Couverture de REOF_118

Article de revue

La perception des inégalités en France depuis dix ans

Pages 5 à 32

Notes

  • [1]
    Il s’agit de sondages aléatoires réalisés au moyen de questionnaires auto-administrés sur la population résidant en France et âgée de 18 ans ou plus. Les tailles d’échantillon sont respectivement de 1889 et 2814 individus.
  • [2]
    Toutes les moyennes considérées ici sont tronquées au 1 % supérieur.
  • [3]
    Une enquête Gallup International (BVA en France) réalisée fin 2010 sur des échantillons représentatifs dans 53 pays répartis sur les cinq continents montre que les Français sont 61% à déclarer que l’année 2011 sera une année de difficultés économiques (3 % prédisent une prospérité et 36 % une stabilité) contre 28 % en moyenne dans le monde. C’est le plus fort taux de pessimisme observé dans cette enquête. En Allemagne, 22 % seulement anticipent des difficultés ; en Espagne, 48 %. Avec 57 %, les Islandais talonnent les Français mais restent tout de même en seconde position. Ce pessimisme économique a crû en France de 10 points en un an alors qu’il est resté stable au niveau mondial (moins 1 point). Les principaux résultats de cette enquête ont été publiés dans Le Parisien du 3 janvier 2011.

1 La crise économique et financière de 2008 a-t-elle conduit à des changements dans la perception des inégalités de revenus ou dans les sentiments à l’égard de la justice sociale ? Deux enquêtes de l’International Social Survey Programme (ISSP), centrées sur les inégalités, ont été menées en France, l’une en 1999, en période d’expansion économique, et l’autre en 2009, juste au lendemain du plus fort de la crise des subprime. Elles vont permettre d’avancer des éléments de réponse [1]. La comparaison entre la situation d’avant la crise et celle d’aujourd’hui est rendue possible par le fait que plusieurs questions ont été posées en des termes identiques aux deux dates. Certaines d’entre elles revêtent des formulations classiques et interrogent directement les personnes sondées sur leur opinion à l’égard des inégalités ou de la justice. Par exemple : « Les différences de revenu en France sont-elles trop grandes ? » ou « Avez-vous le sentiment que ce que vous gagnez correspond à ce que vous méritez ? ». D’autres sont un peu moins courantes dans leur expression et permettent d’apprécier indirectement les sentiments en matière d’inégalité ou de justice, par exemple en faisant préciser aux enquêtés à quel type de pyramide sociale correspond selon eux la France ou encore en leur demandant d’estimer les salaires de différentes professions et ce qui leur paraîtrait souhaitable qu’ils soient.

2 Ceci va nous permettre d’analyser assez finement les changements de perceptions des inégalités salariales. Mais il sera intéressant de se demander si ce qui en ressort se trouve ou non corroboré lorsque l’approche est formellement différente. Avant cependant d’en venir à cet examen, il est indispensable de synthétiser les changements qui se sont objectivement produits dans la période considérée. La principale question à laquelle nous essayerons de répondre consistera en effet à déterminer dans quelle mesure les éventuelles évolutions dans la perception des inégalités de revenus reflètent celles qui se sont effectivement produites.

1 – L’évolution objective des inégalités de revenus

3 La mesure de l’inégalité objective est en soi un problème qui mériterait de longs développements. Les indicateurs sont nombreux : rapport inter-décile (D1/D9), coefficient de Gini, etc. Les données auxquelles les appliquer sont tout aussi variées : salaires, revenus déclarés au fisc, revenus disponibles après impôts, avant ou après transferts, en tenant compte ou non du ménage et de sa taille (on parle alors de niveau de vie), en incluant ou non les « loyers fictifs », etc. La pauvreté fait elle aussi l’objet de différentes mesures : pauvreté monétaire (pourcentage de ménages se situant en dessous de 50 % ou 60 % du revenu médian) ou en conditions de vie (capacité à se procurer un panier de biens ou de services jugés essentiels) ou encore selon des sentiments de privation. Or, selon les indicateurs retenus, les diagnostics sur les inégalités de revenu et leurs évolutions peuvent varier. L’inégalité est de fait un terme plurivoque et il est donc toujours délicat d’en ramasser toutes les dimensions en une synthèse unilatérale.

4 Malgré tout, certaines conclusions convergentes peuvent être tenues pour établies. Ainsi, d’après les données de l’OCDE (2008), la France ne fait pas partie des pays où les inégalités sont les plus fortes. Elles sont au contraire en deçà de la moyenne des pays suivis par l’OCDE. Les inégalités de revenu sont certes un peu moins importantes dans les pays du nord de l’Europe (notamment les pays scandinaves) mais elles le sont davantage dans beaucoup d’autres pays, notamment aux États-Unis ou au Royaume-Uni, pour ne citer qu’eux. Plus encore, sur les dix ou vingt dernières années, tandis que les inégalités s’aggravaient nettement dans de nombreux pays, elles ont été dans l’ensemble assez stables en France.

5 Ainsi, selon les données de l’INSEE, le rapport inter-décile (c’est-à-dire entre le revenu au-dessus duquel on trouve les 10 % les plus riches et celui en dessous duquel se situent les 10 % les plus pauvres) est resté stable au cours des dix ou vingt dernières années et ce quelle que soit la définition du revenu considérée (revenu fiscal, niveau de vie, revenu disponible d’après l’OCDE). Les taux de pauvreté ont eu tendance à baisser légèrement ou, au pire, à rester constants. Le coefficient de Gini varie également extrêmement peu depuis le milieu des années 1990 (INSEE, 2011 ; Lombardo et Pujol, 2010). On peut cependant observer une légère augmentation en fin de période qui provient de la hausse des revenus des plus aisés (tableau 1). C’est d’ailleurs là un autre phénomène important. Plus on concentre son regard sur les individus les mieux rémunérés – les 1 % qui touchent les plus hauts revenus, puis les 0,1 %, voire les 0,01 % –, plus l’on voit l’écart se creuser depuis une dizaine d’années avec le reste de la population française (Landais, 2008 ; Solard, 2010 ; graphique 1).

Tableau 1

Niveaux de vie et indicateurs d’inégalité de 1998 à 2008

Tableau 1
1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 D5(niveau de vie médian en euros 2008) 16 440 16 680 16 980 17 400 17 860 17 810 17 730 18 020 18 280 18 670 18 990 D9/D1 3,4 3,4 3,5 3,4 3,4 3,4 3,3 3,3 3,4 3,4 3,4 Taux de pauvreté à 60 % de la médiane (en %) 13,8 13,5 13,6 13,4 12,9 13,0 12,6 13,1 13,1 13,4 13,0 Taux de pauvreté à 50 % de la médiane (en %) 7,5 7,2 7,2 6,9 6,5 7,0 6,6 7,2 7,0 7,2 7,1 Indice de Gini 0,276 0,284 0,286 0,286 0,281 0,280 0,281 0,286 0,291 0,289 0,289 Glossaire : Le niveau de vie est égal au revenu disponible du ménage divisé par le nombre d’unités de consommation. Le revenu disponible comprend les revenus déclarés à l’administration fiscale (revenus d’activités, retraites et pensions, indemnités de chômage et certains revenus du patrimoine), les revenus financiers non déclarés, qui sont ici imputés (produits d’assurance-vie, livrets exonérés, PEA, PEP, CEL, PEL), les prestations sociales perçues et la prime pour l’emploi. Tous ces revenus sont nets des impôts directs (impôt sur le revenu, taxe d’habitation, contribution sociale généralisée -CSG- et contribution à la réduction de la dette sociale -CRDS-). Lecture : en 2008, la moitié des personnes disposent d’un niveau de vie annuel inférieur à 18 990 euros. Le rapport entre le niveau de vie des 10 % les plus aisées et celui des 10 % les plus modestes (D9/D1) s’élève à 3,4. 7,1 % des personnes ont un niveau de vie inférieur à 50 % du niveau de vie médian et 13 % ont un niveau de vie inférieur à 60 % du niveau de vie médian. L’indice de Gini mesure l’inégalité au sein d’une population et varie entre 0 (égalité parfaite) et 1 (inégalité maximale). Champ : personnes vivant en France métropolitaine dans un ménage dont le revenu déclaré au fisc est positif ou nul et dont la personne de référence n’est pas étudiante. Sources : INSEE-DGI, enquêtes Revenus fiscaux et sociaux rétropolées 1996 à 2004, Insee-DGFiP-Cnaf-Cnav-CCMSA, enquêtes Revenus fiscaux et sociaux 2005 à 2008 (Lombardo Ph. et Pujol J., 2010)

Niveaux de vie et indicateurs d’inégalité de 1998 à 2008

Graphique 1

Quantiles de revenus déclarés par unité de consommation (base 100 en 2004)

Graphique 1

Quantiles de revenus déclarés par unité de consommation (base 100 en 2004)

Lecture : Si le seuil à partir duquel on trouve les 0,01 % les plus aisés vaut 100 en 2004, il passe à 133 en 2008 tandis que la médiane passe à 105.
Champ : France métropolitaine, personnes appartenant à des ménages fiscaux dont les revenus déclarés sont strictement positifs.
Sources : INSEE-DGFiP, Revenus fiscaux localisés (RFL) 2004 à 2008, calculs INSEE (2011), graphique des auteurs.

