Couverture de REMI_351

Article de revue

Financiarisation du social et formes d’appartenance. Les émigrants portugais en France et la crise de 2008

Pages 171 à 190

Notes

  • [1]
    L’auteur remercie les lecteurs anonymes qui lui ont permis d’améliorer une version préalable de ce texte.
  • [2]
    L’étude de l’émigration portugaise vers le reste du monde a suscité de nombreux travaux au Portugal et dans les pays concernés par celle-ci. Pour une bibliographie presque exhaustive sur la production depuis 1980, on se reportera à Candeias, Góis, Marques et Peixoto (2014).
  • [3]
    La Troïka est le nom donné à l’ensemble formé par la Commission européenne, la Banque centrale européenne et le Fonds monétaire international.
  • [4]
    Parmi ces recherches, on peut notamment citer, entre autres, Rocha-Trindade (1973), Brettell (1982), Oriol (1985), Cordeiro (1989) Hily et Oriol (1993), Leandro (1995), Volovitch-Tavares (1995), Charbit, Hily et Poinard (1997), Callier-Boisvert (1999) et Almeida (2008).
  • [5]
    Voir, notamment, Santos (2010, 2013), Silva (2011), Branco (2013), Santo (2013), Pereira (2012), Lopes (2014), Lopes et al. (2015).
  • [6]
    La différenciation accrue de l’émigration portugaise vers la France rend difficile sa description à partir de catégories stabilisées. Un terme comme « migrant de retour » ne rend par exemple pas compte de la diversité des situations de ceux qui, à un moment ou un autre, sont revenus vivre au Portugal. À la diversité des motifs avancés et de leur combinaison fréquente s’ajoutent, d’une part, les contextes socio-économiques différents selon les années de retour et, d’autre part, le fait que certains retours, initialement pensés comme définitifs, ont donné lieu à un nouveau départ en migration. Sur la question des retours plus généralement, voir, entre autres, Poinard (1983), Amaro (1985), Dos Santos et Wolf (2010). Dans le même ordre d’idées, Irène dos Santos a également souligné l’insuffisance heuristique de catégorisations comme « deuxième génération », « troisième génération » ou « issues de l’immigration portugaise » pour décrire la diversité des situations parmi les enfants de Portugais ayant un jour migré en France. Certains d’entre eux sont partis en France en même temps que leurs parents ; d’autres, élevés par leurs grands-parents, les y ont rejoints par la suite ; d’autres, encore, ont fait plusieurs aller-retour entre les deux pays au gré de la situation du couple parental (Domingues dos Santos, 2010).
  • [7]
    Les villages du nord du Portugal n’ont bien sûr rien d’une réalité homogène, certains ayant perdu la quasi-totalité de leurs habitants quand d’autres conservent leur dynamisme ou bénéficient des politiques de développement du tourisme rural. Voir, à ce sujet, Callier-Boisvert (1999).
  • [8]
    Dans une étude historique qui a fait date, Caroline Brettell avait du reste déjà clairement établi l’importance des stratégies individuelles et des effets sur les villages du Portugal qu’avait produite, dès le XVIIIe siècle, l’émigration vers le Brésil (Brettell, 1986).
  • [9]
    Les diplômés de l’enseignement supérieur ne représentent néanmoins qu’à peine plus de 10% des Portugais ayant émigré avec la crise, contrairement à l’idée largement répandue au Portugal d’une « fuite des cerveaux ». L’écho suscité par ce thème doit largement aux médias qui s’appuient pour le relayer sur les résultats de recherches sur l’« émigration qualifiée », beaucoup mieux financées que celles sur d’autres formes d’émigration sans pour autant toujours répondre à des critères de scientificité indiscutables. On peut lire à ce propos Gomes (2015), Lopes (2014) et le compte-rendu critique que Pereira donne de ce dernier ouvrage (Pereira, 2015).
  • [10]
    Dans une enquête par entretiens auprès de Portugais âgés de vingt-cinq à cinquante-cinq ans résidant à l’étranger, Correia a également montré que la grande majorité d’entre eux — vingt-sept sur trente-deux très exactement — ne pensaient revenir vivre au Portugal, en raison principalement du meilleur niveau de vie qu’ils avaient atteint en émigrant (Martins, 2015).
  • [11]
    Si le gouvernement d’António Costa a annoncé, fin août 2018, des mesures fiscales favorables pour inciter au retour les migrants qualifiés ayant émigré au cours de la période 2010-2015, il est encore trop tôt pour en savoir les effets sur ce flux migratoire.
  • [12]
    Sur cette question, voir notamment Poinard (1983), ainsi que Domingues dos Santos et Wolf (2010).
  • [13]
    On lira notamment sur ce point une enquête sociologique récente sur les jeunes nés autour de 2000 (Ferreira, Costa Lobo, Rowland et Rodrigues Sanches, 2017). Ce travail, résultat d’une enquête par questionnaires, montre minutieusement les effets de la crise économique et le contraste entre les représentations et les pratiques de ces jeunes avec celles des générations ayant grandi après la Révolution des Œillets.
  • [14]
    Santo a également montré que, sans changer la condition d’immigré des Portugais, l’attribution de la citoyenneté européenne était venue renforcer leur place au sein des hiérarchies différenciant les populations immigrées en France (Santo, 2013).
  • [15]
    Dans son étude sur un hameau de Trás-os-Montes, O’Neill a relevé ce moment où, avec l’émigration, l’argent a remplacé la terre comme indicateur du statut socio-économique (O’Neill, 1989 : 63).
  • [16]
    Entretien avec José Pereira, quatre-vingt-trois ans, ancien gérant d’agence bancaire à Macedo de Cavaleiros, 8 août 2015.
  • [17]
    Ibid.
  • [18]
    En août 2018, après une importante mobilisation et l’arrivée d’un gouvernement de gauche, des négociations s’étaient néanmoins engagées entre les différentes parties, et les émigrants trompés par la Banque Espírito Santo pouvaient désormais espérer récupérer au moins une partie de l’épargne placée.
  • [19]
    L’analyse économique donne une vision beaucoup moins tranchée de l’entrée du Portugal dans l’Union européenne, et plus particulièrement dans la zone euro. Le remplacement de l’escudo par l’euro a certes coïncidé avec le début d’une décennie de faible croissance et de divergence avec l’Union européenne, mais l’appartenance du Portugal à la zone euro a également contribué à protéger son économie. Voir à ce sujet Aguiar-Contraria, Alexandre et Correia de Pinho (2012).
  • [20]
    Voir Beauchemin, Lagrange et Simon (2015).

1De longue date, on le sait, les migrations ont été sur le continent européen une réponse aux difficultés des populations [1]. Au dix-neuvième et au vingtième siècles, les périodes de crise ont vu partir des femmes et des hommes qui percevaient ailleurs la promesse d’une vie meilleure (Oriol, 2000 ; Green, 2002 ; Rygiel, 2007). Ce fut, entre autres, le cas des Portugais qui, à différentes époques, ont quitté leur pays en nombre pour s’installer aux quatre coins de la planète [2]. Il n’est donc guère surprenant que la crise de 2008 se soit traduite au Portugal — dont le ralentissement de l’économie avait commencé en 2002 — par des départs massifs, notamment vers l’Angola, le Brésil et l’Europe de l’Ouest (Pires et Santo, 2016). Ceux-ci s’inscrivent dans l’ensemble des phénomènes migratoires dont la physionomie a considérablement changé en Europe depuis la fin de la Guerre froide (King, 2002 ; Wihtol de Wenden, 2016). Les Portugais désireux de fuir le chômage et la précarité ont bénéficié de la facilitation des mobilités au sein de l’Union européenne, tandis que l’accès au continent a été progressivement rendu de plus en plus difficile pour les ressortissants des anciens Empires coloniaux (Baganha, Marques et Góis, 2005). Comme souvent en matière de migrations, les chiffres à ce propos sont l’objet de controverses (Dos Santos, 2013). De manière indiscutable, on enregistre néanmoins jusqu’en 2007 un taux d’émigration aussi élevé qu’entre 1965 et 1975, décennie des départs massifs vers la France. Si, à partir de 2008, l’émigration décline dans un premier temps en raison de la raréfaction des débouchés dans les autres économies, elle s’envole entre 2011 et 2014 lorsque le gouvernement portugais se voit imposer par la Troïka [3] plusieurs sévères programmes d’ajustement structurel. Et, aujourd’hui, en dépit d’une amélioration sensible de l’économie portugaise à partir de 2017, plus de 22 % de la population nationale vit en dehors d’un pays qui, en raison des effets combinés d’une faible natalité et de la reprise de l’émigration, connaît un déclin démographique depuis 2010.

