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Article de revue

La logique sexuée de la réciprocité dans l'assistance

Pages 237 à 263

Notes

  • [1]
    Elle s’appuie sur la pensée institutionnaliste de l’économiste américain John Commons (1861-1945) pour analyser les mutations de la logique de réciprocité dans l’assistance aux États-Unis et en France au travers l’instauration du workfare américain et celle de l’insertion associée au RMI.
  • [2]
    Ceci malgré les vives critiques que ces travaux ont suscitées, notamment celles de Sterdyniak (2001).
  • [3]
    Tout allocataire du RMI depuis plus d’un an pouvait se voir proposer un emploi par un employeur (secteur privé ou non marchand) pour au moins 20 heures de travail par semaine dans le cadre du contrat d’insertion signé avec le département.
  • [4]
    Loi de programmation pour la cohésion sociale du 18 janvier 2005.
  • [5]
    Ce concept recouvre différentes réalités qui ont varié au cours du temps et selon les acteurs qui s’en sont saisis depuis des décennies.
  • [6]
    Le seuil retenu le plus couramment utilisé en Europe est 60 % du revenu médian, mais on a aussi souvent utilisé, notamment en France, le seuil de 50 %.
  • [7]
    Selon les termes d’Orloff (2006).
  • [8]
    Décrets-lois du 11 novembre 1938.
  • [9]
    À partir de 1949, l’ASU est supprimée pour l’enfant unique de plus de 10 ans, et en 1959 elle est supprimée pour l’enfant unique de plus de 5 ans, alors que les jeunes ménages sans enfant ont encore droit à l’ASU pendant 2 ans au taux de 10 % et ceci jusqu’en 1967.
  • [10]
    L’API est une allocation différentielle qui complète les ressources d’un parent élevant seul un ou plusieurs enfants. Le droit à l’allocation est maintenu jusqu’aux trois ans du benjamin, il s’agit de l’API longue. L’API dite « courte » est versée au parent isolé quel que soit l’âge des enfants à charge pendant une année après la séparation d’avec le conjoint.
  • [11]
    Allocation mère au foyer et son supplément, l’allocation salaire unique et son supplément et l’allocation pour frais de garde.
  • [12]
    Il s’agit du SMIC net pour la durée moyenne de travail observée chez les ouvriers en 1976 (Insee, 1978).
  • [13]
    En effet les minima sociaux étant indexés sur les prix et le Smic étant sujet à des coups de pouces réguliers, l’écart entre les montants garantis et les revenus du travail s’est mécaniquement accru au fil du temps (Périvier, 2006).
  • [14]
    Aucun cumul de revenu n’était possible entre les revenus d’activité de l’allocataire et l’API, sauf le cumul total le premier mois.
  • [15]
    Un parent isolé élevant seul un ou plusieurs enfants dont l’un a moins de 3 ans perçoit une majoration, ce qui a permis de conserver le niveau des montants que garantissait l’API.
  • [16]
    La prestation d’accueil du jeune enfant permet de compenser une partie de ces coûts, en particulier ceux liés à la garde des jeunes enfants non scolarisés.
  • [17]
    C’est également le cas des avantages en nature procurés par l’exploitation d’un jardin privatif (Art. R 262.9, décret n°2009-404 du 15 avril 2009).
  • [18]
  • [19]
    « Michel, 42 ans, cariste à temps plein dans un entrepôt. Payé au Smic, il vit avec Brigitte, sa femme, qui garde leurs deux enfants à la maison. À quatre sur le salaire de Michel, ce n’est pas facile. Grâce au RSA, il bénéficie d’un complément de revenus de 301 euros par mois. Compte tenu de l’ajustement de la prime pour l’emploi, cela correspond à un gain mensuel de 212 euros. » http://www.rsa.gouv.fr/IMG/pdf/GP.pdf
  • [20]
    Art.L. 262.27 : « Pour l’application de la présente section, les mêmes droits et devoirs s’appliquent au bénéficiaire et à son conjoint, concubin ou partenaire lié par un Pacte civil de solidarité… ».
  • [21]
    Art. L. 262.35.
  • [22]
    Art. L 228-28.
  • [23]
    Près de 9 allocataires de l’API sur 10 ne recherchent pas d’emploi du fait d’une indisponibilité pour raisons familiales (Pla, 2007).
  • [24]
    Parmi ces propositions figuraient une majoration du montant garanti en cas de bi-activité dans le couple, ou l’instauration d’une pente plus favorable lorsque les deux membres du couple sont actifs occupés, ou encore l’instauration d’une prime à la bi-activité…
  • [25]
    Sylvie Morel (1996) montre comment, aux États-Unis, l’âge du plus jeune enfant à charge légitimant le recours à l’assistance sans contrepartie a été petit à petit avancé pour atteindre désormais 1 an.

1L’aide sociale a pour objectif d’aménager les situations de pauvreté afin d’en soulager les effets. Elle n’est pas conçue pour éradiquer la pauvreté mais pour préserver l’équilibre et la cohérence de la société. En ce sens, elle constitue un mode de gestion plutôt qu’un outil de lutte contre la pauvreté (Paugam, 2005 ; Morel, 2000). Cette régulation de la population pauvre implique une relation de réciprocité entre les personnes qui reçoivent une aide issue de la solidarité nationale et la collectivité. Ainsi la solidarité est associée à la citoyenneté sociale dans le sens où chaque individu a des droits et des devoirs : le droit d’être aidé et de vivre décemment, et le devoir d’être utile à la collectivité. Celle-ci accepte de venir en aide aux personnes sans ressource à condition que ces dernières se conforment en retour à des obligations.

2Cet article montre que la nature de ces obligations varie dans le temps et selon le sexe de la personne concernée. Le cadre analytique issu de l’institutionnalisme permet de mettre en évidence les transformations de la relation de droits et devoirs intrinsèque aux minima sociaux en France, et leur impact différencié selon le sexe et le statut familial de l’allocataire. L’introduction, puis les réformes de l’allocation de parent isolé (API) et du revenu minimum d’insertion (RMI) sont étudiées ; le passage au revenu de solidarité active (RSA) fait l’objet d’une attention particulière.
Les obligations d’insertion dans l’emploi pour les allocataires se sont progressivement renforcées sous l’effet d’un retour de la reconnaissance du mérite. Pourtant, le modèle familial traditionnel a été épargné par le resserrement de la contrainte, car les femmes avec enfants vivant en couple n’ont pas obligation d’insertion professionnelle. Leur rôle de « femme au foyer » les dispense de la recherche d’un emploi à tout prix. C’est lorsqu’elles se séparent de leur conjoint qu’elles redeviennent une cible clé des politiques d’activation. Cette différence de traitement dans l’application des devoirs associés à l’assistance constitue une forme de discrimination reposant non seulement sur le sexe, mais également sur le statut matrimonial et sur l’âge des enfants.

1 – Les logiques de la réciprocité dans une perspective sexuée

1.1 – Une approche institutionnaliste de l’aide sociale

1.1.1 – Le cadre analytique

3L’analyse différenciée selon le sexe de la logique de réciprocité, qui relie les droits et les devoirs des personnes pauvres à ceux de la société, nécessite de pourvoir tenir compte du contexte institutionnel, social et culturel dans lequel évoluent les individus. En effet la division sexuée du travail structure l’organisation socio-économique de nos sociétés : les rôles sociaux attribués aux hommes et aux femmes ne sont pas les mêmes. En conséquence, la nature de la contrepartie exigée en échange de l’assistance diffère selon le sexe de l’allocataire.

4L’utilisation du cadre d’analyse économique standard dans le domaine de l’aide sociale se limite le plus souvent à mesurer l’impact des transferts sur l’offre de travail des allocataires. Ces décisions individuelles résulteraient d’un calcul rationnel entre les revenus qu’ils perçoivent de la solidarité nationale et ceux qu’ils obtiendraient par leur travail. Or cette vision n’explique pas les comportements en la matière. Par exemple, cette approche ne parvient pas à rendre compte du fait que de nombreux allocataires du RMI travaillaient même s’ils y perdaient financièrement (Dubet et Vétéroux, 2001 ; Guillemot, Pétour et Zadjela, 2002). En outre, le paradigme de l’homo œconomicus se prête mal à une analyse sexuée car il repose sur l’hypothèse que les individus sont rationnels, libres et égaux en droits. Ce postulat a été largement critiqué par la pensée économique féministe, en particulier parce qu’il ne tient pas compte du positionnement social différent des femmes et hommes. Il contribue ainsi à rationaliser le désavantage économique des femmes (Folbre et Hartmann, 1988 ; Nelson, 2004). De fait, ce cadre analytique s’avère inadapté à une lecture sexuée de la politique sociale car les femmes et les hommes ne sont pas positionnés identiquement dans les multiples interactions qui animent le marché, la famille et l’État.

5Les travaux de Sylvie Morel [1] (2000 ; 2007) montrent que le cadre insti-tutionnaliste est pertinent pour étudier les évolutions de l’aide sociale et de sa contrepartie. Il lui permet de mettre en évidence l’importance du sexe dans la régulation par le travail des personnes pauvres, et en quoi cette régulation est marquée par les rapports sociaux de sexe en France et aux États-Unis. Dans cette perspective théorique, l’individu évolue dans un environnement complexe et il est en interaction avec d’autres acteurs. Cela permet d’appréhender de façon intégrée les interrelations entre la famille, l’emploi et les politiques sociales. Il est possible alors de montrer les liens entre la division du travail entre les sexes, la répartition des rôles dans la société en général, et les obligations de travail associées à la politique sociale.

