Notes
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[1]
Le terme « réfugié » est employé dans ce texte de façon générique, afin de désigner les individus fuyant des troubles de différentes natures résultant d’un conflit armé. Les termes de « demandeur d’asile », de « réfugié statutaire » ou simplement de « réfugié enregistré » (auprès du HCR) font pour leur part référence aux catégories juridiques entre lesquelles les migrants sont souvent amenés à « naviguer » durant leurs parcours migratoires.
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[2]
Ce chiffre ne prend pas en compte les 5,4 millions de réfugiés palestiniens et leurs descendants placés sous le mandat de l’UNRWA.
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[3]
Ce chiffre, à l’instar de ceux mentionnés dans la suite de l’article pour les pays du Moyen-Orient, fait uniquement référence au nombre de ressortissants syriens enregistrés auprès du HCR. Les personnes qui ont fait le choix de ne pas s’enregistrer auprès de l’agence onusienne, ou qui se limitent à circuler entre la Syrie et les pays limitrophes ne sont donc pas comptabilisées.
- [4]
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[5]
Pour un récit complet de cet épisode de l’insurrection, voir Barthe Benjamin (2013) Les enfants de Deraa, l’étincelle de l’insurrection syrienne, Le Monde, 08/03/2013.
-
[6]
Conseil de l’Europe (2011) Syrian refugees on the Turkish border. Report on the visit to Ankara, [online]. URL : http://www.assembly.coe.int/CommitteeDocs/2011/amahlarg042011.pdf
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[7]
International Medical Corps (2011) Psychological Assessment of Displaced Syrians at the Lebanese-Syrian Northern Border, [online]. URL : https://data2.unhcr.org/fr/documents/download/36453
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[8]
À leur demande, les prénoms mentionnés dans ce texte ont été modifiés pour préserver l’anonymat des enquêtés.
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[9]
Garant auprès des autorités.
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[10]
Environ 1 200 euros
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[11]
Les autorités syriennes et jordaniennes empêchant les organisations humanitaires de pénétrer dans les campements de Rukban et Hadalat, l’accès à la nourriture, à l’eau potable et aux soins y est extrêmement limité. Depuis leur création, ces lieux n’ont cessé de croître, adoptant les traits d’un immense bidonville où survit une population maintenue dans d’effroyables conditions sanitaires.
-
[12]
Sont exclus de cet accord les Palestiniens de Syrie, soumis à un cadre législatif discriminatoire mis en place au Liban dans les années 1990.
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[13]
D’une valeur de vingt-quatre euros par personne, ces coupons permettaient aux personnes enregistrées au HCR et résidant légalement en Jordanie d’acheter des produits alimentaires de base dans un ensemble d’épiceries et de supermarchés du pays. Notons que plusieurs réfugiés privés de coupons en 2014 se sont vus réattribuer ce service sous forme d’une carte de paiement en 2015.
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[14]
Selon le Norwegian Refugee Council, en 2014, 8 500 réfugiés syriens auraient été dirigés contre leur gré vers le camp d’Azraq. Un rapport de Human Rights Watch aborde la question plus spécifique des expulsions vers la Syrie. Cf. HRW (2017) I have no idea why they sent us back. Jordanian deportations and expulsions of Syrian Refugees, [online]. URL : https://www.hrw.org/report/2017/10/02/i-have-no-idea-why-they-sent-us-back/jordanian-deportations-and-expulsions-syrian
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[15]
Ces mesures sont destinées en priorité aux membres des familles de travailleurs syriens présents dans le Golfe avant le début de l’insurrection.
-
[16]
De 1958 à 1961, la Syrie et l’Égypte étaient regroupées au cœur d’une même entité politique : la République arabe unie.
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[17]
Au moment de son arrivée au pouvoir en Syrie, le parti Baath engagea le pays dans une phase de nationalisation des entreprises commerciales et industrielles, à commencer par les banques privées.
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[18]
Salih Zeinab Mohammed (2016) Shared language and religion in Sudan, IRIN, 31/05/2016, [online]. URL : https://www.irinnews.org/feature/2016/05/31/shared-language-and-religion-sudan
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[19]
Zong Jie and Batalova Jeanne (2017) Syrian Refugees in the United States, Migration Policy Institute, 12/01/2017, [online]. URL : http://www.migrationpolicy.org/article/syrian-refugees-united-states
-
[20]
Government of Canada (2017) Welcome Refugees: Key Figures, [online]. URL : http://www.cic.gc.ca/english/refugees/welcome/milestones.asp
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[21]
Une partie importante de ces personnes résidait déjà légalement en Europe, munie de visas de travail ou d’étudiants. C’est le cas de plusieurs enquêtés vivant en France. Venus à l’origine pour suivre un cursus universitaire, la dégradation de la situation dans leur pays d’origine les a amenés à solliciter l’asile, afin de pérenniser les conditions de leur présence dans l’Union européenne.
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[22]
IOM (2015) Irregular Migrant, Refugee Arrivals in Europe Top One Million in 2015, [online]. URL : https://www.iom.int/news/irregular-migrant-refugee-arrivals-europe-top-one-million-2015-iom
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[23]
Seulement 3 % de ces arrivées ont été effectuées aux frontières terrestres de l’Europe.
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[24]
Eurostat (2016) Record number of over 1.2 million first time asylum seekers registered in 2015, [online]. URL : https://ec.europa.eu/eurostat/web/products-press-releases/-/3-04032016-AP
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[25]
En juin 2016, l’Allemagne accueillait au total 1 052 127 réfugiés statutaires et demandeurs d’asile sur son territoire. Après les Syriens, les nationalités les plus représentées étaient les Afghans (131 967 personnes) et les Irakiens (129 645).
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[26]
L’année suivante, le HCR faisait état de la présence de 540 085 Syriens en Allemagne. Notons que cet État est le seul pays européen à avoir vu le nombre d’exilés syriens réellement augmenter depuis juin 2016.
-
[27]
Actuellement, ce chiffre s’élève à près de 150 000.
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[28]
En vertu de ce règlement, l’État responsable de l’examen des demandes d’asile est le premier pays de l’Union européenne par lequel est entré le requérant, et vers lequel il doit être expulsé s’il est interpellé en l’absence de documents en règle ou cherche à déposer une demande dans un autre pays européen.
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[29]
Sur la question du champ migratoire syrien antérieur au conflit de 2011, voir par exemple Bourgey (1985), Roussel (2003) et Lagarde (2018).
1Du génocide arménien à la guerre en Irak de 2003, en passant par la permanence des tensions israélo-palestiniennes ayant marqué toute la seconde moitié du XXe siècle, les violences qui ont déchiré le Moyen-Orient à l’époque contemporaine ont poussé plusieurs millions de personnes à quitter leur pays. Au cours des dernières décennies, aux côtés de la persistance des mouvements de réfugiés [1] palestiniens (Doraï, 2006) et irakiens (Chatelard et Doraï, 2009), des migrations de travail internes à la région, mais provenant également d’Asie du Sud et dans une moindre mesure d’Europe de l’Est et d’Afrique subsaharienne, ont participé à animer les dynamiques de mobilités traversant le Moyen-Orient (Berthomière, 2002 ; De Bel-Air, 2005 ; Anteby-Yemini, 2008 ; Dahdah, 2014). Cette région représente à ce titre un « carrefour migratoire » (Berthomière et al., 2003) s’inscrivant pleinement dans le processus de « globalisation des migrations internationales » (Berthomière, 2007). Depuis 2011, l’exil des Syriennes et des Syriens a largement contribué à alimenter les rouages de cette « géodynamique des migrations » (Simon, 1995), tout en venant remodeler les caractéristiques du système migratoire moyen-oriental.
2Suite à la violence avec laquelle le régime de Bachar al-Assad a répondu au soulèvement de la population syrienne, à la fin de l’année 2017, près de 6,3 millions de personnes avaient trouvé refuge en dehors de Syrie ; tandis que 6,8 millions auraient été déplacées à l’intérieur du pays. L’ampleur de l’exode est telle qu’à la même période, les ressortissants syriens représentaient 32 % des 19,9 millions de réfugiés internationaux [2] enregistrés auprès du Haut-Commissariat des Nations unies pour les Réfugiés (HCR) ; faisant d’eux la plus importante population déplacée de toute la planète. Comme on l’observe ailleurs dans le monde en contexte de migrations de conflit, l’écrasante majorité de ces individus — près de 5,3 millions [3] — s’est installée dans les quatre pays limitrophes, modifiant ainsi la « configuration démographique » (Jaber, 2016) de ces États. Cet exode concerne également d’autres régions du globe, mais dans des proportions bien plus modestes. En effet, si la majorité des exilés installés loin du Moyen-Orient ont pris la direction de l’Europe, en décembre 2017, seul 1 million de réfugiés statutaires et demandeurs d’asile syriens étaient comptabilisés dans les vingt-huit pays de l’Union européenne. De l’autre côté de l’Atlantique, le Canada et les États-Unis représentaient les deux principaux pays d’accueil sur le continent américain, avec respectivement 54 000 et 33 000 individus recensés par les autorités locales (Connor, 2018). Face à l’ampleur de ces chiffres, cet article propose d’éclairer les facteurs (sécuritaires, politiques et sociaux) susceptibles d’influencer les rythmes, l’intensité et les spatialités des flux vers les différents espaces d’installation d’exilés syriens à travers le globe. Autrement dit, l’approche, descriptive, vise à retracer de manière distanciée la structuration et le processus de diffusion d’un tel déplacement de population, depuis son éclosion au printemps 2011, jusqu’à sa relative stabilisation à partir de l’été 2016. Il s’agira également de proposer en parallèle une analyse critique de la production et de l’utilisation des données statistiques produites par les autorités nationales et les institutions internationales.
