1Dans son panorama de la situation actuelle du logement social en Grande-Bretagne, Christine Whitehead esquisse les tendances annoncées par l’État pour les prochaines années. Connue grâce à de nombreuses publications universitaires de grande qualité, la situation britannique du logement nous apparaît, vue du continent, comme tout à fait spécifique, avec un mélange déconcertant de références à l’économie de marché croisées avec un dirigisme étatique poussé et le maintien de besoins sociaux importants. Les compétences municipales dans le domaine du logement semblent faire l’objet d’attritions continues, sans toutefois disparaître. Le développement d’opérateurs de statut privé, mais sans but lucratif, est présenté comme devant réunir l’efficacité du privé avec le souci social hérité d’une tradition philanthropique.
2Tout cela laisse perplexe les économistes du logement du continent dans des pays (France, Pays-Bas, Allemagne) qui disposent de ce genre d’opérateurs depuis un siècle tandis que le rôle des collectivités locales dans la détermination des politiques du logement y est considéré comme de plus en plus important.
3Sur l’ensemble du parc britannique, le taux de propriétaires occupants s’est accru sensiblement de 1980 à 2000 (en lien avec une économie tirée par la finance, le réseau du Commonwealth et les ressources énergétiques) pour stagner, voire régresser avec la crise financière. Succédant à la tradition, elle aussi spécifiquement britannique, du logement social directement contrôlé par les municipalités, le locatif social a été en partie rétrocédé vers ces acteurs de statut privé sans but lucratif et en partie vendu à d’heureux occupants. Au passage, on retient que les communes, vu leur faible nombre, sont donc en équivalent français de la taille de puissants EPCI [1], sans rapport avec notre délicate mosaïque communale. Dans l’offre de logements, la place du locatif privé, jadis modeste, est désormais à un niveau proche du parc social. Ce développement (relatif) semble un reflet des difficultés de l’accession à la propriété (avec plusieurs dizaines de milliers de saisies immobilières par an) et d’une hausse des taux de rendement.
4Il semble régner une forte pénurie de logements sociaux que l’on veut gérer par une rotation accrue des ménages. Des baux aussi courts que dans le parc privé, la recherche systématique d’adéquation normative entre taille du ménage et taille du logement sont-ils des réponses à la hauteur des besoins ? Notamment, le départ de ménages de logements de trois ou quatre pièces va-t-il faire apparaître soudainement un stock de logements disponibles d’une ou deux pièces ?
5La référence lancinante dans les politiques de l’habitat à la notion de « loyer de marché » invite à approfondir les interactions entre les secteurs social et privé. La présence d’une offre sociale contribue-t-elle à abaisser ou au contraire à hausser les loyers privés sur les différents marchés ? On aurait aussi envie de savoir par quels dispositifs ces loyers sont mesurés, notamment si on se réfère au stock (loyer moyen) ou au loyer de relocation et comment les effets de qualité et d’échantillonnage sont appréciés.
6La politique du logement britannique semble faire une place assez modeste à la production neuve. La construction de logements, mesurée sur longue durée, est inférieure de moitié au rythme français ou néerlandais, et il semble en être de même pour les objectifs affichés en logements sociaux (57 000 logements par an sur 3 ans en Angleterre). Si le mot crise, omniprésent en France, n’apparaît pas dans l’article, de même que le concept de déficit global en logement, il est fait explicitement mention d’une cohabitation importante des jeunes, signe d’une demande potentielle qui n’a pas trouvé d’offre nouvelle. De même, il est fait référence aux difficultés des catégories moyennes de fonctionnaires, dont la présence est ardemment requise dans des zones d’habitat trop chères pour leur niveau de revenus. Au passage, on retient des écarts importants entre le grand bassin londonien qui connaît de fortes tensions, et d’autres espaces où le marché est équilibré, voire détendu. Certaines données concernent essentiellement l’Angleterre tandis que le Pays de Galles, l’Écosse et l’Irlande ont des situations particulières.
