Couverture de REOF_084

Article de revue

L'Europe ne sonne jamais la retraite

Pages 181 à 222

Notes

  • [1]
    Conclusions du Conseil européen de Barcelone, 15 et 16 mars 2002, document SN 100/02, page 14.
  • [2]
    En France, la Sécurité sociale est de droit privé, mais contrôlée par le Parlement.
  • [3]
    Même si parler en anglais dans le texte de « pensions fund » n’implique pas obligatoirement l’accumulation de capital et une gestion privée. En pratique, certains « pensions funds », anglais par exemple, notamment dans le secteur public, fonctionnent par répartition. Les caisses de retraite complémentaires françaises sont donc des « pension funds ». A contrario, les pensions civiles et militaires inscrites au Grand Livre de la dette publique ne constituent pas un « pension fund », pas plus que les régimes d’entreprise allemands lorsqu’il sont provisionnés au bilan de l’entreprise, ou les contrats d’assurance, puisque pour parler de “pension fund” nécessite l’existence d’une structure autonome qui reçoit les cotisations et verse les pensions.
  • [4]
    Réforme « Balladur » en France de 1993 pour le Régime général.
  • [5]
    Article 3b alinéas 2 et 3 du traité CE modifié par le traité de Maastricht, devenu l’article 5 du traité d’Amsterdam.
  • [6]
    Même la Banque centrale européenne a publié sa propre étude sur les retraites et les conséquences du vieillissement sur les finances publiques (BCE, 2000).
  • [7]
    Le Conseil n’est pas une institution juridique de l’Union européenne. C’est le Conseil de l’Union européenne, composé de représentants des États membres de niveau ministériel, qui statue.
  • [8]
    Les articles 48 à 51 du traité de Rome développent les conséquences du principe de la libre circulation des travailleurs posé par l’article 3. L’article 48 qui stipule « l’abolition de toute discrimination, fondée sur la nationalité, entre les travailleurs des États membres, en ce qui concerne l’emploi, la rémunération et les autres conditions de travail » est mis en œuvre par le règlement communautaire 1 612/68. Ce règlement, à défaut de dispositions plus précises, concerne aussi les retraites. Mais la Sécurité sociale, et donc les pensions qui en relèvent, font l’objet de l’article 51 qui prévoie l’adoption dans ce domaine particulier des mesures nécessaires à la libre circulation par le Conseil, statuant à l’unanimité. Ces mesures ont été prises dès 1958 avec les règlements 3 et 4 remplacés en 1971 par le règlement 1 408-71.
  • [9]
    Et pour d’autres domaines comme la maladie, aux étudiants et aux particuliers en voyage.
  • [10]
    La DG XV — Marché intérieur et services financiers — se divise maintenant en deux DG: Marché intérieur et services financiers/Affaires économiques et financières.
  • [11]
    Communication au Conseil du 22 juillet 1991
  • [12]
    Deux directives de portée assez limitées, avaient jusque là vu le jour, la première (1977) sur le maintien des droits des travailleurs en cas de transferts d’entreprise ; la seconde (1980) sur la protection des salariés en cas d’insolvabilité de l’employeur.
  • [13]
    Voir par exemple document de travail du 18 février 2000, disponible en ligne sur www. efrp. org.
  • [14]
    Le débat, sous couvert de savoir s’il fallait gérer les sorties en rente viagère, plus conforme à l’assurance, ou en capital pour les banques, cachait mal une logique de capitation du marché des salaires différés.
  • [15]
    Du 17 décembre 1994.
  • [16]
    Précisément le libre choix du gestionnaire du fonds, l’interdiction des règles nationales imposant le placement d’une certaine proportion des ressources du fonds sur le marché des capitaux de l’État membre considéré et/ou dans certaines catégories de valeurs mobilières pour des raisons non justifiées par des considérations prudentielles, la prudence dans la réalisation des placements afin de préserver la sécurité des actifs et de manière à maximiser leur rendement tant pour les affiliés que pour les employeurs…
  • [17]
    Du 5 juin 1997.
  • [18]
    Il s’inspire pour partie des thèses de l’EFRP développées notamment dans un rapport de Koen De Ryck « European Pension Funds, their impact on European Capital Markets and Competitiveness ».
  • [19]
    Dans le cadre du deuxième axe, la Commission a lancé, en janvier 2000, le Forum des pensions, instance de réflexion qui regroupe des représentants des États membres, des partenaires sociaux et des fonds de retraite, ce qui ne risque d’offusquer personne.
  • [20]
    COM (2000)507 final.
  • [21]
    Le ratio entre les effectifs âgés de plus de 64 ans et ceux âgés de 20 à 64 ans pour l’ensemble de l’Union européenne doublerait d’ici 2040 et continuerait globalement à progresser au-delà à un rythme beaucoup plus modéré. Des ordres de grandeur identiques se retrouvent dans la plupart des pays européens, dont la France, aux exceptions notables de l’Italie et de l’Espagne, où le vieillissement serait plus prononcé encore.
  • [22]
    Anciennement Groupe à Haut Niveau sur la Protection Sociale.
  • [23]
    Rien n’a été laissé au hasard puisque le rapport a été alimenté par les réponses des États membres à un questionnaire, préparé conjointement par la Commission et le Comité de la Protection sociale.
  • [24]
    COM (2000a) spécifiait déjà que la méthode ouverte de coordination prévoit la fixation d’objectifs communs, la traduction de ces objectifs dans les stratégies politiques nationales et, enfin, […] un suivi périodique sur la base, entre autres, d’indicateurs convenus et définis en commun.
  • [25]
    Premier arrêt Defrenne du 25 mai 1971.
  • [26]
    La Cour l’a confirmé dans un arrêt Bilka du 13 mai 1986 qui précise que ce principe d’égalité s’applique directement, c’est-à-dire sans qu’il soit nécessaire de le reprendre dans les législations nationales des États membres, et qu’il faut en tirer les conséquences rétroactivement en remontant au 8 avril 1976, date du deuxième arrêt Defrenne.
  • [27]
    Arrêt Evrenopoulos du 17 avril 1997.
  • [28]
    Le régime spécial des industries électriques et gazières qui englobe EDF-GDF et cent cinquante petites entreprises non nationalisées serait sans doute considéré par la Cour comme un régime professionnel. Mais en irait-il de même pour celui des fonctionnaires, ou bien cette catégorie de travailleurs serait-elle estimée trop large pour être considérée comme « particulière » ?
  • [29]
    Le 17 mai 1990.
  • [30]
    Arrêts Coloroll et Vroege du 28 septembre 1994 et l’arrêt Dietz du 24 octobre 1996.
  • [31]
    Qui demeure régi par la jurisprudence Bilka (rétroactivité au 8 avril 1976).
  • [32]
    Accord du 9 février 1994.
  • [33]
    Le 25 avril 1996.
  • [34]
    Du 17 mai 1990.
  • [35]
    Par arrêt du 25 mai 2000.
  • [36]
    Les cotisations des salariés et les pensions doivent être les mêmes pour les hommes et pour les femmes, ce qui conduit l’employeur à verser davantage pour les femmes en raison de leur espérance de vie plus longue.
  • [37]
    Arrêt Neath du 22 décembre 1993.
  • [38]
    Depuis l’arrêt Beune, il est considéré qu’un régime légal verse des « prestations de rémunération », c’est-à-dire fondées sur un lien d’emploi, et non des prestations de sécurité sociale, lorsqu’il remplit les critères suivants :
    • la pension n’intéresse qu’une catégorie particulière de travailleurs ;
    • la pension est directement fonction du temps de service accompli ;
    • la pension est calculée sur la base du dernier traitement.
  • [39]
    Arrêt Choukroun du 5 juin 2002, Req. n° 202 667.
  • [40]
    Si l’on retient la position du juge communautaire, dans sa décision du 29 novembre 2001, la CJCE a réservé le bénéfice de la bonification aux seuls « fonctionnaires masculins qui sont à même de prouver avoir assumé l’éducation de leurs enfants » et dans ce cas tous les fonctionnaires masculins sans limitation de rétroactivité peuvent demander une révision du montant de leur pension. Si l’on retient la position du Conseil d’État, le juge précise, dans le corps de sa décision, que « la demande de révision de la pension (a été formulée) dans le délai prévu à l’article L. 55 du code des pensions civiles et militaires ». Cet article prévoit que la pension et la rente viagère d’invalidité sont définitivement acquises et ne peuvent être révisées ou supprimées à l’initiative de l’administration ou sur demande de l’intéressé que dans un délai d’un an à compter de la notification de la décision de concession initiale de la pension ou de la rente viagère, en cas d’erreur de droit.
  • [41]
    Arrêt Höfner, 23 avril 1991, cet office est donc a priori soumis à concurrence et que son monopole sur le marché de l’emploi était abusif dans la mesure où seule une minorité de cadres dirigeants trouvaient un emploi grâce à lui !
  • [42]
    Le Centre de défense des commerçant et artisants contre la CANCAVA, Arrêt Pistre et Poucet, 17 février 1993, suivi de l’arrêt Garcia le 26 mars 1996.
  • [43]
    Arrêt Van Schijndel du 14 décembre 1995. Les trois arrêts Brentjens, Albany et Maastschappij du 21 septembre 1999 confirment ces analyses tout en insistant sur la reconnaissance par le droit européen du rôle des partenaires sociaux et des accords collectifs.
  • [44]
    Arrêt Coreva du 16 novembre 1995.

1La plupart des travaux sur les retraites en Europe se placent du point de vue des États membres et cherchent soit à comparer les situations respectives, soit à les décrire, d’un point de vue historique et/ou prospectif. Trop rares sont les études qui traitent du niveau européen, au-delà des États membres. Lors de la publication de Retraites de l’Europe (Dantec & Pelgrin, 1998), la Commission venait tout juste d’échouer sur deux propositions de directives sur les régimes complémentaires — la première sur la libre circulation des personnes, la seconde sur la liberté de placements de fonds de pension —, et il nous semblait alors que les traités bilatéraux et multilatéraux en place devaient permettre de résoudre les principaux obstacles à la libre circulation qu’elle évoquait.

2Depuis, la Commission et les comités d’experts européens, ainsi que la CJCE sont intervenus de plus en plus efficacement dans le domaine des retraites, pourtant soumis au principe de subsidiarité. De la libre circulation et du marché unique des capitaux, la Commission européenne s’est mise à l’heure du vieillissement, tandis que la CJCE déclinait l’égalité de rémunération hommes/femmes et le droit à la concurrence. Les conclusions du sommet de Barcelone sont l’aboutissement de ces interventions : « Il faudrait chercher d’ici 2010 à augmenter progressivement d’environ cinq ans l’âge moyen effectif auquel cesse, dans l’Union européenne, l’activité professionnelle. Les progrès à cet égard seront examinés chaque année avant le Conseil européen de printemps » [1].

3Les conséquences pour les régimes complémentaires de toutes ces interventions sont très loin d’être négligeables, tant en termes financiers que dans l’organisation même des régimes nationaux, rendant nécessaire l’exposition de cette montée en puissance de ces instances, de plus en plus contraignantes dans les débats nationaux, alors qu’elles comprennent mal, ou réduisent sciemment les différences et les disparités nationales. Il est vrai qu’un vent de réformes souffle sur presque toute l’Europe dans le domaine des retraites. Mais les États membres adoptent des stratégies toutes différentes, même si certains points de convergence apparaissent, notamment dans la volonté de repousser l’âge de fin d’activité.

4Comme le domaine des retraites est composite, nous commençons par revenir par sur quelques points théoriques concernant la diversité des régimes européens. Ces rappels permettront de mieux comprendre les enjeux sous-jacents aux positions prises par la Commission sur les régimes de base d’une part, sur les régimes complémentaires d’autre part. Ces mêmes régimes complémentaires, comme certains régimes spéciaux, sont également la cible de la Cour européenne de justice, dont les arrêts ajoutent un risque supplémentaire aux risques démographiques et financiers.

Une grande diversité européenne

5L’objet de cet première partie n’est pas de déterminer une taxonomie précise des régimes de retraite en Europe mais d’expliciter quelques axes d’opposition théoriques pour mieux comprendre les interventions des instances européennes qui vont suivre. Il convient ainsi de préciser les oppositions selon :

  • le mode de financement : répartition/capitalisation ; cotisation/impôt ;
  • la nature de la structure qui gère les pensions : privé/public ; fonds de pension/caisse de retraite ; base/complémentaire/sur-complémentaire ;
  • la philosophie générale nationale des assurances sociales : commutatif/distributif ou beveridgien/bismarkien ;
  • qui supporte le risque : cotisations ou épargne/prestations définies ; sortie en rente/capital ; obligatoire/facultatif ;
  • l’âge de cessation d’activité/l’âge de liquidation des droits.
Les travailleurs affiliés à un régime par répartition versent des cotisations à une caisse de retraite pour financer les pensions des retraités des générations précédentes. Quand viendra leur tour de prendre leur retraite, ces travailleurs verront leur pension alimentée par de nouvelles générations de travailleurs. Ces caisses de retraite peuvent également être alimentées, pour tout ou partie, par impôt. Le principe de la répartition a permis de mettre en place des pensions de retraite immédiate après la Seconde Guerre mondiale, sans période d’accumulation préalable dans l’ensemble des pays européens. A contrario, les travailleurs affiliés à un régime par capitalisation épargnent une partie de leur revenu courant. Cette épargne sera mobilisable au moment de leur départ en retraite, soit sous forme d’un capital libéré en une fois, soit sous la forme d’une rente viagère. Ce type de financement nécessite donc une phase préalable d’accumulation.

6Tous les pays européens possèdent des fonds gérés en capitalisation, à des niveaux très variables. Que ce soit en répartition ou en capitalisation, par cotisation ou épargne, l’effort porte sur les ménages actifs, et non, comme voudraient le faire croire de nombreux intervenants, notamment européens, sur les finances publiques. Il n’y a donc que dans un scénario de croissance du financement par impôt que le vieillissement aurait pour conséquence l’augmentation du déficit public.

