Notes
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[1]
Des données plus récentes sur le nombre d’unités d’accueil et leur évolution sont semble-t-il non disponibles (Lang et Sorre, 2017).
-
[2]
Dans cette présentation, nous nous référons principalement au travail de Kleinholt (2008).
-
[3]
Ce point fait d’ailleurs l’objet de la circulaire de 1986 qui rappelle que : « les élèves étrangers qui sont nés ou arrivés très tôt en France et dont les difficultés, qu’il s’agisse d’une insuffisante maîtrise de la langue écrite ou d’insuffisances dans d’autres matières fondamentales, doivent être traitées dans le même cadre que les difficultés analogues des élèves français ».
-
[4]
Reconstituées rétrospectivement à partir du « stock » des immigrés vivant en France en 2008, les entrées (des flux) ne comptabilisent pas les décès intervenus entre temps et les « remigrations » c’est-à-dire les retours dans les pays d’origine ou plus simplement les départs de France.
-
[5]
Tous les graphiques et tableaux de l’article proviennent de l’enquête Trajectoires et Origines (INED-INSEE, 2008).
-
[6]
Dans l’ensemble de la population des dix-huit à soixante ans, les pourcentages sont respectivement de : 25 % de positions socioprofessionnelles supérieures et intermédiaires ; 24 % d’indépendants ; 50 % d’employés et ouvriers, dont 14 % de non qualifiés (source : TeO).
-
[7]
Les niveaux scolaires des parents sont codés sur la base des nomenclatures françaises des diplômes et non selon la position scolaire relative au pays d’origine. Cette deuxième méthode serait plus rigoureuse et satisfaisante (Ichou et Goujon, 2017), mais elle n’est pas immédiatement disponible dans la source.
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[8]
42 % dans l’ensemble de la population des dix-huit à soixante ans (source : TeO).
-
[9]
Ce dont semblent attester les taux relativement élevés de fréquentation des classes adaptées par ces publics scolaires. Cf. infra.
-
[10]
Selon l’enquête TeO.
-
[11]
Les différences d’orientation scolaire après le collège sont significatives statistiquement : calculée à partir des données non pondérées (échantillon), la probabilité d’un indice Khi-deux valant 28.4 selon une loi Khi-deux à quatre 4 degrés de liberté est légèrement inférieure à 0.0001.
-
[12]
La circulaire de 2012 insiste, une fois de plus, sur cet objectif majeur qui semble difficile à réaliser depuis cinquante ans. Dans le document on parle non plus d’intégration, mais d’inclusion : « L’inclusion dans les classes ordinaires constitue la modalité principale de scolarisation. Elle est le but à atteindre, même lorsqu’elle nécessite temporairement des aménagements et des dispositifs particuliers ».
-
[13]
La notion de discrimination institutionnelle, comme celle plus usitée de racisme institutionnel, se distingue des discriminations directes et individuelles en mettant l’accent sur les pratiques des organisations ou des institutions. Les discriminations institutionnelles sont généralement insidieuses (non manifestes) et renvoient à l’application des règles et tout autant aux pratiques, aux routines des institutions et de leurs agents.
-
[14]
Selon l’enquête TeO.
1Ces dix dernières années, la venue d’enfants roumains et bulgares dits « Rroms » ou de mineurs non accompagnés parmi les migrants arrivant en Europe par voie terrestre ou maritime a soulevé la question de l’accueil et du droit à la scolarisation pour tous dans le système éducatif français, quelle que soit la situation légale et administrative des enfants et des familles. Cette question de la scolarisation des enfants ou adolescents étrangers nouvellement arrivés s’est introduite dans le débat parlementaire en étant désormais abordée dans de nombreux rapports, comptes-rendus de commissions, ou dans des questions posées lors des débats de l’Assemblée nationale ou du Sénat.
2Dans le système scolaire français, il existe depuis un demi-siècle des dispositifs d’accueil à vocation temporaire qui sont destinés aux enfants ou adolescents étrangers non francophones ou maîtrisant mal le français. Ces dispositifs de transition, qui visent prioritairement et cela depuis l’origine à une insertion des élèves concernés dans les classes et les cursus ordinaires par une maîtrise suffisante du français et l’acquisition d’un habitus scolaire élémentaire, ont pris des noms différents et ont évolué au fil des années et des différentes circulaires qui en ont précisé les objectifs et le fonctionnement. Implantées dans les écoles primaires, les collèges et les lycées, les classes d’intégration ou d’accueil renommées unités pédagogiques en 2012 constituent un instrument clé de la politique d’intégration à caractère scolaire et plus largement d’ordre culturel des migrants dans la société d’accueil.
3Les arrivées des enfants nés à l’étranger ont eu tendance à diminuer ou à stagner entre 1980 et 1990, mais elles augmentent continuellement depuis. Cette augmentation sensible des élèves allophones et leur scolarisation dans les dispositifs pour non-francophones a eu pour corolaire une multiplication des structures d’accueil dans les établissements. Dans l’enseignement primaire, en incluant les DOM, le nombre d’unités d’initiation est passé ainsi de 893 en 1994-1995 à 1 137 en 2002-2003 et dans le secondaire de 464 en 1996-1997 à 762 en 2002-2003, selon un rapport de L’IGEN-IGAENR de 2009 [1].