6Par ailleurs, le caractère évolutif de l’institutionnalisme permet de conceptualiser le processus de mutation de la logique de réciprocité dans la politique assistancielle. C’est donc sur la base de ce paradigme de la pensée économique hétérodoxe que sont mises en évidence les transformations de la relation de droits et devoirs intrinsèque aux minima sociaux en France, et leur impact différencié selon le sexe et le statut familial de l’allocataire.

7La dynamique de la contrepartie est insufflée par le jeu relationnel complexe entre plusieurs acteurs. En effet, l’institution assistancielle regroupe un ensemble d’acteurs, outre les personnes aidées, qui agissent selon des règles communes. Ils peuvent être regroupés dans trois catégories. Le premier groupe d’acteurs comprend ceux qui définissent les orientations de l’aide sociale (le gouvernement, le législateur, les députés et sénateurs qui votent les lois…) ; il s’agira dans ce qui suit des « acteurs politiques ». Le deuxième comprend l’ensemble des acteurs qui sont en relation directe avec les allocataires (les travailleurs sociaux, les conseils départementaux d’insertion, les commissions locales d’insertion, les services de pôle emploi, les CAF qui versent les allocations…), on les regroupe sous le vocable d’ « acteurs de vis-à-vis ». Ce groupe d’acteurs oriente la personne dans son parcours d’insertion sociale ou professionnelle et la soutient dans ses démarches pour accéder à ses droits. Ils sont les premiers juges des difficultés qu’elle rencontre. Enfin, le troisième type d’acteurs peut être résumé sous le terme d’« opinion publique » qui d’une certaine façon influence les grandes orientations de la politique sociale.
Les règles régissant l’aide sociale peuvent être regroupées sous deux grands ensembles. Les premières relèvent de l’action collective organisée essentiellement autour du droit. Elles comprennent les lois, des procédures formelles qui déterminent les contours et les modalités d’application de l’aide sociale. Par exemple dans le cas du RMI, il s’agit de la loi n° 88-1088 du 1er décembre 1988, elle définit notamment les conditions d’éligibilité (comme l’âge, article 2), ou encore la nature des engagements de l’allocataire avec la signature d’un contrat d’insertion (article 36). Ces règles sont modelées et votées par les acteurs politiques. Le second type de règles relève d’une action collective inorganisée (Morel, 2000, p. 57), et regroupe l’ensemble des normes et représentations sociales ainsi que les pratiques de terrain. Les acteurs de vis-à-vis peuvent disposer de marges de manœuvre liées à l’interprétation des textes de lois qui définissent la logique de la réciprocité entre les allocataires et l’État. Ils peuvent adapter leur exigence en termes d’insertion après avoir pris connaissance de la situation de la personne. Dans l’exemple du RMI, la loi stipule que lors de la signature du contrat d’insertion, la commission locale d’insertion étudie « tous les éléments utiles à l’appréciation de la situation sanitaire, sociale et professionnelle, financière des intéressés… » ; il y a une appréciation de la situation de l’allocataire et donc un jugement sur ses possibilités d’insertion professionnelle. Enfin, l’opinion publique agit sur les deux registres. Elle peut influencer la production de règles juridiques et peut également jouer sur la production de normes implicites. Ces catégories d’acteurs interagissent, et de leurs interactions naissent les mutations des règles qui régissent l’aide sociale.
Dans l’action collective inorganisée, il en est une qui traverse le fonctionnement de l’aide sociale et qui la structure : il s’agit de la coutume au sens de Commons (Morel, 2000). Elle consiste en la répétition et la reproduction des pratiques et des transactions. Ces reproductions ne se font jamais à l’identique, ce qui permet d’expliquer les processus de mutation progressive d’une coutume. Ainsi les institutions sont en mouvement, elles se modifient en conservant des éléments du passé. L’individu quant à lui est inséré dans différents réseaux de relations sociales, à ce titre il est un citoyen doté de droits et de devoirs.

1.1.2 – Le dosage mérite/solidarité

8L’institution assistancielle est traversée par deux coutumes en partie contradictoires. Celle du mérite repose sur l’idée que le seul critère de pauvreté ne peut suffire à justifier le soutien de la collectivité : la responsabilité de l’individu pauvre est en cause. Celle de la solidarité implique un devoir de la collectivité envers les plus démunis : la responsabilité de leur dénuement est perçue comme étant collective. Les deux logiques ne s’excluent pas totalement, mais l’une l’emporte sur l’autre.

9Dans l’aide sociale française, la coutume de la solidarité est l’axe structurant de l’aide aux personnes les plus pauvres. Certes la coutume du mérite y est présente et ancienne : les jugements de valeur à l’égard des personnes pauvres ne sont pas nouveaux et les pouvoirs publics ont toujours préféré l’assistance par le travail à une aide inconditionnelle. Dès le Moyen Âge, la mendicité et l’errance des personnes valides sont réprimées. Les indigents aptes au travail sont sommés de travailler. Durant la Révolution, Larochefoucault Liancourt, président du Comité de mendicité de la Constituante affirmera : « La société doit à tous ses membres subsistance et travail. Celui qui, pouvant travailler, refuse, se rend coupable envers la société et perd tout droit à sa subsistance » (Rigaudiat, 2009). La personne pauvre et valide relève du seul droit au travail ou, à défaut, de la répression. Donc l’idée d’une contrepartie, comme mesure du mérite, est constitutive de la solidarité nationale ; elle n’est pas le seul fait de l’hégémonie néolibérale des années 1980 et 1990 qui voulait faire du marché l’alpha et l’oméga des relations humaines (Morel, 2002).

10Si la coutume du mérite a toujours été présente dans l’assistance française, elle l’est de façon moins prégnante qu’aux États-Unis, où l’instauration du workfare l’a porté comme règle ultime de fonctionnement de l’aide sociale (Périvier, 2007). Cette dernière n’y a jamais été vue comme un droit ; l’idée de mérite et de responsabilité individuelle est au cœur du Welfare State. Alors qu’en France, la relation de réciprocité entre les allocataires de minima sociaux et l’État s’appuie sur la notion d’insertion qui vise à contenir l’exclusion sociale. L’idée d’une responsabilité collective dans la situation des personnes les plus pauvres est présente dans la politique assistancielle (Morel, 2002). Le devoir de la collectivité face au pauvre prend racine dans le pacte républicain. L’aide sociale en française repose donc davantage sur la coutume de solidarité que sur celle du mérite. Mais le dosage entre les deux évolue sous l’effet de l’interaction entre les différents acteurs, décrits précédemment.

11Concernant l’idée d’un revenu minimum, les travaux de Forsé et Parodi (2010), montrent que, outre les personnes directement visées par ce revenu minimum, d’autres personnes non concernées y sont favorables sans contrepartie et souhaitent son augmentation. Les auteurs opposent alors des spectateurs ayant une attitude morale universaliste à ceux ayant une attitude particulariste qui, eux, font la distinction entre les pauvres méritants et les non-méritants. Les deux types de spectateurs pensent qu’il est préférable que les « rmistes » travaillent si cela est possible, mais ils se distinguent sur le caractère obligatoire du travail, les universalistes étant hostiles à toute forme de coercition. Le poids relatif de ces deux groupes se modifie. Autour des années 2000, l’opinion publique concernant le RMI s’est durcie avec la diffusion de l’idée que l’allocataire du RMI n’est pas encouragé à (re-)travailler et préfère rester assisté plutôt que rechercher à devenir autonome en travaillant. Cette tendance s’est inscrite dans une transformation plus large de l’opinion au niveau européen avec l’idée que la paresse est un élément explicatif central de la pauvreté (Duvoux, 2007). Cette modification de l’opinion publique est étayée par de multiples travaux de recherche. En France, à partir des années 1990, une abondante littérature socio-économique s’est développée autour du concept de trappes à inactivité. Par exemple, selon les travaux deux économistes de l’INSEE, Laroque et Salanié (1999, 2000), les allocataires de minima sociaux ne seraient pas encouragés financièrement à reprendre un emploi du fait des effets de seuil engendrés par le système fiscalo-social et les interactions entre les transferts sociaux et le SMIC : plus de la moitié du non-emploi serait de nature volontaire. Ce type d’expertises influence l’opinion publique, qui les perçoit comme impartiales et légitimes, et cela joue un rôle dans l’orientation des politiques publiques (Mirau, 2002) [2].

12Cette focalisation sur le concept de trappe à inactivité conduira les pouvoirs publics à remettre l’accent sur la responsabilité individuelle avec notamment la création du CI-RMA en 2003 [3]. Il s’agissait de verser le RMI directement à l’employeur embauchant un allocataire pour au moins 20 heures de travail, il le reversait ensuite à l’allocataire avec une partie supplémentaire sous forme de salaire, équivalente à 5 heures de travail (ou plus selon le temps de travail). Seul ce complément ouvrait l’accès à des droits différés (chômage, retraite, etc.), la partie « allocation » ne constituant pas un salaire en tant que tel. Ainsi, dans sa version initiale, le CI-RMA se rapportait à du workfare pur et simple dans la mesure où la logique de remboursement s’était substituée à celle de la réciprocité ; l’individu remboursait par son travail l’allocation versée par la collectivité (Dollé, 2008). La levée de bouclier face à cette entaille faite au droit du travail a permis de rétablir le CI-RMA en tant que contrat de travail au sens plein [4].

13Progressivement la coutume du mérite s’est renforcée aux dépens de celle de solidarité. En 2005, plusieurs rapports ont fait écho de la nécessité de contraindre davantage ou d’encadrer le retour en emploi des allocataires de minima sociaux. Certains préconisent le renforcement des mécanismes de contrôle et de sanction afin de « remettre l’activité au cœur de la politique sociale » (Mercier et Raincourt, 2005). D’autres voient dans la consolidation des incitations financières à la reprise d’un emploi la clé de voûte de l’insertion (Wauquiez, 2005). L’aboutissement est la fusion de l’API et du RMI dans le RSA. Les règles qui régissent l’aide sociale sont donc soumises à des variations, fruits des interactions entre les différents acteurs.
Il s’agit dans ce qui suit de mesurer les conséquences de ces transformations de l’aide sociale sur les femmes et leur relation à l’emploi.