2Cet article se propose d’examiner plusieurs effets de la crise sur les émigrants portugais en France. Il se situe ce faisant dans le prolongement des travaux qui ont été menés sur ce courant depuis les années 1970, lorsque son importance a suscité l’attention de chercheurs [4]. Après avoir connu un ralentissement consécutif à la diminution de l’émigration portugaise en France, ce domaine de recherche connaît maintenant un nouvel essor depuis que des centaines de milliers de Portugais quittent à nouveau leur pays [5]. Toutefois, depuis la crise de 2008, cette migration a reçu peu d’attention hors du cercle étroit des chercheurs s’intéressant aux déplacements humains entre les deux pays. Sans l’ignorer totalement, la recherche sur les migrations en Europe s’est effectivement bien davantage intéressée, non sans raison évidemment, aux mobilités entre l’Europe de l’Est et l’Europe occidentale et, plus largement, des pays du Sud vers les pays du Nord (Tilly, 2011 ; Castles, 2011 ; Paradiso, 2018).

3Or, au-delà du cas des migrations du Portugal vers la France, étudier ce qui se joue dans ces flux depuis la crise permet de contribuer aux débats en cours sur les phénomènes migratoires en Europe, les transformations des sociétés du continent et l’immigration européenne en France, aujourd’hui notoirement sous-étudiée (Lillo, 2014). Pour contribuer à ces discussions, on montrera, d’abord, la complexification des déplacements entre les deux pays, l’hétérogénéité croissante des situations individuelles et le changement du sens donné au projet migratoire par les émigrants d’aujourd’hui [6]. On s’intéressera ensuite aux conséquences de la crise sur différentes formes d’appartenance comme les groupes de parenté, la nation et l’Union européenne. On soulignera en particulier comment la crise agit sur les liens entre les émigrants et leur pays d’origine sur un mode différent de celui observé durant la principale période de l’immigration portugaise en France, de la fin des années 1950 au début des années 1970. Entre ces deux périodes, le Portugal a en effet connu de nombreux changements, parmi lesquels la financiarisation du social, dont la crise a accentué les effets.

Méthodologie

4Cet article s’appuie sur une enquête commencée début 2015 sur l’immigration portugaise en France. Celle-ci repose à ce jour sur cinquante entretiens en profondeur menés dans la province de Trás-os-Montes (n =19) et en Île-de-France (n =31), ainsi que sur des observations lors de fêtes, dans des cafés de ces deux régions et pendant trois aller-retour en bus entre Paris et Braçança. Les entretiens ont eu lieu en portugais au Portugal et en français ou en portugais en France. Les personnes interviewées (vingt-six hommes et vingt-quatre femmes) m’ont été pour dix d’entre elles présentées par des connaissances communes et, pour les autres, soit connues dans des lieux de sociabilité portugaise (cafés, fêtes, associations), soit recommandées par des interviewé·e·s rencontré·e·s dans le cadre de cette enquête. Vingt-et-une de ces personnes ont été rencontrées à au moins deux reprises et, parfois, jusqu’à cinq. J’ai donc suivi une méthode d’échantillonnage par boule de neige, en m’efforçant de respecter la diversité de la population étudiée. De ce fait, les individus interrogés appartiennent aussi bien à la génération la plus ancienne des émigrants portugais, arrivés à partir de la fin des années 1950, qu’à la plus récente, venue avec la crise. Ces derniers ont occupé ou occupent toujours pour la plupart des emplois faiblement qualifiés dans le bâtiment, l’industrie et les services, secteurs où s’est historiquement concentrée l’immigration portugaise. Neuf d’entre eux ont toutefois fait des études supérieures et gagnent leur vie dans des professions artistiques et de santé, ainsi que dans l’ingénierie et l’encadrement en entreprise. Cet article n’aborde pas toutefois la question des travailleurs détachés, les plus mobiles des migrants, pour lesquels je ne dispose à ce jour que d’un seul cas. On pourra néanmoins lire à ce sujet l’article de Thoemmes (2014). En Île-de-France, les entretiens ont été menés dans des lieux très variés, depuis des loges de concierge à Paris à des maisons dans des lotissements périurbains de la Grande couronne, en passant par des cafés et des logements HLM de la proche banlieue. J’ai rencontré quatre de ces Portugais résidant en Île-de-France dans des manifestations parisiennes du Mouvement des émigrants lésés créé pour protester contre le gel de leur épargne après la faillite de la banque Espírito Santo. Dans la province de Trás-os-Montes, j’ai interviewé dix des dix-neuf interviewés dans la ville de Bragança, son chef-lieu, qu’ils y résident ou soient en vacances dans leur village aux alentours. Reliés presque tous par des liens de parenté ou de voisinage, les neuf autres vivaient ou étaient de passage, l’été, dans un village situé à dix kilomètres de Macedo de Cavaleiros que j’ai choisi d’anonymiser sous le nom Timbaú.

Des situations de plus en plus hétérogènes

5La période qui va de 1956 à 1974 représente la principale période de l’immigration portugaise en France (Volovitch-Tavares, 2016). Ces immigrés viennent pour la plupart des zones rurales du nord du pays, où ils travaillaient le plus souvent dans l’agriculture. Dans un ouvrage de référence, Charbit, Hily et Poinard (1997 : 95) ont montré, à partir d’une recherche menée au début des années 1990, que l’inscription dans la sociabilité villageoise, loin d’entraver l’adaptation au pays d’accueil, en est alors, selon leurs termes, le « régulateur ». Les liens avec le village, notamment lors des retours au mois d’août, encadraient la logique toujours individualiste de l’émigration par la prégnance des normes collectives de la société de départ. Les auteurs relevaient toutefois que cet équilibre entre l’individu et le groupe villageois, même s’il était encore maintenu et parvenait à s’adapter au changement social, n’en était pas moins fragile. L’émigration massive et l’installation des ruraux dans les zones urbaines avec la modernisation rapide du Portugal ont depuis modifié en profondeur la physionomie des campagnes du nord du pays. Il n’est donc guère surprenant que, un peu plus de deux décennies après cette enquête, le village, sans avoir perdu son rôle de repère pour beaucoup d’immigrés et leurs descendants, n’assure plus la fonction de régulation qu’il jouait pour les villageois partis en France entre la fin des années 1950 et le début des années 1970 [7].

6Ni les changements qu’a connus le Portugal avec l’urbanisation de sa population et la désertification des campagnes, ni les conséquences de son entrée dans l’Union européenne et de l’élévation du niveau d’instruction, n’en sont pourtant les seuls facteurs. Les effets en cascade de la crise des années 2000 placent aussi les émigrants portugais dans des situations de plus en plus hétérogènes qui en empêchent aujourd’hui beaucoup, anciennement ou récemment arrivés en France, de pouvoir attribuer un sens à leur projet migratoire en l’insérant dans une histoire collective vécue positivement.

