Couverture de REOF_122

Article de revue

Réformer la fiscalité du patrimoine ?

Pages 231 à 261

Notes

  • [1]
    Le revenu des ménages avant impôt est assez proche du PIB.
  • [2]
    Voir Annexes Techniques : http://www.revolution-fiscale.fr/annexes-simulateur/Annexes(Simulateur).pdf
  • [3]
    La procédure est en fait plus complexe. La Cour des comptes détaille les treize étapes suivies par les agents de l’administration fiscale : http://www.ccomptes.fr/fr/CC/documents/RPA/2-assiette-impots-locaux.pdf (p. 3).
  • [4]
    Les bâtiments construits dans les années 1960 dans les périphéries des villes sont ainsi toujours jugés plus confortables par les services fiscaux que les bâtiments haussmanniens d’un centre-ville.
  • [5]
    Piketty évalue le nouveau montant 2012 à 1,8 milliards : http://www.revolution-fiscale.fr/dans-les-medias/83/
  • [6]
    Un couple avec deux enfants peut ainsi transmettre sans droits de donation jusqu’à 636 000 euros à ses enfants tous les 10 ans. Ce montant seul le placerait dans le 96e centile de patrimoine.
  • [7]
    Voir l’article de É. Heyer, M. Plane et X. Timbeau dans ce numéro.
  • [8]
    Ceci implique qu’un certain nombre de propriétaires aujourd’hui non imposables (au sens de l’IR) deviendraient imposables.
  • [9]
    Parallèlement, soit ce sont des loyers nets d’aides au logement qui devraient être imputés aux propriétaires occupants dans le contexte d’une fusion CSG-IR à assiette large incluant les loyers fictifs, soit les aides au logement devraient être imposables.
  • [10]
    Égal au (loyers+remboursements d’emprunt-aides)/revenu.
  • [11]
    Arrêt du Conseil d’Etat du 30 décembre 2011 n° 330940.

1Pourquoi taxer le patrimoine ? Dans un univers idéalisé où les individus ne diffèrent que par leur productivité, il est suffisant de ne taxer que les revenus du travail. Le patrimoine découle de l’accumulation de la richesse et donc des revenus du travail. Taxer le capital ou ses revenus serait re-taxer un revenu déjà taxé (une double taxation) et aurait l’inconvénient d’inciter à consommer plutôt qu’à épargner. La taxe modifie les prix d’équilibre, réduisant le rendement du capital par rapport à celui du travail et induit une inefficience dynamique (Stiglitz, 2000 ; Pestieau et Cremer, 2003).

2Ce point de départ est évidemment insuffisant. Il existe, malgré cet argument de nombreuses bonnes raisons de taxer le capital. Par exemple, si la richesse découle non seulement de l’accumulation par l’épargne du revenu issu du travail mais aussi de l’héritage, si l’héritage n’est pas directement et intégralement taxé ou si les individus ne peuvent être considérés que comme les avatars d’une dynastie éternelle, alors, la taxation de la richesse permet de réduire la taxation du revenu du travail et touche ainsi la part héritée. Si de plus, l’héritage est corrélé à la productivité du travail (traduisant des héritages invisibles), alors la taxe sur le capital doit être encore plus importante, puisque contrairement à la taxation du travail elle n’est pas désincitative (Cremer, 2010). L’efficience, au sens de l’allocation des ressources, est alors accrue par une telle taxe. Dans une vision utilitariste, la possession de richesse peut être en soi un vecteur d’utilité, éventuellement marginalement décroissante. Il y a alors une justification possible d’un prélèvement progressif sur la richesse et non plus simplement d’un prélèvement proportionnel (Boadway, Chamberlain et Emmerson, 2010).

3Dans le cas d’une rente associée à la propriété du capital, la taxation de cette rente est également plus efficace, puisqu’elle ne désincite pas et permet de réduire une autre forme de taxation elle-même désincitative. L’efficience n’épuise pas le sujet de la taxation. L’équité (qu’elle soit de traitement ou que l’on considère les conséquences de la taxation) est un argument important. Les inégalités de patrimoine sont aujourd’hui plus importantes que les inégalités de revenu et elles sont un facteur de leur persistance. Une taxation de la richesse peut alors être un instrument pour lutter contre les inégalités ou pour contrer leur expansion spontanée. La taxation du capital ou de ses revenus se confond parfois avec la taxation des héritages alors qu’une taxation au long de la vie peut se substituer à la taxation des successions, généralement très impopulaire.

4Toujours dans un monde abstrait, il est équivalent de taxer le patrimoine ou les revenus du capital. Pour que cette équivalence tienne, il faut que tous les actifs aient un rendement égal, ce qui découle généralement des conditions d’arbitrage imposées dans les modèles théoriques. On constate en pratique que les actifs peuvent avoir des rendements très différents, y compris à risque égal, selon leur nature ou leurs propriétaires. C’est pourquoi Allais (1977) par exemple, proposait de taxer le patrimoine en utilisant un taux de référence. Ainsi, les propriétaires détenant des actifs au rendement trop faible recevraient une incitation supplémentaire à « activer » leur patrimoine. Par ailleurs, les revenus du capital peuvent prendre la forme d’un revenu direct (intérêt, dividende) ou d’un gain en capital, réalisé par exemple lorsque l’actif est échangé. Dans une économie complexe et financiarisée, les gains en capital non réalisés peuvent remplacer les flux directs de revenu et ce d’autant qu’il est complexe de taxer les plus-values latentes.

5Parallèlement à ces arguments théoriques, il existe des arguments empiriques qui justifient que l’on se penche sur la question de la taxation du capital. Le premier est que, dans les pays européens au moins (Piketty, 2010), les ratios patrimoine/revenu augmentent à nouveau depuis les années 1980, après avoir connu, après la Seconde Guerre mondiale, une longue phase où leur niveau était resté bas. Ce qui pouvait être un problème secondaire dans le passé (du fait par exemple des montants transmis d’une génération à l’autre) redevient une question d’importance (Piketty, 2008) et une base fiscale conséquente.

6Le second est qu’après avoir été basses, les inégalités de patrimoine augmentent à nouveau. En France par exemple, le mouvement est assez récent puisque jusqu’au milieu des années 1990, les mesures (imparfaites) des inégalités de patrimoine concluaient plutôt à une baisse, alors que dans la période récente, elles augmenteraient (INSEE 2011, à propos de l’Enquête patrimoine 2010). Vouloir traiter des inégalités par la fiscalité est alors légitime puisque ces inégalités augmentent.

7Un troisième point découle de ce que dans une économie de plus en plus financiarisée, il existe une porosité entre les revenus du travail et ceux du capital. Le capital n’est pas simplement le résultat d’une épargne accumulée qui grossit avec les intérêts composés. Le capital peut être constitué à partir d’une anticipation de gains du travail, conduisant à des gains en capital, qui peuvent eux-mêmes se matérialiser de différentes façons. Un flux de dividendes ou d’intérêts n’étant pas taxés de la même façon qu’une plus-value réalisée ou latente, la diversité des montages financiers permet de choisir la solution fiscalement la plus optimale. L’imperfection des marchés financiers conduit à ce que la capacité d’emprunt dépende de la productivité individuelle anticipée. La capacité d’emprunter liée à la position sur le marché du travail permet alors de profiter de trous dans la fiscalité ou de jouer sur des effets de levier. Taxer la richesse permet de contrebalancer ces effets.

8Nous adoptons ici une perspective empirique et nous nous concentrons sur le cas de la France. Nous cherchons à évaluer d’une part quels sont les revenus économiques engendrés par la propriété ou les créances détenues, en intégrant à la fois les revenus visibles (intérêts perçus, net des intérêts versés, dividendes, etc.) et les revenus non visibles comme les gains en capital (net de la consommation de capital fixe ou de la taxe inflationniste). Nous pouvons alors comparer ces revenus à ceux du travail. Nous pouvons également cumuler l’ensemble des impôts assis sur le patrimoine (de la taxe foncière à l’Impôt de solidarité sur la fortune ou les droits de mutation (voir encadré 1 pour un résumé du système français) et calculer un taux apparent de prélèvement sur le revenu. À partir de sources diverses (Landais, Piketty et Saez, 2011 notamment), nous affectons ces taxes et ces revenus par fractile de population et nous estimons une progressivité de l’imposition effective sur le patrimoine que nous pouvons comparer à la progressivité théorique ou légale.