7Par ailleurs, il est usuel d’opposer les deux modes de financement selon le risque qu’il fait supporter au régime. La répartition serait plus sensible au « risque démographique », tandis que la capitalisation serait soumise au « risque financier ». En fait, plutôt que de parler de « risque démographique », il convient de considérer un très certain vieillissement. Par ailleurs, comme la plupart des systèmes de répartition européens ont mis en place pour passer le choc lié aux générations du baby boom des fonds de réserves, ces derniers deviennent alors sensibles aux mêmes risques que les fonds de pension en capitalisation. Enfin, même s’il est communément admis que l’évolution démographique ne peut avoir d’incidence sur un système par capitalisation sous le prétexte que chacun y paye sa propre retraite, il est pourtant certain que le financement d’une retraite plus longue pèse dans tous les cas de figures sur les actifs nationaux. Ce n’est qu’en réduisant la consommation des personnes âgées financée par l’ensemble des sources possibles que l’on réduit leur coût pour une économie. Plus précisément, le vieillissement ne manquera pas d’avoir un effet important sur les taux d’intérêt.

8En second lieu, rien dans les définitions de la capitalisation et de la répartition ne permet de déterminer a priori le caractère public ou privé de la gestion des fonds ainsi collectés. On retrouve le glissement qui permet d’associer implicitement la répartition au public et la capitalisation au privé dans les publications que nous allons analyser. Par ailleurs, s’il existe, bien sûr, une gestion purement publique [2] des caisses de retraite par les organismes de Sécurité sociale, et une gestion pleinement privée par les fonds de pension [3] privés, on trouve à mi-chemin la gestion paritaire, où syndicats et patronats gèrent de concert l’avenir des retraites. Les instances européennes ont souvent du mal à appréhender ces derniers régimes et classent le monde des retraites en trois catégories, reprenant la terminologie suisse des « piliers » : premier pilier, les régimes de base, deuxième pilier, les régimes complémentaires ou professionnels, et troisième pilier, les régimes supplémentaires ou sur-complémentaires. Le tableau 1, extrait du Livre Vert (COM (97)283, cf. infra), permet d’appréhender la part respective moyenne de ces « piliers » dans les pays de l’UE.

1

Les différents piliers en Europe, extrait du Livre Vert (1994)

PilierDescriptifPart dans les pensions de retraite dans l’UE
Premier pilierRetraites forfaitaires de Sécurité Sociale (répartition)
Prestations définies liées aux revenus (répartition/capitalisation)
88,8 %
Deuxième pilierRégimes de retraite professionnels (répartition/capitalisation)
Capitalisation, provisions au bilan, plans de retraite souscrits auprès d’un assureur
7 %
Troisième pilierPlans d’épargne retrait surtout liés à une assurance vie0,9 %
DiversRégime de revenu garanti sous conditions de ressources, programmes d’assistance publique3,3 %
Lecture : Sources des prestations au niveau de l’UE en pourcentage des prestations totales.

Les différents piliers en Europe, extrait du Livre Vert (1994)

Source : Eurostat.

9Les pensions versées par le deuxième pilier viennent, par définition, compléter les pensions versées par les régimes de base. Leur développement est le fruit d’une politique de gestion de la main d’œuvre des employeurs, à l’instar des caisses de retraite maison du siècle dernier, mises en place pour retenir la classe ouvrière, dont une partie redevenait fortement mobile pour assister leur famille au moment des moissons. Dans de nombreux pays, la portabilité des pensions, i.e. la capacité d’un salarié de conserver ses droits acquis lorsqu’il change d’entreprise, n’est pas assurée dans tous les cas. Au Royaume-Uni et en Allemagne par exemple, le salarié doit rester une période minimale dans l’entreprise pour pouvoir, en cas de mobilité, « emporter » avec lui les droits qu’il a acquis préalablement. Ces périodes sont variables selon les pays et les entreprises, mais elles peuvent aller jusqu’à dix années. C’est cohérent avec l’idée de départ de création de ces régimes de retraites par les employeurs — la fidélisation de leur main d’œuvre —, mais ce l’est moins, avec le principe de libre circulation des travailleurs. Au contraire, le principe même de l’AGIRC (pour les cadres) et de l’ARCCO (pour les non cadres), qui réunit l’ensemble des caisses complémentaires en France, assure une portabilité parfaite : les droits acquis au titre du régime complémentaire suivent tout salarié lorsqu’il change d’entreprise en France, et même dans les pays européens sous certaines conditions, quelle que soit la durée de son passage dans celle-ci.

10La part relative des régimes complémentaires dans le pensionnement est également très variable, selon le niveau et la qualité des pensions assurées par régime de base en place, mais aussi par le poids et les caractéristiques du mouvement syndical, le degré de cohésion des forces politiques, le mode d’intervention des institutions financières, l’attitude des employeurs et de leur organisation (tableau 2). On peut néanmoins essayer de regrouper en trois grandes catégories les régimes complémentaires :

  • les régimes d’entreprise, où les décisions d’instauration et de mise en œuvre sont à l’instigation de l’employeur. Le caractère volontaire de ce système fait qu’ils ne couvrent qu’une fraction limitée des salariés, notamment les plus qualifiés et ceux qui appartiennent à des grandes entreprises (Royaume-Uni, Allemagne, Danemark mais aussi Espagne) ;
  • les régimes sectoriels, gérés paritairement par les représentants des employeurs et des salariés, qui couvrent obligatoirement l’ensemble des salariés appartenant aux entreprises des secteurs concernés (Pays-Bas et Danemark) ;
  • les régimes nationaux, couvrant l’ensemble du territoire national. En Suède et en France, une catégorie particulière de salariés a d’abord obtenu un régime propre (AGIRC en France pour les cadres,

2

Poids relatifs des retraites en Europe

En %
Pension de retraite en part du PIBTaux de couverture (part de l’emploi total)Part des retraites complémentaires dans le total des retraites
199819961996
Allemagne12,44611
Autriche13,7
Belgique11,8318
Danemark11,58018
Espagne10153
Finlande9,4
France12,89021
Grèce12,9
Irlande44018
Italie15,652
Luxembourg10,730nd
Pays-Bas11,78532
Portugal1015nd
Suède13,1
Royaume-Uni11,84828
UE1512,5

Poids relatifs des retraites en Europe

Source : Eurostat.

11ITP en Suède pour les cols blancs) étendu ensuite aux autres salariés (STP en Suède, ARRCO en France). En Grèce, IKA-TEAM devrait être absorbé par le régime de base. Les régimes complémentaires finlandais LEL et TEL sont également des régimes légaux mais gérés par des institutions financières privées.

12Enfin, notons que ce second pilier regroupe à la fois des régimes tels que l’AGIRC, géré paritairement et en répartition, et des fonds de pension gérés en privé et en capitalisation, ce qui complique encore le problème de portabilité des pensions complémentaires.

13En troisième lieu, on distingue également volontiers dans les comparaisons internationales les dispositifs commutatifs (de tradition bismarckienne), des dispositifs distributifs (de tradition beveridgienne). Dans les premiers, les droits sociaux sont issus du travail préalable et des cotisations versées; dans les seconds, ils sont issus d’une qualité (invalide, âgé, malade, …) et liés à la nationalité. Quoique sa filiation à des traditions passées soit finalement discutable, on retrouve l’opposition de la protection sociale dans son ensemble selon son financement — cotisations sociales ou impôt — et son degré de redistributivité.

14Bien sûr, la détermination de la population couverte ne répond plus aujourd’hui, dans l’ensemble des États membres, à une démarcation si nette : elle croise les deux critères opposés. En France, par exemple, où le dispositif est le plus souvent qualifié de commutatif, une personne qui atteint l’âge de départ en retraite, mais qui n’a pas cotisé suffisamment pour obtenir des droits, peut bénéficier d’une allocation forfaitaire, l’allocation vieillesse, mécanisme typiquement redistributif. Les différences de proportion entre les deux dispositifs sont encore, malgré tout, importants pour la branche Vieillesse et accroissent encore le problème de portabilité.

15En quatrième lieu, on peut également opposer les systèmes selon que le risque, « démographique » et/ou financier, est supporté par l’employé, par l’employeur, ou par l’ensemble du système, en capitalisation comme en répartition. Dans les régimes à cotisations/épargne définies, le futur retraité sait combien il verse chaque année à la caisse de retraite, mais ne connaît pas le montant à venir de sa pension. Le fonds de pension ajustera, qui en fonction de la situation démographique, qui en fonction des résultats de ses placements financiers, au moment de la liquidation des droits. De sorte que c’est le futur pensionné qui supporte le risque. Au contraire, dans les régimes à prestations définies, les caisses de retraite doivent s’adapter pour verser au retraité une pension définie à l’avance. Un ajustement peut se faire pour les régimes par répartition par une augmentation de la charge sur les actifs par un relèvement du taux de cotisation par exemple. Mais cela peut également se faire en diminuant le nombre de retraités par :

  • le relèvement de l’âge de liquidation des droits par un allongement de la durée minimale de cotisation,
  • la suppression de l’âge obligatoire de départ en retraite,
  • l’octroi d’avantages financiers pour les personnes faisant valoir leurs droits à la retraite à un âge plus avancé,
  • le passage plus progressif de l’activité professionnelle à plein temps à la retraite totale.
Mais les systèmes par répartition, même s’ils sont le plus souvent considérés comme à prestations définies, peuvent également jouer sur d’autres paramètres pour contourner la certitude définie de la pension. Certains ont pu réduire l’indexation des pensions versées après liquidation (passant ainsi d’une indexation sur l’évolution des salaires bruts moyens à une indexation moins favorable sur l’inflation) ou encore augmenter le nombre d’années pour le salaire de référence, ce qui revient à diminuer la pension, étant donné le profil de revenu sur une vie entière [4].

16Les fonds gérés en capitalisation n’ont pas la même souplesse pour déterminer le montant d’une prestation définie à l’avance. C’est certainement pourquoi la plupart des nouveaux fonds mis en place récemment ne garantissent plus un niveau de pension. En Grande Bretagne, par exemple, les fonds à prestations définies se referment progressivement, ne sollicitant plus de nouveaux entrants. Mais les nouveaux sont néanmoins assortis d’un certain nombre de garanties de placement, notamment lorsqu’ils approchent de leur maturité, i.e. du moment où ils vont commencer à liquider les pensions. Ces recommandations de placement feront l’objet d’un certain nombre de propositions de la Commission.

17Un autre point d’intérêt en la matière concerne les pensions de réversion. Au décès d’un assuré social, le conjoint survivant peut bénéficier d’une partie de sa retraite. Pour percevoir cette pension, dite de « réversion », le conjoint survivant doit en général remplir des conditions d’âge minimum, de durée de mariage et de ressources. La pension de réversion représente grosso modo la moitié de la celle que percevait ou aurait pu percevoir l’assuré décédé, et ne s’ajoute que très partiellement à une pension principale de retraite perçue par ailleurs, puisque son calcul est différentiel. Ainsi, si le conjoint survivant touche une pension de retraite du même ordre de grandeur que la pension de réversion à laquelle il avait théoriquement droit, il ne touchera aucune pension supplémentaire ; s’il touche un peu moins, la pension de réversion permettra d’ajuster le niveau total des pensions perçus.

18Ce principe a été mis en place pour bénéficier essentiellement aux femmes inactives ou dont les périodes d’activité sont souvent amputées par des périodes d’inactivités longues, liées notamment à la maternité. Il est toujours d’une grande importance puisque les femmes européennes continuent de vivre en moyenne huit années de plus que les hommes, mais son volume ne peut que diminuer avec l’augmentation de leur activité. Son objet est donc bien de mieux couvrir une population qui n’a pas bénéficié de période d’activité rémunérée suffisante, et non pas de discriminer négativement la population masculine, déjà frappée d’une période de pension plus courte en moyenne du fait du différenteil d’espérance de vie. Nous verrons pourtant plus loin que ce n’est pas l’interprétation qu’en fait la CJCE.

19Enfin, il convient d’opposer les âges de cessation d’activité et de liquidation des droits. Le passage de la période d’activité à celle d’inactivité définitive dûment pensionnée est ponctué par trois âges, non nécessairement confondus. L’âge de cessation d’activité est le moment où le salarié quitte effectivement son activité : il peut alors sortir de la population active (retraité, préretraité,…) ou bien y rester (chômeur). Ensuite, vient l’âge légal de départ en retraite, à partir duquel chacun peut décider de liquider ses droits à pension. Le passage à la « retraite à 60 ans » en France n’est en fait que la diminution de cet âge légal. Mais rien n’assure qu’à cet âge, les droits du pensionné seront « pleins », i.e. égaux à 100 % des droits acquis au cours de sa carrière. La condition est donc nécessaire mais non suffisante. C’est pourquoi il faut distinguer, en troisième lieu, l’âge de liquidation des droits, i.e. la date réelle de commencement de la retraite identifiée à la perception de la pension. Quel que soit le type de financement, les droits du pensionné sont liés à la durée de cotisation/épargne et d’affiliation. Ces conditions de délais sont affectées par de nombreuses réformes dans les pays européens vers des durées de plus en plus longues. De sorte que l’âge normal de départ de liquidation des droits augmente, pour tendre un peu près partout vers 65 ans.

20Notons, sans entrer dans les déterminismes de ces différents âges, que les populations concernées par l’asynchronisme entre la cessation définitive de l’activité et la liquidation des droits sont importantes dans tous les pays européens, même si la disparité est forte (tableau 3).