La différenciation accrue de l’émigration portugaise

7Pour se faire une première idée des effets de la crise sur les Portugais venus en France, intéressons-nous pour commencer aux motifs avancés pour justifier l’émigration. Une difficulté bien connue des études migratoires consiste à identifier les véritables raisons qui ont conduit un individu à émigrer. Face au discours qu’il tient à ce sujet, le chercheur aurait tort, comme il a été abondamment établi, de s’en tenir à la valeur faciale des propos exprimés. Ce qui conduit à partir ou à rester au pays tient, dans les faits, à une multiplicité de facteurs qui ne sauraient se réduire à une explication de portée générale du type « Je voulais une vie meilleure ». Quelle que soit l’époque où ils ont quitté le Portugal pour la France, les Portugais n’échappent pas à ce constat. Si l’immense majorité d’entre eux disent avoir émigré dans la perspective de mieux gagner leur vie, leur décision a souvent d’autres motifs qu’il a parfois fallu plusieurs entretiens pour saisir. On apprend ainsi au détour d’une narration que, entre autres témoignages recueillis, « Ma femme ne voulait pas habiter dans la même maison que ma mère », « Mon père était un homme très rude » ou « Je n’étais pas d’accord avec mon frère ». De même, pour les Portugais partis depuis la moitié des années 2000, la décision d’émigrer résulte rarement du seul calcul économique. C’est en effet souvent dans un événement spécifique que l’on attribue ce qui a finalement donné lieu au départ. Il peut s’agir, situations fréquemment mentionnées, d’une remarque désobligeante d’un proche. Maria Helena, vingt-six ans, serveuse dans un restaurant de la banlieue parisienne, décide, par exemple, dans les premiers jours de 2011, de quitter Setúbal après que, sans emploi suite à une formation de prothésiste dentaire, elle entend, lors d’un repas de Noël, ses tantes qui parlaient des « jeunes qui ne se bougent pas comme nous on se bougeait ». C’est pareillement sa femme qui lui dit un jour abruptement « Et toi, qu’est-ce que tu vas faire ? » qui, en 2012, conduit Francisco, trente-sept ans, qui a perdu son emploi de chauffeur routier quatre mois plus tôt, à faire appel à un cousin né en France, lequel l’embauche comme manœuvre dans sa petite entreprise de bâtiment.

8La différenciation de l’émigration portugaise n’a certes pas commencé avec la crise des années 2000 [8]. Les vicissitudes de l’existence ont conduit beaucoup de ceux arrivés en France dès la fin des années 1950 à s’y installer de façon durable. Une différence majeure distingue toutefois, au vu des propos recueillis, les Portugais partis en France pour fuir la crise dans les années 2000 de ceux des époques précédentes. Elle tient dans la plus grande diversité des situations au moment de l’émigration. Ceux qui venaient de familles de paysans pauvres du nord du Portugal, loin de penser s’établir définitivement à l’étranger, entendaient revenir une fois passée la perspective d’un long service militaire dans les colonies africaines ou après avoir épargné pour construire une maison, ou acheter de la terre. Or, depuis 2003, la dégradation de l’économie portugaise conduit en France un nombre croissant d’urbains et de travailleurs plus qualifiés, même si ceux-ci n’ont très souvent accès qu’à des emplois requérant un faible niveau de qualification [9].

9Une recherche récente par questionnaires auprès des Portugais ayant émigré avec la crise a ainsi montré qu’un tiers d’entre eux — 15,6 % dans le cas de ceux résidant en France — n’envisageaient pas de revenir vivre au Portugal (Peixoto et al., 2016). Bien qu’elle porte sur un nombre limité d’individus, les résultats de mon enquête indiquent de même que la perspective du non-retour fait désormais partie de l’ordre des possibles, y compris chez les Portugais installés de longue date en France [10]. Les conséquences de la crise reviennent fréquemment dans les raisons avancées à ce sujet. Bien sûr, une campagne d’entretiens réalisés pour la plupart avant que l’économie portugaise ne commence, début 2017, à donner des signes tangibles de redressement ne suffit pas pour indiquer une tendance robuste [11]. L’incapacité ou la difficulté à envisager une réinstallation au Portugal semble toutefois traduire un changement notable avec la volonté de retour qui avait jusque-là dominé chez les immigrés portugais en France [12]. Considérons pour cela le projet migratoire qu’ils expriment en tant, comme le définit Ma Mung (2009 : 31), de « projection dans l’avenir ayant ainsi une dimension temporelle fondamentale dont le contenu, par là-même, est en redéfinition constante en fonction de l’histoire, des parcours et de l’expérience migratoire ». Qu’ils soient arrivés en France dans les années 1960 ou au début des années 2010, très peu des femmes et des hommes que j’ai rencontrés envisageaient sur le mode de l’évidence de retourner définitivement vivre et travailler au Portugal. José, trente-deux ans, aujourd’hui coffreur dans une petite entreprise de BTP du Val-de-Marne, après avoir travaillé jusqu’en 2010 dans le même secteur à Porto, exprime dans des termes clairs la façon dont il envisage l’avenir :

10

« Le Portugal est un beau pays, un pays que j’aime beaucoup, un pays que j’aime par-dessus tout, c’est un pays où j’aime toujours aller, un pays où j’ai ma famille, mais c’est un pays foutu, les jeunes n’y ont plus d’avenir. Il n’y a pas de travail, tu payes cher pour te soigner, tu payes cher pour étudier. Je préfère rester en France. La France n’est pas le paradis, mais il y a des choses que je n’aurai jamais au Portugal. Mon fils pourra être bien soigné à l’hôpital, il pourra aller dans une bonne école. »

11Amélia, soixante-cinq ans, arrivée en France avec ses parents en 1970, explique de même avoir renoncé, il y a peu, à prendre sa retraite dans le village près de Bragança dont elle est originaire avec son mari. La construction de cette maison à flanc de coteau avait pourtant représenté des années de « sacrifices » pour cette employée de maison et cet agent de maîtrise d’une petite usine de l’Essonne. Pourtant, comme elle le dit :

12

« Aujourd’hui, il n’y a plus rien au Portugal. Il n’y a que des vieux au village, il n’y a pas de médecin, l’hôpital est loin. On va rester en France. On pensait revenir vivre là-bas, on pensait venir voir nos enfants et nos petits-enfants pour Noël, à Pâques, mais c’est mieux de rester ici, le Portugal a sombré. On a toujours la maison pour l’été, et on sera tous là-bas en août, mais le reste de l’année, c’est mieux de vivre en France. Je n’aurais jamais imaginé que je ne reviendrais pas finir ma vie dans mon pays. »

La mise en échec d’une représentation du futur

13La crise a en effet brisé une représentation du futur largement partagée où, quelles que soient les difficultés que ces femmes et ces hommes connaissaient sur un plan personnel, le Portugal paraissait inexorablement aller vers un mieux et constituer un lieu où envisager un avenir meilleur [13]. La Révolution des Œillets, le 25 avril 1974, avait mis fin à la dictature, entraîné la fin de guerres coloniales désastreuses et conduit à des réformes qui avaient vu la situation sociale du pays s’améliorer. En 1986, l’entrée dans la Communauté économique européenne inscrivait le pays dans un ensemble plus large, facilitait la mobilité de ses ressortissants sur le continent et lui ouvrait l’accès à des financements communautaires nécessaires à l’amélioration de ses infrastructures routières [14]. De 1985 à 2001, un taux de croissance économique moyen supérieur à 3,7 % par an modifie en profondeur les conditions de vie au Portugal, notamment dans les campagnes pauvres dont sont issus la majorité des Portugais venus en France. La perte du sens de l’avenir n’a évidemment rien de spécifique au Portugal ; on l’observe dans de très nombreuses sociétés contemporaines dont elle est une caractéristique majeure (Martuccelli, 2017). Chez les migrants qui ont, un jour ou l’autre, pris le chemin de la France, la force de son impact y a cependant bouleversé le sens que l’on donne au passé, la façon dont on vit le présent et la perception de l’avenir.