1.2 – Le caractère sexué de la « régulation des pauvres »

1.2.1 – La division sexuée du travail

14La logique de réciprocité dans l’aide sociale repose sur le principe que toutes les personnes en âge et aptes physiquement à travailler, et qui perçoivent un transfert issu de la solidarité nationale doivent montrer leur bonne volonté à servir la communauté en retour. Ce service peut s’inscrire sur le marché du travail ou dans la famille. Or, la société salariale de l’après-guerre repose à la fois sur un principe bismarckien, c’est-à-dire un mode d’acquisition de droits sociaux propres par le travail, et sur une répartition sexuée des rôles avec un recentrage des femmes sur la famille et des hommes dans l’emploi. Les droits sociaux sont familiaux et acquis par le biais du travail de l’homme. Ils se diffusent dans la famille par le biais du statut des ayants-droits pour les personnes dont il a la charge (donc sa conjointe et leurs enfants). La relation de réciprocité sur laquelle vont s’appuyer les transferts sociaux vers les personnes les plus pauvres sera marquée par ces normes. Ainsi, les règles qui régissent l’aide sociale vont imposer des devoirs aux personnes pauvres sur une base sexuée. Pour les hommes valides et en âge de travailler, la réciprocité repose, en théorie du moins, sur le droit à une allocation en échange d’un effort en termes d’insertion dans l’emploi. Le caractère contraignant, voire coercitif de cette contrepartie, va se renforcer au fil du temps sous l’effet de la progression de l’idéologie du mérite, mais l’idée qu’un homme ne peut pas recevoir un transfert issu de la solidarité sans faire l’effort d’en sortir est acquise depuis longtemps. La coutume du mérite renvoie donc pour les hommes à une injonction à l’autonomie. La relation de réciprocité qui s’établit entre l’allocataire homme et l’État repose donc sur son « employabilité », c’est-à-dire son aptitude à obtenir et conserver un emploi (Gazier, 2006) [5].

15Pour les femmes, il en va tout autrement car les dispositifs de lutte contre la pauvreté et le système de protection sociale présupposent le plus souvent un rôle spécifique des femmes dans la société : soit comme « mère », soit comme « travailleuse », soit comme « épouse » (Boismenu et Dufour, 2008). L’histoire de la protection sociale indique que l’employabilité de la femme s’est construite autour de ses responsabilités familiales ; elle a longtemps été vue comme étant « mère avant tout ». Par exemple, l’allocation de salaire unique (ASU) reconnaissait le droit des femmes au foyer à percevoir une aide pour élever leur enfant. Elles n’étaient pas perçues comme « employables » au sens marchand du terme et elles étaient vues comme plus « utiles » à la collectivité en assurant le fonctionnement de la famille. C’est ce sens que Sylvie Morel (2007) parle de « maternabilité » (c’est-à-dire d’aptitude à gérer la famille) tant la régulation du devoir des femmes s’est longtemps appuyée sur le travail domestique et familial plutôt que sur le travail marchand. La politique familiale abandonnera progressivement cette vision de la place de la femme dans la société, mais le poids de cette norme continuera de peser dans la balance de la contrepartie à l’assistance. Certaines femmes vont être confortées dans leurs rôles de « mère » par les règles de l’aide sociale dans la mesure où la contrepartie exigée en retour de l’assistance va relever du travail domestique et familial. Alors que les hommes seront tenus de s’insérer sur le marché du travail afin de devenir autonomes financièrement, conformément aux fondements d’une protection sociale bismarckienne.

1.2.2 – Le poids du familialisme

16La mesure de la pauvreté s’appuie sur les ressources du ménage et non celles de l’individu. Une personne est considérée comme pauvre monétairement lorsqu’elle appartient à un ménage dont les ressources sont inférieures à un certain seuil [6]. L’hypothèse de base, communément admise bien que discutable, suppose que les personnes vivant dans un même foyer mettent en commun leurs ressources. La plupart des dispositifs de lutte contre la pauvreté se fondent sur les ressources de la famille, noyant ainsi la situation de chaque individu. La solidarité nationale considère la famille comme une entité homogène en faisant abstraction de la répartition des ressources et de la division du travail entre les membres qui la composent. En corollaire, la loi institue aussi des obligations de secours mutuels au sein des familles (entre conjoints et entre descendants). Le droit civil et le droit social reposent de façon cohérente sur la solidarité intrafamiliale.

17Le droit à l’aide sociale est donc le plus souvent un droit familial, mais la contrepartie en termes de devoirs de l’allocataire est, quant à elle, nécessairement individuelle puisqu’elle repose sur un engagement de la personne à faire de son mieux pour sortir de l’assistance sociale. Cette dichotomie entre l’unité de référence sur laquelle se fondent les prestations d’aide à la pauvreté a des conséquences importantes du point de vue de l’application des règles opérantes. Ceci va conduire à prolonger la répartition traditionnelle des rôles entre les sexes dans les couples, mais cette fois de façon implicite et non plus explicite comme pouvait l’entériner une allocation « femme au foyer ». En effet, en fermant les yeux sur la répartition individuelle du travail et des revenus dans la famille, ces règles de l’aide sociale vont permettre au gouvernement domestique (Fraisse, 2000) de continuer à fonctionner sur un mode de domination économique masculine tel qu’il s’est construit au fil des siècles : le rôle de la femme reste circonscrit aux tâches familiales tandis que celui de l’homme se déploie dans l’espace public. De fait, la régulation des personnes pauvres sera nécessairement sexuée.
L’existence de l’obligation de travail, comme moyen de déterminer le mérite d’une personne à être aidée, s’ancre dans l’emploi ou dans la famille selon que le bénéficiaire de l’aide est un homme ou une femme. L’employabilité, tout comme la « maternabilité », sont des notions socialement construites. Les contours de l’aide sociale et les obligations qui y sont associées vont connaître de profondes transformations, en particulier pour les femmes. Le déplacement de l’obligation de la famille vers l’emploi dépendra de leur statut familial et marital. Le passage de la « maternabilité » à l’employabilité des femmes dans l’aide sociale va s’opérer de façon progressive et ne sera pas généralisé à l’ensemble des femmes.

2 – L’adieu au maternalisme [7] ?

2.1 – De la « maternabilité » des femmes…

2.1.1 – L’avènement de la femme au foyer

18Un retour sur l’histoire permet de prendre la mesure du poids de la maternité dans l’accès à citoyenneté sociale des femmes. La fin du XIXe siècle est marquée par une forte dénatalité qui effraie et c’est en partie sur cette base que vont se redéfinir les droits et les devoirs des femmes dans la société. Durant les années 1930, la législation sociale va se construire en cherchant à permettre aux femmes de rester au foyer : « les femmes sont sommées de rejoindre leur foyer et d’y accomplir leur rôle de mère » (Cova, 1997). La politique familiale française, institutionnalisée en 1938 [8] avec la généralisation des allocations familiales à l’ensemble de la population active, va se construire sur le modèle traditionnel de Monsieur Gagnepain. Ces allocations familiales sont majorées dans le cas où la mère est au foyer, cette majoration s’élève à 5 % du salaire moyen départemental. Pour financer cette majoration, on supprime les allocations versées pour un enfant quand celui atteint l’âge de 5 ans. Le Code de la famille de 1939 transforme cette majoration en « allocation de mère au foyer » (AMF) ; son montant atteint 10 % du salaire moyen départemental et les allocations familiales sont supprimées au premier enfant (pour lequel l’AMF est néanmoins maintenue).

19L’étape suivante de l’institutionnalisation d’une allocation maternelle sera franchie par le gouvernement de Vichy qui crée l’allocation de salaire unique (ASU) ; elle s’adresse aux familles dans lesquelles l’homme est salarié (tous secteurs confondus). Cette allocation est reconduite dans le Code de la famille en 1946, certes dans un esprit différent (car étendue aux enfants naturels et aux enfants étrangers), mais augmentée pour le deuxième enfant [9].

20Au début des années 1950, lorsque l’épouse d’un salarié reste au foyer ou devient inactive : s’ils ont un enfant, ils perçoivent 20 % du salaire de référence et s’ils en ont deux, 60 % (avec trois enfants, l’allocation atteint 80 % du salaire de référence). Finalement, une famille avec deux enfants recevait en prestation l’équivalent du salaire d’une ouvrière (Schweitzer, 2002 ; Martin, 1998). Cette allocation peut être vue d’une certaine manière comme la rémunération de la « production d’enfant ». On parle de « salaire maternel » mais il s’agit en fait d’une allocation familiale et non pas d’une rémunération attribuée à la mère. C’est pourquoi, alors que le salaire de l’homme lui procure des droits sociaux, la femme au foyer ne dispose d’aucun équivalent. Cette allocation ne lui revient pas à elle mais à la famille ; de fait elle n’acquiert aucun droit propre : elle est une ayant-droit de son conjoint.