3En proposant une lecture macro-politique de l’exode syrien, cette contribution s’appuie sur un ensemble de rapports et d’articles de presse permettant de replacer ce phénomène dans le contexte évolutif des combats en Syrie et des mesures politiques adoptées par les pays d’accueil et de transit afin d’encadrer les mobilités des réfugiés. Cette littérature grise, essentiellement produite par les acteurs de l’aide humanitaire, a constitué le point de départ d’une thèse de doctorat en géographie, privilégiant une lecture profondément qualitative des flux au départ de Syrie (Lagarde, 2018). Je mobiliserai donc (brièvement) quelques-uns des témoignages collectés dans le cadre de cette étude, afin d’enrichir mon propos. Entre 2013 et 2016, cette recherche doctorale m’a amené à conduire soixante-et-onze entretiens semi-directifs auprès d’exilés syriens. Si l’essentiel de cette enquête s’est déroulé en Jordanie — expliquant l’angle privilégié porté sur ce pays tout au long de cet article — j’ai également mené plusieurs entretiens en Allemagne, en France et dans une moindre mesure au Caire et à Oran. Le choix de ces différents terrains s’explique par ma volonté d’interroger l’influence des réseaux personnels des réfugiés sur leur prise de décision migratoire, le choix de leur lieu d’installation, mais aussi sur la topographie de leurs parcours migratoires, leurs moyens d’accès à la mobilité et aux ressources afférentes — transport, argent, informations, logement. Ainsi, en suivant les « pistes relationnelles » (Semin, 2009) de mes enquêtés, j’ai été amené à me rendre dans plusieurs localités de l’espace euro-méditerranéen, ayant joué un rôle central dans leurs circulations et celles de leurs proches.
4En faisant dialoguer une approche globale et surplombante proposant une lecture par les flux, avec un matériau ethnographique privilégiant le point de vue des acteurs, cette contribution entend rappeler en filigrane qu’en dépit de la vision véhiculée par certains acteurs institutionnels, les réfugiés ne sont pas distribués au hasard dans l’espace. Au contraire, au même titre que pour les migrants dits économiques (Massey et al., 1987 ; Ma Mung et al., 1998 ; Faret, 2003), même dans un contexte de migration de refuge, lors duquel les candidats à l’exil sont contraints d’élaborer leur projet migratoire dans l’urgence, il apparaît essentiel de s’intéresser aux spatialités des réseaux sociaux des exilés, afin de saisir non seulement les effets de ces structures relationnelles sur les logiques de polarisation des flux — en particulier à l’échelle transfrontalière — ainsi que leur articulation à des phénomènes migratoires antérieurs au conflit (Gehrig et Monsutti, 2003 ; Lagarde et Doraï, 2017).
Questionner les chiffres de l’exode syrien
5Dans un souci d’harmonisation des données, les chiffres mentionnés dans cet article proviennent essentiellement de rapports mis en ligne par le HCR ; en particulier celui intitulé Global Trends Forced Displacement in 2016 [4]. Ce document fait état de statistiques relativement exhaustives sur la répartition, pays par pays, des exilés syriens en juin 2016. En dépit des limites méthodologiques et des enjeux économiques et politiques qui existent autour des statistiques migratoires (Lessault et Beauchemin, 2009) — en particulier lorsqu’elles portent sur des réfugiés (Crisp, 1999) — les universitaires traitant de l’exode syrien sont régulièrement amenés à mobiliser les chiffres produits par le HCR et ses partenaires. En s’appuyant sur ces données, cet article ne fait pas exception à la règle. Il apparaît donc opportun de s’interroger sur leurs modes de production et les intentions qui animent les organismes qui les produisent.
Le HCR et la production de statistiques sur les réfugiés
6Chaque année depuis 1994, le bureau du HCR en charge du traitement de l’information statistique publie le UNHCR Statistical Yearbook, dans lequel il fait état du nombre de déplacés internes, demandeurs d’asile, réfugiés et apatrides recensés à travers le monde. Depuis 2006, un rapport annuel intitulé UNHCR Global Trends, permet d’accéder à des chiffres détaillés sur ces populations, ainsi qu’à une base de données numérique téléchargeable via un lien hypertexte. Ces statistiques sont essentiellement issues d’enregistrements de population, conduits dans les différents pays d’intervention de l’agence. Cette dernière est donc souvent amenée à adopter de nouvelles mesures pour améliorer ses procédures d’enregistrement et de recensement des réfugiés. Depuis le début de l’exode syrien, les efforts qu’elle déploie en ce sens sont particulièrement visibles en Jordanie. En effet, dès 2012, le gouvernement jordanien et le HCR ont ouvert des bureaux d’enregistrement à proximité de la frontière et dans les principales villes d’installation des exilés. En 2015, une vaste opération de vérification de l’identité des Syriens bénéficiant des services du HCR a ensuite été lancée. Cette campagne de réenregistrement a constitué le prétexte à l’introduction d’une technologie aux accents orwelliens, permettant l’enregistrement biométrique par empreinte de l’iris de l’ensemble des bénéficiaires.
7Les données collectées lors de ces exercices de comptages et d’identification des caractéristiques sociodémographiques des réfugiés sont à l’origine d’une abondante littérature grise, produite par l’agence onusienne et ses partenaires. Une partie de cette production est ensuite mise en ligne sur le site data.unhcr.org. Présenté comme un portail destiné à centraliser des informations permettant d’améliorer la coordination et les opérations de terrain des acteurs humanitaires, cet outil offre la possibilité à tout un chacun de télécharger des cartes et des bases de données relatives à l’exode syrien. Cette documentation permet ainsi d’accéder à d’innombrables chiffres portant sur l’évolution des flux, leur répartition spatiale, ou encore l’âge, le sexe et l’origine géographique des réfugiés installés au Moyen-Orient. Toutefois, au regard du caractère profondément approximatif que constitue l’exercice de comptage d’une population en mouvement, il semble légitime de s’interroger sur l’intérêt et la pertinence de publier une pléthore de chiffres basés sur des données aussi fragiles.
Un comptage hasardeux qui peut rapporter gros
8En cherchant à obtenir une vision aussi précise du nombre de réfugiés présents sur un territoire, les objectifs du HCR et de ses partenaires sont multiples. En premier lieu, l’enjeu est de réussir à évaluer la taille de la population-cible afin d’entreprendre des actions adaptées à la situation. Ces chiffres servent ensuite à déterminer l’ampleur du personnel nécessaire pour délivrer l’aide d’urgence aux réfugiés, préparer des budgets pour financer les opérations de terrain, ou encore entreprendre des levées de fonds. Il va sans dire que les intérêts financiers sous-jacents à de telles actions humanitaires sont considérables. Il apparaît dès lors essentiel de visibiliser l’ampleur de ces déplacements et des opérations menées en parallèle. Ce besoin de visibilité constitue d’ailleurs l’un des facteurs permettant « d’expliquer la poursuite de la politique d’encampement des réfugiés en dépit de la majorité des recherches suggérant que les réfugiés et leurs hôtes seraient mieux servis par un mode d’intervention plus souple, favorisant l’intégration au sein des communautés locales » (Bakewell, 1999 : 2). Au vu du nombre d’organisations humanitaires intervenant actuellement en Jordanie, cette stratégie de visibilisation semble connaître un indéniable succès (Tobin et Otis-Campbell, 2016).
9Toutefois, en dépit de l’apparente transparence qui a d’abord semblé régner autour du nombre de réfugiés présents sur le territoire jordanien, d’importantes divergences sont progressivement apparues entre les chiffres publiés par le HCR et ceux revendiqués par le gouvernement local. En novembre 2015, les autorités ont organisé un recensement faisant état de la présence de 1 265 514 ressortissants syriens dans le pays (De Bel-Air, 2016), contre un peu plus de 630 000 enregistrés par le HCR à la même époque. Certes, tous les Syriens de Jordanie ne sont pas immatriculés auprès de l’agence onusienne. Néanmoins, les individus ayant quitté le pays via des filières migratoires irrégulières restent souvent comptabilisés dans ces registres pendant plusieurs mois. Les chiffres avancés par les autorités locales semblent par conséquent largement surestimés.