14Ce changement se manifeste notamment dans les comparaisons auxquelles se livrent les Portugais, installés en France ou revenus au Portugal. Sur un ton grave, beaucoup, notamment chez les plus âgés, se demandent s’ils ne se sont pas trompés en prenant telle ou telle décision à un moment à un autre. Donnons-en un exemple. Hernani et Filomena, soixante-deux et soixante ans respectivement, regrettent par exemple d’être revenus à Macedo de Cavaleiros en 2000, après vingt-deux années passées à Versailles. Leur situation en France s’était pourtant améliorée au fil des années :

15

« On était bien, on avait un appartement, les filles étudiaient dans une bonne école, on avait une belle voiture, on passait tous les mois d’août au Portugal. »

16Un temps employé à la plonge dans un restaurant, Hernani était vite devenu commis de cuisine, avant d’apprendre à faire des pizzas. En travaillant plus de dix heures par jour, six jours par semaine, il gagnait 17 000 francs français (environ 2 600 €) par mois au moment où avec sa femme, qui complétait les revenus du couple en faisant des ménages, ils décident de revenir au Portugal avec leurs deux filles, de seize et treize ans, qui, affirment-ils, faisaient l’admiration de leurs enseignants français. Le refus d’un prêt bancaire qui lui aurait permis de reprendre une pizzeria pour se mettre à son compte est, selon Hernani, à l’origine de sa décision de quitter la France, alors que, comme Filomena tient à le rappeler :

17

« Moi, je ne voulais pas ! C’est toi qui as voulu. Je ne voulais pas, pour les filles, elles étaient dans une très bonne école. On aurait mieux fait de rester. Ceux qui sont restés sont mieux que nous. »

18Quinze ans plus tard en 2015, ils constatent effectivement, non sans amertume, qu’il leur aurait sans doute mieux valu rester à Versailles. Hernani va d’abord perdre ses économies dans une opération immobilière à Porto qui les conduit à « repartir de zéro ». Leurs filles subissent à l’école l’hostilité fréquente dont est l’objet les enfants d’emigrantes (« On est des immigrés en France, et on est des émigrés au Portugal. Les Portugais sont les pires avec les Portugais. ») Le couple ne se décourage pas et ouvre un restaurant avec deux frères d’Hernani, où ces derniers apportent le capital et, sa femme et lui, leurs compétences culinaires. Après avoir connu un franc succès, l’affaire périclite avec la diminution de la clientèle entraînée par la crise. Il s’ensuit une fâcherie au sein de la fratrie, et Hernani parle, la larme à l’œil, d’une situation dégradée au point de « voir un frère faire trébucher son propre frère ». Hernani et Filomena ont toutefois vite retrouvé du travail, en se mettant au service du restaurant d’un hôtel dont ils sont salariés. En s’épuisant au travail, ils gagnent assez, disent-ils, pour vivre « décemment, […] sans manquer du nécessaire » et soutenir leurs filles, toutes deux sans emploi stable, après avoir fait des études d’infirmière pour lesquelles elles ont dû s’endetter. Filomena estime néanmoins que :

19

« Heureusement, elles parlent le français, et, si elles le veulent, elles pourront travailler en France. Espérons qu’elles ne feront pas les mêmes erreurs que nous. »

20Comme Hernani et Filomena, une grande majorité des Portugais que j’ai rencontrés évaluent leurs parcours en spéculant sur ce qui se serait passé s’ils avaient fait tel ou tel choix à un moment donné et en se comparant à d’autres. Sebastião, vieux garçon de cinquante-sept ans, aurait aimé partir comme l’ont fait ses frères aînés, plutôt que de rester au village travailler la terre avec ses parents aujourd’hui disparus. Ce n’est pourtant pas le fait de ne pas être devenu à son tour un emigrante qui le désole rétrospectivement, car il sait bien, dit-il, que « la vie de l’emigrante est très dure ». C’est bien davantage, selon lui, la tristesse qui s’est abattue sur Trás-os-Montes avec ses villages déserts dix mois sur douze et sa population rurale qui ne bénéficie pas d’un soutien des autorités à la hauteur de ses difficultés. De leur côté, Alberto et Maria da Conceição, respectivement ouvrier qualifié et agent d’entretien dans le Val d’Oise, regrettent à cinquante-neuf ans d’avoir consacré une partie importante de leur épargne à l’achat d’un petit appartement de vacances à Póvoa de Varzim. Leurs enfants, devenus adultes, ne souhaitent plus y aller, et sa valeur a considérablement diminué, au point qu’ils ont renoncé à le vendre. Comme le dit Alberto, « avec l’argent, on pourrait les aider à s’installer en France ». Certains se rassurent évidemment parfois en comparant leur sort avec celui de parents, d’amis d’enfance ou de collègues qui ont connu bien plus mauvaise fortune après être rentrés au Portugal. Les exemples ne manquent pas, mais ils ne permettent jamais bien longtemps de masquer les effets de la crise sur les destins personnels. Qu’il attribue la situation à la politique de l’Union européenne, aux dirigeants politiques portugais et à ses propres choix, l’individu se trouve alors face aux effets d’une crise qui l’empêche de se projeter solidement dans l’avenir. Et, comme on va le voir, sa situation dépend en grande partie de ses appartenances, lesquelles ont souvent été directement affectées par la situation économique, que ce soit pour en réaffirmer la vigueur ou en révéler l’affaiblissement.

Des appartenances mises à l’épreuve

21La crise ne correspond pas seulement à une perte du sens de l’avenir pour les émigrants portugais et ceux qui sont restés au Portugal ou sont revenus y vivre. Elle se manifeste aussi dans les groupes de parenté et chez les individus eux-mêmes par une modification des relations sociales et du rapport à soi. Selon les contextes, la crise réactive des formes de solidarité familiale ou éloigne les parents, mais, toujours, elle individualise les individus, en faisant notamment de l’argent un indicateur de la valeur sociale.

Le prisme des groupes de parenté

22La dégradation du contexte socio-économique au Portugal a touché sous des formes diverses de nombreux groupes de parenté dont une partie des membres réside en France. Elle a rendu saillante les différences de réussite et créé des tensions parfois fatales à des parents qui travaillaient ensemble, comme l’a montré l’exemple précédemment cité de la fratrie d’Hernani. Elle a aussi révélé, dans certains cas, les limites de la solidarité interfamiliale et s’est quelquefois traduite par des formes d’exploitation sans vergogne. Felipe et Graça, soixante et quarante-huit ans, arrivés en France en 2003 après que le premier a perdu son emploi de mécanicien à Viseu, racontent, amers, comment des cousins de cette dernière les ont fait travailler sans relâche dans le garage et le restaurant qu’ils tiennent dans l’Aisne. Graça est pourtant renvoyée sans ménagement dès que sa grossesse ralentit sa productivité, et Felipe démissionne deux semaines plus tard après, dit-il, en être venu aux mains avec son cousin de patron. Leurs économies et un prêt à la consommation arraché à une banque leur permettent toutefois d’ouvrir un café à quelques kilomètres de là, sans pour autant qu’ils en tirent des revenus suffisants pour rembourser leur emprunt.

