Couverture de REOF_098

Article de revue

La valeur du yuan

Les paradoxes du taux de change d'équilibre

Pages 77 à 127

Notes

  • [*]
  • [**]
  • [***]
  • [1]
    Voir par exemple : Jeong et Mazier (2003), Bénassy-Quéré et al. (2004), Wang (2004), Frunke et Rahn (2004), Coudert et Couharde (2005), Dunaway et Li (2005) et Frankel (2005).
  • [2]
    Le solde commercial avec le Canada et le Mexique représente également 20 %, l’UE et le Japon environ 11 % chacun.
  • [3]
    Les prix des exportations chinoises peuvent être surévalués s’il s’agit de transactions inter-firmes multinationales puisque celles-ci peuvent préférer, pour des raisons fiscales, faire apparaître leurs profits en Chine plutôt que dans leur pays d’origine.
  • [4]
    On en trouvera une étude détaillée dans Prasad et Wei (2005).
  • [5]
    En intégrant le poste « erreurs et omissions » dans les entrées de capitaux.
  • [6]
    Avec une méthode identique, Coudert et Couharde (2005) trouvent une sous-évaluation du renmibi par rapport au dollar de 50 à 43 % pour 2003.
  • [7]
    Williamson (1994), traduction des auteurs.
  • [8]
    Formellement, Smin est la solution de l’équation :
    equation im40
  • [9]
    Traduit de l’anglais par les auteurs.

1Que le yuan soit sous-évalué semble faire la quasi-unanimité dans les milieux académiques et économiques, comme en témoigne l’omniprésence des termes « sous-évaluation » ou « réévaluation » apposés à la Chine dans les journaux économiques (graphique 1). De nombreux travaux ont cherché à évaluer l’ampleur de la sous-évaluation en utilisant différents modèles [1] ; la plupart concluent à une sous-évaluation de l’ordre de 15 à 30 %. Pourtant, la Chine ne semble guère souffrir de ce désajustement : sa croissance est vigoureuse, son solde extérieur excédentaire, son inflation reste modérée.

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Nombre d’articles dans les sections « Banking and Finance » et « Business and Management » contenant les mots « China » et « undovervaluation » ou « revalue »

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Nombre d’articles dans les sections « Banking and Finance » et « Business and Management » contenant les mots « China » et « undovervaluation » ou « revalue »

Source : Lexis-Nexis.

2Il est donc nécessaire d’approfondir la notion de sous-évaluation et de définir précisément le taux de change d’équilibre par rapport auquel on la mesure. Certains auteurs font référence à une norme (la parité des pouvoirs d’achat), mais celle-ci ne s’applique pas à des pays de niveaux de développement différents. D’autres voient la preuve de la sous-évaluation du yuan dans le déficit courant américain ou dans la persistance du chômage de masse en Europe continentale. Ces déséquilibres mondiaux seraient causés par la politique de la Banque Populaire de Chine (BPC), qui maintiendrait artificiellement le taux de change du renminbi à un trop bas niveau. Mais, dans un système monétaire international qui fonctionne sans règles de bonne conduite, la stratégie de change de chaque pays ne peut être jugée que du point de vue de ses propres intérêts. Qui peut soutenir que la Fed tient compte des intérêts de l’Europe pour définir sa stratégie de change ? La stratégie de change de la Chine ne peut donc être jugée que du point de vue de sa stratégie de croissance. Or, celle-ci apparaît comme un succès éclatant, de sorte que l’observateur impartial est plutôt tenté de mettre en cause la politique économique de la zone euro en ce qui concerne son chômage, ou des États-Unis en ce qui concerne leur déficit courant.

3Certains économistes (en particulier les économistes américains de l’Institute for International Economics : Goldstein, 2004, 2005 ; Goldstein et Lardy, 2003, 2005 ; Williamson, 2004 ; Bergsten, 2006 ; mais aussi Frankel, 2004) demandent à la Chine de réévaluer son taux de change de 15 à 40 %, ce qui permettrait de réévaluer l’ensemble des devises asiatiques et donc de diminuer les déséquilibres mondiaux. Ils approuvent le Parlement américain qui menace la Chine de sanctions commerciales si elle ne réévalue pas significativement. D’autres (McKinnon, 2004, 2005 ; Bosworth, 2004 ; Dooley et alii, 2004 ; Aglietta, 2005) estiment au contraire que la Chine ne doit pas céder aux pressions américaines qui risqueraient de briser sa croissance et de l’entraîner dans une crise similaire à celle qu’a connu le Japon après son Endaka.

4Cet article se propose de montrer que les modèles de taux de change d’équilibre généralement utilisés ne sont pas pertinents pour une économie en développement telle que l’économie chinoise, soit précisément une économie qui ne recherche pas l’équilibre. La Chine souffre d’un sous-emploi massif ; un taux de change sous-évalué au regard des critères traditionnels lui permet d’impulser la croissance vigoureuse nécessaire pour résorber son chômage. En tant qu’outil de politique économique, le taux de change chinois est à un niveau satisfaisant du point de vue de la croissance chinoise. Plus généralement, le taux de change optimal d’un pays émergent ne peut être défini que relativement à une stratégie de croissance : plus le pays désire une croissance vigoureuse, plus il est prêt à faire un effort d’épargne, plus il doit pratiquer un taux de change faible.

5Le première partie de l’article décrit les points saillants de l’évolution de l’économie chinoise depuis 1994, date où la Chine est passée officiellement en régime de change flottant, en fait en régime de change fixe avec le dollar ; la deuxième présente et discute les évaluations du taux de change d’équilibre de la Chine que l’on trouve dans la littérature ; la troisième partie propose un modèle dans lequel le taux de change d’un pays en développement est volontairement fixé à un bas niveau pour permettre une croissance vigoureuse ; enfin, la quatrième partie discute du régime de change souhaitable pour la Chine.

1 – Une croissance vigoureuse

6La Chine obtient, depuis plusieurs années, une croissance parmi les plus dynamiques du monde : de 1995 à 2004, la croissance de son PIB a été de 8,5 % l’an en moyenne contre 3,3 % aux États-Unis et 2,2 % dans la zone euro (graphique 2). Seuls, quelques pays d’Asie approchent cette performance : le Viêt-Nam et Myanmar (7,2 %) ou encore l’Inde (6,1 %).

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Croissance des PIB réels chinois, européen et américain

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Croissance des PIB réels chinois, européen et américain

Sources : Global Insight, Eurostat.

7Depuis 2003, la dégradation du solde courant américain (6,5 % du PIB en 2005 soit 5 points de plus qu’en 1993-1997) a suscité de violentes mises en cause de la responsabilité du régime de change chinois dans la désindustrialisation de l’économie américaine : le déficit courant américain serait en grande partie attribuable au déficit commercial bilatéral avec la Chine (graphique 3), qui pour préserver sa compétitivité internationale aurait maintenu un taux de change fixe sous-évalué par rapport au dollar. Cependant, le déficit vis-à-vis de la Chine n’explique qu’une faible part du déficit global américain (environ 20 % [2]) et ne peut donc être considéré à lui seul comme un indicateur d’une sous-évaluation du renminbi. Le niveau du taux de change du renminbi doit être jugé avant tout en regard de considérations purement chinoises. Favorise-t-il sa croissance ? Entraîne-t-il des déséquilibres insoutenables ?

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Déficit commercial américain

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Déficit commercial américain

Source : BEA, Survey of Current Business.

1.1 – Le taux de change du yuan : un instrument pour impulser le développement

8La monnaie de la Chine est le renminbi (RMB), son unité de compte est le yuan. De 1994 à la mi-2005, le taux de change nominal du RMB vis-à-vis du dollar a été maintenu fixe (graphique 4). Avant 1994, coexistaient un marché officiel caractérisé par un taux de change fixe et un marché des changes, limité aux devises tirées des recettes d’exportation, où la monnaie évoluait en fonction de l’offre et de la demande (marché swap), sous le contrôle des autorités. Le marché des changes a été unifié en 1994 et aligné sur le taux du marché swap de Shanghai, à 8,277 RMB pour un dollar. Bien que la Chine se soit déclarée en change flottant, les autorités ont stabilisé son taux de change à ce niveau du 1er janvier 1994 jusqu’au 21 juillet 2005, avec une marge de fluctuation très étroite (+/– 0,18 %).

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Taux de change effectif réel * de la Chine et taux de change nominalbilatéral yuan-dollar **

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Taux de change effectif réel * de la Chine et taux de change nominalbilatéral yuan-dollar **

Source : Global Insight.

9À cette date, la Banque populaire de Chine a réévalué le yuan de 2,1 % en portant le taux de change à 8,11 RMB pour un dollar (avec une bande de fluctuation de +/– 0,3 %). De plus, elle a annoncé qu’à l’avenir, la monnaie chinoise ne sera plus ancrée uniquement au dollar mais à un panier de devises (principalement le dollar, l’euro, le yen et le won), sans toutefois préciser les modalités concrètes de ce nouvel ancrage. En fait, le cours pivot est maintenant le cours observé la veille sur le marché, de sorte que la BPC peut faire glisser le RMB de 0,3 % par jour par rapport au dollar. Depuis, le RMB s’est très légèrement apprécié jusqu’à 8,005 RMB pour un dollar, début mai 2006 (soit un rythme de dépréciation de 2 % l’an). Sa hausse totale est donc de 3,3 %. Alors que les Américains réclamaient une réévaluation importante (de l’ordre de 20 %) et menaçaient de prendre des mesures de rétorsion, le geste de la BPC lui a permis de faire baisser la tension et de montrer qu’elle était prête à changer de stratégie tout en marquant qu’elle entendait conserver sa liberté de manœuvre.

1. Les réformes de la politique de change chinoise

Mise sous pression depuis plusieurs années par des partenaires commerciaux agacés qui voient leurs déficits se creuser irrémédiablement ou certains secteurs économiques disparaître, sachant que le rythme de sa croissance économique est conditionné par celui de son intégration dans les échanges internationaux, la BPC a annoncé deux réformes de sa politique de change : le 21 juillet et le 23 septembre 2005. Cependant, il ne faut pas surestimer l’impact de ces réformes ; elles obéissent plus à une stratégie politique qu’à une logique de politique économique. En fait, c’est le signal qui importe. D’abord, la BPC agit à chaque fois par surprise et veut ainsi que la communauté internationale sache que la Chine prend ses décisions hors de toutes pressions. Mais d’un autre côté, les autorités chinoises veulent démontrer qu’elles ne sont pas insensibles à leurs obligations et devoirs en tant que membre de l’Organisation Mondiale du Commerce. Toute la tactique du gouvernement chinois consiste à jouer entre ces deux bornes pour à la fois conserver le rythme de la croissance et l’indépendance dans la prise des décisions ; mais aussi éviter des sanctions américaines et s’intégrer dans l’économie mondiale. La BPC veut pouvoir prétendre qu’elle pratique un flottement géré de la devise ; en fait le régime de change fixe est toujours en vigueur. Du 1er juillet 2005 au 1er févier 2006, les réserves de change de la Chine ont encore augmenté de 135 milliards de dollars.
tableau im5
Réforme du 21 juillet 2005 Régime de change fixe de facto Flottement géré de jure — Du 1er janvier 1994 jusqu’au 21 juillet 2005, le taux de change du renminbi vis-à-vis du dollar est resté à 8,277 RNB/dollar avec une marge étroite de fluctuation (+/– 0,18 %). — Le taux de change du renminbi a été ajusté à 8,11 yuan/dollar le 21 juillet à 19h00. — La réévaluation du yuan n’est que de 2,1 % alors que les Américains estiment la sous-évaluation de 15 à 35 %. — La composition du panier a été révélée mais le poids de chaque devise dans le panier n’a pas été annoncé. — La monnaie chinoise ne sera plus ancrée uniquement au dollar mais à un panier de devises, et le taux de change du RNB/dollar sera autorisé a fluctuer dans une bande de +/– 0,3% autour de la nouvelle parité. — Trois semaines après la réévaluation du yuan chinois et la suppression de son lien fixe avec le dollar américain, la BPC a donné davantage de détails sur la composition du panier de monnaies. Outre le dollar, l’euro, le yen et le won sud-coréen, y figureraient la livre sterling, le dollar australien, le dollar canadien, le rouble russe, ainsi que les monnaies de trois voisins d’Asie du sud-est : le baht thaïlandais, le dollar singapourien et le ringgit malaisien. Réforme du 23 septembre 2005 Régime de change fixe de facto Flottement géré de jure — La largeur de la bande de fluctuation du taux de change du renminbi par rapport au dollar est maintenue à +/– 0,3 % par rapport à la parité centrale sur le marché interbancaire. — La bande de fluctuation du taux de change du renminbi par rapport aux devises autres que le dollar a été élargie sur le marché spot de +/– 1,5 % à +/– 3 %.