6 Il est bien certain qu’il faudrait entrer dans beaucoup plus de détails pour tirer des diagnostics plus précis. On verrait ainsi que s’agissant des salaires, ce sont principalement ceux du secteur de la finance qui ont connu l’évolution relative la plus favorable (Godechot, 2011). Si l’on souhaite prendre en compte dans ces évaluations les plus-values ou les stock-options, la difficulté n’est pas simple à surmonter puisqu’il faut pouvoir faire la part dans les plus-values latentes de ce qui sera réalisé. Pour ce qui est des revenus, ce sont en fait davantage ceux qui sont issus du patrimoine qui sont responsables du creusement des écarts en faveur des plus fortunés. La forte augmentation des prix de l’immobilier depuis 1998 a modifié le diagnostic sur les niveaux de vie au profit des propriétaires. Il semble toutefois que la prise en compte de ce phénomène n’a pas eu de très fortes répercussions sur les indices usuels d’inégalités (Baclet et Raynaud, 2008), mais des doutes subsistent en raison du manque de connaissance sur la distribution des patrimoines et la volatilité de leur valeur. Sans aller beaucoup plus avant dans cette analyse, on peut tout de même synthétiser les nombreuses données disponibles sous le sceau du constat d’une double évolution.

7 Si l’on considère des statistiques prenant en compte la plus grande part de la population (95 % ou même 99 %), la position favorable de la France s’est maintenue et les inégalités ou la pauvreté y sont restées stables depuis le milieu ou la fin des années 1990. Sur une période plus longue, c’est-à-dire sur une trentaine d’années, c’est plutôt d’une baisse des inégalités ou de la pauvreté qu’il faudrait parler. En revanche, si l’on considère les écarts entre les très hauts revenus et les autres, alors l’inégalité a augmenté notamment depuis le début des années 2000.

8 Pour la période des dix dernières années qui nous intéresse ici plus particulièrement (compte tenu des dates de l’enquête ISSP dont nous traitons : 1999-2009), on peut s’en tenir à cette conclusion d’un double mouvement : stabilité d’ensemble des inégalités et décrochage des très hauts revenus. La question est alors de savoir si ce double mouvement est perçu par les Français.

2 – Les Français ont une perception relativement correcte des niveaux de salaires

9 Cette perception peut bien sûr être étudiée de différentes manières. Comme nous l’avons dit, on peut interroger directement les Français sur leur sentiment à cet égard (nous y reviendrons un peu plus loin), mais on peut aussi les interroger indirectement sur les inégalités en leur demandant d’estimer les revenus d’activité de différentes professions. Ce détour permet d’appréhender assez finement ce qu’ils perçoivent des inégalités.

10 En dix ans, le questionnaire de l’ISSP a toutefois changé à la marge. En particulier, la batterie de questions sur les revenus des professions a été quelque peu modifiée et seules cinq d’entre elles sont communes aux deux vagues d’enquête, à savoir : le médecin généraliste, le PDG d’une grande société française, le vendeur dans une boutique, l’ouvrier non qualifié en usine et le ministre. Cette liste est toutefois suffisante pour se faire une idée de l’évolution subjective des inégalités de revenus (d’activités).

11 La première question qui se pose est alors de savoir dans quelle mesure les Français estiment correctement la réalité des différents niveaux de revenus. Nous avions déjà observé dans une précédente étude que, s’agissant de la première vague d’enquête, les Français se trompaient assez peu dans leurs évaluations (cf. Forsé et Parodi, 2007). Est-ce toujours le cas avec cette seconde vague ?

12 Selon l’enquête « Emploi » de 2007 (INSEE), dernière date disponible au moment où nous écrivons ces lignes, un ouvrier non qualifié de type industriel gagne mensuellement 1 217 euros et, si l’on fait la moyenne avec les ouvriers non qualifiés de type artisanal, on trouve 1 132 euros. Pour les enquêtés, ce salaire est de 1 115 euros. Il n’est donc que légèrement sous-estimé. C’est l’inverse pour les vendeurs qui gagnent (en faisant la moyenne entre les situations de vente spécialisée et non spécialisée) 1 119 euros et, selon les enquêtés, 1 235 euros. Même si les Français placent de cette manière les ouvriers au-dessous des vendeurs, l’ordre de grandeur de leur estimation est donc satisfaisant. Il est plus délicat de définir ce qu’est le salaire net ou le revenu d’activité moyen (faut-il ou non déduire les assurances ?) d’un médecin généraliste puisque c’est une profession où les situations diffèrent sensiblement, par exemple entre celle d’un salarié (comme un médecin de la Sécurité Sociale) et celle d’un médecin libéral. D’après plusieurs sources, pour 2005-2006, ils gagnent en moyenne 5 900 euros, ce qu’il faudrait bien sûr réévaluer un peu pour 2009. Et, selon les personnes interviewées, ce salaire est de 6 772 euros. Même un peu surestimé, l’ordre de grandeur est donc encore une fois correct. Il n’est pas non plus évident, en raison de son mode de calcul complexe, de se faire une idée exacte du salaire d’un ministre (comment évaluer certains avantages en nature, indemnités, etc. ?). En moyenne, on peut cependant l’évaluer en 2005 à 13 905 euros. Pour les enquêtés, ce salaire est de 17 270 euros et à nouveau ils ne sont pas très loin de la réalité.

13 Lorsqu’on en arrive au PDG, le salaire net devient encore plus difficile à cerner puisqu’il faut tout d’abord s’entendre sur ce que l’on appelle « un PDG d’une grande société ». Si l’on se restreint aux PDG d’une société cotée au CAC 40, leur salaire mensuel moyen est de 173 578 euros. Si l’on étend la définition aux PDG d’une société du SBF 120, ce salaire se réduit à 120 137 euros (selon PROXINVEST, 2007). Pour l’ensemble des PDG des entreprises de plus de 250 salariés, le salaire moyen est de 15 725 euros (INSEE, 2007). Conformément au libellé de la question posée dans l’enquête, il s’agit encore de PDG de « grandes sociétés ». En descendant dans la taille d’entreprise, on notera que le salaire d’un PDG d’une société ayant entre 10 et 250 employés est de 5 850 euros et qu’il n’est plus que de 3 000 euros pour les entreprises de moins de 10 salariés. Les enquêtés évaluent quant à eux le salaire d’un PDG à 70 826 euros. C’est nettement inférieur au salaire d’un PDG d’une société du CAC 40 ou du SBF 120, mais c’est davantage que la réalité du salaire moyen d’un PDG d’une entreprise de plus de 250 salariés. Encore une fois, on peut dire que l’estimation des enquêtés n’est pas si mauvaise. Certes, ils sous-estiment fortement les revenus des patrons les mieux payés, ceux dont on parle le plus dans les médias, mais leur ordre de grandeur n’est pas déraisonnable puisqu’ils les amènent à situer ces revenus quelque part entre ceux d’un PDG d’une des 120 plus grandes sociétés et ceux d’un patron d’une entreprise de plus de 250 employés.

14 En définitive, malgré l’inversion entre les situations des ouvriers et des vendeurs, qui restent de toute façon proches, les bas salaires sont correctement perçus. Ce n’est d’ailleurs pas si surprenant puisque ce sont là des situations salariales qui s’avèrent être statistiquement les plus nombreuses et qui ont donc toutes les chances de toucher le plus souvent directement, ou à travers un réseau de personnes proches, les enquêtés d’un échantillon représentatif. Il est donc tout à fait logique qu’ils connaissent les niveaux de ces salaires. Lorsqu’il s’agit du médecin, l’écart avec la réalité devient un peu plus important mais pas franchement. C’est surtout lorsqu’on en arrive aux salaires des PDG que l’on peut observer une différence assez notable avec les situations effectives. Toutefois, comme tout dépend ici de la manière dont on définit la catégorie en cause, on peut considérer que les Français livrent en moyenne une évaluation acceptable – on pourrait même dire « sage » – des hauts salaires en l’établissant à mi-chemin entre les montants vertigineux accordés aux PDG du CAC40 et les montants plus modérés des PDG d’entreprises de plus petite taille.

3 – Des différences de perceptions plus marquées du côté des très hauts salaires

15 Tous les Français ne perçoivent cependant pas les salaires des différentes professions de la même façon. Le tableau 2 donne une idée des distributions des différentes estimations de revenus. On voit par exemple qu’en 2009, la majorité des Français situe le salaire d’un ouvrier non qualifié en usine entre 1 000 euros et 1 200 euros, et celui d’un PDG d’une grande société entre 10 000 euros et 50 000 euros. Nous avons rapporté la différence entre le troisième et le premier quartile à la médiane du salaire perçu pour juger de l’importance des écarts d’estimation. Comme on peut le constater, ces écarts relatifs croissent au fur et à mesure que la médiane de ce salaire s’élève. Les Français sont donc d’autant plus d’accord sur l’évaluation d’un salaire que celui-ci est faible. Les professions à bas salaires sont indéniablement les mieux connues. À l’autre bout de la hiérarchie, le cas du PDG est plus délicat car il recouvre des profils très disparates. Il n’est facile pour personne, expert compris, d’estimer le salaire du PDG typique d’une grande société. Les écarts d’estimation sont donc voués à être importants.