21Les règles collectives régissant la politique familiale reposent explicitement sur la « maternabilité » de la femme, c’est-à-dire la fonction de mère et sur l’employabilité de l’homme, c’est-à-dire la fonction de travailleur au sens marchand. Ces orientations durant les années 1940 et 1950 ont contribué à instaurer une régulation de la famille et de l’activité des femmes via la politique familiale en se fondant sur une opposition entre natalité et travail des femmes. La natalité étant la priorité, on a donc incité à l’inactivité des femmes de sorte à les encourager à faire des enfants ; c’est en quelque sorte la contrepartie qui leur est demandée en échange du soutien de la solidarité nationale envers les familles.
Il est difficile de savoir dans quelle mesure cette orientation de la politique sociale a eu un effet désincitatif sur l’offre de travail des mères, mais elle a surtout contribué à cristalliser la norme sociale de la femme au foyer (Battagliola, 2001). Ainsi, la régulation sexuée va perdurer sinon explicitement du moins implicitement dans les dispositifs de minima sociaux et la relation de réciprocité qui lie les allocataires femmes à la collectivité va s’appuyer sur une logique de droits et devoirs spécifique et complexe. Spécifique parce qu’elle dépend du statut matrimonial et familial de l’allocataire (nombre d’enfants et âges des enfants) et complexe parce que cette relation mute au cours du temps et évolue selon la coutume et les règles inorganisées qui régissent l’aide sociale, et enfin complexe également car une même femme va voir la nature de la relation de réciprocité qui la lie à la collectivité se modifier selon sa situation (par exemple quand ses enfants grandissent ou si elle se sépare de son conjoint).

2.1.2 – Des « filles-mères » à la monoparentalité

22La construction de la citoyenneté sociale des femmes mariées se distingue de celle des mères isolées. Les premières reçoivent leur droit à une allocation en échange de leur devoir qui consiste à s’investir dans la famille et à faire des enfants, et donc pour cela à renoncer à toute activité économique rémunérée. Pour les secondes, il s’agit d’échapper à la pauvreté, car elles sont le plus souvent plongées dans la grande pauvreté ; elles reçoivent un soutien financier afin de leur permettre d’assumer au mieux le rôle de mère. C’est dans cette optique qu’a été créée l’Allocation de parent isolé [10] en 1976. Cette nouvelle allocation a été l’aboutissement de la reconnaissance de la monoparentalité. La logique était de garantir un niveau de vie minimal aux parents isolés qui sont pour l’essentiel des femmes (85 % des allocataires de l’API sont des femmes, Avenel, 2009). Le terme péjoratif de « filles-mères » a laissé place à des formulations neutres comme « familles monoparentales » ou « parents isolés », qui finalement masquent la réalité sexuée de cette configuration familiale : on est passé du stigmate au déni (voir l’entretien avec Geneviève Fraisse dans ce même numéro).

23L’introduction de l’API s’intègre dans une réflexion globale sur les « lois famille » qui a conduit à une refonte des diverses allocations [11] en 1978 en une seule allocation. La durée des droits à l’API s’inscrit dans la logique de celle de l’ancienne ASU qui, à partir de 1972, était majorée jusqu’aux 3 ans de l’enfant (Martin, 1998).

24Lors de son introduction, l’API n’était assortie d’aucune contrepartie en termes d’insertion dans l’emploi. L’idée que la mère se consacre au soin du jeune enfant était présente dans l’esprit du législateur : « Au fond on accepte de fait que la mère reste au foyer pendant les premières années de l’enfant » (Fragonard, 2010). À l’origine, l’API peut être assimilée à une compensation, certes temporaire, pour les mères isolées de ne pas pouvoir reposer sur les revenus de leur conjoint, contrairement aux mères inactives vivant en couple. La contrepartie implicite à l’API est donc initialement que la femme se concentre sur son rôle de « mère ». Aucune injonction à l’autonomie, ou d’encouragement à rechercher un emploi, n’a été associée au départ au versement de l’allocation et de fait aucune aide spécifique à l’insertion professionnelle n’était prévue.

25Le montant maximal versé au titre de l’API à une mère isolée ayant un seul enfant s’élevait à plus de 1 300 francs : il était équivalent au niveau du SMIC net à temps plein [12]. L’idée que des femmes soient incitées à ne pas travailler pour s’occuper de leur jeune enfant n’était pas à l’époque perçue comme un problème en soi, au contraire. Cette allocation était temporaire et le contexte économique de l’époque, bien qu’en forte dégradation, rendait crédible leur réintégration à l’emploi au terme de leur droit. Rétrospectivement, malgré son pouvoir désincitatif potentiellement fort à l’égard du travail marchand, la réaction des allocataires en termes d’offre de travail a été faible et l’essentiel de la baisse des taux d’emploi des mères isolées de jeunes enfants à la fin des années 1970 s’explique par la montée du chômage qui les a particulièrement affectées (Curraize et Périvier, 2010).

26Finalement, l’API répondait à un besoin spécifique de ressources pour ces femmes et leur rôle de mère justifiait qu’elles perçoivent cette aide, la contrepartie étant de s’occuper de leur jeune enfant. L’API repose donc sur la « maternabilité » des femmes ayant de jeunes enfants, plutôt que sur leur employabilité, leur capacité à s’insérer dans l’emploi.
Si aucune contrepartie en termes d’insertion dans l’emploi n’était exigée des allocataires, elles n’étaient pas non plus explicitement exclues du marché du travail. Cependant leur « statut » de mères de jeunes enfants leur conférait une position peu favorable à l’insertion dans l’emploi. Au côté de l’action collective organisée autour du droit concrétisée par le vote de la loi qui créa l’API, coexistait un ensemble d’actions collectives inorganisées. Les pratiques de terrain, notamment, renforçaient le poids de la maternité comme justification de la perception d’une allocation issue de la solidarité nationale. Par exemple, la façon dont les travailleurs sociaux considéraient les allocataires de l’API à la recherche d’un emploi était différente de celle dont ils traitaient les autres cas de chômage à la fin des années 1970. Ray (1983) constatait au début des années 1980 que le mois précédant l’attribution de l’API, le nombre de femmes inscrites à l’ANPE augmentait fortement pour diminuer ensuite, une fois l’allocation versée. Il attribue cette fluctuation non pas à une modification du comportement des allocataires mais à celui des agents de l’ANPE qui les classaient systématiquement comme inactives plutôt que comme chômeuses à la recherche d’un emploi. Dans les pratiques de terrain et dans les normes implicites, les femmes étaient perçues comme « mères avant tout » ; l’aide qu’elles percevaient au titre de l’assistance était légitimée par ce « rôle spécifique ».

2.2 – …à leur employabilité ?

2.2.1 – Le RMI, les femmes et l’emploi

27Au cours du temps, la contrepartie à l’aide sociale pour les femmes va se transformer pour passer d’une logique fondée sur leur « maternabilité » à celle fondée sur leur employabilité, du moins pour certaines d’entre elles. Le lien entre famille et emploi s’est modifié sous la pression économique et le mouvement d’émancipation des femmes. Lorsqu’aux milieux des années 1950, le besoin de main-d’œuvre et les exigences économiques mettent à mal l’idée de la mère au foyer, les normes sociales portant le modèle de la famille traditionnelle sont encore trop prégnantes pour que la règle ne s’adapte aux besoins économiques. L’ASU ne sera pas abandonnée, mais désindexée du salaire de référence, ce qui conduira à son dépérissement. Elle sera définitivement supprimée en 1978 ; lui succède le complément familial dont le versement n’est plus conditionné à l’arrêt d’activité de la mère ; la prestation est donc d’une toute autre nature.

28La dégradation progressive du marché du travail à partir du milieu des années 1970 et les conditions économiques défavorables vont engendrer le chômage de masse et le chômage de longue durée dans les années 1980. Le RMI est introduit en 1988 pour répondre aux nouvelles formes de pauvreté issues de l’augmentation du nombre de personnes sans emploi et non indemnisées. Le RMI a conduit à une systématisation de l’aide sociale aux personnes les plus pauvres, en garantissant un revenu minimum à tous les ménages. La logique de réciprocité portée par le RMI est toute autre que celle portée par l’API. Dès son introduction, le RMI est assorti d’une contrepartie en termes d’insertion. Le dispositif cherche à aider les personnes qui cumulent de multiples handicaps compromettant leur chance d’obtenir un emploi rapidement. La vision de l’insertion adoptée par la loi est donc large et repose sur différentes modalités d’action (la santé, le logement, la formation, etc., Besson, 2009). Néanmoins, l’objectif visé est l’insertion professionnelle. Même si la contrepartie était peu contraignante, l’idée que l’allocataire entre dans un processus d’insertion dans l’emploi est bien présente dans l’esprit du législateur, ce qui n’était pas le cas pour l’API. La coutume de la solidarité domine dans les deux dispositifs, mais l’articulation avec celle du mérite n’est pas de même nature : alors que le « i » d’API renvoie au statut familial de la mère « isolée », qui justifie la perception de l’allocation, le « i » du RMI renvoie au statut dans l’emploi de l’allocataire. Ceci reflète un compromis social sous-jacent propre à chacune des deux allocations.

29La création du RMI va modifier l’articulation des droits et devoirs des femmes allocataires de l’aide sociale par deux biais : le premier est la diffusion à l’API de l’idée d’insertion ; le second est le traitement de l’insertion selon le sexe au sein des bénéficiaires du RMI.