Évolution récente dollar /RMB

figure im6

Évolution récente dollar /RMB

10Le taux de change effectif réel de la Chine (c’est-à-dire le taux de change vis-à-vis de l’ensemble des partenaires commerciaux, corrigé des évolutions de prix) s’était lui apprécié jusqu’en 1997 sous l’effet de l’inflation, qui avait culminé à 24 % en 1994, année de l’unification du marché des changes. Après 1994, la fixité du change vis-à-vis du dollar a fourni un ancrage nominal, ce qui contribua à réduire l’inflation en dessous de 3 % dès 1997 (graphique 5) et qui stabilisa le taux de change effectif réel de la Chine. Celui-ci subit alors essentiellement les fluctuations du dollar : appréciation jusqu’en 2001 ; puis, dépréciation de 2001 à 2004. Un pays en développement rapide, dont la monnaie est sous-évaluée devrait connaître une forte inflation qui contribuerait à faire augmenter son taux de change effectif réel, ce n’est pas le cas de la Chine. La fixité du change, le contrôle des prix et l’absence de tensions sur les marchés des biens et du travail lui permet de stabiliser son inflation à un bas niveau.

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Taux d’inflation (prix à la consommation) en Chine 1987-2005

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Taux d’inflation (prix à la consommation) en Chine 1987-2005

Source : Global Insight.

11Depuis 1994, la Chine a choisi une stratégie de maintien de son taux de change afin d’assurer une croissance vigoureuse de son économie chinoise. Son objectif est d’intégrer le maximum de travailleurs dans le tissu productif moderne alors que les travailleurs sous-employés ou au chômage sont nombreux, en particulier dans les zones rurales (tableau 1 et encadré 2). La Chine a opté pour un modèle de croissance par les exportations. Ceci nécessite qu’elle maintienne un taux de change relativement bas pour assurer sa compétitivité. L’importance que revêt pour elle son commerce extérieur fait qu’elle ne souhaite pas que son taux de change soit à la merci des marchés financiers. Par ailleurs, pour assurer son rattrapage technologique, la Chine a besoin d’investissements directs étrangers et d’accords de joint-venture ; ceci nécessite le maintien d’un taux de change stable et bas par rapport au dollar qui assure une forte rentabilité des placements étrangers. C’est au regard de cette stratégie qu’il faut discuter une éventuelle sous-évaluation de son taux de change effectif réel.

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Population totale, population active et emploi en Chine

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En millions 1980 1990 1995 2000 2002 2004 Population totale 987,1 1 143,3 1 211,2 1 267,4 1 284,5 1 299,9 Population rurale (en %) 80,6 73,6 71,0 63,8 60,9 58,2 Population active potentielle 429 653,2 687,4 739,9 753,6 768,2 Emploi 423 647,5 680,7 720,9 737,4 752,0 – Emploi urbain 105,3 170,4 190,4 231,5 247,8 264 – Emploi rural 318,4 477,1 490,3 489,3 489,6 488 Chômeurs 5,4 5,7 6,7 19,0 16,2 16,2 – En zone urbaine 5,4 3,8 5,2 6,0 7,7 8,3 – En zone rurale 0 1,9 1,5 13,1 8,5 7,9 Taux de chômage officiel (en %) 1,2 0,8 0,9 2,5 2,1 2,1 Sources : Asian Development Bank, Global Insight.

Population totale, population active et emploi en Chine

2. Le chômage en Chine

Malgré le dynamisme de la croissance, la question du chômage est cruciale en Chine. De 1995 à 2002, les entreprises publiques ont été restructurées et ont vu leurs emplois passer de 113 à 72 millions. En même temps, malgré le système de permis de résidence (hokou), les différences de revenus attirent les ruraux vers les villes, La mesure du taux de chômage de la Chine est sujette à caution. Officiellement le taux de chômage urbain s’élèverait à 3,1 % en 2002, soit 7,7 millions de chômeurs, mais ce chiffre ne représente que les chômeurs enregistrés (ADB). Selon Brooks (2004), il serait de 5,3 % (13,9 millions de chômeurs), si on y ajoute les xiagang, travailleurs licenciés par leur entreprise, percevant des indemnités salariales et susceptibles d’y être réembauchés. Une étude de l’académie chinoise des Sciences sociales (Gile et al., 2005), réalisée dans cinq grandes villes en utilisant les critères du BIT estime le taux de chômage urbain à 12,7 % en 2001, contre 7,2 % en 1996. Le premier ministre chinois lui-même a reconnu que le taux de chômage urbain était supérieur à 7 % dans un discours en 2002, faisant référence à une enquête non publiée du bureau statistique chinois (OCDE, 2005). Le CIA World Factbook estime le taux de chômage à 9,8 %. Il faut ajouter au chômage urbain le chômage rural et surtout le chômage rural déguisé, qui serait de l’ordre de 20 % des paysans, si on compare la productivité agricole en Chine à celle des pays asiatiques voisins. Ainsi le nombre de chômeurs en Chine serait compris entre 100 et 150 millions, contre 16 millions officiellement. Wang Jian, chercheur de la Commission d’État pour le développement et la réforme, estime qu’il existait plus de 100 millions de chômeurs en Chine en 2003, soit un taux de chômage de l’ordre de 13 %. Selon Brook (2004), la Chine doit actuellement créer chaque année environ 16 millions d’emplois urbains (+ 4 % par an), soit 9 millions en raison de la croissance de la population en âge de travailler, 2 millions en raison des pertes d’emplois dans les entreprises publiques et 5 millions en raison des migrations rurales.

Diverses estimations du taux de chômage urbain en Chine

tableau im9
En % 2001 Taux de chômage officiel (ADB) 3,6 The Economist 9,3 CIA World Factbook 9,8 Wang Jian (2003) 12-15 Gile et al (2005) 12,7 Enquête du bureau statistique chinois (2001) 13,2

Diverses estimations du taux de chômage urbain en Chine

1.2 – La compétitivité chinoise et le taux de change du yuan

12Le principal critère de la sous-évaluation serait que le bas niveau du taux de change se traduise par une compétitivité trop forte, qui induirait une demande étrangère trop dynamique par rapport aux capacités de production, donc des tensions inflationnistes. Le point délicat est qu’un certain déséquilibre est nécessaire pour que l’offre soit effectivement tirée par la demande. De plus, les tensions inflationnistes n’apparaissent guère (graphique 5). Aussi, la plupart des articles évoquent essentiellement l’accumulation excessive des réserves de change, due au surplus du compte courant et aux investissements directs étrangers (tableau 2).

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La sous-évaluation du renminbi

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Goldstein et Lardy (2003, 2004, 2005) Williamson (2004) Frankel (2004) Mc Kinnon (2003, 2005a, b) Les preuves – Contrôle des flux de capitaux – Surplus du compte courant – Accumulation de réserves de change – Surchauffe de l’économie – Augmentation des emprunts bancaires – Le niveau de l’investissement rappelle celle des pays asiatiques avant la crise 1997-1998 – Surplus du compte courant – Augmentation trop rapide des réserves de change – Surchauffe de l’économie – Accumulation des réserves de change – La stérilisation des réserves est de plus en plus coûteuse Pas de signaux de sous-évaluation mais : – Emergence rapide de la Chine – Expansion rapide des exportations – Taux d’épargne élevé – Même stratégie que le Japon entre les années 1960 et les années 1990 Les solutions Réforme en trois étapes : 1. Réévaluation 2. Ancrage du yuan à un panier de devises (dollar, yen et euro) – Assainissement du système bancaire 3. Libéralisation du système bancaire – Libéralisation des mouvements de capitaux – Flottement du taux de change Comme G/L mais reconnaissance du risque de perte de compétitivité et d’accroissement de la volatilité : – Négocier avec les pays asiatiques un réalignement général. – Encadrer la parité d’une large bande de fluctuation. – Contrôle du flottement Ancrage à une devise asiatique comme le dollar de Singapour, lui-même ancré à un panier de devises (dollar, euro, yen et yuan) Conserver le taux de 8,277 yuans/ dollar comme parité de référence – Ne plus évoquer de flexibilité du change – Entourer la parité autour d’une bande de fluctuation mais faire comprendre au marché que le taux central ne sera pas modifié

La sous-évaluation du renminbi

13Les exportations chinoises sont très dynamiques : en volume, elles ont augmenté de 15,5 % l’an de 1990 à 2004, mais de plus de 30 % en 2003 et 2004. La part de marché de la Chine est passée d’un indice 100 en 1994, à 130 en 2000, et devrait dépasser 250 en 2005 (graphique 6). Cependant, la croissance des importations est également très dynamique, et suit pratiquement celle des exportations : 15,9 % l’an de 1990 à 2004 (graphique 7). Ainsi, si l’excédent commercial chinois est important (60 milliards de dollars en 2004), il a été relativement stable de 2000 à 2004 à environ 3,5 % du PIB chinois. Il a explosé en 2005 à 128 milliards de dollars. Le solde courant chinois est en 2005 de 148 milliards de dollars (soit, 7,7 % du PIB chinois), soit le deuxième du monde, derrière le Japon (158 milliards de dollars) et devant l’Allemagne (114 milliards de dollar) : on ne peut donc le considérer à lui seul comme le responsable des déséquilibres mondiaux.

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Part de marché de la Chine (tous produits)

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Part de marché de la Chine (tous produits)

Sources : OFCE.
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Exportations, importations chinoises (échelle de gauche) et excédent commercial (échelle de droite)

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Exportations, importations chinoises (échelle de gauche) et excédent commercial (échelle de droite)

Source : Global Insight.

14Les États-Unis et l’Europe enregistrent des déficits commerciaux très importants avec la Chine. Mais, ces déficits doivent être corrigés par trois facteurs. D’une part, dans la période 2002/2004, plus de 20 % des marchandises importées ou exportées par la Chine continentale ont été acheminées par Hong-Kong. Lorsque l’on ajoute Hong-Kong à la Chine continentale (tableau 3), l’excédent commercial diminue quelque peu, mais reste néanmoins de grande ampleur. D’autre part, la Chine est une économie-usine où de nombreux produits en provenance d’autres pays asiatiques transitent pour y subir des transformations demandant une forte quantité de main-d’œuvre non-qualifiée. Une partie des excédents de la Chine au titre de ses échanges bilatéraux avec les États-Unis et l’Union européenne est contrebalancée par l’aggravation du déficit de ses échanges avec les autres économies d’Asie. Enfin, les exportations de la Chine ont une composition relativement faible en valeur ajoutée chinoise puisqu’elles incorporent, outre les faibles salaires de la main-d’œuvre des consommations intermédiaires importées, mais aussi des profits réalisés par des entreprises en grande partie étrangères, réexportés ou réinvestis sur place [3].

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Solde commercial de la Chine en 2003

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En milliards de dollars Chine continentale Chine plus Ras de Hong-Kong Etats-Unis 58 88 UE 18 29 Japon – 14 – 31 Corée du Sud – 21 – 27 Hong Kong 65 ASEAN – 15 – 30 Autres – 65 – 12 Total 26 17 Source : Asian Development Bank.

Solde commercial de la Chine en 2003

15La forte compétitivité chinoise ne tient pas uniquement au taux de change du yuan mais à des facteurs structurels : le niveau des salaires est faible et n’augmente guère en raison de l’abondance de la main-d’œuvre. Par ailleurs, la moitié des exportations chinoises sont le fait de filiales étrangères implantées en Chine qui y produisent et exportent majoritairement des biens à très fort contenu en importations et sont donc relativement peu sensibles au taux de change. Les prix des exportations chinoises fixés en dollar par les importateurs/distributeurs étrangers ne dépendent donc guère du taux de change. La firme américaine New Balance Athletic Shoe, par exemple, vend chaque année quelque quarante millions de paires de chaussures, dont 60 % de provenance chinoise. Un tiers des produits du géant électronique Philips sont fabriqués sur le territoire chinois. Le producteur de meuble IKEA réalise 15 % de ses achats en Chine et la chaîne américaine de supermarchés Wal-Mart Stores se fournit également en partie sur le marché chinois. L’essor spectaculaire des exportations chinoises est largement dû à la politique commerciale des entreprises occidentales attirées par la main-d’œuvre très peu coûteuse dans ce pays. La rapide croissance des exportations en 2005 est due aussi à l’accession de la Chine à l’OMC et à la levée des barrières douanières (textiles en particulier), levée qui avait été anticipée par les distributeurs occidentaux, qui avaient fortement accru leurs commandes. Par ailleurs, la progression des importations chinoises pourrait commencer à se réduire dans la mesure où certaines firmes multinationales commencent à produire en Chine des biens qu’elles y exportaient auparavant (Zhou, 2006).

16Si certains industriels se plaignent de la concurrence que leur font les produits chinois, d’autres industriels ou distributeurs profitent des bas coûts de production en Chine. De même, les bas prix des exportations chinois signifient que, à valeur donnée, elles représentent un volume important et ont donc un fort impact négatif sur l’emploi dans les pays du Nord ; en même temps, elles réduisent le niveau des prix à l’Ouest et y augmentent le niveau de vie des ménages.

1.3 – L’accumulation des réserves de change est-elle soutenable ?