Tableau 2

Perception des salaires des professions et écarts interquartiles

Tableau 2
Salaire d’un…  Ouvrier non qualifié en usine Vendeur dans une boutique Médecin généraliste Ministre PDG d’une grande société 1999 1er quartile (Q1) (en euros) 762 915 2 591 4 573 7 622 Médiane (Q2) (en euros) 884 991 3 811 6 098 15 244 3e quartile (Q3) (en euros) 915 1 067 4 573 9 146 22 866 (Q3-Q1)/Q2 0,17 0,15 0,52 0,75 1,00 2009 1er quartile (Q1) (en euros) 1 000 1 100 3 000 6 000 10 000 Médiane (Q2) (en euros) 1 100 1 200 5 000 10 000 20 000 3e quartile (Q3) (en euros) 1 200 1 500 7 000 15 000 50 000 (Q3-Q1)/Q2 0,18 0,33 0,80 0,90 2,00 Note : En 1999, les estimations se faisaient en francs. Source : ISSP, 1999-2009.

Perception des salaires des professions et écarts interquartiles

16 En dix ans, pour chacune des professions abordées, les écarts de perception se sont quelque peu accrus. Il est devenu plus difficile de cerner les salaires des professions. C’est particulièrement marquant dans le cas du PDG. Vraisemblablement, l’envol réel du salaire des PDG du CAC40 conduit aujourd’hui les Français à faire le grand écart dans leur estimation.

17 Considérons maintenant ces estimations selon les catégories socio-démographiques. D’une manière générale, à l’instar de ce que nous avons observé concernant les différences individuelles, les professions à bas salaires sont assez bien connues de toutes les catégories (sexe, âge, diplôme, revenu professionnel, revenu du ménage, …) et l’on n’observe que de faibles écarts d’estimation entre ces catégories (aussi bien en écarts absolus qu’en écarts relatifs). Souvent même leurs estimations sont identiques puisque les enquêtés donnent le plus souvent des estimations arrondies, ce qui conduit à agréger leurs réponses autour de quelques valeurs. En revanche, à l’autre extrême, le salaire d’un PDG d’une grande société française donne lieu à des différences d’estimation importantes (absolues mais aussi relatives) d’un individu à l’autre, mais aussi d’une catégorie à l’autre.

18 Commençons par les différences de perception entre les hommes et les femmes. Les premiers font généralement des estimations moyennes [2] de salaires plus élevées que ne les font les secondes. Toutefois, la réponse médiane est identique pour toutes les professions, sauf dans le cas des PDG où, en 1999, les hommes font des estimations médianes de 33 % supérieures et, en 2009, de 100 % supérieures à celles des femmes.

19 Du côté des différences de perception selon l’âge, nous observons également aux deux dates une grande convergence de vues sur les professions à bas salaires, et de plus grands écarts pour les très hauts salaires.

20 Les effets du diplôme, du revenu personnel ou de celui du ménage ou encore de la catégorie socioprofessionnelle procèdent du même schéma. Dans l’ensemble, les perceptions sont assez proches lorsqu’il s’agit du revenu de l’ouvrier non qualifié, du vendeur en magasin, du médecin généraliste ou même du ministre. En retour, les écarts deviennent conséquents dans le cas du PDG d’une grande société, particulièrement en 2009.

21 Le tableau 3 présente les médianes des salaires estimés des différentes professions selon la catégorie socioprofessionnelle de l’enquêté. Sur ce type de données, la médiane fait moins ressortir d’écart entre les catégories que la moyenne tronquée. Malgré tout, des différences d’estimation apparaissent clairement. On repère ainsi quelques fortes variations dans le cas du médecin et du ministre en 1999 (en particulier du côté des agriculteurs, sachant néanmoins qu’il y en a somme toute assez peu dans l’enquête). Mais les plus grandes divergences portent sur l’estimation du revenu du PDG. Déjà en 1999, les agriculteurs et les employés faisaient des estimations bien plus basses que ne le faisaient les cadres supérieurs et les artisans, commerçants et chefs d’entreprise. En 2009, le plus frappant est certainement l’envol de l’estimation que font les cadres comparés aux autres catégories. On le voit ici sur la médiane, mais c’est la même chose sur la moyenne (même tronquée) : les cadres supérieurs estiment en moyenne qu’un PDG gagne environ 100 000 euros tandis que les agriculteurs, les employés et les ouvriers font des estimations proches de 50 000 euros.

Tableau 3

Perception des salaires des professions : médiane selon la PCS de l’enquêté

Tableau 3
En euros PCS des enquêtés  Salaire d’un…  Agriculteurs Artisans, comm., chef ent. Cadres et prof. intell. Professions inter- médiaires Employés Ouvriers Ouvrier 1999 915 915 915 884 838 838 2009 1 200 1 200 1 100 1 100 1 100 1 100 Vendeur 1999 991 991 1 067 991 915 991 2009 1 200 1 300 1 300 1 200 1 200 1 200 Médecin 1999 2 668 3 049 3 811 3 811 3 049 3 049 2009 5 000 5 000 5 000 5 000 4 000 4 500 Ministre 1999 4 573 6 098 6 098 6 098 6 098 6 098 2009 10 000 10 000 10 000 10 000 10 000 10 000 PDG 1999 6 098 15 244 15 244 13 720 9 146 12 195 2009 20 000 30 000 50 000 20 000 15 000 15 000 Source : ISSP, 1999-2009.

Perception des salaires des professions : médiane selon la PCS de l’enquêté

22 Même si le salaire d’un PDG a fortement augmenté ces dernières années, l’estimation qu’en font les cadres supérieurs peut surprendre. Avec les chiffres dont nous disposons, il est possible de calculer le taux de croissance du salaire des PDG d’une entreprise de plus de 2000 salariés entre 1995 et 2005 (Evain, 2007). En moyenne, sur ces dix années, ces PDG ont vu leur salaire augmenter de 70 % (en euro courant). Si l’on applique maintenant ce taux aux estimations de salaire de 1999, les cadres surestiment l’envol du salaire des PDG en croyant que ce salaire a augmenté de 228 %. De leur côté, les ouvriers sous-estiment cet envol en considérant une augmentation de seulement 23 %. Les professions intermédiaires et les employés ont en revanche les bons ordres de grandeur. Il faut croire que, lorsque l’on évoque un « PDG d’une grande société française », les cadres supérieurs pensent plutôt à un des PDG du SBF120 tandis que les ouvriers pensent à un PDG d’une entreprise de 250 salariés ou plus. Les évolutions de ces dix dernières années donnent alors raison à tous les groupes sociaux. Les cadres supérieurs songent aux évolutions d’une petite élite de PDG, et c’est précisément au sein de cette élite que les salaires se sont envolés. D’ailleurs, ce sont toujours les salaires de PDG du CAC40 qui font la une des magazines dont les cadres sont les premiers lecteurs. C’est une autre raison de la sensibilité particulière des cadres à cet envol des rémunérations des PDG. Inversement, les ouvriers ne réservent pas la définition de « PDG d’une grande société » à une petite élite ; ils en ont une vision finalement assez large où tous n’ont pas connu la même hausse de leur revenu.

4 – L’évolution des attentes en matière d’inégalités salariales

23 Les Français n’ont pas seulement été interrogés sur ce que ces différentes professions gagnent effectivement, mais aussi sur ce qu’ils souhaiteraient qu’elles gagnent. Dans l’ensemble, la structure des réponses pour les revenus souhaités (présentée au tableau 4) ressemble assez à celle pour les revenus estimés du tableau 2, à ceci près qu’elle est plus resserrée. De fait, le principe d’une hiérarchie salariale est peu contesté, ainsi que nous avions déjà pu le constater pour l’enquête de 1999 (Forsé et Parodi, 2007) et il se trouve confirmé en 2009. Les Français continuent de défendre la même hiérarchie des salaires entre les professions, tout en continuant de souhaiter que ces salaires soient bien plus resserrés qu’ils ne le sont effectivement. Ils disent vouloir augmenter les bas salaires et baisser les très hauts salaires, en prenant le revenu du médecin comme pivot autour duquel s’effectue le resserrement.

24 Comme on peut le constater au tableau 4, le degré de consensus est plus fort pour les professions à bas salaires que pour les hauts salaires. Par exemple en 2009, la majorité des Français souhaiterait que le salaire d’un ouvrier se situe entre 1 400 et 1 800 euros. Le salaire d’un PDG d’une grande société devrait, lui, se situer entre 5 000 et 20 000 euros. Il semble par ailleurs que ce consensus autour du salaire souhaité pour chacune des professions se soit un peu dégradé en dix ans.