1 – Le patrimoine des ménages selon la comptabilité nationale

9Selon les comptes nationaux, le patrimoine net des ménages français s’élève à 10 103 milliards d’euros en 2010, soit 5,2 fois le montant du Produit intérieur brut (source INSEE). Le patrimoine des ménages a augmenté relativement au PIB depuis 1996 quand il ne représentait que 3,0 fois le montant du PIB. Cette progression récente suit une stagnation relative entre 1978 et 1996 où le patrimoine représentait autour de 3 fois le PIB. D’après Piketty (2003), le ratio patrimoine/revenu des ménages [1] était de l’ordre de 1 en 1949 après avoir été supérieur à 6 en 1908 et de l’ordre de 3,5 en 1934. Le ratio récent ramène à des ratios observés au début de XXe siècle.

10La progression récente (de 1996 à nos jours) du patrimoine est en grande partie due à l’évolution des prix de l’immobilier. L’actif brut immobilier (terrains bâtis et logements) détenu par les ménages représentait 1,6 fois le PIB en 1996 et 3,5 fois en 2010. Cette augmentation fait suite à une faible progression entre 1978 (1,3) et 1996 (1,6). Ainsi, la part de l’immobilier résidentiel dans l’actif brut des ménages est passée de 47 % en 1997 à 58 % en 2009.

11Il est plus difficile d’avoir une idée précise de la concentration du patrimoine. Les enquêtes réalisées par l’INSEE font l’objet de sous-déclarations notoires dans le haut de l’échelle des patrimoines. Les déclarations fiscales devraient être plus fiables mais l’assiette de l’ISF est très étroite. Les déclarations des successions sont peut-être la source la plus satisfaisante concernant la distribution du patrimoine mais elles ne concernent qu’un public restreint. Toutefois, quelles que soient les sources, le patrimoine est très concentré entre les ménages. Selon l’Enquête patrimoine, en 2003 les 10 % les plus riches possédaient 46 % de l’ensemble du patrimoine (Cordier et alii, 2006). Landais et alii (2011) estiment la concentration du patrimoine par les rendements. Ils utilisent les revenus déclarés du patrimoine et déduisent le patrimoine détenu en imputant le rendement macroéconomique moyen des patrimoines fonciers, les actifs financiers non risqués (intérêts) et risqués (dividendes et assurance vie). Cette méthode est correcte si le rendement apparent du capital (d’après les déclarations de revenus) ne dépend pas du montant de patrimoine détenu. Si les plus riches ont des rendements plus élevés, par exemple, parce qu’ils ont des meilleurs placements, alors une telle méthode surestime leur patrimoine. En revanche s’ils ont des rendements apparents plus faibles, par exemple parce que le rendement de leur patrimoine se fait plus sous forme de gains en capital plutôt que sous forme de revenu distribué, alors une telle méthode sous-estime leur patrimoine [2]. Sur la base des calculs de Landais et alii, la concentration du patrimoine est plus importante que dans les enquêtes, ce qui n’est pas étonnant : les 10 % (1 %) des Français les plus riches posséderaient 59 % (25 %) du patrimoine (graphique 1).

Graphique 1

Répartition du patrimoine des ménages par décile de patrimoine (en millions d’euros)

Graphique 1

Répartition du patrimoine des ménages par décile de patrimoine (en millions d’euros)

Source : Enquêtes patrimoine 1998, 2004 et 2010, INSEE. Calculs des auteurs.

Encadré 1. La base de données « révolution fiscale »

Les informations concernant la répartition du patrimoine, des revenus du patrimoine et des impôts payés au titre des revenus du patrimoine proviennent de la base de données construite par C. Landais, T. Piketty et E. Saez (www.revolution-fiscale.fr ; version 0.0 : 19/01/2011). La base de données est une base de 800 000 observations individuelles fictives mais représentatives de la population française. Par construction, les fichiers reproduisent les masses de revenus déclarés annuellement. Les sources primaires utilisées par les auteurs sont : l’Enquête emploi, l’Enquête logement, l’Enquête budget des ménages, l’Enquête Patrimoine, l’Enquête Revenus fiscaux, ainsi que des données fiscales non publiques (échantillons lourds de déclarations de revenus, échantillons lourds de déclarations de fortunes, échantillons lourds de déclarations de successions). L’utilisation de ces échantillons de déclarations fiscales permet d’avoir une meilleure représentation de la répartition du patrimoine que les enquêtes qui sont soumises au problème de la sous-déclaration. Le revenu et le patrimoine sont calés sur les comptes nationaux de l’année 2010 (sur la base des prévisions macroéconomiques de l’INSEE). Certaines imputations font l’objet d’hypothèses simplificatrices : les intérêts d’emprunt sont imputés proportionnellement à tous les propriétaires en proportion de la valeur locative de leur patrimoine immobilier. L’écart entre l’Enquête logement et les comptes nationaux est affecté à moitié en loyers fictifs et à moitié en loyers réels.
Dans la base fictive, les données de patrimoine et de revenu sont des données individuelles par adulte (sur une base de 50,4 millions d’adultes en 2010) : par construction, les auteurs excluent les enfants de l’analyse (ce qui est relativement légitime concernant le patrimoine), et font l’hypothèse au sein des couples que le patrimoine et ses revenus sont partagés à moitié entre les conjoints (communauté de biens). Les déciles de revenu ou de patrimoine construits par les auteurs et nous-mêmes sous ces hypothèses ne prennent en compte ni la charge des enfants, ni les éventuelles économies d’échelle chez les couples, ce qui, contrairement aux revenus, ne pose pas particulièrement problème concernant le patrimoine.

2 – Des revenus fiscaux du capital aux revenus économiques réels

12La comparaison entre le revenu (du travail ou du capital) et la richesse nette demande de comparer des flux à un stock, ce qui pose toujours un problème d’interprétation, le ratio d’un flux de revenu à un stock de richesse s’apparentant à un taux d’intérêt, susceptible de varier fortement dans le temps. Par ailleurs, les actifs ou les passifs qui composent la richesse nette sont de diverses natures et peuvent servir des flux de revenus explicites, plus ou moins réguliers, sous la forme d’intérêts reçus ou versés et de dividendes. Les valeurs de ces actifs ou passifs peuvent changer au cours du temps, sans qu’aucun flux n’apparaisse. Nous construisons un revenu augmenté qui additionne les différents revenus du travail ou des actifs servant des flux (i.e. les revenus du patrimoine) et les variations de valeur réelles (déflaté par l’IPC) de la richesse nette de la consommation de capital fixe qui ne résultent pas d’épargne (i.e. les gains en capital ou gc). Le stock de richesse n’est donc pas considéré en lui-même mais par les flux réels et virtuels qui lui sont associés. Ce stock est net des dettes éventuelles et le revenu du patrimoine est éventuellement négatif lorsqu’il n’est composé que d’intérêts versés.

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equation im2

14En comptabilité nationale, la somme des revenus du travail et du patrimoine constitue le solde des revenus primaires. Les revenus du patrimoine intègrent les dividendes, les intérêts nets et les loyers implicites ou explicites perçus par les ménages. Les revenus du travail intègrent les salaires et les cotisations sociales mais les prestations reçues ne sont pas incluses. Ce revenu diffère du revenu fiscal qui intègre certaines prestations sociales mais ne comptabilise pas les cotisations sociales ni les loyers implicites. Le revenu disponible brut quant à lui est construit en enlevant les impôts versés. On peut construire un revenu ajusté afin d’intégrer les prestations en nature (individualisables) reçues par les ménages. La notion de revenu que nous retenons ici est donc un revenu avant impôts, transferts entre ménages et prestations sociales en espèce ou en nature.

15Les gains en capital sont évalués à partir des comptes de patrimoine produits par l’INSEE. Les comptes de variation du patrimoine permettent d’évaluer les gains en capital en distinguant les flux qui accroissent la richesse directement des changements de valeur autonome de la richesse.

16La relation comptable suivante définit la variation de la richesse (W) ou de patrimoine. Cette relation peut se décomposer suivant la nature des actifs ou des passifs. Les actifs ou passifs financiers ont une consommation de capital fixe (CCF) nulle et les dettes ou crédits sont généralement non réévalués. Le principe de réévaluation est le prix de marché (mark to market). Cette convention est assez discutable, mais elle a le mérite de permettre une évaluation de la valeur des actifs. Un grand nombre d’actifs n’ont pas directement de valeur de marché, comme les biens résidentiels qui ne font pas l’objet d’une transaction ou d’une évaluation dans l’année ou les titres non cotés. Pour ces actifs, un principe de similarité est appliqué. Les actifs présentant des caractéristiques proches et pour lesquels on dispose d’une évaluation de marché servent de référence. En pratique cette convention s’avère très délicate parce qu’elle applique les variations récentes des prix de l’immobilier à l’ensemble du parc et qu’elle conduit à valoriser les actions non cotées de façon très approximative. Les changements de valeur d’une année à l’autre peuvent résulter de l’insuffisance de la mesure comme d’un changement dans la richesse des ménages. Les autres changements de valeur sont en pratique assez faibles et permettent de prendre en compte ce qui n’est pas dans les trois autres catégories.

