Notes
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[1]
Extrait du discours prononcé par le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve, lors du colloque Le monde à travers l’asile, organisé par l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA) à l’Institut du monde arabe le 23 juin 2014 à l’occasion de la journée mondiale des réfugiés.
-
[2]
Convention relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951.
-
[3]
Ce constat a d’ailleurs été expressément repris en droit international : Haut-commissariat aux réfugiés (HCR), Principes directeurs sur la protection internationale n° 1 : La persécution liée au genre dans le cadre de l’article 1A (2) de la Convention de 1951 et/ou son Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés, HCR/GIP/02/01/Rev.1, Genève, 2002 (réédité en 2008), § 5 ; Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, Recommandation générale n° 32 sur les femmes et les situations de réfugiés, d’asile, de nationalité et d’apatridie, CEDAW/C/GC/32, 14 décembre 2014, § 16.
-
[4]
Cour internationale de justice (CIJ), Avis consultatif du 21 juin 1971, Conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de Sécurité, CIJ Recueil 1971, pp. 16-66, p. 31, § 53.
-
[5]
CRR, 1er février 1977, n° 8637.
-
[6]
CRR, 3 février 1995, n° 273912.
-
[7]
CE, 27 mai 1983, n° 42074.
-
[8]
CRR, 27 mai 1991, n° 173787.
-
[9]
Par exemple : CRR, 20 mai 1995, n° 272728.
-
[10]
Par exemple : CRR, 26 octobre 1994, n° 253902.
-
[11]
Directive 2004/83/CE du Conseil du 29 avril 2004 concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre à la qualité de réfugié ou les personnes qui, pour d’autres raisons, ont besoin d’une protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts.
-
[12]
CRR, SR, 12 février 1993, n° 216617 ; CRR, SR, 12 février 1993, n° 230571.
-
[13]
Compte-rendu intégral des débats au Sénat lors de la séance du jeudi 23 octobre 2003, JORF des débats parlementaires, année 2003, n° 90 S. (C.R.), pp. 7026-7018, p. 7036.
-
[14]
Article L. 513-5 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA).
-
[15]
CRR, 7 avril 2005, n° 501034.
-
[16]
Conseil constitutionnel (CC), décision n° 2003-485 DC du 4 décembre 2003, Loi modifiant la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952 relative au droit d’asile, cons. 21.
-
[17]
Par exemple : CRR, 13 janvier 1995, n° 263781 ; Cour nationale du droit d’asile (CNDA), 29 juillet 2011, n° 10022964 ; CE, 3 juillet 2009, n° 294266 ; CE, 7 décembre 2011, n° 348228 ; CE, 6 juin 2012, n° 345783.
-
[18]
Par exemple : CNDA, 13 décembre 2011, n° 11008954 ; CNDA, 3 février 2012, n° 11018751 ; CNDA, 7 mai 2012, n° 12004591 ; CNDA, 7 mai 2012, n° 11014355.
-
[19]
Par exemple : CRR, 30 juillet 1984, n° 24910 ; CRR, 15 septembre 1992, n° 226842 ; CRR, SR, 26 octobre 1994, n° 253902 ; CRR, 12 novembre 2001, n° 356865 ; CRR, 16 juillet 2002, n° 388131.
-
[20]
Par exemple : CRR, 7 février 2001, n° 356008 ; CRR, 15 juin 2001, n° 372349 ; CRR, 5 janvier 2006, n° 533211.
-
[21]
CE, 23 juin 1997, n° 171858.
-
[22]
CRR, 30 mars 2004, n° 454281. Depuis 2012, ce groupe a fait l’objet d’une reformulation. Il s’agit désormais du groupe social des femmes non mutilées : CE, Ass., 21 décembre 2012, n° 332491.
-
[23]
CNDA, 1er février 2008, n° 613847.
-
[24]
CNDA, 18 avril 2012, n° 11027491.
-
[25]
CNDA, 23 juillet 2018, n° 15031912. La CRR avait précédemment identifié le groupe social des femmes refusant les mariages imposés : CRR, SR, 15 octobre 2004, n° 444000.
-
[26]
CRR, SR, 7 décembre 2001, n° 361050.
-
[27]
CRR, SR, 12 mai 1999, n° 328310.
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[28]
CNDA, 2 décembre 2010, n° 10009346 et 10009345.