4Cet article se base sur les données de l’enquête statistique Trajectoires et Origines — TeO — (INED et INSEE, 2008) dans les résultats et analyses sont parus en 2015 (Beauchemin, Hamel et Simon, 2015). Il s’agit d’une des rares sources qui apporte des informations à l’échelle nationale, mais de nature rétrospective, sur les trajectoires scolaires et les niveaux de diplôme des migrants nés à l’étranger et arrivés dans l’enfance en France puis scolarisés dans le système français (cf. Encadré 1).
5Après un bref rappel de l’évolution des dispositifs d’accueil, nous présenterons les principales caractéristiques sociodémographiques des migrants arrivés en France avant l’âge de la fin de scolarité obligatoire parmi les immigrés âgés de dix-huit à soixante ans qui vivaient dans le pays à la date de l’enquête TeO (2008).
6Nous indiquerons ensuite les éléments les plus saillants qui caractérisent les parcours scolaires et les niveaux de diplôme atteints par cette fraction de la population immigrée arrivée en France au cours de l’enfance ou de l’adolescence. Nous prendrons appui sur les enseignements d’une étude antérieure réalisée à partir des mêmes sources (Moguérou, Brinbaum et Primon, 2015) et nous porterons une attention particulière au passage des migrants arrivés en cours de scolarité dans les différents dispositifs d’accueil pour élèves primo-arrivants ou allophones (classe relais, CLIN, CLA, etc.), mais aussi dans les classes de l’enseignement adapté ou de préapprentissage de type SES, SEGPA, CPA, CPPN, etc. (cf. Encadré 2). Nous nous demanderons si les élèves qui ne maîtrisaient pas ou peu le français à leur arrivée en France ont pu fréquenter les dispositifs d’accueil spécifiques. Nous chercherons également à savoir dans quelle mesure il existe (ou pas) une surreprésentation statistique des enfants migrants dans les classes adaptées, non destinées à ce public a priori, mais aux enfants en grande difficulté scolaire et/ou porteurs de handicaps. Il y a une vingtaine d’années analysant la scolarisation des enfants d’immigrés, Vallet et Caille (1996) ont fait valoir que la probabilité de placement en SES plutôt que dans une classe de sixième ordinaire des enfants nés à l’étranger et arrivés en cours de scolarité était nettement plus fréquent que pour les autres élèves. Rétrospectivement, retrouvons-nous une forme analogue de relégation des enfants migrants vers les classes adaptées ? Et si oui, devons-nous y voir la matérialisation de pratiques discriminatoires ?
7Dans la dernière partie du texte, nous nous intéresserons à l’expérience scolaire des élèves migrants telle qu’elle est subjectivement rapportée à partir de questions sur les traitements scolaires favorables ou défavorables qu’ils auraient vécus.
1. Lorsqu’une personne a débuté sa scolarité à l’étranger, il lui est demandé de renseigner la classe dans laquelle elle a été inscrite à son arrivée en France : « classes de l’enseignement adapté (type SES, SEGPA, EREA, CLIS, UPI, ULIS) ou de préapprentissage (CPA, CPPN, CLIPA) » ainsi que les « classes d’accueil spécifiques pour les étrangers ».
2. Lorsque les personnes sont arrivées en France de l’étranger et en cours de scolarité obligatoire sans avoir déclaré la fréquentation d’une classe de préapprentissage, de l’enseignement adapté ou d’accueil pour étranger comme première classe d’inscription dans le système français, il leur est demandé d’indiquer si « à leur arrivée, elles étaient allées dans une classe spéciale ou si elles avaient suivi des cours ou classes spécifiques pour les élèves non francophones ou nouveaux arrivants ».
3. Enfin, à l’ensemble des répondants, il était demandé de préciser si « au cours de leur scolarité primaire ou secondaire, ils avaient fréquenté une classe spécifique ou adaptée comme une classe de transition, d’adaptation, une CPPN, une SEGPA ».
Les structures d’accueil en milieu scolaire
8On date généralement du milieu des années 1960 le début de l’histoire des dispositifs d’accueil spécifiques aux enfants étrangers ou migrants dans le système éducatif français (Zirotti, 1989 ; Lazaridis, 2001). Les initiatives sont d’abord locales et dispersées prenant la forme de regroupements d’enfants étrangers dans des classes dans le but de favoriser leur apprentissage du français. Ces expériences ont été officialisées en 1970 avec les premières mesures ministérielles qui institutionnalisent les classes expérimentales d’initiation pour enfants étrangers qui deviendront les classes d’initiation (CLIN) et les cours de rattrapage intégré (CRI). Ces classes destinées aux élèves non francophones devaient favoriser l’acquisition de l’usage du français en vue d’une intégration ultérieure (et rapide) dans le milieu scolaire ordinaire. Dans l’enseignement secondaire, les classes d’initiation se nommeront classes d’accueil à partir de 1973 (CLA). Depuis lors, plusieurs textes ont encadré ces dispositifs qui ont sensiblement évolué et se sont développés.