10Au cours des années 2000, l’exil irakien avait déjà donné lieu à des batailles de chiffres. Plusieurs auteurs s’accordaient sur le fait que le nombre de réfugiés présents en Jordanie (Chatelard, 2010 et 2011 ; Stevens, 2013) et en Syrie (Doraï, 2009) avait été largement amplifié par les pouvoirs publics. En surévaluant la population irakienne installée sur leur sol, l’objectif de ces gouvernements était d’attirer l’attention des bailleurs de fonds. Aux côtés des remises des migrants, l’aide internationale aurait ainsi « contribué au développement de pans entiers de l’économie jordanienne en fournissant un capital de démarrage aux entreprises jordaniennes et à de grands projets financés par l’État » (Chatelard, 2010 : 2). Depuis 2007, le gouvernement a par exemple réussi à rénover des écoles publiques préexistantes à l’arrivée des Irakiens grâce à des fonds de l’agence des États-Unis pour le développement international (USAID). Les autorités locales ont affirmé que ces dons seraient destinés à rénover des établissements accueillant majoritairement des exilés, ce qui fut loin d’être systématiquement le cas (Seeley, 2010). Au vu des chiffres avancés actuellement, il semblerait que les autorités du royaume cherchent à réitérer cette stratégie à partir du cas syrien ; une démarche qui apparaît finalement assez légitime au regard des mécanismes activés par les gouvernements occidentaux afin de négocier « avec des pays du Proche-Orient (moyennant quelques aides financières et la collaboration du HCR) pour que ceux-ci […] reconnaissent [les exilés comme] “réfugiés”, là-bas, et les accueillent temporairement » (Agier, 2011 : 54).
11Avec l’influence croissante que prennent actuellement les sociétés privées dans le secteur de l’aide humanitaire, les polémiques autour du comptage des réfugiés ne sont pas près de s’estomper. Néanmoins, à défaut de pouvoir accéder et confronter entre elles des données provenant de différents organismes, la suite de cet article s’appuiera largement sur des chiffres émanant du HCR. En dépit de leurs limites, leur exhaustivité permettra de dresser les contours du monde de l’exil syrien, ainsi que l’évolution du processus de dispersion qui affecte la société syrienne depuis 2011. Dans un souci de révéler la logique chronologique de ce phénomène, il convient de commencer par s’intéresser aux flux entre la Syrie et ses voisins.
Dynamiques spatio-temporelles des flux de réfugiés syriens au Moyen-Orient
12Depuis le début des années 1990, les études consacrées aux réfugiés n’ont cessé de se multiplier dans le champ des sciences sociales (Black, 2001). L’un des apports de la géographie a été d’identifier les espaces émetteurs et récepteurs de réfugiés, les causes de leur départ, ainsi que les conditions et les conséquences de leur installation dans les pays de premier accueil au « sud », et de réinstallation au « nord » (Black, 1991 ; Black et Robinson, 1993). La suite de l’article s’inscrit dans la continuité de ces travaux, notamment en ce qu’il vise à dresser un état des lieux des rythmes de la dispersion de la population syrienne entre les différents pays du Moyen-Orient, avant d’interroger plus spécifiquement les modalités de gestion de la frontière et des arrivées de réfugiés en Jordanie et dans une moindre mesure au Liban.
2011-2012 : premiers départs vers les pays limitrophes
13Le 15 mars 2011, dans la continuité des soulèvements populaires nord-africain et yéménite initiés en décembre 2010 en Tunisie, une poignée d’habitants de Deraa s’engage sur le chemin de la révolte. Trois jours après cette première mobilisation, un nouveau cortège se forme dans cette ville frontalière de la Jordanie. Quelques heures plus tard, l’envoi d’une unité d’élite ayant pour consigne de mater les frondeurs fait les deux premiers martyrs de la révolte syrienne : Hossam Ayash et Mahmoud Jawabreh [5]. Dès les premiers jours d’avril, la mobilisation se propage aux autres localités périphériques du pays, maintenues à l’écart du relatif développement des centres-villes de Damas et Alep. À mesure que croît le mouvement de protestation, la réponse du régime reste la même qu’à Deraa : l’usage des balles en réponse aux actions pacifiques des manifestants.
14La fin avril marque le temps des premiers mouvements de réfugiés aux frontières de la Syrie. Comme l’illustre la carte 1, ces flux de plusieurs milliers d’individus en provenance des localités d’Idlib, Jisr al-Shoughour, Ma’arrat al-Numan et des campagnes environnantes se dirigent vers la province turque du Hatay, où les personnes fuyant les violences sont maintenues dans des camps du Croissant-Rouge turc. Durant les mois suivants, ces mouvements se sont révélés très versatiles, les réfugiés étant nombreux à multiplier les allers-retours entre les deux pays en fonction de l’évolution de la répression [6]. La carte 2 se propose quant à elle d’éclairer la direction des principaux mouvements de populations observés d’avril à août 2011 entre la Syrie et le Liban. Ces déplacements concernent là aussi quelques milliers d’individus, principalement originaires des quartiers de Homs et des villages de Tal Kalah, Rastan et Talbsieh, visés par les exactions du régime. Contrairement à ce que l’on observe en Turquie, ces personnes trouvent majoritairement refuge chez des proches déjà présents dans le district du Akkar [7]. Des flux de retour en direction de la Syrie, certes moins nombreux que les départs, sont ici aussi rapidement amorcés. En ce qui concerne la Jordanie, les informations relatives aux premiers flux observés entre le gouvernorat de Deraa et les localités du Nord du royaume sont peu nombreuses. Plus encore qu’au Liban, l’ancienneté des relations (familiales et tribales) liant les populations de la région transfrontalière du Hauran a largement facilité l’installation des réfugiés chez leurs proches vivant au sud de la frontière, invisibilisant ainsi l’augmentation croissante de la présence syrienne dans le nord du pays.
Carte 1 : Des flux qui évoluent au gré de la répression, entre départs vers la Turquie et retours en Syrie
Carte 1 : Des flux qui évoluent au gré de la répression, entre départs vers la Turquie et retours en Syrie
Dès la fin du mois d’avril 2011, les premiers mouvements de réfugiés sont enregistrés entre le gouvernorat d’Idlib et la province turque de Hatay.Carte 2 : Des flux qui évoluent au gré de la répression, entre départs vers le Liban et retours en Syrie
Carte 2 : Des flux qui évoluent au gré de la répression, entre départs vers le Liban et retours en Syrie
Dès la mi-mai 2011, on assiste aux premiers mouvements de réfugiés entre le gouvernorat de Homs, en Syrie, et le gouvernorat du Nord, au Liban, où les réfugiés sont accueillis au sein des communautés locales, dans de petits villages du district du Akkar.17En juillet 2011, en créant l’Armée syrienne libre (ASL), une partie de l’opposition fait le choix des armes pour répondre aux exactions du régime. Cette situation, qui entraîne une recrudescence des combats durant l’hiver 2011-2012, tourne à l’avantage de l’opposition et incite l’armée loyaliste à multiplier les frappes contre les localités tenues par les insurgés. Tandis que les destructions se multiplient à Idlib et dans le reste du gouvernorat éponyme, alimentant les flux en direction de la Turquie, dans le sud de la Syrie, les affrontements dans et autour de Deraa entraînent toujours plus de personnes à fuir en Jordanie. Dans le centre du pays, le régime lance une campagne de bombardements d’une violence jamais atteinte jusqu’alors, dans le but de contrer la progression des rebelles à Homs. Si l’intensité des combats dans cette ville d’1 million d’habitants pousse toujours plus d’individus à se réfugier au Liban, la propagation du conflit à une partie croissante du territoire syrien engendre aussi de nombreux déplacements internes. En février, Talal [8], un Syrien âgé d’une quarantaine d’années, abandonne précipitamment son appartement du quartier de Bab Dreb, à Homs, réduit à néant par les frappes du régime quelque temps après son départ. En tant que sympathisants de l’ASL, Talal, sa femme et leurs quatre enfants sont accueillis par des opposants dans le village d’Aïn M’neen, situé à une quinzaine de kilomètres de Damas. En échange, Talal s’engage à transporter des médicaments vers les hôpitaux où sont soignés les combattants de l’opposition. Mais au mois de juillet 2012, le régime dirige ses frappes sur la localité d’al-Tal, voisine d’Aïn M’neen, incitant alors la famille à se réfugier dans un hôtel de la capitale, dans lequel elle ne séjournera que trois jours, avant d’être une nouvelle fois rattrapée par les violences.
