôt sur le capital soit large, afin d’assurer la neutralité fiscale la plus grande. En effet, la neutralité fiscale résulte du fait qu’en appliquant le même traitement fiscal à l’ensemble des actifs et passifs, la fiscalité devient neutre sur les arbitrages financiers (Antonin et Touzé, 2015).
47À l’issue des réformes fiscales, les pays scandinaves ont ainsi conservé une taxation progressive par tranche sur les revenus du travail, avec une tranche marginale inférieure autour de 30 %, et une tranche marginale supérieure autour de 50 % [9]. Quant au taux fixe sur les revenus du capital, il se situe à 28 % (Finlande et la Norvège) et 30 % pour la Suède. Le taux d’imposition des sociétés est de 26 % pour la Finlande, et 28 % pour la Norvège et la Suède. En s’inspirant de l’exemple suédois, Aghion et al. (2014) plaident pour un taux de prélèvement uniforme à 30 % des revenus du capital.
48Dans la version « pure » du système, le taux de la flat tax est aligné sur le taux d’imposition des sociétés et correspond au taux marginal de la première tranche d’imposition du revenu du travail (Sørensen, 2010). Dans ce cas, le système d’imposition différenciée se présente comme un système qui combine une taxe proportionnelle sur l’ensemble du revenu, et une surtaxe progressive sur les revenus du travail et les revenus de transfert.
Les avantages de cette réforme
49Plusieurs arguments plaident en faveur de cette réforme (Boadway, 2004 ; Sørensen, 2005) : un traitement plus favorable des revenus du capital serait efficace ; une taxe unique des revenus du capital garantirait la neutralité fiscale ; la taxation différenciée serait utile dans un contexte de mobilité du capital. Plus récemment, dans leur ouvrage Repenser l’Etat : pour une social-démocratie de l’innovation, Aghion et Roulet (2011) complètent l’argumentaire en ajoutant l’équité fiscale et l’encouragement à l’innovation.
50La mobilité du capital au sein de l’Union européenne, qui a été facilitée par l’Acte Unique de 1986, est un argument majeur. De fait, elle permet aux entreprises, ainsi qu’aux détenteurs de capitaux, d’optimiser leurs choix d’implantation géographique en jouant sur les différences de fiscalité, ce qui met les pays européens en situation de concurrence fiscale. En l’absence de coordination et de cadre réglementaire commun, chaque État est donc tenté d’exercer pleinement sa souveraineté fiscale et d’adopter des stratégies d’attractivité fiscale. Ces dernières consistent à taxer plus les facteurs les moins mobiles (le travail et le patrimoine foncier) et à taxer moins les facteurs les plus mobiles (l’épargne financière). Une telle perspective met les pays européens sous pression. Ces derniers auraient donc tout intérêt à se coordonner pour harmoniser la fiscalité du capital (Allègre et Pellefigue, 2018 et Sterdyniak, 2018) s’ils ne veulent pas voir l’Europe sombrer dans une course au moins-disant fiscal.
51Aghion et Roulet (2011) soulignent également l’argument de l’équité fiscale. Selon ce principe, chacun devrait participer aux dépenses collectives selon sa capacité contributive. Or, ces auteurs remarquent que, dans les comparaisons européennes, ce sont les pays scandinaves, Danemark et Suède en tête, qui affichent la distribution de revenus après impôts la plus égalitaire, mesurée par des indicateurs d’inégalités comme le coefficient de Gini. Cela étant, l’interprétation du principe d’équité fiscale ne fait pas consensus, et pour ses détracteurs, la taxe différenciée n’est pas garante de l’équité (voir infra).
52Un autre argument est celui de l’efficacité et de l’innovation (Aghion et Roulet, 2011) : « Par-delà ce critère d’équité, un bon système fiscal doit satisfaire un autre objectif, à savoir préserver les incitations à innover et à entreprendre, et même les augmenter en ouvrant l’accès aux opportunités d’invention et de création ». Ces deux auteurs montrent que les pays où la croissance de la productivité a été la plus forte sur la période 2000-2009 sont ceux qui possèdent le plus de brevets, notamment la Finlande et la Suède, deux pays qui ont opté pour la taxation duale.