-
[29]
CRR, SR, 15 mai 1998, n° 269875.
-
[30]
CNDA, 8 septembre 2011, n° 09024882.
-
[31]
CNDA, 4 novembre 2014, n° 13021072.
-
[32]
CNDA, 30 mars 2017, n° 16015058. La CNDA avait précédemment identifié le groupe social des femmes soumises à la traite d’êtres humains et désireuses de s’en extraire de manière active : CNDA, 29 avril 2011, n° 10012810.
-
[33]
CNDA, 16 décembre 2008, n° 473648 ; CNDA, 29 novembre 2013, n° 13018952.
1À l’occasion de la dernière réforme de l’asile qui est intervenue en France avec la loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015, le ministre de l’Intérieur affirmait que parce que « l’Homme dispose, en tout point du monde, d’une égale dignité », « ceux qui sont persécutés en raison de […] leur sexe ou de leur orientation sexuelle, doivent pouvoir être accueillis et protégés » [1] sur notre sol, au travers de la reconnaissance de la qualité de réfugiés. Cette affirmation n’apparaît pourtant pas si évidente au regard de l’état du droit français en la matière.
2En effet, la notion de réfugié a été définie sur la scène internationale après la Seconde Guerre mondiale, dans un contexte d’« invisibilisation » des droits des femmes et des minorités sexuelles. Aux termes de l’article 1, section A, 2 de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, un réfugié est un individu qui craint d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, religion, nationalité, opinions politiques ou appartenance à un certain groupe social [2]. Cette définition a été complétée, en France, par un sixième motif de persécution, avec la loi n° 98-349 du 11 mai 1998 qui prend acte de l’alinéa 4 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946. Elle ouvre en outre la qualité de réfugiées aux personnes persécutées dans leur pays d’origine en raison de leur action en faveur de la liberté.
3Cette définition, indifférente à l’identité et à l’orientation sexuelle des réfugiés, a été vivement critiquée, d’abord par les théoriciennes féministes du droit au cours des années 1980, puis dans une perspective de genre à compter des années 1990 (Indra, 1987 ; Kelly, 1993 ; Macklin, 1995). Selon elles, la figure du réfugié a été dessinée au prisme d’expériences masculines de persécutions [3], ce qui conduit à évincer les femmes, ainsi que les personnes homosexuelles, bisexuelles, transgenres et intersexuées du bénéfice de cette qualité. Elles dénoncent en particulier la non-prise en compte de leurs expériences spécifiques de persécution, que ce soit à raison de leur forme (leur intervention dans la sphère privée), ou du fond (motivées par leur identité ou orientation sexuelle). Or, « tout instrument international doit être interprété et appliqué dans le cadre de l’ensemble du système juridique en vigueur au moment où l’interprétation a lieu » [4]. Il convient donc de tirer toutes les conséquences de la revalorisation récente des droits des femmes et des minorités sexuelles en droits international, européen et national, et remodeler la définition du réfugié afin de tenir compte de leurs expériences propres de persécutions.
4Ces critiques ont trouvé un écho sur les scènes internationale et européenne dès le milieu des années 1980, de telle sorte que les autorités françaises ont subi et subissent d’ailleurs toujours d’importantes pressions pour dûment reconnaître la qualité de réfugiées aux femmes et aux personnes homosexuelles, bisexuelles, transgenres et intersexuées persécutées dans leur pays d’origine. Cependant, force est de constater qu’en dépit d’importants efforts consentis en ce sens, le droit français peine encore à tenir pleinement compte de leurs expériences spécifiques de persécutions dans le cadre de la reconnaissance de la qualité de réfugié. En effet, si les persécutions intervenant dans la sphère privée et celles motivées par l’identité ou l’orientation sexuelle des demandeurs ne sont plus aujourd’hui exclues du champ de la définition du réfugié, elles en demeurent malgré tout marginalisées.
Le défi des persécutions intervenant dans la sphère privée
5Les premiers développements du droit des réfugiés ont conduit, en tout cas en France, à ancrer la notion de persécution dans la seule sphère publique (Greatbatch, 1989 ; Mulligan, 1990 ; Castel, 1992 ; Cipriani, 1993). En effet, bien que cela n’ait jamais été imposé par les textes, les juges en réservaient la qualification aux seuls faits imputables aux États d’origine (Wilsher, 2003 ; Tissier-Raffin, 2016). L’intervention du législateur a été nécessaire pour mettre fin à cette interprétation, mais la qualification de ces « persécutions privées » rencontre encore des obstacles dans le contentieux.