17Le deuxième argument utilisé pour prouver la sous-évaluation de la monnaie chinoise est le gonflement des réserves de change de la Banque centrale (graphique 8). Celles-ci ont atteint 846 milliards de dollars fin janvier 2006 (contre 609 milliards de dollars fin 2004), soit 6,8 % du PIB des États-Unis, 45 % du PIB chinois et 13 mois d’importations chinoises. Ainsi, la Chine possède le stock de réserves de change le plus élevé du monde, ayant dépassé le Japon en 2005 (tableau 4). Les réserves de changes sont utiles pour décourager les spéculateurs de spéculer contre une devise ; ceci explique le gonflement des réserves de change de tous les pays asiatiques depuis 1998 ; mais un excès de réserves est également susceptible de déclencher des tensions : les spéculateurs peuvent être amenés à penser que le taux de change est sous-évalué et exercer une pression haussière sur la devise. L’accroissement des réserves de change provient de trois canaux [4] : le surplus du compte courant, les IDE et les entrées nettes de capitaux hors IDE (graphique 8 et tableau 5).

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Les facteurs explicatifs des variations des réserves chinoises

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Les facteurs explicatifs des variations des réserves chinoises

Source : Global Insight.
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Réserves de changes fin janvier 2006

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En milliards de dollars Chine 845 Japon 832 Taïwan 258 Corée 217 Zone euro 207 Russie 182 Inde 134 Hong-Kong 128 Singapour 118 Source : FMI.

Réserves de changes fin janvier 2006

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La balance des paiements de la Chine

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En milliard de dollars 2000 2002 2004 Solde commercial 29 37 49 Revenus du capital – 15 – 15 – 5 Autres transferts 6 13 23 Solde courant 21 35 69 IDE 38 47 53 Investissement de portefeuille – 11 – 10 20 Autres mouvements – 24 – 5 37 Erreurs et omissions – 12 8 27 Variation des Réserves 11 75 206 Source : FMI.

La balance des paiements de la Chine

18Le surplus du compte courant chinois s’élevait à 69 milliards de dollars en 2004 (graphique 11). Il est attribuable pour la plupart à l’excédent commercial, mais aussi aux postes « Autres transferts ». Sur la période 1994-2004 le surplus du compte courant a augmenté de manière régulière.

Les investissements directs étrangers (IDE)

19La Chine est l’un des pays qui accueille les plus importants flux d’investissements directs étrangers (IDE). Un des objectifs de la politique d’ouverture économique qu’elle mène depuis 1979 est d’attirer les entreprises étrangères pour impulser la modernisation technique de sa production industrielle. Les investissements directs étrangers permettent l’acquisition de nouvelles techniques de production et de gestion. D’un autre côté, les investisseurs étrangers ont afflué massivement vers la Chine depuis les années 1980, attirés par la croissance dynamique du pays, le processus de libéralisation interne et l’ouverture des marchés. Ils produisent pour exporter, grâce aux bas niveaux des salaires, mais aussi pour le marché intérieur, dont ils anticipent un fort développement. Ils y sont incités par des avantages fiscaux (pas d’imposition des entreprises étrangères les deux premières années, puis des taux inférieurs au taux normal les années suivantes, 15 % au lieu de 33 %). En 2004, le flux net d’IDE vers la Chine s’élevait à environ 53 milliards de dollars (2,8 % du PIB Chinois). De 1990 à 2002, le montant cumulé des investissements directs étrangers a atteint 424 milliards de dollars plaçant la Chine au 3e rang mondial des bénéficiaires d’IDE derrière les États-Unis et le Royaume-Uni. La Chine a reçu 5 % des IDE dans le monde et près du quart de ceux allant aux pays en développement.

Les entrées nettes de capitaux hors IDE

20Le compte financier chinois n’est que faiblement libéralisé malgré les mesures partielles de libéralisation des mouvements de capitaux prises en 2003. Les opérations en capital restent soumises à autorisation. Ceci réduit la possibilité de fortes spéculations, comme l’a montré le fait que la Chine a été épargnée de la contagion lors de la crise asiatique en 1997-1998. Cependant, les autorités sont confrontées à un afflux important de capitaux. La Chine est passée d’une situation d’entrées nettes de capitaux (hors IDE) nulles en 2002, à des flux entrants de 110 milliards en 2004 [5].

21Jusqu’en 2000, les excédents courants et les entrées nettes au titre des IDE étaient contrebalancés par les sorties nettes de capitaux. Ainsi, les réserves de change n’augmentaient guère. Mais, les entrées nettes de capitaux sont devenues fortement positives en 2003/2004, provoquant l’accélération du rythme d’accumulation des réserves. Cette évolution s’explique par deux forces concourantes. D’une part, l’augmentation de la rentabilité et de la sécurité des placements en Chine a provoqué une inversion des fonds de la diaspora chinoise. D’autre part, les résidents chinois épargnent et s’endettent en dollars auprès des institutions financières chinoises. À partir de 2003, anticipant une forte appréciation du yuan, les ménages comme les entreprises chinoises ont augmenté leurs dépôts en yuan par rapport aux dépôts en dollars. Les entreprises se sont endettées davantage en dollars. Pour répondre à la forte demande de prêts en dollars malgré la baisse des dépôts en dollars, les banques chinoises ont diminué leurs créances sur l’étranger et augmenté leur endettement en devises. Les entreprises exportatrices se sont empressées de convertir leurs dollars en yuan tandis que les importateurs retardaient leurs paiements Une partie notable de l’accumulation des réserves depuis 2003 est donc d’origine spéculative et ne permet pas de considérer que l’accumulation des réserves de change constitue une preuve d’une forte sous-évaluation du yuan.

22Un pays peut résister plus facilement à un flux de capitaux entrants qu’à un flux de capitaux sortants puisque dans le premier cas il ne se heurte pas à une contrainte de liquidités et n’a pas à faire appel à l’emprunt étranger. En sens inverse, il est plus difficile de décourager les entrées de capitaux par de bas taux d’intérêt que d’encourager les entrées par des taux élevées. En fait, la Chine n’a guère essayé de lutter par la baisse des taux d’intérêt contre la réévaluation de sa monnaie (graphique 9) : le taux court chinois est plus légèrement plus élevé que le taux américain et le taux long chinois (10 ans) est nettement plus élevé. Face au triangle d’incompatibilité de Mundell, la BPC a maintenu une politique monétaire autonome et un change fixe en renonçant à la liberté des mouvements de capitaux. Reste que les taux d’intérêt chinois (2 % pour le court terme ; 4 % pour le long) sont très faibles par rapport au taux de croissance réel. La régulation du crédit en Chine se fait principalement par le contrôle quantitatif et le rationnement. La viabilité d’un tel système est de plus en plus problématique (Prasad et al., 2005) : le contrôle des changes est difficile à maintenir dans un pays ouvert du point de vue du commerce extérieur puisque les entreprises peuvent utiliser les décalages de règlement et les prix de transfert pour spéculer.

9

Taux d’intérêt courts et longs en Chine et aux États-Unis

9

Taux d’intérêt courts et longs en Chine et aux États-Unis

Sources : Global Insight, Datastream.

23A priori, le gonflement des réserves de change induit un excès de liquidités dans le système bancaire. Celui-ci peut favoriser le développement du crédit, donc induire des pressions inflationnistes et par conséquent une appréciation du taux de change réel, malgré l’ancrage au dollar (encadré 3). Ceci peut être évité si la Banque centrale stérilise les liquidités excédentaires en imposant des réserves obligatoires aux banques ou en les obligeant à acheter des bons du Trésor. Lorsque la Banque centrale accumule des réserves en dollars sur des titres à court terme ou à 10 ans, elle bénéficie d’un rendement inférieur à celui qu’elle aurait obtenu en optant pour des titres nationaux et elle court un risque de change important. Maintenir la fixité du change, l’oblige en fait à jouer contre les spéculateurs.

3. Les opérations de stérilisation de la banque centrale chinoise et le maintien de la fixité du taux de change renminbi-dollar

Lorsque un pays réalise des surplus du compte courant ou reçoit des flux de capitaux et qu’il veut stabiliser son taux de change, la Banque centrale est obligée de fournir de la monnaie centrale et de laisser gonfler ses réserves de change. Il en résulte une forte liquidité du système bancaire. Pour éviter que les banques ne développent leurs crédits de façon excessive, la Banque centrale doit stériliser ces flux de capitaux. La stérilisation peut s’effectuer par un relèvement des ratios de réserve des banques ou les obliger à acheter des actifs domestiques (bons du Trésor). Dans le cas de la Chine, les deux types d’opérations ont pu être conjointement menées et complétées par des mesures de contrôle administratif des crédits. Les opérations de stérilisation ont un coût qui dépend des écarts de taux d’intérêt entre les actifs en dollars qui constituent les réserves (auquel s’ajoute éventuellement le taux d’appréciation du RMB) et les bons du Trésor chinois. Le coût de l’opération a été important entre de 2001 à 2004 dans la mesure où les actifs américains offraient un rendement très faible. Une forte réévaluation du yuan se traduirait par une perte importante en capital pour la BPC : 5 % du PIB chinois pour une réévaluation de 10 % Toutefois, les opérations de stérilisation ont permis de maintenir la fixité du taux de change renminbi/dollar, jusqu’à la réévaluation de 2,1 % de juillet 2005. En 2005, les autorités chinoises ont acheté de 15 à 20 milliards de dollars par mois.

24En fait, la croissance de la masse monétaire en Chine n’est guère liée à l’accumulation des réserves de change (graphique 10) : les deux mouvements ne coïncident pas, notamment après 2000 où l’augmentation des réserves est considérable (plus de 40 % par an) alors que la croissance de la masse monétaire est relativement stable (en dessous de 20 %). L’augmentation de la monnaie en circulation résulte d’une forte hausse de l’épargne des ménages chinois et des dépôts des entreprises qui reflètent l’accélération des entrées de capitaux spéculatifs. Par ailleurs, l’inflation est restée modérée en Chine, compte tenu de la vigueur de la croissance (graphique 5).

10

Croissance de la masse monétaire et des réserves de change

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Croissance de la masse monétaire et des réserves de change

Source : Global Insight.

1.4 – Le solde courant vu sous un autre angle

25La balance courante représente aussi la différence entre l’épargne et l’investissement des agents résidents. Elle est liée aux fortes exportations chinoises, mais aussi à la faiblesse des importations dans un pays où la consommation publique et privée est relativement faible, le taux d’épargne élevé et où la croissance est tirée par l’investissement (tableau 6 et graphique 11).

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Croissance du PIB et contributions à la croissance des composantes du PIB

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Croissance du PIB et contributions à la croissance des composantes du PIB

Source : Asian Development Bank.
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Poids respectifs des composantes du PIB

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En % du PIB 1987 1995 2000 2004 Consommation privée 49,8 46,1 47,2 43,3 Consommation publique. 12,5 11,4 13,1 12,0 FBCF 36,1 40,8 36,3 45,3 Balance commerciale 0,1 1,7 2,5 2,6 Source : Asian Development Bank.

Poids respectifs des composantes du PIB

26Le taux d’épargne national de la Chine est très élevé : 42,5 % du PIB en 2003 (tableau 7), soit 20 points de plus que la moyenne des cinq grands pays retenus par Kujis (2005). Ceci s’explique par deux facteurs : la part du revenu national qui reste dans les entreprises est particulièrement forte ; le taux d’épargne des ménages est particulièrement élevé. L’épargne des administrations est plus élevée de 5 points de PIB ; cet excès d’épargne est transféré aux entreprises : en effet, les administrations financent les grandes entreprises publiques pour 6 points de PIB. L’épargne des entreprises est plus élevée de 7 points du PIB. Enfin, l’épargne des ménages est plus élevée de 9 points de PIB : la part du revenu des ménages dans le PIB est plus basse de 4 points ; mais le fort taux d’épargne des ménages chinois (25 % de leur revenu) induit un supplément d’épargne de 13 points de PIB.

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Epargne et investissement en Chine

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En % du PIB Chine (2003) EU (2002) France (2002) Japon (2002) Corée (2002) Mexique (2001) Epargne nationale 42,5 14,3 20,7 25,5 31,0 20,8 Différences entre la Chine et les autres pays : 28,2 21,8 17,0 11,5 21,7 Epargne des ménages 11,8 5,8 8,4 12,1 8,6 Epargne des entreprises 8,6 9,4 – 0,5 4,1 8,3 Epargne des administrations 7,9 6,7 9,2 – 4,7 4,8 Source : Kuijs (2005).

Epargne et investissement en Chine

27Modigliani et Cao (2004) fournissent une analyse détaillée de ce fort taux d’épargne. Ils rejettent les explications reposant sur des facteurs culturels (le taux d’épargne n’était que de 5 % dans les années 1970 ; il a monté fortement de 1978 à 1983) et font appel à l’hypothèse du cycle de vie. L’épargne massive s’expliquerait par la conjugaison d’une croissance forte et d’une politique démographique restrictive. La politique de l’enfant unique a réduit le rôle des enfants dans la prise en charge des parents âgés. Le nouveau système de retraite introduit en 1997 n’est guère généreux et ne couvre qu’une faible partie de la population (OCDE, 2005, p. 187). Le ratio entre les moins de 15 ans et la population active a chuté. Ainsi, les Chinois actifs disposent de plus de ressources pour épargner et doivent le faire pour se garantir des ressources durant leur retraite.