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equation im3

18W représente la richesse nette et CCF la consommation de capital fixe.

19La détention d’actifs dans un univers inflationniste conduit à une taxe inflationniste. Symétriquement, les dettes se déprécient par ce mécanisme. Nous définissons les gains en capital comme :

20

equation im4

21où p représente l’indice des prix à la consommation.

22Cette définition peut s’appliquer à une décomposition de la richesse nette en actif ou en passif, en comptant algébriquement un actif positivement et un passif négativement. La taxe inflationniste pèse sur les actifs et les dettes se déprécient. Les gains en capital sont un flux non matérialisé qui peut être alors ajouté aux autres flux de revenu. Les gains en capital ainsi définis sont pour partie composés de plus-values réalisées à partir de plus-values latentes. Dans les deux cas ce sont les gains en capital instantanés. Si les marchés d’actifs sont efficients, alors ces gains en capital représentent bien la variation de la somme actualisée des flux futurs de gains que l’on peut attendre de la détention des actifs. Cette mesure instantanée résume donc bien l’anticipation du futur et peut être assimilée à un gain. Les révisions brutales des prix des actifs (donc les réévaluations brutales de la valeur des actifs) interdisent de penser que l’efficience des marchés à un sens quelconque. Cependant, ces gains en capital représentent bien le gain que pourra faire un ménage s’il réalise dans l’année la vente de ses actifs (en supposant que cela n’ait pas d’influence sur le prix). Cette mesure ne doit donc pas être prise au pied de la lettre : elle constitue un revenu « particulier et virtuel » pour les ménages. Néanmoins, les comptes de patrimoine nous fournissent cette information et c’est ce dont nous disposons de plus efficace pour approcher la notion de plus-value réalisée ou latente.

23Pour obtenir le revenu augmenté réel, il suffit alors de diviser par l’indice de prix de l’année le revenu augmenté.

24

equation im5

25Le revenu du patrimoine augmenté des gains en capital peut être décomposé suivant les catégories d’actif ou de passif. En particulier, nous distinguons les actifs immobiliers des actifs financiers.

26Les revenus du travail sont peu volatils comparés aux deux autres composantes du graphique 2. Ils augmentent globalement au cours de la période, bien qu’ils décroissent ou stagnent dans les phases de récession de l’économie française (1993-95, 2002-03, 2008-10). Les revenus réels du patrimoine sont assez peu volatils et croissent plus vite que les revenus du travail. Ils sont passés de 10 % à 34 % des revenus du travail entre 1981 et 2010. Cette progression s’est faite principalement jusqu’en 1995, année à partir de laquelle les revenus du patrimoine sont à peu près constants relativement à ceux du travail. Les gains en capital sont très volatils. De 1981 à 1997, les gains en capital réels sont en moyenne négatifs. Ils amputent de 6,8 % par an le revenu total réel par adulte. Depuis 1998, le revenu augmenté par adulte augmente très rapidement grâce aux gains en capital. Les gains en capital nets de la taxe inflationniste et de la consommation de capital fixe culminent à plus de 10 000 euros (prix 2005) par an en 2006. L’éclatement de la bulle internet en 2001-2002 a réduit à la fois les revenus du travail et les gains en capital. À partir de 2008 les gains en capital sont négatifs. L’impact de la crise financière (dépréciation des actifs financiers) et la moindre croissance des prix de l’immobilier ne peuvent compenser la taxe inflationniste et la consommation de capital fixe des bâtiments résidentiels. Au total, de 1998 à 2010 et malgré deux crises financières, les gains en capital augmentent en moyenne de 12 % par an le revenu (33 % en moyenne de 2004 à 2007).

Graphique 2

Pouvoir d’achat du revenu augmenté par adulte (en milliers d’euros 2005)

Graphique 2

Pouvoir d’achat du revenu augmenté par adulte (en milliers d’euros 2005)

Source : Comptes de patrimoine, comptabilité nationale, INSEE. Calculs des auteurs.

27Au cours de la période 1999-2007, les gains en capital moyens nets de la CCF et de la taxe inflationniste ont représenté 21 % des revenus totaux hors gains, avec un pic en 2006 à plus de 40 % (graphique 2). Au cours de ces dix années, les gains en capital ont été supérieurs au flux de revenu réel généré par le capital financier et non financier qui a représenté en moyenne 18 % des revenus totaux hors gains. Les revenus du capital (y compris les gains en capital) ont représenté sur cette période 39 % des revenus hors gains en capital alors que la part des revenus du travail a été de 58 %. Au cours de l’année 2006, les revenus du capital (y compris gains en capital) ont représenté 59 % des revenus totaux (hors gains) et ont été supérieurs à ceux du travail (57 %).

28Les revenus du patrimoine augmentés des gains en capital permettent de calculer un rendement des actifs détenus par les ménages en les rapportant à la valeur du stock net de richesse, tel que mesuré par les comptes nationaux. Ce rendement est décomposé par type d’actifs en distinguant d’un côté les actifs financiers et de l’autre les actifs non financiers. Concernant les ménages, les actifs non financiers sont principalement des actifs immobiliers, principalement résidentiels. Les crédits de long terme des ménages sont soustraits de la valeur des actifs non financiers, pour obtenir donc des actifs non financiers nets des dettes. Ceci constitue une approximation dans la mesure où des ménages peuvent s’endetter à long terme pour acquérir des actifs financiers. Nous avons supposé que ceci est négligeable. Par ailleurs, le compte de patrimoine des ménages intègre également le capital productif des entrepreneurs individuels, mais il est faible en comparaison des autres actifs.

29Le taux de rendement réel augmenté des actifs non financiers a été de 10,5 % de 1999 à 2007 (graphique 3), alors que les flux directs (principalement des loyers fictifs et effectifs nets des charges d’intérêts) ont été seulement de 1,3 % en proportion de la valeur du stock de capital. Sur une période de trente années (1981-2010), le taux de rendement réel augmenté net des actifs non financiers a été de 3,6 % par an, avec un rendement réel de -0,7 % par an associé aux flux directs.

Graphique 3

Taux de rendement des actifs non financiers (en %)

Graphique 3

Taux de rendement des actifs non financiers (en %)

Source : Comptes de patrimoine, comptabilité nationale, INSEE. Calculs des auteurs.

30La graphique 4 présente les mêmes éléments pour les actifs financiers. Le taux de rendement réel augmenté net de la taxe inflationniste des actifs financiers est de 4,3 % de 1999 à 2007, dont 3,2 % passant par le flux de revenus directs générés par le capital non financier. Sur une longue période (1981-2010), le taux de rendement réel augmenté net de la taxe inflationniste des actifs financiers est de 4,1 %, avec un taux de rendement réel de 3,1 % lié au flux de revenus générés par le capital financier.

Graphique 4

Taux de rendement des actifs financiers (en %)

Graphique 4

Taux de rendement des actifs financiers (en %)

Source : Comptes de patrimoine, comptabilité nationale, INSEE. Calculs des auteurs.

31Depuis 1998, le rendement des actifs non financiers est dû à plus de 70 % aux gains en capital. Le rendement des actifs financiers issu des flux directs de revenu est assez stable à 4,7 % de la richesse financière. Les gains en capital sur les actifs financiers induisent une très grande volatilité du rendement. Néanmoins entre 1998 et 2010, ceux-ci ajoutent en moyenne 0,8 % de rendement.

32Sur longue période (1981-2010), le taux de rendement réel augmenté du capital net total a été de 3,8 % (graphique 5). De 1999 à 2007, celui-ci a atteint en moyenne 7,8 % (supérieur à 10 % en 2005 et 2006).

Graphique 5

Taux de rendement augmenté des actifs financiers et non financiers (en %)

Graphique 5

Taux de rendement augmenté des actifs financiers et non financiers (en %)

Source : Comptes de patrimoine, comptabilité nationale, INSEE. Calculs des auteurs.

33De 1981 à 2010, les revenus générés par les actifs financiers contribuent à 37 % au rendement total augmenté des actifs et les gains en capital non financier net de la CCF à 36 %. De 1999 à 2007, 54 % du rendement augmenté du capital est lié aux gains en capital non financier et les revenus générés par les actifs financiers ne représentent plus que 22 %. Quelle que soit la période, environ 75 % du rendement augmenté est lié aux gains en capital non financiers et aux flux de revenus générés par les actifs financiers (tableau 1). Ce qui change, c’est le partage entre les deux mais pas la contribution globale de ces deux composantes. Y a-t-il un effet de vase communicant ? Les investisseurs se reportent-ils sur la pierre lorsque les revenus générés par les actifs financiers leur paraissent insuffisants, ce qui a pour effet de gonfler le prix des actifs non financiers ?