Tableau 4

Revenus souhaités des professions et écarts interquartiles

Tableau 4
Ouvrier non qualifié en usine Vendeur dans une boutique Médecin généraliste Ministre PDG d’une grande société 1999 1er quartile (Q1) (en euros) 1 067 1 143 2 591 3 049 4 573 Médiane (Q2) (en euros) 1 220 1 220 3 811 4 573 7 622 3e quartile (Q3) (en euros) 1 296 1 524 4 573 6 098 12 957 (Q3-Q1)/Q2 0,19 0,31 0,52 0,67 1,10 2009 1er quartile (Q1) (en euros) 1 400 1 500 3 000 4 000 5 000 Médiane (Q2) (en euros) 1 500 1 500 5 000 5 000 10 000 3e quartile (Q3) (en euros) 1 800 2 000 6 000 10 000 20 000 (Q3-Q1)/Q2 0,27 0,33 0,60 1,20 1,50 Source : ISSP, 1999-2009.

Revenus souhaités des professions et écarts interquartiles

25 Si l’on décline maintenant ces souhaits selon les catégories socio-démographiques, on retrouve à nouveau des logiques similaires à celles que nous avions pu observer précédemment concernant les estimations des salaires. Les hommes et les femmes souhaitent à peu près la même chose pour les bas salaires. Un peu plus haut dans la hiérarchie, les hommes souhaitent des revenus plus élevés que les femmes, sauf en 2009 pour le médecin. Dans le cas du PDG, en moyenne (tronquée), les hommes souhaitent un salaire de 24 885 euros tandis que les femmes proposent 16 251 euros. L’écart est moins visible sur la médiane, qui s’établit à 10 000 euros pour les premiers et 8 000 euros pour les secondes. Mais c’est la même logique.

26 Dans l’ensemble, les plus âgés proposent des salaires plus élevés que les plus jeunes. Et ces différences d’opinion entre les âges sont d’autant plus importantes qu’il s’agit de professions à haut salaire. Ainsi, en 2009, on n’observe pas de différences d’opinion entre les jeunes et les vieux concernant les ouvriers non qualifiés ; ils accordent le même salaire médian. Par contre, le revenu souhaité médian pour un PDG tourne en 2009 autour de 6 000 euros pour les moins de 30 ans tandis qu’il s’élève à 12 000 euros pour les plus de 65 ans. Et, si l’on regarde la moyenne (tronquée au 1 % supérieur), ce revenu souhaité passe de 10 295 à 32 897 euros.

Tableau 5

Salaires souhaités des professions : médiane selon la PCS de l’enquêté

Tableau 5
En euros PCS des enquêtés Salaire d’un… Agriculteurs Artisans, comm., chef d’ent. Cadres et prof. intell. Professions inter- médiaires Employés Ouvriers Ouvrier 1999 1 220 1 067 1 220 1 220 1 143 1 220 2009 1 500 1 500 1 500 1 500 1 500 1 500 Vendeur 1999 1 220 1 220 1 372 1 220 1 220 1 220 2009 1 500 1 800 1 600 1 500 1 500 1 500 Médecin 1999 2 591 3 811 3 811 3 354 3 049 3 049 2009 4 000 5 000 5 000 5 000 4 000 4 000 Ministre 1999 3 049 4 573 4 573 4 573 3 049 4 573 2009 5 000 6 000 7 000 5 000 5 000 5 000 PDG 1999 4 116 7 622 7 622 7 622 6 098 7 622 2009 8 000 12 000 15 000 10 000 8 000 6 000 Source : ISSP, 1999-2009.

Salaires souhaités des professions : médiane selon la PCS de l’enquêté

27 Le tableau 5 présente la médiane des souhaits concernant les salaires des professions selon les catégories socioprofessionnelles. Dans l’ensemble, on retrouve la même hiérarchie salariale au sein des différentes catégories ; plus encore, les médianes sont souvent proches. Il y a donc un assez fort consensus. On retrouve également certains résultats attendus. Par exemple, les cadres supérieurs et les artisans, commerçants et chefs d’entreprises accordent les plus hauts salaires. Encore que, dans le cas des bas salaires, les cadres souhaitent la même chose que ce que souhaitent les ouvriers. Les grands écarts se trouvent ainsi de nouveau du côté des hauts salaires, le cas le plus frappant étant encore une fois celui des PDG : les cadres supérieurs leur accordent 15 000 euros (médiane) là où les ouvriers ne leur concèdent que 6 000 euros (médiane). Et les différences sont encore plus importantes si l’on regarde les moyennes. Ces divergences reflètent en partie les différences de perception que nous avions déjà repérées précédemment.

5 – Les Français veulent réduire les inégalités et, plus particulièrement, les récents excès

28 Les salaires perçus et ceux souhaités pour les différentes professions suivent donc plutôt des logiques similaires, à une échelle près. Il est intéressant à cet égard d’étudier de plus près cette échelle de réduction des inégalités. Comme nous l’avions constaté pour 1999 dans l’étude déjà citée (Forsé et Parodi, 2007), le sentiment d’injustice à propos des inégalités dépend moins de la perception de l’inégalité salariale que de l’ampleur de cet écart par rapport à celui souhaité. Pour approcher au plus près les sentiments des enquêtés sur les inégalités, il faut dès lors évaluer leur perception de la réalité salariale à l’aune de ce qu’ils souhaitent.

29 Dans l’ensemble, les Français estiment que les ouvriers non qualifiés et les vendeurs dans une boutique gagnent moins que ce qu’ils devraient. En 1999, les premiers gagnaient en moyenne (en tronquant les valeurs extrêmes) 74 % de ce qu’ils étaient supposés mériter, et en 2009, 72 %, soit quasiment le même niveau. De même pour les vendeurs, ils ne gagnaient que 78 % de ce qu’ils méritaient en1999 et dix ans après, 76 %.

30 Les médecins généralistes tiennent aux deux dates une position de pivot. C’est dire que dans l’ensemble, les Français considèrent que les médecins ne gagnent ni plus ni moins que ce qu’ils méritent. Le resserrement souhaité des salaires s’effectuerait alors autour du médecin généraliste. Il s’agit indubitablement d’un pivot assez élevé. Il est d’ailleurs probable que si l’exercice d’attribuer des salaires à chaque profession avait pu être effectué sur l’ensemble des professions, nous constaterions que la somme des hausses salariales n’est pas compensée par la somme des baisses salariales (en pondérant par le poids de chaque profession). Les enquêtés n’ont pas été contraints de raisonner à l’intérieur d’un jeu à somme nulle. Malgré tout, ils n’en ont pas profité pour augmenter les salaires de tous. Leurs propositions apparaissent, de ce point de vue, plutôt raisonnables puisque les augmentations sont mesurées et des baisses sont envisagées. De toute façon, même si cette redistribution était économiquement « impossible », elle n’en continuerait pas moins de refléter en première approche les souhaits actuels des Français.

Tableau 6

Ratio des salaires perçus sur souhaités pour les professions et sensibilité aux inégalités

Tableau 6
Moyennes exprimées en dB et en %   1999 2009 Évolution dB % dB % dB % Ouvrier non qualifié -1,3 74 -1,4 72 -0,1 -2 Vendeur dans une boutique -1,1 78 -1,2 76 -0,1 -2 Médecin généraliste 0,1 102 0,1 102 0 0 Ministre 2,2 166 2,5 178 0,3 7 PDG d’une grande société française 3,0 200 3,9 245 0,9 23 Sensibilité aux inégalités 7,6 575 9,1 813 1,5 41 Note : Pour éviter que les valeurs extrêmes faussent les moyennes, les ratios ont été tronqués au 5 % inférieur et 5 % supérieur. Remarque : La sensibilité aux inégalités correspond aussi à l’addition en valeur absolue des contributions en décibels de l’ouvrier non qualifié, du vendeur dans une boutique, du ministre et du PDG d’une grande société française. Lecture : Le décibel correspond simplement à une échelle logarithmique, adéquate pour comparer des ratios. Selon les Français, en moyenne en 2009, le salaire d’un ouvrier non qualifié est en fait 1,4 dB en dessous du salaire qu’il devrait avoir ; il gagne seulement 72 % de ce qu’il devrait gagner. En revanche le PDG est 3,9 dB au dessus de ce qu’il devrait gagner pour sa part ; il gagne 245 % de ce qu’il devrait recevoir. Toujours selon les Français, l’évolution sur ces dix dernières années a été à l’avantage du PDG puisqu’il a accru son avantage de 0,9 dB, soit 23 %. Source : ISSP, 1999-2009.

Ratio des salaires perçus sur souhaités pour les professions et sensibilité aux inégalités

31 Avec le ministre et le PDG, nous nous trouvons face à des professions qui sont manifestement trop bien payées aux yeux de la majorité des Français. Un ministre gagnait ainsi 66 % de trop en 1999, et 78 % en 2009. En moyenne un PDG percevait le double de ce qu’il méritait en 1999, et plus du double (2,45) en 2009. Sur les dix dernières années, le revenu des PDG est ainsi devenu encore plus excessif que ce qu’il était déjà.