28La meilleure équation proposée, estimée en valeur annuelle de 1953 à 2000, s’écrit :

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equation im22

30s est le taux d’épargne des ménages, GL, le taux de croissance de long terme, G, le taux de croissance de l’année, TP, le taux d’inflation, E/M le ratio entre la population active et les 0-15 ans. Cette équation ne fait pas apparaître explicitement le système de retraite.

31Par ailleurs, l’épargne des ménages est sans doute renforcée par les contraintes pesant sur la consommation : les produits étrangers sont très chers du fait du bas taux de change ; l’accès aux produits n’est pas toujours possible, notamment pour la large part des Chinois vivant en milieu rural ; des réglementations limitent l’achat de certains biens (l’automobile par exemple) ; mais, l’adhésion à l’OMC va obliger la Chine à changer ses réglementations.

32L’investissement est le moteur de la croissance exceptionnelle enregistrée par la Chine ces dernières années : le ratio investissement/PIB en 2004 était de l’ordre de 45 %. Ce niveau s’explique tant par la force de la croissance que par son orientation industrielle. L’investissement est principalement autofinancé (tableau 8), le financement restant provenant de l’épargne des ménages, et dans une moindre mesure des IDE et du financement public. L’essentiel de l’épargne est canalisé dans le secteur bancaire car les agents ne disposent pas de placements de marché.

8

Financement de l’investissement des entreprises en Chine en 2004

8
En % du total Etat 4,2 Prêts domestiques 20,4 Obligations 0,3 Investissement étranger 4,3 Autofinancement 51,3 Financement informel 19,5 Source : NBS.

Financement de l’investissement des entreprises en Chine en 2004

33Un ralentissement de la croissance aurait des effets ambigus sur l’équilibre de l’épargne et de l’investissement puisque l’investissement baisserait comme l’épargne. Une hausse de la consommation nécessiterait une hausse de la part des ménages dans le PIB (par la hausse de la part des salaires et une politique sociale plus généreuse) et une baisse du taux d’épargne (qui passerait, là aussi, par une amélioration de la couverture sociale).

1.5 – La fragilité du secteur bancaire : le poids des créances douteuses

34Malgré le renforcement des pouvoirs de la Commission de réglementation bancaire et l’entrée de plusieurs sociétés étrangères dans le capital des grandes banques, la Chine se caractérise par le poids des créances douteuses dans le bilan de ses banques (tableau 9). Fin juin 2005, les créances douteuses au bilan des banques chinoises représentaient encore 155 milliards de dollars soit 9,5 % du PIB contre 191 milliards de dollars à la fin de 2004. Les banques ne disposent pas encore des moyens d’évaluer la qualité des projets ; de nombreux financements sont encore accordés aux grandes entreprises nationales pour des motifs d’ordre politique. La plupart des économistes considèrent que la recapitalisation, la restructuration et la libéralisation du système bancaire sont des préalables à l’ouverture de la Chine aux mouvements de capitaux et au flottement du RMB. En leur absence, les banques chinoises ne pourraient guère intervenir sur les marchés financiers internationaux et ne pourraient pas développer des instruments de couverture qui permettraient aux entreprises chinoises de supporter le flottement de la devise. Reste à savoir si ce flottement doit être un objectif de la BPC.

9

Ratio des prêts non performants

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En % du total des prêts 2000 2001 2002 2003 2004 Argentine 16 19,1 38,6 33,6 18,6 Hongrie 3 2,7 2,9 2,6 2,7 France 5 5 5 4,8 n.d. Chine 22,4 29,8 26 20,4 15,6 Hong Kong 7,3 6,5 5 3,9 2,2 Japon 5,5 8,4 7,2 5,2 2,9 Etats-Unis 1,1 1,3 1,4 1,1 0,8 Source : FMI, Global Financial stability report, septembre 2005.

Ratio des prêts non performants

2 – Le taux de change réel d’équilibre de la Chine

35Afin de déterminer l’existence et l’ampleur de la sous-évaluation du renminbi, il faut recourir à une théorie de détermination du taux de change d’équilibre, à l’aune de laquelle le degré de mésalignement pourra être évalué. Dans le cas de la Chine, trois théories sont principalement utilisées : la parité des pouvoirs d’achat éventuellement corrigée de l’effet Balassa-Samuelson, le taux de change d’équilibre fondamental (Fondamental Equilibrium Exchange Rate, FEER) et le taux de change d’équilibre comportemental (Behavioral Equilibrium Exchange Rate, BEER). Nous allons examiner ces théories et leur portée lorsqu’elles sont appliquées au cas du taux de change du renminbi.

2.1 – De la parité des pouvoirs d’achat à l’effet Balassa-Samuelson

36Selon la version absolue de la Parité des Pouvoirs d’Achat (PPA), les prix de deux produits similaires, mesurés dans un étalon commun, doivent être égaux afin d’assurer l’absence de possibilité d’arbitrage. En d’autres termes, les prix d’un même bien à Pékin ou à New York doivent, après conversion, être égaux. Ainsi le taux de change réel (s + p * – p) est-il stationnaire, constant et égal à 1 dans le cadre de la parité des pouvoirs d’achat dans sa version absolue. Selon la version relative de la PPA, les variations de prix et du change doivent se compenser afin d’assurer la stationnarité du taux de change réel. Le problème est qu’il n’y a aucune base théorique pour fonder une théorie du taux de change sur la PPA, tant sous sa forme absolue que sous sa forme relative.

37Dans la version absolue de la PPA, se pose la question des produits dont le prix doit être identique. S’il s’agit de biens non échangeables, comme les services, aucun mécanisme ne permet un arbitrage direct entre une coupe de cheveux à New York et à Pékin. S’il s’agit de biens échangeables et homogènes, comme par exemple, un kilo de charbon, la PPA ne peut au mieux que déterminer la division internationale du travail : le taux de change France/Pologne ne s’ajuste pas pour que le coût de production du charbon soit le même en Pologne et en France.

38Pour comparer les niveaux de vie au niveau international, il est certes utile d’effectuer des évaluations de niveau des prix dans les différents États du monde (tableau 10). Mais ces évaluations ne peuvent être considérées comme des normes de taux de change. De plus, les comparaisons d’un pays à l’autre sont délicates car elles n’incorporent pas les mêmes biens dans la composition du panier définissant l’indice des prix, ces différences étant d’autant plus grandes lorsque l’on compare deux pays ayant des niveaux de développement très différents (Chine et États-Unis par exemple). Se pose aussi la question des pays très hétérogènes, comme la Chine, pour lesquels un indice global a peu de signification.

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Classement des pays par PIB par habitant et niveau des prix relatif

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Année 2004 PIB par habitant Niveau des prix relatif Etats-Unis 34,1 1 Canada 28,5 0,86 Japon 26,5 1,79 Royaume-Uni 24,5 0,98 France 24,2 1,29 Allemagne 24,1 1,38 Italie 23,3 0,93 Espagne 19,9 0,97 Corée du Sud 19,5 0,84 Argentine 10,8 0,68 Russie 10,0 0,37 Pologne 9,7 0,52 Afrique du Sud 9,5 0,45 Mexique 8,6 0,44 Turquie 7,2 0,48 Thaïlande 7,0 0,46 Iran 6,8 0,31 Colombie 6,3 0,40 Myanmar 5,7 0,04 Ukraine 5,2 0,25 Chine 5,1 0,22 Philippines 4,1 0,30 Maroc 3,6 0,40 Egypte 3,3 0,35 Indonésie 2,8 0,36 Inde 2,7 0,21 Viet-Nam 2,4 0,19 Pakistan 1,9 0,28 Bangladesh 1,7 0,25 Nigeria 1,0 0,31 Source : Chelem.

Classement des pays par PIB par habitant et niveau des prix relatif

39L’effet Balassa-Samuelson (1964) remet en cause la PPA et son corollaire, la stationnarité du taux de change réel, en distinguant un secteur ouvert à la concurrence internationale et un secteur abrité. Dès lors le taux de change réel, en tant que moyenne pondérée des prix des deux secteurs de chaque pays, ne saurait être stationnaire. On peut en effet décomposer le taux de change réel comme :

40

equation im26

41Le premier terme représente le taux de change réel du secteur des biens échangeables (celui de la PPA), les deuxième et troisième termes désignent le taux de change réel interne (le rapport des prix des secteurs échangeables, pT, et non échangeables, pNT, du pays concerné). Lorsque l’on considère les deux derniers termes de façon conjointe, ils désignent le ratio des prix relatifs des biens non échangeables domestiques et étrangers. Ainsi, même si la PPA était vérifiée pour les biens échangeables, ce qui est d’ailleurs discutable puisque les biens produits sont différents, elle ne l’est plus globalement si le rapport des prix relatifs n’est pas le même dans les pays considérés.

42Or, les pays du Sud sont moins productifs pour la production des biens industriels échangeables tandis que leur handicap de productivité est nettement plus faible pour les services qui constituent une part importante des biens non échangeables. La productivité des coiffeurs, des serveuses de restaurant, des gardes d’enfants est à peu près la même dans tous les pays, quel que soit leur niveau de développement. Ainsi, si la productivité au Sud est beaucoup plus faible dans le secteur exposé et que les salaires du secteur abrité sont proches de ceux du secteur exposé, les salaires sont plus faibles au Sud (pour compenser la différence de productivité du secteur exposé), ce qui fait que les prix des biens non échangeables sont également plus faibles. Au cours du processus de développement, les gains de productivité dans le secteur exposé permettent une augmentation de salaire qui va s’étendre au secteur abrité et au prix des biens non échangeables, produisant ainsi une appréciation du taux de change réel. L’effet Balassa-Samuelson permet donc d’expliquer que le niveau des prix d’un pays est d’autant plus faible que ce pays est peu productif (tableau 10).

43Le fait que le niveau des prix en Chine est de 20 % de celui des États-Unis ne peut donc être pris comme une preuve de sous-évaluation. Il faut comparer ce chiffre avec celui observé dans d’autres pays, de niveau de développement comparable. De ce point de vue, le cas chinois n’est pas exorbitant comparé à l’Ukraine, au Viet-Nam ou à d’autres pays asiatiques. Certes, la plupart des pays asiatiques ont, toutes choses égales par ailleurs, des taux de change inférieurs à ceux des pays africains. Mais les pays africains ne peuvent être pris comme référence en matière de modèle de croissance.

44Frankel (2004) effectue la régression reliant le niveau relatif des prix au niveau relatif des PIB par tête. Pour l’année 2000, il trouve :

45

equation im27

46Selon cette régression, le bon niveau des prix relatifs entre la Chine et les États-Unis serait de 36,2 % (au lieu de 23,1 % ), donc le yuan devrait être apprécié de 57 % [6]. Cependant, l’écart-type de la régression est de 39 %, ce qui prouve que celle-ci est peu précise. De nombreux pays ont des écarts équivalents à celui de la Chine. Enfin, rien ne prouve que faire intervenir d’autres variables (comme le besoin de croissance) dans la régression ne modifierait pas les résultats. Ces régressions montrent certes que la Chine a une monnaie sous-évaluée par rapport à celle de pays de revenu par tête comparable, mais ne prouvent pas que cette sous-évaluation ne constitue pas la bonne stratégie pour le développement.

47Par ailleurs, Coudert et Couharde (2005) montrent que, sur la période 1998-2002, l’effet Balassa-Samuelson n’a pas joué en Chine : le taux de change réel ne s’est pas apprécié en fonction de l’écart relatif entre l’indice des prix de consommation et celui des prix de production. Mais ce résultat peut s’expliquer tant par des raisons statistiques (l’écart utilisé ne représente qu’indirectement l’écart entre les prix du secteur abrité et ceux du secteur exposé ; au cours du processus de développement, la gamme des produits industriels chinois se modifie ; les produits industriels chinois n’ont pas le même prix que les produits américains) que par les raisons économiques que les auteurs mettent en avant : il n’y a pas égalisation des salaires entre les secteurs abrité et exposé en Chine, de nombreux prix y sont encore administrés. Enfin, la croissance du PIB chinois par tête peut s’effectuer pendant une très longue période par transfert de travailleurs de l’agriculture à l’industrie, et non par hausse de la productivité dans l’industrie.

2.2 – Le taux de change d’équilibre fondamental

48Williamson (1983, 1994) définit le taux de change d’équilibre fondamental (FEER) comme le taux de change qui assure la réalisation simultanée de l’équilibre interne (production à son potentiel) et externe (balance courante soutenable). Plus précisément, le FEER désigne le taux de change réel « qui permet de générer un surplus ou un déficit du compte courant égaux aux flux de capitaux soutenables au cours du cycle économique, en considérant que le pays s’efforce d’atteindre l’équilibre interne du mieux qu’il peut, sans restreindre le commerce international » [7]. Le FEER est donc un concept de moyen terme. Si cette approche est critiquable du fait de ses faiblesses théoriques (Bouveret et Sterdyniak, 2005), elle permet cependant de poser la question du niveau du taux de change dans un cadre mondial en prenant en compte la norme de plein emploi et la nécessaire cohérence entre les cibles de balance courante. Nous allons ici nous interroger sur son application au cas d’une économie émergente comme la Chine.