30L’idée que l’API devait être assortie d’un encouragement au retour à l’emploi émerge progressivement avec l’introduction du RMI. Le premier pas repose non pas sur une logique de contrepartie mais sur le principe de non-discrimination. Il tient à la volonté de ne pas exclure, donc ne pas discriminer, les « apistes » en leur refusant les aides à l’insertion dont d’autres pouvaient bénéficier. L’amendement Roudy au texte de loi du RMI en 1988 s’inscrit dans cette logique ; il a permis d’élargir, sans contraindre, les aides au retour à l’emploi aux allocataires de l’API qui étaient initialement pensées et réservées aux « rmistes ». Cette disposition n’a d’ailleurs pas fait l’unanimité, comme en témoigne la contestation en justice par un syndicat d’assistantes sociales qui dénonçait le fait que les CAF aient l’obligation de signaler aux différents services sociaux l’ouverture d’un droit à l’API ; le syndicat y voyait le renforcement du contrôle social sur les allocataires (Fragonard, 2008). Par la suite, le suivi statistique des allocataires de minima sociaux montrera que presque la moitié des allocataires de l’API se retrouvent au RMI au terme de leur droit à l’API (Pla, 2007). Ainsi l’idée de leur ouvrir, sans jamais l’imposer contrairement au RMI, les dispositifs pour faciliter leur insertion professionnelle a fait son chemin.
Parmi les allocataires du RMI, on compte autant de femmes que d’hommes, mais leur situation familiale diffère fortement. Les parents isolés sont essentiellement des femmes (24 % contre moins de 2 % d’hommes), dans la continuité de l’API. Les personnes seules qui forment le groupe d’allocataires le plus important (58 %) est composé pour deux tiers d’hommes (tableau 1). Enfin, les couples représentent 17 % des allocataires. Avec cette catégorie de ménage, apparaît l’ambiguïté portée par un dispositif qui associe une allocation familiale à l’idée d’insertion qui, elle, est individuelle. Dans le cas de l’API, ou dans celui des célibataires ou parents isolés percevant le RMI, les choses sont simples dans la mesure où, par définition, l’adulte est isolé, donc si contrepartie il y a, elle doit être assurée par lui seul. Comment sont traités l’homme et la femme dans le couple ? Qui doit se réinsérer dans l’emploi ? Selon la loi, les deux conjoints doivent signer un contrat d’insertion. Dans les faits, il est difficile de savoir lequel des deux membres du couple s’engage dans une démarche d’insertion en endossant le contrat (Demailly, Bouchoux et Outin, 2002). Le contrat d’insertion associé au RMI était finalement rarement signé. Mais le passage au RSA, qui resserrera la contrainte d’insertion, va amplifier la difficulté liée au fait que le couple est perçu comme une entité.

Tableau 1

Les allocataires du RMI et du RSA selon le sexe et la configuration familiale

Tableau 1
En % RMI RSA 2001 2008 2009 Sans contrat Avec contrat Total Total RSA activité seul Couple Sans enfant Avec enfant(s) 29,5 nd nd 24,9 nd nd 16,5 3,5 % 13,0 % 18 nd nd 31 nd nd Mère isolée 19,2 19,4 22,6 34 36 Père isolée nd nd 1,8 % Personne seule Femme Homme 51,3 15,9 35,4 55,7 18,4 37,3 59,1 20,4 38,7 48 18 30 33 19 14 Champs : France métropolitaine. Lecture du tableau : en 2008, 16,5 % des ménages allocataires du RMI étaient des couples ; en 2001, 24,9 % des ménages allocataires du RMI ayant signé un contrat d’insertion étaient des couples ; en 2009, 18 % des ménages allocataires du RSA sont des couples ; 31 % des ménages allocataires du RSA activité seul sont des couples. Sources : pour le RMI : Insee, Regards sur la Parité, 2009 ; Cnaf, fichier FILEAS, données au 31 décembre 2008 ; Colonnes 2 et 3 : Etudes et résultats, n°193. Pour le RSA : Cazain et Siguret, 2009.

Les allocataires du RMI et du RSA selon le sexe et la configuration familiale

31Le processus de mutation de la « maternabilité » des femmes vers leur employabilité n’est pas un mouvement uniforme ni même linéaire dans le temps. À chaque réforme de ces dispositifs sociaux, le rôle social de la mère est discuté. Leur entrée progressive et massive dans le salariat depuis les années 1970 et l’évolution de la famille (avec en particulier la montée du divorce) ont modifié les normes sociales autour de la place des femmes dans la société.

2.2.2 – La rhétorique de l’incitation financière

32À mesure que la rhétorique des incitations financières a progressé durant les années 1990 partant des chômeurs puis des allocataires du RMI, elle s’est propagée aux « apistes ». Au moment des débats sur la loi instituant le RMI, l’idée que l’allocation pouvait décourager l’emploi ou encourager la paresse était présente, et le montant du RMI a été déterminé de sorte à ne pas télescoper le SMIC et à préserver le lien entre revenu et activité (Cytermann et Dindar, 2008). Le fait que l’API puisse décourager les allocataires à (re-)travailler et avoir un effet dommageable sur l’emploi des femmes est devenu progressivement problématique. L’optique maternaliste va céder la place à une optique de marchandisation, via l’insertion dans l’emploi des allocataires. Pour cela, les incitations financières à (re-)prendre un emploi vont être renforcées. D’une part, le pouvoir d’achat relatif de l’API et du RMI s’est dégradé du fait d’un mode d’indexation défavorable [13]. D’autre part, la loi Aubry de 1998, dite « Loi de lutte contre l’exclusion sociale », a permis le cumul des revenus d’activité avec l’API au moins temporairement [14]. Par ailleurs, les possibilités de réinsertion offertes aux allocataires ont été renforcées. Petit à petit, la contrepartie à la perception de l’API va s’aligner sur celle du RMI, le tout restant dans une logique de volontariat et de droits individuels : droit pour les « apistes » à bénéficier des mêmes aides pour s’insérer dans l’emploi que celles à disposition des « rmistes ». Les représentations que les allocataires se font de la prestation à la fin des années 1990 illustrent le passage progressif vers un objectif d’insertion dans l’emploi. Certaines la percevaient comme une aide indispensable leur permettant de chercher un emploi et un mode de garde pour leur enfant dans de meilleures conditions afin de retrouver le plus rapidement possible leur autonomie financière. D’autres la voyaient comme une légitimation implicite de leur inactivité par le rôle de mère que l’API leur reconnaissait ; elles reportaient leur insertion professionnelle à plus tard et se concentraient sur la sphère domestique considérant que le temps qu’elles passaient avec leur(s) enfant(s) était prioritaire sur la reprise d’un travail (Aillet, 1998).

33Le renforcement des incitations financières repose sur l’idée qu’il est plus équitable que quelqu’un qui travaille perçoive davantage que quelqu’un qui ne travaille pas. La valeur travail replacée au centre de l’aide sociale est la manifestation d’un renforcement de la coutume du mérite relativement à celle de la solidarité. Ce mouvement s’est opéré de façon plus marquée dans d’autres pays : aux États-Unis, la réforme de l’aide sociale en 1996 a contraint les mères isolées à travailler pour percevoir la prestation sociale qui leur était versée initialement sans contrepartie (Morel, 2002; Périvier, 2009). Ce retournement de la contrepartie ne trouve pas sa source dans une modification des compétences de ce groupe de femmes, mais bien dans un changement de conception du rôle qu’elles peuvent et doivent jouer dans la société. Le rôle de mère n’est plus suffisant pour prétendre recevoir le soutien de la solidarité nationale, mais leur insertion dans l’emploi devient un impératif ; c’est pourquoi Anne Orloff (2006) parle de la fin du maternalisme aux États-Unis. Cette orientation n’est pas nécessairement synonyme de gain en bien-être pour les femmes car les conditions d’insertion dans l’emploi de ces mères isolées américaines, en majorité des Noires, peu diplômées et pauvres sont souvent très difficiles. La poussée néolibérale des années 1980 aux États-Unis, qui dénonçait le carcan de dépendance que représentait l’aide sociale aux mères isolées, a donc conduit à une profonde modification de la logique de réciprocité entre la collectivité et les femmes allocataires. Elles ont été sommées de travailler pour s’émanciper au prix de conditions de vie dégradées. Cela illustre le conflit entre les trois piliers du système capitaliste que sont la marchandisation, la protection sociale et l’émancipation, tels que les décrit Nancy Fraser (cf. article dans le présent numéro).
Le remplacement de l’API et du RMI par le RSA en 2009 rend plus visible l’incohérence d’un dispositif assis sur la famille mais reposant sur l’effort individuel, car la contrepartie devient plus stricte et plus précise. Il ne s’agit plus seulement de signer un contrat d’insertion au sens large mais de renforcer la position de l’individu dans l’emploi. Dans le cas d’un couple, lequel des deux conjoints est concerné : un seul, les deux ?

3 – La solidarité active à l’épreuve du genre

3.1 – Le seuil des droits et devoirs

3.1.1 – Des droits familiaux …

34L’instauration du RSA s’inscrit dans la continuité des réformes passées qui remettent l’emploi au cœur de la stratégie de lutte contre la pauvreté (encadré). L’idée d’une solidarité dite « active » marque la volonté explicite de remettre les allocataires au travail par opposition à une solidarité tout court qui les enfermerait dans une situation de dépendance vis-à-vis de la collectivité. À côté du versement de l’allocation qui lisse les effets de seuil au moment de la reprise d’un emploi, la loi instituant le RSA renforce l’exigence d’insertion, elle responsabilise, voire culpabilise, les bénéficiaires du RSA. Comment cette orientation générale va-t-elle s’appliquer dans la famille ; l’insistance sur l’autonomie des individus vaut-elle pour les femmes comme pour les hommes ?