53La neutralité fiscale, autrement dit le fait d’éviter les distorsions fiscales sur les arbitrages financiers, est également un critère important. D’après Boadway (2004), la neutralité fiscale encouragerait les ménages à épargner. En France, le Code des impôts comporte de nombreuses niches fiscales (clauses de défiscalisation, d’amortissement, de déductibilité, etc.) qui tendent à complexifier le calcul de l’impôt et donc sa lisibilité et sa neutralité. Ainsi, on recensait 451 niches fiscales en 2017 ; d’après l’annexe au projet de loi de finances, ce chiffre devait passer à 457 dans le budget 2018, ce qui représente un montant de 99,8 milliards d’euros. Selon Landais, Piketty et Saez (2011), ces niches expliqueraient en partie la dégressivité du système fiscal français pour les très hauts revenus. L’introduction d’une taxe proportionnelle prélevée sur une base large du capital pourrait être l’occasion de supprimer ces niches.
54La moindre taxation du capital réduit aussi le phénomène de double taxation du capital. Cet effet cumulatif des impôts résulte du fait que le revenu constitutif du capital a déjà été taxé (Mill, 1848 ; Fischer, 1939). Une taxe globale et indifférenciée des revenus, qui frapperait donc uniformément et sans distinction les rémunérations du travail et du capital, est susceptible de renforcer la double taxation. Dans cette perspective, la réforme norvégienne de 1992 a ainsi adopté un mécanisme de crédit d’impôt pour éviter la double imposition des dividendes. Pour les plus-values non distribuées, la double taxation a également été limitée grâce au système RISK. Au moment du calcul de la plus-value imposable, ce système permet aux actionnaires de distinguer les vrais gains en capital des profits non distribués.
Les critiques
55Le système d’imposition dual fait l’objet de deux critiques principales : d’une part l’équité fiscale, d’autre part le risque d’optimisation fiscale entre capital et travail.
56Une première critique porte sur l’interprétation du principe d’équité fiscale horizontale. Selon ce principe, des individus ayant la même capacité contributive doivent s’acquitter du même montant d’impôt. Une série de questions se pose. Qu’est-ce qu’une capacité contributive ? Est-elle semblable quelle que soit la nature des revenus perçus (travail ou capital) ? Faut-il considérer de la même manière un revenu consommé, un revenu réinvesti, un revenu latent ou l’usufruit d’un bien ? Une application stricte du principe d’équité fiscale milite en faveur d’une taxation indifférenciée. Cette vision est défendue par Landais, Piketty et Saez (2011). Leur projet de « révolution fiscale » avait d’ailleurs guidé le programme du président Hollande (« Les revenus du capital seront imposés comme ceux du travail ») et la réforme de 2013. Cette dernière avait soumis les revenus du capital au barème de l’impôt sur le revenu. Pour Boadway (2004), la question de l’équité horizontale se pose différemment car selon lui, une taxation différenciée évite justement de discriminer les ménages qui épargnent plus. De plus, il considère que la question des inégalités, et donc de l’équité verticale, peut être traitée en taxant suffisamment les transferts de richesse (par exemple, les legs et les héritages).
57Autant l’impôt unique sur le capital est censé limiter les comportements d’optimisation entre classes d’actifs, autant l’optimisation fiscale entre type de revenus (travail ou capital) est encouragée par la taxation différenciée (Sørensen, 1994). D’après Pirttilä et Selin [10] (2011), cette nouvelle forme d’optimisation fiscale (taxshifting) aurait contrebalancé les gains d’efficacité de la réforme. Ce type de comportement résulte du fait que la classification des revenus entre capital et travail, bien que claire conceptuellement, est en pratique difficile. En effet, on constate que le partage de la création de valeur entre capital et travail peut obéir à un certain arbitraire, lui-même sensible au contexte fiscal. Par exemple, les revenus des indépendants sont mixtes et ces derniers peuvent décider de l’affectation du résultat de leur activité entre salaire et profit. Pour les dirigeants d’entreprises, la rémunération prend également plusieurs formes (salaires, dividendes, stock-options ou plus-values). Par voie de conséquence, le système d’imposition dual risque d’inciter certains contribuables, et a priori les plus aisés, à convertir leurs revenus du travail en revenus du capital taxés à taux plus faible (Alstadsæter, 2006). D’après Gordon et Slemrod (1998), les entreprises s’adapteraient à la fiscalité en modifiant le mode de rémunération des dirigeants. Ainsi, les périodes d’augmentation de l’impôt sur les sociétés auraient entraîné, aux Etats-Unis, une reclassification des revenus des entreprises vers les revenus du travail. Parmi les nombreuses études d’impact des réformes fiscales scandinaves, certaines détectent des reclassifications des revenus du travail en revenus du capital pour les entreprises (Sørensen, 1994 ; Kari, 1999 ; Lindhe et al., 2002 et 2004) ainsi que pour les travailleurs indépendants (Pirttilä et Selin, 2011).