49Trois problèmes se posent. D’une part, il faut définir la cible de compte courant. La pratique la plus fréquente est de choisir un niveau tel que la balance de base (y compris IDE) soit équilibrée. Dans le cas chinois, compte tenu des entrées d’IDE, Williamson et Mahar (1998) l’estiment à – 2,8 % du PIB alors que Williamson (2003) l’estime à – 1 % et Coudert et Couharde (2005) à – 1,5 %. Mais ce choix est relativement arbitraire. Un pays peut souhaiter avoir une certaine marge pour éviter d’être soumis à des fluctuations de change ou parce qu’il prévoit un futur essor de la consommation.

50D’autre part, la définition du FEER indique que la balance courante doit être équilibrée pour un niveau de production correspondant au plein emploi. Cette définition pose déjà problème pour les économies développées, même si on assimile le plein emploi au taux de chômage naturel. Elle est encore plus délicate pour les économies émergentes. En effet, celles-ci souffrent d’un retard de développement qu’elles s’efforcent de combler. Elles sont confrontées à un chômage massif et, dans le cas de la Chine, à une masse de main-d’œuvre sous-employée. La contrainte qui pèse sur elles est une contrainte d’offre : il faut accumuler du capital pour pouvoir faire croître l’emploi. Ceci suppose à la fois d’assurer une forte rentabilité au capital national ou étranger et de maintenir une forte demande pour tirer la croissance. Par définition, la croissance n’est pas un processus d’équilibre. Le plein emploi de la main-d’œuvre n’est pas atteignable aujourd’hui, par manque de capital. Mais la Chine ne peut se résigner à un niveau de production qui ne ferait qu’assurer le plein emploi du capital actuel. Par définition, la croissance n’est pas un processus d’équilibre.

51Enfin, il faut supposer que les autorités disposent de suffisamment d’instruments de politique économique pour maintenir le plein emploi à balance de base équilibrée, ce qui pose problème pour la Chine. Les autorités ont opté pour un développement impulsé par le commerce extérieur, ce qui tend aussi à développer l’investissement. Un développement impulsé par la consommation se heurterait rapidement à la contrainte extérieure et à l’insuffisance de capital.

52Jeong et Mazier (2003) estiment économétriquement ce que doit être la cible de compte courant en distinguant deux types de pays : les pays industrialisés et les économies émergentes. Le solde courant cible serait une fonction croissante du solde budgétaire, du PIB par tête, des avoirs nets détenus sur l’étranger (ce qui est contraire à la théorie) ; une fonction décroissante des entrées nettes d’IDE. Pour la Chine, leur équation aboutit une cible correspondant à un déficit de – 1,5 % du PIB (en raison essentiellement des entrées d’IDE). L’écart entre la production et la production désirée est mesuré économétriquement par un filtage Hoddrick-Prescott appliqué à la production industrielle : le besoin de croissance n’est donc pas pris en compte. Le yuan apparaît alors sous-évalué de 60 % par rapport au dollar en 2000. Coudert et Couharde (2005) utilisent la même méthode en retenant des cibles de déficit de -2,8 % (inspiré des évaluations de Williamson) ou de – 1,5 % (inspiré de Jeong et Mazier), elles obtiennent, pour 2003, des sous-évaluations du RMB de 54 ou 44 %.

2.3 – Une méthode empirique

53Plusieurs articles évaluent le TCRE (Taux de Change Réel d’Équilibre) de la Chine en utilisant la méthode BEER proposée par Clark et MacDonald (1997). Il s’agit d’évaluer une relation de long terme entre le taux de change réel et ses fondamentaux puis d’estimer économétriquement l’ajustement du taux de change par un modèle à correction d’erreur (voir Bouveret et Sterdyniak, 2005). Les variables explicatives généralement utilisées sont (tableau 11) :

  • L’évolution de la productivité relative qui doit induire une appréciation du taux de change réel selon l’effet Balassa-Samuelson. Empiriquement la productivité relative est souvent mesurée par le rapport des prix à la consommation sur les prix à la production, les premiers étant censés incorporer tous les types de biens et les seconds uniquement les biens du secteur exposé.
  • Les avoirs nets sur l’étranger (ANE). Un pays qui détient des avoirs sur l’étranger reçoit des flux d’intérêt ; il peut donc avoir un déficit commercial, donc un taux de change réel plus élevé.
  • L’ouverture de l’économie. Elle peut rendre nécessaire une baisse du taux de change.

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Quelques estimations du taux de change d’équilibre du RMB *

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Travaux Modèle Fondamentaux Période Sous-évaluation par rapport au dollar Méthode Frankel (2005) PPA avec effet B-S PIB relatifs 1990- 2000 – 35 % (2000) Panel Coudert et Couharde (2005) PPA avec effet BS PIB relatifs 2003 – 50 % /– 41 % (2003) Panel Jeong et Mazier (2003) FEER Cible de solde courant de – 1,5 % duPIB 2000 6 % (2000) Par pays Goldstein (2004) FEER Cible de – 1 %PIB 2003 – 15-3 % (2003) Par pays Coudert et Couharde (2005) FEER Cible de – 2,8 % ou de – 1,5 % 2002-2003 – 54 % /– 44 % (2003) Par pays Frunke et Rahn (2004) BEER ANE, productivité 1985-2002 – 11 % (2002) Par pays Wang (2004) BEER ANE, productivité 1980-2003 0 % (2003) Par pays Bénassy-Quéré etalii (2004) BEER ANE, productivité 1980-2001 – 47 % (2003) Panel

Quelques estimations du taux de change d’équilibre du RMB *

54Malheureusement, la méthode économétrique utilisée présuppose qu’en moyenne sur la période d’estimation, le taux de change réel d’équilibre est égal au taux de change réel observé. Ce qui est une hypothèse très forte : rien de prouve que la moyenne sur la période d’estimation représente un équilibre, encore moins un optimum.

55Ainsi, Wang (2004) conclut à l’absence de sous-évaluation du renminbi. Ce résultat ne s’explique pas par l’influence des fondamentaux, mais par le fait que l’auteur ne dispose que de données annuelles sur la période 1980-2003. L’auteur estime une équation comprenant 8 variables explicatives (productivité, stock d’actifs, degré d’ouverture, une constante et 4 variables indicatrices) à partir de 24 données. Du fait de la taille réduite de l’échantillon, comparée au nombre de régresseurs, les valeurs estimées sont obligatoirement très proches des valeurs observées alors que les résidus de la régression, centrés autour de zéro, sont censés représenter le degré de mésalignement. Plus l’équation est précise, plus le désalignement est nié.

56Frunke et Rahn (2004) utilisent une méthode similaire, sur la période 1994-2002, pour conclure à une sous-évaluation par rapport au dollar nulle en moyenne sur la période par définition et de 11 % la dernière année (2002).

57Les estimations en panels (données par pays et par année) ne sont guère plus légitimes. Bénassy-Quéré et al. (2004) effectuent des régressions sur un panel de pays en introduisant des effets fixes propres à chaque pays. Ceci suppose qu’en moyenne le taux de change d’équilibre a été égal au taux de change observé pour chacun des pays sur la période, hypothèse sans fondement, et que les structures des pays sont homogènes puisque la méthode suppose que les variables explicatives jouent de la même façon dans chaque pays. Une unique équation pour l’ensemble des pays, ainsi le même comportement s’appliquerait à tous les pays, i.e. à la Chine comme aux États-Unis. En 2003, le RMB serait sous-évalué de 47 % par rapport au dollar, ce résultat étant le pendant d’une très forte surévaluation de 1980 à 1987.

58Ainsi, les estimations du taux de change d’équilibre varient-elles fortement selon la période considérée, le modèle utilisé et la norme retenue. Selon les études, la sous-évaluation du renminbi serait comprise entre 45 % et 0 %. Cette incertitude sur les résultats empiriques souligne les précautions à prendre lors de leur interprétation. Le point le plus douteux reste cependant d’ordre théorique : la notion d’équilibre n’est guère définie. Les études concluant à une sous-évaluation du renminbi face au dollar soulignent que le système de change fixe adopté par la Chine est préjudiciable à l’économie mondiale dans la mesure où il accroîtrait les déséquilibres. Ainsi la sous-évaluation au regard des critères traditionnels serait la cause d’un déséquilibre économique mondial. Nous allons adopter un point de vue différent pour soutenir que la sous-évaluation au regard de ces critères est une conséquence de déséquilibres économiques existants au niveau de l’économie chinoise, et qu’elle vise à les corriger.

2.4 – Les menaces américaines et leur crédibilité

59

« Du fait de cet acte [la réévaluation du 21 juillet 2005] et de la volonté chinoise, continuellement réaffirmée, de s’engager dans une amélioration de la flexibilité des changes, le Trésor s’est abstenu de désigner la Chine [comme manipulant son taux de change] actuellement ».
Rapport au Congrès sur l’économie internationale et les politiques de change, novembre 2005.

60Les États-Unis font pression depuis plusieurs mois sur les autorités chinoises pour que le renminbi soit réévalué, sous peine de sanctions commerciales. Ainsi les sénateurs Charles Schumer et Lindsay Graham ont proposé de taxer les produits chinois à 27,5 % tant que le renminbi ne sera pas réévalué, mais le vote du projet de loi a finalement été reporté à l’automne 2006.

61L’Omnibus Trade and Competitiveness Act de 1988 précise (Titre 3, Sous-titre A) que le secrétaire d’État au Trésor doit étudier chaque année les politiques de change des pays étrangers afin de déterminer si des pays manipulent leur taux de change vis-à-vis du dollar, afin d’éviter l’ajustement de leur balance des paiements ou pour obtenir un avantage compétitif déloyal dans le commerce international. Si une manipulation du change est avérée, le secrétaire d’État au Trésor doit mettre en œuvre des négociations multilatérales (à travers le FMI) ou bilatérales afin de permettre au taux de change de s’ajuster rapidement. La notion de manipulation du taux de change n’a pas de définition scientifique ; toutefois, Goldstein (2004) ou Bergsten (2006) la définissent comme un régime de change fixe où le pays incriminé accumule des réserves de change et demandent au FMI d’intervenir, sinon les États-Unis le feront.

62Le rapport au Congrès de mai 2005 réclamait aux autorités chinoises de passer rapidement à un régime de change plus flexible. Le rapport de novembre 2005 souligne que le système mis en place depuis le 21 juillet 2005 par les autorités chinoises (ancrage à un panier de devises et une bande de fluctuations de +/– 0,3 %) permet une plus grande flexibilité et assigne un rôle plus important aux forces du marché. Le rapport conclut que la Chine ne manipule pas son taux de change mais prévient que les prochains rapports vont étudier précisément si l’engagement des autorités chinoises en faveur de la flexibilité est suivi de mesures concrètes. Dans le cas contraire les autorités américaines sont susceptibles de prendre des sanctions vis-à-vis de la Chine.

63Cependant, l’appartenance à l’OMC des États-Unis et de la Chine rend délicate la mise en place de telles sanctions. Un pays ne peut décider unilatéralement d’imposer aux produits d’un autre pays un tarif douanier, sous prétexte que sa politique de change ne lui convient pas. Ce serait ouvrir une boîte de Pandore. La crédibilité des sanctions américaines est donc réduite. Ainsi le gouverneur de la BPC, Zhou Xiaochuan, rappelle dans son discours du 20 mars 2006, que selon les statuts du FMI, chaque pays choisit librement son régime de change (flottant, géré ou fixe) et qu’il ne peut donc être question de « manipulation du change ». Il relie les soldes courants américains et chinois à leur taux d’épargne respectif et annonce que la Chine entend prendre des mesures pour faire augmenter la consommation chinoise. Il fait remarquer que les mécanismes de l’OMC visent à faire profiter à tous les pays des gains liés aux échanges ; dès lors des mesures protectionnistes américaines seraient dommageables pour les deux pays.

64Le comportement des autorités chinoises et américaines peut être illustré par un modèle simple de théorie des jeux. La Chine et les États-Unis disposent chacun d’un instrument d’action : respectivement, le taux de change et les sanctions commerciales.

Premier cas : le tarif douanier n’est pas nuisible aux Américains

65Une telle situation peut être résumée par la matrice A. Dans le jeu à une période, le statu quo est la stratégie dominante pour la Chine. Les États-Unis vont donc opter pour le tarif douanier.

Matrice A

tableau im29
Etats-Unis Tarif Pas de Tarif Chine Réévaluation Statu quo (–15, 5) (– 5, – 5) (0,0) (10, – 10) Lecture : le couple (– 15, – 5) représente les gains respectifs de la Chine (– 15) et des États-Unis (– 5) dans la situation où la Chine réévalue et les États-Unis pratiquent un tarif douanier.

Matrice A

66Considérons maintenant la version répétée du jeu. À la première période, les autorités américaines mettent en place un tarif douanier qu’ils s’engagent à lever dès que le renminbi sera réévalué ; la Chine maintient son taux de change. À la période suivante, la Chine peut réévaluer son taux de change pour inciter les Américains à retirer les tarifs douaniers ou maintenir son taux de change. Dans le premier cas, les Américains retirent leurs tarifs douaniers dès que le renminbi est réévalué, les gains des Chinois sont donnés par : GChine (reeval) = – 5 et les gains américains par : GUS (reeval) = – 5

67Si la Chine maintient son taux de change et les États-Unis son tarif douanier, les gains chinois sont :

68

equation im30

69avec ? degré de préférence pour le présent (0 < ? < 1) et ceux des Américains :

70

equation im31

71Ainsi, les Chinois ont intérêt à choisir une réévaluation immédiate de leur taux de change. La menace américaine est crédible.