23La crise n’a cependant pas révélé que la face sombre des groupes de parenté. Beaucoup de Portugais touchés par la crise ont pu trouver à s’employer en France dans de bonnes conditions dans des entreprises où travaillaient des parents. João, quarante-quatre ans, dit ainsi vouer une éternelle reconnaissance à un cousin de son âge qui lui a proposé de venir travailler à ses côtés dans la pose de plaques chauffantes. Auparavant plâtrier au Portugal, il a appris peu à peu son nouveau métier et fait venir sa femme, qui a trouvé des heures de ménage, et ses deux filles, scolarisées, dit-il, dans « une école bien meilleure qu’au Portugal ». Inês, trente-trois ans, a trouvé une loge de concierge dans le 6ème arrondissement de Paris sur la recommandation de sa tante, elle-même gardienne d’immeuble, qu’un syndic avait sollicité pour lui demander si elle ne connaissait pas quelqu’un pour prendre une place qui se libérait. Née en France, elle est l’aînée d’une fratrie de deux filles et deux garçons. Après avoir passé les vingt-cinq premières années de sa vie dans l’Essonne, elle était repartie au Portugal en 2000 avec ses parents et sa sœur cadette après qu’un accident du travail a rendu son père invalide. Elle y a ouvert un petit commerce dans une bourgade du Nord près du village dont sa famille est originaire et s’est mariée avec Marcos, un ouvrier du bâtiment qu’elle a rencontré dans une fête locale. La baisse de sa clientèle, ajoutée aux difficultés de l’entreprise de son époux, conduit le jeune couple à se saisir de la proposition de la tante d’Inês pour revenir en France. Après avoir pris contact avec un parent éloigné, Marcos trouve rapidement à se faire embaucher sur des chantiers. Aucun n’imagine repartir maintenant qu’ils ont trouvé un équilibre en France. Leurs deux enfants sont d’ailleurs nés à Paris, et ils considèrent qu’ils auront accès à des écoles et un système de santé bien meilleurs qu’au Portugal.

24La venue ou le retour en France de Portugais que la crise a conduit à quitter leur pays modifie aussi le regard sur les positions au sein des groupes de parenté. Ce sont fréquemment ceux qui étaient au village au bas de la hiérarchie sociale qui ont émigré et, aujourd’hui, aident à trouver du travail en France. Maria, soixante ans, arrivée en France adolescente, se souvient de son village où, explique-t-elle, « il y avait juste de quoi manger et on avait des souliers en carton ». Au cours des dernières années, elle a été régulièrement sollicitée pour accueillir des jeunes sans emploi au Portugal et en a logés plusieurs le temps qu’ils trouvent du travail en France. Elle y voit une parabole de la vie :

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« La vie, c’est dur, la vie, c’est comme ça. Vous croyez que tout va bien, parce que vous avez un peu plus, et puis, patatras, tout change, et il vous faut demander à qui vous n’auriez jamais pensé demander. »

26Mario, trente-huit ans, a, lui, de son côté, pu se faire embaucher comme soudeur dans une entreprise de l’Essonne après avoir vécu un temps chez son oncle et sa tante, arrivés en France en 1973. Ce sont eux, me dit-il, qui non seulement l’ont hébergé à son arrivée de Porto en 2009, mais l’ont aussi aidé à apprendre des rudiments de français, langue dans laquelle il s’exprime aujourd’hui sans difficultés. Il leur en voue une grande reconnaissance et se demande si, lui, aurait fait ce qu’ils ont fait pour lui pour un neveu qu’il connaissait peu. Son oncle et sa tante, parents de deux enfants handicapés moteurs, ne fréquentaient plus le village depuis de longues années et préféraient passer le mois d’août dans un appartement de Bragança. Mario raconte, presque en colère, les ragots qui circulaient sur leur compte dans la famille :

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« Je me rappelle, on disait qu’ils avaient voulu avoir des enfants alors qu’elle [la tante de Mario] savait qu’il y avait des risques, parce qu’il y avait eu des enfants pas normaux dans sa famille à elle. C’est vraiment de la méchanceté, je m’en rends compte. Qu’est-ce que j’aurais fait sans eux ? Je ne serais rien, je n’aurais pas réussi en France. Quand je pense à ce que j’ai pu entendre sur eux, je le dis, j’ai honte, mais pour qui ils se prennent ceux qui les jugeaient comme ça, sans savoir les bonnes personnes qu’ils sont, ce qu’ils ont fait pour moi. »

28L’émigration vers la France et la désertification des campagnes du nord du Portugal restent pourtant loin d’avoir mis fin à la casa, que l’on peut traduire par maisonnée, cet élément de base de l’organisation sociale paysanne abondamment étudié par l’anthropologie sociale (Pina-Cabral, 1986 ; Callier-Boisvert, 1999). Dans les villages de ce monde rural, la casa désigne indissociablement la terre qui permet de vivre et les membres du groupe de parenté qui l’exploitent. Elle correspond souvent à une famille nucléaire, mais aussi au regroupement de plusieurs générations et de proches parents. Les transformations majeures de la société portugaise au cours des dernières décennies se sont certes traduites par une pluralité croissante des formes de vie conjugale et familiale (Aboim et Wall, 2002). La casa elle-même, avec les départs massifs des ruraux vers d’autres pays européens et les grands centres urbains portugais, n’a plus aujourd’hui la centralité qu’elle avait autrefois dans la vie villageoise. La crise rappelle néanmoins son importance. Beaucoup de ses membres qui avaient quitté la campagne sont revenus y vivre et prennent leur part aux travaux des champs et à la garde du bétail. Ils trouvent là une forme de reconnaissance et d’insertion dans des réseaux sociaux, à l’instar des vieux agriculteurs (Fragata et Portela, 2000). Il peut s’agir de ceux qui, frappés par le chômage en ville, reviennent participer aux tâches collectives dans leur village d’origine, ou d’anciens émigrants qui, même forts d’une pension de retraite, trouvent une raison sociale, et souvent du plaisir, à se joindre aux activités agricoles. Car, comme l’a montré Laurence Loison sur le rôle de la famille au Portugal, participer à ces activités collectives joue un rôle intégrateur, en permettant l’entretien de liens sociaux (Loison, 2004). À une dizaine de kilomètres de Macedo de Cavaleiros, le village de Timbaú compte ainsi plusieurs maisonnées où travaillent ensemble dans les champs des hommes et des femmes aux trajectoires bien différentes. Certains n’ont jamais émigré, ou seulement pour de courtes périodes, des émigrants sont revenus vivre sur les lieux de leur enfance, d’autres, sans emploi en ville, se sont rabattus sur le village, et un jeune adulte, qui a grandi en France, y a été envoyé par ses parents après avoir connu des ennuis judiciaires en région parisienne. Les revenus de ces maisonnées ne reposent pas seulement aujourd’hui sur le seul produit du travail agricole, mais sur la combinaison de plusieurs activités (Fiúza, Pinto et Braga, 2014). Ils proviennent aussi des pensions de retraite, souvent incomplètes pour beaucoup de ceux qui n’ont pas cotisé suffisamment longtemps en France, et des aides sociales auxquels un nombre croissant de Portugais ont eu accès après la Révolutions des Œillets de 1974 (Carmo et Barata, 2014). L’essentiel semble pourtant de participer à la vie collective, ponctuée pour les hommes par au moins un passage au café dans la journée. Ceux-ci insistent d’ailleurs, comme António, 64 ans, sur le fait que le travail des champs, s’il alimente surtout une « économie de subsistance » selon lui, requiert d’aller tous les jours aux champs. Ainsi, au nord du Portugal, le village, au-delà de ses transformations, offre toujours à ceux qui n’ont pas rompu avec lui l’occasion de trouver un support identitaire dans une sociabilité organisée à partir des groupes de parenté (Carmo, 2010 ; Afonso, 2013). Il n’empêche que, même réinséré dans l’ordre villageois, l’ancien émigrant conserve généralement des liens avec la France, où il retourne à l’occasion visiter ses enfants qui y vivent et se faire soigner quand, titulaire d’une pension de retraite, il est resté assuré à la sécurité sociale. Les coupes budgétaires qui ont durement touché les services publics au Portugal ont d’ailleurs accentué la différence entre la qualité de l’offre médicale dans le pays, où le coût des soins est souvent élevé, et celle proposée en France, gratuite ou peu onéreuse. La crise, en cela, distingue jusqu’au sein des maisonnées ceux qui disposent de la possibilité de retourner momentanément en France pour entreprendre des soins de ceux qui ne peuvent compter que sur un système de santé que tous jugent profondément déficient, notamment dans les campagnes.