Tableau 1

Contribution au rendement réel augmenté de l’actif net total (en %)

Tableau 1
1981-2010 1999-2007 Flux revenus actifs non financiers 21 18 Flux revenus actifs financiers 37 22 Gains en capital actifs non financiers net CCF 36 54 Gains en capital actifs financiers net CCF 6 Taux de rendement réel augmenté de l’actif net total 3,8 7,8

Contribution au rendement réel augmenté de l’actif net total (en %)

Source : Comptes de patrimoine, comptabilité nationale, INSEE. Calculs des auteurs.

3 – Comment sont répartis les revenus augmentés ?

34Landais, Piketty et Saez (2011) donnent une distribution des revenus et des situations patrimoniales par individu pour l’année 2010. Cette distribution nous permet d’affecter les gains en capital aux déciles, en fonction de la composition de leur patrimoine. Nous ne pouvons pas prendre en compte des gains en capital qui sont corrélés aux revenus. Ceci peut être le cas si la répartition géographique des individus est corrélée à leurs revenus (parce que les prix des logements sont hétérogènes spatialement par exemple) et si les plus fortes hausses de prix de l’immobilier ont eu lieu là où les revenus et les prix sont les plus élevés. Retrouver cette information est envisageable mais demande un niveau de détail bien supérieur à celui que nous avons utilisé. De la même façon, nous connaissons le montant du patrimoine financier des plus riches, mais il ne nous est pas possible de mesurer les gains en capital réalisés par ceux-ci. Nous affectons donc les gains en capital moyens sur le capital financier. Cette analyse est donc plus exploratoire que descriptive.

35Le tableau 2 décrit le résultat de cette affectation. Les premiers déciles ont peu de patrimoine, peu de revenus du patrimoine. Le patrimoine est concentré sur les plus riches, le dernier décile détenant presque 50 % du patrimoine total, le dernier centile plus d’un cinquième.

Tableau 2

Répartition par décile du patrimoine et des gains en capital, année 2010(*)

Tableau 2
Décile/Centile de revenu disponible individuel* Revenu disponible/an/adulte Patrimoine % du patrimoine d1-10 Patrimoine foncier Patrimoine financier Patrimoine prof. Patrimoine financier & prof. 1. Revenus patrimoine 2. dont plus-values déclarées 3. Gain en capital net (hors CFF, inflation) Revenus augmentés du patrimoine (1+3-2) Rendement apparent du patrimoine Rendement augmenté du patrimoine 1er d. 1 829 29 149 1,6 % 23 815 5 240 94 5 334 866 0 566 1 432 3,0 % 4,9 % 2e d. 7 500 58 954 3,2 % 43 449 14 266 1 239 15 505 1 832 0 1 101 2 932 3,1 % 5,0 % 3e d. 11 789 69 435 3,8 % 50 317 16 087 3 032 19 119 2 108 0 1 327 3 435 3,0 % 4,9 % 4e d. 15 430 82 506 4,5 % 57 982 19 946 4 578 24 524 2 502 1 1 600 4 101 3,0 % 5,0 % 5e d. 18 477 86 697 4,7 % 60 998 21 012 4 687 25 699 2 631 1 1 708 4 338 3,0 % 5,0 % 6e d. 21 356 103 568 5,7 % 72 814 25 479 5 276 30 754 3 167 1 2 027 5 194 3,1 % 5,0 % 7e d. 24 649 126 678 6,9 % 86 700 32 579 7 399 39 978 3 940 3 2 480 6 417 3,1 % 5,1 % 8e d. 29 084 160 013 8,8 % 104 655 44 466 10 891 55 357 5 068 7 3 134 8 195 3,2 % 5,1 % 9e d. 36 541 229 863 12,6 % 137 113 73 571 19 179 92 750 7 570 34 4 490 12 026 3,3 % 5,2 % 10e d. 83 134 879 371 48,2 % 274 611 494 793 109 968 604 761 42 635 3 886 17 710 56 459 4,4 % 6,4 % déciles 1-10 24 979 182 623 100 % 91 245 74 744 16 634 91 378 7 232 393 3 663 10 502 3,7 % 5,8 % 96e c. 60 093 498 262 2,7 % 214 320 211 519 72 423 283 942 18 231 326 9 669 27 574 3,6 % 5,5 % 97e c. 67 309 593 380 3,2 % 243 425 258 471 91 484 349 955 22 218 476 11 371 33 113 3,7 % 5,6 % 98e c. 78 510 762 787 4,2 % 305 030 330 966 126 791 457 757 29 154 819 15 057 43 393 3,7 % 5,7 % 99e c. 100 006 1 109 755 6,1 % 397 647 515 981 196 127 712 108 45 059 1 805 21 982 65 236 3,9 % 5,9 % 100e c. 281 699 4 001 516 21,9 % 665 321 2 938 076 398 119 3 336 195 247 610 34 669 84 379 297 320 5,3 % 7,4 % 1000e m. 1 102 060 17 300 000 9,5 % 1 260 000 15 400 000 640 000 16 040 000 1 276 709 252 495 380 358 1 404 572 5,9 % 8,1 %

Répartition par décile du patrimoine et des gains en capital, année 2010(*)

Champ : Individus de plus de 18 ans.
(*) Revenu disponible individuel = revenus du travail + revenus du patrimoine + revenus de remplacement + transferts sociaux - impôts. Voir les hypothèses permettant d’individualiser ces revenus dans les annexes de Landais, Piketty et Saez (2011) : http://www.revolution-fiscale.fr/annexes-simulateur/Annexes%28Simulateur%29.pdfv
Source : Calculs des auteurs ; Landais, Piketty, Saez (2011).

36Le ratio patrimoine sur revenu est élevé pour les premiers déciles. Cela tient au fait que le revenu des premiers déciles est faible alors que leur patrimoine foncier ou professionnel n’est pas nul. Il s’agit par exemple de personnes ayant un revenu faible et étant propriétaires d’un petit logement ou d’agriculteurs ayant un patrimoine professionnel non nul et des revenus hors autoproduction très faibles. Cela peut également provenir de données manquantes sur les revenus. L’échantillon étant trié sur les revenus, cela conduit à des revenus très faibles et très mal mesurés.

37Le ratio patrimoine/revenu décroît jusqu’au 5e décile et augmente ensuite. Le ratio patrimoine/revenu pour l’ensemble est égal à 7,3, supérieur à celui que l’on estime dans la comptabilité nationale. Ceci est dû à la définition différente du revenu dans l’approche qui est faite ici.

38En écartant les deux premiers déciles, le ratio revenu du patrimoine/revenu est assez faible (de l’ordre de 15 %). Il est égal à 50 % pour le dernier décile. Pour le dernier millime, les revenus du patrimoine sont supérieurs aux revenus du travail. Les gains en capital, principalement issus de la propriété foncière, sont assez faibles (autour de 10 % du revenu) jusqu’au 8e décile. Ils deviennent, proportionnellement, plus important pour le 9e décile (12,3 % du revenu) et pour le 10e décile (21,3 %). Ce n’est que pour le dernier centile ou le dernier millime que l’on observe des gains en capital proportionnellement au revenu aussi importants. L’explication tient au fait que les gains en capital sont importants pour les patrimoines fonciers plus représentés dans les derniers déciles. En revanche, pour les ultra-riches, c’est le patrimoine financier qui assure des gains en capital importants par rapport au revenu.

39La part du patrimoine foncier dans le patrimoine est maximale pour le 1er décile et décroît ensuite. Elle est de 59 % au 9e décile, et ne devient inférieure à 50 % que pour le dernier décile. Pour les 9 premiers déciles, ce sont donc les gains en capital sur le patrimoine foncier qui constitue la modification majeure que nous apportons aux données de Landais, Piketty et Saez.

40La prise en compte des gains en capital, la nature différente des actifs détenus conduit les ménages à bénéficier de rendements différents en fonction de leur revenu. Pour évaluer le taux de rendement augmenté du capital sur longue période, nous avons retenu la période des quinze dernières années (1996-2010) marquée par deux crises majeures. Cela conduit à des gains en capital assez faibles sur les actifs financiers et élevés sur les patrimoines fonciers. Le graphique 6 illustre l’ampleur de la correction pour les rendements apparents du patrimoine en fonction des déciles de revenu du capital (non augmenté). La prise en compte des gains en capital accroît significativement le rendement du patrimoine détenu par les déciles 5 à 9 de revenus du capital. Notons que le rendement des premiers déciles est estimé ici assez grossièrement puisque nous appliquons le rendement moyen des classes d’actifs.