Une prise en compte tardive des « persécutions privées »
6Initialement, la Commission des recours des réfugiés (CRR) définit la persécution comme une atteinte grave aux droits fondamentaux nécessairement commise par un agent étatique [5], à la condition toutefois qu’il n’agisse pas à titre personnel [6]. Cette interprétation, restrictive, a fait l’objet de vives critiques au motif que de nombreuses violences dirigées contre les femmes, les personnes homosexuelles, bisexuelles, intersexuées et transgenres émanent de particuliers, ce qui les place donc en dehors du champ de la définition du réfugié (Jaillardon, 2008 : 45). C’est la raison pour laquelle elle a progressivement été remise en cause.
7On note dans un premier temps un léger assouplissement dans la jurisprudence administrative. En effet, sans pour autant abandonner le paradigme de l’imputabilité des persécutions aux États d’origine, les juges acceptent d’infléchir leur position, en admettant des cas d’« imputabilité indirecte ». En 1983 tout d’abord, le Conseil d’État (CE) accepte d’assimiler les actes commis par des particuliers qui ont été perpétrés avec l’encouragement ou la tolérance volontaire des autorités à des persécutions [7]. Puis, en 1991, la CRR admet de qualifier de persécutions les actes commis par des autorités de fait qui ont supplanté les autorités étatiques dans une partie de l’État d’origine [8]. Mais, si ces évolutions ont permis la reconnaissance de la qualité de réfugiées à un certain nombre de femmes persécutées par des intégristes religieux au cours des années 1990, en particulier dans les contextes algérien [9] et afghan [10], elles restaient encore insuffisantes, et surtout non justifiées en droit. En effet, non seulement le paradigme de l’imputabilité de la persécution à l’État n’était pas imposé par les textes, mais surtout il tendait à dénaturer le contexte et l’objet de la Convention de Genève (Goodwin-Gill et Mc Adam, 2007 : 98 ; Malher et Zimmermann, 2011 : 366).
8L’intervention du législateur a été nécessaire pour mettre fin à cette interprétation restrictive. Mais celle-ci ne s’est pas faite sans mal. Certes, un consensus politique en faveur de la prise en compte des persécutions commises par des particuliers se dessine dès 1997 (Weil, 1997). Cependant, ce n’est que sous la pression du droit de l’Union européenne que l’exigence de l’auteur étatique de persécution est expressément abandonnée. C’est ainsi que, transposant par anticipation la directive 2004/83/CE [11], la loi n° 2003-1176 du 10 décembre 2003 consacre le principe de l’indifférence de la nature, publique ou privée, de l’auteur des persécutions pour ouvrir droit à la qualité de réfugié. Mais nombre de persécutions intervenant dans la sphère privée peinent malheureusement toujours à être prises en compte.
Une prise en compte limitée des « persécutions privées »
9Deux principaux obstacles limitent toujours l’intégration des « persécutions privées » dans le champ de la définition du réfugié.
10Premièrement, l’asile interne peut être opposé à un demandeur victime de persécutions émanant d’un acteur non étatique. En effet, l’article 1er de la loi du 10 décembre 2003 précitée est venu entériner une jurisprudence intervenue quelques années plus tôt, aux termes de laquelle les possibilités de réinstallation dans une autre partie du territoire de l’État d’origine peuvent tenir en échec une demande de protection internationale [12]. Et s’il est expressément précisé qu’il convient de tenir compte de la nature de l’agent de persécution pour l’appliquer, les travaux parlementaires indiquent que la notion n’a vocation à s’appliquer que dans le cadre de persécutions commises par des particuliers [13]. On voit donc ici naître un régime juridique défavorable applicable aux seules « persécutions privées » : contrairement aux victimes de persécutions étatiques, ceux invoquant des persécutions privées doivent démontrer qu’ils ne sont en sécurité nulle part dans leur pays, et pas seulement dans leur région d’origine. Relevons toutefois ici que le juge dispose d’un pouvoir discrétionnaire pour opposer l’asile interne à un demandeur. Et cela reste subordonné à la condition que le requérant puisse s’installer légalement et en toute sécurité dans la zone de refuge [14], dans laquelle il doit pouvoir séjourner durablement [15] et y mener une « existence normale » [16].