Le revenu de solidarité active

Depuis le 1er juin 2009, le RSA s’est substitué au RMI (revenu minimum d’insertion) et à l’API (allocation de parent isolé) en France métropolitaine (loi n° 2008-1249 du 1er décembre 2008). Il constitue une modification majeure de la politique sociale mettant l’accent sur l’articulation entre les revenus de l’assistance et les revenus d’activité.
Qui est éligible au RSA ?
  • toute personne résidant en France de manière stable et effective, dont le foyer dispose de ressources inférieures à un revenu garanti,
  • âgée de plus de 25 ans ou qui assume seule la charge d’un ou plusieurs enfants nés ou à naître,
  • de nationalité française ou titulaire depuis au moins cinq ans d’un titre de séjour autorisant à travailler, ou ressortissante d’un État membre de l’Union européenne, d’un autre État partie à l’accord sur l’Espace économique européen ou de la Confédération suisse sous conditions,
  • les travailleurs indépendants, saisonniers ou intermittents, sous conditions.
Le RSA ne concerne pas les personnes ayant le statut d’élève, d’étudiant ou de stagiaire, ni celles qui sont en congé parental, sabbatique, sans solde ou en disponibilité.
Les droits garantis par la loi
? Le droit à un revenu minimum garanti : un droit familial
Comme le RMI et l’API, le RSA est une allocation différentielle qui complète les revenus du ménage jusqu’au niveau garanti. Ce dernier est égal à la somme :
  • d’un montant forfaitaire (RSA socle) qui varie en fonction de la composition du foyer. Il est fixé par décret pour un montant équivalent à celui des anciens dispositifs RMI et API (460 euros par mois, forfait logement compris, pour une personne vivant seule et 780 euros pour une personne élevant seule un enfant de moins de 3 ans : il s’agit du RSA majoré) ;
  • d’une fraction des revenus professionnels des membres du foyer, fixée par décret à 62 % (RSA activité)
RSA = Revenu garanti – ressources du foyer
Revenu garanti = Montant forfaitaire + 62% des revenus d’activité
? Le droit à l’insertion : un droit individuel
Chaque bénéficiaire du RSA (l’allocataire ou son conjoint, concubin ou partenaire lié par un pacte civil de solidarité) a droit à un accompagnement social et professionnel adapté à ses besoins et organisé par un référent unique. La loi préconise que les personnes soient orientées en priorité vers un organisme d’insertion professionnelle (Pôle emploi ou autre organisme de placement en emploi) ou, en cas de difficultés faisant obstacle à une telle orientation, vers un organisme compétent en matière d’insertion sociale (conseils généraux, CCAS, …).
Les devoirs exigés par la loi
? Qui est concerné par les devoirs ?
Les individus appartenant à un ménage dont les ressources initiales sont inférieures au montant forfaitaire, donc qui perçoit le RSA socle, et qui, soit n’ont pas d’emploi, soit ont un emploi avec un salaire mensuel inférieur à 500 euros.
? Quels sont les devoirs ?
Le bénéficiaire doit rechercher un emploi, ou entreprendre des démarches pour créer son activité ou encore s’engager dans une démarche d’insertion sociale ou professionnelle.
Concrètement, une fois que le foyer auquel la personne appartient perçoit le RSA, celle-ci peut être :
  • orientée vers Pôle emploi : dans ce cas, elle est liée par un contrat qui implique qu’elle recherche activement un emploi selon les modalités de droits commun (comme tout chômeur). Elle ne peut pas refuser plus de deux offres « raisonnables » d’emploi.
  • orientée vers un organisme compétent en matière d’insertion sociale : dans ce cas elle entre dans un parcours d’insertion sociale et signe un contrat de même nature que celui que signaient les allocataires du RMI.

35Si le RSA ne constitue pas une rupture dans la philosophie de l’aide sociale, il a été l’occasion d’un véritable bouleversement dans la gestion des minima sociaux, non seulement du point de vue du calcul et du versement de l’allocation mais également du point de vue de sa gouvernance avec une redistribution des rôles des acteurs en charge de l’insertion (Pôle emploi, les départements, les commissions locales d’insertion, les CCAS, les associations, etc.). Loin de simplifier le système de minima sociaux, la loi instituant le RSA s’avère être un dispositif extrêmement complexe.

36Comme c’était le cas avec le RMI et l’API, le RSA socle est une allocation différentielle qui complète les ressources du foyer, de sorte qu’elles soient toujours au moins égales au revenu minimum garanti, en tenant compte de la composition de la famille et de l’âge du plus jeune enfant [15]. Il s’agit donc d’une prestation familialisée. Au RSA socle, s’ajoute le RSA activité qui complète les revenus du travail de façon pérenne, contrairement au mécanisme d’intéressement du RMI qui ne dépassait pas 12 mois. Le RSA activité permet non seulement de renforcer l’écart entre les revenus de ceux qui travaillent et de ceux qui ne travaillent pas, mais aussi de lutter contre la pauvreté des travailleurs (encadré).
Les revenus d’activité sont constitués de la somme de tous les revenus du travail des membres de la famille (y compris ceux des enfants actifs). La répartition de ces revenus entre les membres d’un même ménage n’a pas d’impact sur le calcul de la prestation : dans le cas d’un couple, le montant du RSA est indifférent au fait que les revenus du travail proviennent du seul emploi de l’homme, pendant que la femme s’occupe des enfants, ou bien du travail des deux membres du couple (tableau 2). Pourtant, la façon dont l’emploi se répartit dans la famille, dans les couples en particulier, influence sa situation matérielle. En effet, à revenu égal, un couple bi-actif fait face à des dépenses plus importantes que celles supportées par un couple mono-actif (du fait d’une organisation plus complexe, de la garde des enfants, etc.). Il doit externaliser, et donc acheter [16], une partie au moins du travail non-marchand que la conjointe inactive réalise gratuitement dans le cas d’un couple mono-actif ; ces ressources gratuites, que représente le travail de la femme au foyer, ne sont pas intégrées dans le revenu global du ménage sur lequel repose le calcul du RSA [17].

Tableau 2

Décomposition du revenu selon la configuration familiale et l’emploi

Tableau 2
En euros Couple avec 2 enfants à charge Salaire femme Salaire homme RSA AF PPE Résiduelle Total Total par UC 0 1038 1 SMIC 301 124 0 1463 697 260 25% d’1 SMIC 778 75% d’1 SMIC 301 124 0 1463 697 519 50% d’1 SMIC 1038 100% d’1 SMIC 104 124 49 1834 873 Mère isolée avec 2 enfants à charge, tous deux âgés de plus de 3 ans 1038 1 SMIC - 22 0 54 1114 697 UC : Unité de consommation calculée à partir de l’échelle d’équivalence utilisée par l’Insee, : 1 pour le premier adulte, 0,5 pour les autres personnes âgée de plus de 14 ans et 0,3 pour celles âgées de moins de 14 ans. RSA : Revenu de solidarité active . AF : Allocations familiales. PPE : Prime pour l’emploi résiduelle. Sources : Données issues des cas-types fournis par le Haut commissariat aux solidarités actives, http://www.rsa.gouv.fr/IMG/pdf/castypes.pdf.

Décomposition du revenu selon la configuration familiale et l’emploi

37L’innovation majeure de la loi porte sur l’introduction du seuil des « droits et devoirs » qui marque la volonté de renforcer la contrainte d’insertion dans l’emploi des personnes percevant le RSA. L’ambiguïté du dispositif, déjà présente dans le RMI, résulte de ce que les droits sont familiaux mais les devoirs sont individuels. Les droits sont le versement de la prestation qui bénéficie à l’ensemble des membres du ménage, mais aussi le droit à un accompagnement social et professionnel adapté pour les personnes en âge de travailler (article I. 262.27). Les devoirs quant à eux dépendent de la situation familiale et de celle de l’individu vis-à-vis de l’emploi.

3.1.2 – …mais des devoirs individuels

38Les personnes sans travail ou dont le salaire est inférieur à un certain seuil fixé par décret [18], et qui appartiennent à un ménage bénéficiant du RSA socle (encadré), sont sommées d’entrer dans un processus d’insertion professionnelle balisé et encadré, de sorte à améliorer leur situation dans l’emploi ou à en trouver un rapidement s’ils n’en ont pas (Art. L. 262.28). Le RSA apporte donc une inflexion supplémentaire à l’aide sociale en faisant de l’insertion professionnelle la priorité. En tenant compte de l’état du marché du travail, de la formation du bénéficiaire, de ses qualifications et de ses compétences, celui-ci ne peut pas refuser plus de deux « offres raisonnables d’emploi », telles que définies dans l’article L. 262.35. Dans le cas contraire, les sanctions peuvent aller jusqu’à la suspension du droit au RSA. Les droits à la prestation étant ceux du ménage, si l’un des membres ne remplit pas « ses devoirs », c’est la famille qui est sanctionnée. Selon l’article R. 262.68 du décret d’application (décret n° 2009-404), dans le cas où la personne condamnée appartient à un ménage composé de plus d’une personne, la sanction ne peut aller au-delà de 50 % du montant forfaitaire. La condamnation issue d’un comportement individuel de non-respect de la règle revient donc à réduire le droit à la prestation pour l’ensemble la famille, sauf à imaginer que la sanction soit répercutée au sein de l’organisation familiale sur l’individu n’ayant pas assumé ses devoirs spécifiques (Périvier, 2009). Inversement, le caractère familial du RSA risque d’engendrer un traitement différencié du point de vue des devoirs selon que la personne vit en couple ou seule. Cela soulève une véritable question de fond : le dispositif entend-il soutenir l’engagement dans l’emploi de tous les individus allocataires ?
Il n’est pas certain que l’intensification de la coutume du mérite s’accompagne d’une « désexuation » de la régulation des pauvres en mettant fin au maternalisme de l’État social. Certes l’idée d’une contrepartie en termes d’emploi à la perception de l’aide sociale s’est largement diffusée pour concerner l’ensemble des allocataires hommes et femmes, mais elle n’a pas ouvert la boîte noire que constitue la famille.