Un exode devenu exponentiel à partir de l’été 2012
18Le mois de juillet 2012 marque un tournant décisif dans l’évolution du conflit. Les centres-villes de Damas et d’Alep deviennent à leur tour le théâtre de violents affrontements entre l’armée loyaliste et les rebelles. Cette soudaine dégradation de la situation est à l’origine d’un nombre de départs sans précédent depuis le début de l’insurrection : durant les seuls mois de juillet et août 2012, plus de 100 000 personnes quittent le pays. C’est durant cette période que Talal et les siens décident de poursuivre leur route vers la Jordanie, où l’un de ses cousins travaille comme agent immobilier depuis près de vingt ans. Après avoir quitté clandestinement le territoire syrien, afin d’éviter d’être interpellés à la frontière, les autorités jordaniennes les ont dirigés vers le camp de Zaatari, ouvert à la fin du mois de juillet dans le souci de répondre à l’afflux constant d’opposants quittant la Syrie en dehors des postes-frontière officiels. Après une nuit sur place, le cousin de Talal est venu les chercher pour les faire sortir légalement, en acceptant de devenir leur kafil [9].
19Farah, une Syrienne de dix-neuf ans a pour sa part quitté la Syrie à la fin du mois d’août, après que le régime a repris le contrôle du quartier de Jobar, à Damas, où elle résidait jusqu’alors avec ses parents et ses six frères et sœurs. Cette situation a poussé sa famille à se réfugier temporairement en Jordanie, certaine que la chute du régime interviendrait en l’espace de quelques semaines, voire de quelques mois tout au plus. Contrairement à Talal, eux n’entretenaient aucun lien avec l’opposition, ce qui leur a permis d’entrer légalement en Jordanie. Néanmoins, ils ont d’abord dû s’affranchir d’un bakchich de 100 000 SYP [10] auprès des gardes-frontières syriens en charge de délivrer les autorisations de sortie du territoire nécessaires pour quitter le pays. Une fois du côté jordanien, ils ont pu librement poursuivre leur route jusqu’à Irbid. Là-bas, la tante de Farah, qui vivait déjà dans cette ville avant le début du conflit avec son époux jordanien, les a accueillis chez elle durant un mois et demi, jusqu’à ce qu’ils trouvent un logement à louer. Au cours des mois suivants, la corruption des fonctionnaires syriens employés au poste-frontière officiel de Nassib-Jaber — régulièrement soulignée par les enquêtés rencontrés en Jordanie — va inciter un nombre croissant de candidats au départ à suivre des routes alternatives, contrôlées par l’ASL, et essentiellement empruntées jusqu’alors par les activistes recherchés par les autorités syriennes, ainsi que les personnes dépourvues de documents de voyage en règle.
20Entre août 2012 et juin 2013, l’enlisement du conflit amène près de 1,4 million de réfugiés supplémentaires à s’enregistrer auprès du HCR au Moyen-Orient. Au cours de l’été 2013, le total des exilés installés dans la région s’élève à plus de 1,6 million de personnes. La Jordanie et le Liban représentent alors les deux premiers pays d’accueil, avec plus de 490 000 réfugiés enregistrés dans chacun de ces deux États, suivis par la Turquie (406 000), l’Irak (160 000) et l’Égypte (70 000). En Jordanie, le pic des arrivées fut atteint au cours des cinq premiers mois de l’année 2013. Durant cette période, près de 370 000 personnes ont été enregistrées par le HCR dans le royaume. Les entrées s’effectuent à ce moment-là quasi exclusivement via les points de passage informels situés du côté occidental de la frontière, avec la collaboration de l’ASL. L’intensité des circulations engendrées par ces déplacements massifs amène les réfugiés à transiter par un ensemble de lieux, au sein desquels une multitude d’acteurs différents coopèrent pour leur permettre de fuir le pays. Comme entend l’illustrer la carte 3, au niveau de la frontière syro-jordanienne, ces mouvements de population ont favorisé la mise en réseau de lieux, devenant autant de points d’ancrage d’un espace réticulaire transfrontalier, existant uniquement par et pour ces circulations. À ce moment-là, l’ASL disposait d’un rôle primordial dans le fonctionnement de ce système de mobilité. En effet, les rebelles étaient chargés d’acheminer les réfugiés sur la dernière partie de leur voyage, généralement depuis les quartiers libérés de la ville de Deraa et les villages environnants. De là, leurs convois empruntaient des itinéraires fluctuant au gré de l’évolution des combats, pour aller rejoindre les zones de passages irréguliers situés à l’ouest et au sud de Deraa, en particulier près des localités de Tal Shihab, al-Taebah et Heet (Roussel, 2015).
Carte 3 : Passages irréguliers et encadrement des réfugiés à la frontière syro-jordanienne entre 2011 et juillet 2013
Carte 3 : Passages irréguliers et encadrement des réfugiés à la frontière syro-jordanienne entre 2011 et juillet 2013
Du durcissement des positions jordanienne et libanaise à la réorientation des flux vers la Turquie
22Au printemps 2013, la Jordanie décide subitement de revenir sur sa politique de « portes ouvertes », adoptée jusque-là en faveur des Syriens en quête d’un refuge. Les autorités estiment alors avoir atteint leur capacité maximale d’absorption de réfugiés et prennent la décision de limiter le nombre de nouvelles entrées. Pour cela, elles intiment l’ordre à l’ASL de stopper l’organisation des passages du côté occidental de la frontière et de créer des zones tampons permettant d’empêcher les candidats à l’exil d’accéder au territoire du royaume. Les individus désireux d’entrer en Jordanie sont dès lors contraints de s’en remettre aux services de bédouins familiers du désert et qui, en échange d’une rétribution financière, les aident à rallier les points de passage informels de Rukban et Hadalat, situés plus à l’est, en direction de l’Irak. En août 2013, les parents de Zacharia, un Syrien âgé d’une trentaine d’années, font les frais de cette nouvelle politique de fermeture des frontières. Alors qu’ils cherchent à rejoindre leur fils à Amman, où il exerce le métier de colporteur aux côtés d’autres personnes de son village ayant l’habitude de travailler dans le secteur de la vente ambulante en Jordanie depuis le milieu des années 1980 (Lagarde, 2019), les gardes-frontières du poste de Nassib-Jaber refusent catégoriquement de les laisser entrer. Les points de passages informels situés à l’ouest de la frontière syro-jordanienne étant désormais fermés, la seule option possible pour eux serait de rallier Hadalat en sollicitant les services de Bédouins. Mais au regard de la difficulté et des risques qu’implique ce voyage terrestre de plusieurs jours, effectué en partie à pied, essentiellement de nuit, à travers des zones contrôlées par le régime dans le désert de Syrie, les parents de Zacharia préfèrent rebrousser chemin et regagner leur village, situé dans la vallée du Barada, entre Damas et la frontière libanaise. Quelques jours après leur retour, la mère de Zacharia décèdera de manière tragique, dans la destruction d’une partie de leur maison, visée par un tir de mortier de l’armée du régime.
23En 2014, l’inexorable dégradation des conditions de sécurité en Syrie et en Irak incite le gouvernement jordanien à renforcer encore un peu plus la sécurisation de ses frontières orientales et septentrionales (Ababsa, 2015). À partir de juillet, au moment où l’organisation État islamique (EI) s’empare de la ville irakienne de Mossoul, les autorités limitent drastiquement les entrées via Rukban et Hadalat, sous prétexte de voir des éléments terroristes s’infiltrer parmi les candidats à l’exil. En moyenne, seules quelques dizaines d’individus sont autorisés à entrer chaque jour en Jordanie, une situation entraînant la formation de campements de déplacés, composés de tentes bricolées par les habitants des lieux à l’aide des rares biens emportés avec eux dans leur fuite [11]. Une fois sur le territoire, les nouveaux arrivants sont dirigés vers des centres de transit contrôlés par les autorités jordaniennes, gérés par le CICR, et, comme on peut le voir sur la carte 4, tous situés dans des zones désertiques difficilement accessibles, y compris aux acteurs de l’aide humanitaire. D’après un haut fonctionnaire d’ambassade interrogé à Amman en 2015, les personnes sans papiers d’identité, celles déjà entrées en Jordanie depuis le début de la crise, ou encore les hommes seuls en âge de combattre sont systématiquement refoulés vers la Syrie. Les réfugiés autorisés à séjourner dans le royaume sont pour leur part transférés vers le camp d’Azraq, ouvert en avril 2014. Une fois à l’intérieur, ils ne peuvent légalement quitter ce lieu pour s’installer ailleurs en Jordanie qu’après l’obtention d’autorisations délivrées de manière discrétionnaire et tout à fait exceptionnelle. Sur le plan comptable, le durcissement de la position jordanienne s’est traduit par un effondrement du nombre de nouvelles arrivées. Sur une période de deux ans, s’étalant de juillet 2014 à juin 2016, seuls 55 000 nouveaux réfugiés ont été enregistrés par les services du HCR en Jordanie.