9La dernière circulaire qui régit les structures d’accueil des enfants ou adolescents migrants date de 2012. Elle annonce la création des UPE2A (unité pédagogique pour élèves allophones arrivants) qui succèdent aux CLIN du primaire et aux CLA du secondaire. Le nouveau dispositif se veut plus souple et inclusif afin d’éviter la mise à l’écart et l’enfermement des élèves dans les classes spécifiques. Le texte ne parle plus de primo-arrivants, de nouveaux arrivants, de non-francophones, mais d’élèves allophones, même si dans le vocabulaire institutionnel de l’éducation nationale l’acronyme ENAF désignant les « élèves nouvellement arrivés en France » est toujours en usage. La circulaire de 2012 se veut conforme au code de l’éducation qui garantit à tous les enfants le droit à une formation scolaire et qui prévoit que « des actions particulières (soient) prévues pour l’accueil et la scolarisation des élèves non francophones nouvellement arrivés en France » en ses articles L. 321-4 et L. 332-4 concernant respectivement les premiers et seconds degrés de l’enseignement. Il est à souligner que ces deux articles visent également les aménagements pour les élèves en difficulté ou précoces et l’on verra par la suite que dans la réalité scolaire tous ces publics sont parfois confondus. En outre, les motifs et l’esprit de la circulaire de 2012 sont toujours inspirés du schème politique de l’intégration en considérant ouvertement l’école comme un instrument de l’intégration sociale, culturelle puis professionnelle des allophones. Comme on le sait, depuis la seconde moitié des années 1980, la notion d’intégration est devenue le maître mot de la pensée d’État à l’égard des immigrés et de leurs enfants avec pour visée une mise aux normes des cultures d’origine, autrement dit de la langue, des croyances, des valeurs que ces cultures sont censées véhiculer — comme le stipulait le premier rapport du Haut conseil à l’intégration (HCI, 1991). En ce sens, on peut mettre en regard ce dispositif reposant sur l’enseignement du français en tant que langue de scolarisation avec celui favorisant l’enseignement des langues et cultures d’origine (ELCO) souvent perçu comme faire-valoir des différences culturelles et du multiculturalisme (Lazaridis, 2001 ; Seksig, 1990).
10Si l’existence de ces dispositifs spécifiques et des aménagements qu’ils induisent ne sont généralement pas contestés, en revanche plusieurs analyses attestent que par le passé l’application de ces mesures dans les établissements a été problématique (Lazaridis, 2001) et que de nombreuses résistances à l’intégration des enfants migrants allophones dans les filières ordinaires ont existé parmi les acteurs scolaires et à l’intérieur des établissements ou parmi les parents d’élèves. Des exemples existent de mobilisations de parents et d’élus politiques pour ne pas scolariser les enfants nés à l’étranger voire pour empêcher la mise en place de structures d’accueil dans les établissements. Dans le primaire, l’inscription dans les écoles à proximité du lieu de résidence est parfois rendue momentanément impossible dans certaines communes par des maires qui prétextent l’absence de pièces justificatives (Lang et Sorre, 2017), nécessitant très souvent l’intervention d’associations de soutien aux migrants pour rendre le droit à l’éducation effectif. Les parents des élèves concernés peuvent aussi s’opposer à la scolarisation dans les dispositifs d’accueil, en raison par exemple du trop grand éloignement de l’établissement scolaire de rattachement (Mendoça Dias, 2016). Il en résulte que les délais d’inscription dans le système scolaire peuvent se compter en mois.
11L’objectif de ces mesures était initialement celui d’une intégration rapide dans le système scolaire ordinaire avec pour visée de ne pas exclure les élèves concernés de l’ensemble de la communauté scolaire. Or, à l’usage, il est apparu que certains enfants pouvaient avoir été maintenus plusieurs années durant dans des structures censées les accueillir pour un an maximum (Cortier, 2007). Différents auteurs ont pu noter que parfois les classes d’accueil ont été fréquentées par des élèves francophones parfois même nés en France [3]. Autre dérive de ces dispositifs : les redoublements. Ainsi, un suivi de cohorte d’élèves en sixième et cinquième en classe d’accueil dans l’Académie de Bordeaux montre que certains élèves ont pu rester jusqu’à 4 ans dans les classes d’accueil avec comme double effet un gel des places dans des dispositifs déjà en situation de pénurie et un éloignement du système ordinaire (Schiff et Fouquet-Chauprade, 2007).