58Comment éviter cette nouvelle forme d’optimisation fiscale ? Pour y arriver, il faudrait que l’administration fiscale soit en mesure de réaliser une décomposition objective du revenu entre rémunération du travail et celle du capital. Pour les indépendants, il y a deux approches possibles (Sørensen, 1994) : attribuer un revenu du travail et considérer le reste comme le revenu du capital ou attribuer un rendement au capital et considérer le solde restant comme le revenu du travail. Les pays nordiques ont opté pour cette dernière approche. Une nouvelle question se pose alors : quel rendement du capital choisir ? La réponse n’est pas simple. Bond et Devereux (1995, 2003) recommandent d’utiliser le taux d’intérêt nominal sans risque des obligations d’État dès lors que l’entrepreneur bénéficie d’une déduction fiscale pour capital risqué. Quant à Panteghini (2001), il considère que le taux doit être plus élevé que le taux sans risque quand les investissements sont irréversibles. Sur un plan empirique, Lindhe et al. (2002) montrent que l’importance de l’optimisation fiscale dépend de la spécificité des règles fiscales en vigueur : forte optimisation en Finlande, moindre sensibilité de cette optimisation en Norvège et neutralité en Suède. Par conséquent, le choix d’un système d’imposition dual doit nécessairement s’accompagner d’une réflexion approfondie sur la façon de minimiser l’optimisation fiscale entre types de revenu. Soulignons enfin qu’une forte imposition des revenus du travail par rapport aux revenus du capital peut à l’inverse inciter les hauts revenus à adopter un comportement de rentier et les décourager du travail, d’où un autre nécessité : celle de limiter les effets désincitatifs d’une taxation trop progressive des revenus du travail.
2.2 – Les fondements théoriques de l’imposition sur la fortune
59Comme le rappellent Antonin et Touzé (2015 et 2017) et Allègre et al. (2016), il existe plusieurs arguments théoriques en faveur et défaveur d’une taxation du patrimoine. D’abord, étant donné que les propriétaires d’un important patrimoine bénéficient davantage des dépenses publiques (infrastructures, défense des droits de propriété), ils doivent en supporter plus spécifiquement le financement. Par ailleurs, la répartition du patrimoine est plus inégalitaire que celle du revenu (ratio entre le 1er et le 9e décile de 4,2 pour le revenu contre 205 pour le patrimoine), il convient donc de réduire les inégalités en taxant le patrimoine. En outre, puisque l’ISF exige une rentabilité minimale du capital, il incite les détenteurs d’un capital non rentable à rechercher un emploi plus rémunérateur, ce qui permet d’accroître l’efficacité et de combattre les rentes illégitimes (Allais, 1966). Enfin, l’ISF a rapporté environ 4 milliards en 2017, en tenant compte du plafonnement, ce qui est loin d’être négligeable. A titre de comparaison, son successeur, l’impôt sur la fortune immobilière (IFI) aurait rapporté environ 1 milliard d’euros en 2018, soit une moindre rentrée fiscale de l’ordre de 3 milliards.
60L’impôt sur la fortune a néanmoins fait l’objet de critiques récurrentes, avec, en premier lieu, l’argument de la taxation multiple. Dans la mesure où le revenu constitutif de l’épargne est déjà taxé, imposer le patrimoine, qui est l’accumulation de cette épargne, revient à taxer plusieurs fois les mêmes revenus. Cet effet de taxation multiple est d’autant plus fort pour la détention de patrimoine immobilier, que ce dernier supporte la taxe foncière. En outre, l’ISF exonère les fortunes professionnelles. Ce choix a un sens du point de vue productif et du maintien de l’emploi, mais il contribue aussi à taxer davantage les fortunes moyennes que les grosses fortunes. Par ailleurs, l’exonération des biens professionnels encourage fortement les détenteurs de capitaux à rester longtemps impliqués dans la gestion de leur entreprise. Ces choix ne sont pas toujours optimaux pour des raisons d’âge ou de compétences. Enfin, on retrouve l’argument de la mobilité du capital déjà évoqué, qui favorise l’exil fiscal des individus les plus fortunés ou avec une forte capacité à créer une entreprise. L’étude de Zucman (2008) tendrait plutôt à infirmer la thèse d’un exode fiscal massif puisque d’après ses calculs, le manque à gagner pour les finances publiques aurait été de seulement 10 % de la recette fiscale de l’ISF entre 1995 et 2006.