32 La sensibilité aux inégalités mesure la distance entre les ratios perçus/souhaités des bas et des hauts salaires. En pratique, on peut exprimer les ratios en décibel (c’est-à-dire selon l’échelle logarithmique usuelle consistant à prendre 10 LOG 10 du ratio) pour faciliter la comparaison des ratios. En effet, comparer revient alors simplement à soustraire et à additionner des valeurs, ce qui est bien plus intuitif pour comparer des ratios entre eux ou encore des variations de ratios. En outre, il est alors possible d’isoler les différentes contributions à la sensibilité comme dans le tableau 6. Pour obtenir la sensibilité, en décibel, il suffit d’additionner les ratios pour les ministres et les PDG et de soustraire les ratios des ouvriers et des vendeurs. Cette sensibilité est également une mesure de la distance entre la hiérarchie salariale perçue et celle souhaitée.

33 Comme on peut le constater, cette sensibilité a augmenté en dix ans, mais essentiellement en raison de l’évolution du cas du PDG. Le cas du ministre y contribue également, mais à la marge. Pour les trois autres professions, il n’y a guère d’évolution. Tout au plus, les Français semblent penser que les ouvriers et les vendeurs sont encore moins bien payés relativement à ce que devrait être leur rémunération en 2009 qu’en 1999 – l’évolution est cependant trop faible pour pouvoir l’affirmer fermement. Dès lors, le sentiment que les inégalités ont un peu augmenté s’appuie essentiellement sur la perception d’une « échappée » des PDG.

34 Au final, la perception par les Français des évolutions récentes des inégalités salariales (ou, plus largement, des inégalités entre les revenus d’activités) est plutôt correcte ; ils repèrent assez clairement le double mouvement qui nous a semblé caractériser les évolutions objectives des inégalités au cours des dix dernières années. Dans l’ensemble, ils estiment que les inégalités ont plutôt augmenté parce qu’il y a cette échappée au sommet. Pour le reste, c’est-à-dire au sein de la très grande majorité de la population, ils perçoivent plutôt une stabilité des inégalités.

35 D’ailleurs en se centrant plutôt sur les médianes que sur les moyennes, cette stabilité apparaît très clairement pour ce qui est du souhait de réduction des inégalités. Bien sûr, en portant son regard sur les médianes, on ne voit pas les petits mouvements qui se produisent sur les bords des distributions. La stabilité est donc a priori plus probable qu’avec un indicateur comme la moyenne sur lequel nous reviendrons d’ailleurs plus loin. Pour synthétiser le souhait de réduction des inégalités, on peut s’en tenir aux ratios des revenus perçus et souhaités pour l’ouvrier et le PDG. Ce sont là deux professions emblématiques et qui représentent de fait les deux extrêmes des évaluations des enquêtés. En 1999, le rapport de leurs salaires médians perçus valait 17,2 et celui de leurs salaires médians souhaités 6,2. Il fallait donc diviser par 2,8 le ratio entre le salaire médian du PDG et de l’ouvrier pour parvenir à une situation jugée juste. En 2009, le rapport entre le salaire médian perçu du PDG et de l’ouvrier vaut 18,2 et il se réduit à 6,7 en ce qui concerne la valeur souhaitée. En d’autres termes, il faut à présent diviser le ratio entre le salaire médian du PDG et de l’ouvrier par 2,7 pour aboutir à la hiérarchie voulue. C’est d’ailleurs là un ordre de grandeur que l’on retrouve dans une autre enquête effectuée en France en 2009 (Forsé, 2011). Or il est bien clair que la différence avec le résultat observé en 1999 est insignifiante. Sous cet angle, on ne peut donc que souligner l’invariance de l’ampleur de la réduction souhaitée des inégalités. Il faut d’ailleurs remarquer que si, comme on l’a vu, les rangs des salaires souhaités sont aux deux dates identiques à ceux des salaires perçus (eux-mêmes reflétant la réalité), la réduction de l’écart entre les valeurs extrêmes pour parvenir à une situation juste, ou plus juste, est très élevée et impliquerait pour sa mise en œuvre des politiques salariales très différentes de ce qu’elles sont aujourd’hui et/ou une redistribution très importante. Sans se prononcer sur la faisabilité de telles mesures, il reste que les attentes des Français en matière de réduction des inégalités sont très fortes, mais ont peu varié au cours des dix dernières années.

6 – Un consensus sur la réduction des inégalités

36 Regardons maintenant comment ces sentiments varient en fonction de la position sociale. Le plus souvent ces variations sont faibles, voire négligeables. De fait, il y a un accord assez large autour de l’idée d’augmenter les salaires des ouvriers et vendeurs, de laisser le salaire du médecin comme il est, et de baisser les salaires des ministres et des PDG. Il reste qu’en moyenne les femmes s’avèrent plus sensibles à une augmentation des bas salaires et à une diminution du traitement d’un ministre. Les hommes sont plus sensibles à une diminution des revenus du médecin et, surtout, du PDG. Une fois encore, c’est sur ce dernier cas et singulièrement en 2009 que les contrastes sont les plus importants.

37 L’âge joue également un rôle. En particulier dans le cas du ministre, plus l’on est âgé, moins l’on souhaite réduire fortement son traitement. En 2009, les 18-30 ans estiment ainsi que leur rémunération est plus du double de ce qu’il faudrait, et les plus de 65 ans, qu’elle est simplement 50 % au-dessus. Dans le cas du PDG, les variations selon l’âge sont moins claires. En 1999, les 41-50 ans étaient les plus excédés par le revenu des PDG. En 2009, ce sont plutôt les 51-65 ans. À chaque fois, le sentiment d’excès retombe, en moyenne, au passage de la retraite.

38 Enfin, les différences de sensibilité entre catégories socioprofessionnelles sont en général assez faibles. À peu de chose près, ils jugent les revenus de professions de la même manière. C’est finalement le cas du ministre qui divise le plus l’opinion. D’un côté, les cadres supérieurs considèrent que leur traitement est trop élevé de 50 %, de l’autre les employés jugent plutôt qu’il gagne le double de ce qu’il faudrait. Dans le cas du PDG, les différences de sensibilité sont moins importantes ; tous s’accordent assez largement autour de l’idée qu’un PDG gagne environ 150 % de trop. Cette fois, ce sont les cadres supérieurs qui sont un peu plus sévères. Il faut peut-être rapprocher ce résultat du fait qu’il y a autant sinon plus d’inégalités (selon la manière dont on en effectue la mesure) à l’intérieur du dernier décile qu’au sein de l’ensemble des salariés. Par exemple, en 2007, l’écart de salaires entre le 90e et le 99e centile était de 144 % contre seulement 34 % entre le 80e centile et le 90e. Le salaire annuel moyen brut du dernier centile était de 215 664 euros ; il était de 70 659 euros pour le dernier décile et de 31 984 euros sur l’ensemble des salariés à temps complet du secteur privé (Amar, 2010). Cela signifie que les inégalités peuvent être vivement ressenties, même au sein des catégories favorisées, et susciter en réaction des souhaits de fortes corrections de la frange des ultra-riches.

39 Bien que les perceptions et les souhaits apparaissent assez fortement dépendants de la position sociale du répondant, l’écart relatif entre les deux semble finalement assez peu lié à la position sociale. De fait, le ratio perçu/souhaité du salaire de chacune des professions n’est jamais très différent d’une catégorie sociodémographique à l’autre. Et il en va de même de la sensibilité aux inégalités, qui dépend certes de la position sociale du répondant, mais seulement modérément. L’écart de sensibilité en 2009 entre les cadres supérieurs et les ouvriers est par exemple entre les deux sensibilités de 17 % en moyenne.

40 Manifestement, alors qu’ils perçoivent et qu’ils souhaitent des « grilles salariales » à l’échelle de la France assez différentes (en particulier du côté des très hauts salaires), le sentiment d’un écart entre ces deux grilles est assez bien partagé et est à peu près de la même ampleur dans tous les groupes sociaux. Autrement dit, si les individus n’entendent pas la même chose par inégalité et en livrent chacun une version plutôt égocentrée, ils imaginent tous qu’un ajustement d’à peu près la même ampleur suffirait pour réaliser l’idée qu’ils se font d’une juste distribution des salaires.

41 Pour autant, nous n’avons nullement affaire à une « constante universelle ». En dix ans, cette sensibilité a au contraire augmenté quelque peu : les Français ont dans l’ensemble le sentiment que la société salariale s’est un peu éloignée de la « cible » souhaitable alors même que cette cible autorise en 2009 un degré d’inégalités légèrement plus élevé qu’en 1999. Pourquoi d’ailleurs cette cible a-t-elle bougé en dix ans ? Parce que, comme nous l’écrivions dans l’étude déjà citée, les individus s’efforcent d’appliquer un principe d’égalisation à partir du niveau d’inégalité qu’ils perçoivent dans la société. Cette cible souhaitée n’est donc probablement pas le terme ultime de leur désir d’égalité et il faut plutôt penser avec Tocqueville que « le désir de l’égalité devient toujours plus insatiable à mesure que l’égalité est grande » (1835-1840, II, II, XIII, p. 522). Aussi, l’envol des très hautes rémunérations que de nombreux Français constatent suscite à la fois le souhait d’une égalisation de plus grande ampleur et, en même temps, parce que ce désir s’applique à la situation perçue, il semble avaliser une partie de cet envol. Le plus probable est néanmoins que plus la société réelle (ou celle que chacun perçoit) s’approche de la cible souhaitée, plus cette cible se déplace dans le même temps vers un désir renouvelé d’égalité.