12Une autre pratique peu équitable a été relevée : dès la sortie des classes d’accueil, des élèves se trouvent orientés dans des classes destinées aux élèves en difficulté scolaire ou présentant des déficiences intellectuelles et en situation de handicap (type SEGPA et EREA pour les premiers, CLIS et ULIS pour les seconds), sans nécessairement l’être eux-mêmes (Lorcerie, 2003). L’enquête de cohorte de Bordeaux montre que 20 % des primo-arrivants ont été orientés vers les unités localisées pour l’inclusion scolaire (ULIS, ex-UPI : Unité pédagogique d’intégration) destinées aux handicapés moteurs ou aux élèves souffrant de troubles graves du comportement (Schiff et Fouquet-Chauprade, 2007). Dans le même sens, par le passé, le placement des enfants migrants dans des classes de type « Sections d’éducation spécialisées » (SES), « Sections d’enseignement général et professionnel adapté » (SEGPA) ou troisième d’insertion destinées aux élèves handicapés ou en grande difficulté scolaire, voire dans des Unités pédagogiques d’intégration (UPI) dévolues aux jeunes atteints d’un handicap moteur, mental, visuel ou auditif, a été observé dans les analyses de panels d’élèves du ministère. Ainsi, à l’occasion de l’étude statistique de la scolarisation des enfants d’immigrés à partir du panel national des élèves inscrits en sixième en 1989, Vallet et Caille (1996) ont analysé l’orientation différentielle vers les Sections d’enseignement spécialisé (SES) du second degré des enfants nés à l’étranger et arrivés en cours de scolarité. Ils concluaient qu’à caractéristiques sociales et familiales semblables les enfants d’immigrés dans leur ensemble (nés en France ou à l’étranger) n’avaient pas été plus fréquemment orientés vers ces structures spécialisées en comparaison avec les enfants non issus de l’immigration. Cependant, ils signalaient une exception notable : celle des enfants nés à l’étranger arrivés en France en cours de scolarité, autrement dit les enfants migrants. Dans leur cas, le placement en SES était nettement plus fréquent que pour les autres élèves, « toutes choses égales par ailleurs ». En effet, le fait d’avoir été scolarisé au moins une année hors du système français augmentait significativement la probabilité de placement en SES plutôt que dans une classe de sixième ordinaire.
13Les modes de comptage ayant évolué dans les statistiques ministérielles, en particulier lors de la transformation des CLIN en UPE2A (DEPP, 2017), les statistiques ne sont malheureusement pas toujours comparables dans le temps. Mais depuis plus de 10 ans, tout porte à croire que le nombre d’élèves primo-arrivants augmente. Ainsi dans le primaire l’effectif des élèves allophones nouvellement arrivés s’élevait à 17 350 en 2009-2010 contre 20 800 en 2012-2013. En 2014-2015, les services du ministère de l’Éducation nationale recensaient un peu moins de 50 000 élèves allophones scolarisés dans le système éducatif pour la seule France métropolitaine : 24 000 en primaire, 21 000 au collège et 4 600 en lycée. Parmi ces élèves, le taux de bénéficiaires d’un soutien de type UPE2A s’élevait globalement à 86,8 %, mais avec des variations de grande amplitude selon les régions ou les académies. Le taux pouvait atteindre 99,5 % dans l’académie de Paris ou 96,5 % dans celle de Grenoble où l’on dénombrait respectivement 926 et 1505 élèves allophones en 2014-2015 contre 57,5 % dans l’académie de Limoges qui comptait 195 élèves. Une preuve, s’il en fallait, que l’accueil des élèves étrangers en dépit des circulaires censées encadrer les dispositifs et les pratiques est loin d’être uniforme et reste encore étroitement dépendant du pilotage local (Fouquet-Chauprade, 2008).
Les caractéristiques sociodémographiques des enfants migrants
14L’enquête TeO permet, malgré ses biais (cf. Encadré 1), de décrire les caractéristiques sociodémographiques des migrants arrivés avant l’âge de seize ans révolus et de retracer l’histoire des migrations enfantines et adolescentes.
15Selon la définition statistique proposée par le HCI en 1991, ces personnes font partie de la population immigrée, c’est-à-dire des individus qui vivent en France en étant nés étrangers à l’étranger. Pour les démographes, ils constituent la génération 1.5 qui se compose des personnes socialisées dans la société d’accueil. Rumbaut (2004), connu pour ses recherches sur les modes d’inclusion des générations immigrées aux États-Unis, propose même de distinguer, selon l’âge d’entrée dans le pays d’immigration, la génération 1.75 qui est arrivée avant l’âge de la scolarisation primaire (six ans) des arrivées adolescentes plus tardives intervenues entre treize et seize ans et qualifiée de génération 1.25 ; la génération 1.5 formant le groupe intermédiaire. En s’inscrivant dans la perspective d’une acculturation des populations concernées, la numération des générations issues des immigrations vise donc à graduer la plus ou moins grande distance des différentes cohortes à la première génération d’immigrés qui symboliserait, dans cette optique, l’extranéité.