Deuxième cas : le tarif douanier est nuisible aux Américains

72La mise en place d’un tarif douanier peut être nuisible aux Américains, dans la mesure où les gains fiscaux pour l’État sont inférieurs aux pertes de bien-être pour les salariés et consommateurs et où les Américains s’engagent dans une épreuve de force délicate à l’échelle de l’OMC. Dans ce cas, les résultats sont modifiés (Matrice B). Dans le jeu à une période, la stratégie dominante de la Chine est le statu quo et les États-Unis n’ont pas intérêt à mettre en place un tarif douanier ; l’équilibre est donc le statu quo sans tarif douanier.

Matrice B

tableau im32
Etats-Unis Tarif Pas de Tarif Chine Réévaluation Statu quo (–15, – 15) (–5, – 15) (0,0) (10, – 10)

Matrice B

73Passons à la version répétée du jeu, Supposons qu’à la première période, les autorités américaines décident de mettre en place un tarif douanier. À la période suivante, la Chine peut réévaluer son taux de change pour inciter les américains à retirer les tarifs douaniers ou maintenir son taux de change. Dans le premier cas, les gains des Chinois sont donnés par : GChine (reeval) = – 5 et les gains américains par : GUS (reeval) = – 15

74Si la Chine maintient son taux de change et les États-Unis leur tarif douanier, les gains chinois sont :

75

equation im33

76et ceux des Américains :

77

equation im34

78Ainsi la situation des deux pays est de nouveau désavantageuse lorsque c’est le comportement non coopératif qui est choisi. Cependant, dans ce cas, la crédibilité des tarifs douaniers américains est faible. En effet, s’ils optent pour le statu quo sans tarif douanier, les Américains obtiennent :

79

equation im35

80soit des gains supérieurs à ceux de la situation non coopérative ; et les Chinois obtiennent :

81

equation im36

82Ainsi, le tarif douanier américain n’est pas crédible dans la mesure où si les Chinois adoptent un comportement non coopératif, les pertes américaines sont supérieures à celles découlant du statu quo.

83Conclusion : Le résultat de l’affrontement dépend de la crédibilité des menaces des deux joueurs. D’une part les États-Unis ont montré leur détermination à l’égard de la Chine dans plusieurs rapports, renforçant ainsi la crédibilité de leurs menaces. Cependant la théorie du commerce international semble indiquer que le deuxième cas est le plus réaliste, réduisant ainsi la crédibilité des menaces américaines, phénomène renforcé par l’appartenance des deux nations à l’OMC, puisqu’en théorie les membres de l’OMC ne peuvent pas adopter de tarification unilatérale. Ainsi la réévaluation de 2,1 % de juillet 2005 peut être perçue comme un choix politique, traduisant une volonté d’apaisement de la part des autorités chinoises. La faiblesse de la réévaluation montre à l’opposé que les autorités chinoises ne désirent pas réévaluer de façon importante leur taux de change. À la rhétorique protectionniste des industriels américains s’oppose la rhétorique chinoise reposant sur les bienfaits d’une plus grande flexibilité des changes, supposée instaurée.

3 – Un modèle de la croissance chinoise

84La sous-évaluation du renminbi est contestable sur le plan théorique et empirique. Dès lors, nous allons développer un modèle illustrant la possibilité d’une sous-évaluation du taux de change vis-à-vis des critères traditionnels (FEER, PPA), mais compatible avec une stratégie de développement. Dans ce cadre, le taux de change est un outil pour atteindre un objectif : l’intégration de la population sous-employée au tissu productif. Dans cette optique, le modèle se rapproche des travaux de Dooley et alii (2004).

85Dooley et alii (2004) analysent le niveau du renminbi comme une conséquence des choix du gouvernement chinois et l’avènement d’un « second Bretton Woods ». Confronté à une masse importante de travailleurs sous-employés (estimée à 200 millions par Garber, 2004), le gouvernement chinois choisit une stratégie de taux de change pour intégrer progressivement ces travailleurs dans le secteur productif moderne. La Chine dispose d’une épargne abondante (des entreprises et des ménages) mais, comme le montre l’accumulation de créances douteuses, son système financier ne permet pas d’assurer de façon satisfaisante l’intermédiation financière. Dès lors la Chine choisit un taux de change faible, afin d’augmenter la demande mondiale de produits chinois, par effet compétitivité, et d’attirer les IDE pour financer sa production et rattraper son retard technologique et managérial. Le bas niveau de salaire réel et celui du taux de change face au dollar assurent aux investisseurs étrangers, des rendements élevés et stables, évalués en dollars.

86Les auteurs assimilent le système actuel à un second Bretton Woods (BW2), c’est-à-dire un régime de change fixe où le pays pivot se voit garantir la financement de son déficit extérieur par les pays asiatiques qui accumulent des réserves pour stabiliser leur taux de change et bénéficient de fortes possibilités de croissance. La Chine a opté pour un modèle de croissance par les exportations, générateur de tension envers les pays avec lesquels elle commerce, tels les États-Unis ; elle compense ce coût pour les États-Unis en proposant aux investisseurs américains des rendements élevés en Chine. Le profit que réalisent les investisseurs ou les importateurs américains les incite à agir comme un lobby aux États-Unis et à contrer le lobby des victimes de la délocalisation. Le gouvernement chinois accumule des réserves de change en dollars pour stabiliser le taux de change ; ces réserves constituent une garantie pour les investisseurs étrangers en Chine. Les auteurs soulignent les avantages d’un tel système pour tous les participants : la Chine attire des capitaux et restructure son système productif par le biais des exportations ; les États-Unis subissent l’augmentation de leur déficit commercial vis-à-vis de la Chine mais bénéficient en retour d’un financement de ce déficit ; les investisseurs américains en Chine obtiennent un rendement plus élevé que le rendement domestique. Le manque à gagner de la Chine (l’écart entre le taux de profit en Chine et le taux d’intérêt aux États-Unis) est une rémunération aux entreprises multinationales américaines qui récompensent tant leur capacité à organiser la production en Chine, que celle à faire pression aux États-Unis. Le niveau du renminbi face au dollar n’est donc pas un indicateur des déséquilibres économiques mais au contraire un vecteur d’équilibre pour la Chine et dans une moindre mesure pour les États-Unis.

87Ce schéma est contesté par Goldstein et Lardy (2005) qui estiment que les IDE ne jouent qu’un rôle mineur dans la croissance chinoise, que le système BW2 est très coûteux pour la BPC (qui court le risque de voir ses réserves de change se déprécier fortement), que les firmes américaines produisant en Chine n’y font pas des profits exceptionnels, qu’elles ne jouent pas le rôle de lobby aux États-Unis, que les réserves de changes chinoises ne sont pas une garantie pour elles. En résumé, ils pensent que la Chine pourrait abandonner les spécificités actuelles de sa stratégie sans perdre beaucoup en croissance. Ils estiment que le système n’est pas durablement soutenable car la BPC n’acceptera pas d’accumuler constamment des réserves de valeur risquée.

3.1 – Le modèle

88Contrairement à celui de Dooley et alii (2004), le modèle présenté ici est formulé explicitement. Les IDE n’y sont pas présents car la Chine n’est pas confrontée à une contrainte de financement importante : l’autofinancement est fort, l’épargne des ménages abondante (même si le système bancaire et financier chinois est peu performant et entravé par l’ampleur des créances douteuses), et les IDE, quoique importants en valeur absolue, ne constituent que 5 % du financement des investissements.

89L’idée principale du modèle est la suivante : la Chine dispose d’une réserve de main-d’œuvre sous-employée, qu’elle cherche à intégrer dans son tissu productif moderne. Sans commerce extérieur, l’investissement serait faible car la demande interne est faible. Ainsi l’économie chinoise est confrontée à une insuffisance de la demande et non à un problème de financement. Dès lors, elle maintient son taux de change à un bas niveau face au dollar, afin d’augmenter la demande mondiale potentielle, qui dépend de la compétitivité chinoise à travers le taux de change réel. Ce surcroît de demande stimule l’investissement qui, en retour, crée des emplois. Au cours du temps, le salaire nominal augmente, en fonction des tensions sur le marché du travail. Les prix chinois augmentent également, du fait de la hausse des coûts et des tensions sur la demande. À long terme, le taux de change réel s’apprécie, assurant l’équilibre de la balance commerciale et la croissance de l’investissement s’arrête quand le niveau de capital optimal a été atteint dans l’économie.

3.2 – Détermination du taux de change d’équilibre

90Du point de vue chinois, le taux de change d’équilibre correspond au niveau qui relance suffisamment la demande adressée à la Chine pour que les investissements induits par cette relance permettent l’emploi total de la main-d’œuvre disponible. L’investissement augmente le capital physique dans l’économie ce qui permet, à travers une fonction de production à facteurs complémentaires, d’augmenter l’emploi. Formellement, il faut que le cumul des investissements induise une augmentation de la production et partant du capital physique et de l’emploi tels que l’ensemble de la population active puisse être employée. L’investissement doit donc permettre d’atteindre le niveau de production de plein emploi.

91Aussi les autorités doivent-elles fixer une valeur du taux de change nominal telle que la relance de la demande potentielle adressée aux firmes et l’investissement qu’elle induit assurent la convergence vers le niveau de production de plein emploi. Le modèle est résolu en anticipations rationnelles : la trajectoire retenue est la seule permettant d’obtenir l’équilibre. Si les autorités pouvaient modifier leur comportement durant la trajectoire, alors plusieurs valeurs du taux de change seraient possibles. Cette éventualité n’est pas étudiée ici.

92Il est donc possible de définir implicitement [8] une valeur minimale du taux de change, notée Smin permettant d’atteindre le plein emploi. À long terme, la balance commerciale revient à l’équilibre sous l’effet de l’appréciation du taux de change réel (l’emploi augmente donc les salaires, les coûts et in fine les prix), la demande est égale à la demande potentielle et l’investissement est donc nul (il n’y a pas d’obsolescence). Ainsi Smin peut être considéré comme un taux de change d’équilibre, dans la lignée du FEER, sauf qu’ici le taux de change a un impact sur l’équilibre interne et que l’équilibre ne peut être obtenu instantanément.

93Pour une valeur du taux de change inférieure à Smin (i.e. lorsque le taux de change est trop fort), la relance de l’investissement n’est pas suffisante pour résorber le chômage ; à long terme, la balance commerciale est équilibrée et l’investissement nul, mais du chômage persiste. Un tel taux de change peut être considéré comme sous-évalué au regard des critères traditionnels (PPA par exemple) ; dans le cadre de notre modèle, il sera au contraire surévalué.

94Dans ce modèle, le taux de change, à travers son effet sur la demande potentielle, est utilisé comme facteur d’impulsion de l’activité économique. Son effet est fort à court terme et diminue au cours du temps, lorsque la consommation intérieure prend le relais comme source du dynamisme économique.

3.3 – Analyse dynamique

95Le graphique 12 illustre la dynamique du modèle dans le cas où les autorités fixent le change à sa valeur d’équilibre. Le taux de change étant bas, l’effet compétitivité relance la demande adressée aux firmes chinoises. La Chine réalise des excédents commerciaux ; les entreprises investissent, ce qui augmente le capital physique, la production et donc l’emploi. Durant la dynamique, le chômage baisse et le salaire augmente ce qui tend à augmenter les coûts de production et les prix. La hausse des prix tend à apprécier le taux de change réel et à stabiliser la demande. La consommation des ménages augmente et prend le relais de la balance commerciale et de l’investissement comme moteur de la croissance. À long terme le capital désiré est atteint, le salaire est stable et la balance commerciale est équilibrée du fait de l’appréciation du taux de change réel.

96Le graphique 13 illustre une variante dans laquelle le taux de change est surévalué par rapport au niveau d’équilibre. Ce cas peut correspondre à la situation dans laquelle le gouvernement chinois cède aux pressions pour que son taux de change s’apprécie. Dans ce cas, la dépréciation du change initiale n’est pas assez forte et la relance de la demande induite n’est pas suffisante pour éradiquer le chômage. Certes l’emploi augmente mais la relance de la demande n’est pas suffisante pour susciter l’investissement nécessaire au plein emploi.

97Les simulations du modèle montrent que le taux de change peut être sous-évalué au regard des critères de la PPA ou du FEER, ce qui est le cas dans les deux simulations de notre modèle, et être considéré comme à l’équilibre dans le cadre d’une théorie plus réaliste. Dans le graphique 13, le taux de change peut être sous-évalué en termes de PPA et de FEER mais il est surévalué lorsqu’on le compare au niveau du change permettant de résorber le chômage. Dans le graphique 12 le taux de change est sous-évalué par rapport au FEER et la PPA mais à l’équilibre par rapport au taux de chômage.

12

Le taux de change est fixé à son niveau d’équilibre

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Le taux de change est fixé à son niveau d’équilibre

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La Chine fixe son taux de change à un niveau plus élevé que l’équilibre

13

La Chine fixe son taux de change à un niveau plus élevé que l’équilibre

Source : Calculs des auteurs.