42 L’essentiel est toutefois de constater que l’ampleur souhaitée de l’égalisation est bien plus consensuelle que le choix de la cible. En effet, l’accroissement de la sensibilité concerne toutes les catégories sociales, et ce, à peu près au même degré. Or c’était déjà une dimension plutôt consensuelle de l’opinion en 1999. Dix ans après, toutes les catégories sociales semblent s’accorder sur un renforcement souhaitable de l’égalisation.

7 – Des questions formulées très différemment aboutissent au même diagnostic

43 Une autre question de l’enquête ISSP, bien que très différente de celles qui viennent d’être examinées, permet de se demander si le diagnostic de stabilité des inégalités perçues accompagné d’un jugement un peu plus sévère dû à la progression des très hauts revenus se retrouve. Avec cette question, il s’agit de savoir comment les enquêtés se représentent la forme (stylisée) de la pyramide sociale pouvant au mieux caractériser leur société. En 1999 comme en 2009, cinq dessins (graphique 2) leur étaient proposés, avec chaque fois un petit commentaire. La pyramide A forme une société composée « d’une petite élite au sommet, [de] très peu de gens au milieu et [de] la grande masse en bas ». La pyramide B, « une société en forme de pyramide avec une petite élite en haut, beaucoup de gens au milieu et encore plus en bas ». La pyramide C, « une sorte de pyramide, mais avec très peu de gens en bas ». La pyramide D, « une société avec la plupart des gens au milieu ». Et, enfin, la pyramide E figure une société avec « beaucoup de gens proches du sommet et très peu à la base ».

Graphique 2

Les cinq types de pyramides sociales dans l’enquête de l’ISSP

Graphique 2

Les cinq types de pyramides sociales dans l’enquête de l’ISSP

Source : ISSP 1999, 2009.

44 En commentant les réponses apportées par les Français en 1999, nous avions eu l’occasion de constater (Forsé et Parodi, 2007) que, relativement aux autres pays présents dans cette étude (Suède, Grande-Bretagne, Espagne, Pologne, États-Unis et Japon), celles-ci se caractérisaient par le choix majoritaire (49,5 %) de la pyramide parfaite de type B, c’est-à-dire d’une société très inégalitaire où les pauvres sont les plus nombreux, comme si les interventions de l’État-providence (revenu minimum, etc.) ne parvenaient pas à en réduire la proportion. Nous étions ainsi confrontés au sentiment d’une société nettement hiérarchisée et inégalitaire économiquement. Le type A correspondant à une société sans classe moyenne, avec un très grand nombre de pauvres et une petite élite riche au sommet, ne recueillait quant à lui que 14,2 % des suffrages. On constatait enfin que la société D, correspondant à une classe moyenne largement dominante, était beaucoup moins choisie que dans les autres pays (sauf en Pologne). Au total, en mettant la Pologne dans une position un peu à part, le jugement des Français apparaissait donc comme traduisant un fort sentiment d’inégalité relativement aux autres pays.

45 Or ce jugement se maintient en 2009. En comparant les deux colonnes du tableau 7, on est en premier lieu frappé par la stabilité des réponses. L’opinion majoritaire (50,7 %) reste celle d’une France correspondant à une pyramide parfaite. Les autres options possibles ne voient pas non plus leur score sensiblement changer.

Tableau 7

Quelle pyramide sociale caractérise le mieux la France ?

Tableau 7
En % 1999 2009 Type A 14,2 18,1 Type B 49,5 50,7 Type C 21,3 17,1 Type D 13,6 12,5 Type E 1,3 1,6 Source : ISSP, 1999-2009. Les non réponses se situent aux alentours de 2 % en 1999 et 3 % en 2009.

Quelle pyramide sociale caractérise le mieux la France ?

46 Sur ce fond de quasi-stationnarité se dessine néanmoins un léger mouvement de radicalisation des opinions, notamment en raison du fait que la société de type A (sans classe moyenne) recueille 4 % de suffrages supplémentaires en 2009, ce qui en fait le deuxième choix des Français alors qu’il n’était que le troisième en 1999 (date à laquelle il était nettement devancé par le type C). Or le type A est encore plus inégalitaire que le type B.

47 Nous sommes donc conduits à un double diagnostic qui en fait corrobore ceux établis très différemment précédemment. Si une large majorité ne change pas d’opinion du fait de la crise et continue, comme il y a dix ans, à juger sévèrement les inégalités en France, une petite partie se radicalise et perçoit une inégalité encore plus importante.

48 Il en va de même en ce qui concerne les souhaits qui peuvent être observés, puisqu’à partir des mêmes dessins on demandait aussi aux enquêtés de dire quelle pyramide ils préféreraient pour la France. Entre 1999 et 2009, la structure du résultat ne varie guère. Le type D, celui d’une classe moyenne démographiquement dominante, reste le choix prioritaire des Français (tableau 8) mais ils sont dans le même temps plus nombreux (+ 7 %) à se porter vers cette préférence aujourd’hui, au détriment des types plus inégalitaires. Nous sommes donc à la fois face à un souci de justice qui se maintient, et qui conduit à choisir une pyramide sociale égalitaire, et à une accentuation de ce choix, traduisant une exigence un peu plus grande de davantage d’égalité relativement à la situation perçue.

Tableau 8

Pyramide sociale souhaitée pour la France

Tableau 8
En % 1999 2009 Type A 0,5 0,8 Type B 7,6 5,0 Type C 22,4 19,7 Type D 44,2 51,7 Type E 25,3 22,8 Source : ISSP, 1999-2009. Les non réponses se situent aux alentours de 5 % à chaque date.

Pyramide sociale souhaitée pour la France

49 D’une certaine manière, on peut se demander si ce n’est pas, au moins partiellement, ce qui explique l’auto-positionnement des Français sur l’échelle de statuts qui leur était proposée. On leur demandait en effet aux deux dates de se positionner sur une échelle de statuts socio-économiques à 10 « barreaux » qui leur était présentée verticalement dans le questionnaire (de 10 pour le sommet à 1 pour le bas). Or, les enquêtés manifestent (comme dans la plupart des pays) une nette tendance à se situer sur les degrés intermédiaires. Ceux qui se situent, par exemple de par leurs revenus, plutôt en bas ont tendance à se positionner eux-mêmes un peu plus haut et ceux qui se situent objectivement plutôt en haut ont à l’inverse tendance à se placer un peu plus bas qu’ils ne le sont, si bien qu’en cumulant tous ces choix, la pyramide qui se dessine ressemble à celle de type D, celle souhaitée, et non à celle de type B, considérée comme effective. En se portant davantage vers la moyenne, les Français décrivent donc peut-être moins leur situation objective (ce qui leur était pourtant demandé) que leur souhait, qui s’avérerait alors sous cet angle (aussi) être guidé par une préférence pour davantage d’égalité que ce qu’ils perçoivent comme étant réalisé. Néanmoins, même si cette tendance ne varie pas au cours des dix dernières années et conduit à des pyramides qui ont à peu près la même forme au début et à la fin de la période, on constate en 2009 (graphique 3) une tendance à se situer soi-même plus bas qu’en 1999. Le score moyen d’auto-positionnement passe de 5,1 à 4,8. Pour une partie de l’opinion, cela pourrait traduire un sentiment de dégradation de la situation au cours des dix dernières années et expliquerait par exemple le fort pessimisme (notamment économique) qui se dégage d’autres enquêtes internationales et qui distingue très nettement la France des autres pays dans le monde [3].

Graphique 3

Auto-positionnement sur une échelle de statuts socio-économiques à dix degrés (de 10 pour le haut à 1 pour le bas)

Graphique 3

Auto-positionnement sur une échelle de statuts socio-économiques à dix degrés (de 10 pour le haut à 1 pour le bas)

Source : ISSP 1999, 2009.

50 Stabilité d’ensemble et radicalisation partielle se retrouvent également lorsqu’on examine des questions aux formulations plus classiques. L’une d’elles a été posée dans les mêmes termes en 1999 et 2009 et autorise la comparaison. On demandait aux enquêtés s’ils étaient d’accord avec l’opinion que les inégalités de revenu sont trop grandes en France. Or en 2009, comme dix ans plus tôt, la même forte majorité se dit tout à fait ou plutôt d’accord avec cette opinion : 87 % en 1999 et 91 % aujourd’hui. À nouveau donc le jugement global des Français reste aussi négatif sur les inégalités de revenus qu’il y a dix ans. Néanmoins, comme le montre le tableau 9, en regardant le détail des réponses favorables à ce jugement, on constate un déplacement vers davantage de radicalité. Ceux qui sont seulement « plutôt d’accord » voient leur proportion diminuer de 5 % entre 1999 et 2009, tandis que ceux qui se disent « tout à fait d’accord » progressent de 9 %. Sur un fond de forte invariance, conduisant à juger de manière extrêmement nette que la société française est trop inégalitaire, il y a donc bien ici encore un mouvement minoritaire mais réel traduisant une perception plus accentuée de l’inégalité économique.