16Tout d’abord rappelons que les enfants nés à l’étranger qui sont arrivés en France avant l’âge de dix-sept ans que nous nommerons dans le texte « enfants migrants » ou « enfants ou adolescents migrants », et communément appelés « primo-arrivants », « nouveaux arrivants » « primo-migrants » dans la littérature scientifique et les statistiques scolaires, représentent à la date de l’enquête (2008) pas moins de 30 % des immigrés âgés de dix-huit à soixante ans. D’après nos données, plus de la moitié ont migré après l’âge de la scolarisation obligatoire (six ans), six ans étant l’âge médian à la migration pour ces enfants et adolescents.
17Telles qu’il est possible de les saisir rétrospectivement à partir des immigrés qui vivent toujours en France métropolitaine [4], les arrivées se sont étalées entre 1948 et 2005 dans des contextes historiques et socio-économiques souvent très différents. De plus, les observations sur la migration ou la scolarisation des enfants ou adolescents dans l’enquête TeO valent surtout pour la période antérieure à la décennie 1990, car seuls les immigrés adultes de dix-huit ans et plus ont été enquêtés, avec pour conséquence une absence de données sur les migrants nés après 1990.
18Ainsi, plus du tiers (36 %) des immigrés ayant migré en étant enfants ou adolescents ont découvert la France avant les années 1970 ; autrement dit au cours d’une période où les dispositifs d’accueil de non-francophones n’étaient pas encore institutionnalisés et peu développés. Au cours de ces années (1949-1970), plus de la moitié (54 %) sont arrivés avant l’âge de la scolarité obligatoire (six ans), alors qu’ils ne sont plus que 39 % parmi ceux ayant migré dans les années 1980 (cf. Graphique 1). Entre temps les politiques migratoires ont considérablement changé et les pays ou régions de provenance des migrants se sont diversifiés.
Graphique 1 : Répartition (en %) selon l’âge d’entrée en France et la période d’arrivée des immigrés
Graphique 1 : Répartition (en %) selon l’âge d’entrée en France et la période d’arrivée des immigrés
Champ : Immigrés arrivés avant 17 ans ayant terminé leurs études initiales et âgés de 18 à 60 ans au moment de l’enquête (en 2008).Lecture : Chez les immigrés âgés de 18 à 60 ans arrivés en France enfants ou adolescents entre 1949 et 1970, 54 % avaient moins de 6 ans à leur arrivée.
20On retrouve la trace de ces changements historiques dans les données de l’enquête : parmi les migrations anciennes en provenance d’Italie et d’Espagne, mais aussi du Portugal et dans une certaine mesure d’Algérie plus de la moitié des migrants sont arrivés avant l’âge de six ans (respectivement : 59 %, 50 % et 47 %), alors que la part des migrants en âge préscolaire chute à 29 % dans les migrations plus récentes originaires des pays d’Afrique centrale et du golfe de Guinée ou à un tiers dans celles des pays d’Afrique sahélienne (35 %) ou d’Asie du Sud-Est (32 %) (cf. Graphique 2).
Graphique 2 : Répartition (en %) selon l’âge d’entrée en France et le pays d’origine des immigrés
Graphique 2 : Répartition (en %) selon l’âge d’entrée en France et le pays d’origine des immigrés
Champ : Immigrés arrivés avant 17 ans ayant terminé leurs études initiales et âgés de 18 à 60 ans au moment de l’enquête (en 2008).Lecture : Chez les immigrés âgés de 18 à 60 ans d’origine algérienne arrivés en France enfants ou adolescents, 47 % étaient âgés de moins de 6 ans à leur arrivée.
22Les données TeO constituent des données de stock et ne permettent donc pas de reconstituer fidèlement les flux d’entrées aux différentes époques. Mais on peut cependant noter que l’arrivée des enfants migrants semble s’être tarie au cours de la période 1990-2008 en comparaison avec les entrées des années 1970 et 1980 (10 % vs 26 % et 28 %). On retrouve ainsi l’importance des entrées d’enfants et d’adolescents au cours des années 1970 relevée dans les recensements et les données administratives (Thierry et Eremenko, 2009 ; Eremenko, 2015).
Les parents agriculteurs ;
Les parents artisans et commerçants ou chefs d’entreprise ;
Les parents de professions supérieures et intermédiaires ;
Les parents employés et ouvriers qualifiés bi-actifs ;
Les parents employés et ouvriers qualifiés dont un est inactif ;
Les parents employés et ouvriers non qualifiés bi-actifs ;
Les parents employés et ouvriers non qualifiés dont un est inactif.
23Toujours selon les données de TeO, les enfants migrants appartiennent à des familles de milieux sociaux très modestes où les professions de cadres supérieurs ou intermédiaires (12 %) et même d’indépendants (9 %) sont rares alors que les ménages de travailleurs non qualifiés — ouvriers ou employés non qualifiés — représentent le tiers des familles (32 %) [6]. Au total, les ouvriers et employés, qu’ils soient des travailleurs qualifiés ou non, représentent les trois quarts (75 %) des origines sociales familiales (cf. Graphique 3). On observe également que, parmi les parents de milieux populaires (employés et ouvriers), les couples bi-actifs sont moins fréquents que ceux où un seul des parents travaille.