11Deuxièmement, on observe une disqualification de la dimension discriminatoire d’un certain nombre de violences dites privées dans le contentieux. Rappelons en effet qu’une persécution apparaît par définition discriminatoire, et tout demandeur au statut de réfugié doit démontrer être spécifiquement visé dans son pays d’origine en raison de l’un des motifs de persécution ci-dessus rappelés. Or certains juges refusent d’appréhender ces violences au prisme des rapports sociaux et les analysent à une échelle strictement individuelle, en les reléguant à des motivations personnelles ou crapuleuses (Tissier-Raffin, 2016 : 402). Les contentieux des violences domestiques [17] et sexuelles [18] apparaissent particulièrement affectés ici. Suivant une telle lecture, les juges se refusent à analyser la pertinence d’un éventuel motif de persécution ouvrant droit à la qualité de réfugié, pourtant parfois manifestement applicable, et rejettent a priori les demandes de statut en arguant que seul un motif non discriminatoire a déterminé la survenance de la persécution.
12Ainsi, si les violences intervenant dans la sphère privée ne sont aujourd’hui plus exclues, par principe, du champ de la définition d’un réfugié, elles peinent encore à ouvrir pleinement droit à cette qualité. Il en va de même pour les graves violations de droits motivées par l’identité ou l’orientation sexuelle des demandeurs.
Le défi des persécutions motivées par l’identité ou l’orientation sexuelle
13Nous l’avons dit, un réfugié est un individu persécuté en raison de son action en faveur de la liberté, ou qui craint de l’être en cas de retour dans son pays du fait de sa « race », sa religion, sa nationalité, ses opinions politiques ou son appartenance à un certain groupe social. Ni l’identité ni l’orientation sexuelle ne figurent parmi les motifs de persécution ouvrant droit à la qualité de réfugié. Dans ce contexte, les juges usent de leur pouvoir d’interprétation des textes pour réintégrer, en tout cas pour partie, ces motifs dans la définition.
Une intégration médiate des persécutions de genre
14En France, les premières reconnaissances de statut de réfugié intervenues dans le cadre de persécutions de genre, c’est-à-dire de persécutions intervenues du fait de l’identité ou de l’orientation sexuelle de la victime, sont intervenues dans les années 1980-1990. Cela a été possible au travers des deux motifs politiques de persécution existants dans les textes, en particulier ceux des opinions politiques [19] et de l’action en faveur de la liberté [20]. Ces derniers ont en effet été mobilisés au profit de militantes des droits (civils, politiques, économiques ou sociaux) des femmes persécutées dans leur pays d’origine.
15Puis, conformément aux nombreuses recommandations du droit international et du droit européen en la matière, les juridictions administratives françaises ont eu recours au motif de l’appartenance à un certain groupe social. Inséré dans la Convention de Genève dans un contexte de guerre froide, ce motif de persécution n’a été que peu mobilisé dans les premières années d’application de celle-ci. Mais si cette « locution énigmatique » (Crépey, 2013 : 568) est longtemps restée incertaine, elle a connu un renouveau dans le cadre du contentieux des persécutions de genre. Il faut néanmoins attendre 1997 pour que le Conseil d’État définisse la notion comme un groupe partageant des caractéristiques communes et faisant l’objet d’une visibilité sociale [21]. Partant de cette définition, un certain nombre de groupes sociaux ont été identifiés pour se saisir des persécutions de genre : le groupe social des femmes entendant se soustraire à une mutilation génitale féminine [22], celui des femmes refusant d’en pratiquer [23], ou encore celui des femmes luttant contre l’excision [24] ou qui refusent de se soumettre à un mariage imposé ou tentent de s’y soustraire [25]. On a également vu naître le groupe social des parents qui entendent soustraire leur enfant à l’excision [26], le groupe social des homosexuels [27], des bisexuels [28], des transsexuels [29], des transgenres [30], des personnes partageant une orientation sexuelle LGBTI [31], et le groupe social des femmes victimes d’un réseau transnational de traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle qui sont parvenues à s’en extraire ou ont entamé des démarches en ce sens [32].
16Ainsi, en interprétant les motifs préexistants de persécution dans une perspective de genre, les juges sont parvenus à intégrer les persécutions de genre dans la définition du réfugié, et ce malgré le silence des textes. Mais cela reste malheureusement encore bien trop partiel.