Hier et aujourd’hui : ce que gagner de l’argent veut dire

29Les recherches en sciences sociales sur l’argent et la parenté ont montré que, contrairement à ce qu’en disait Simmel (1900), l’argent n’est pas un medium neutre facilitant les échanges, mais, selon les contextes où il circule, possède diverses significations culturelles, sociales ou affectives (Zelizer, 1994 ; Dufy et Weber, 2007). Le rapport à l’argent des émigrants portugais de la grande vague d’émigration des années 1960 a également suscité de longue date l’intérêt de nombreux chercheurs (Rocha-Tindade, 1973 ; Moulier, 1981 ; Brettell, 1982 ; Leandro, 1995). Ceux-ci ont documenté l’acharnement au travail, caractérisé par la recherche d’heures supplémentaires dans le bâtiment et les ménages, ainsi que l’importance de l’épargne destinée à l’achat d’une maison et de terres au pays. Ils ont aussi souligné la confiance en soi que procurait la simple possession d’argent liquide pour des ruraux qui avaient jusque-là vécu dans une grande pauvreté et n’avaient jamais connu les joies de la consommation par l’acquisition de biens, signes de statut lors du retour annuel au village. S’ils ont diminué au fur et à mesure que les Portugais prenaient la décision de s’installer durablement en France, ces comportements n’ont pas disparu. Le mois d’août reste le mois de vacances qui voient les émigrants dépenser généreusement au pays, recevant parents et amis à leur domicile, sortant en famille au restaurant et exhibant des voitures de marque immatriculées dans le pays où ils résident. De même, les différences de salaire importantes entre la France et le Portugal, où le salaire minimum est de 580 € en 2018 après être resté longtemps juste au-dessus de 500 €, réduisent souvent le pénible sentiment de frustration qu’éprouvaient dans leur pays les Portugais arrivés avec la crise. Dans les bus qui relient la région parisienne et le nord du Portugal, les conversations entre voyageurs qui ne se connaissaient pas tournent rapidement, par exemple, sur les salaires payés en France et ce qu’ils permettront de faire plus tard. Interrogée chez elle dans le 19ème arrondissement de Paris, Margarida, cinquante-deux ans, agent d’entretien dans une école d’une petite bourgade au nord de Porto, a choisi, en 2016, de se mettre en disponibilité pour venir en France avec son mari, de vingt ans son aîné, titulaire d’une petite retraite d’ouvrier. Dans les premiers temps, elle a pu compter sur sa sœur, aujourd’hui concierge, arrivée trente-cinq ans plus tôt, qui avait entendu parler d’une famille de Vaucresson qui cherchait une employée de maison à temps plein. Dans l’école où elle travaillait, Margarida ne supportait plus, explique-t-elle, le mépris social des enseignantes de l’école qui exigeaient de se faire appeler « Docteure ». Elle le vivait d’autant plus mal que, en suivant des cours du soir, elle avait « avec beaucoup de sacrifice » atteint le diplôme de fin d’études secondaires, sans pour autant que cela lui ouvre une quelconque perspective de mobilité au Portugal. Margarida a donc décidé de venir à Paris, où elle accumule les heures de ménage et repasse chez elle des chemises d’homme, un travail dorénavant facilité par l’acquisition d’une centrale à vapeur, un « investissement » selon ses termes. Elle vit maintenant avec son mari et leur fille de vingt-sept ans, arrivée il y a peu et toujours sans emploi, dans un modeste deux-pièces en rez-de-chaussée du 13ème arrondissement. Le Portugal ne lui manque pas, car, insiste-telle :

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« Je n’avais pas d’argent pour partir en vacances, je comptais l’argent sou par sou. Aujourd’hui, je ne le gaspille pas, mais si je veux m’acheter un pantalon neuf, je me l’achète. Si je veux acheter des fruits plus chers, je les achète. Si je veux m’acheter quelque chose, je n’en suis pas à me demander si j’ai vingt euros dans le porte-monnaie, alors que, au Portugal, si je dépensais vingt euros pour les courses, alors là, mon Dieu, c’en était fini de mon budget du mois. Il fallait vraiment que je gère très bien pour aller au bout du mois. »

31Gagner au prix d’un travail acharné (« Je travaille du matin au soir ; j’aime travailler ») autour de 1 200 euros par mois, soit plus du double de son dernier salaire au Portugal, a donné à Margarida une nouvelle place dans l’économie familiale, puisque c’est désormais de ses revenus que son mari et sa fille dépendent pour vivre à Paris. Elle présente d’ailleurs sa volonté d’émigrer comme le résultat d’une volonté personnelle (« Il ne voulait pas ») et le refus de la vie étriquée qu’elle était contrainte de mener dans son pays d’origine.

32Avec l’émigration de masse qu’a connue le nord du Portugal à partir de la fin des années 1950, les campagnes n’ont pas seulement connu, à un rythme accéléré, la monétarisation, ce grand changement qui, au même titre que l’industrialisation et l’urbanisation, a marqué les sociétés occidentales au long du XIXe siècle (De Blic et Lazarus, 2007). Elles ont aussi été touchées très vite par la financiarisation de l’économie qui, dès la seconde moitié des années 1970, a conduit beaucoup de ces émigrants, une fois achetée une maison au Portugal, à préférer placer leur épargne dans des produits financiers plutôt que d’acheter des terres [15]. Les banques commerciales portugaises ont largement stimulé ce processus avec l’assentiment de l’État qui voit l’économie nationale bénéficier de ces transferts d’argent venus de l’étranger (Leeds, 1983 ; Pereira, 2012). En France et au Portugal, leurs camionnettes parcourent les zones où résident les migrants et les familles restées au village, avant que l’ouverture d’agences assure le maillage bancaire dans les deux pays. Comme en France, la bancarisation de la population portugaise entraîne, pour reprendre les termes de Lazarus (2012 : 68), « la naissance d’un nouvel ethos de l’argent ». Lorsque les banques portugaises proposent aux émigrés des taux d’intérêt avantageux pour attirer leur épargne, beaucoup d’entre eux, considérant le rendement que procurent les produits financiers, préfèrent ce type de placements à l’investissement dans l’agriculture et les petites industries locales [16]. D’autres, encouragés à souscrire des emprunts immobiliers intéressants, achètent à crédit des appartements dans les villes et les stations balnéaires du littoral, espérant sinon en tirer des revenus locatifs, tout au moins se constituer un capital [17].