7L’article souligne que les aides à la pierre comme à la personne semblent se regrouper en direction des mêmes ménages, ce qui laisse à part des pans entiers de la société, notamment les travailleurs à revenus modestes qui ne représentent qu’un tiers des occupants du parc locatif social. Le développement de l’offre locative intermédiaire semble un des axes retenu par les acteurs sociaux mais aucun lien n’apparaît avec le monde de l’entreprise.
8Dans le montage financier des opérations de logements, les subventions (qui couvrent une part très importante des coûts de construction) vont aller se réduisant. Dès lors, on s’interroge sur la façon de résoudre l’impasse financière à laquelle vont être confrontés les maîtres d’ouvrages sociaux. La méthode affichée d’une hausse des loyers devrait conduire à une hausse des allocations logement sauf à dégrader encore plus les taux d’effort des ménages. Une autre évolution déconcertante est le retour du versement des aides aux locataires, les versements aux tiers ayant eu souvent la faveur des gestionnaires, notamment dans le parc social. Ceci semble s’inscrire dans une réforme plus générale de tous les systèmes d’aides sociaux. On touche là une des difficultés des comparaisons internationales sur le logement, le sujet obligeant à toucher à des champs plus vastes comme l’aide sociale, la fiscalité, les conditions de vie des ménages. L’interprétation des conséquences limitées au champ du logement stricto sensu est donc délicate.
9La place laissée aux aides à la personne reste importante (là encore, nettement plus importante que sur le continent). Partant de taux d’effort bruts élevés, l’allocation logement abaisse sensiblement les taux d’effort nets car elle concerne les deux tiers des ménages en parc social (contre la moitié des locataires en France). On sait que la solvabilisation de la demande n’a pas d’impact immédiat sur la création d’une offre (ce qui est normal pour un bien d’investissement lourd comme le logement). Mais cette allocation logement (provenant de l’argent public) est présentée comme contribuant à sécuriser les prêts des plans de financement. Ceci n’est pas usuel dans les analyses financières des modèles continentaux telles que celle présentée par Dominique Hoorens sur le cas français.
10Au final, la situation britannique nous apparaît comme une peau de léopard, avec des éléments historiques qui subsistent (un parc municipal abritant des ménages pauvres, sans revenus, logés semble-t-il presque gratuitement), des fluctuations non maîtrisées dans l’offre locative privée (recul de l’accession, hausse incontrôlée des rendements locatifs privés). Au parc social privé sans but lucratif, les pouvoirs publics demandent de faire le grand écart entre assumer une vocation très sociale et se développer, avec davantage de crédit et en augmentant sensiblement ses loyers.
11Au fil des difficultés évoquées, le lecteur aurait envie d’en savoir plus sur le fonctionnement des associations de logement, organisations d’origine philanthropiques, mutant en un équivalent des ESH [2] françaises ou des corporations néerlandaises. On aimerait comprendre leurs mécanismes de gouvernance. Il est par ailleurs fait référence à de nouveaux acteurs privés. On aimerait comprendre qui ils sont et surtout à quel horizon travaillent tous ces acteurs. En effet, le secteur social doit-il être piloté à vue ou bien se concevoir sur la longue durée ?
12C’est bien le sens général de l’exposé de Dominique Hoorens sur le dispositif français de financement du logement social. Le système repose sur la longue durée, longue durée en termes de prêts, en termes de gestion, en termes d’occupation. Cette notion de longue durée ne se retrouve que dans quelques secteurs de l’économie, comme les infrastructures, ou la gestion forestière – la gestion de l’immobilier non résidentiel (tertiaire, commercial, logistique) travaillant désormais sur des horizons beaucoup plus courts.
13Mis à part le poids accru de l’aide à la personne face aux aides à la pierre depuis 1977, le dispositif français apparaît comme d’une grande stabilité dans ses fondamentaux. Le rythme de production de logement social sur un siècle illustre de façon spectaculaire, après des débuts symboliques et le rodage des années 1920, l’essor du secteur dans les années 1950 avec un rythme soutenu (de 80 000 à 110 000), puis son maintien à un rythme de croisière oscillant entre 40 000 et 60 000 logements par an depuis la réforme de 1977. Enfin, la période toute récente a connu une nouvelle progression avec le Plan de cohésion sociale.