Tableau 9

« Les inégalités de revenus sont trop grandes en France »

Tableau 9
En % 1999 2009 Tout à fait d’accord 60,3 69,1 Plutôt d’accord 27,1 21,9 Ni d’accord, ni pas d’accord 7,4 5,9 Plutôt pas d’accord 4,5 2,2 Très fort désaccord 0,7 0,9 Source : ISSP, 1999-2009.

« Les inégalités de revenus sont trop grandes en France »

51 En 1999 comme en 2009, les femmes sont plus sensibles aux inégalités que les hommes mais ce sont ces derniers qui se radicalisent. L’âge joue un rôle peu important, bien que ce soient plutôt les enquêtés d’âges intermédiaires (disons entre 40 et 60 ans) qui apparaissent plus préoccupés que les jeunes ou les plus âgés par les différences de revenus. La position dans l’échelle des revenus a en revanche, aujourd’hui comme il y a dix ans, un effet très important. Les personnes à faibles revenus jugent davantage qu’il y a trop d’inégalités et, plus ces revenus augmentent, moins ce jugement a tendance à être aussi sévère. Ce ne sont pas les mieux lotis qui radicalisent leurs opinions mais ceux qui ont des revenus compris entre approximativement 1 000 et 2 000 euros en 2009. Les personnes qui se disent de gauche ou qui soutiennent des interventions de l’État dans l’économie jugent, en 2009 comme en 1999, plus sévèrement les inégalités que les personnes qui se placent à droite ou au centre ou qui sont plus libérales économiquement. Ce ne sont cependant pas ces dernières qui durcissent leur jugement en 2009, mais celles qui se positionnent à gauche.

52 Ces différences d’appréciation existent, mais sur un fond de consensus tout de même très fort quant à l’ampleur des inégalités en France, consensus dont l’importance (90 %) ne se dément pas en 2009 avec toutefois, comme on vient de le voir, une légère radicalisation plutôt à rechercher chez des hommes, des personnes aux revenus assez modestes ou se situant à gauche.

53 Que ce soit sur cette question ou les précédentes, il ne fait donc pas de doute que nous observons d’une part, une grande stationnarité dans la perception des inégalités et d’autre part, une légère tendance à les juger plus sévèrement. On peut mettre ce double constat en rapport avec celui que nous faisions à propos des inégalités « objectives » qui, rappelons-le, d’un côté restent stables pour 95 % voire même pour 99 % de la population, et d’un autre se creusent en quelque sorte « par le haut » (Lombardo et al., 2011) du fait de l’envolée des très hauts revenus depuis le début des années 2000. Les Français semblent donc très bien percevoir cette situation complexe, puisque leurs jugements restent globalement inchangés tout en se radicalisant légèrement, vraisemblablement chez ceux qui perçoivent ce décrochage des très hauts revenus ou du moins qui lui accordent plus d’importance, comme les personnes se situant à gauche.

8 – Microjustice

54 L’ensemble des questions étudiées jusqu’ici concerne les inégalités ou la justice sociale à l’échelle de la société. On parle à cet égard de macrojustice pour la distinguer de la microjustice, qui touche au traitement d’un individu ou d’un petit groupe autour de lui (Brickman et al., 1981). Dans l’enquête ISSP, ce second aspect est abordé sous l’angle du jugement que l’interviewé porte sur son salaire (ou son revenu d’activité). On lui demande s’il pense que le montant de sa rémunération est « beaucoup plus que ce qui serait juste selon lui, un peu plus que juste, juste, un peu moins que juste ou beaucoup moins que juste ». On lui demande également, à un tout autre endroit du questionnaire, si ce qu’il gagne correspond à « beaucoup plus, plus, exactement, moins ou beaucoup moins que ce qu’il pense mériter ». Il faut noter que les enquêtés n’éprouvent à aucune des deux dates de difficultés particulières pour répondre. En dehors de ceux qui n’ont jamais travaillé, entre 5 et 8 % ne se prononcent pas.

55 Comme on pouvait s’y attendre, les réponses à ces deux questions apparaissent alors presque parfaitement corrélées, aussi bien en 1999 qu’en 2009. Cela confirme ce que plusieurs autres enquêtes ont montré (Parodi, 2011) à propos de l’évaluation normative du niveau de salaire personnel. Pour les Français, mais cela est vrai dans tous les pays où cette question a été étudiée (Forsé et Parodi, 2006), le principe de mérite est (sous conditions) un principe de justice distributive important. Il vient certes, pour ce qui est de la macrojustice, après le principe de besoin mais il devance le principe d’égalité. Un sondage également réalisé en France en 2009 (Forsé et Galland, 2011) montre très clairement que la rémunération juste est avant tout selon les interviewés celle qui récompense les efforts ou les compétences au travail – deux dimensions du mérite donc (Naulin, 2011). Pour les enquêtés, ces dimensions devraient globalement devancer le niveau d’éducation (Guibet Lafaye, 2011) pour parvenir à une juste paie (même s’ils déclarent que dans les faits c’est l’inverse qui s’observe). Cela se retrouve dans l’enquête ISSP, puisqu’en 2009 comme en 1999, « bien faire son travail », « avoir des responsabilités » ou « travailler dur » apparaissent comme des critères plus importants que « le nombre d’années passées à étudier et se former » ou le fait « d’avoir des enfants à charge » ou « ce qui est nécessaire pour faire vivre une famille ». Par exemple, « bien faire son travail » apparaît « très important » ou « essentiel » à 75 % des enquêtés en 2009, contre 55 % s’agissant d’avoir une famille à charge ou 38 % pour ce qui est du niveau d’éducation. En 1999, ces pourcentages étaient respectivement de 79 %, 60 % et 39 % ; leur hiérarchie n’a donc pas changé. De manière stable au cours de ces dix dernières années, les mérites liés à la nature du travail ou à la manière dont il est accompli emportent davantage l’adhésion que les charges familiales ou le diplôme pour servir de critères permettant de fixer la juste hauteur d’une rémunération.

56 Sur cette base, les sentiments relatifs à la justice de sa propre rémunération ont très peu variés (tableau 10). Aux deux dates, les enquêtés qui estiment être justement payés représentent 28 % des répondants et ceux qui se disent moins que justement payés sont 67 ou 66 %. Pour ce qui est du mérite, le mouvement est un petit peu plus important. La proportion de personnes déclarant gagner moins que ce qu’elles méritent passe de 57 à 62 %, tandis que celles qui pensent avoir ce qu’elles méritent régressent de 42 à 35 %. Même si la structure globale des réponses ne change guère, on voit tout de même poindre là le sentiment que le mérite personnel est un peu moins bien récompensé aujourd’hui qu’il y a dix ans.

Tableau 10

Sentiments de microjustice

Tableau 10
En % Votre paie est-elle : 1999 2009 Ce que vous gagnez est-il : 1999 2009 beaucoup moins que juste 18,9 19,9 beaucoup moins que mérité 12,8 15,7 un peu moins 48,5 45,6 moins que mérité 43,7 46,6 juste 28,3 28,0 mérité 41,9 35,4 un peu plus 3,6 5,1 plus que mérité 1,3 1,6 beaucoup plus que juste 0,7 1,4 beaucoup plus que mérité 0,3 0,7 Source : ISSP, 1999-2009.

Sentiments de microjustice

57 À l’inverse, très peu d’individus estiment gagner plus ou beaucoup plus que ce qui serait juste ou mérité. L’échelle de réponses proposées en cinq positions autour de la modalité « ce qui serait juste » ou « exactement mérité » est symétrique mais ici, comme dans toutes les autres enquêtes où ce genre de questions est posé (Shepelak et Alwin, 1986, p. 41 ; Naulin, 2011, p. 161), les réponses sont très dissymétriques. D’ailleurs, les proportions d’individus satisfaits de leur paie ne changent pas significativement en dix ans.

58 Au total, nous sommes une fois encore confrontés à une stabilité globale des réponses, assortie d’un léger mouvement révélant ici que les enquêtés trouvent que, dans leur cas, le principe de mérite – principe important à leurs yeux, comme il a été montré – est moins bien appliqué qu’il y a dix ans.

59 Comme l’enquête ISSP n’est pas un panel, il n’est malheureusement pas possible de savoir si ce sont les mêmes individus qui éprouvent le sentiment de déclassement révélé par la baisse de l’autopositionnement sur l’échelle des statuts examinée plus haut. On peut cependant remarquer et souligner la concomitance des deux phénomènes. En retour, on peut se demander si, et de quelle manière, le sentiment de microjustice et la perception des inégalités (relevant de la macrojustice) s’influencent réciproquement.