33Sans estomper totalement l’attachement aux valeurs rurales chez les émigrants originaires des campagnes, la monétarisation de l’économie, accentuée avec la financiarisation, a néanmoins eu les mêmes effets que partout ailleurs où elle a été observée. Elle a notamment stimulé un processus d’individualisation, en permettant aux individus de se soustraire à l’emprise des liens personnels qui caractérise les groupes régis par le respect d’obligations morales (De Blic et Lazarus, 2007). C’est une des raisons qui au Portugal, hier comme aujourd’hui, vaut aux émigrants d’être l’objet de jalousies de toutes sortes et d’être accusés de ganância, soit de « cupidité ». C’était notamment en ces termes que, au café de Timbaú, les hommes qui étaient restés au village ou y étaient revenus sitôt après avoir accumulé de quoi acheter de la terre, jugeaient, en août 2015, les Portugais qui avaient perdu tout ou partie de leurs économies avec la restructuration de la Banque Espírito Santo. Cette banque commerciale qui, jusqu’en 2014, était pour tous un établissement bancaire sûr, proposait aux Portugais de France des produits financiers aux taux plus élevés que les livrets d’épargne français, en garantissant la disponibilité des revenus placés. La découverte d’irrégularités comptables allait pourtant conduire les autorités portugaises à ne sauver que les actifs jugés sains de la Banque Espírito Santo, en injectant 3,9 milliards d’euros pour créer un nouvel établissement bancaire, la Banque Nouvelle (Banco Novo). L’épargne de près de cinq mille Portugais, installés principalement en France, en Suisse et au Luxembourg, s’en est trouvée gelée, son remboursement n’étant envisagé alors que trois décennies plus tard, soit une catastrophe pour ceux qui comptaient dessus pour leurs vieux jours ou pour aider leurs enfants à financer un projet immobilier [18]. Alors qu’il était apparu très vite que la Banque Espírito Santo avait trompé ses clients en présentant comme des produits d’épargne sûrs des placements financiers risqués, ces derniers ont souvent fait preuve de jugements sévères dans la population portugaise dont une partie a reconnu en eux la figure de l’émigrant âpre au gain. C’est d’ailleurs ce type de réactions, où le mépris l’emporte sur l’indifférence, qui a considérablement affecté les femmes et les hommes qui avaient été trompés par des conseillers bancaires qu’ils connaissaient parfois de longue date. Alfonso, un agent de maîtrise de cinquante-neuf ans arrivé en France depuis presque quarante années, a, dit-il, « tout perdu » maintenant que 120 000 euros placés sont bloqués. Outre le préjudice financier, il en veut au gouvernement portugais qui a, selon lui, fait le choix de « laisser tomber les émigrants qui ont contribué à l’économie » et à ses compatriotes que leur sort amuse ou indiffère :

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« Au Portugal, il y a beaucoup d’envie. Les Portugais de là-bas n’aiment pas les émigrants. Ils croient qu’on a la belle vie. Ils ne savent pas comme on a souffert et comme on souffre toujours. Ils croient être les seuls à souffrir avec la crise. »

35Les remises d’argent, encouragées par les banques portugaises qui démarchent régulièrement au téléphone les Portugais vivant en France, constituaient en effet une forme de lien entre la population émigrée et son pays d’origine. Le thème de la fidélité au Portugal par la participation au financement de son économie a d’ailleurs fait partie des arguments utilisés par les banques autant à l’époque de la bancarisation des émigrants que lors de la vente de produits financiers par la banque Espírito Santo. Il n’est alors guère surprenant que les membres du Mouvement des émigrants lésés (Movimento dos emigrantes lesados) aient souvent manifesté au Portugal en brandissant des drapeaux français et en criant « Vive la France ! » pour signifier le sentiment d’abandon qu’ils éprouvaient.

36La financiarisation n’a de ce fait pas seulement isolé ceux qui pâtissent de l’échec d’une stratégie d’épargne. En plus de mettre une fin brutale au projet de retraite longtemps imaginé, elle modifie également pour ses victimes le rapport au Portugal que, plusieurs décennies durant, ils étaient parvenus à maintenir, coûte que coûte précisément, en confiant leurs économies à une banque de leur pays natal. La crise portugaise illustre terriblement en la manière la « violence sociale de la banque [qui] vient du fait qu’elle disloque le socle des dispositions économiques traditionnelles du capitalisme, n’en propose pas d’autres, et exige en même temps de ses clients une autonomie de gestion, seule capable d’en faire des partenaires commerciaux » (Lazarus, 2012 : 368). Ce n’est pourtant pas, en l’occurrence, la dislocation de la communauté villageoise que provoque la financiarisation ; c’est bien davantage un doute sur la protection que devraient normalement leur assurer les autorités portugaises qu’elle entraîne chez ces porteurs de créances douteuses qui se sentent abandonnés par l’État dont ils sont des ressortissants. Or aucune autre forme d’appartenance ne vient se substituer chez eux à la nationalité. En France, ils se sentent toujours Portugais, parfois près de cinquante ans après avoir émigré. De son côté, l’Union européenne, pourtant longtemps vue comme un horizon heureux par les Portugais, ne suscite pas plus parmi eux d’identification que chez les autres ressortissants de ses États-membres. Beaucoup de ceux qui ont émigré comme de ceux qui sont restés ou sont revenus au pays ne ménagent d’ailleurs pas leurs critiques à son encontre, accusant ses institutions d’avoir précipité le Portugal dans la crise [19]. Pour eux, gagner en France plus d’argent que dans leur pays d’origine, le dépenser de façon ostentatoire quand ils y reviennent et épargner le plus possible pour réaliser un projet immobilier ici ou là-bas constituent des comportements que l’on retrouve dans les différentes générations. Ceux-ci n’ont néanmoins ni le même sens selon l’âge, ni le même contexte que dans les années 1960. Plus que jamais pourtant, ils révèlent l’importance prise par l’argent gagné dans la valeur sociale d’un individu lorsque diminue la force intégratrice des appartenances dans lesquelles il est engagé.

Conclusion

37Pour montrer ce qui se joue aujourd’hui dans les migrations du Portugal vers la France, cet article s’est employé à articuler l’expérience migratoire avec ce qu’émigrants et anciens émigrants vivent dans l’un et l’autre pays. Nous avons insisté sur les effets de la crise et de la financiarisation du social au Portugal pour comprendre les pratiques de ces émigrants portugais, hier et d’aujourd’hui. On rejoint ici le souci de Waldinger (2015 : 184) de considérer le domaine des migrations internationales comme un « champ d’étude spécifique », capable de rendre compte conjointement de dynamiques qui relèvent aussi bien de l’étude de l’émigration que de l’étude de l’immigration, domaines dialoguant peu dans les faits. C’est pourquoi il s’est agi, pour nous, d’analyser ce qui continue à rapprocher l’émigrant de son pays d’origine et ce qui l’en distancie au fil du temps.

38Car, en dépit de la proximité géographique du Portugal et la facilité de s’y rendre, les Portugais et les descendants de Portugais connaissent cette distanciation progressive produite par le temps. Réalisée en 2008 et 2009, l’enquête Trajectoires et Origines (TeO) a produit à ce sujet un résultat contre-intuitif particulièrement intéressant. En effet, les immigrés européens en France, parmi lesquels les Portugais, se rendent plus fréquemment dans leur pays d’origine que les immigrés non européens, tout en ayant un plus faible taux d’activités transnationales, entendues au sens d’activités économiques, politiques, culturelles ou religieuses pratiquées au-delà des frontières de l’État où réside un immigré [20]. Or les Portugais constituent à cet égard un cas emblématique. La baisse du coût des transports aériens a facilité les courts séjours au Portugal, et sa vie moins chère, associée à la certitude d’un été ensoleillé, entretient aujourd’hui encore l’habitude de passer le mois d’août au Portugal, en partie ou en totalité dans une maison familiale dans le village d’origine. Pourtant, les activités proprement transnationales des Portugais restent limitées et ont déclinées avec les jeunes générations qui ne cherchent plus à utiliser l’essentiel de leur épargne au pays.