14À la suite de la présentation britannique, il est frappant de voir dans les deux pays une taille du parc social presque similaire (léger avantage à la France) et une maîtrise d’ouvrage à deux têtes : des structures proches des collectivités locales (mais sans être des services municipaux à la britannique) et des structures plus entrepreneuriales (comme souhaitent le devenir les associations britanniques). Le message principal sur lequel insiste Dominique Hoorens est cette notion d’engagement de tous les partenaires sur le long terme.
15Le rappel d’un financement (prêts sur Fonds d’Épargne centralisé par la Caisse des Dépôts) reposant aux trois quarts sur l’épargne privée est important. Réglementée par l’État, cette épargne à vue ne mobilise que 6 % de l’épargne financière des ménages. C’est l’occasion de rappeler qu’il est totalement faux de dire que cette mobilisation d’épargne réglementée prive de liquidités l’économie productive, cette dernière pouvant puiser dans 94 % de l’épargne financière des ménages.
16Conçu autour d’un financement sur 40 ans, le locatif social ne génère pas ou peu de retour financier tant que le prêt principal n’est pas amorti, mais il peut au passage assurer le retour des fonds propres. C’est bien son exploitation ultérieure qui dégage des fonds permettant de développer le parc. Le dispositif conserve sa dynamique, et à ce titre il échappe en grande partie aux aléas de la conjoncture économique. Pas complètement cependant : les hausses de loyer ne peuvent être déconnectées de l’inflation, ni des revenus des locataires ; le taux des prêts fluctue comme les taux de marché, mais de façon atténuée, soit en moyenne 1 % en dessous du marché, et pour des durées qui n’existent pas sur le marché. Le financement des HLM repose ainsi en grande partie sur l’économie réelle, privée, d’une façon lissée qui contribue à lui donner un rôle qualifié de contra-cyclique. En fait, il s’agit moins d’être contra-cyclique (ce qui en ferait un élément de politique économique) que de répondre aux besoins des ménages, besoins qui peuvent selon les territoires être stables ou en hausse.
17Une question lancinante est de savoir si on peut produire des logements moins chers. En fait, la ressource financière (les prêts qui représentent les trois quarts du financement) est déjà l’une des moins chères possibles. Le dispositif comporte une péréquation interne qui bénéficie aux produits les plus sociaux. À ce propos, il faut rappeler combien il est hasardeux d’opposer parc très social et parc intermédiaire, ce dernier apportant de fait une contribution à l’équilibre du système.
18Le dispositif est en revanche égalitaire entre territoires et non discriminant entre partenaires. On sait de longue date qu’il n’est pas aisé de mettre en évidence des économies d’échelles dans la production résidentielle : les tailles moyennes et médianes des programmes de logements sociaux se situent entre vingt et trente appartements et c’est bien au niveau du programme que s’apprécient les coûts. Il en est de même de l’éternelle recherche d’une taille optimum (ou minimum et pourquoi pas maximum) pour un opérateur : les qualités des gestionnaires sont diverses, et renvoient à l’histoire de leur développement, de leur gouvernance et à la façon dont ils sont répartis et organisés sur leur territoire. On retient au passage qu’une certaine diversité d’opérateurs peut contribuer à leur émulation et les collectivités locales n’en sont pas mécontentes.
19La non discrimination fait partie du principe même de financement du logement social, car par-delà les opérateurs (qui sont des outils, régulés de façon identique), ce sont bien des ménages que l’on doit loger, et dans des conditions équivalentes.
20Ce sont les nuances au niveau des loyers et des systèmes d’aides personnelles qui peuvent être utilisées pour des modulations locales. Le m3 de béton coûte à peu près la même somme partout et à tout le monde. C’est bien évidemment le prix du terrain qui ne vaut pas la même chose dans les communes, selon les niveaux de revenus des habitants, leur patrimoine et leur densité. Passant d’une densité de 24 000 hab/km2 (Levallois), 10 000 hab/km2 (Lyon), 4 000 hab/km2 (Orléans) ou 400 hab/km2 (Montauban), on sent bien les différences de prix du foncier, lui-même reflet des attractivités relatives de chaque territoire, selon un dosage mêlant emplois, services, aménités et raretés au gré des hasards des frontières municipales.