Carte 4 : Lieux de transit et camps de réfugiés syriens dans le nord de la Jordanie depuis 2014
Carte 4 : Lieux de transit et camps de réfugiés syriens dans le nord de la Jordanie depuis 2014
25Au Liban, conformément à l’accord bilatéral signé avec la Syrie en 1993, aucun cadre légal ne régissait les modalités d’entrées et de séjour des ressortissants syriens durant les premières années du conflit [12]. « L’approche adoptée pendant cette période a été qualifiée de “politique du non” : “non” à la création de camps d’accueil des réfugiés, “non” à la fermeture officielle des frontières, “non” aux expulsions vers la Syrie » (Kabbanji, 2016 : 106). Cette situation a permis à de nombreux Syriens de continuer à circuler entre les deux pays, afin de travailler au Liban et de rendre visite à leurs familles restées en Syrie. Néanmoins, d’une migration de travail essentiellement masculine avant le début de la crise (Chalcraft, 2009), on observe l’installation croissante de familles dont certains des membres avaient déjà l’habitude de venir exercer leur métier au Liban (Dahdah, 2018). Afin de bénéficier de (minces) aides matérielles et financières, celles-ci doivent préalablement s’inscrire auprès des services du HCR (Drif, 2018). En se basant sur les chiffres de l’agence onusienne pour le Liban, environ 1 120 000 réfugiés résidaient dans ce pays au début de l’été 2014 ; un chiffre correspondant à près d’un quart du nombre total d’habitants. À l’instar de la Jordanie, face à l’augmentation continue du nombre d’exilés accueilli dans le pays, la question de l’accueil des Syriens va progressivement prendre une tournure de plus en plus sécuritaire au Liban. En 2014, le gouvernement adopte une série de mesures visant à restreindre les mobilités des Syriens. Dans l’optique de réguler les flux, les politiques de frontières se durcissent, les conditions d’entrée deviennent plus strictes, tandis que les exilés se voient contraints d’être en possession d’un permis de résidence de plus en plus difficile à obtenir afin de pouvoir séjourner légalement dans le pays. Un permis de travail est également exigé pour exercer un emploi, celui-ci n’étant délivré qu’à la seule condition d’être parrainé par un employeur libanais, pour travailler dans les secteurs de la conciergerie, du bâtiment ou du nettoyage. Cette situation a profondément impacté les conditions d’accès des Syriens au territoire libanais, faisant chuter par là même le nombre d’entrées, en particulier à partir du mois d’octobre 2014 (Kabbanji et Drapeau, 2017).
26Durant cette période, le nombre de départs vers la Turquie ne montre en revanche aucun signe d’affaiblissement. Alors que la Russie, l’Iran et le Hezbollah libanais assurent la survie économique et militaire du régime, tout en lui permettant de reprendre le contrôle de localités stratégiques du territoire national, plusieurs groupes islamistes — formés d’importants contingents de combattants étrangers — s’imposent comme des protagonistes majeurs du conflit. À mesure que la guerre s’internationalise, la répression s’intensifie et accentue la fragmentation du territoire syrien. Pour reconquérir les zones tenues par les différents groupes d’opposition, l’armée adopte une stratégie militaire consistant à larguer des tapis de bombes sur des localités peuplées de civils, jusqu’à ce que les groupes armés qui s’y trouvent s’en retirent (Vignal, 2016). Cette stratégie meurtrière — dirigée en particulier sur les quartiers orientaux d’Alep et d’autres localités du nord de la Syrie —, conjuguée à l’expansion de l’EI dans l’Est du pays, ainsi qu’à la fermeture concomitante des frontières du Liban et de la Jordanie, n’a eu de cesse d’alimenter l’intensité des flux en direction de la Turquie.
27La carte 5 propose de mettre en lumière l’intensité de l’exode à l’échelle des cinq principaux États d’accueil au Moyen-Orient en juin 2016. À cette date, le nombre de Syriens enregistrés dans ces pays avoisinait les 5 millions de personnes. Parmi eux, c’est la Turquie qui a observé la plus forte hausse du nombre d’entrées entre les étés 2013 et 2016. Si les chiffres ont légèrement baissé en Égypte et au Liban, ils ont en revanche littéralement explosé en Turquie, passant d’environ 400 000 personnes à l’été 2013, à plus de 2,7 millions deux ans plus tard ! Parallèlement, les nombreuses difficultés rencontrées par les exilés dans leurs pays de premier accueil n’ont eu de cesse de faire augmenter le nombre de départs de réfugiés vers des destinations perçues comme étant plus pérennes par ces derniers.
Carte 5 : En juin 2016, près de 5 millions de Syriens étaient enregistrés en Égypte, en Irak, en Jordanie, au Liban et en Turquie
Carte 5 : En juin 2016, près de 5 millions de Syriens étaient enregistrés en Égypte, en Irak, en Jordanie, au Liban et en Turquie
Vers une inexorable dispersion de la population syrienne
29Jusqu’à la fin 2013, se sont essentiellement les Syriennes et les Syriens les plus qualifiés et les mieux dotés en capital économique et social qui trouvent refuge loin du Moyen-Orient. À l’image des dynamiques observées à l’échelle transfrontalière, la présence de migrants préalablement installés ailleurs dans le monde s’avère d’une importance déterminante sur ces mouvements de plus grande distance. Comme plusieurs auteurs l’ont déjà observé au cours des décennies précédentes auprès des réfugiés palestiniens (Doraï, 2000) et irakiens (Chatelard, 2002 et 2005), à partir de 2014, des filières migratoires se mettent progressivement en place entre les pays de premier accueil et le reste du globe, en particulier l’Europe. Au regard de ce constat, la suite de l’article se propose d’élargir la focale d’observation à l’ensemble des pays du monde. Après l’étude des facteurs étant à l’origine de ces nouveaux départs, la présentation des principaux effectifs de réfugiés installés loin du Moyen-Orient permettra d’interroger la solidarité des différents espaces de réception de la planète.
La dégradation des conditions de vie des réfugiés à l’origine d’une augmentation des départs vers l’Occident
30Bien qu’il soit difficile de quantifier précisément l’ampleur des départs d’exilés ayant dans un premier temps trouvé refuge dans les pays voisins de la Syrie, à partir de 2014, les circulations extrarégionales connaissent une nette augmentation. L’inexorable enlisement du conflit dans leur pays d’origine, conjugué à un durcissement des conditions de résidence et d’accès au territoire dans les États limitrophes, créent les conditions propices à une multiplication des départs vers des destinations lointaines. Les facteurs motivant ces mouvements secondaires varient sensiblement en fonction des profils socio-économiques des individus, de leurs localités d’origine, mais aussi de leurs espaces d’installation à l’étranger. Quelques motifs reviennent toutefois de manière récurrente dans les propos des personnes interrogées, tels que la peur des contrôles policiers et la diminution rapide de leurs économies — entraînant une baisse considérable de leur pouvoir d’achat — une situation souvent vécue comme un déclassement social, face auquel les exilés tentent généralement de réagir de manière proactive.
31Pour mobiliser une nouvelle fois l’exemple jordanien, ce sentiment d’appauvrissement et de perte de confiance en l’avenir s’est largement accru au sein de la communauté syrienne du royaume au cours de l’année 2014, lorsque plusieurs centaines de milliers de personnes installées en dehors des camps se sont vues privées d’accès gratuit à un certain nombre de centres de santé publics, ainsi qu’aux coupons alimentaires qui leur étaient jusque-là accordés par le Programme alimentaire mondial (PAM) [13]. On assiste au même moment à une multiplication des contrôles envers les ressortissants syriens travaillant dans le secteur de l’économie informelle, ou ayant quitté les camps de réfugiés sans autorisation légale. Cette situation n’a donc eu de cesse de précariser leurs conditions d’emploi et de circulation, les forçant ainsi à vivre et/ou à exercer leur métier dans la clandestinité, tout en vivant avec la peur de se voir renvoyer vers les camps d’Azraq ou de Zaatari, ou pire, de se faire expulser vers la Syrie en cas d’arrestation [14]. On peut aussi ajouter à cela des facteurs d’ordre éducatif. En effet, les étudiants et les parents d’enfants scolarisés en Syrie avant leur départ mentionnent régulièrement les difficultés rencontrées pour suivre un cursus de formation de qualité dans les pays où ils ont trouvé refuge dans la région.
32C’est cette combinaison de contraintes qui a incité Mahmoud, un Syrien d’une trentaine d’années, à poursuivre sa route vers l’Europe à l’automne 2015. Après avoir un temps gagné sa vie en exerçant le métier de colporteur, l’augmentation des contrôles de police et l’arrestation de plusieurs de ses homologues l’ont conduit à accepter un emploi de gardien d’immeuble, une activité certes moins risquée, mais se révélant bien moins rémunératrice. Face à l’absence de perspectives d’un retour rapide en Syrie, et au vu de la précarité du statut juridique des réfugiés syriens de Jordanie, lui et sa femme ont pris le risque de se rendre irrégulièrement en Allemagne, un pays jugé plus propice pour reconstruire leur vie et offrant surtout de meilleures opportunités éducatives à leur fille de deux ans. Lorsque Mahmoud a évoqué à son oncle son désir de quitter Amman pour se rendre en Europe, ce dernier lui a demandé s’il pouvait lui confier son fils de dix ans, sorti irrégulièrement du camp d’Azraq et déscolarisé depuis son arrivée en Jordanie quelques mois plus tôt. Leur choix de se rendre spécifiquement en Allemagne a quant à lui été fortement influencé par les conseils que leur ont distillés leurs proches ayant entrepris ce voyage avant eux.