Graphique 3 : Répartition (en %) selon l’origine sociale des immigrés
Graphique 3 : Répartition (en %) selon l’origine sociale des immigrés
Champ : Immigrés arrivés avant 17 ans ayant terminé leurs études initiales et âgés de 18 à 60 ans au moment de l’enquête (en 2008).Lecture : Chez les immigrés âgés de 18 à 60 ans en 2008 et arrivés en France enfants ou adolescents, 22 % sont d’origine sociale ouvrière et employée non qualifiée avec un seul parent actif.
25Chez les migrants venus enfants ou adolescents, l’absence de diplôme des parents est plutôt la norme avec 66 % de non-diplômés pour seulement 16 % de parents titulaires du baccalauréat ou d’un diplôme supérieur [7]. Les familles sont également de grande taille, avec 70 % des enfants migrants appartenant à des unités familiales composées d’au moins quatre enfants [8]. À l’âge de la scolarisation, les familles monoparentales ou d’une autre configuration que celles composées du seul couple parental et des enfants sont relativement nombreuses (28 %), en particulier parmi les enfants qui ont migré en étant âgés de douze à seize ans (48 %).
26Dans les familles, l’usage du seul français comme langue de communication est peu fréquent (6 % des répondants) et la norme linguistique serait plutôt de ne parler que des langues étrangères (58 %). Néanmoins 37 % des répondants déclarent un usage familial de plusieurs langues, dont le français.
Les parcours scolaires
27La comparaison des parcours scolaires des immigrés nés à l’étranger, mais éduqués et scolarisés en France et des descendants d’immigrés nés en France, aux personnes de la population majoritaire (enfants de natifs) a été étudiée ailleurs (Moguérou, Brinbaum et Primon, 2016), mais en ne considérant que la population âgée de dix-huit à trente-cinq ans. Dans les lignes qui suivent, nous analyserons, dans un premier temps, le placement des migrants arrivés avant dix-sept ans et âgés de dix-huit à soixante ans en 2008 dans les dispositifs d’accueil destinés aux élèves « primo-arrivants » en tenant compte de l’âge d’accès au système éducatif français. Puis, dans un second temps, nous examinerons les orientations à l’issue du collègue et les diplômes obtenus en fin de formation initiale.
28L’enquête TeO comporte des questions sur la fréquentation des classes pour les élèves non francophones ou les nouveaux arrivants et sur la fréquentation des classes de l’enseignement adapté (cf. Encadré 1). L’affectation dans les classes d’accueil est en principe réservée exclusivement aux enfants de migrants arrivés en France après l’âge de la scolarité obligatoire alors que le placement en classe adaptée concerne toutes les catégories d’élèves qu’ils soient immigrés ou non. En moyenne, 7 % de la population âgée de dix-huit à soixante ans scolarisée dans le système français a fréquenté les classes adaptées.
29Le tableau 1 nous renseigne sur l’admission respective dans les deux dispositifs. On relève tout d’abord que les enfants et adolescents migrants sont loin d’avoir tous été pris en charge ou traités de manière spécifique à leur arrivée dans le système scolaire, puisque 75 % d’entre eux déclarent avoir été inscrits uniquement en classe ordinaire. L’inscription dans des dispositifs d’accueil pour étrangers non francophones concerne moins de la moitié des enfants migrants et varie sensiblement selon l’âge d’arrivée : 19 % chez les migrants arrivés entre six et onze ans ; 39 % de ceux venus entre douze et seize ans ; mais aucun de ceux entrés en France avant six ans. Outre l’oubli de la fréquentation de telles structures dans les déclarations à l’enquête, deux hypothèses alternatives sont susceptibles d’expliquer cette situation :
30- En premier lieu, à l’âge de leur scolarisation, ces migrants ont pu être jugés suffisamment à l’aise en français et scolarisés d’emblée dans des classes ordinaires. Dans les questions de l’enquête TeO sur la pratique des langues (Condon et Régnard, 2010), seuls 20 % des immigrés arrivés enfants ou adolescents ont déclaré qu’ils maîtrisaient « bien » ou « très bien » le français à l’oral à leur entrée en France et 22 % à l’écrit. Rétrospectivement, la majorité des immigrés venus avant dix-sept ans estime donc être arrivée avec une maîtrise insuffisante du français. Parallèlement, plus de 60 % des immigrés arrivés après six ans affirment qu’ils communiquaient en français avec leurs parents dans une langue étrangère contre 40 % de ceux arrivés avant six ans. Ainsi, en se fiant aux déclarations des intéressés, une proportion bien plus conséquente d’enfants et de jeunes migrants aurait dû être prise en charge et placée dans les dispositifs scolaires dédiés, car maîtrisant insuffisamment le français.