21Dans l’ensemble, le système mobilise fort peu de dépenses publiques stricto sensu, les prêts sont accordés sur fonds privés (et leur gestion rapporte à l’État), les garanties sont offertes par les collectivités locales (et cela ne leur coûte rien) et les subventions du 1 % sont apportées par les entreprises privées. Une TVA réduite est une non-recette qui n’apparaîtrait que dans une économie pure et parfaite où ce logement serait produit à TVA pleine par un opérateur privé ; hypothèse souvent hasardeuse d’autant que ce ne serait pas le même logement en termes de prix ou de loyer… La seule dépense, visible dans la simulation du fonctionnement sur 40 ans, est l’exonération de TFPB [3] compensée pendant 25 ans par l’État.
22En parallèle avec l’analyse de Christine Whitehead, peut-on dire que le système fonctionne grâce à l’APL [4] ? En partie oui, car environ un cinquième des loyers (plus charges) en locatif social est payé par les aides à la personne, mais cette part est nettement plus réduite que la part payée en Grande-Bretagne. Cependant l’APL s’applique aussi à des loyers privés. L’aide n’est donc pas spécifique au logement social. En fait, dans le dispositif, les principales aides publiques sont bien du côté des collectivités locales via les subventions et la mise à disposition de foncier. Là encore, le foncier fourni représente une dépense si on l’a acheté exprès, c’est une non-recette sinon, car on aurait pu le vendre à un acteur privé (le même que celui qui aurait payé une TVA au taux fort…). Pratiquer des baux emphytéotiques, des baux à construction, est l’une des façons de mettre entre parenthèses le coût du foncier.
23On rejoint bien volontiers Dominique Hoorens quand il souligne que la vente HLM est une solution d’appoint non négligeable pour assurer des liquidités immédiates, mais qui réduit d’autant les recettes à long terme que rapporte le parc loué amorti. La question aujourd’hui est bien de savoir si les organismes peuvent mutualiser leurs ressources, selon quelles modalités et si cela dégage réellement des marges de manœuvre nouvelles. Les tentatives régaliennes sur ce sujet ayant été jugées maladroites par le passé, reste maintenant à savoir si les formes de péréquation doivent se réguler entre partenaires ou s’inscrire en phase avec les actions des collectivités locales. L’avenir nous le dira.
24La présentation par Noémie Houard des évolutions en cours aux Pays-Bas est un exercice difficile car l’auteur décrit un système puissant, qui parvient à loger tout à fait correctement un grand nombre de ménages, avec des loyers raisonnables, dans un des pays les plus denses d’Europe, tout en évoquant les querelles du moment où se mêlent enjeux politiques et économiques. En outre, elle brosse un panorama des dispositifs d’attribution, sujet dont on est particulièrement friand en France car l’opinion prévaut que la transparence et la justice font défaut chez nous dans les processus d’attribution, et on espère picorer dans les processus étrangers d’attribution des qualités de rigueur qui doivent forcément s’accroître avec la pluviosité des climats locaux.
25Le cas néerlandais suscite d’autant plus d’intérêt en France que les organisations s’affichent comme très professionnelles, avec 2,5 millions de logements donc un poids double de celui des autres pays mutatis mutandis et gérant une dette non négligeable de l’ordre de 86 milliards d’euros (selon le fond de garantie des prêts WSW à comparer à la dette de 110 milliards d’euros des HLM en France).
26Ce parc locatif social néerlandais est impressionnant par son poids (un tiers du parc total) et son caractère presque hégémonique face à un secteur locatif privé modeste. À telle enseigne que les opérateurs privés désespérant de l’attaquer sur la scène politique locale le contournent par le recours au niveau communautaire. Les références usuelles à des changements « demandés par Bruxelles » ne sont que des façons détournées de régler des querelles nationales : dans le cas de la distribution du Livret A en France par l’ensemble des banques, ce fut une demande récurrente du Crédit Agricole, mais jamais une demande issue de banques étrangères désireuses de le distribuer en France. Il en est de même avec l’attaque contre les privilèges jugés exorbitants du droit commun, des organismes de logements sociaux néerlandais ; aucun gestionnaire ou promoteur français ou allemand n’a l’idée de proposer des logements concurrents aux Pays-Bas et ce sont bien des promoteurs privés néerlandais qui mènent la campagne. La situation fut la même pour un règlement de comptes entre les organismes de logements sociaux suédois et leurs concurrents privés.