Les équations du modèle

tableau im39
avec : Y, production ; K, stock capital physique ; L, emploi ; Pop, population potentielle ; U, nombre de chômeurs ; I, Investissement ; Dpot, Demande potentielle ; s, taux de change (une hausse représente une dépréciation du renminbi) ; cu, coût unitaire ; w = sala nominal ; pk, prix du capital ; p, prix de production chinois ; C, Consommation ; W, richesse des ménages.
Commentaires des équations
La fonction de production est à facteurs complémentaires ; la production est limitée par le stock de capital (1 et 2). L’investissement s’ajuste à l’écart entre demande potentielle et production anticipée pour la période suivante (4). La consommation dépend du revenu et de l’écart entre la richesse courante et la richesse désirée, qui dépend elle-même du revenu (6 et 8). S’y ajoute un effet lié au taux de change réel dans la mesure où une dépréciation réelle de la monnaie nationale renchérit le prix des biens importés et diminue la consommation (hypothèse de substituabilité faible entre produits étrangers et nationaux). La demande potentielle adressée aux firmes chinoises dépend de la consommation domestique, de la demande mondiale et de la compétitivité prix de la Chine (9). La production non consommée est exportée (10). Le coût unitaire dépend des salaires et du coût du capital (11). Le prix du capital dépend du taux de profit et des prix des biens d’équipements, dont m % sont importés (12). Le salaire dépend des prix et de l’activité (13). Les entreprises appliquent un mark-up sur leurs coûts (14).

3.4 – De l’utilité de la définition de l’équilibre

98Il existe autant de taux de change d’équilibre que de stratégie de politique économique. Dans notre modèle, le taux de change d’équilibre doit permettre une croissance suffisante pour résorber le chômage en Chine. Le taux de change réel d’équilibre ne peut être obtenu immédiatement, car il ferait disparaître l’incitation à investir en Chine. De ce point de vue, notre modèle constitue une avancée dans la mesure où il définit explicitement le lien entre le taux de change et la stratégie de politique économique. Le modèle présenté ici peut sembler ad hoc. Certes, il ne s’applique qu’à la Chine, mais son but est de montrer qu’il faut un concept d’équilibre différent selon l’objectif du pays considéré. Dès lors la multiplicité des définitions du taux de change d’équilibre affaiblit la pertinence des estimations des TCRE.

4 – Quel régime de change pour la Chine ?

99Outre la question de la réévaluation du renminbi, il faut s’interroger sur le régime de change que la Chine devrait adopter. Le 21 juillet 2005, la BPC expliquait sa décision de passer d’un ancrage strict du renminbi au dollar à un ancrage sur un panier de devises avec une bande de fluctuations : « Afin d’établir et d’améliorer le système socialiste d’économie de marché en Chine, de permettre au marché de jouer pleinement son rôle dans l’allocation des ressources, de mettre en place et de renforcer un système de change flottant géré basé sur l’offre et la demande, la PBC fait l’annonce suivante :

100À partir 21 juillet 2005, la Chine va réformer son régime de change en passant à un régime géré de change flottant basé sur l’offre et la demande en référence à un panier de monnaie. Le renminbi ne sera plus fixé au dollar et le régime de taux de change de RMB bénéficiera d’une plus grande flexibilité.

101La PBC ajustera la bande de fluctuation du RMB lorsque cela s’avérera nécessaire, en fonction de l’évolution des marchés et de la situation économique et financière. Le taux de change du renminbi sera plus flexible, basé sur les conditions du marché, en référence à un panier de monnaie de référence. La PBC est responsable du maintien de la stabilité du renminbi à un niveau d’équilibre adaptatif, afin de promouvoir l’équilibre de la balance des paiements et garantir la stabilité macroéconomique et financière[9] ».

102Ce texte est contradictoire puisqu’il annonce à la fois un régime de change géré visant à garantir la stabilité macroéconomique et un taux de change flottant basé sur les conditions du marché. Comme tous les pays émergents (Gharbi, 2005), la Chine doit choisir sa stratégie de change entre la gestion du taux de change par les autorités monétaires et un régime de change flottant qui laisse, plus ou moins, celui-ci varier selon l’équilibre du marché. La première stratégie garantit en principe une certaine stabilité du taux de change, dont les variations correspondent à des arbitrages de politiques économiques, mais elle fait apparaître au grand jour des conflits d’intérêt entre pays ; elle peut entraîner des erreurs de politiques économiques, que le marché peut sanctionner par des crises de change. La seconde induit automatiquement une forte instabilité des changes, puisque le marché n’a aucune indication sur le taux de change objectif des autorités monétaires. Il est d’autant moins praticable par la Chine actuellement que celle-ci a un important excédent de sa balance de base. Si les autorités n’intervenaient pas, le taux de change s’apprécierait fortement.

103Les autorités chinoises doivent aussi choisir entre le maintien du contrôle des changes et la libéralisation des mouvements de capitaux. Le contrôle des changes permet de maintenir l’autonomie de la politique monétaire ; le taux d’intérêt interne peut être déconnecté des anticipations de change. Mais, il devient de plus en plus difficile à maintenir dans la mesure où la Chine a d’importants échanges de marchandises et libéralise une partie des mouvements de capitaux (IDE, transferts de revenus, etc.). La libéralisation permettrait de laisser jouer « l’offre et la demande ». Mais, ce jeu induirait une forte instabilité des changes et obligerait les autorités chinoises à s’écarter de leur niveau de taux de change désiré. Si le marché anticipe une valeur d’équilibre de 6 RMB pour un dollar et que le taux d’intérêt est de 4 % aux États-Unis, le taux d’intérêt de la Chine ne pouvant descendre en dessous de 0, le taux de change du RMB ne peut guère s’écarter de 6,24 RMB pour un dollar, soit une forte hausse par rapport au 8 RMB actuel.

104Le caractère contradictoire des déclarations chinoises est renforcé par la référence à un flottement géré du renminbi face à un panier de devises. Le système tel qu’exposé par les autorités est asymétrique et contradictoire. Le taux de change du renminbi serait défini en fonction d’un panier de devises. Selon certaines déclarations, qui se réfèrent à la gestion journalière, ce panier serait composé du dollar, de l’euro, du yen et du won sud-coréen. Selon d’autres déclarations, y figureraient aussi, à plus long terme, la livre sterling, le dollar australien, le dollar canadien, le rouble russe, ainsi que les monnaies de trois voisins d’Asie du Sud-Est : le baht thaïlandais, le dollar singapourien et le ringgit malaisien. En fait, la Banque centrale définit quotidiennement une valeur centrale de parité renminbi-dollar autour de laquelle le taux de change peut fluctuer de +/– 0,3 %. Pour les trois autres monnaies, la parité centrale serait définie en fonction de la parité du RMB vis-à-vis du dollar, et du taux de change entre le dollar et la monnaie considérée, avec une marge de flottement de +/– 3 %. Pour la gestion journalière, le renminbi n’est donc pas rattaché à un panier de devises mais à une seule devise : le dollar, à partir de laquelle on déduit les taux de change du renminbi vis-à-vis des autres monnaies (et on voit mal le sens de la bande de 3 %). Pour le plus long terme, on voit mal comment le rattachement annoncé serait mis en œuvre : les pondérations n’ont pas été précisées ; la BPC n’a pas indiqué si elle entendait maintenir fixe le taux de change effectif nominal ou le taux de change réel ou si elle entendait laisser celui-ci s’apprécier lentement. Elle a choisi de garder toute sa liberté. La réforme du régime de change chinois soulève donc de nombreuses interrogations.

4.1 – En quelle monnaie la parité doit-elle être exprimée ?

105Deux pratiques sont concevables : utiliser une devise internationale (le dollar, le yen ou l’euro) ou définir un panier de devises avec des poids reflétant l’importance de chaque devise comme monnaie des importateurs et des concurrents à l’exportation. La première stratégie a l’avantage de la simplicité et de la transparence, donc de la crédibilité. Mais, elle est déstabilisante quand la devise du pays pivot connaît de fortes variations par rapport aux monnaies des pays fournisseurs, clients ou concurrents, ce qui est souvent le cas du dollar. La stabilité vis-à-vis d’un panier permet de réduire au minimum l’impact des fluctuations de change sur le pays considéré, mais elle peut être opaque et manipulable, donc peu crédible.

106L’ancrage au dollar en Asie de l’Est et en particulier en Chine n’est pas seulement utilisé à cause des relations commerciales avec les États-Unis, mais surtout parce le dollar est utilisé comme monnaie d’échange pour le commerce avec le Japon et dans la région asiatique. La rigidité de toutes les monnaies asiatiques vis-à-vis du dollar évite une forte instabilité des taux de change bilatéraux en Asie et compense, en quelque sorte, l’absence d’un accord monétaire régional.

107Frankel (2004) considère que l’Asie a besoin aujourd’hui d’une devise centrale qui pourrait constituer un ancrage approprié pour chaque pays de la région. Le yuan ne peut pas constituer un ancrage stable car la Chine ne possède pas un marché financier suffisamment ouvert. Le yen fluctue trop par rapport au dollar. Pour faciliter l’intégration monétaire en Asie, il propose donc que Singapour adopte unilatéralement un arrimage transparent à un panier de devises (dollar, euro, yen et yuan) et que les autres pays de la région utilisent le dollar singapourien comme monnaie d’ancrage pour fixer leur propre taux de change. Mais, l’architecture proposée apparaît bien compliquée. Un accord pour faire de Singapour la monnaie pivot semble peu réalisable. Le projet ne règle pas la question du niveau approprié des devises asiatiques.

108McKinnon (2005) critique la prétention de la BPC de pratiquer simultanément un ancrage vis-à-vis du dollar et vis-à-vis d’un panier de devises. C’est évidemment impossible puisque les taux de change renminbi/dollar et dollar/euro déterminent le taux de change renmibi/euro.

4.2 – Peut-on maintenir les changes fixes ?

109La Chine a maintenu un change fixe avec les États-Unis pendant onze ans de 1994 à 2005. Du point de vue chinois, cette stratégie a été un succès. L’inflation a été éradiquée et la croissance a été vigoureuse. Toutefois, la viabilité des systèmes de change fixe est aujourd’hui remise en cause. Les crises de change les plus retentissantes de la dernière décennie sont intervenues dans des régimes de taux de change fixe : mécanisme de change européen en 1992/1993, Mexique en 1994/1995, pays de l’Asie du Sud-Est en 1997, Russie en 1998, Brésil en 1999, Turquie en 2001.

110Selon ses contempteurs, la fixité des changes n’est pas tenable à terme. Elle nécessite que le pays s’impose de fortes contraintes de politique macroéconomique. Son taux d’inflation doit être égal à celui du pays de rattachement (corrigé toutefois de l’effet Balassa) et tout dépassement doit être corrigé. Son taux d’intérêt doit être celui du pays de rattachement augmenté du risque de dévaluation perçu par les marchés ; ce qui empêche toute politique monétaire de stabilisation. Ces contraintes peuvent devenir si pesantes que leur maintien apparaît peu crédible aux marchés, ce qui précipite la crise de change. Le FMI préconise donc d’abandonner les changes fixes traditionnels au profit de solutions en coins, changes flottants ou change fixes « durs » comme les currency boards. Mais l’effondrement du currency board argentin au début de l’année 2002 a décrédibilisé ce type de régime.

111Williamson (2004) indique plusieurs conditions pour que le régime de change fixe ne conduise pas à un mésalignement du taux de change effectif réel : l’économie doit être ouverte et de petite taille pour pouvoir être absorbée par une région monétaire importante ; la majeure partie de ses échanges doit concerner les membres de cette région monétaire et, enfin, le pays doit adopter des accords institutionnels lui permettant d’assurer une crédibilité au régime de change fixe. La Chine ne vérifie aucune de ses conditions : ce n’est pas une petite économie et la majeure partie de ses échanges ne concerne pas les États-Unis mais la région asiatique. Elle n’est pas prête à renoncer à sa souveraineté pour adopter un accord institutionnel de type currency board pour renforcer la crédibilité du régime de change fixe.

112Toutefois, la Chine a pu maintenir sans difficulté son régime de taux de change fixe en raison de plusieurs atouts. Elle a, jusqu’à présent, conservé un certain contrôle des changes, qui lui permet de résister à la pression à l’appréciation du taux de change ; elle a maintenu un certain contrôle du crédit ; étant plus menacée par une appréciation que par une dépréciation de son taux de change, il lui est plus facile d’accumuler des réserves de changes que de s’endetter pour défendre sa parité.

113Doit-elle mettre en péril le dynamisme de sa croissance ? La première stratégie consisterait en un simple ajustement de sa parité, suivie d’un retour à la fixité des changes. Elle aurait le mérite de montrer la bonne volonté de la Chine et de réduire les pressions américaines. Mais cette stratégie est dangereuse. Un faible réajustement pourrait provoquer des anticipations de réajustements ultérieurs, donc des entrées de capitaux spéculatifs et de moindres entrées d’IDE, l’inverse du but recherché. Un fort réajustement, difficile à calibrer précisément, représenterait un saut dans l’inconnu qui mettrait la croissance chinoise en péril. Les pertes de compétitivité pourraient faire décroître les exportations et affecter durablement le montant des investissements. L’incertitude ainsi créée provoquerait une hausse de l’épargne. Aussi, n’est-il pas certain que le solde courant se rapprocherait de l’équilibre (Bosworth, 2004 ; McKinnon, 2005a).