3

Âge de liquidation et taux d’activité en Europe

Age normal de liquidation des droits après réformes en coursTaux d’activité en %
HommeFemme55-6060-65
Allemagne653 6565,120,9
Autriche65604410,8
Belgique653 6539,813,3
Danemark3 653 6574,635,3
Espagne656551,227,6
Finlande656562,523,2
France606059,315,6
Grèce656049,933
Irlande656545,6
Italie656050,219,6
Luxembourg
Pays-Bas656549,715,9
Portugal656556,445,1
Suède616168,6
Royaume-Uni653 6565,537,6
UE15

Âge de liquidation et taux d’activité en Europe

Source : Eurostat.

21La réforme du système de retraite mis en place en Suède cherche à maintenir l’équilibre financier du régime par répartition, à chaque période, à taux de cotisation fixe. Le taux de cotisation cesse alors d’être une variable d’ajustement lorsque le régime subit des chocs économiques ou démographiques qui dégradent son équilibre. Suite à cette réforme, le nouveau régime par répartition est similaire à un régime à cotisations définies en points, du type AGIRC, mais avec une différence de taille : le montant du « point », qui permet de calculer la pension individuelle, dépend de la date de liquidation et, donc, de la génération à laquelle appartient le nouveau retraité. La technique des comptes « notionnels » permet de calculer l’effort contributif de l’assuré tout au long de sa vie professionnelle. Chaque cotisant est titulaire d’un compte individuel sur lequel est inscrit le montant des cotisations retraite qu’il a versé dans l’année (part employeur + part salarié). Comme le régime fonctionne en répartition et comme les cotisations encaissées sont utilisées pour financer les pensions des retraités et, éventuellement, abonder le fonds de réserves, cet enregistrement sur le compte individuel est qualifié de « notionnel » puisqu’il ne donne pas lieu à la constitution d’un capital financier. En instaurant ce mécanisme, les autorités suédoises se sont données les moyens de piloter à long terme leur système de retraite, c’est-à-dire de disposer de mécanismes automatiques correcteurs des déséquilibres, et de satisfaire simultanément des objectifs d’équité que ne remplissait pas spontanément l’ancien système de retraite à prestations définies :

  • un taux de cotisation constant dans le temps est un moyen de satisfaire un certain objectif d’équité intergénérationnelle puisque les générations successives seront mises à contribution à un taux identique pour constituer leurs droits à la retraite ;
  • le nouveau régime est totalement contributif puisque le montant de la pension dépend étroitement de l’effort contributif total, ce qui permet de satisfaire l’objectif d’équité intragénérationnelle : deux individus de la même génération ayant réalisé un effort contributif identique recevront un montant de pension identique quand ils partent à la retraite au même âge. Il n’existe plus de dimension de redistribution au sein d’une même génération ;
  • en tenant compte de l’espérance de vie pendant la période de retraite, le nouveau système corrige automatiquement l’un des facteurs d’augmentation des charges des régimes de retraite, à savoir l’allongement permanent de la durée de vie individuelle.
Mais surtout, la notion d’âge légal ou normal de départ à la retraite disparaît. Seul un âge minimal a été fixé à 61 ans et des droits à la retraite peuvent continuer à être accumulés en cas d’activité partielle durant la retraite. De fait, tous les âges de départ deviennent « actuariellement » équivalents (Dantec, 2000).

Les différents acteurs européens

22Rappelons tout d’abord que « (…) dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, la Communauté n’intervient, conformément au principe de subsidiarité, que si et dans la mesure où les objectifs de l’action envisagée ne peuvent être réalisés de manière suffisante par les États membres et peuvent donc, en raison des dimensions ou des effets de l’action envisagée, être mieux réalisés au niveau communautaire [5] ». La subsidiarité ainsi définie n’organise pas la répartition des compétences entre l’échelon national et l’échelon communautaire, rôle dédié aux traités, mais elle modère l’exercice des compétences que partagent la Communauté et les États membres. Dans le domaine des politiques sociales, ce principe de subsidiarité devrait laisser aux États membres, plus proches des citoyens, le soin de gérer leurs régimes de retraite. Pourtant, un système de retraite, par sa nature et son poids financier, peut interagir avec la situation monétaire, le niveau d’endettement d’un État membre, voire le fonctionnement des marchés européens du travail et des capitaux. Autant de raisons pour que les instances européennes s’y intéressent [6]. C’est le Conseil européen, réunissant les chefs d’État et de gouvernement des Quinze, qui est le plus actif. Il s’appuie sur la Commission européenne, le Conseil de l’Union européenne [7], ainsi que sur des réseaux d’experts. Comme souvent lorsque le droit en la matière n’est pas sédimenté, la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) est également de plus en plus souvent saisie sur des affaires ayant trait à la retraite. Avant de voir comment ces différentes autorités interagissent, il est nécessaire de comprendre sur quelles bases s’appuient leurs interventions.

Les « DG » de la Commission en première ligne

23La Commission, détentrice du droit d’initiative législative, se subdivisant en Directions générales spécialisées (DG), est depuis longtemps la plus prolixe sur le sujet des retraites. Ce sont les DG V et XV qui ont ainsi alterné rapports, propositions de directives, et autres communications. Elles sont maintenant relayées par les trois DG qui se partagent depuis 1999 leurs attributions : Emploi et Affaires sociales, Affaires économiques et financières, et enfin, Marché intérieur. Ce sont ici les motivations des deux DG qui sont reprises puisque leur historique est beaucoup plus conséquent. Notons toutefois que le caractère collégial de la Commission implique qu’elle s’exprime d’une seule et unique voix, tout texte émanant d’une DG devant faire l’objet d’un accord global. Bien sûr, les orientations successives mises en avant par la Commission ont reflété le poids respectif de chacune des DG.

Coordonner les régimes de base pour améliorer la mobilité de la main-d’œuvre

24L’un des objectifs de l’article 3 du traité de Rome est de tendre vers « l’abolition, entre les États membres, des obstacles à la libre circulation des personnes, des services et des capitaux ». Or, lorsqu’un salarié immigre pour travailler dans un autre pays européen pour une période conséquente, il n’est pas certain que l’acquisition de ses droits à la retraite se poursuive, puisqu’il change de système national. La perte de ces droits en cas de mobilité peut alors constituer, nous l’avons vu, un frein à la libre circulation des travailleurs. Dès 1958, la Communauté européenne a, pour ce premier motif, cherché à coordonner les régimes de base de Sécurité sociale. La DG V était spécifiquement en charge de la coordination de ces régimes de base et intervenait également au titre de la mobilité dans les régimes complémentaires jusqu’en 1999. Elle est devenue la DG Emploi et Affaires Sociales en 1999, gardant les mêmes attributions.

25Les règlements 1408/71 [8] « relatifs à l’application des régimes de Sécurité sociale aux travailleurs salariés et à leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté », et 574/72 qui en fixe les modalités d’application, s’inspirent des anciennes conventions bilatérales et multilatérales entre certains États dans le domaine de la Sécurité sociale, pour organiser la coordination des régimes de base. Ces règlements ne s’appliquaient à l’origine qu’aux travailleurs du secteur privé et à leurs familles, puis ont été progressivement étendus aux retraités et aux fonctionnaires [9]. L’objet de ces règlements n’est pas de rapprocher les différentes législations nationales, ou même de les faire converger. Quatre grands principes doivent permettre au travailleur européen d’être mobile, sans risquer de perdre des droits à la retraite de base, tout en respectant l’ensemble des particularismes nationaux :

26— L’égalité de traitement entre nationaux et ressortissants communautaires. Les différents fondements des législations nationales de Sécurité sociale pouvaient en effet empêcher la mobilité selon qu’elles appliquaient un critère de nationalité ou d’activité professionnelle, selon l’un des axes d’opposition évoquée précédemment entre les régimes bismarckiens et beveridgiens. Ainsi, un salarié allemand cherchant à travailler en Hollande n’était plus couvert par la Sécurité sociale allemande, puisqu’il n’y exerçait plus d’activité professionnelle, et ne l’était pas davantage par la Sécurité sociale hollandaise, puisqu’il ne possède pas la nationalité néerlandaise. Le règlement de coordination oblige maintenant les régimes de Sécurité sociale à traiter également tous les travailleurs citoyens des États membres de l’Union.

27— La conservation des droits acquis permet d’éviter la perte de droits due à un changement de résidence. Certaines législations de Sécurité sociale subordonnaient le versement des pensions à une condition de résidence dans l’État membre considéré. Le règlement 1 408-71 interdit maintenant de telles clauses.

28— L’unicité de législation applicable qui assure qu’un travailleur ne peut pas être soumis à plusieurs législations et bénéficie de celle du lieu de travail.

29— Enfin, la conservation des droits en cours non définitivement acquis du fait de condition de durée permet de neutraliser les règles nationales. En particulier, les conditions de délai doivent prendre en compte les périodes d’activité effectuées dans les autres États membres. Le droit à liquider sa pension de retraite est subordonné à des conditions de durée minimale de cotisation, d’activité ou de résidence. En France par exemple, un salarié du régime général qui a cotisé 40 années peut liquider sa retraite à taux plein dès 60 ans. S’il n’atteint pas cette durée de cotisation, il devra attendre, 65 ans pour obtenir ce taux plein. En Allemagne, il devra de toutes les manières attendre puisque l’âge légal a été repoussé à 65 ans. Une carrière accomplie dans plusieurs États membres pouvait donc poser problème dans le décompte des durées de cotisations, ne serait-ce que par la disparité réglementaire. En 1995, le règlement 1 408-71 a donc été modifié pour mettre fin à des divergences d’interprétation des modalités de calcul des pensions de vieillesse des travailleurs migrants de l’Union. Les caisses de Sécurité sociale ont désormais l’obligation de tenir compte des périodes de cotisation communautaires, même en cas de liquidation séparée des pensions dans des États distincts, dès lors que ce calcul est plus favorable à l’assuré. Ainsi, un salarié qui a travaillé 20 ans en France et 20 ans en Allemagne a droit à la retraite française sans abattement dès l’âge de 60 ans. La Sécurité sociale lui versera une pension de base calculée au taux plein, mais sur les seuls droits acquis en France. Sa durée totale de cotisation est bien en effet de 40 années. Mais, il devra attendre 65 ans pour bénéficier de la frange de sa pension acquise sur la période de travail allemande.

30Au total, le règlement 1 408/71 a beaucoup évolué et a permis de faciliter la mobilité potentielle à l’intérieur de l’Union européenne. Mais le contexte a changé puisque, aujourd’hui, pas moins de dix-huit pays sont concernés par cette coordination, alors qu’ils n’étaient que six à l’origine, avec des législations dont les principes de base étaient plus proches. Si les régimes d’assistance doivent en principe être exclus de son champ d’application, la définition jurisprudentielle donnée par la Cour de Justice des Communautés Européennes (cf. supra) a amené certains États à réintégrer dans son champ d’application certaines prestations, ajoutant à la confusion. Le règlement est devenu trop complexe. Il est grand temps de le simplifier. Enfin, si ce règlement a été dans le sens d’une plus grande mobilité intra-communautaire, d’autres freins plus importants semblent persister, comme ceux de la langue, de l’équivalence des diplômes,…

Coordonner des régimes complémentaires disparates pour une meilleure mobilité de la main-d’œuvre ou du capital?

31La coordination que nous venons d’évoquer ne concerne que les régimes de retraite de base. C’est à nouveau par l’angle de la libre circulation des travailleurs que la DG V va tout d’abord chercher à intervenir sur les régimes complémentaires. Mais, si coordonner les premiers piliers est déjà une gageure, ils possèdent malgré tout de nombreux points communs en comparaison de l’extrême diversité des deuxièmes piliers.

32Comme nous l’avons vu, on trouve des régimes complémentaires de chaque côté des axes définis en première partie : gestion privée/publique, commutatif/distributif, cotisations/prestations définies. Plus grave, dans de nombreux pays, la portabilité des pensions, i.e. la capacité d’un salarié de conserver ses droits acquis lorsqu’il change d’entreprise, sur un même territoire national, n’est pas toujours assurée. La durée minimale pour assurer la portabilité est variable selon les pays et les entreprises. L’idée de départ de création de ces régimes de retraites par les employeurs — la fidélisation de leur main d’œuvre — s’oppose au principe de libre circulation des travailleurs, et donc à l’action de la DG V.

33En second lieu, les fonds de pension des retraites complémentaires gérés en capitalisation administrent des masses importantes de capitaux qu’elles placent avec un certain nombre de contraintes réglementaires, notamment pour le choix du type de titres (bons du Trésor, obligations, actions, réserves des entreprises qui créent le fonds,…). La Direction Générale XV de la Commission, et ses successeurs [10], oeuvrant pour un marché unique des capitaux, ont donc une légitimité pour intervenir sur ceux détenus par ces fonds de pension. Par ailleurs, cette Direction vise aussi à déréglementer les placements de ces fonds, notamment dans la libre affectation des supports.

34Le Royaume-Uni, l’Irlande et les Pays-Bas ont logiquement soutenu cette DG dans ses efforts pour libéraliser la gestion financière des fonds de pension alors que la France défendait la position des assureurs visant à obliger les fonds de pension aux mêmes règles prudentielles. L’Allemagne, quant à elle, a protégé le particularisme de son système construit pour dissuader la mobilité, freinant toute tentative pour réduire les durées minimales pour assurer la portabilité. Dans la troisième partie le résultat de ces oppositions multiples, dynamiques et stratégiques sera présenté.

D’autres institutions en concurrence?

La Cour de Justice des Communautés européennes

35Un deuxième acteur prend une part grandissante dans l’intervention supra nationale dans le domaine des retraites, à double titre : la Cour de Justice des Communautés européennes (CJCE). Tout d’abord, l’article 119 du Traité de Rome pose le principe d’égalité de rémunération entre hommes et femmes. Les régimes de retraite l’enfreignent le plus souvent en raison de la mise en place des pensions de réversion. En cas de décès d’un salarié cotisant à une caisse de retraite, ou déjà retraité, une pension de réversion peut en effet être accordée à ses « ayants cause », notamment son conjoint. Étant donné l’inégalité fondamentale entre les hommes et les femmes quant à l’espérance de vie (entre 7 et 8 années selon les pays), cette pension profite le plus souvent « naturellement » aux femmes, mais le plus souvent, ce statut leur est réservé. Nous verrons en troisième partie comment cet « avantage » pourrait disparaître en raison d’une méconnaissance de la CJCE en la matière.