61On notera que l’existence d’un plafonnement de l’ISF ouvre aussi la possibilité d’une importante optimisation fiscale. Puisque seuls les revenus du capital versés sont intégrés dans la base fiscale du plafond, il est alors préférable de posséder son patrimoine dans le cadre d’une structure financière qui permet de capitaliser les revenus financiers sans préalablement les percevoir. Cette stratégie réduit le revenu imposable, ce qui conduit au plafonnement de l’ISF à payer. En 2017, le plafonnement a amputé les recettes d’ISF d’environ un milliard d’euros. Ce plafonnement a paradoxalement un effet pro-investissement en raison d’un fort encouragement à réinvestir les revenus du capital au lieu de les percevoir. Le plafond peut aussi encourager les propriétaires de capitaux à exiger une moindre distribution des bénéfices et à ce qu’ils soient réinvestis dans l’entreprise.
62Une critique de l’ISF est plus spécifiquement liée au traitement indifférencié du capital mobilier « productif » et de l’immobilier, avec l’idée suivante : le capital productif permettrait de financer l’économie et sa taxation serait préjudiciable, car elle conduirait au départ les détenteurs de capital productif, privant le pays d’investissement et de financement de l’innovation, alors que le capital immobilier, jugé moins « productif », serait une rente qu’il faudrait taxer. Cette idée est néanmoins contestée. D’une part, l’assiette de ce nouvel impôt est discutable : Sterdyniak (2017) considère qu’il n’y a aucune raison objective pour que les biens de luxe, comme certaines voitures très hauts de gamme, échappent à la taxation sur le patrimoine. Par ailleurs, l’investissement locatif est un investissement à part entière et n’est pas plus improductif que la production d’autres services. Cette distinction crée également des risques d’optimisation entre les différentes formes de placements. Par exemple, si les dettes immobilières sont déductibles du montant du patrimoine immobilier imposable, Sterdyniak (2017) considère l’exemple d’un individu disposant d’un patrimoine de 3 millions d’euros et voulant faire un placement immobilier : ce dernier peut acheter un immeuble pour 3 millions, qui sera imposé ; mais il peut aussi acheter cet immeuble avec un crédit de 2,5 millions et utiliser 2,5 millions à faire des placements financiers. Dans ce cas, son patrimoine immobilier net ne sera que de 0,5 million et il pourra échapper à l’impôt. La LF 2018 a pris en compte ce cas de figure. Elle prévoit ainsi que le crédit restant dû est mesuré à l’aide d’un amortissement spécifique différent de l’amortissement financier apparent, i.e. le détenteur du crédit rembourse les intérêts chaque année et le capital emprunté à la fin du crédit. En matière d’IFI, l’administration fiscale considère donc que le crédit restant dû, et donc déductible du patrimoine immobilier, est remboursé comme un crédit classique.
3 – Loi de finance 2018 : un impact significatif sur les taux marginaux supérieurs
3.1 – Législation comparée avant et après 2018
63Rappelons tout d’abord que la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2018 [11] prévoit la hausse des prélèvements sociaux, en contrepartie de la suppression des cotisations d’assurance chômage et maladie. Les prélèvements s’appliquaient avec un taux de 15,5 % en 2017, dont un taux de CSG déductible de 5,1 %. À partir de 2018, la CSG déductible augmente de 1,7 point : les prélèvements sociaux atteignent donc le taux de 17,2 %, dont 6,8 points de CSG déductible.
64Par ailleurs, plusieurs mesures fiscales ont été introduites dans la loi de finances pour 2018 [12]. La mesure emblématique est l’instauration d’un prélèvement forfaitaire unique (PFU) de 30 %, également qualifié de « flat tax ». Ce prélèvement est mis en place sur les revenus de capitaux mobiliers, à l’exception du livret A, du plan d’épargne en actions et des contrats d’assurance-vie de moins de 150 000 euros conservés plus de huit ans.
65Ainsi, la taxation des revenus du capital est modifiée par l’introduction de la « flat tax ». En 2017, les revenus du capital étaient taxés à l’impôt sur le revenu, avec une assiette réduite, la CSG étant partiellement déductible (5,1% en 2017). À partir de 2018, chaque assujetti choisit le système le plus avantageux entre l’ancien système et la « flat tax », prélèvement forfaitaire unique de 30 %. Cette « flat tax » se décompose de la façon suivante : un taux fixe de 12,8 % de prélèvement forfaitaire obligatoire non libératoire, qui s’ajoute aux 17,2 % de prélèvements sociaux. Notons que les livrets d’épargne et les PEA restent exonérés d’impôt. Comme le montre le tableau 3, seuls les ménages exonérés d’impôt sur le revenu ont intérêt à opter pour l’imposition à l’IR ; pour tous les ménages assujettis à l’impôt sur le revenu, le PFU est plus avantageux.