Une intégration imparfaite des persécutions de genre
17En dépit des évolutions positives ci-dessus décrites, les persécutions de genre ne restent que partiellement prises en compte aux fins de la reconnaissance de la qualité de réfugié.
18D’une part, la mobilisation des motifs politiques reste limitée à la défense des droits des femmes et ne s’applique pas, en tout cas en l’état de la jurisprudence, à celle des droits des minorités sexuelles. Nous n’en avons pas trouvé de trace dans le contentieux. De plus, ces motifs restent enfermés dans la notion de militantisme, puisqu’exigeant une revendication desdits droits en termes généraux et impersonnels dans l’espace public, se traduisant par une dénonciation dans les médias ou encore la participation à une manifestation ou à une structure militante (Korsakoff, 2021 : 414-417). Par conséquent, une femme qui se borne à dénoncer une atteinte aux droits dans une perspective individuelle, sans visibilité publique, ne pourra pas se voir reconnaître la qualité de réfugiée sur le fondement d’un motif politique. Cette dernière condition apparaît particulièrement préjudiciable pour les demandeuses, car justement, elles ne sont pas toujours admises à intervenir dans l’espace public dans leur pays d’origine (Spijkerboer, 2003 : 58).
19D’autre part, la mobilisation des différents groupes sociaux susmentionnés est subordonnée à l’existence de la visibilité sociale de ces groupes dans le pays d’origine. Or, la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) retient une définition très restrictive de cette condition, puisqu’elle l’appréhende uniquement par la négative. Il faut en effet que le groupe transgresse une norme sociale, qu’elle soit juridique ou coutumière, et encourt des persécutions présentant un caractère constant, répété et à une échelle suffisamment significative [33]. En d’autres termes, il ne faut pas seulement que le demandeur soit persécuté, mais également que l’ensemble des femmes, ou des personnes homosexuelles, bisexuelles, transgenres ou intersexuées du pays le soit, pour que le groupe social existe et soit par suite mobilisable. Concrètement, cela signifie que les femmes et les membres de minorités sexuelles qui ne proviennent pas de tels États ne sont pas éligibles à la qualité de réfugiés sur ce fondement, et ce sans considération pour leurs craintes individuelles.
20Ainsi, en l’état de la jurisprudence administrative, la définition du réfugié ne parvient toujours pas à se saisir pleinement de l’ensemble des persécutions de genre rencontrées dans le contentieux.
21Comme nous pouvons le constater, l’ambition politique affichée en 2015 par le ministre de l’Intérieur peine encore à se formaliser pleinement en droit. Sans équivoque, le droit français prend en compte de manière grandissante les persécutions intervenant dans la sphère privée et celles motivées par l’identité et l’orientation sexuelles aux fins de la reconnaissance de la qualité de réfugié. Mais ce processus reste à ce jour insuffisant, et appellerait certainement des ajustements du législateur, conjugués à une meilleure formation des acteurs juridictionnels sur les questions de genre, pour être parachevé.
Bibliographie
Références bibliographiques
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- Goodwin-Gill Guy and Mc Adam Jane (2007) The refugee in international law, Oxford, Oxford University Press.
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- Mulligan Maureen (1990) Obtaining political asylum: classifying rape as a well-founded fear of persecution on account of political opinion, Boston College Third World Law Journal, 10 (2), pp. 355-380.
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- Weil Patrick (1997) Mission d’étude des législations de la nationalité et de l’immigration : rapports au Premier ministre, Paris, La documentation française.
- Wilsher Daniel (2003) Non-state actors and the definition of a refugee in the United Kingdom: protection, accountability or culpability?, International Journal of Refugee Law, 15 (1), pp. 68-112.
Mots-clés éditeurs : femmes, refugié, asile, orientation sexuelle, identité de genre, genre
Mise en ligne 07/06/2021
https://doi.org/10.4000/remi.17640Notes
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[1]
Extrait du discours prononcé par le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve, lors du colloque Le monde à travers l’asile, organisé par l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA) à l’Institut du monde arabe le 23 juin 2014 à l’occasion de la journée mondiale des réfugiés.