31- L’autre hypothèse prend appui sur les enquêtes de terrain et les monographies d’établissement (cf. supra) : faute de classes spécifiques dans les établissements (en particulier dans les anciennes générations) ou de places disponibles dans les classes d’accueil, certains élèves ont été inscrits dans les filières ordinaires ou relégués dans les classes de l’enseignement adapté [9]. Comme on peut le voir dans le tableau 1, la fréquentation des classes adaptées, qui ne sont a priori pas spécifiques aux enfants migrants et qui n’ont scolarisé que 7 % de la population des dix-huit à soixante ans a affecté 15 % des migrants arrivés en France avant dix-sept ans, mais jusqu’à 20 % de ceux venus entre douze et seize ans révolus. Les enfants migrants apparaissent donc surreprésentés dans les classes adaptées et ils le sont d’autant plus que leur arrivée en France est tardive.
Tableau 1 : Fréquentation des classes d’accueil pour non-francophones et des classes d’adaptation selon l’âge et le lien à la migration (en %)
Tableau 1 : Fréquentation des classes d’accueil pour non-francophones et des classes d’adaptation selon l’âge et le lien à la migration (en %)
Champ : Immigrés arrivés avant 17 ans ayant terminé leurs études initiales et âgés de 18 à 60 ans au moment de l’enquête (en 2008).Lecture : 11 % des immigrés venus en France avant l’âge de 6 ans ont fréquenté les classes d’adaptation.
33Ces chiffres témoignent très certainement de ce que, faute de disposer de classes d’accueil dans les établissements ou de places suffisantes dans ces structures, certains élèves ont pu être placés dans les structures destinées aux élèves en très grande difficulté plutôt qu’en milieu ordinaire. Par le passé, il n’était pas rare d’observer également dans les enquêtes locales une résistance des équipes enseignantes à la scolarisation des enfants migrants dans des classes ordinaires déjà surchargées ou peuplées d’élèves affichant des difficultés d’apprentissage (Zirotti, 1978 et 1979 ; Schiff, 2003 ; Lanier, 2016).
34Nos données (tableau 1) attestent que la fréquentation des classes d’accueil d’une part et des dispositifs de l’enseignement adapté d’autre part concordent fréquemment puisque de 7 % à 14 % des migrants arrivés en cours de scolarité obligatoire ont fréquenté ces deux types de structures.
Tableau 2 : Orientation en fin de collège, obtention du baccalauréat et accès à l’enseignement supérieur des immigrés venus enfants ou adolescents âgés de 18-60 ans en 2008 (en %)
Tableau 2 : Orientation en fin de collège, obtention du baccalauréat et accès à l’enseignement supérieur des immigrés venus enfants ou adolescents âgés de 18-60 ans en 2008 (en %)
Champ : Immigrés arrivés avant 17 ans, scolarisés entièrement ou partiellement en France, ayant terminé leurs études initiales et âgés de 18 à 60 ans au moment de l’enquête (en 2008).Lecture : Parmi les immigrés venus en France avant l’âge de 6 ans, 39 % ont obtenu leur baccalauréat.
36La question à présent est de savoir si l’âge d’entrée en France a une incidence sur les trajectoires scolaires effectives : orientations à l’issue de la troisième, obtention du baccalauréat, accès à l’enseignement supérieur, puis diplômes obtenus ou absence de titre scolaire au terme des études initiales.
37L’orientation vers l’enseignement long (lycée général ou technologique) à l’issue de la classe de troisième concerne la majorité des dix-huit à soixante ans (55 %) [10], mais un peu moins de la moitié des immigrés arrivés avant l’âge de la scolarité obligatoire en France (46 %). L’arrivée au cours de la scolarité obligatoire diminue les chances d’accéder à l’enseignement secondaire long (cf. Tableau 2). Les élèves arrivés en cours de primaire s’avèrent plus souvent dirigés vers les filières courtes et professionnelles du second cycle du secondaire que vers les filières indifférenciées (47 % versus 42 %) [11]. Quant à ceux arrivés plus tard entre douze et seize ans, ils apparaissent particulièrement vulnérables scolairement : seuls 32 % d’entre eux ont accédé aux filières longues du secondaire alors qu’un sur cinq (20 %) a abandonné sa scolarité avant ou en fin de troisième.
38La part des bacheliers s’avère très inégale selon les sous-populations : 46 % des dix-huit à soixante ans sont titulaires du baccalauréat. Ce pourcentage tombe à 39 % chez les immigrés arrivés avant six ans et seul un quart (26 %) de ceux arrivés tardivement (entre douze et seize ans) ont décroché le sésame à l’issue de leurs études secondaires (cf. Tableau 2). Avoir obtenu le baccalauréat est légèrement plus fréquent avec une arrivée plus précoce (entre six et onze ans), mais reste relativement faible (31 %). L’accès à l’enseignement supérieur suit peu ou prou les mêmes lignes de clivage.
Graphique 4 : Répartition (en %) selon le niveau de diplôme des immigrés
Graphique 4 : Répartition (en %) selon le niveau de diplôme des immigrés
Champ : Immigrés arrivés avant 17 ans, descendants et individus de la population majoritaire, ayant terminé leurs études initiales et âgés de 18 à 60 ans au moment de l’enquête (en 2008).Lecture : Parmi les immigrés venus en France avant l’âge de 6 ans, 19 % n’ont obtenu aucun diplôme.