Comparaison entre le taux de taxation au PFU et à l’impôt sur le revenu pour les revenus de valeurs mobilières*
En % | |||
---|---|---|---|
Imposition 2017* | Imposition 2018 au barème de l’IR* | PFU | |
Taux marginal d’IR à 0 % | 15,5 | 17,2 | 30 |
Taux marginal d’IR à 14 % | 28,8 | 30,2 | 30 |
Taux marginal d’IR à 30 % | 44,0 | 45,2 | 30 |
Taux marginal d’IR à 41 % | 54,4 | 55,4 | 30 |
Taux marginal d’IR à 45 % | 58,2 | 59,1 | 30 |
Comparaison entre le taux de taxation au PFU et à l’impôt sur le revenu pour les revenus de valeurs mobilières*
* Calcul du taux d’imposition à l’IR : τimp = τPS + τm,IR × (1 – τCSG ded) avec τimp le taux d’imposition à l’IR, τPS le taux de prélèvements sociaux, τm,IR la tranche marginale d’IR, et τCSG ded le taux de CSG déductible.Note : En bleu figure le mode de calcul le plus avantageux pour le contribuable.
66Les plus-values mobilières réalisées sur les nouvelles acquisitions de portefeuille à partir du 1er janvier 2018 sont taxées au PFU. L’abattement de 50 % pour une détention supérieure à 2 ans et de 65 % pour une durée supérieure à 8 ans ne s’applique pas. Il ne peut s’appliquer que lors d’une vente de titres acquis avant le 1er janvier 2018 et si le contribuable opte pour une imposition à l’IR [13].
67Par ailleurs, la loi de finances pour 2018 signe la fin de l’exonération pour les PEL et l’assurance-vie. Les plans d’épargne logement (PEL) ouverts à compter du 1er janvier 2018 se verront appliquer le prélèvement forfaitaire unique de 30 % dès la première année. Quant à l’assurance-vie, la loi de finances pour 2018 ne conserve le prélèvement libératoire au taux avantageux de 7,5% qu’en deçà de 150 000 euros de capital par personne (300 000 euros pour un couple). Désormais, au-delà, c’est le PFU qui s’applique.
68Au niveau de l’imposition de la fortune, la distinction entre patrimoine immobilier et mobilier a donc été le leitmotiv de la réforme. Alors qu’en 2017, l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) s’appliquait sur l’ensemble de l’actif net – hors biens exonérés, comme les biens professionnels ou les droits de propriété intellectuels –, à partir de 2018, l’ISF est transformé en impôt sur la fortune immobilière (IFI), et ne s’applique que sur les actifs immobiliers « non affectés à l’activité professionnelle de leur propriétaire ». Sont concernés tous les biens et droits immobiliers détenus directement, de même que les titres de sociétés et véhicules d’investissement spécialisés à hauteur de la valeur représentative des biens immobiliers, y compris lorsqu’ils sont détenus via un contrat d’assurance-vie. L’IFI reprend le fonctionnement de l’ISF, à savoir un seuil d’assujettissement à 1,3 millions d’euros, un abattement de 30 % sur la résidence principale et la réduction ISF-dons. Le barème de l’IFI, comme celui de l’ISF, suit une structure progressive à 5 tranches : 0,5 % ; 0,75 %, 1,0 %, 1,25 % et 1,50 %. La réduction ISF-PME, en vertu de laquelle les contribuables pouvaient déduire du montant de leur ISF une partie des versements effectués à titre de souscription au capital de PME, est en revanche supprimée.
69Enfin, le taux d’impôt sur les sociétés va passer de 33,3 % à 25 % (article 84). Il baissera progressivement : le taux normal de l’impôt est fixé à 31 % en 2019, à 28 % en 2020, à 26,5 % en 2021 et à 25 % en 2022. Par ailleurs, Le taux réduit de 15 % sur les 38 120 premiers euros de bénéfices pour les PME dont le chiffre d’affaires est inférieur à 7,63 millions d’euros est préservé.
70Les tableaux 4 et 5 récapitulent l’état de la fiscalité du capital pour les hauts revenus en fonction du type de placement avant et après la réforme de 2018.
Fiscalité du capital avant la loi de finances 2018
Fiscalité du capital avant la loi de finances 2018
(UC) : unités de compte.Remarque : la CSG est déductible quand le revenu financier est soumis au barème progressif de l’IR.
Note : la partie grisée indique que l’impôt s’applique à l’actif concerné.
Fiscalité du capital après la loi de finances 2018
Fiscalité du capital après la loi de finances 2018
UC) : unités de compte.Remarque : la CSG est déductible quand le revenu financier est soumis au barème progressif de l’IR.