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[2]
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[3]
Ce constat a d’ailleurs été expressément repris en droit international : Haut-commissariat aux réfugiés (HCR), Principes directeurs sur la protection internationale n° 1 : La persécution liée au genre dans le cadre de l’article 1A (2) de la Convention de 1951 et/ou son Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés, HCR/GIP/02/01/Rev.1, Genève, 2002 (réédité en 2008), § 5 ; Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, Recommandation générale n° 32 sur les femmes et les situations de réfugiés, d’asile, de nationalité et d’apatridie, CEDAW/C/GC/32, 14 décembre 2014, § 16.
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Cour internationale de justice (CIJ), Avis consultatif du 21 juin 1971, Conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de Sécurité, CIJ Recueil 1971, pp. 16-66, p. 31, § 53.
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[5]
CRR, 1er février 1977, n° 8637.
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[6]
CRR, 3 février 1995, n° 273912.
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[7]
CE, 27 mai 1983, n° 42074.
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[8]
CRR, 27 mai 1991, n° 173787.
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[9]
Par exemple : CRR, 20 mai 1995, n° 272728.
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[10]
Par exemple : CRR, 26 octobre 1994, n° 253902.
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[11]
Directive 2004/83/CE du Conseil du 29 avril 2004 concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre à la qualité de réfugié ou les personnes qui, pour d’autres raisons, ont besoin d’une protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts.
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[12]
CRR, SR, 12 février 1993, n° 216617 ; CRR, SR, 12 février 1993, n° 230571.
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[13]
Compte-rendu intégral des débats au Sénat lors de la séance du jeudi 23 octobre 2003, JORF des débats parlementaires, année 2003, n° 90 S. (C.R.), pp. 7026-7018, p. 7036.
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[14]
Article L. 513-5 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA).
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[15]
CRR, 7 avril 2005, n° 501034.
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[16]
Conseil constitutionnel (CC), décision n° 2003-485 DC du 4 décembre 2003, Loi modifiant la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952 relative au droit d’asile, cons. 21.
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[17]
Par exemple : CRR, 13 janvier 1995, n° 263781 ; Cour nationale du droit d’asile (CNDA), 29 juillet 2011, n° 10022964 ; CE, 3 juillet 2009, n° 294266 ; CE, 7 décembre 2011, n° 348228 ; CE, 6 juin 2012, n° 345783.
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[18]
Par exemple : CNDA, 13 décembre 2011, n° 11008954 ; CNDA, 3 février 2012, n° 11018751 ; CNDA, 7 mai 2012, n° 12004591 ; CNDA, 7 mai 2012, n° 11014355.
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[19]
Par exemple : CRR, 30 juillet 1984, n° 24910 ; CRR, 15 septembre 1992, n° 226842 ; CRR, SR, 26 octobre 1994, n° 253902 ; CRR, 12 novembre 2001, n° 356865 ; CRR, 16 juillet 2002, n° 388131.
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[20]
Par exemple : CRR, 7 février 2001, n° 356008 ; CRR, 15 juin 2001, n° 372349 ; CRR, 5 janvier 2006, n° 533211.
-
[21]
CE, 23 juin 1997, n° 171858.
-
[22]
CRR, 30 mars 2004, n° 454281. Depuis 2012, ce groupe a fait l’objet d’une reformulation. Il s’agit désormais du groupe social des femmes non mutilées : CE, Ass., 21 décembre 2012, n° 332491.
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[23]
CNDA, 1er février 2008, n° 613847.
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[24]
CNDA, 18 avril 2012, n° 11027491.
-
[25]
CNDA, 23 juillet 2018, n° 15031912. La CRR avait précédemment identifié le groupe social des femmes refusant les mariages imposés : CRR, SR, 15 octobre 2004, n° 444000.
-
[26]
CRR, SR, 7 décembre 2001, n° 361050.
-
[27]
CRR, SR, 12 mai 1999, n° 328310.
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[28]
CNDA, 2 décembre 2010, n° 10009346 et 10009345.
-
[29]
CRR, SR, 15 mai 1998, n° 269875.
-
[30]
CNDA, 8 septembre 2011, n° 09024882.
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[31]
CNDA, 4 novembre 2014, n° 13021072.
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[32]
CNDA, 30 mars 2017, n° 16015058. La CNDA avait précédemment identifié le groupe social des femmes soumises à la traite d’êtres humains et désireuses de s’en extraire de manière active : CNDA, 29 avril 2011, n° 10012810.
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[33]
CNDA, 16 décembre 2008, n° 473648 ; CNDA, 29 novembre 2013, n° 13018952.