27La force des organismes de logements sociaux aux Pays-Bas est qu’ils apparaissent comme indépendants des aides publiques, disposant de leur propre organe de financement et de garanties. Une habile négociation menée dans les années 1990 avec l’État leur avait fait toucher un pactole (négociation dite du « Brutering » équivalent à « solde global de tout compte ») correspondant au cumul des subventions d’équilibre qui auraient dû leur être versées selon le système antérieur de financement. Cette opération ne leur a pas valu que des amis, mais leur a laissé des réserves financières qui, en période de disette budgétaire, excitent les convoitises.
28Le débat néerlandais sur le rôle du logement social et les populations visées a été tranché d’une façon qui peut sembler déconcertante, par l’instauration d’un plafond de ressources unique, indépendant de la région et de la structure du ménage. Habitués que nous sommes aux barèmes subtiles (et favorables aux familles), comment interpréter cette règle simplissime ? On sait la complexité qu’il y a à expliquer en France les règles d’accès aux logements sociaux. Souvent on réalise mal qu’outre les plafonds de ressources, il faut aussi ne pas être propriétaire pour entrer dans un logement social. Dès lors, seuls 80 % des 46 % de ménages non propriétaires occupants y sont éligibles, soit seulement un tiers des ménages en France (et non deux tiers des ménages qui sont, eux, simplement sous le plafond de ressources). Ce calcul complet nécessite de croiser taille et revenus du ménage, calcul qui n’est pas aisément réalisable.
29Pour les Pays-Bas, cette approche du plafond à 33 000 euros a sans doute permis de couper court, au moins pour un temps, au débat par sa rusticité.
30À noter que le système néerlandais estime aussi qu’il y un niveau unique de loyer « raisonnable » (selon la terminologie néerlandaise) de 664 euros (sans précision sur la taille, le lieu, ni la qualité). Un plafond de revenu unique, un niveau de loyer raisonnable unique, voilà des approches simples. Mais derrière cette simplicité apparente, se trouvent d’autres mécanismes nettement plus complexes, comme les dispositifs de régulation des loyers selon un système de points prenant en compte la qualité (de 40 à 250), rappelant le m2 corrigé, variante d’un modèle hédonistique.
31Dans la délicate question de l’attribution des logements sociaux, l’article présente divers dispositifs regroupés sous une appellation qui donne à penser que les demandes de localisation du ménage demandeur sont prises en considération par le système d’attribution. Des processus d’attribution assez variés coexistent sur les agglomérations, avec des impacts sociaux qui sont à nuancer selon les territoires concernés. Là encore on aimerait en savoir plus sur l’échelle des territoires concernés et le degré de précision pour sa localisation accordée au demandeur ; la commune néerlandaise, avec une taille moyenne de 85 km2 couvre un espace qui en France correspond à un EPCI (seules 65 communes françaises de plus de 5 000 habitants dépassent 85 km2). La question du degré de préférence locale peut faire l’objet d’interprétations contradictoires : priorité à l’ancrage local ou rejet de l’extérieur, mais ce débat délicat est à réinterpréter en sachant ce que recouvre l’échelle de référence pour cet ancrage local. On note que les systèmes de points peuvent selon les pondérations aboutir à des résultats sociaux assez différents, et que la loterie reste l’ultime méthode de gestion de pénurie. Au final, les données semblent indiquer que le parc social néerlandais, comme le parc social français, assume de plus en plus une vocation sociale et très sociale. La question des mécanismes d’attribution se veut désormais moins de trancher entre classes moyennes et classes modestes, mais davantage au sein même de catégories modestes et très modestes. Le cas néerlandais semble d’autant plus intéressant à suivre que par ailleurs le pays continue d’avoir une activité de développement immobilier et que la question de l’accès au logement des classes moyennes (dans un pays où l’accession reste chère et les taux d’endettement fort élevés) est aussi posée. Là encore, le parc social semble tenaillé entre plusieurs vocations, mais on a le sentiment qu’il a des moyens pour y répondre.