Note : la partie grisée indique que l’impôt s’applique à l’actif concerné.
3.2 – Impact sur les taux marginaux : est-ce que cette réforme change vraiment la donne ?
71Les tableaux 6 et 7 donnent les valeurs des taux marginaux supérieurs d’imposition économique pour différents types d’actifs (monétaires, actions, immobiliers), selon la nature du revenu (revenus versés ou plus-values réalisées) et selon deux contextes d’inflation (0 % ou 1 %) pour un rendement réel constant. Le calcul du taux marginal avec une hypothèse d’inflation nulle est utile car il donne une mesure non corrigée de l’inflation, ce qui permet d’avoir une estimation brute des effets cumulés des différents impôts frappant le capital.
Taux marginaux supérieurs d’imposition économique pour un gain financier réalisé sur une année (hors imposition sur la fortune)(*)
Taux marginaux supérieurs d’imposition économique pour un gain financier réalisé sur une année (hors imposition sur la fortune)(*)
(*) on suppose que le gain marginal est réalisé dans le cadre d’une plus-value globale supérieure à 250 k€.Taux marginaux supérieurs d’imposition économique pour un gain financier réalisé sur une année (imposition sur la fortune incluse)(*)
Taux marginaux supérieurs d’imposition économique pour un gain financier réalisé sur une année (imposition sur la fortune incluse)(*)
(*) on suppose que le gain marginal est réalisé dans le cadre d’une plus-value globale supérieure à 250 k€.72Compte tenu des arbitrages financiers entre rendement, risque et liquidité, nous avons supposé des rendements réels différents selon les actifs : 1 % pour les actifs monétaires, 5 % pour les actions et 3 % pour les biens immobiliers. En ce qui concerne le rythme de croissance des biens immobiliers, nous avons retenu une hausse réelle de 5 % par an. En ce qui concerne la croissance du prix des actions, nous considérons le cas où la croissance du prix résulte exclusivement de la non distribution du dividende, ce qui induit que le taux de variation est égal à l’hypothèse de rendement réel de 5 %. Les tableaux présentent les valeurs avant et après la loi de finances de 2018 et leurs variations selon deux niveaux d’IS (33,3 % en 2018 et 25 % en 2022). Ces calculs ont été réalisés en combinant les formules précédemment énoncées et en appliquant les taux des deux législations : loi de finances pour 2017 (tableau 4) et loi de finances pour 2018 (tableau 5).
73Nos estimations montrent que la combinaison taux marginal élevé de l’IR et ISF conduit à un taux marginal supérieur proche ou qui dépasse les 100% dans de nombreuses situations avec des hypothèses très raisonnables de rendement et d’inflation.
74Pour un ménage ayant des hauts revenus et un patrimoine inférieur au seuil d’entrée à l’ISF, nos calculs montrent que l’effet de la réforme est surtout marqué pour un détenteur d’obligations ou d’actifs monétaires et lors de la réalisation de plus-values sur valeurs mobilières (tableau 6). Dans ce cas, le passage d’une imposition à l’IR + PS au PFU conduit à une forte baisse : avec un rendement réel constant (r = 1 %), le taux marginal diminuerait de 28 points en l’absence d’inflation et de 56 points avec une inflation à 1 %. Le PFU est également favorable à une détention d’actions pendant une courte période. Par exemple, pour une détention pendant un an et un rendement réel constant (r = 5 %), le taux marginal diminuerait de 19 points en l’absence d’inflation et de 22 points avec une inflation à 1 %. Pour une détention longue de 8 ans, le taux marginal n’est presque pas modifié (hausse de 1 point). Les dividendes distribués bénéficient du PFU et de la baisse de l’IS (baisse totale de 7 points en l’absence d’inflation et de 18 points avec inflation). Seule la baisse programmée de l’IS permet réduire les taux marginaux d’imposition des plus-values mobilières pour une détention longue (sans inflation : baisse de 5 points ; avec inflation : baisse de 7 points). Les dividendes non-distribués (plus-values latentes) bénéficient aussi de la baisse de l’IS (8 points de réduction du taux marginal sans inflation et 9 points avec inflation). Les revenus et plus-values issus de la détention de patrimoine immobilier subissent un léger accroissement d’environ 1 point du taux marginal en raison de la hausse de la CSG.