33Certaines personnes interrogées durant mes enquêtes, disposant d’un capital économique et social plus conséquent, ont pu rallier légalement d’autres destinations occidentales. Ainsi, Jalal, un adolescent damascène rencontré en 2013 à Amman, s’est rendu l’année suivante à Toronto, où il a obtenu l’équivalent du baccalauréat qu’il n’avait pu achever en Syrie en raison du conflit. Il y a rejoint sa mère, une cheffe d’entreprise déjà installée au Canada avec son deuxième mari, avant le début de l’insurrection. Malek, un Syrien de vingt-huit ans interviewé au Caire, a pour sa part profité des facilités d’obtention de visa accordées par les autorités brésiliennes pour partir vivre à Sao Paulo, où il a été accueilli par des amis rencontrés quelques années plus tôt à l’université de La Havane, à Cuba, un pays où il a suivi des études d’agronomie entre 2005 et 2011. Pour sa part, son choix a essentiellement été motivé par des conditions de sécurité jugées insuffisantes dans l’Égypte du général al-Sissi.
34Philippines, Bahreïn, Koweït, États-Unis, Singapour, Arabie saoudite, Finlande, Algérie, Suède, Angleterre, France, Grèce ou encore Belgique constituent quelques-unes des destinations où se sont installées des personnes rencontrées ou évoquées au cours de mes enquêtes. Comme nous allons le voir dans la suite du texte, si seule une extrême minorité de Syriens sont concernés par ce type de trajectoires extrarégionales, ces parcours dessinent néanmoins les contours d’une « planète migratoire » (Simon, 2008) au sein de laquelle la communauté syrienne tend à s’implanter durablement en de multiples localités du globe.
L’exil syrien : un phénomène mondialisé
35Bien que les États membres du Conseil de Coopération du Golfe aient adopté une série de mesures facilitant l’entrée et le séjour des ressortissants syriens sur leur territoire [15] (de Bel-Air, 2015), un flou statistique demeure autour de cette population. En effet, les données portant sur les effectifs d’étrangers selon leur nationalité étant considérées par ces gouvernements comme politiquement sensibles — et donc quasiment impossibles à obtenir — il est difficile d’évaluer leur nombre avec précision. La carte 6 cherche précisément à souligner ces approximations, tout en montrant à quel point une cartographie censée représenter un même phénomène peut aboutir à une image profondément différente, en fonction des données sur lesquelles elle se base. En mettant en miroir les chiffres mentionnés par le HCR — représentés sous la forme de cercles pleins — avec ceux avancés par les autorités des pays d’installation — symbolisés par des esquisses de cercles — on distingue clairement qu’en fonction des pays et des organismes de comptage, les stocks de population peuvent varier de plusieurs centaines de milliers de personnes, comme c’est le cas en Arabie saoudite !
Carte 6 : La présence syrienne dans les pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG), un phénomène impossible à quantifier
Carte 6 : La présence syrienne dans les pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG), un phénomène impossible à quantifier
37À l’été 2016, environ 145 000 réfugiés syriens étaient enregistrés au HCR en Afrique du Nord, l’Égypte accueillant à elle seule 80 % de ce contingent. La majorité d’entre eux est arrivée avant juillet 2013, encouragée par le faible coût de la vie et les facilités d’accès au territoire, liées au passé politique commun entre les deux pays [16]. Dans la foulée de la reprise en main du pouvoir par les forces armées égyptiennes, ce flux entrant s’est rapidement tari, avant de s’inverser. Il apparaît une nouvelle fois difficile d’estimer le nombre de Syriens présents actuellement en Égypte. Si l’on s’en tient aux données du HCR, en juin 2016, ils étaient 117 000 à y résider, tandis que le gouvernement estimait leur nombre à 300 000 ; les associations allant jusqu’à avancer le chiffre de 500 000 personnes. En Libye, le HCR considérait à la même date que 20 000 réfugiés étaient présents sur le territoire national, une population relativement importante au regard de l’instabilité sécuritaire régnant dans ce pays depuis 2011. Ce chiffre s’explique toutefois par l’importante présence de travailleurs syriens déjà installés dans les principaux bassins d’emploi libyens avant le début de l’insurrection. En Algérie et au Maroc, plusieurs milliers d’exilés sont arrivés depuis 2011. Là encore, leurs conditions d’installation ont été facilitées par la présence préalable de Syriens, implantés depuis les vagues de nationalisation initiées dans les années 1960 [17]. Au Maroc, ces entrepreneurs — à la tête d’affaires diverses dans les domaines de la restauration, de l’immobilier ou encore de l’éducation privée — privilégient fortement le recrutement de ces exilés fraîchement débarqués dans le pays (Piaton, 2016).
38Depuis la fin des années 1990, la fermeture croissante des frontières extérieures de l’Europe n’a eu de cesse de forcer les demandeurs d’asile à emprunter des itinéraires sans cesse plus périlleux afin de rallier ce continent. La carte 7, basée sur des articles de presse parus entre 2014 et 2016, retrace des voyages de Syriennes et Syriens ayant cherché à pénétrer sur le territoire de l’Union européenne en empruntant des trajectoires pour le moins « alambiquées ». Si le nombre d’individus ayant transité par la Russie, le Brésil ou encore les Comores semble rester anecdotique, celui des personnes passant par l’Afrique subsaharienne augmente pour sa part de manière conséquente. Faute de moyens financiers suffisants, certaines d’entre elles se retrouvent bloquées et « choisissent » par défaut de s’installer dans des pays envisagés à l’origine comme de simples étapes migratoires sur le chemin de l’Europe. Cette situation « d’entre-deux » incite la majorité de ces individus à demeurer invisibles aux yeux des autorités locales et des organisations humanitaires. Ainsi, bien que le HCR ne comptabilisait que 391 Syriens en Mauritanie en 2016, les acteurs locaux de l’aide aux réfugiés estimaient leur présence dans la seule ville de Nouakchott à plus de 3 000 personnes. Cinq mille kilomètres plus à l’Est, le Soudan est devenu le premier pays d’installation des Syriens en Afrique subsaharienne, avec près de 5 000 réfugiés enregistrés. Selon les autorités locales, leur nombre serait cependant dix fois plus élevé, tandis qu’une étude statistique conduite par une ONG locale fait état d’une population s’élevant à environ 100 000 personnes [18].
Carte 7 : Parcourir le monde avec l’Europe comme horizon
Carte 7 : Parcourir le monde avec l’Europe comme horizon
40Sur le continent américain, plusieurs pays d’Amérique du Sud ont mis sur pied des programmes de réinstallation, ou tout simplement assoupli leurs démarches d’obtention de visa pour faciliter l’arrivée de personnes déplacées par la guerre en Syrie. En dépit d’une politique d’accueil perçue comme étant particulièrement généreuse, seuls 4 000 Syriens environ avaient bénéficié de ces mesures en juin 2016. À cette date, le Brésil était de loin le pays ayant accueilli le plus d’exilés dans la région. La majorité d’entre eux a bénéficié d’un visa humanitaire, accordé depuis 2013 aux Syriens et aux Palestiniens de Syrie affectés par le conflit. À l’inverse des dynamiques observées dans le reste du monde, les organisations de la diaspora syro-libanaise, implantée au Brésil depuis la fin du XIXe siècle (Truzzi, 2002), n’auraient joué qu’un rôle marginal dans le processus d’accueil des réfugiés, ces derniers s’étant par conséquent tournés vers les institutions religieuses sunnites brésiliennes afin de faciliter leur installation (Baeza, 2018).
41Plus au nord, les réfugiés accueillis au Canada et aux États-Unis ont eux aussi bénéficié de programmes de réinstallation, permettant aux personnes préalablement exilées au Moyen-Orient et en Afrique du Nord de rallier légalement ces deux destinations. L’administration Obama ayant tardé à mettre en place ces procédures, leur arrivée aux États-Unis s’est faite de manière graduelle. Si seulement 1 800 personnes avaient bénéficié de ce programme à la fin du mois de septembre 2015 [19], 9 000 réfugiés syriens résidaient sur le territoire états-unien en juin 2016, contre 33 000 à la fin de l’année 2017. Au Canada, si l’on s’en tient aux données délivrées par les autorités locales, au printemps 2016, plus de 25 000 Syriens auraient bénéficié de la campagne de réinstallation initiée à partir de novembre 2015 par le gouvernement de Justin Trudeau [20]. Le nombre de bénéficiaires de ces programmes a ensuite continué d’augmenter, pour atteindre près de 54 000 individus fin 2017 (Connor, 2018).