32Dans un système français assez robuste de production et de financement du logement, notamment social, le cas de l’Ile-de-France est bien spécifique et c’est le mérite d’Hélène Joinet de rappeler comment fonctionnent les marchés du logement en Ile-de-France. Pièce majeure de la France dans le kriegspiel de l’économie mondiale, la région capitale cumule des forces et des faiblesses sur ses territoires. Produisant depuis des décennies entre 40 000 et 50 000 logements neufs, l’Ile-de-France se situe à un niveau de construction qui, rapporté à la population, est la moitié de celui des autres régions françaises. Aussi, le déficit cumulé par le retard de production francilien est probablement et largement à l’origine de la plupart des évaluations nationales sur le manque global de logements donc le rattrapage qui permettrait d’équilibrer les marchés. En outre, la répartition du parc social est très inégale, avec 40 % du parc sur 23 communes et la moitié des communes d’Ile-de-France n’ayant aucun logement locatif social. L’article souligne que la production de logement social passe beaucoup par l’acquisition de logements existants. Ceci peut être considéré comme un gage d’intégration dans le tissu existant, et donc vu comme un point positif, ou bien comme une des difficultés de produire du neuf, et donc comme un point négatif. Concernant le rôle de la VEFA [5], les avis peuvent être nuancés. On peut considérer qu’il s’agit juste d’utiliser le promoteur (qui n’est plus promoteur car il ne prend pas de risques) comme un prospecteur foncier et un assistant à maître d’ouvrage, donc un simple instrument permettant aux organismes sociaux d’avancer « masqués » (pour échapper au recours contre le permis de construire). On peut au contraire considérer que l’action de conception du produit est inhérente à la fonction de maître d’ouvrage, surtout quand celui-ci doit gérer sur longue durée le produit, selon la logique mise en avant par Dominique Hoorens.
33La question fondamentale des gradients extrêmes de prix et de loyers qui s’observent en Ile-de-France reste le principal défi, avec une échelle allant de 1 à 4 entre loyers privés et loyers sociaux. Savoir comment l’offre sociale, très sociale et intermédiaire peut peser sur les marchés pour répondre à la demande est complexe. On sent bien que l’écart reste considérable entre des loyers dits intermédiaires (environ 12 €/m2) et les loyers de marché locaux. L’espoir mis dans un tassement des prix risque avant tout d’améliorer les rendements locatifs avant de faire apparaître une tendance au moins à la stabilité des loyers, la baisse absolu de loyers restant un phénomène assez rarement observé dans l’histoire. Dans des secteurs très recherchés, l’ajustement des marchés peut aussi se faire par une dégradation de l’offre (basse qualité du produit, calcul des prix non pas au m2 mais à l’unité).
34La comparaison des charges entre secteurs social et privé donne envie de mieux connaître ce qui est inclu dans les charges, notamment le chauffage. On suppose que l’enjeu est de rendre attractifs des territoires pour arriver à mieux répartir l’offre et la demande. Ce sujet doit pouvoir se traiter tant par les politiques de renouvellement urbain que par les dynamiques intercommunales de création de la valeur urbaine, en espérant des dynamiques lancées dans le cadre du Grand Paris par les diverses initiatives intercommunales.
35Au détour de cette visite rapide des enjeux du logement social dans le triangle Paris/Londres/Randstad Holland, la situation française apparaît comme intermédiaire, plus proche du cas néerlandais sur le territoire français, mais le cas francilien avec ses tensions et ses débats, rappelant la situation londonienne. En lien avec les autres secteurs de l’immobilier, le secteur locatif social est un outil majeur des politiques du logement et de la satisfaction des besoins des ménages. Assurer un bon fonctionnement des marchés par une offre nouvelle soutenue et un parc existant abordable et de qualité restent l’objectif des politiques du logement. La situation britannique apparaît pour l’heure un peu décalée avec un accent mis sur la gestion de la pénurie. Il reste à espérer que les contraintes économiques ou politiques ne viennent pas perturber les dynamiques existantes tant en France qu’aux Pays-Bas.