75Pour un foyer au seuil de l’ISF (tableau 7), l’impact est important pour tout type de patrimoine, à l’exclusion de l’immobilier qui reste imposable à l’IFI. Les baisses du taux marginal sont d’autant plus élevées que le taux de rémunération de l’actif est faible. Le gain le plus fort est observé pour la détention d’actifs obligataires dont le caractère peu risqué conduit à un rendement faible. La baisse est de 178 points en l’absence d’inflation et de 206 points avec une inflation à 1 %. Pour les autres actifs financiers, la baisse du taux marginal varie entre 24 et 48 points selon les hypothèses de rendement et d’inflation. Pour les contrats d’assurance vie en euros faiblement rémunérés, la baisse est également très forte (entre 136 et 148 points).
76Dans cet article, nous nous sommes focalisés sur les taux marginaux supérieurs : 45 % pour l’IR et 1,5 % pour l’ISF. Nos résultats sont facilement transposables pour des taux marginaux plus faibles, notamment pour un taux d’IR de 41% qui concernait 394 977 foyers en 2017 ou un taux d’IFI de 0,5 % qui frappe dès la première tranche l’ensemble des foyers soumis à cet impôt. Le taux marginal économique résultant du PFU ne dépend pas du taux marginal supérieur de l’IR. Quant à la suppression partielle de l’ISF, son impact est réduit de 66,7 % si on considère un taux de 0,5 % au lieu de 1,5 %.
77Une analyse de sensibilité de nos calculs aux hypothèses de taux d’intérêt et d’inflation est présentée en annexe. Cette analyse montre l’importance du rôle joué par l’hypothèse d’inflation. Par exemple, pour un actif monétaire avec un faible rendement réel de 1 %, le taux d’imposition après réforme est multiplié par 3 selon qu’on considère une inflation nulle (30 %) ou une inflation à 2% (90 %). L’analyse de sensibilité montre également l’importance du taux d’intérêt dans le poids de l’impôt sur la fortune. L’impact de sa suppression est d’autant plus forte que le taux utilisé est faible.
78L’assurance-vie présente une fiscalité distincte puisque revenus distribués et plus-values ont toujours été fiscalisés sur la même base. Pour plusieurs raisons, la loi de finances 2018 rend moins favorable le recours à l’assurance-vie pour les très hauts patrimoines. D’abord, l’assurance-vie n’a plus l’utilité de permettre le plafonnement de l’ISF en ne distribuant pas un revenu imposable au détenteur du contrat. Ensuite, la hausse de la CSG augmente d’environ 1 point le taux marginal d’imposition au bout de 8 ans (tableau 6). Enfin, pour les contrats dont l’encours est supérieur à 150 000 euros, le PFU s’applique pour un rachat au bout de 8 ans au lieu des seuls PS. Par exemple, pour des contrats en unités de compte (UC) avec une contrepartie en actions, il s’ensuit une hausse du taux marginal de 4 points en l’absence d’inflation et de 5 points en cas d’inflation. La baisse programmée de l’IS favorise une baisse du taux marginal de 5 ou 6 points pour les encours inférieurs à 150 000 euros et annule la hausse pour les encours supérieurs. Le PFU a un effet paradoxal sur l’assurance-vie car il encourage la détention à court terme. Pour les encours supérieurs à 150 000 euros, le taux de prélèvement à la liquidation reste le même quelle que soit la durée de détention. Pour les encours inférieurs, le profil fiscal d’imposition s’aplatit aussi considérablement (graphique 1a) ; en effet, avant la quatrième année de détention, le PFU est plus avantageux que la fiscalité de l’assurance-vie. Au-delà de 8e année, on observe toujours un infléchissement, mais le taux demeure légèrement au-dessus de celui avant réforme en raison de la hausse de la CSG. La baisse programmée de l’IS permet de réduire véritablement l’imposition de l’assurance-vie lorsque la contrepartie du capital est investie en actions (graphique 1b).
Taux marginal supérieur de taxation de l’assurance-vie en fonction de la durée de détention (encours inférieur à 150 K€) (en %)
1a) IS = 33 %
1a) IS = 33 %
1b) IS = 25 %
1b) IS = 25 %
Taux marginal supérieur de taxation de l’assurance-vie en fonction de la durée de détention (encours inférieur à 150 K€) (en %)
4 – Conclusion
79L’année 2018 a été annoncée comme un tournant dans la fiscalité française du capital avec la suppression partielle de l’impôt de solidarité sur la fortune, la baisse programmée de l’IS et l’adoption du prélèvement forfaitaire unique pour taxer les revenus financiers, en lieu et place des prélèvements sociaux ainsi que de l’impôt sur le revenu et du PLF pour les contrats d’assurance-vie avec un encours élevé. Nous avons dressé un bilan des arbitrages préalables à l’adoption de ce choix. Le principal argument de la réforme a été d’orienter l’épargne vers des investissements dans le secteur productif.