L’Europe : entre accueil et rejet
42Au cours des dernières décennies, l’Union européenne n’a cessé de limiter les voies d’accès légales au territoire de l’espace Schengen pour les ressortissants de pays tiers. Cette politique migratoire s’est matérialisée par l’externalisation et la multiplication des contrôles aux frontières de l’Union européenne, pour bloquer les flux en amont avec la collaboration des États voisins. La multiplication des barrières migratoires prive de fait un nombre croissant de demandeurs d’asile d’accéder au territoire européen afin d’y solliciter une protection. Depuis le début du conflit, cette politique de mise à distance des étrangers a permis à l’Europe de contenir l’écrasante majorité des réfugiés dans les pays limitrophes de la Syrie, en échange d’importantes contreparties financières. Ainsi, alors qu’à la fin de l’année 2013, plus de 2 560 000 Syriens étaient enregistrés auprès du HCR en Jordanie, au Liban, en Turquie, en Irak et en Égypte, ils n’étaient même pas 85 000 à avoir sollicité l’asile dans l’Union européenne [21].
43En 2015, les flux migratoires entre le Proche-Orient et l’Europe ont néanmoins connu de profondes transformations, tant du point de vue spatial que quantitatif. Afin d’échapper aux nombreux contrôles migratoires opérés entre la Grèce et la Turquie, les « premiers » exilés syriens ayant cherché à rejoindre le territoire européen en empruntant des filières irrégulières privilégiaient l’itinéraire passant par la Méditerranée centrale, moins cher, mais aussi moins surveillé que celui traversant les Balkans. Depuis le Proche-Orient, les candidats à l’exil pour l’Europe ralliaient la Libye via l’Algérie, afin d’embarquer pour de périlleuses traversées leur permettant d’atteindre les côtes italiennes, puis de rejoindre leur destination finale, principalement la Suède et l’Allemagne. Mais depuis janvier 2015, les autorités algériennes contraignent les ressortissants syriens à obtenir un visa afin de pénétrer sur le territoire national. Cette situation a eu pour conséquence de faire une nouvelle fois bouger les routes migratoires, « redynamisant » par là même l’itinéraire balkanique, déjà emprunté auparavant par des exilés originaires d’Europe de l’Est, du Moyen-Orient ou encore d’Asie centrale.
44Selon les chiffres fournis par l’OIM [22], ce sont au total un peu plus d’1 million de demandeurs d’asile et de migrants dits économiques qui seraient entrés irrégulièrement en Europe en 2015 [23], contre à peine plus de 200 000 au cours de toute l’année précédente. Parmi eux, 850 000 auraient atteint le continent européen par la Méditerranée orientale. Avec environ 360 000 demandes d’asile déposées au cours de cette même année, les Syriens, suivis par les Afghans (178 200) et les Irakiens (121 500), constituaient les ressortissants les plus représentés parmi les 1,2 million de requérants comptabilisés dans les vingt-huit pays de l’Union européenne [24].
45Sur les 675 467 demandeurs d’asile et réfugiés statutaires syriens enregistrés dans les 28 États membres de l’Union européenne en juin 2016, l’Allemagne se plaçait de très loin en tête des principales destinations. En effet, 372 830 personnes résidaient alors sur le territoire de cet État [25], leur contingent représentant 0,45 % de la population totale du pays [26]. En tant que deuxième espace d’accueil, la Suède abritait quant à elle 102 100 exilés originaires de Syrie [27]. Depuis les années 1980, ces deux États ont adopté des mesures politiques favorables à l’accueil des Palestiniens et des Irakiens (Doraï, 2006). Ils bénéficient de fait d’une image positive aux yeux des personnes qui, au Moyen-Orient, restent en quête d’un refuge pérenne. Concernant l’Allemagne, cette réputation s’est vue renforcée en août 2015, lorsque le gouvernement Merkel a décidé de mettre un terme aux renvois des demandeurs d’asile vers leur premier pays d’entrée dans l’Union européenne, comme le prévoit le règlement de Dublin [28]. L’accueil chaleureux réservé aux nouveaux arrivants par la population allemande a lui aussi contribué à renforcer l’image positive dont bénéficie ce pays aux yeux des exilés. Enfin, l’augmentation croissante du nombre de ressortissants syriens présents en Allemagne a indéniablement joué sur le choix des candidats au départ pour l’Europe de rallier cette destination, afin d’y rejoindre leurs proches récemment installés, à l’instar de Mahmoud et de ses proches, évoqués plus haut dans le texte.
46Toujours à la mi-2016, la troisième destination européenne était la Grèce, avec une population syrienne s’élevant au total à 41 366 personnes. Cela s’explique notamment par la position de pivot qu’occupe ce pays dans les circulations migratoires connectant le Moyen-Orient à l’Europe occidentale. Autrement dit, aux côtés des personnes ayant effectivement décidé de s’installer en Grèce, une partie importante des exilés se sont contentés d’y déposer une demande d’asile, avant de poursuivre leur périple vers l’ouest du continent, faussant ainsi l’image statistique fournie dans les rapports du HCR. En témoigne d’ailleurs l’évolution du nombre de réfugiés syriens présents sur le territoire de cet État un an plus tard. En effet, en juin 2017, le HCR faisait état d’une population totale ne s’élevant plus qu’à 22 417 personnes ; ce rapport laissant supposer que l’agence onusienne s’est ici basée sur des comptages de flux, plutôt que sur des stocks de population. Parmi les autres destinations européennes figure l’Autriche, avec 37 438 exilés syriens comptabilisés en juin 2016, suivie des Pays-Bas, avec un effectif s’élevant à 29 199 personnes. À cette date, la France arrivait pour sa part en neuvième position, avec 10 173 réfugiés et demandeurs d’asile syriens présents dans l’Hexagone, soit 0,01 % de la population totale du pays. À en croire les chiffres délivrés pour le mois de juin 2017, seuls 1 141 Syriens supplémentaires auraient été accueillis en France au cours de l’année suivante.
Conclusion
47En 2011, la Syrie comptait près de 21 millions d’habitants. Sept ans après le début de l’insurrection, plus de 13 millions d’individus ont été contraints de quitter leur lieu de vie habituel pour s’installer ailleurs dans le pays ou hors des frontières nationales. Si les premiers mouvements internationaux ont été observés au mois d’avril 2011 vers la Turquie, c’est seulement lors de l’hiver 2012, lorsque les combats ont gagné en intensité, que l’exode a commencé à changer d’ampleur, connaissant à partir de là une croissance exponentielle, qui n’a véritablement faibli qu’en Jordanie et au Liban à partir de 2014, suite à l’introduction de politiques migratoires profondément coercitives.
48Cette dispersion, s’inscrivant d’abord dans un cadre régional, a été fortement influencée par l’importance des circulations transfrontalières préalables au conflit. En effet, les réfugiés se sont massivement rendus dans les pays limitrophes, au sein desquels ils ont pu bénéficier du soutien de leurs proches déjà installés, ou au minimum, familiers de ces espaces, pour y avoir travaillé auparavant. D’abord perçu comme temporaire, cet exil s’est progressivement inscrit dans la durée, en raison de l’inexorable dégradation des conditions de sécurité en Syrie, privant ainsi les personnes déplacées par les violences de regagner leurs localités d’origine. Dès 2014, les difficultés rencontrées par les Syriennes et les Syriens installés dans les pays de premier accueil — émanant principalement des politiques nationales visant à précariser les exilés — ont incité un nombre croissant d’entre eux à reprendre la route, afin d’accéder à des conditions de vie plus pérennes ailleurs dans le monde, en particulier en Allemagne. Ces mouvements secondaires, qui pour l’essentiel sont venus se greffer à des filières migratoires irrégulières préexistantes à la crise, se sont essentiellement structurés autour des grandes agglomérations de la région, telles qu’Amman, Beyrouth ou encore Istanbul. En effet, rejoindre l’Europe a un coût, ce qui nécessite de pouvoir mobiliser des ressources économiques et un capital social conséquents, concentrés pour l’essentiel dans les principaux espaces urbains du Moyen-Orient.
49Dresser les contours du monde de l’exil syrien demeure un travail périlleux, tant règne le flou statistique autour du nombre de réfugiés installés à l’étranger. Ces difficultés d’estimations émanent en premier lieu du caractère intrinsèquement hasardeux de l’exercice de comptage d’une population ayant été en mouvement quasi continu entre 2011 et 2016. La relative stabilisation des circulations depuis deux ans pourrait toutefois permettre à court terme de délivrer une image statistique et géographique plus précise que celle disponible à l’heure actuelle. Il n’en reste pas moins que la position de quasi-monopole dont jouit le HCR en termes de recensements de populations déplacées, conjuguée aux enjeux politiques et financiers sous-jacents à ce type de pratiques — et qui amènent la plupart des États d’accueil à grossir la réalité des effectifs d’exilés présents sur leur territoire — demeureront encore des limites importantes à prendre en compte par les universitaires désireux d’étudier ces dynamiques migratoires. Cette dernière question mériterait d’ailleurs de faire l’objet de recherches plus approfondies dans les années à venir. À ce titre, il est également important de souligner les difficultés (pour ne pas dire l’incapacité) rencontrées par les institutions à mesurer précisément les mobilités engendrées par des violences politiques et les crises économiques qui en découlent. En effet, ces situations, au caractère particulièrement labile, forcent généralement les personnes en quête d’un refuge à déployer des « tactiques » de circulation sans cesse réadaptées, en fonction des contextes mouvants et des contraintes structurelles au sein desquels elles sont amenées à naviguer en période de crise. Ainsi, si certains migrants font le choix de circuler de part et d’autre d’une frontière, d’autres sont contraints de s’installer plus durablement à l’étranger, sans toutefois faire systématiquement la démarche de s’enregistrer auprès des acteurs humanitaires ou étatiques, brouillant ainsi un peu plus l’image statistique de ces déplacements de population. Le contexte proche-oriental fait en ce sens figure d’exemple heuristique.