36La CJCE est également saisie sur la base des articles 85 et suivants, qui posent les principes en matière de concurrence. C’est alors le caractère obligatoire ou la « situation de monopole » des régimes de retraite qui est remis en cause. Régulièrement, certaines entreprises européennes essayent ainsi d’échapper aux paiements de cotisations sociales.

37À ce stade de l’analyse, notons enfin que la CJCE interprète les textes européens en fonction des buts assignés par les traités à l’Union européenne. Le juge européen « fait » donc le droit dans la tradition britannique, amenant à des solutions pour le moins évolutives. De plus, la CJCE élargit progressivement le champ d’application du droit communautaire et ne se ferme jamais complètement la possibilité d’intervenir dans les domaines qui relèvent encore pour partie de la compétence des États membres.

Les partenaires sociaux européens et les représentants des fonds

38Les instances européennes ont très tôt affiché leur volonté d’accorder la primauté à des organisations représentatives qui dépassent le simple cadre national. La construction de ces organisations est très délicate si l’on veut bien considérer la très grande diversité des syndicats en Europe, tant par leur taille, leur motivation, leur niveau de négociation (national, branche, entreprise), ou encore leur représentativité. On peut distinguer en la matière les structures qui fédèrent des gestionnaires de fonds de pension, ou d’acteurs qui aimeraient pénétrer le secteur, des organismes de partenaires sociaux européens stricto sensu.

39Ainsi, l’European Federation for Retirement Provision (EFRP) cherche à regrouper les régimes de retraite complémentaire. Ses membres les plus actifs sont les Britanniques, à l’origine de sa création, et les Hollandais. L’EFRP a donc logiquement soutenu la Commission dans le projet de directive sur la gestion des réserves des fonds de pension (cf. infra). Selon l’opposition coutumière entre la gestion des fonds avec une sortie en rente ou en capital, on trouve une deuxième structure, le Comité européen des assurances (CEA), qui défend l’égalité de concurrence entre les fonds de pension et les assureurs. Il a cherché à étendre les règles prudentielles fortes de l’assurance-vie aux retraites complémentaires. Enfin, troisième intervenant dans le débat, l’Association européenne des institutions paritaires (AEIP), entend promouvoir la reconnaissance de l’institution paritaire européenne comme facteur d’élimination des obstacles à la libre circulation par l’émergence d’une politique sociale consensuelle et pratique au niveau européen. Elle a notamment pris position pour une stricte limitation des conditions de durée de carrière dans l’entreprise pour l’acquisition des droits. Les régimes complémentaires français ARRCO et AGIRC ont rejoint l’AEIP. Ces trois entités se sont engagées dans une activité de lobbying intense auprès de la Commission et des réseaux d’expert. Au point que certains rapports reprennent leurs propositions in extenso.

40Les partenaires sociaux européens officiellement admis au dialogue social européen sont au nombre de trois :

  • la Confédération européenne des syndicats (CES), qui regroupe la plupart des centrales syndicales nationales, et qui associe la Confédération européenne des cadres (CEC) depuis un accord signé le 7 juillet 1999 entre Eurocadres (l’organisation des cadres au sein de la CES) et la CEC ;
  • l’UNICE, émanation des organisations patronales nationales. Son point de vue semble assez proche de celui de l’EFRP qui représente les régimes complémentaires d’entreprise.
  • Le CEEP, Centre européen des entreprises à participation publique.
Les organisations syndicales ne s’opposent pas par principe à la volonté de la DG V de faciliter la mobilité, mais font preuve d’une très grande prudence. Elles ont bien conscience en effet que certaines entreprises pourraient en profiter pour fermer à l’avenir des régimes complémentaires jugés trop coûteux. C’est ainsi que les syndicats allemands, tant au sein de la CES qu’au sein de la CEC, modèrent les exigences de réduction des conditions de durée de carrière.

Des instances de conseil: les comités d’experts spécialisés

41Enfin, les différentes compositions du Conseil sont influencées par des comités permanents spécialisés, qui réunissent des hauts fonctionnaires des États membres. Trois comités interviennent, plus ou moins directement, sur le thème des retraites : le Comité de politique économique, le Comité de la protection sociale et le Comité de l’emploi. Le Conseil ECOFIN est notamment secondé par le Comité de politique économique (CPE), dont l’une des missions est de fournir des analyses économiques sur les politiques structurelles, visant à améliorer le potentiel de croissance et l’emploi dans la Communauté. C’est l’influence grandissante de ces conseils, notamment via leurs publications pléthoriques et redondantes, qui va être maintenant examinée.

Des interventions européennes de plus en plus pressantes sur les États membres

42Calendrier des interventions

43Liberté de mouvement des capitaux et libre prestation de service (DGXV)

44— Discours de Sir Leon Brittan du 2 juillet 1990

45— Document de travail de la Commission du 9 octobre 1990 excluant de son champs d’application l’AGIRC et l’ARRCO

46— Proposition de directive liberté de gestion et d’investissement du 12 novembre 1991, incluant l’AGIRC et l’ARRCO

47— Nouvelle proposition de directive du 26 mai 1993 – échec

48— Communication de la Commission du 17 décembre 1994 – annulée sur recours de la France le 20 mars 1997

49— Livre Vert Mario Monti du 10 juin 1997 sur les retraites complémentaires dans un marché unique

50— Communication de la Commission du 11 mai 1999 « Vers un marché unique pour les retraites complémentaires » – Résultats de la consultation relative au livre vert.

51— 14 juillet 1999 : communication de la Commission – « Une stratégie concertée pour moderniser la protection sociale » (COM (99)347 final).

52— 11 octobre 2000 : communication de la Commission – « L’évolution à venir de la protection sociale dans une perspective à long terme : Des pensions sûres et viables » (COM (2000)622 final).

53— 21 décembre 2000 : communication de la Commission – « La contribution des finances publiques à la croissance et à l’emploi : Améliorer la qualité et la viabilité » (COM (2000)846).

54Libre circulation des travailleurs (DG V)

55— Directive du 14 février 1977 - transfert d’entreprise

56— Directive du 20 octobre 1980 - insolvabilité de l’employeur

57— Communication de la Commission du 22 juillet 1991

58— Proposition de directive libre circulation en 1995 - échec

59— Rapport du Groupe de Travail de Haut Niveau du 29 novembre 1996

60— Proposition de directive sauvegarde du 8 octobre 1997 - Adoptée le 29 juin 1998

61— Communication de la Commission du 12 novembre 1997 - Plan d’action libre circulation

62Conseils européens et traités

631er novembre 1993 : entrée en vigueur du traité de Maastricht : Grandes Orientations des Politiques Économiques

6416-17 juin 1997, Conseil européen d’Amsterdam: Pacte de Stabilité et de croissance

652 octobre 1997 : signature du traité d’Amsterdam

6620-21 novembre 1997 : Conseil européen extraordinaire sur l’emploi de Luxembourg et mise en place du Processus de Luxembourg, pour une stratégie coordonnée pour l’emploi.

67Février 2000 : conseil ECOFIN et demande au CPE d’une étude relative à l’impact du vieillissement sur les systèmes publics de retraite.

6824 mars 2000 : le Conseil européen de Lisbonne de mars 2000 demande « une étude sur l’évolution future de la protection sociale dans une perspective à long terme, en accordant une attention particulière à la viabilité des régimes de retraite » et un rapport sur la contribution des finances publiques à la croissance et à l’emploi examinant notamment la viabilité des finances publiques à la lumière du vieillissement des populations.

697 novembre 2000 : le Conseil (ECOFIN) prend note du rapport du comité de politique économique sur l’impact du vieillissement de la population sur les systèmes publics de pension (« Impact of ageing populations on public pension systems »).

7012 mars 2001 : rapport conjoint de la Commission et du Conseil (ECOFIN) au Conseil européen sur « La contribution des finances publiques à la croissance et à l’emploi : Améliorer la qualité et la viabilité » (6 997/01).

7124 mars 2001 : le Conseil européen de Stockholm souligne que « la prochaine décennie offre l’occasion de relever le défi démographique en rehaussant les taux d’emploi, en réduisant la dette publique et en adaptant les systèmes de protection sociale, y compris les régimes de retraite » (point 7 des conclusions) ; il formule la recommandation suivante : « Il conviendrait, le cas échéant, d’exploiter pleinement les possibilités qu’offre la méthode ouverte de coordination, notamment en ce qui concerne les pensions, en tenant dûment compte du principe de subsidiarité » (point 32).

7226 avril 2001 : le Parlement européen adopte un rapport sur la communication de la Commission sur « L’évolution à venir de la protection sociale dans une perspective à long terme : Des pensions sûres et viables » (A5-0147/2001).

7311 juin 2001 : le Conseil (Emploi et politique sociale) adopte le rapport du comité de la protection sociale sur « Des pensions sûres et viables » et le transmet au Conseil européen.

7416 juin 2001 : le Conseil européen de Göteborg souligne que « les problèmes posés par le vieillissement de la population doivent être traités globalement » et approuve « les trois grands principes à observer pour assurer la viabilité à long terme des régimes de retraite, tels qu’ils ont été définis par le Conseil : préserver la capacité des régimes de retraite d’atteindre leurs objectifs sociaux, maintenir leur viabilité financière et répondre aux besoins changeants de la société ».

75Décembre 2001 : Conseil européen de Goteberg

7615-16 mars 2002 : Conseil européen de Barcelone

77« Il faudrait chercher d’ici 2010 à augmenter progressivement d’environ cinq ans l’âge moyen effectif auquel cesse, dans l’Union européenne, l’activité professionnelle. Les progrès à cet égard seront examinés chaque année avant le Conseil européen de printemps ».

785 juin 2002 : accord « politique » des membres du conseil des ministres de l’économie et des finances sur le fond de la proposition de directive d’octobre 2000.

7921-22 juin 2002 sommet européen de Séville

8024-25 octobre 2002, Les Quinze se retrouvent à Bruxelles, pour un sommet qui est une sorte de répétition générale avant celui de Copenhague, en décembre, lequel doit consacrer l’élargissement de l’Union à dix nouveaux pays en 2004.

8112-13 décembre 2002 : Conseil européen de Copenhague.

La diversité des régimes complémentaires limite la « sauvegarde » de la liberté de circulation

82La DG V a donc réussi à coordonner pour partie le premier pilier pour améliorer la libre circulation (potentielle) des personnes. Forte de ce succès la Commission a ensuite tenté de prolonger l’exercice aux régimes complémentaires, et s’est heurtée à la diversité des régimes. S’appuyant sur un rapport « indépendant », elle a réussi néanmoins à faire adopter une directive parcellaire au Conseil. Les États membres ne se pressent pas pour la transcrire dans leur droit national sans que la Commission n’ait encore entamé de procédures.

83Dès 1991, la Commission lance [11] le débat sur la place des régimes complémentaires de retraite et leur incidence sur la libre circulation [12]. La très grande diversité des régimes s’opposerait au principe de libre circulation des personnes, la DG V propose une série de projets de directives. Ces propositions de directives déclinent l’affiliation transfrontalière, la réduction des délais d’acquisition de droits à pension, le maintien et la protection de ces droits, des calculs actuariels « équitables », et enfin la lutte contre la double imposition fiscale. Autant d’éléments qui s’opposent, selon la Commission, à la mobilité des salariés. Mais, désireuse d’appliquer ces mesures à l’ensemble des États membres, la Commission achoppe sur l’opposition de pays comme l’Allemagne pour qui les régimes complémentaires sont un moyen de limiter la mobilité inter-entreprises. À tel point que tous ces projets furent très vite bloqués.

84Le dossier est alors confié aux éclairages d’un « groupe de haut niveau sur la libre circulation ». Le champ d’analyse de ce groupe de travail est beaucoup plus large, couvrant l’ensemble des barrières à la mobilité, de l’ensemble des cotisations sociales, à la reconnaissance des diplômes, en passant par l’absence de coordination des politiques fiscales. Le rapport du groupe (GPH2000) permet ainsi d’étendre les bénéfices du règlement 1 408/71 aux inactifs (cf. supra). Il établit également la non-exportabilité des prestations qui relèvent purement de l’assistance sociale, notamment dans le domaine de la retraite. Mais, le groupe conseille principalement de renoncer à toute ambition de remettre en cause les habitudes nationales et suggère de se limiter à garantir au travailleur migrant les droits qu’il a déjà acquis et qu’il aurait conservé s’il avait changé d’employeur à l’intérieur de l’État d’origine.

85Suivant les grandes lignes des recommandations assez conservatrices du groupe de haut niveau, la DG V élabore un nouveau projet de directive relative « à la sauvegarde des droits à pension complémentaire des travailleurs salariés et non salariés qui se déplacent à l’intérieur de l’Union européenne » qu’elle présente comme une première « étape vers l’élimination des entraves à la libre circulation en matière de pensions complémentaires ». Adoptée par le Conseil le 29 juin 1998, elle comporte quatre dispositions à mettre en œuvre dans les trois ans qui suivent :

  • Préserver les droits acquis aux affiliés qui arrêtent de verser des cotisations à un régime complémentaire de pension parce qu’ils se déplacent d’un État membre à un autre, à un niveau au moins comparable à celui dont bénéficient les affiliés qui cessent de cotiser au régime mais qui demeurent dans l’État membre en question ;
  • Garantir les paiements transfrontaliers ;
  • Garantir la possibilité pour le travailleur détaché de rester affilié au régime complémentaire du pays d’origine. La directive interdit de surcroît au pays d’accueil d’obliger aux migrants à cotiser au régime complémentaire local s’ils continuent de cotiser à celui de leur pays d’origine.
  • Informer les affiliés de leurs droits à prestations et des choix qui leur sont offerts par le régime lorsqu’ils se rendent dans un autre État membre.
On le voit, cette directive est assez loin d’assurer une mobilité parfaite. Elle conforte les régimes nationaux dans leur caractère plus ou moins « portable ». Ainsi, un salarié allemand qui quitterait son entreprise avant d’avoir cotisé/épargné suffisamment pour atteindre sa période durée minimum de présence, serait indifférent à rester travailler dans une autre entreprise allemande ou partir à l’étranger : dans les deux cas, il perdrait l’avantage de la cotisation. De même, un salarié français qui souhaiterait venir travailler en Allemagne pour une durée donnée peut s’arranger avec l’AGIRC ou l’ARRCO suivant son statut pour rester affilié. Par ailleurs, le Conseil n’a pas suivi la Commission sur une disposition qui permettait d’atténuer les distorsions de fiscalité dues aux différents niveaux de cotisations sociales. Les États membres ont voulu, une fois de plus, conserver leur souveraineté en matière fiscale.