39Depuis les années 2000, l’intensité de la crise a par ailleurs oblitéré la possibilité d’une retraite tranquille au pays pour les émigrants, insécurisé ceux d’entre eux qui y ont leur épargne et limité les perspectives d’avenir des jeunes générations. De ce fait, l’emigrante portugais s’apparente plus à un entrepreneur de soi-même malgré lui qu’à l’individu audacieux qui, comme autrefois, affirmait son individualité en restant lié à son village.

40À ce titre, les questions migratoires qui concernent le Portugal constituent un analyseur des effets des politiques néo-libérales susceptibles de contribuer aux discussions sur l’Europe. On ne peut cependant que regretter le faible intérêt pour ce pays, surtout si l’on compare la place qu’occupent ses problématiques dans le débat académique international par rapport à celles des États de l’Europe de l’Est anciennement socialistes ou de ceux de l’Europe du Sud touchés par l’arrivée massive de migrants non européens (Ther, 2016 ; Krastev, 2016).

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Notes

  • [1]
    L’auteur remercie les lecteurs anonymes qui lui ont permis d’améliorer une version préalable de ce texte.
  • [2]
    L’étude de l’émigration portugaise vers le reste du monde a suscité de nombreux travaux au Portugal et dans les pays concernés par celle-ci. Pour une bibliographie presque exhaustive sur la production depuis 1980, on se reportera à Candeias, Góis, Marques et Peixoto (2014).
  • [3]
    La Troïka est le nom donné à l’ensemble formé par la Commission européenne, la Banque centrale européenne et le Fonds monétaire international.
  • [4]
    Parmi ces recherches, on peut notamment citer, entre autres, Rocha-Trindade (1973), Brettell (1982), Oriol (1985), Cordeiro (1989) Hily et Oriol (1993), Leandro (1995), Volovitch-Tavares (1995), Charbit, Hily et Poinard (1997), Callier-Boisvert (1999) et Almeida (2008).
  • [5]
    Voir, notamment, Santos (2010, 2013), Silva (2011), Branco (2013), Santo (2013), Pereira (2012), Lopes (2014), Lopes et al. (2015).
  • [6]
    La différenciation accrue de l’émigration portugaise vers la France rend difficile sa description à partir de catégories stabilisées. Un terme comme « migrant de retour » ne rend par exemple pas compte de la diversité des situations de ceux qui, à un moment ou un autre, sont revenus vivre au Portugal. À la diversité des motifs avancés et de leur combinaison fréquente s’ajoutent, d’une part, les contextes socio-économiques différents selon les années de retour et, d’autre part, le fait que certains retours, initialement pensés comme définitifs, ont donné lieu à un nouveau départ en migration. Sur la question des retours plus généralement, voir, entre autres, Poinard (1983), Amaro (1985), Dos Santos et Wolf (2010). Dans le même ordre d’idées, Irène dos Santos a également souligné l’insuffisance heuristique de catégorisations comme « deuxième génération », « troisième génération » ou « issues de l’immigration portugaise » pour décrire la diversité des situations parmi les enfants de Portugais ayant un jour migré en France. Certains d’entre eux sont partis en France en même temps que leurs parents ; d’autres, élevés par leurs grands-parents, les y ont rejoints par la suite ; d’autres, encore, ont fait plusieurs aller-retour entre les deux pays au gré de la situation du couple parental (Domingues dos Santos, 2010).
  • [7]
    Les villages du nord du Portugal n’ont bien sûr rien d’une réalité homogène, certains ayant perdu la quasi-totalité de leurs habitants quand d’autres conservent leur dynamisme ou bénéficient des politiques de développement du tourisme rural. Voir, à ce sujet, Callier-Boisvert (1999).
  • [8]
    Dans une étude historique qui a fait date, Caroline Brettell avait du reste déjà clairement établi l’importance des stratégies individuelles et des effets sur les villages du Portugal qu’avait produite, dès le XVIIIe siècle, l’émigration vers le Brésil (Brettell, 1986).
  • [9]
    Les diplômés de l’enseignement supérieur ne représentent néanmoins qu’à peine plus de 10% des Portugais ayant émigré avec la crise, contrairement à l’idée largement répandue au Portugal d’une « fuite des cerveaux ». L’écho suscité par ce thème doit largement aux médias qui s’appuient pour le relayer sur les résultats de recherches sur l’« émigration qualifiée », beaucoup mieux financées que celles sur d’autres formes d’émigration sans pour autant toujours répondre à des critères de scientificité indiscutables. On peut lire à ce propos Gomes (2015), Lopes (2014) et le compte-rendu critique que Pereira donne de ce dernier ouvrage (Pereira, 2015).
  • [10]
    Dans une enquête par entretiens auprès de Portugais âgés de vingt-cinq à cinquante-cinq ans résidant à l’étranger, Correia a également montré que la grande majorité d’entre eux — vingt-sept sur trente-deux très exactement — ne pensaient revenir vivre au Portugal, en raison principalement du meilleur niveau de vie qu’ils avaient atteint en émigrant (Martins, 2015).
  • [11]
    Si le gouvernement d’António Costa a annoncé, fin août 2018, des mesures fiscales favorables pour inciter au retour les migrants qualifiés ayant émigré au cours de la période 2010-2015, il est encore trop tôt pour en savoir les effets sur ce flux migratoire.
  • [12]
    Sur cette question, voir notamment Poinard (1983), ainsi que Domingues dos Santos et Wolf (2010).
  • [13]
    On lira notamment sur ce point une enquête sociologique récente sur les jeunes nés autour de 2000 (Ferreira, Costa Lobo, Rowland et Rodrigues Sanches, 2017). Ce travail, résultat d’une enquête par questionnaires, montre minutieusement les effets de la crise économique et le contraste entre les représentations et les pratiques de ces jeunes avec celles des générations ayant grandi après la Révolution des Œillets.
  • [14]
    Santo a également montré que, sans changer la condition d’immigré des Portugais, l’attribution de la citoyenneté européenne était venue renforcer leur place au sein des hiérarchies différenciant les populations immigrées en France (Santo, 2013).
  • [15]
    Dans son étude sur un hameau de Trás-os-Montes, O’Neill a relevé ce moment où, avec l’émigration, l’argent a remplacé la terre comme indicateur du statut socio-économique (O’Neill, 1989 : 63).
  • [16]
    Entretien avec José Pereira, quatre-vingt-trois ans, ancien gérant d’agence bancaire à Macedo de Cavaleiros, 8 août 2015.
  • [17]
    Ibid.
  • [18]
    En août 2018, après une importante mobilisation et l’arrivée d’un gouvernement de gauche, des négociations s’étaient néanmoins engagées entre les différentes parties, et les émigrants trompés par la Banque Espírito Santo pouvaient désormais espérer récupérer au moins une partie de l’épargne placée.
  • [19]
    L’analyse économique donne une vision beaucoup moins tranchée de l’entrée du Portugal dans l’Union européenne, et plus particulièrement dans la zone euro. Le remplacement de l’escudo par l’euro a certes coïncidé avec le début d’une décennie de faible croissance et de divergence avec l’Union européenne, mais l’appartenance du Portugal à la zone euro a également contribué à protéger son économie. Voir à ce sujet Aguiar-Contraria, Alexandre et Correia de Pinho (2012).
  • [20]
    Voir Beauchemin, Lagrange et Simon (2015).
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