114Ainsi, McKinnon (2004) considérait-il que la Chine devait maintenir fermement la parité de 8,277 yuan/dollar. Pour lui, céder aux pressions américaines risquait d’entraîner la Chine dans une situation de déflation comparable à celle qu’a connue le Japon de 1992 à 2003. McKinnon et Schnabl (2003) évoquent les infortunes de la vertu (conflicted virtue) : en Chine aujourd’hui comme jadis au Japon, la forte propension à épargner de la population crée un excédent structurel de la balance courante. Si la Banque centrale renonce à accumuler des réserves de change, elle doit continuellement mener une politique monétaire expansionniste afin d’empêcher l’appréciation de la monnaie. Mais cette politique se heurte à la trappe à liquidité, c’est-à-dire l’impossibilité de fixer les taux d’intérêt nominal à des valeurs négatives alors que l’appréciation du taux de change provoque une tendance à la baisse des prix. Le risque est que le dynamisme de la croissance ne soit brisé puisque la compétitivité serait dégradée, que les salaires baisseraient (en raison de la croissance du chômage) et que la politique monétaire serait impuissante.

115Pour certains, dans une optique de moyen terme, la stabilité du taux de change nominal obligerait à réaliser la hausse nécessaire du taux de change réel par l’inflation, ce qui serait nuisible. Au contraire, selon McKinnon (2005a), la stabilité du taux de change nominal fournit un ancrage pour les évolutions de salaires : les hausses de salaire en yuan doivent être considérées comme des hausses en dollar et donc être égales à la croissance de la productivité du travail en dollar. Au contraire, une forte instabilité du RMB par rapport au dollar rendrait totalement indéterminées les règles de fixation des salaires en Chine.

4.3 – Change géré ou change flottant ?

116Comme nous l’avons vu précédemment, le choix de la parité du renminbi est délicat. Il ne peut reposer sur un concept de « taux de change d’équilibre ». La Chine doit choisir un taux de change qui lui assure une forte croissance, tout en évitant des poussées inflationnistes et des tensions sociales insupportables. Qui doit faire ce choix ? Le gouvernement ou les marchés financiers internationaux ?

117Dans la logique des changes gérés, c’est le gouvernement (ou la Banque centrale) qui décide des changements de parité en réalisant un arbitrage entre inflation et compétitivité. Dans la logique des changes flottants, mais contrôlés, c’est le marché qui décide, le gouvernement se contentant de lisser les fluctuations. Dans le cas chinois, où le renmimbi connaîtrait une forte appréciation si la BPC n’intervenait pas au jour le jour, on se situe, quoiqu’en disent les autorités chinoises, dans le cas d’un régime de change géré. Un système où la BPC renoncerait à intervenir serait caractérisé par une forte appréciation du taux de change, puis par des mouvements désordonnés (comme ceux qu’a connus le yen ou l’euro) puisque le marché ne peut déterminer un taux de change d’équilibre. La forte appréciation entraînerait une baisse de l’activité, un ralentissement des flux d’IDE entrants, une baisse des taux d’intérêt, puis des anticipations de baisse du taux de change, etc. Nul ne peut souhaiter que le taux de change de la Chine connaisse de fortes fluctuations, qui déstabiliseraient son commerce extérieur, son accumulation de capital et sa croissance. À l’échelle mondiale, la fin de l’accumulation d’actifs américains par la BPC se traduirait par une dépréciation du dollar par rapport à la zone euro, qui serait nuisible à la croissance en Europe.

118Eichengreen (2004) préconise un système intermédiaire où le taux de change serait flottant, où les mouvements de capitaux seraient progressivement libérés, mais où la BPC continuerait à intervenir en visant à ce que le niveau du taux de change réalise l’arbitrage qu’elle souhaite entre inflation et croissance. Mais quel serait le poids respectif de la BPC et des marchés dans l’évolution du taux de change ? Est-il utile de créer une nouvelle incertitude tant pour la croissance chinoise que pour le système monétaire international ?

119La seule alternative au système de change fixe nous semble être un système de taux de change géré avec une appréciation lente et régulière du RMB en terme réel. Avec un tel régime, les spéculateurs ne peuvent anticiper de forts gains par une crise de change. Cependant, cette option suppose que la Chine reconnaisse la nécessité d’une appréciation de son taux de change réel, ce qui ne va pas de soi dans une phase de croissance extensive (augmentation de la production par hausse de l’emploi plutôt que par hausse de la productivité). Un système de parité glissante où, par exemple, le RMB serait réévalué de 3 à 5 % par an supposerait, en situation de liberté des capitaux et compte tenu du niveau des taux d’intérêt américains, un taux d’intérêt pratiquement nul en Chine, ce qui entraînerait une forte hausse du crédit, si le système bancaire était libéralisé. Ce système nécessite donc le maintien du contrôle du change et du crédit.

4.4 – Des projets d’inspiration américaine…

120Plusieurs économistes américains ont imaginé des règles de gestion du taux de change pour la Chine, dans le cadre desquelles les autorités chinoises accepteraient de laisser le taux de change fluctuer selon le bon vouloir des marchés financiers. Ces projets reposent généralement sur la thèse implicite selon laquelle il existe un taux de change fondamental, indépendant de la stratégie économique de la Chine, que le marché pourrait aider à établir.

121Williamson (2004) propose à la Chine d’appliquer un mécanisme de change qui combinerait sa théorie du TCEF (Taux de Change d’Équilibre Fondamental) avec la règle BBC de Dornbusch : un panier de devises (Basket parity), une large bande de fluctuation (wide Band) et un glissement du taux de change : c’est-à-dire des modifications fréquentes mais de faibles amplitudes des parités (the Crawl of the exchange rate). Il propose de définir pour chaque monnaie son TCEF, puis de déterminer une marge de fluctuation ou zone-cible autour de celui-ci. Chaque autorité monétaire aurait alors la charge d’amener et de maintenir le taux de change réel à l’intérieur de la zone. Mais ceci laisse entière la question de la définition de l’équilibre interne : plein emploi des capacités de production actuelles ou croissance aboutissant à terme au plein emploi. Williamson propose de définir une large bande de fluctuation (10 à 15 %) parce qu’il estime difficile d’estimer précisément le TCEF, et pour éviter que le gouvernement tente de défendre un taux mésaligné. Mais ceci suppose qu’il existe effectivement un TCEF déterminable avec précision. La largeur de la bande de fluctuation est censée permettre au taux de change de s’aligner avec les fondamentaux, sans provoquer d’anticipations déstabilisantes. Elle devrait aider un pays avec de fortes, mais temporaires, entrées de capitaux, à stabiliser son taux de change. Dans la mesure où les opérateurs du marché estiment que la bande est crédible, ils vont anticiper un retour du taux vers la parité centrale. Si les investisseurs étrangers estiment que la bande est crédible, ils vont tenir compte de la valeur de la parité plutôt que du cours sur le marché pour une décision d’investissement. Ainsi, une déviation donnée par rapport à l’équilibre ne va pas déstabiliser les décisions d’investissements. Mais un tel mécanisme a-t-il un sens pour une monnaie dont la valeur dépend à ce point des interventions de change de la Banque centrale ? Un écart avec la parité centrale peut être interprété comme un écart temporaire amené à se résorber, ou au contraire comme un indicateur que la Banque centrale prépare un changement de parité : la bande est stabilisante dans le premier cas, déstabilisante dans le second.

122Goldstein et Lardy (2003, 2004, 2005) plaident pour une réforme en deux périodes. Dans une première phase, une « réévaluation en une fois » d’environ 25 % afin de restaurer l’équilibre de la balance de base et un « réancrage » du RMB à un panier de devises (dollar, euro et yen) avec une largeur de la bande de fluctuations de +/– 10 % ; dans une seconde, le flottement du renminbi et sa convertibilité.

123Selon eux, cette réévaluation est nécessaire pour réduire les déséquilibres économiques mondiaux, à savoir essentiellement l’énorme déficit américain (805 milliards de dollars en 2005). Mais l’excédent chinois (150 milliards) est du même ordre de grandeur que les excédents allemands (115 milliards) ou japonais (160 milliards) et inférieur à celui des pays du Moyen-Orient (180 milliards). Surtout, ils prétendent que la réévaluation aura un impact significatif sur les déséquilibres américains sans nuire fortement à la croissance chinoise, la Chine étant selon eux en situation de surchauffe.

124La réévaluation initiale serait importante ; elle ferait gagner de forts profits aux spéculateurs ; ces derniers pourront penser que ce type de gains pourrait se répéter dans le futur. On pourrait alors entrer dans une spirale dangereuse qui pousserait le RMB jusqu’à un niveau où les opérateurs sur le marché n’anticiperaient plus de possibilités de réévaluation du RMB, donc où le taux de change de la Chine ne serait plus compétitif. Ce n’est guère dans l’intérêt de la Chine de s’engager dans cette voie.

125Les auteurs proposent que la Chine débute des négociations avec ses partenaires asiatiques pour s’assurer qu’ils accepteraient simultanément un réalignement de leur devise. Ainsi, la Chine pourrait éviter la perte de compétitivité importante qui risquerait de résulter de la réévaluation. La Chine devrait donc demander à ses voisins de sacrifier leur croissance aux intérêts américains. Est-ce dans ses intérêts propres ?

126Ils proposent ensuite d’encadrer la nouvelle parité d’une large bande de fluctuation. Ainsi, serait-il possible d’effectuer un réalignement de la devise lorsque ceci s’avérera nécessaire. Mais le taux de change de RMB risque de devenir le jouet des spéculateurs.

127La deuxième étape de la réforme proposée (flottement du RMB) comporte plusieurs sous-étapes. Recapitaliser et restructurer le système bancaire chinois. Ensuite, le libéraliser. Puis, libéraliser la circulation des capitaux. Enfin, mettre en flottement le taux de change chinois. Mais les auteurs ne prouvent pas que ce programme d’alignement de la Chine sur le modèle occidental corresponde bien à son stade de développement et à ses besoins de croissance. La stratégie inverse — maintenir un taux de change bas et stable, protéger ce niveau par des interventions sur le marché des changes, éviter les mouvements de capitaux spéculatifs et favoriser les IDE sources de transfert de technologies, inciter les banques à piloter le développement des entreprises nationales — a, jusqu’à présent, bien réussi à la Chine. Faut-il la sacrifier aux mythes des valeurs d’équilibre que le marché réussirait par miracle à faire apparaître ? Certes, la croissance chinoise n’est pas équilibrée, mais une croissance vigoureuse peut-elle l’être ?

128Le choix que doit faire la Chine en matière de stratégie de change est particulièrement délicat. Le maintien de la fixité du change avec le dollar fait courir le risque de mesures de rétorsion américaines et devient difficile si les capitaux affluent en Chine. Un système de change flottant ferait courir le risque d’une forte appréciation et d’une grande instabilité, qui briseraient le processus de croissance. Selon nous, la Chine doit continuer à maîtriser son taux de change, en permettant une lente et régulière appréciation du RMB, en évitant une libéralisation trop rapide des mouvements de capitaux. Par ailleurs, la Chine devra prendre un tournant de politique économique. Elle a besoin de salaires plus élevés, d’une protection sociale plus généreuse et plus étendue, ce qui induira une baisse du taux d’épargne et une croissance reposant plus sur la consommation que sur l’exportation. Mais la crise de croissance que risquerait de provoquer une forte appréciation du renminbi ne lui permettrait pas d’aller dans cette direction.

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  • Zhou Xiaochuan, 2006 : Remarks on China’s Trade Balance and Exchange Rate, discours du 20 mars.

Notes

  • [*]
  • [**]
  • [***]
  • [1]
    Voir par exemple : Jeong et Mazier (2003), Bénassy-Quéré et al. (2004), Wang (2004), Frunke et Rahn (2004), Coudert et Couharde (2005), Dunaway et Li (2005) et Frankel (2005).
  • [2]
    Le solde commercial avec le Canada et le Mexique représente également 20 %, l’UE et le Japon environ 11 % chacun.
  • [3]
    Les prix des exportations chinoises peuvent être surévalués s’il s’agit de transactions inter-firmes multinationales puisque celles-ci peuvent préférer, pour des raisons fiscales, faire apparaître leurs profits en Chine plutôt que dans leur pays d’origine.
  • [4]
    On en trouvera une étude détaillée dans Prasad et Wei (2005).
  • [5]
    En intégrant le poste « erreurs et omissions » dans les entrées de capitaux.
  • [6]
    Avec une méthode identique, Coudert et Couharde (2005) trouvent une sous-évaluation du renmibi par rapport au dollar de 50 à 43 % pour 2003.
  • [7]
    Williamson (1994), traduction des auteurs.
  • [8]
    Formellement, Smin est la solution de l’équation :
    equation im40
  • [9]
    Traduit de l’anglais par les auteurs.
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