60 Remarquons tout d’abord qu’il y a bien un lien entre les réponses à ces deux questions, c’est-à-dire entre la macro et la microjustice (tableau 11). Pourtant, d’un côté il s’agit d’appliquer à l’échelle de la société le principe d’égalité (en trouvant trop grandes les différences de revenus) et, de l’autre, il s’agit d’appliquer pour sa propre situation le principe de mérite ou d’équité. Or il est très clair, en 1999 comme en 2009, que ceux qui perçoivent de la manière la plus intense les inégalités sont aussi ceux qui s’estiment le plus injustement payés. Et, à l’inverse, ceux qui estiment que leur salaire est juste ou correspond à ce qu’ils méritent ont moins tendance à affirmer que les différences de revenus sont trop grandes. De ce point de vue, égalité et équité ne s’excluent pas. Elles sont au contraire étroitement corrélées. Ce sont d’ailleurs, notons-le au passage, ceux qui ont des revenus faibles, jusqu’à 1 500 euros approximativement, qui trouvent que leur salaire est injuste ou ne reflète pas leur mérite. Au-delà, on a au contraire tendance à trouver que sa paie est juste ou méritée. Là encore il n’y pas eu de changement marquant au cours des dix dernières années.

61 Toutefois, on note un léger renforcement du lien entre perception des inégalités et sentiment de ne pas être payé selon son mérite (ainsi qu’on peut le voir aux dernières lignes du tableau 11), même s’il n’y a pas d’évolution notable de l’association considérée à partir du sentiment que sa paye est équitable. Le renforcement dont nous parlons est donc, ici encore, assez faible, et se produit sur fond de stabilité. Toujours est-il que les individus font aujourd’hui un peu plus le lien entre les inégalités globales et leur situation personnelle qu’il y a dix ans. Plus encore, l’indicateur qui réagit le plus est celui directionnel allant de la macrojustice vers la microjustice (le d de Somers selon « macro » c’est-à-dire selon l’opinion sur l’ampleur des inégalités en France). C’est dire que l’opinion sur les inégalités en France a plus d’impact sur le sentiment que son salaire est mérité (« micro ») que l’inverse (0,226 à comparer à 0,165). La perception des inégalités jouerait ainsi vraisemblablement sur le sentiment d’être payé selon son mérite. Et cette influence de l’évaluation macro sur la situation micro serait plus grande aujourd’hui qu’il y a dix ans.

Tableau 11

Mesures d’association ordinale entre micro et macrojustice

Tableau 11
Association de « les inégalités en France sont-elles trop grandes ? » avec… Mesures d’association ordinale symétrique et directionnelles 1999 2009 « Est-ce que votre paye est équitable ? » Gamma 0,265 0,285 d de Somers selon micro 0,146 0,134 d de Somers selon macro 0,173 0,192 « Diriez-vous que vous gagnez (…) ce que vous méritez ? » Gamma 0,286 0,356* d de Somers selon micro 0,155 0,165 d de Somers selon macro 0,175 0,226** Lecture : le d de Somers selon micro donne le taux d’amélioration de la prédiction de la réponse à la question concernant la macrojustice sachant la réponse à la question sur la microjustice. Et inversement pour le d de Somers selon macro. Ainsi, en 2009, si je connais la réponse d’un individu à la question « les inégalités sont trop grandes en France », je peux améliorer ma prédiction sur sa réponse à la question « diriez-vous que vous gagnez ce que vous méritez » de 22,6 %. Note : * indique que l’évolution sur dix ans est statistiquement significative au seuil de 10 %, et ** au seuil de 5 %. Source : ISSP, 1999-2009.

Mesures d’association ordinale entre micro et macrojustice

62 Il s’agit toutefois de simples corrélations et, pour aller plus loin, il faut considérer le rôle de la position sociale. On peut voir au tableau 12 les variations du d de Somers « selon la macro » en fonction de l’autoposition et de la catégorie socioprofessionnelle. En 1999, l’association entre perception des inégalités et sentiment de ne pas être payé selon son mérite est nettement plus forte pour les ouvriers, les employés et ceux qui se placent subjectivement en bas de la hiérarchie sociale que pour les autres. En revanche, en 2009, il n’y a plus sur ce point de différences notables entre les catégories. D’un côté, ceux qui tiennent des positions sociales moyennes ou hautes font manifestement plus qu’avant le lien entre inégalités globales et sentiment de ne pas être rémunéré selon ses mérites. De l’autre, ceux qui se situent en bas de la pyramide sociale font apparemment un peu moins qu’avant ce lien, mais en partant d’assez haut. Au total, les catégories sociales ont convergé. À partir de ces éléments, il est possible d’esquisser l’interprétation suivante : le sentiment de faire partie des perdants du jeu social (en déduisant des inégalités perçues son traitement injuste) était relativement circonscrit en 1999 aux catégories modestes. Dix ans plus tard, ce sentiment s’est diffusé à une grande partie de la population. Il a gagné les professions intermédiaires et même les cadres supérieurs et, par contrecoup, il est devenu moins exacerbé au sein des catégories populaires.

Tableau 12

d de Somers selon la variable « les inégalités en France sont trop grandes » en fonction de la position sociale subjective et objective aux deux dates

Tableau 12
1999 2009 Autoposition 4 à 10 (moyen et haut) 0,118 0,201 3 Autoposition 1 à 3 (bas) 0,329 * 0,253 Ouvrier, employé 0,283 * 0,179 2 Profession intermédiaire 0,095 0,176 Cadre supérieur 0,082 0,212 1 Note : * indique que le d de Somers pour cette modalité s’écarte significativement (au sens statistique) au seuil de 5 % des modalités complémentaires à la même date. 1, 2 et 3 indiquent que de d de Somers évolue significativement (au sens statistique) en dix ans au seuil de respectivement 10 %, 5 % et 1 %. Source : ISSP, 1999-2009.

d de Somers selon la variable « les inégalités en France sont trop grandes » en fonction de la position sociale subjective et objective aux deux dates

Conclusion

63 Au bout du compte, la crise de 2008 n’a pas fortement bouleversé les perceptions qu’ont les Français des inégalités salariales, ni leurs souhaits de correction de celles-ci ou encore leur sentiment de justice concernant leur salaire. Pour l’essentiel, ils continuent de penser que les inégalités en France sont trop fortes, qu’il faut les réduire nettement et qu’ils ne sont pas payés à la hauteur de leur mérite. En même temps, sur la période considérée, les inégalités apparaissent objectivement assez stables au sein de la plus grande partie de la population et seule une petite élite voit ses revenus s’envoler. La stabilité des opinions semble refléter fidèlement cet état de fait car, dans le détail, les Français semblent aussi assez conscients qu’il se passe quelque chose en haut de la pyramide, en particulier du côté des PDG. Aussi, dans l’ensemble, ils continuent de souhaiter que l’on corrige les inégalités salariales à peu près dans les mêmes proportions qu’il y a dix ans. Et, lorsque les excès récents sont perçus, la demande consiste à les corriger d’autant. Il faut souligner que ce diagnostic se retrouve en considérant les réponses à des questions formulées très différemment et interrogeant les Français directement ou plus indirectement sur les inégalités.

64 Dans la même veine, la plupart des Français continuent à se percevoir plutôt au centre de la pyramide sociale, même si l’on peut percevoir un léger sentiment de déclassement sur les dix dernières années. Ils estiment aussi un tout petit peu plus ne pas être payés selon leurs mérites. Ce sont d’ailleurs les mêmes qui disent qu’il y a trop d’inégalités en France et qu’ils sont mal payés de leurs efforts au travail. Comme ce lien s’est en outre renforcé légèrement sur la période, on peut penser que les individus déduisent un peu plus souvent du niveau actuel des inégalités que leurs mérites ne sont pas reconnus. Le sentiment de faire partie des perdants de la distribution salariale ne concerne d’ailleurs plus seulement les moins bien lotis, mais s’est diffusé à la plupart des salariés. Autrement dit, mérite et égalité restent des principes importants de justice distributive qui ne s’excluent pas, et ce peut-être même moins encore aujourd’hui que naguère.

Références bibliographiques

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Mots-clés éditeurs : opinions, inégalités, justice sociale

Date de mise en ligne : 29/08/2011

https://doi.org/10.3917/reof.118.0005

Notes

  • [1]
    Il s’agit de sondages aléatoires réalisés au moyen de questionnaires auto-administrés sur la population résidant en France et âgée de 18 ans ou plus. Les tailles d’échantillon sont respectivement de 1889 et 2814 individus.
  • [2]
    Toutes les moyennes considérées ici sont tronquées au 1 % supérieur.
  • [3]
    Une enquête Gallup International (BVA en France) réalisée fin 2010 sur des échantillons représentatifs dans 53 pays répartis sur les cinq continents montre que les Français sont 61% à déclarer que l’année 2011 sera une année de difficultés économiques (3 % prédisent une prospérité et 36 % une stabilité) contre 28 % en moyenne dans le monde. C’est le plus fort taux de pessimisme observé dans cette enquête. En Allemagne, 22 % seulement anticipent des difficultés ; en Espagne, 48 %. Avec 57 %, les Islandais talonnent les Français mais restent tout de même en seconde position. Ce pessimisme économique a crû en France de 10 points en un an alors qu’il est resté stable au niveau mondial (moins 1 point). Les principaux résultats de cette enquête ont été publiés dans Le Parisien du 3 janvier 2011.

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