3.2 – L’activation à plusieurs vitesses

3.2.1 – Le poids de la contrepartie

39Les trois quarts des foyers allocataires sont concernés par le RSA socle (et éventuellement le RSA activité en plus). Tous les individus membres de ces foyers ne rentrent pas pour autant dans le périmètre des droits et devoirs, seuls ceux dont les revenus d’activité sont nuls ou inférieur à 500 euros le sont. Le seuil de salaire en deçà duquel la personne est concernée par des devoirs spécifiques correspond à un temps de travail hebdomadaire inférieur à 16 heures rémunérées au Smic. En théorie, toute personne qui ne travaille pas ou pas suffisamment et qui bénéficie du RSA socle est concernée par le « devoir » de formation et de recherche d’emploi. Les femmes sont au premier rang puisque d’une part elles sont moins actives que les hommes et que d’autre part elles sont plus souvent à temps partiel (82,4 %, Insee Enquête Emploi 2007), y compris à temps partiel très court.

40Afin de mieux comprendre la complexité des différences de traitement dans la contrepartie introduite par le RSA, plusieurs cas-types de ménages allocataires du RSA, selon la configuration familiale sont distingués :

41A : les couples allocataires du RSA activité seul (c’est-à-dire ceux dont les revenus dépassent le montant garanti)

42B : les couples percevant le RSA socle (et éventuellement le RSA activité)

43C : les parents isolés percevant le RSA socle (et éventuellement le RSA activité)

44D : les célibataires percevant le RSA socle (et éventuellement le RSA activité).

45Comme pour le RMI, les couples représentent moins de 20 % des bénéficiaires. Néanmoins ils sont deux fois plus représentés parmi les bénéficiaires du RSA activité seul et constituent presque un tiers de ces ménages allocataires au seul titre du RSA activité. Les mères isolées représentent 34 % des ménages percevant le RSA, elles regroupent les anciennes allocataires de l’API et celles du RMI. Enfin les personnes seules représentent moins de la moitié des ménages allocataires du RSA et la répartition entre femmes et hommes est la même que celle qui prévalait pour le RMI, les deux tiers étant des hommes. En revanche, parmi les personnes seules touchant le RSA activité seul, les hommes sont moins représentés (tableau 1).

46Les individus appartenant au type de ménage A ne sont pas concernés par le parcours balisé de retour à l’emploi ou d’augmentation de leur temps de travail. Or la loi ne tient pas compte de la répartition de l’activité entre l’homme et la femme – d’ailleurs aucune statistique permettant de connaître cette répartition au sein des couples bénéficiaires du RSA n’est pour l’instant disponible. Quoi qu’il en soit, pour tous les ménages bénéficiaires du RSA activité seul dans lesquels la femme reste au foyer, l’engagement professionnel de l’homme permet de légitimer la perception du RSA, alors que ce même couple ne serait pas éligible si la conjointe travaillait au sens marchand du terme. Son rôle de « femme au foyer dispensatrice de soin » écarte tout soupçon de paresse, la « maternabilité » de la femme en couple prime encore sur son employabilité. L’un des cas-type donné par le Haut commissariat aux solidarités actives reflète la légitimité explicite d’un couple traditionnel à percevoir la RSA [19]. À aucun moment il n’est question de promouvoir l’activité professionnelle de la conjointe. Le RSA n’est pas là pour l’encourager à travailler, elle est considérée comme étant à charge de son conjoint, au même titre que leurs enfants. Finalement dans ce cas, le RSA peut être assimilé à un retour de la rémunération du rôle « mère au foyer » dans l’esprit de l’ASU, mais limitée aux ménages pauvres.

47Le ménage de type B est le plus complexe car plusieurs configurations sont possibles. Les deux conjoints peuvent être concernés par le seuil des droits et devoirs si leur niveau d’activité individuel est tel qu’ils perçoivent chacun moins de 500 euros par mois. Il est également possible que seulement l’un des deux soit concerné par la contrepartie exigée dans le nouveau dispositif. Quoi qu’il en soit, selon la loi les deux membres doivent être actifs et gagner plus que 500 euros pour sortir du périmètre des droits et devoirs [20]. Le contrat d’insertion associé au RMI devait lui aussi être signé par les deux membres du couple, mais la contrainte était moins forte car l’insertion était entendue au sens large et non pas comme la seule insertion professionnelle. Pour autant cette ambiguïté était déjà présente dans le RMI, c’est pourquoi on parle d’intensification et non pas de rupture dans la logique de réciprocité. En conséquences de la loi instaurant le RSA, les couples traditionnels pauvres devraient être poussés vers la bi-activité, autrement dit les femmes au foyer des ménages percevant le RSA socle ne devraient pas être épargnées par l’obligation d’insertion professionnelle.

48Cependant, la règle collective organisée laisse aux acteurs de vis-à-vis des possibilités d’appliquer plus ou moins strictement l’exigence de contrepartie telle qu’elle est définie par le seuil des droits et devoirs. En effet, la loi précise que la situation familiale peut être prise en compte concernant l’application des devoirs d’insertion [21] : ainsi les travailleurs sociaux qui suivent les bénéficiaires du RSA ont une marge d’appréciation qui peut les conduire à exonérer les femmes inactives en couple de leur obligation d’insertion en tant que bénéficiaires du RSA, mais ils peuvent également les contraindre à se conformer aux devoirs tels qu’ils sont précisés dans la loi. Cette marge d’appréciation risque d’engendrer des disparités territoriales importantes selon le degré de pression qu’exerceront les acteurs de vis-à-vis sur les allocataires : ils pourront avoir une lecture étroite de la loi et pousser dans l’emploi tous les individus relevant du périmètre des droits et devoirs ou bien être plus souples en prenant en compte la situation familiale. Certains départements pourront adopter une vision stricte de la contrepartie en suspendant le versement du RSA aux individus qui ne se conformeront pas à la loi, ce qui peut être une stratégie pour limiter leurs dépenses sociales.

49Pour le type de ménage C, à savoir les mères isolées, l’âge de l’enfant va déterminer le caractère plus ou moins obligatoire de la contrepartie exigée en termes d’insertion dans l’emploi. Tant que l’enfant a moins de 3 ans, autrement dit pour toutes les anciennes bénéficiaires de l’API, la loi précise explicitement qu’elles ne sont concernées par les devoirs spécifiques qu’une fois la garde de leur enfant assurée [22]. Consciente des difficultés soulevées par la pénurie de mode de garde [23], la collectivité n’est pas en mesure d’exiger des mères isolées de très jeunes enfants qu’elles travaillent. Toutefois, l’insertion professionnelle de ces femmes fait l’objet d’une attention particulière : l’accompagnement social spécifique qui leur est accordé montre la volonté de les conduire vers l’emploi (Avenel, 2009).

50Dès que l’enfant a plus de 3 ans, elles sont alors soumises aux droits et devoirs comme les autres bénéficiaires. Certes la loi autorise une interprétation souple de la contrepartie lorsque les contraintes familiales sont fortes, de la même façon que pour les couples traditionnels percevant le RSA socle. L’aspect plus ou moins coercitif des devoirs sera donc encore une fois laissé à l’appréciation des conseils généraux qui sont en charge de l’insertion, avec les mêmes risques que ceux évoqués précédemment.
Enfin, pour les ménages de type D, les célibataires hommes ou femmes, sans enfant à charge et qui perçoivent le RSA socle, la contrainte est sans appel, ils doivent impérativement rechercher activement un emploi.
Finalement, la logique de réciprocité qui inspire le RSA n’a pas mis fin au maternalisme. Une catégorie de femmes avec enfant reste à l’écart de l’exigence d’insertion sur le marché du travail et l’âge du benjamin joue un rôle important dans les modalités d’application de la contrepartie.

3.2.2 – L’injonction à l’autonomie

51La coutume du mérite qui transparaît au travers du périmètre des droits et devoirs dans le RSA s’appuie fortement sur la rhétorique de l’incitation au travail. Il s’agit d’encourager la reprise d’activité en garantissant un gain de revenu à la personne qui accepte un emploi. Or elle ne s’adresse implicitement qu’à l’homme dans le couple et aux personnes isolées avec ou sans enfant. En effet, le caractère familial de la prestation pèse sur les gains du retour à l’emploi des femmes en couple. Les simulations de la DGTPE (tableau 3) montrent que les gains de retour à l’emploi à mi-temps des personnes vivant seules ont été multipliés par 2 ; dans le cas d’un couple dont les deux membres étaient initialement inactifs, si l’un des deux reprend un emploi à mi-temps, le gain a été multiplié par 3,8. En revanche, dans le cas d’un couple dans lequel l’homme travaille à temps plein et la femme est inactive, les gains à la reprise d’un emploi à mi-temps de cette dernière ont été divisés par 2 par rapport à ce qu’ils étaient dans l’ancien système de minima sociaux. Certes, il y a toujours un gain, mais il est plus faible qu’auparavant. Or, si les personnes qui vivent seules ou élèvent seules des enfants sont peu sensibles aux incitations financières (Allègre et Périvier ; 2005 ; Curraize et Périvier, 2010), les femmes mariées peuvent l’être davantage car le couple peut s’organiser autour d’une spécialisation des tâches qui conduit au retrait total ou partiel du marché du travail de la femme. Ceci ne signifie pas qu’à lui seul le RSA va conduire au renouveau du couple traditionnel qui tombait en désuétude, mais il ne cherche pas à rendre autonomes par leur travail les femmes au foyer des couples à bas revenus. Par ailleurs les couples mono-actifs sont les grands gagnants du passage du RMI/API au RSA : ils représentent plus de la moitié des gagnants et perçoivent le gain moyen le plus élevé (Rapport de la commission d’évaluation, 2009 ; Bourgeois et Tavan, 2009). Le Conseil d’orientation de l’emploi (2008), qui avait affirmé la nécessité de soutenir l’emploi des femmes, avait proposé plusieurs pistes pour limiter les effets potentiellement pervers du RSA sur l’activité des femmes en couple [24] ; aucune d’entre elles n’a été retenue.