Graphique 6

Taux de rendement du capital et du capital augmenté par décile de revenu du capital (en %)

Graphique 6

Taux de rendement du capital et du capital augmenté par décile de revenu du capital (en %)

Source : Calculs des auteurs ; Comptabilité nationale, éléments budgétaires, Landais, Piketty, Saez (2011).

Encadré 2. La fiscalité du patrimoine et de ses revenus en France

La fiscalité du patrimoine s’appuie sur un ensemble d’instruments assis sur la détention de patrimoine, sa transmission ou les revenus qui en découlent.
Les débats concernant la fiscalité assise sur la détention de patrimoine se focalisent le plus souvent sur l’Impôt de solidarité sur la fortune (ISF) mais ce sont les taxes foncières qui représentent l’imposition la plus importante frappant la détention de patrimoine.
La taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) et la taxe foncière sur les propriétés non bâties (TFPNB) sont prélevées par l’Etat au profit des collectivités territoriales qui en fixent le taux (le taux ne pouvant dépasser 2,5 fois la moyenne départementale ou nationale). Sont redevables des taxes foncières les propriétaires des locaux d’habitation (habités ou non), des parkings, des bâtiments commerciaux, industriels ou professionnels, ainsi que des terrains à bâtir, terrains agricoles, étangs et carrières. Elles concernent la fois les personnes physiques (particuliers) et les personnes morales (sociétés). Les bases d’imposition de la TFPB et de la TFPNB sont respectivement 50 % et 80 % de la « valeur locative cadastrale » (VLC). Les VLC correspondent au loyer théorique qu’un propriétaire pourrait retirer de son bien s’il le louait aux conditions du marché. Ces valeurs locatives ont été initialement estimées en 1960 pour le non bâti et 1970 pour le bâti. Chaque commune a alors effectué un zonage géographique en zones locatives homogènes et des valeurs de référence au mètre carré pondérées par les éléments de confort propres à chaque habitation ont été établies pour chaque zone. Un coefficient d’actualisation reflétant l’évolution du marché locatif au niveau départemental entre 1970 et 1980 ainsi qu’un coefficient reflétant l’évolution nationale depuis 1980 sont ensuite appliqués [3]. Les constructions nouvelles, les changements d’affectation et les modifications d’importance donnent lieu à une obligation déclarative et à une nouvelle évaluation de la VLC par les services fiscaux. Une procédure de révision générale tous les 6 ans était initialement prévue mais n’a jamais été appliquée, seule la révision nationale annuelle est appliquée depuis 1980. Une révision a eu lieu en 1990 mais son application a été abandonnée en 1992 car les transferts induits auraient été « d’une ampleur qui a été jugée insupportable par les autorités politiques » (Cour des comptes, 2009). Les VLC90 ne sont pas utilisées et les différences entre les VLC70 et 90 n’ont pas été rendues public. La Cour des comptes pointe l’obsolescence des bases (2,2 millions de logement sont considérés insalubres par les services fiscaux et plus de 4 millions sans salle de bains) et son caractère inéquitable (entre le centre-ville et la périphérie, les nouveaux bâtiments, les récents et les anciens [4]). Le Conseil des prélèvements obligatoires estime à 17,5 milliards d’euros les taxes foncières payées sur les propriétés bâties par les ménages en 2008 sur un produit total de 23,5 milliards (CPO, 2009). Le produit de l’ensemble des taxes foncières est estimé à 27,7 milliards en 2007.
L’ISF a fait l’objet de nombreuses réformes dont la dernière date de 2011. Au 1er janvier 2011, l’ISF est dû par les foyers détenant un patrimoine net taxable supérieur à 1,3 million d’euros. L’assiette est relativement étroite : la résidence principale fait l’objet d’un abattement de 30 % sur leur valeur vénale réelle, les biens professionnels sont exonérés sous certaines conditions. Un nouveau barème à deux tranches est mis en place à partir de 2012 avec un taux de 0,25 % sur la totalité de la valeur nette taxable du patrimoine pour les patrimoines compris entre 1,3 et 3 millions d’euros et 0,5 % sur la totalité du patrimoine pour ceux supérieurs à 3 millions d’euros. Un système de décote est mis en place pour lisser les effets de seuil. Ce système remplace le barème à 6 tranches à taux marginaux progressifs allant de 0,55 %, à partir de 790 000 euros, à 1,80 % pour la fraction de patrimoine supérieure à 16,5 millions d’euros). Alors qu’en 2010, les recettes d’impôts se sont élevées à 4,5 milliards d’euros, le Projet de loi de finances 2012 évalue l’impôt à 3,0 milliards d’euros. Même selon cette évaluation, que l’on peut considérer comme optimiste compte-tenu de la baisse des taux [5], l’ISF représenterait moins de 10 % des impôts sur la détention de patrimoine. La réforme s’accompagne d’une suppression du bouclier fiscal qui plafonnait l’imposition directe globale (impôt sur le revenu, ISF, taxes foncières, taxe d’habitation, CSG et CRDS) à 50 % du revenu fiscal de référence. Étant donné les taux marginaux d’imposition sur les revenus, ce bouclier fiscal concernait essentiellement les redevables de l’ISF et des taxes foncières à faibles revenus imposables, qu’ils aient réellement de faibles revenus (certains redevables des taxes foncières), ou que leurs revenus ne soient pas intégrés dans le revenu fiscal de référence (plus-values immobilières, PEA, assurance-vie…). En 2011, les sommes remboursées au titre du bouclier fiscal s’élevaient à environ 600 millions d’euros.
La transmission du patrimoine fait l’objet d’une taxation différente selon qu’elle se fait à titre gratuit, ce qui donne lieu à des droits de transmission à titre gratuit (DMTG) ou à titre onéreux (droits de transmission à titre onéreux : DMTO). Concernant les DMTG, les régimes des donations et des successions sont liés et ils donnent lieu à de nombreuses exonérations. La part de chaque bénéficiaire d’une donation ou d’une succession fait l’objet d’un abattement dont le montant en ligne directe a été porté de 50 000 euros à 150 000 euros en 2007 et qui s’élève en 2012 à 159 000 euros [6]. Cet abattement se renouvelle tous les 10 ans : au-delà de cette période, une nouvelle donation ou une succession donne droit à un nouvel abattement. Les transmissions d’entreprises peuvent donner lieu à des exonérations partielles. Les contrats d’assurance-vie, qui prévoient le versement d’un capital ou d’une rente à un bénéficiaire déterminé, ont longtemps fait l’objet d’une exonération totale des capitaux transmis. Pour les primes versées après 1998, avant l’âge de 70 ans, l’imposition est de 20 % au-delà d’un l’abattement de 152 500 euros. Les sommes ne sont soumises au droit commun qu’à concurrence de la fraction des primes versées après l’âge de 70 ans excédant 30 500 euros (CPO, 2009). Les sommes rentrant dans les donations et successions sont soumises à un barème progressif qui dépend du lien de parenté et dont le taux marginal s’élève à 45 % en 2011 pour les sommes supérieures à 1,8 millions d’euros pour les donations et successions en ligne directe ou entre conjoints. En 2010, les droits de successions représentent 6,9 milliards d’euros (PLF2012) et les droits de donations à 0,9 milliards d’euros, soit un total de 7,8 milliards d’euros pour les DMTG. Les DMTO concernent à la fois les personnes physiques et morales et bénéficie aujourd’hui essentiellement aux collectivités locales. Le taux normal est de 5,09 % mais les collectivités territoriales peuvent le réduire. En 2010, les recettes totales des DMTO s’élevaient à 11,9 milliards d’euros (PLF, 2012). La perception est considérée comme étant facile et sûre et ne fait pas l’objet d’exonérations opaques.
Les revenus du patrimoine sont hétérogènes et font l’objet d’une imposition différenciée selon leur nature. La contribution sociale généralisée (CSG) sur les revenus du patrimoine s’appuie sur l’assiette la plus large. Elle comprend les revenus fonciers, les plus-values immobilières, les revenus de capitaux mobiliers (y compris les produits exonérés d’impôt sur le revenu : plans (PEL) et comptes épargne logement (CEL), assurance-vie, plan d’épargne populaire (PEP), plan d’épargne en actions (PEA)), les plus-values de cession de valeurs mobilières, et les plus-values professionnelles à long-terme). Les livrets A, jeune, d’épargne populaire, de développement durable et d’épargne-entreprise sont exonérés. Le taux des contributions sociale est de 8,2 % pour la CSG auquel s’ajoutent la Contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS) dont le taux est de 0,5 %, le prélèvement RSA au taux de 1,1 % et le prélèvement social (3,7 %), pour un taux global de 13,5 %. Une hausse de 2 points à 15,5 % est votée en 2012 dans le cadre de la mise en place de la « quasi-TVA sociale » [7] (contre 11 % en 2008, soit une hausse de 4,5 points en quatre ans). L’impôt sur le revenu s’appuie sur une assiette plus étroite, notamment pour la partie imposée au barème avec les autres revenus (et dont le taux marginal supérieur s’élève à 41 % (temporairement 44 % pour les revenus supérieurs à 250 000 euros). Le prélèvement forfaitaire libératoire (PFL) permet d’exclure 8 milliards d’euros de l’assiette fiscale (CPO, 2009). Le taux est rehaussé au 1er janvier 2012 de 19 à 21 % sur les dividendes et à 24 % sur les revenus des placements à taux fixe. Les exonérations totales concernent : les plus-values sur la cession de la résidence principale, les plus-values de cession des autres immeubles au-delà de la 15e année (30e à partir du 1er janvier 2012), les revenus du Plan d’épargne-logement (plafond de 61 000), les contrats de capitalisation ou d’assurance-vie qui font l’objet d’un taux forfaitaire libératoire de 7,5 % au-delà de 8 ans de détention, les Plans d’épargne en actions au bout de cinq ans de détention (plafond de 132 000 euros). Au total, moins de 40 % des revenus du patrimoine (au sens fiscal) sont soumis à l’impôt au barème (CPO, 2009). Le CPO estime à 24,2 milliards les prélèvements sur les revenus du patrimoine en 2007 : 14,6 milliards d’euros pour les contributions sociales, 1,1 milliards pour le prélèvement forfaitaire libératoire et 8,5 milliards d’euros au titre de l’impôt sur le revenu au barème, ce qui correspond à un taux d’imposition moyen de 15,1 % sur les revenus du patrimoine tels qu’estimés par le CPO (revenu réel estimé à 151 milliards en 2007 comprenant les intérêts, dividendes et plus-values effectives hors résidence principale).
Au total, en 2007, le CPO estimait à environ 65 milliards d’euros les prélèvements globaux sur le patrimoine des ménages (tableau), dont seulement 6 % au titre de l’ISF, 28 % au titre des taxes foncières, 28 % au titre des droits de mutation et 37 % au titre de l’impôt sur le revenu, des prélèvements libératoires et des cotisations sociales.