86De plus, il apparaît que cette directive n’a pas été transposée dans le droit national d’un seul état membre dans les trois ans qui suivaient son adoption. Une évaluation de cette transposition est en cours, mais il ne semble pas que ce statu quo ait beaucoup évolué. Malgré cela, la Commission ne semble pas encore prête à entamer une procédure d’infraction. Peut-être parce que d’autres moyens d’action, plus radicaux, sont sur le point d’aboutir. Mais avant de les étudier, un retour sur l’intervention plus marquée encore de la DG XV sous l’angle cette fois de la libre circulation des capitaux apparaît nécessaire.

Les retraites comme fonds de pension: l’introduction de la liberté de circulation des capitaux

87Partant du constat que le tiers de la Bourse de Londres était détenu par les fonds de pensions britanniques, la DGXV publiait le 9 octobre 1990 un document de travail sur « l’achèvement du marché intérieur dans le domaine des retraites privées » [12], qui passe en revue les « entraves aux libertés » de gestion des fonds de retraite et les moyens de les faire disparaître, pour permettre la création de fonds de retraite européen : liberté de prestation de services pour les gestionnaires, liberté d’investissement des actifs à travers les frontières, liberté d’adhérer à un fonds de retraite à travers les frontières. Sur cette base « libérale », la Commission soumet au Conseil européen le 21 octobre 1991 une proposition de directive « concernant la liberté de gestion et d’investissement des fonds collectés par les institutions de retraite ».

88La proposition est bien reçue par le Parlement européen, mais cette fois le projet de directive se heurte à l’opposition entre le point de vue des fonds de pension, représentés par la European Federation for Retirement Provision (EFRP), et celui les assureurs, défendus par le Comité européen de l’assurance (CEA). Les premiers cherchent à accroître au maximum la liberté de gestion de leurs réserves. Leur argumentaire a le mérite de la simplicité : c’est la liberté de placement qui permettra d’assurer des rendements élevés, et donc de diminuer le montant des cotisations à verser, rendant les entreprises, et donc l’économie en générale, plus compétitives [13]. Le CEA considère, au contraire, que les règles prudentielles que pratiquent les assureurs doivent s’appliquer aux fonds de pension. Ces derniers doivent donc être soumis aux directives européennes sur l’assurance-vie, sensiblement plus contraignantes que le projet de directive élaboré. Le CEA avance que ces règles garantissent une meilleure sécurité pour les assurés. Le débat porte également sur des considérations de long terme, sans pour autant être plus convaincant : les fonds de pension font valoir que seule la possibilité d’investir de façon très diversifiée géographiquement et en actions permet de suivre la croissance et d’en faire bénéficier les retraités sur le long terme. Les assureurs mettent en avant leurs taux garantis et la sécurité des obligations et emprunts d’État. Bref, on retrouve le fonds du débat sur les fonds de pension qui, in fine, a opposé les assurances et les banques au début des années 1980 en France, lorsqu’il s’agissait de savoir qui allait gérer les fonds collectés [14].

89Notons que les régimes d’entreprise allemands recourant à la technique de provisions au bilan, et les régimes français AGIRC et ARRCO en raison de leur fonctionnement en répartition qui implique l’adhésion obligatoire, étaient exclus du champ d’application du projet de directives. Ce n’est plus le cas lors de la deuxième proposition (26 mai 1993). Ces derniers furent réintégrés dans le champ du projet de directive, dans la mesure où ils constituent des réserves et les placent dans des actifs financiers. Les États membres où les fonds de pension dominent, comme le Royaume-Uni, l’Irlande, ou les Pays-Bas, ont soutenu le projet de la Commission. Au contraire, les pays qui n’ont pas ou peu de fonds de pension dans leur dispositif de retraite, comme la France, ont défendu le point de vue des assureurs. Faute de majorité, le projet a dû être retiré par la Commission.

90La Commission n’admet pas ce retrait et rappelle dans une nouvelle communication [15] les règles qui, selon elle, devraient s’appliquer aux placements des fonds de pension. Elle reprend en fait l’ensemble des éléments [16] à peine refusés par le Conseil. Le Gouvernement français demande à la Cour de Justice un recours en annulation contre cette communication au motif que la Commission n’avait pas le droit d’imposer par le biais d’une communication ce qui avait été rejeté par le Conseil des ministres. Il a obtenu gain de cause le 20 mars 1997. Sans attendre ce nouveau rejet, la Commission a changé d’angle d’attaque, en reprenant les arguments démographiques développés depuis quelques années dans les États membres.

L’introduction de l’argument démographique dans une approche synthétique

91Moins de trois mois après cet arrêt de la CJCE, le nouveau commissaire de la DGXV, Mario Monti, publie un Livre Vert [17] sur… « les retraites complémentaires dans le marché unique ». La directive sur les régimes complémentaires de la DG V sur la libre circulation des personnes a finalement été acceptée, après un premier échec, grâce à la publication d’un rapport « indépendant ». La Commission décline donc à nouveau cette stratégie de publications, le livre Vert initiant une longue série de rapports. Plus subtile, la démarche vise également d’une part à conjuguer les prérogatives des deux Directions générales et, d’autre part, à s’inscrire dans le débat du vieillissement, principal argument utilisé pour mener à bien les réformes dans les États membres.

92Le Livre Vert, qui, rappelons-le, n’engage pas la Commission à la différence d’un livre blanc, commence donc par établir un panorama démographique et économique des États membres. Comme en écho aux débats nationaux, le rapport commence par un diagnostic commun sur les économies européennes vieillissantes. Un exercice de projection démographique permet ainsi de conclure « [qu’]en 2030, dans le ratio des dépenses de retraite par rapport au PIB pourrait se situer dans une fourchette comprise entre 15 % et 20 %. Les dépenses devraient être plus faibles au Danemark, en Espagne, en Suède (entre 10 % et 15 %), ainsi qu’en Irlande, au Portugal et au Royaume-Uni (au dessous de 10 %) ». Comme « 88 % de l’ensemble des retraites servies dans l’UE sont des retraites versées par l’État […] tout accroissement des prestations de retraite totales servies par les États membres se répercutera sur les budgets », et risquera donc, selon la Commission, de faire dévier les économies des conditions de stabilité auxquelles elles se sont engagées. Dès lors, la croissance des fonds véhiculés par les régimes complémentaires, gérés en capitalisation, constitue l’un des éléments possibles du maintien du niveau des retraites.

93On retrouve ensuite la quasi-totalité des conclusions du groupe de haut niveau sur la libre circulation des personnes, et les conclusions déjà avancées précédemment au nom de la libre circulation des capitaux [18]. La manœuvre est habile : sous le couvert de nouveaux arguments (la démographie), on reprend, diluées avec les exhortations sur la libre circulation des personnes, les mêmes recommandations qu’en 1990.

94Pour éviter tout nouveau blocage, à la suite de ce Livre vert, la Commission a invité les États membres, le Parlement européen, le Comité économique et social, le Comité des régions, les partenaires sociaux, les agents économiques, les organisations représentatives, les consommateurs, bref, toutes les parties intéressées, et qui pouvaient faire obstacle, à faire part de leurs observations. Une synthèse et quelques éléments de critique sont présentés dans un assez étonnant « Résumé des réponses au Livre vert sur les retraites complémentaires dans le marché unique » (COM (97)283b). Très peu de ces éléments critiques seront incorporés dans la communication de la Commission en mai 1999, « vers un marché unique pour les retraites complémentaires ». Et l’on retrouve au final la trinité du cadre communautaire pour les retraites complémentaires :

  • l’élaboration d’une proposition de directive relative à la réglementation prudentielle des fonds de retraite professionnels,
  • la levée des obstacles à la mobilité professionnelle dans l’Union européenne,
  • la coordination des régimes fiscaux des États membres.
Les deux derniers points n’ont pas fait l’objet de proposition de directives [19]. La question fiscale est en effet très délicate puisque, dans ce domaine qui requiert l’unanimité des États membres, s’opposent deux approches inconciliables : celle, essentiellement allemande, qui soumet les cotisations à impôt mais exonère les pensions, et celle qui autorise la déduction des cotisations et impose les pensions. En définitive, c’est bien sûr à la suite de la première recommandation, que l’on trouve en octobre 2000 une « proposition de directive concernant les activités des institutions de retraite professionnelle » [20], dont une version amendée a été adoptée en première lecture par le Parlement européen (juillet 2001). La DG Marché Intérieur a soutenu ces directives pour une adoption rapide par le Conseil des ministres le 5 juin 2002. Elle est actuellement en cours d’examen au Parlement européen. Les États membres auront ensuite dix-huit mois pour transcrire ces directives dans leurs systèmes nationaux.

95Sur la question de l’égalité de concurrence entre assureurs et fonds de pension soulevée par les assureurs, la Commission admet la nécessité de respecter l’égalité de traitement, mais constate que les particularités des fonds de pension interdisent de leur appliquer les règles de l’assurance-vie, et justifie l’adoption d’une législation appropriée. Elle remarque, en particulier, que les assureurs garantissent le plus souvent un taux d’intérêt, alors que les fonds de pension ne supportent généralement pas le risque, celui-ci pesant sur l’affilié dans les régimes à cotisations définies et le plus souvent sur l’entreprise dans les régimes à prestation définie.

96En matière de règles prudentielles, Bruxelles plaide pour une approche qualitative fondée sur la gestion actif/passif : les investissements du fonds doivent refléter la structure de ses engagements. Un fonds de pension couvrant des affiliés jeunes investira en actions dont le rendement est meilleur sur le long terme mais aléatoire à moyen terme, alors qu’un fonds couvrant des affiliés âgés remplacera ses actions par des obligations dont le rendement est moindre mais stable. Les responsables doivent gérer en bon père de famille, les engagements devant être calculés selon une méthode actuarielle « prudente et reconnue ». Cette approche implique la diversification des placements et s’oppose aux restrictions quantitatives qui ne sauraient correspondre à la diversité de situation des fonds de retraite. Les États qui souhaiteraient néanmoins maintenir de telles restrictions devraient les prévoir suffisamment larges pour ne pas nuire à la gestion actif/passif ; par exemple, une interdiction de détenir plus de 70 % des réserves en actions serait envisageable. La Commission remarque que le contrôle exercé par les autorités de tutelle devrait évoluer en conséquence et porter non plus sur le respect formel de limites réglementaires mais sur l’adéquation de la stratégie d’investissement aux engagements.

97Cette directive ne concerne que les « activités des institutions de retraite professionnelle » en capitalisation, à l’exclusion de ceux en répartition, tels que l’AGIRC et l’ARRCO en France et les régimes allemands financés directement par l’entreprise au moyen de provisions inscrites à son bilan. Elle est donc limitée par rapport à son but initial visant tous les fonds de pension. D’autre part, à cette première limite s’ajoute la grande lenteur de mise en application que connaît également la directive de la DG V. Parallèlement à ces deux approches, va donc se mettre progressivement en place une action plus large, cohérente avec le poids de plus en plus important des institutions européennes dans les débats nationaux.

Nouvelle avalanche de communications

98Depuis le Conseil européen de Lisbonne (mars 2000), et à sa demande, la Commission a publié trois autres communications, qui s’appuient très largement sur deux rapports d’experts, soit au total cinq rapports :

99— « L’évolution à venir de la protection sociale dans une perspective à long terme: des pensions sûres et viables » (octobre 2000, COM, 2000a) est centrée sur l’avenir des systèmes de retraite et visait à préparer l’étude sur la viabilité des retraites confiée au Comité de la Protection social.

100— « La contribution des finances publiques à la croissance et à l’emploi : améliorer la qualité et la viabilité » (décembre 2000, COM, 2000b) aborde des préoccupations économiques plus larges mais devait notamment examiner « si des mesures concrètes appropriées sont prises pour […] assurer la viabilité à long terme des finances publiques en examinant les différents aspects de la question, y compris l’impact du vieillissement des populations […] ».

101— Ces deux premières communications, comme celles qui suivent, s’appuient très largement sur le rapport du CPE (CPE, 2000) où Eurostat a ré-actualisé ses projections démographiques, confirmant l’ampleur du vieillissement de la population au cours des cinq prochaines décennies [21], et où on trouve également un scénario de projection à long terme des dépenses publiques de retraite.

102— Le Comité de protection sociale [22] a publié un rapport sur « les évolutions futures de la protection sociale » (SPC, 2001), présenté et accepté à Göteborg.

103— « Une approche intégrée au service des stratégies nationales visant à garantir des pensions sûres et viables », (juillet 2001, COM (2001)) fixe les objectifs et les méthodes de travail à retenir dans le domaine des retraites, à la demande du Conseil européen de Göteborg (juin 2001).