80Nous avons opté pour une approche positive en concentrant notre analyse sur la mesure du taux d’imposition marginal supérieur. Cette mesure permet de donner un ordre d’idée sur la façon dont les incitations à allouer l’épargne sont modifiées.
81Nos calculs montrent que le PFU a conduit à une légère modification de la fiscalité des revenus des actions pour les taux marginaux supérieurs. Seuls les revenus obligataires, l’assurance-vie détenue pendant une période assez courte ou les plus-values mobilières réalisées sur un horizon court sont les grands gagnants de cette mesure. Paradoxalement, la réforme rend donc relativement plus attractifs des placements peu risqués ou détenus pendant une courte période. La baisse programmée de l’IS engendre un effet notable en termes de baisse du taux marginal pour les revenus des actions (dividendes versés ou plus-values).
82C’est surtout la suppression partielle de l’ISF qui entraîne une forte baisse des taux marginaux. Elle permet de ramener les taux marginaux sur les revenus des actifs financiers en dessous du taux confiscatoire de 100 %. Elle provoque un écart important par rapport aux investissements fonciers des hauts patrimoines qui continuent à être taxés à des taux marginaux plutôt élevés.
83Compte tenu de la nature des arbitrages financiers, la réforme devrait avoir un impact significatif sur les comportements en termes de réallocation de l’épargne vers des supports actions. L’évolution vraisemblable des choix de portefeuille des hauts patrimoines devrait susciter de nombreuses analyses ultérieures.
Taux d’imposition marginaux supérieurs : analyse de sensibilité aux hypothèses
Actifs monétaires (en %)
Actifs monétaires (en %)
Actifs immobiliers : Revenus fonciers (en %)
Actifs immobiliers : Revenus fonciers (en %)
Actions : Dividendes distribués (en %)
Actions : Dividendes distribués (en %)
Actions : plus-values (1 an), (en %)
Actions : plus-values (1 an), (en %)
Actions : plus-values (8 ans), (en %)
Actions : plus-values (8 ans), (en %)
Actifs immobiliers : plus-values (10 ans), (en %)
Actifs immobiliers : plus-values (10 ans), (en %)
Assurance-vie : durée supérieure à 8 ans et contrats > 150K€ (en %)
Assurance-vie : durée supérieure à 8 ans et contrats > 150K€ (en %)
Bibliographie
Références
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Mots-clés éditeurs : taux marginal d’imposition, fiscalité du capital, réforme fiscale
Mise en ligne 01/08/2019
https://doi.org/10.3917/reof.161.0077Notes
-
[1]
Nous remercions Sandrine Levasseur, le référé anonyme, ainsi que les participants aux séminaires du LIEPP, de France Stratégie et de l’OFCE pour leurs nombreuses corrections et remarques qui ont permis d’améliorer sensiblement la rédaction de cet article.
-
[2]
Pour le Luxembourg, la première place en termes de taux de prélèvements obligatoires sur le capital s’explique par le poids très élevé des revenus financiers, et non par une forte fiscalisation de ces revenus.
-
[3]
Pour mémoire, 358 198 foyers étaient soumis au seul ISF en 2017, d’après la DGFiP.
-
[4]
Pour un historique des droits de mutation depuis 1870, voir Dherbécourt (2019), et pour une réflexion sur les fondements philosophico-économiques de la fiscalité de l’héritage, voir Masson (2018).
-
[5]
Une taxe similaire avait été adoptée par le gouvernement Jospin en 1999. Elle avait dû être supprimée en 2004 car jugée contraire à la libre circulation des personnes par la Cour de Justice des communautés européennes.
-
[6]
Ce dernier est égal à la rentabilité exigée par les actionnaires.
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[7]
Les bénéfices non distribués sont imposés.
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[8]
Pour connaître les détails et spécificités des réformes adoptées dans chaque pays, on pourra se reporter à Genser (2006).
-
[9]
Pour davantage de détails, on pourra se reporter utilement à Sørensen (2010), tableau 5.1.
-
[10]
« while the dual income tax reform might potentially have had positive efficiency gains, part of the benefits was probably offset by increased income-shifting activities ».
-
[11]
Loi n° 2017-1836 du 30 décembre 2017 de financement de la sécurité sociale pour 2018.
-
[12]
Loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018.
-
[13]
Le choix d’imposition à l’IR+PS plutôt qu’à la flat tax peut se justifier notamment dans le cas d’une cession anticipée de titres de PME ; en effet, l’abattement peut, au bout de 8 ans, atteindre 85 %.