Impôts sur le patrimoine des ménages (en millions d’euros)

tableau im13
2007 En % Imposition sur la détention ISF 4 000 6,2 Taxes foncières 18 200 28,0 Total 22 200 34,2 Imposition sur la transmission DMTG 9 000 13,9 DMTO 9 500 14,6 Total 18 500 28,5 Imposition sur les revenus IR + cotisations sociales 24 200 37,3 Total (ménages) 64 900 100

Impôts sur le patrimoine des ménages (en millions d’euros)

Source : CPO (2009).

4 – Quel est le taux d’imposition « augmenté » sur le patrimoine ?

41En ayant une vision différente des rendements du capital, il est possible de calculer un taux d’imposition des revenus du capital. Les revenus augmentés du capital intégrant les gains en capital, latents ou réalisés, la mesure du taux d’imposition apparent est plus pertinente, aux réserves près concernant la reconstruction statistique.

42Les impôts sur le capital considérés ici sont : la CSG sur les revenus directs du capital, l’IRPP sur les revenus du capital, y compris le prélèvement forfaitaire libératoire, les droits de mutation à titre gratuit (DMTG, principalement les successions et les dons), les droits de mutation à titre onéreux (DTMO, acquittés lors des ventes d’immobiliers), l’Impôt de solidarité sur la fortune (ISF) et les taxes foncières.

43On constate sur le graphique 7 les éléments suivants :

  • les premiers déciles de revenu du patrimoine (hors gains en capital) ont un peu de patrimoine mais ne déclarent pas ou très peu de revenus du patrimoine et donc n’ont pas ou très peu d’impôt sur le patrimoine, d’où une allure peu interprétable et très incertaine de la courbe d’imposition. Les 4 premiers déciles ne possèdent que 2 % du patrimoine.
  • Pour les 6 déciles de revenu du patrimoine (hors gains en capital) restant, le taux d’imposition du capital augmenté est largement diminué par les plus-values latentes non imposées : ce taux est autour de 10 % entre le 5e décile jusqu’au 95e centile contre un taux apparent oscillant entre 16 et 19 %. Ce taux est faible au regard des taux touchant les revenus direct du capital. Les gains en capital non imposés permettent de faire baisser le taux d’imposition et conduisent à une très faible imposition du capital.
  • Au-delà, il augmente peu : 12 % pour les deux derniers centiles, 13 % pour le dernier centile et 14 % max pour le dernier millime. En ayant moins de foncier (proportionnellement au patrimoine total !), et compte-tenu de notre méthode de calcul, le taux d’imposition remonte lorsqu’il est composé de plus en plus d’actifs financiers. Cependant, nous n’avons pas de mesure directe du recours à des produits financiers sophistiqués pour « transformer » les revenus directs du capital en gains latents non imposés.

Graphique 7

Taux d’imposition du capital et du capital augmenté par décile de revenu du capital (en %)

Graphique 7

Taux d’imposition du capital et du capital augmenté par décile de revenu du capital (en %)

Source : Calculs des auteurs ; Comptabilité nationale, éléments budgétaires, Landais, Piketty, Saez (2011).

5 – La fiscalité du patrimoine entre assiette trouée et compromis bancal

44La fiscalité française du patrimoine se caractérise par une assiette relativement étroite (les loyers fictifs et une grande partie des gains en capital ne sont pas imposés, voir encadré 2) compensée par une fiscalité qui ne taxe pas directement le revenu (par exemple, les DMTO). Une partie importante de la taxation transite par des taxes qui sont à l’origine de distorsions importantes. Les DMTO sont ainsi perçus lors des transactions. Un bien vendu de multiples fois sera plus taxé qu’un bien conservé longtemps. Une vente forcée ou accidentelle induira la taxation d’un individu alors que le bien d’un autre individu, à la capacité contributive égale, ne sera pas taxé.

45Les loyers fictifs ne sont pas imposés. Ceci constitue une faille importante et conduit à une rupture de l’équité horizontale : suivant qu’ils sont ou non propriétaires de leur résidence principale, les ménages acquittent un impôt très différent. Ceci rend également la rentabilité nette de la location plus faible et conduit à accroître le prix des loyers au détriment de l’égalité devant l’impôt (si l’on prend en compte le fait que l’accès à la propriété par le crédit est très corrélé au revenu). Imposer les loyers fictifs est impopulaire et très difficile à faire accepter. Rendre déductibles les loyers effectifs et augmenter à concurrence le taux moyen d’imposition rencontreraient moins d’opposition et réduirait largement l’inégalité de traitement (encadré 3).

Encadré 3. Imposer les loyers fictifs ou déduire les loyers réels ?