104La lecture attentive de ces rapports laisse perplexe quant à leur autonomie relative. COM (2000a), bien que publiée avant CPE (2000), reconnaît aux travaux du Comité de politique économique « une importance particulière », et reprend par anticipation une bonne partie de ses préconisations. La volonté d’y adjoindre une dimension sociale (« conserver le caractère adéquat des pensions […] assurer l’équité entre les générations […] renforcer l’élément de solidarité des systèmes de pension ») n’empêche pas la nécessité de :

  • « maintenir un équilibre entre droits et devoirs ;
  • rendre les systèmes de pension plus flexibles, face au changement de société ;
  • garantir des finances publiques saines et viables ».
COM (2000b) propose pour assurer la viabilité à long terme des finances publiques « en premier lieu, […] poursuivre les efforts d’assainissement budgétaire et s’efforcer de réduire plus rapidement l’endettement publique […] ; en second lieu, […] accroître le taux d’emploi […] ; enfin […] réformer plus en profondeur les régimes publics de retraite […]. Dans de nombreux États membres, les régimes basés sur la capitalisation seront certainement amenés à jouer un plus grand rôle ».

105CPE (2000) décrit également une forte augmentation des dépenses publiques de retraite consécutive au vieillissement non « soutenable ». Face à cette insoutenabilité, il propose :

  • de limiter le poids futur des retraites par répartition, en priorité en repoussant l’âge de départ en retraite et en réduisant le recours aux préretraites ;
  • d’augmenter progressivement le poids des dispositifs de retraite par capitalisation, collectifs ou individuels ;
  • de profiter de la période actuelle pour réduire la dette publique et dégager ainsi des marges de manœuvre financières au moment où le poids des retraites sera le plus important ;
  • de renforcer le lien au niveau individuel entre les cotisations et les prestations.
Au total, si l’on brassait les sources et les textes, bien malin celui qui pourrait les associer à nouveau, probablement même parmi les rédacteurs de ces rapports tellement ils sont redondants. Il est donc très difficile de différencier les apports distincts de chacun, mais on retrouve avec certitude les conclusions bien éculées de la DG XV.

106Reste SPC (2001), étayé par de nombreux points de repère sur les réformes en cours dans les États membres [23], dans le but de « montrer à quel point les objectifs et principes [définis par la Commission] apparaissent clairement dans les politiques des États membres ». Compte tenu de ses prérogatives et contrairement au CPE, SPC (2001) ne s’est pas limité aux dimensions économiques et financières du problème des retraites, même si le Conseil européen de Lisbonne l’invitait à accorder « une attention particulière à la viabilité des régimes de retraite ». Ainsi SPC (2001) considère « [qu’]une stratégie visant à rendre les systèmes de retraite viables doit avant tout s’attaquer à la cause du problème, à savoir le déséquilibre croissant entre le nombre d’actifs et de retraités, et […] doit donc s’inscrire dans une démarche volontariste pour restaurer le plein emploi et accroître les taux d’activité, notamment chez les femmes et les travailleurs âgés ». Il inscrit plus largement les actions à mener au niveau communautaire, pour garantir des pensions convenables et viables, dans le cadre des processus de coordination déjà existant, puisque « le défi du vieillissement démographique requiert des efforts concertés qui se renforcent mutuellement dans trois grands domaines stratégiques : la protection sociale, l’emploi et les finances publiques. »

107SPC (2001) se démarque sensiblement des recommandations de CPE (2000) relatives au développement des systèmes de retraite par capitalisation. Visant davantage à obtenir le consensus, il rappelle que « les réformes des systèmes de retraite doivent non seulement faire face aux conséquences financières des changements démographiques, mais aussi contribuer à l’objectif de cohésion sociale ». Il poursuit en affirmant « qu’en l’état actuel de l’analyse, aucun type de régime de retraite (répartition versus capitalisation, privé versus public, prestations déterminées versus cotisations déterminées) ne peut être considéré comme étant, de par sa nature, supérieur aux autres ». Du moins, pas tant que les avantages respectifs des différents systèmes de retraite, d’une part, les réformes possibles des systèmes par répartition et le développement des systèmes par capitalisation dans les États membres, d’autre part, fassent l’objet d’investigations complémentaires de la part du groupe de travail du CPE sur le vieillissement…

Un nouveau processus de coordination

108Ces investigations sont maintenant lancées depuis le Conseil européen de Göteborg (juin 2001), qui a approuvé les trois grands objectifs définis par SPC (2001) et a précisé les premières étapes de la démarche. Il a proposé que « le Conseil devrait, selon la méthode ouverte de coordination et sur la base d’un rapport conjoint du Comité de la protection sociale et du Comité de politique économique, établir un rapport sur l’état d’avancement des travaux pour le Conseil européen de Laeken [décembre 2001], sur la base d’une communication de la Commission fixant les objectifs et les méthodes de travail à retenir dans le domaine des retraites, en préparation du Conseil européen du printemps 2002 […] ». Le Conseil européen a également indiqué que « les résultats de ces travaux seront intégrés dans les Grandes Orientations des Politiques Économiques ».

109La Commission se voit donc confier un rôle moteur dans la mise en œuvre du processus de coordination [24]. COM (2001) propose de décliner les trois grands objectifs, définis par le Comité de la protection sociale et validés par le Conseil européen de Göteborg, en dix objectifs plus spécifiques. Même si ces dix objectifs spécifiques ne recoupent pas exactement les dix principes et objectifs que la Commission avait suggéré auparavant (COM, 2000a), on ne peut qu’être frappé par leurs grandes ressemblances. Les préoccupations financières occupent une place importante puisque le deuxième grand objectif (« maintenir la viabilité financière des régimes de pension ») est décliné à lui seul en cinq objectifs spécifiques, parmi lesquels on peut citer :

  • « dans le contexte de la viabilité des finances publiques ainsi que celui de la nécessité de faire face à l’impact budgétaire du vieillissement de la population, veiller à ce que les dépenses de pension soient maintenues à un niveau en termes de pourcentage du PIB qui soit compatible avec le Pacte de stabilité et de croissance. Ceci peut inclure la mise en place de fonds de réserve spécialement affectés à cet effet, si les autorités le jugent opportun » ;
  • « garantir, au travers de cadres réglementaires appropriés aux niveaux national et européen et d’une bonne gestion, que les régimes de pension financés par des fonds privés continueront à fournir, avec une efficacité et une accessibilité accrues, les pensions auxquelles les affiliés ont droit ».
La Commission met ainsi l’accent, en des termes certes nuancés, sur le bien fondé d’une diversification des modes de financement des retraites, soit à travers la mise en place de fonds de réserve, soit par le développement de fonds privés. Le premier mode de financement pourrait notamment être une réponse adaptée aux contraintes du Pacte de Stabilité et de Croissance, alors que le second fait manifestement écho à la proposition de directive relative aux institutions de retraite.

110La pratique du benchmarking, avec la comparaison d’indicateurs et de meilleures pratiques, s’est largement répandue dans le cadre des processus de coordination au niveau de l’Union européenne. On peut se demander comment, en matière de retraite, au vu de la très forte disparité des systèmes, et même des données disponibles, la Commission pourra définir des indicateurs sérieux. Même si elle s’était engagée à en arrêter une première liste d’ici le sommet européen du printemps 2002, elle n’y est pas parvenue. Les États membres devraient alors élaborer chaque année, sur la base des objectifs et des indicateurs communs, des rapports intégrés de stratégie nationale, que la Commission serait amenée ensuite à analyser, en identifiant les bonnes pratiques et les approches novatrices. Cet examen déboucherait sur un rapport conjoint de la Commission et du Conseil. Le calendrier proposé par la Commission est serré, puisque les premiers rapports nationaux devaient être présentés en juillet 2002 et les conclusions du rapport conjoint de la Commission et du Conseil pourraient alors être intégrées dans le rapport de synthèse qui, conformément au processus de Lisbonne, sera discuté lors du Conseil européen du printemps 2003.

111Au total, il apparaît donc que la double démarche entreprise par la Commission au début des années 1990 est en passe d’être englobée dans un processus plus large de convergence des politiques économiques, même si dans le domaine des retraites, les spécificités nationales risquent de prolonger un statu quo pendant de longues années. À moins que la CJCE, dont le rôle est de plus en plus important, devienne incontournable, au prix de l’introduction d’un risque d’un nouveau genre pour les régimes : à côté des risques financiers et démographiques, on trouverait en bonne place, le « risque jurisprudentiel ».

Une jurisprudence incertaine et parfois contraire aux objectifs de la Commission

112La CJCE intervient, nous l’avons vu, à double titre dans le domaine des retraites : selon le principe d’égalité de rémunération entre hommes et femmes d’une part ; selon les grands principes en matière de concurrence d’autre part. Les arrêts rendus depuis une dizaine d’années ont eu des conséquences très importantes en termes financiers, principalement pour les régimes complémentaires. Ces interventions ne vont pas toujours dans le sens voulu par la Commission.

Régimes complémentaires et égalité des sexes

Un régime de base re-qualifié en régime complémentaire

113Chaque État membre doit assurer l’application du principe d’égalité des rémunérations entre travailleurs masculins et travailleurs féminins pour un même travail. Cette rémunération comprend le salaire, ou le traitement ordinaire, auquel s’ajoutent tous les autres avantages payés directement ou indirectement, en espèces ou en nature, par l’employeur. La question qui nous concerne ici est de déterminer si la pension de retraite constitue une part différée de cette rémunération, ou un élément du dispositif d’assurance sociale, étant donné son caractère incertain et obligatoire. Dans ce dernier cas, le principe d’égalité des rémunérations ne s’appliquerait pas, et les régimes de retraite pourraient alors différencier l’âge de liquidation des droits selon le sexe. Si au contraire, il s’agit d’une rémunération, il ne saurait y avoir de différence de rémunération par principe, et l’âge de liquidation doit être unifié.

114La CJCE laisse la latitude aux régimes de Sécurité sociale de base de différencier selon le sexe puisqu’elle ne considère pas les pensions qu’ils versent comme un élément de rémunération [25]. Au contraire, les régimes de retraite professionnels doivent appliquer les mêmes règles aux hommes et aux femmes [26].

115La jurisprudence de la CJCE semblait donc fixer la frontière entre les régimes de Sécurité sociale coordonnés par le règlement 1 408/71 et les autres pour l’applicabilité de l’article 119 sur l’égalité de traitement homme/femme pour les pensions de retraite. Mais cette interprétation est à nouveau remise en cause par la jurisprudence. La CJCE a ainsi considéré [27] que le régime spécial de la DEI, société nationale grecque d’électricité, rentrait dans le champ d’application de l’article 119, bien que constituant un régime légal, de base, coordonné par le règlement 1 408/71. Dès lors, il devient difficile de comprendre quels critères utilisent la Cour dans son appréciation pour distinguer entre régimes professionnels et régimes de Sécurité sociale. Elle prend pelle mêle en considération l’origine légale ou conventionnelle des régimes, leur caractère obligatoire ou facultatif, leur champ d’application et la réglementation qui leur est applicable. Pour la DEI, l’arrêt stipule que « les considérations de politique sociale, d’organisation de l’État, d’éthique, ou même les préoccupations de nature budgétaire qui ont eu ou qui ont pu avoir un rôle dans la fixation d’un régime par le législateur national ne sauraient prévaloir si la pension n’intéresse qu’une catégorie particulière de travailleurs, si elle est directement fonction du temps de service accompli et si son montant est calculé sur la base du dernier traitement ».

116On comprend dès lors que les régimes spéciaux français aient quelques inquiétudes sur leur avenir [28]. Ces décisions sont en effet loin d’être anodines sur l’équilibre des caisses à qui elles s’appliquent. Mais elles sont aussi fondamentales pour savoir quelle directive s’applique à tel régime relevant jusque là des régimes de base et maintenant soumis aux règles en devenir des régimes professionnels. Pour ne pas prêter le flan à une critique facile de défendre les particularismes archaïques français, et pour bien prendre la mesure des effets désastreux que peuvent avoir de telles décisions sur les régimes, prenons maintenant l’exemple des… fonds de pension britanniques.

Des fonds de pension obligés d’instaurer la retraite à 60 ans ?

117Le régime de base britannique (State Earning-Related Pension Scheme) accorde le droit à une pension forfaitaire à laquelle s’ajoute une pension complémentaire à 60 ans pour les femmes, les hommes devant attendre cinq années supplémentaires. Cette pension complémentaire est obligatoire mais peut être servie, au choix du salarié, par le SERPS, ou par un régime complémentaire privé, collectif ou individuel. La réduction des pensions publiques et la facilitation du contracting out par les Conservateurs a bien sûr incité les salariés à privilégier les régimes complémentaires privés. Ces derniers se substituant aux régimes de Sécurité sociale se sont alignés sur ses règles de fonctionnement, notamment quant à l’âge de départ en retraite différencié par sexe. Ils ont même été utilisés parfois comme des mécanismes de pré-retraite, facilitant les réductions d’effectif, par le versement de pensions éponymes. L’entreprise de Monsieur Barber accordait ainsi une pension en cas de licenciement économique, dès l’âge de 50 ans aux femmes, mais seulement 55 ans aux hommes, via son régime professionnel. Licencié à 52 ans, Monsieur Barber porta l’affaire devant la CJCE au nom d’une égalité hommes/femmes. La Cour lui donna raison [29] au motif que ce régime de base puisse accorder la retraite à des âges différents pour les hommes et les femmes n’autorise pas les régimes complémentaires au même différentiel.

118Cette jurisprudence revenait à fixer unilatéralement la retraite à 60 ans pour les hommes membres de ces régimes complémentaires, sans qu’aucune négociation n’ait été nécessaire, et entraîne évidemment un surcoût non provisionné très important. La CJCE, réalisant peut-être après coup l’ampleur du bouleversement, n’allait finalement pas lui reconnaître de caractère rétroactif [30].