50En se basant sur les chiffres mis en ligne par l’agence onusienne sur le volume et la répartition de la population syrienne en exil, cet article, ainsi qu’une partie des images cartographiques qui l’illustre, pourrait être taxé de délivrer une vision tronquée de la réalité de ce phénomène. Néanmoins, ses dynamiques spatiales apparaissent ici clairement perceptibles. À la lecture de la carte 8, les inégalités de l’accueil des exilés syriens à travers le globe se révèlent criantes. En dépit des discours régulièrement véhiculés par les sphères politiques et médiatiques européennes, le poids de la dispersion de la société syrienne repose quasi exclusivement sur les pays du Moyen-Orient. Autrement dit, à l’image des dynamiques internes au champ migratoire syrien préalable au conflit, l’exode actuel se caractérise par une forte prépondérance des mouvements transfrontaliers, couplés à des trajectoires de plus longue distance, concernant toutes les régions du globe, mais de façon tout à fait marginale. Plus que dans ses contours géographiques, depuis 2011, les véritables transformations de ce champ migratoire se sont opérées dans l’ampleur numérique des effectifs concernés, comme dans le caractère beaucoup plus durable de cette migration. La tournure actuelle des évènements politiques en Syrie, qui semble se diriger vers le maintien du clan al-Assad au pouvoir, a peu de chance de se traduire à court terme par un nombre de retours significatifs. Au contraire, cette situation pourrait plutôt stimuler les échanges transnationaux entre les différents pôles d’installation des exilés syriens à travers le globe, et renforcer ainsi le processus de « diasporisation de la société » syrienne, déjà initié avant même le début du conflit [29], et qui n’a eu de cesse de s’intensifier depuis le début de l’exode.
Carte 8 : Le monde des exilés syriens. En juin 2016, plus de 5,5 millions de Syriens se trouvaient en exil à travers le globe dont 4,6 millions dans l’un des quatre pays limitrophes de la Syrie (Irak, Jordanie, Liban, Turquie)
Carte 8 : Le monde des exilés syriens. En juin 2016, plus de 5,5 millions de Syriens se trouvaient en exil à travers le globe dont 4,6 millions dans l’un des quatre pays limitrophes de la Syrie (Irak, Jordanie, Liban, Turquie)
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Notes
-
[1]
Le terme « réfugié » est employé dans ce texte de façon générique, afin de désigner les individus fuyant des troubles de différentes natures résultant d’un conflit armé. Les termes de « demandeur d’asile », de « réfugié statutaire » ou simplement de « réfugié enregistré » (auprès du HCR) font pour leur part référence aux catégories juridiques entre lesquelles les migrants sont souvent amenés à « naviguer » durant leurs parcours migratoires.
-
[2]
Ce chiffre ne prend pas en compte les 5,4 millions de réfugiés palestiniens et leurs descendants placés sous le mandat de l’UNRWA.
-
[3]
Ce chiffre, à l’instar de ceux mentionnés dans la suite de l’article pour les pays du Moyen-Orient, fait uniquement référence au nombre de ressortissants syriens enregistrés auprès du HCR. Les personnes qui ont fait le choix de ne pas s’enregistrer auprès de l’agence onusienne, ou qui se limitent à circuler entre la Syrie et les pays limitrophes ne sont donc pas comptabilisées.
- [4]
-
[5]
Pour un récit complet de cet épisode de l’insurrection, voir Barthe Benjamin (2013) Les enfants de Deraa, l’étincelle de l’insurrection syrienne, Le Monde, 08/03/2013.
-
[6]
Conseil de l’Europe (2011) Syrian refugees on the Turkish border. Report on the visit to Ankara, [online]. URL : http://www.assembly.coe.int/CommitteeDocs/2011/amahlarg042011.pdf
-
[7]
International Medical Corps (2011) Psychological Assessment of Displaced Syrians at the Lebanese-Syrian Northern Border, [online]. URL : https://data2.unhcr.org/fr/documents/download/36453
-
[8]
À leur demande, les prénoms mentionnés dans ce texte ont été modifiés pour préserver l’anonymat des enquêtés.
-
[9]
Garant auprès des autorités.
-
[10]
Environ 1 200 euros
-
[11]
Les autorités syriennes et jordaniennes empêchant les organisations humanitaires de pénétrer dans les campements de Rukban et Hadalat, l’accès à la nourriture, à l’eau potable et aux soins y est extrêmement limité. Depuis leur création, ces lieux n’ont cessé de croître, adoptant les traits d’un immense bidonville où survit une population maintenue dans d’effroyables conditions sanitaires.
-
[12]
Sont exclus de cet accord les Palestiniens de Syrie, soumis à un cadre législatif discriminatoire mis en place au Liban dans les années 1990.
-
[13]
D’une valeur de vingt-quatre euros par personne, ces coupons permettaient aux personnes enregistrées au HCR et résidant légalement en Jordanie d’acheter des produits alimentaires de base dans un ensemble d’épiceries et de supermarchés du pays. Notons que plusieurs réfugiés privés de coupons en 2014 se sont vus réattribuer ce service sous forme d’une carte de paiement en 2015.
-
[14]
Selon le Norwegian Refugee Council, en 2014, 8 500 réfugiés syriens auraient été dirigés contre leur gré vers le camp d’Azraq. Un rapport de Human Rights Watch aborde la question plus spécifique des expulsions vers la Syrie. Cf. HRW (2017) I have no idea why they sent us back. Jordanian deportations and expulsions of Syrian Refugees, [online]. URL : https://www.hrw.org/report/2017/10/02/i-have-no-idea-why-they-sent-us-back/jordanian-deportations-and-expulsions-syrian
-
[15]
Ces mesures sont destinées en priorité aux membres des familles de travailleurs syriens présents dans le Golfe avant le début de l’insurrection.
-
[16]
De 1958 à 1961, la Syrie et l’Égypte étaient regroupées au cœur d’une même entité politique : la République arabe unie.
-
[17]
Au moment de son arrivée au pouvoir en Syrie, le parti Baath engagea le pays dans une phase de nationalisation des entreprises commerciales et industrielles, à commencer par les banques privées.
-
[18]
Salih Zeinab Mohammed (2016) Shared language and religion in Sudan, IRIN, 31/05/2016, [online]. URL : https://www.irinnews.org/feature/2016/05/31/shared-language-and-religion-sudan
-
[19]
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-
[20]
Government of Canada (2017) Welcome Refugees: Key Figures, [online]. URL : http://www.cic.gc.ca/english/refugees/welcome/milestones.asp
-
[21]
Une partie importante de ces personnes résidait déjà légalement en Europe, munie de visas de travail ou d’étudiants. C’est le cas de plusieurs enquêtés vivant en France. Venus à l’origine pour suivre un cursus universitaire, la dégradation de la situation dans leur pays d’origine les a amenés à solliciter l’asile, afin de pérenniser les conditions de leur présence dans l’Union européenne.
-
[22]
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-
[23]
Seulement 3 % de ces arrivées ont été effectuées aux frontières terrestres de l’Europe.
-
[24]
Eurostat (2016) Record number of over 1.2 million first time asylum seekers registered in 2015, [online]. URL : https://ec.europa.eu/eurostat/web/products-press-releases/-/3-04032016-AP
-
[25]
En juin 2016, l’Allemagne accueillait au total 1 052 127 réfugiés statutaires et demandeurs d’asile sur son territoire. Après les Syriens, les nationalités les plus représentées étaient les Afghans (131 967 personnes) et les Irakiens (129 645).
-
[26]
L’année suivante, le HCR faisait état de la présence de 540 085 Syriens en Allemagne. Notons que cet État est le seul pays européen à avoir vu le nombre d’exilés syriens réellement augmenter depuis juin 2016.
-
[27]
Actuellement, ce chiffre s’élève à près de 150 000.
-
[28]
En vertu de ce règlement, l’État responsable de l’examen des demandes d’asile est le premier pays de l’Union européenne par lequel est entré le requérant, et vers lequel il doit être expulsé s’il est interpellé en l’absence de documents en règle ou cherche à déposer une demande dans un autre pays européen.
-
[29]
Sur la question du champ migratoire syrien antérieur au conflit de 2011, voir par exemple Bourgey (1985), Roussel (2003) et Lagarde (2018).