De nombreux économistes se prononcent pour l’imposition des loyers fictifs des propriétaires occupants. Par exemple, Landais et al. (2011) proposent de créer une nouvelle cotisation sur le revenu du capital des ménages et d’y inclure les loyers fictifs des propriétaires avant, afin d’intégrer ce nouvel impôt à l’impôt sur le revenu à assiette large et barème progressif. Il est indéniable que le service de logement, net des remboursements d’emprunt, que se procurent les propriétaires augmente leur capacité contributive comparés aux locataires. Toutefois, la fiscalisation des loyers fictifs pose deux problèmes : d’une part, l’évaluation du loyer n’est pas évidente ; d’autre part, les blocages politiques peuvent être importants étant donné le niveau des transferts et donc le nombre des ménages perdants et gagnants à une telle réforme. La solution préconisée par Landais et al. répond à ce deuxième point grâce à la création d’une nouvelle cotisation avec montée en charge progressive. Une autre solution, qui permettrait de rétablir l’équité horizontale entre propriétaires d’une part et locataires et accédants d’autre part, serait de proposer la déduction des loyers réels (et des intérêts d’emprunts) pour les locataires et propriétaires accédants. Elle serait compensée par une hausse du taux d’imposition apparent (impôt/ assiette imposable), qui serait obtenu principalement par un ajustement des tranches d’imposition et non des taux [8]. Cette proposition a deux avantages importants : premièrement, les loyers réels sont connus (ils sont déjà déclarés par les propriétaires) ; deuxièmement, une telle réforme semble plus facilement compréhensible et défendable dans le débat public. Une transition sur quatre ou cinq ans est également concevable. L’inconvénient majeur est l’augmentation du taux apparent d’imposition, conséquence du rétrécissement de l’assiette imposable. Evidemment, les transferts induits par la réforme et le nombre de perdants et de gagnants seraient à la hauteur de l’iniquité du système d’imposition actuel.
Le profil des transferts induits par une telle réforme dépend des modalités précises de la compensation. En particulier, elle n’aurait pas les mêmes effets si elle était appliquée sur l’IR seulement ou sur un ensemble IR-CSG fusionné (dans le premier cas, les bas revenus ne seraient pas impactés ; alors qu’ils le seraient dans le second cas). Cet argument plaide en faveur de la fusion CSG-IR puisque dans le premier cas, l’équité fiscale horizontale entre locataires et accédants d’une part et propriétaires d’autre part ne serait pas rétablie pour les bas revenus.
Les comptes nationaux nous renseignent sur les montants en jeu. Selon le Compte logement 2009, les loyers versés par les locataires s’élèvent à 62,2 milliards d’euros tandis que les loyers imputés aux propriétaires occupants sont de 129,4 milliards d’euros pour les résidences principales et de 19,2 milliards d’euros pour les résidences secondaires. Il faut ajouter aux loyers réels les emprunts des propriétaires accédants alors qu’il faut les retrancher aux loyers fictifs. Ils s’élèvent à 37,9 milliards d’euros en 2009. Les bénéficiaires des aides au logement (14,5 milliards d’euros sont par construction peu concernés par l’impôt sur le revenu dans son contour actuel, ce qui ne serait plus vrai dans le contexte d’une fusion CSG-IR. Les aides au logement devraient être déduites des loyers et intérêts d’emprunt [9]. Par conséquent, la déduction des loyers et intérêts d’emprunts réduirait l’assiette de 85,6 milliards d’euros, tandis que l’intégration des loyers fictifs et des allocations logement l’augmenterait de 106,0 milliards d’euros. Ceci est à comparer à une assiette de l’impôt sur le revenu (revenu fiscal de référence) qui s’élevait à 848,3 milliards d’euros sur les revenus 2009 tandis que le taux d’imposition apparent moyen était de 5,35 % (=45,4/848,3). En première approximation (sans tenir compte de l’effet combiné de la distribution des loyers et de la progressivité du barème de l’IR), la déduction des loyers réels ou l’intégration des loyers fictifs impliquerait des transferts entre ménages compris entre 4,5 à 5,5 milliards d’euros dans le cadre de l’IR actuel mais seraient plus élevés dans le contexte d’une fusion IR-CSG.
Le Compte logement nous renseigne sur les caractéristiques des ménages selon leur statut d’occupation de leur résidence principale. En 2009, 39,3 % des ménages étaient propriétaires non accédants de leur résidence principale, 18,4 % étaient propriétaires accédants et 42,2 % étaient locataires. L’âge moyen de l’occupant principal (59 ans) est plus élevé qu’il ne l’est pour la moyenne des ménages (54 ans). Les trois quarts des propriétaires ont plus de 40 ans. L’impact différencié de la réforme selon l’âge serait important : sur l’ensemble des ménages (y compris propriétaires non accédants et ménages logés gratuitement), en 2006, le taux d’effort net moyen (hors charges) [10] était de 22,0 % pour les ménages dont la personne de référence était âgée de moins de 25 ans, 15,5 % pour les 30 à 44 ans, 8,6 % pour les 45-59 ans et de 4,6 % pour les 60 ans et plus (INSEE, Enquête logement 2006). En termes d’équité verticale, le revenu moyen des ménages propriétaires occupants est plus élevé que celui de l’ensemble des ménages, en partie du fait de la structure par âge de la population. Par unité de consommation, le revenu imposable médian des ménages propriétaires est ainsi 16 % plus élevé que celui de l’ensemble des ménages. De plus les taux d’effort net (y compris charges) sont beaucoup plus élevés dans le bas de l’échelle des revenus. Ainsi, pour les locataires du parc privé du premier décile de niveau de vie, le taux d’effort net est de 39,1 % contre 24,6 % pour les ménages du 5e décile et 15,3 % pour les ménages du dernier décile. À barème inchangé, la réforme proposée permettrait ainsi une plus grande progressivité de l’impôt sur le revenu.

46L’imposition des plus-values latentes et effectives permettrait d’imposer la quasi-totalité des gains en capital que nous mesurons. Cette imposition devrait se faire en termes réels, c’est-à-dire en ne taxant que la plus-value nette de l’inflation sur la période de détention du bien. On pourrait également déduire les investissements nets réalisés dument dépréciés et tenir compte de la dépréciation.

47Mais, l’imposition des plus-values latentes ou effective est difficile en présence de bulles ou de phases de hausse et de baisse de prix : lorsque les prix (de l’immobilier) augmentent pendant une période puis baissent, l’imposition pèse en haut de bulle. En étant propriétaire, sans que le service de logement, l’agrément ou la qualité de vie ne change, on est soumis potentiellement à un impôt. À moins d’imaginer un impôt réversible (positif lorsque les prix augmentent, négatif lorsqu’on réalise une moins-value), cette taxation serait injuste. Un crédit d’impôt en cas de moins-values poserait par ailleurs d’autres problèmes : que faire dans le cas d’une entreprise qui fait faillite, doit-on dédommager l’entrepreneur maladroit ou malchanceux ? Comment tenir compte des moins-values liées à un mauvais entretien, mal évalué ? Comment éviter les fraudes à la moins-value (prix plus bas convenu entre deux parties) ?

48La taxation des plus-values effectives n’échappe pas à ce problème. Si un ménage vend son bien immobilier sur lequel il réalise une plus-value, mais qu’il achète un bien équivalent, puis réalise quelques années plus tard une moins-value, alors taxer la réalisation de la plus-value engendre une rupture de l’équité horizontale par rapport à un ménage n’ayant pas vendu et racheté.

49Une solution est de ne taxer les plus-values réalisées qu’à la mort de l’individu. Sous réserve encore de pouvoir apprécier correctement la plus-value réelle (et donc de connaître l’historique des achats et de vente) de pouvoir tenir compte des flux d’investissement (et donc de connaître à la fois les flux d’investissement mais également leur dépréciation spécifique au cours du temps), on éviterait les inconvénients d’une taxation annuelle ou à chaque transaction. En revanche, outre les coûts administratifs et d’acquisition de l’information, ce type de taxation est exposé à un risque particulier : le changement de législation. Puisque la dette fiscale est cumulée sur la durée de la vie adulte (disons 60 ans), les changements de fiscalité sont susceptibles d’engendrer des variations très importantes de rendement fiscal et donc de rendement après impôt. Une taxation induisant une dette fiscale sur plusieurs années devrait pouvoir être sanctuarisée pour éviter l’incohérence temporelle et l’inégalité intergénérationnelle. Ce genre de fiscalité pose de façon équivalente la question de la gestion du budget. Abandonner les DMTO pour une taxation des plus-values réelles en fin de vie revient à creuser le déficit pour une recette fiscale théorique.

50Si sur le plan théorique, la taxation à la mort est satisfaisante du point de vue de l’équité horizontale et permet de contourner le problème de liquidité, elle serait difficile à mettre en œuvre. Un compromis entre la taxation des plus-values latentes et la taxation à la mort consiste à taxer les plus-values immobilières effectives non réinvesties, ainsi que les plus-values latentes lors des transmissions, avant le calcul des droits de succession. La taxation des plus-values non réinvesties peut conduire à des trajectoires qui induisent des taxations importantes sans justification. C’est toutefois la solution dont les inconvénients, en termes de rupture d’équité horizontale, semblent le plus faibles ; c’est également la solution généralement adoptée par les pays qui n’exonèrent pas totalement les plus-values sur la résidence principale (Espagne, Pays-Bas).

51Outre les plus-values immobilières, il existe d’autres plus-values qui échappent totalement ou partiellement à l’imposition. Une opération courante consiste à purger la plus-value par la donation. La donation permet en effet de contourner l’imposition des plus-values : en cas de cession ultérieure par les donataires, la plus-value sera calculée par rapport au jour de la donation. Ce procédé est légal et, même si la vente suit rapidement la donation, l’administration considère qu’il n’y a pas d’abus de droit, si la donation est effective (il y a abus de droit en revanche si les donateurs se réapproprient les sommes issues de la vente, par exemple par une deuxième donation en sens inverse) [11]. Or, la fiscalité sur les mutations est très favorable, notamment depuis le relèvement des abattements en ligne directe (159 000 euros par bénéficiaire, renouvelable tous les dix ans). Une solution pour empêcher cette purge de plus-value est de taxer les plus-values latentes au moment des transmissions, avant le calcul des droits de mutation à titre gratuit.