119Au total, il faut donc maintenant distinguer entre la discrimination dans le droit à l’affiliation [31] et la discrimination dans l’âge auquel le droit à pension est ouvert qui ne s’applique que depuis le 17 mai 1990, date de l’arrêt Barber. Les régimes complémentaires doivent donc distinguer, pour le calcul des droits, deux ou trois périodes :

  • les droits acquis avant le 17 mai 1990 ne sont pas modifiés par la jurisprudence européenne ;
  • les droits acquis à partir du 17 mai 1990 doivent être calculés sur la base la plus favorable, i.e. le plus souvent la règle applicable aux femmes;
  • les droits acquis après l’adoption d’un nouveau règlement égalisant les droits des hommes et des femmes doivent être calculés selon cette nouvelle règle pouvant être moins favorable que l’ancienne.
On est loin de la simplification souhaitée par la Commission, notamment dans un objectif de portabilité des pensions. Pour prendre en compte cette jurisprudence, les régimes britanniques ont adapté leur calcul actuariel de pension : ils la majorent pour tenir compte des droits acquis sur la base de l’âge d’ouverture le plus favorable pendant la période écoulée entre le 17 mai 1990 et l’adoption d’un nouvel âge commun aux hommes et aux femmes. Mais cette possibilité leur est ouverte car les fonds sont gérés en capitalisation.

Contrairement à la Commission, la CJCE considère les régimes complémentaires français comme des régimes professionnels

120En France, l’AGIRC et la plupart des régimes ARRCO, gérés en répartition ouvraient le droit à pension de réversion à 50 ans pour les veuves et à 65 ans pour les veufs. Prenant en compte la pression européenne pour l’égalité de traitement homme/femme, ces régimes ont signé des accords pour diminuer cette disparité notable. L’AGIRC a fixé [32] un nouvel âge, 60 ans, commun aux veufs et aux veuves, pour l’ouverture du droit à pension de réversion pour les décès postérieurs au 28 février 1994. L’accord ARRCO [33] a fixé cet âge à 55 ans pour les décès intervenus à partir du 1er juillet 1996. Mais les partenaires sociaux n’ont pas pris en compte la période écoulée entre la date de l’arrêt Barber [34] et la date de conclusion des accords, pensant que si même la Commission les excluait du champs d’application des régimes professionnels, il ne devait pas en être différent pour la CJCE. De plus, appliquer rétroactivement la jurisprudence Barber aurait pu mettre en difficultés ces régimes qui provisionnent les droits et auraient dû constituer du jour au lendemain les réserves correspondant à l’abaissement de l’âge de la retraite à 60 ans pour les hommes, sans avoir reçu dans le passé les cotisations correspondantes. Le principe de la répartition ne permet pas en effet de revenir en arrière puisque les cotisations de l’année payent les pensions de l’année.

121Malheureusement pour les régimes, Monsieur Barber semble avoir un cousin français : Monsieur Podesta. Veuf en 1993, il se vit refuser les réversions AGIRC et ARRCO, au motif qu’il n’avait pas encore 65 ans. Il invoqua l’article 119 du Traité devant un juge français, qui se retourna vers la CJCE pour savoir si l’AGIRC et l’ARRCO devaient être soumis à cet article. La CJCE a finalement considéré [35] l’AGIRC et l’ARRCO comme étant des régimes professionnels, et par conséquent soumis à la jurisprudence Barber sur l’égalité homme/femme.

122Plus que les montants financiers en jeu, nettement moins importants que dans le cas britannique, le raisonnement suivi par la Cour de Justice correspond manifestement à une logique de capitalisation. Rappelons que les régimes sont obligatoires, nationaux et gérés en répartition. Contrairement aux fonds de pension britanniques, ces modifications vont peser sur les actifs à venir, de moins en moins nombreux, conséquence du vieillissement européen. La réaction la plus probable des régimes de retraite à ce nivellement risque fort d’aller à l’encontre d’une catégorie particulière — les femmes n’ayant pas cotisé suffisamment. Les difficultés financières, tant anticipées, n’incitent évidemment pas leurs responsables à accorder aux deux sexes la solution la plus favorable, mais plutôt la solution la moins coûteuse.

123Par ailleurs, cette logique égalitaire peut également entraîner des conséquences inattendues dans les régimes selon qu’ils sont à cotisations ou à prestations définies. Dans ces régimes, l’inégalité de cotisation [36] a été admise par la CJCE [37] et elle s’étend au versement en capital d’une partie de la pension ainsi qu’au transfert du capital constitutif des droits à pension d’un fonds de pension à un autre. En revanche, la CJCE ne l’a pas admise pour les régimes à cotisations définies, ce qui conduit à des capitaux équivalents pour les hommes et les femmes, mais à des rentes plus faibles pour ces dernières.

Un fonctionnaire français met en péril l’équilibre de son système des pensions?

124L’actualité jurisprudentielle nous ramène au cas français, précisément au régime des pensions civiles et militaires. M. Griesmar, fonctionnaire et magistrat, a obtenu gain de cause auprès de la CJCE en demandant à bénéficier de la bonification pour l’éducation des enfants, jusqu’alors réservée aux seules femmes dans son régime. La CJCE a en fait, au travers de cet arrêt conclu que des pensions versées par le régime des pensions civiles et militaires étaient des « rémunérations », au sens de l’article 119 du traité ; d’autre part à l’incompatibilité des dispositions en cause avec le principe d’égalité des rémunérations.

125Cette double qualification ne manque pas d’étonner dans la mesure où le régime des pensions civiles et militaires avait intégré depuis 1998 le règlement 1 408/71, le plaçant dans la catégorie des régimes légaux de Sécurité sociale. Mais la soumission au règlement 1 408/71 n’exonère donc plus du respect du principe d’égalité de rémunération car il découle d’un texte supérieur. Au total, le raisonnement de qualification se fait en deux temps : s’il s’agit d’un régime professionnel, ou si la cour détermine son caractère professionnel, le principe d’égalité de rémunération s’applique directement ; si l’on est face à un régime légal, il convient de vérifier si celui-ci est basé sur la solidarité nationale ou sur un lien d’emploi [38].

126Dès lors que ces critères sont remplis, le régime légal est soumis au respect des mêmes principes relatifs à l’égalité entre les hommes et les femmes que les régimes professionnels. Seuls les régimes légaux fondés sur un principe de solidarité peuvent encore rester pour l’instant aux yeux de la CJCE dans une situation dérogatoire par rapport à l’égalité de rémunération entre les hommes et les femmes. Pour rendre la législation des régimes de retraite français compatibles avec les dispositions communautaires, le Conseil d’État a en partie confirmé les conclusions de la position de la CJC : il a jugé [39] que la différence faite entre les hommes et les femmes par les dispositions de ce régime relatives aux pensions de réversion était contraire au principe communautaire d’égalité des rémunérations. Seule la règle permettant aux femmes ayant eu trois enfants de partir après 15 ans d’activité sans condition d’âge subsiste.

127Dans la situation présente l’arrêt du Conseil d’État du 29 juillet ne s’applique qu’à la personne qui a fait le recours, le chanceux M. Griesmar, puisque les décisions de justice n’ont d’effet qu’entre les parties, et que le ministre de la Fonction publique n’envisage pas officiellement, dans l’immédiat, de modifier le code des pensions. Néanmoins, le calendrier rapide de réformes plus générales en France pourrait bien être influencé par cette décision. Bien sûr, nombre de fonctionnaires ne vont pas tarder à imiter leur collègue, mais deux positions s’affrontent soit la limitation de la rétroactivité en échange d’une présomption de participation à l’éducation des enfants (position du juge français), soit une rétroactivité soumise à une obligation de rapporter la preuve de l’éducation des enfants (position du juge communautaire) [40]. Dans le premier cas, seuls les fonctionnaires masculins qui ont eu notification de la concession de leur pension et pendant une période d’un an à compter de la date de concession de celle-ci peuvent demander une révision du montant de leur pension. Mais des litiges sont en cours et leur issue ne fait pas de majeurs doutes.

Les caisses de retraite complémentaires soumises à la concurrence

128Le principe de la liberté de concurrence posé dans le traité de Rome vise expressément les « entreprises », y compris les entreprises publiques et celles auxquelles les États accordent des droits spéciaux ou exclusifs. Cette extension peut se faire si l’application des règles de concurrence ne fait pas échec à l’accomplissement de leur mission. L’interprétation que donne la CJCE de la définition de l’entreprise peut être très extensive si l’on veut bien considérer qu’elle a estimé [41] que l’Office fédéral allemand de placement — l’équivalent allemand de l’ANPE — était bien une entreprise. Cela confirme qu’une entité peut être qualifiée d’entreprise, indépendamment de son statut juridique ou de son mode de financement.

129Répondant à de nombreuses sollicitations, la CJCE va devoir répondre à des questions qui peuvent apparaître aussi improbables que « les régimes de Sécurité sociale peuvent-ils être soumis à la concurrence ? ». Sur ces questions, comme sur le thème précédent, les catégories utilisées par la CJCE ne sont pas très stables, ne serait-ce que pour distinguer la frontière entre les régimes professionnels et les régimes de Sécurité sociale. Même si les arrêts récents de la CJCE apportent des éléments pour appréhender cette frontière, ils induisent un nouveau risque auquel doit faire face les régimes de retraite, notamment complémentaires : le risque jurisprudentiel.

130En premier lieu, la CJCE [42] confirme bien que les régimes de base ne sont pas des entreprises soumises aux règles de la concurrence, mais des régimes de Sécurité sociale fondés sur le principe de solidarité, exigeant une affiliation obligatoire afin de garantir l’application de ce principe et leur équilibre financier. Le principe de solidarité est reconnu par trois éléments : la compensation instituée entre les régimes de base, le financement direct des pensions par des cotisations, et enfin l’existence de droits, tels que les majorations pour enfants, financés par l’ensemble des cotisants. Si l’on supprime l’obligation d’affiliation, la concurrence rendrait impossible cette solidarité. Cela confirme le fait que ces régimes sont bien exclus du champ d’application des directives européennes instituant le marché unique de l’assurance-vie.

131La CJCE a également était saisie pour déterminer si les régimes complémentaires obligatoires devaient être soumis à la concurrence. L’action a été menée en 1995 par des entreprises hollandaises qui refusaient l’affiliation obligatoire à des régimes complémentaires de branche, institués comme souvent par des conventions collectives et étendues par la suite par les autorités hollandaises. La CJCE a considéré [43] que ces régimes constituaient bien une entreprise car ses cotisations et ses prestations n’étaient pas fixées par voie légale, et parce qu’ils prélevaient des frais de gestion et exerçaient une activité d’investissement. Pourtant, puisqu’ils n’abusaient pas de leur position dominante en prélevant des frais trop élevés ou en rendant un service inférieur à celui que fournirait un assureur, ils remplissaient une mission d’intérêt général en acceptant également les bons et les mauvais risques grâce à leur caractère obligatoire. La restriction à la concurrence était donc justifiée. Même si ces fonds de pension « sont des investisseurs de première importance sur les marchés de capitaux, […] [ce] n’est pas un facteur décisif aux fins de la question de savoir si, dans ses relations avec ses affiliés, un fonds agit en tant qu’entreprise au sens du droit de la concurrence ». Cela va à l’encontre de ce que voulait montrer la Commission dans ce dossier, même si a priori, le fait que le régime sectoriel considéré soit assimilé à un régime de Sécurité sociale ne lui interdirait pas de bénéficier d’une éventuelle directive « fonds de pension » assurant la liberté de placement des réserves. En revanche, ces fonds de pension constituent des entreprises et non des organismes de Sécurité sociale, contrairement à ce que soutenaient les fonds concernés ainsi que le gouvernement néerlandais appuyé par les gouvernements allemand, français et suédois. Les monopoles accordés à ces fonds par les autorités de tutelle s’analysent donc comme des « droits spéciaux ou exclusifs ». Ils sont justifiés « en tant que mesure nécessaire à l’accomplissement d’une mission sociale particulière d’intérêt générale ».

132Mais qu’advient-il si le régime complémentaire est facultatif ? C’est précisément à cette question qu’a eu à répondre la CJCE en 1995. Les autorités françaises, en instituant la possibilité pour les agriculteurs de cotiser volontairement à une retraite complémentaire en capitalisation, ont réservé le bénéfice de la déductibilité fiscale des cotisations au seul régime Coreva mis en œuvre par la Mutualité sociale agricole, gestionnaire du régime de base de Sécurité sociale. La Fédération française des sociétés d’assurance a attaqué cette disposition devant le Conseil d’État qui a lui-même posé la question à la Cour de Justice. Celle-ci a considéré [44] que la Mutualité sociale agricole constituait, en gérant un régime facultatif en capitalisation, n’instituant pas une réelle solidarité, une entreprise aux sens des articles 81 (ex 85) et suivants du Traité, donc a priori soumise à concurrence, sauf à démontrer que son monopole de déduction fiscale pouvait être justifié par les contraintes imposées par l’État. Comme le Conseil d’État a considéré que le monopole fiscal était de nature à fausser la concurrence et ne pouvait pas être justifié par le mission particulière impartie à la caisse nationale d’assurance vieillesse mutuelle agricole, il a annulé les dispositions qui réservaient au seul régime Coreva la déductibilité des cotisations.

133On peut se demander comment les allègements fiscaux qui ont permis à de nombreux pays de favoriser la transition vers des régimes gérés en capitalisation pourront s’accommoder de telles contraintes.

134L’intervention de la CJCE dans le domaine de la retraite est, on le voit, considérable au titre des deux principes d’égalité homme/femme et de la liberté de concurrence. On a vu que des régimes les régimes régis par le règlement 1 408/71 n’étaient plus à l’abri de ses interventions, un dernier exemple de l’ampleur que prend cette Cour lorsque le pouvoir politique n’a pas balisé le terrain.