Tableau 3

Évolution du gain en revenu disponible lié à la reprise d’un emploi depuis l’introduction du RSA

Tableau 3
Type de ménage Reprise d’un emploi à…. Qui sont-ils ? … mi-temps … temps plein Personne seule Multiplié par 2 stable 55 % des personnes pauvres qui vivent seules sont des hommes Famille monoparentale 2 enfants* Multiplié par 1,5 stable 92 % des parents isolés pauvres sont des femmes Couples inactifs 2 enfants Multiplié par 3,8 Multiplié par 1,7 nd Couple monoactif ** 2 enfants Divisé par 2 Divisé par 1,4 nd * le plus jeune a plus de 3 ans . ** le conjoint qui travaille, travaille à temps plein au SMIC . Lecture du tableau : l’augmentation de revenu disponible liée à la reprise d’un emploi à mi-temps au SMIC a été multipliée par 2 pour une personne qui vit seule avec l’introduction du RSA. Sources : les chiffres sont tirés du tableau 4 de Bourgeois et Tavan (2009), simulations DGTPE. Les simulations sont effectuées hors dispositif d’intéressement, hors droits connexes et aides locales à partir de la maquette Pâris ; législation 2009. INSEE, Regards sur la parité, 2008.

Évolution du gain en revenu disponible lié à la reprise d’un emploi depuis l’introduction du RSA

52Pour les mères isolées, les incitations à reprendre un emploi ont été renforcées (tableau 3) conformément à la tendance générale à faire de leur insertion professionnelle un impératif, en tenant compte des difficultés spécifiques qu’elles rencontrent. Ceci avait été largement exprimé dans de nombreux rapports récents sur les minima sociaux (Wauquiez, 2005 ; Mercier et Raincourt, 2005, Létard, 2006) et le RSA s’inscrit dans cette ligne directrice. Encore une fois, ceci ne signifie pas qu’elles y sont sensibles. Le renforcement de leur gain au travail indique la volonté explicite de les y encourager, mais sans les y contraindre du moins tant que l’enfant a moins de 3 ans.

53Aux regards de ces éléments, il apparaît que les devoirs d’insertion professionnelle ne s’appliqueront pas de la même façon aux hommes et aux femmes. Pour celles qui vivent en couple, l’inactivité reste perçue comme légitime étant donné leur rôle de « mères dispensatrices de soin à la famille ». La société reconnaît encore aujourd’hui cette fonction spécifique, et cela se traduit dans la politique sociale par le droit à percevoir l’aide sans contrepartie tant que leur conjoint travaille. Les règles opérantes de tri par l’institution assistancielle reflètent l’ambiguïté du statut de citoyenneté sociale des femmes. Trois critères discriminants vont implicitement s’appliquer lors la transformation de la contrepartie issue de la montée de l’idéologie du mérite : le sexe de l’allocataire, le statut marital et l’âge des enfants.

Conclusion

54Les différences de traitement des femmes et des hommes dans l’assistance reposent sur des normes et des règles liées au consensus social concernant la division sexuée du travail dans la société. La lame de fond insufflée par la montée en charge de la coutume du mérite dans l’institution assistancielle a enclenché un mouvement de bascule de la « maternabilité » des femmes vers leur employabilité, au moins pour certaines d’entre elles. Ceci ne tient pas à une modification des compétences et des caractéristiques de ce groupe de femmes vis-à-vis du marché du travail, mais plutôt dans un changement de conception du rôle qu’elles peuvent jouer dans la société. Si la norme sociale a modifié la vision des mères isolées devenues employables, cela n’est pas le cas pour les mères en couple, dont l’employabilité reste d’une certaine façon optionnelle : rien de les empêche de travailler, mais si elles ne le font pas, leur famille peut percevoir l’aide sociale sans contrepartie en termes d’emploi de leur part. Ainsi, la légitimité du recours à la solidarité nationale par un couple traditionnel n’est pas questionnée, il est justifié par l’emploi de l’homme et le statut de « mère au foyer », qui fait de la femme une « inactive légitime ».

55Dès lors qu’elle ne vit plus en couple, son employabilité change de nature, cette même femme doit, dans la mesure du possible, chercher à être autonome. Les mères isolées ayant des jeunes enfants à charge sont encore exemptées de contrepartie [25]. Ceci s’explique en partie par la pénurie chronique de mode de garde qui compromet leur accès au marché du travail. Mais celles-ci devront faire la preuve de leur bonne volonté à s’insérer sur le marché du travail une fois leur enfant scolarisé, contrairement à celles qui vivent en couple et qui restent protégées par l’emploi de leur conjoint. L’orientation de la politique d’assistance aux personnes pauvres en France, qui vaut pour d’autres pays, conduit à une nouvelle injonction faite aux femmes : « Travaillez ou bien mariez-vous ».

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Mots-clés éditeurs : minima sociaux, pauvreté, égalité entre les sexes, aide sociale, institutionnalisme, incitation au travail, insertion

Date de mise en ligne : 01/07/2010

https://doi.org/10.3917/reof.114.0237

Notes

  • [1]
    Elle s’appuie sur la pensée institutionnaliste de l’économiste américain John Commons (1861-1945) pour analyser les mutations de la logique de réciprocité dans l’assistance aux États-Unis et en France au travers l’instauration du workfare américain et celle de l’insertion associée au RMI.
  • [2]
    Ceci malgré les vives critiques que ces travaux ont suscitées, notamment celles de Sterdyniak (2001).
  • [3]
    Tout allocataire du RMI depuis plus d’un an pouvait se voir proposer un emploi par un employeur (secteur privé ou non marchand) pour au moins 20 heures de travail par semaine dans le cadre du contrat d’insertion signé avec le département.
  • [4]
    Loi de programmation pour la cohésion sociale du 18 janvier 2005.
  • [5]
    Ce concept recouvre différentes réalités qui ont varié au cours du temps et selon les acteurs qui s’en sont saisis depuis des décennies.
  • [6]
    Le seuil retenu le plus couramment utilisé en Europe est 60 % du revenu médian, mais on a aussi souvent utilisé, notamment en France, le seuil de 50 %.
  • [7]
    Selon les termes d’Orloff (2006).
  • [8]
    Décrets-lois du 11 novembre 1938.
  • [9]
    À partir de 1949, l’ASU est supprimée pour l’enfant unique de plus de 10 ans, et en 1959 elle est supprimée pour l’enfant unique de plus de 5 ans, alors que les jeunes ménages sans enfant ont encore droit à l’ASU pendant 2 ans au taux de 10 % et ceci jusqu’en 1967.
  • [10]
    L’API est une allocation différentielle qui complète les ressources d’un parent élevant seul un ou plusieurs enfants. Le droit à l’allocation est maintenu jusqu’aux trois ans du benjamin, il s’agit de l’API longue. L’API dite « courte » est versée au parent isolé quel que soit l’âge des enfants à charge pendant une année après la séparation d’avec le conjoint.
  • [11]
    Allocation mère au foyer et son supplément, l’allocation salaire unique et son supplément et l’allocation pour frais de garde.
  • [12]
    Il s’agit du SMIC net pour la durée moyenne de travail observée chez les ouvriers en 1976 (Insee, 1978).
  • [13]
    En effet les minima sociaux étant indexés sur les prix et le Smic étant sujet à des coups de pouces réguliers, l’écart entre les montants garantis et les revenus du travail s’est mécaniquement accru au fil du temps (Périvier, 2006).
  • [14]
    Aucun cumul de revenu n’était possible entre les revenus d’activité de l’allocataire et l’API, sauf le cumul total le premier mois.
  • [15]
    Un parent isolé élevant seul un ou plusieurs enfants dont l’un a moins de 3 ans perçoit une majoration, ce qui a permis de conserver le niveau des montants que garantissait l’API.
  • [16]
    La prestation d’accueil du jeune enfant permet de compenser une partie de ces coûts, en particulier ceux liés à la garde des jeunes enfants non scolarisés.
  • [17]
    C’est également le cas des avantages en nature procurés par l’exploitation d’un jardin privatif (Art. R 262.9, décret n°2009-404 du 15 avril 2009).
  • [18]
  • [19]
    « Michel, 42 ans, cariste à temps plein dans un entrepôt. Payé au Smic, il vit avec Brigitte, sa femme, qui garde leurs deux enfants à la maison. À quatre sur le salaire de Michel, ce n’est pas facile. Grâce au RSA, il bénéficie d’un complément de revenus de 301 euros par mois. Compte tenu de l’ajustement de la prime pour l’emploi, cela correspond à un gain mensuel de 212 euros. » http://www.rsa.gouv.fr/IMG/pdf/GP.pdf
  • [20]
    Art.L. 262.27 : « Pour l’application de la présente section, les mêmes droits et devoirs s’appliquent au bénéficiaire et à son conjoint, concubin ou partenaire lié par un Pacte civil de solidarité… ».
  • [21]
    Art. L. 262.35.
  • [22]
    Art. L 228-28.
  • [23]
    Près de 9 allocataires de l’API sur 10 ne recherchent pas d’emploi du fait d’une indisponibilité pour raisons familiales (Pla, 2007).
  • [24]
    Parmi ces propositions figuraient une majoration du montant garanti en cas de bi-activité dans le couple, ou l’instauration d’une pente plus favorable lorsque les deux membres du couple sont actifs occupés, ou encore l’instauration d’une prime à la bi-activité…
  • [25]
    Sylvie Morel (1996) montre comment, aux États-Unis, l’âge du plus jeune enfant à charge légitimant le recours à l’assistance sans contrepartie a été petit à petit avancé pour atteindre désormais 1 an.

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