52La transmission d’entreprise par donation bénéficie de plus d’un dispositif spécifique puisqu’il existe une exonération partielle de 75 % de la valeur de l’entreprise sous conditions de détention et d’exploitation de l’entreprise. Selon les règles applicables aux plus-values professionnelles, la transmission devrait donner lieu à l’imposition du donateur sur la plus-value latente mais un report et une exonération totale de la plus-value sont prévues en cas d’exploitation de l’entreprise pendant au moins cinq ans. S’il paraît difficile de taxer les plus-values latentes lors de la transmission d’entreprise par donation, l’exonération de plus-value après un délai de cinq ans semble injustifiée puisque ces plus-values professionnelles (qui peuvent s’apparenter à un revenu du travail) n’auront alors jamais été imposées.

6 – Conclusion

53Notre analyse révèle que les revenus augmentés du capital constituent un revenu important. Une partie est constituée de revenus bien identifiés comme les dividendes ou les intérêts perçus, alors qu’une autre est plus difficile à saisir ; ce sont les plus-values réalisées et surtout latentes. En France, les plus-values (latentes et réalisées, nettes de l’inflation et de la dépréciation du capital) ont représenté en moyenne sur la période 1998-2010, 12 % du revenus des ménages, malgré deux crises financières. Une partie de ces revenus liés aux gains en capital n’est jamais taxée (en particulier les plus-values latentes, mais il existe aussi de nombreuses façons d’échapper à la taxation des plus-values réalisées), ce qui réduit le taux d’imposition moyen sur le revenus des ménages. La faible taxation des ces revenus du capital représente une perte de recettes fiscales de l’ordre de 50 milliards d’euro par an, soit le même montant que celui des recettes fiscales actuelles liées aux revenus du patrimoine.

54Concernant le patrimoine foncier, l’appréciation continue et robuste (puisqu’elle a résisté à la crise de 2008-2011) des patrimoines immobiliers a constitué un revenu qui a surtout profité aux déciles 5 à 10 et particulièrement aux deux derniers déciles. Il n’a pas été complètement taxé alors qu’il a été en partie réalisé (par les ménages qui ont revendu leur résidence principale pour en racheter une autre moins cher, à l’occasion d’un départ à la retraite par exemple) ou pour devenir locataire au détriment de ceux qui ont dû s’endetter beaucoup parce qu’ils entraient sur un marché de la propriété en forte hausse. Les plus-values réalisées ne sont plus accessibles à la taxation, mais il reste probablement une masse importante de plus-values latentes, encore accessibles (bien qu’il soit difficile sans une analyse à partir de données fines de savoir quel est le montant de ces plus-values immobilières non taxées). Les plus-values latentes dans l’immobilier pourraient être taxées à la revente avec sortie, totale ou partielle, du marché de l’immobilier ou à la mort, par un règlement de l’imposition sur les plus-values qui précèderait le règlement de la succession. L’imposition des plus-values réelles immobilières pourrait permettre de réduire progressivement les droits de mutation à titre onéreux (DTMO) qui ne taxent pas directement les revenus y compris augmentés des gains en capital et qui créent des distorsions.

55Concernant le patrimoine financier et les gains en capital qu’il a pu générer, les deux crises (2001, 2008) ont fait fondre les revenus augmentés, les rendant sur la période 1997-2010 presque nuls. On pourrait considérer que relativement aux plus-values latentes et réalisées dans l’immobilier le sujet est négligeable. Mais on a de bonnes raisons de penser que les plus-values, et donc les revenus augmentés du capital financier, à venir seront importantes, d’autant que les revenus augmentés sont nuls au point bas alors qu’ils devraient être négatifs.

56Pour le patrimoine financier comme pour le patrimoine immobilier, le meilleur moyen de ne pas avoir à taxer les plus-values (et donc les plus-values latentes, difficiles à identifier, pour lesquelles il est facile de profiter de trous dans la taxation) consisterait à éliminer l’essentiel des plus-values, en tout cas celles qui vont au-delà du raisonnable. Il est difficile d’empêcher les bulles sur les marchés d’actifs financiers ; en revanche, en supprimant la rareté foncière et en régulant fortement la distribution de crédit on peut limiter les bulles de prix immobilier. La fiscalité n’est donc pas la seule voie pour assurer plus d’efficacité économique et d’équité dans la distribution des patrimoines.

57En dehors des plus-values, le service de logement que se rendent à eux-mêmes les propriétaires occupants (« loyers fictifs »), constitue également un revenu du patrimoine non imposé. S’il est difficile techniquement et politiquement d’imposer ce revenu, la déduction du revenu imposable des loyers et des intérêts d’emprunt, pourrait rétablir l’équité horizontale. Cet objectif ne pourrait être atteint que dans le cadre d’une fusion de l’impôt sur le revenu et de la CSG.

58S’il n’existe pas de solution miracle et universelle permettant d’assurer à la fois une plus grande équité dans la répartition de la charge de la fiscalité et un meilleur rendement de l’impôt sans aucune distorsion des décisions microéconomiques, il existe donc un grand nombre d’améliorations potentielles de notre système fiscal qui permettraient d’aller dans cette direction. L’imposition des plus-values latentes lors des successions et une meilleure prise en compte des avantages procurés par la propriété de la résidence principale sont à cet égard les voies les plus réalistes pour se rapprocher du modèle idéal.

Références bibliographiques

  • Boadway R., E. Chamberlain, et C. Emmerson, 2010, « Taxation of wealth and wealth transfers », Dimensions of Tax Design, The Mirrlees Review, Institute for Fiscal Studies, Oxford University Press, pp. 737-824.
  • Cremer H., 2010, « Taxation of wealth and wealth transfers : a commentary », Dimensions of Tax Design, The Mirrlees Review, Institute for Fiscal Studies, Oxford University Press, pp. 817-831.
  • Stilglitz J., 2000, Economics of the Public Sector (Third edit., p. 823), New York/London : W.W. Norton&Company ltd.
  • Landais, C., T. Piketty et E. Saez, 2011, Pour une révolution fiscale, La république des idées, Seuil ; url : http://www1.revolution-fiscale.fr/Pour_une_revolution_fiscale.pdf
  • Pestieau P., et H. Cremer, 2003, « Wealth Transfer Taxation : A Survey », papers.ssrn.com.
  • Piketty T., 2003, « Income Inequality in France, 1901–1998 », Journal of Political Economy, (111), pp. 1004-42.
  • Piketty T., 2010 : « Taxation of wealth and wealth transfers ; commentary », Dimensions of Tax Design, The Mirrlees Review, Institute for Fiscal Studies, Oxford University Press, pp. 825-831.
  • Piketty, T., G. Postel-Vinay et J.-L. Rosenthal, 2006 : « Wealth Concentration in a Developing Economy : Paris and France, 1807–1994 », American Economic Review, (96), pp. 236-56.

Mots-clés éditeurs : inégalité, plus-values, équité, imposition du patrimoine

Date de mise en ligne : 04/12/2012

https://doi.org/10.3917/reof.122.0231

Notes

  • [1]
    Le revenu des ménages avant impôt est assez proche du PIB.
  • [2]
    Voir Annexes Techniques : http://www.revolution-fiscale.fr/annexes-simulateur/Annexes(Simulateur).pdf
  • [3]
    La procédure est en fait plus complexe. La Cour des comptes détaille les treize étapes suivies par les agents de l’administration fiscale : http://www.ccomptes.fr/fr/CC/documents/RPA/2-assiette-impots-locaux.pdf (p. 3).
  • [4]
    Les bâtiments construits dans les années 1960 dans les périphéries des villes sont ainsi toujours jugés plus confortables par les services fiscaux que les bâtiments haussmanniens d’un centre-ville.
  • [5]
    Piketty évalue le nouveau montant 2012 à 1,8 milliards : http://www.revolution-fiscale.fr/dans-les-medias/83/
  • [6]
    Un couple avec deux enfants peut ainsi transmettre sans droits de donation jusqu’à 636 000 euros à ses enfants tous les 10 ans. Ce montant seul le placerait dans le 96e centile de patrimoine.
  • [7]
    Voir l’article de É. Heyer, M. Plane et X. Timbeau dans ce numéro.
  • [8]
    Ceci implique qu’un certain nombre de propriétaires aujourd’hui non imposables (au sens de l’IR) deviendraient imposables.
  • [9]
    Parallèlement, soit ce sont des loyers nets d’aides au logement qui devraient être imputés aux propriétaires occupants dans le contexte d’une fusion CSG-IR à assiette large incluant les loyers fictifs, soit les aides au logement devraient être imposables.
  • [10]
    Égal au (loyers+remboursements d’emprunt-aides)/revenu.
  • [11]
    Arrêt du Conseil d’Etat du 30 décembre 2011 n° 330940.

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