135Le développement largement imprévisible d’une jurisprudence européenne repousse peu à peu la frontière des droits nationaux, en s’appuyant sur des principes généraux laissant nécessairement une vaste place à l’interprétation. Comment des arrêts rendus à propos de régimes de retraite financés par capitalisation peuvent-ils s’appliquer à des régimes fonctionnant en répartition ? Les conséquences économiques et sociales parfois considérables que certaines décisions sont susceptibles d’entraîner peuvent-elles être prises en compte dans un processus de décision en principe à base de pure logique juridique, sans contrepoids pouvoir législatif fort : la Cour de Justice est une, les traités sont le résultat de négociations laborieuses entre quinze États membres.

136Après avoir essayé de faire converger les systèmes de retraite au nom de la libre circulation des travailleurs et des capitaux avec plus ou moins de succès, la Commission européenne élargit le champs du débat, mais les objectifs restent les mêmes. Il est probable que ce processus soit très long, étant données les réticences des États membres, mais il est au moins aussi probable qu’il aille vers des durées de carrières plus longues, une augmentation des systèmes gérés en capitalisation et une contributivité plus forte. La CJCE pourrait accélérer le processus, mais pas toujours dans le sens souhaité par la Commission. Enfin, les particularismes nationaux semblent toujours d’une grande vitalité si l’on veut bien considérer les trois exemples suivants récents.

137En Grande Bretagne, quatre compagnies d’assurance d’importance ont conseillé à leurs clients de plus de cinquante ans de cesser de cotiser à leurs systèmes complémentaires privés pour revenir au régime d’État (SERPS), régime par répartition qui leur garantirait un meilleur rendement.

138En Allemagne, le gouvernement Schröder avait suspendu les principales dispositions de la réforme du régime d’assurance vieillesse qui devait entrer en vigueur en 1999 ; il a finalement introduit un dispositif facultatif d’épargne retraite individuelle en capitalisation, avec incitations fiscales, dans le but de maintenir le taux de remplacement net instantané, et cherche à étendre les régimes d’entreprise en capitalisation. La réforme de 1999 avait au contraire prévu de diminuer le taux de remplacement instantanée de la pension standard de 70 % à 64 %, en introduisant une composante démographique dans la formule de revalorisation des pensions, afin de prendre en compte l’allongement prévisible de l’espérance de vie à 65 ans.

139La réforme du système de retraite en Suède a été introduite en 1999 et les premiers paiements ont eu lieu en 2001. Cette réforme a un intérêt particulier puisqu’elle représente une innovation importante (le principe de « compte notionnel individuel »), que plusieurs pays ont entrepris de suivre, comme l’Italie ou la Pologne.

140Au total, ces trois directions nationales sont toutes différentes, et les réformes préconisées par la Commission apparaissent comme le fruit d’une vision particulière de la retraite, vers laquelle on chercherait à faire tendre des systèmes nationaux originaux. Il est regrettable qu’aucune étude prospective d’un système supra national européen de retraite, ou même du bien-fondé d’une convergence des systèmes ne soit menée. Dans d’autres domaines, ces études l’ont été avec succès dans des domaines où la notion de souveraineté était encore plus importante.

Bibliographie

Références bibliographiques

  • BCE, 2000 : « Conséquences du vieillissement sur les finances publiques », Rapport de la Banque Centrale européenne.
  • COM (1997)283 : « Les Retraites Complémentaires dans le Marché Unique », Livre Vert, Commission européenne.
  • COM (1998)122 : « Résumé des réponses au livre vert sur les retraites complémentaires dans le marché unique », Commission européenne, 21 avril.
  • COM, 2000a : « L’évolution à venir de la protection sociale dans une perspective à long terme : des pensions sûres et viables », COM (2000)622 final, Commission européenne, octobre.
  • COM, 2000b : Communication de la Commission « La contribution des finances publiques à la croissance et à l’emploi : améliorer la qualité et la viabilité », Commission européenne, 21 décembre.
  • COM, 2001 : « Une approche intégrée au service des stratégies nationales visant à garantir des pensions sûres et viables », (3 juillet 2001, COM (2001)362 final), communication de la Commission au Conseil, au Parlement européen et au Comité économique et social.
  • CPE, 2000 : « Progress Report to the Ecofin Council on the Impact of Ageing Populations on Public Pension Systems », EPC/ECFIN/ 581/00-Rev. 1, novembre, Rapport du Comité de politique économique.
  • Dantec A. et Pelgrin F., 1998 : Revue de l’OFCE n° 67, octobre.
  • Dantec A., 2000 : « Allonger la durée de cotisation de l’assurance retraite : une solution équitable », Revue de l’OFCE n° 74, juillet.
  • SPC, 2001 : « Les évolutions futures de la protection sociale », présenté par le Comité de Protection Sociale, présenté et accepté à Göteborg.
  • GPH, 2000 : « Rapport du Groupe de Haut Niveau sur la libre circulation ».

Notes

  • [1]
    Conclusions du Conseil européen de Barcelone, 15 et 16 mars 2002, document SN 100/02, page 14.
  • [2]
    En France, la Sécurité sociale est de droit privé, mais contrôlée par le Parlement.
  • [3]
    Même si parler en anglais dans le texte de « pensions fund » n’implique pas obligatoirement l’accumulation de capital et une gestion privée. En pratique, certains « pensions funds », anglais par exemple, notamment dans le secteur public, fonctionnent par répartition. Les caisses de retraite complémentaires françaises sont donc des « pension funds ». A contrario, les pensions civiles et militaires inscrites au Grand Livre de la dette publique ne constituent pas un « pension fund », pas plus que les régimes d’entreprise allemands lorsqu’il sont provisionnés au bilan de l’entreprise, ou les contrats d’assurance, puisque pour parler de “pension fund” nécessite l’existence d’une structure autonome qui reçoit les cotisations et verse les pensions.
  • [4]
    Réforme « Balladur » en France de 1993 pour le Régime général.
  • [5]
    Article 3b alinéas 2 et 3 du traité CE modifié par le traité de Maastricht, devenu l’article 5 du traité d’Amsterdam.
  • [6]
    Même la Banque centrale européenne a publié sa propre étude sur les retraites et les conséquences du vieillissement sur les finances publiques (BCE, 2000).
  • [7]
    Le Conseil n’est pas une institution juridique de l’Union européenne. C’est le Conseil de l’Union européenne, composé de représentants des États membres de niveau ministériel, qui statue.
  • [8]
    Les articles 48 à 51 du traité de Rome développent les conséquences du principe de la libre circulation des travailleurs posé par l’article 3. L’article 48 qui stipule « l’abolition de toute discrimination, fondée sur la nationalité, entre les travailleurs des États membres, en ce qui concerne l’emploi, la rémunération et les autres conditions de travail » est mis en œuvre par le règlement communautaire 1 612/68. Ce règlement, à défaut de dispositions plus précises, concerne aussi les retraites. Mais la Sécurité sociale, et donc les pensions qui en relèvent, font l’objet de l’article 51 qui prévoie l’adoption dans ce domaine particulier des mesures nécessaires à la libre circulation par le Conseil, statuant à l’unanimité. Ces mesures ont été prises dès 1958 avec les règlements 3 et 4 remplacés en 1971 par le règlement 1 408-71.
  • [9]
    Et pour d’autres domaines comme la maladie, aux étudiants et aux particuliers en voyage.
  • [10]
    La DG XV — Marché intérieur et services financiers — se divise maintenant en deux DG: Marché intérieur et services financiers/Affaires économiques et financières.
  • [11]
    Communication au Conseil du 22 juillet 1991
  • [12]
    Deux directives de portée assez limitées, avaient jusque là vu le jour, la première (1977) sur le maintien des droits des travailleurs en cas de transferts d’entreprise ; la seconde (1980) sur la protection des salariés en cas d’insolvabilité de l’employeur.
  • [13]
    Voir par exemple document de travail du 18 février 2000, disponible en ligne sur www. efrp. org.
  • [14]
    Le débat, sous couvert de savoir s’il fallait gérer les sorties en rente viagère, plus conforme à l’assurance, ou en capital pour les banques, cachait mal une logique de capitation du marché des salaires différés.
  • [15]
    Du 17 décembre 1994.
  • [16]
    Précisément le libre choix du gestionnaire du fonds, l’interdiction des règles nationales imposant le placement d’une certaine proportion des ressources du fonds sur le marché des capitaux de l’État membre considéré et/ou dans certaines catégories de valeurs mobilières pour des raisons non justifiées par des considérations prudentielles, la prudence dans la réalisation des placements afin de préserver la sécurité des actifs et de manière à maximiser leur rendement tant pour les affiliés que pour les employeurs…
  • [17]
    Du 5 juin 1997.
  • [18]
    Il s’inspire pour partie des thèses de l’EFRP développées notamment dans un rapport de Koen De Ryck « European Pension Funds, their impact on European Capital Markets and Competitiveness ».
  • [19]
    Dans le cadre du deuxième axe, la Commission a lancé, en janvier 2000, le Forum des pensions, instance de réflexion qui regroupe des représentants des États membres, des partenaires sociaux et des fonds de retraite, ce qui ne risque d’offusquer personne.
  • [20]
    COM (2000)507 final.
  • [21]
    Le ratio entre les effectifs âgés de plus de 64 ans et ceux âgés de 20 à 64 ans pour l’ensemble de l’Union européenne doublerait d’ici 2040 et continuerait globalement à progresser au-delà à un rythme beaucoup plus modéré. Des ordres de grandeur identiques se retrouvent dans la plupart des pays européens, dont la France, aux exceptions notables de l’Italie et de l’Espagne, où le vieillissement serait plus prononcé encore.
  • [22]
    Anciennement Groupe à Haut Niveau sur la Protection Sociale.
  • [23]
    Rien n’a été laissé au hasard puisque le rapport a été alimenté par les réponses des États membres à un questionnaire, préparé conjointement par la Commission et le Comité de la Protection sociale.
  • [24]
    COM (2000a) spécifiait déjà que la méthode ouverte de coordination prévoit la fixation d’objectifs communs, la traduction de ces objectifs dans les stratégies politiques nationales et, enfin, […] un suivi périodique sur la base, entre autres, d’indicateurs convenus et définis en commun.
  • [25]
    Premier arrêt Defrenne du 25 mai 1971.
  • [26]
    La Cour l’a confirmé dans un arrêt Bilka du 13 mai 1986 qui précise que ce principe d’égalité s’applique directement, c’est-à-dire sans qu’il soit nécessaire de le reprendre dans les législations nationales des États membres, et qu’il faut en tirer les conséquences rétroactivement en remontant au 8 avril 1976, date du deuxième arrêt Defrenne.
  • [27]
    Arrêt Evrenopoulos du 17 avril 1997.
  • [28]
    Le régime spécial des industries électriques et gazières qui englobe EDF-GDF et cent cinquante petites entreprises non nationalisées serait sans doute considéré par la Cour comme un régime professionnel. Mais en irait-il de même pour celui des fonctionnaires, ou bien cette catégorie de travailleurs serait-elle estimée trop large pour être considérée comme « particulière » ?
  • [29]
    Le 17 mai 1990.
  • [30]
    Arrêts Coloroll et Vroege du 28 septembre 1994 et l’arrêt Dietz du 24 octobre 1996.
  • [31]
    Qui demeure régi par la jurisprudence Bilka (rétroactivité au 8 avril 1976).
  • [32]
    Accord du 9 février 1994.
  • [33]
    Le 25 avril 1996.
  • [34]
    Du 17 mai 1990.
  • [35]
    Par arrêt du 25 mai 2000.
  • [36]
    Les cotisations des salariés et les pensions doivent être les mêmes pour les hommes et pour les femmes, ce qui conduit l’employeur à verser davantage pour les femmes en raison de leur espérance de vie plus longue.
  • [37]
    Arrêt Neath du 22 décembre 1993.
  • [38]
    Depuis l’arrêt Beune, il est considéré qu’un régime légal verse des « prestations de rémunération », c’est-à-dire fondées sur un lien d’emploi, et non des prestations de sécurité sociale, lorsqu’il remplit les critères suivants :
    • la pension n’intéresse qu’une catégorie particulière de travailleurs ;
    • la pension est directement fonction du temps de service accompli ;
    • la pension est calculée sur la base du dernier traitement.
  • [39]
    Arrêt Choukroun du 5 juin 2002, Req. n° 202 667.
  • [40]
    Si l’on retient la position du juge communautaire, dans sa décision du 29 novembre 2001, la CJCE a réservé le bénéfice de la bonification aux seuls « fonctionnaires masculins qui sont à même de prouver avoir assumé l’éducation de leurs enfants » et dans ce cas tous les fonctionnaires masculins sans limitation de rétroactivité peuvent demander une révision du montant de leur pension. Si l’on retient la position du Conseil d’État, le juge précise, dans le corps de sa décision, que « la demande de révision de la pension (a été formulée) dans le délai prévu à l’article L. 55 du code des pensions civiles et militaires ». Cet article prévoit que la pension et la rente viagère d’invalidité sont définitivement acquises et ne peuvent être révisées ou supprimées à l’initiative de l’administration ou sur demande de l’intéressé que dans un délai d’un an à compter de la notification de la décision de concession initiale de la pension ou de la rente viagère, en cas d’erreur de droit.
  • [41]
    Arrêt Höfner, 23 avril 1991, cet office est donc a priori soumis à concurrence et que son monopole sur le marché de l’emploi était abusif dans la mesure où seule une minorité de cadres dirigeants trouvaient un emploi grâce à lui !
  • [42]
    Le Centre de défense des commerçant et artisants contre la CANCAVA, Arrêt Pistre et Poucet, 17 février 1993, suivi de l’arrêt Garcia le 26 mars 1996.
  • [43]
    Arrêt Van Schijndel du 14 décembre 1995. Les trois arrêts Brentjens, Albany et Maastschappij du 21 septembre 1999 confirment ces analyses tout en insistant sur la reconnaissance par le droit européen du rôle des partenaires sociaux et des accords collectifs.
  • [44]
    Arrêt Coreva du 16 novembre 1995.
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