40En comparant les catégories de population en fin de formation initiale (cf. Graphique 4) de fortes inégalités scolaires apparaissent que mesure un pourcentage élevé de non diplômés parmi les immigrés entrés dans le système scolaire entre six et onze ans ou entre douze et seize ans révolus. Dans ces groupes, on recense respectivement 30 % et 33 % de non-diplômés, soit presque le double que parmi les dix-huit à soixante ans. En contrepartie, le poids des bacheliers ou des diplômés du supérieur apparaît très faible, en particulier parmi les individus nés à l’étranger et venus entre douze et seize ans (cf. Tableau 3). Les migrants arrivés plus jeunes (entre six et onze ans), bien que disposant souvent d’un niveau de formation inférieur à la classe de seconde (36 %), sont un peu plus fréquemment détenteurs d’un diplôme du premier cycle du secondaire (CAP-BEP : 32 %), du baccalauréat (13 %) ou d’un diplôme du supérieur (19 %) que les migrants venus plus âgés. Une arrivée en cours de scolarité obligatoire se révèle pénalisante pour poursuivre des études relativement longues et débouche très fréquemment sur l’acquisition de diplômes professionnels courts (CAP ou BEP), plutôt que du baccalauréat et a fortiori des diplômes du supérieur.
41On observe donc bien des inégalités de trajectoires scolaires et de diplômes à l’issue des études selon l’âge de l’arrivée en France et le niveau d’accès au système scolaire français. Mais, outre l’âge d’entrée existe-t-il d’autres facteurs pouvant entrer dans l’explication des inégalités d’orientation et de diplôme ? En particulier la fréquentation des dispositifs spécifiques aux primo-arrivants ou des classes d’adaptation scolaire n’a-t-elle pas eu une influence sur les trajectoires ?
42Pour répondre à ces questions, nous avons construit des modèles statistiques permettant d’identifier la part respective de différents facteurs dans l’explication de ces inégalités scolaires en prenant pour point de comparaison des descendants d’immigrés (enfants d’immigrés nés en France).
43Dans les résultats (cf. Tableau 3), les immigrés venus après six ans se distinguent très nettement de ceux arrivés en France avant l’âge de début de scolarité obligatoire : une arrivée entre six et onze ans multiplie par 1,8 les risques de sortie du système scolaire sans aucun diplôme et diminue presque d’autant (entre 1,5 et 1,6) les chances d’être orienté dans l’enseignement général ou d’obtenir le baccalauréat. Une arrivée plus tardive (entre douze et seize ans révolus) s’avère encore plus préjudiciable : toutes choses égales par ailleurs, elle compromet très distinctement les chances de suivre les filières longues (OR =0,5) ou d’avoir le baccalauréat (OR =0,4) et multiplie par 3 les risques de n’avoir aucun diplôme. Un âge « tardif » à l’entrée du système scolaire français constitue un facteur pénalisant pour la carrière scolaire qui n’est pas compensé par la fréquentation des classes d’accueil.
44La prise en compte de la période d’arrivée en France semble nous indiquer que les enfants et adolescents arrivés dans les années 1970 ont connu des conditions de scolarisation plus favorables que ceux arrivés plus tard. Les arrivées les plus récentes, dans la période 1991-2008 en particulier, augmentent par deux les risques d’orientation vers les filières courtes et l’échec au baccalauréat. De même, l’origine migratoire des enfants ou adolescents migrants n’est pas neutre en termes de trajectoire scolaire dans le système français : les enfants migrants des pays extérieurs à l’UE auraient plutôt tendance à être plus performants que ceux venus d’autres pays, toutes choses égales d’ailleurs (cf. Tableau 3).
45Un autre enseignement important de ces analyses se rapporte à la fréquentation des classes d’accueil : avoir fréquenté, au cours de la scolarité, une classe d’accueil n’a pas d’influence significative sur l’orientation vers une seconde indifférenciée après le collège ou sur l’obtention du baccalauréat, toutes choses étant égales par ailleurs (cf. Tableau 3). Rétrospectivement, les parcours des élèves de ces dispositifs sont comparables à ceux qui n’ont fréquenté que des classes ordinaires. On peut donc considérer que ces dispositifs jouent leur rôle de compensation. La fréquentation des classes adaptées par les enfants ou adolescents migrants s’avère en revanche pénalisante et ce désavantage est particulièrement marqué lorsque les élèves n’ont pas transité au préalable par les classes d’accueil. Mais le passage par les classes spécialisées ne constitue pas le seul facteur explicatif des trajectoires scolaires : les redoublements au primaire s’avèrent tout aussi pénalisants.
46De même que l’âge ou la période d’arrivée en France, la langue parlée en famille et la maîtrise du français à l’arrivée n’exercent pas d’influence particulière sur les parcours scolaires, une fois pris en compte l’âge et la période d’arrivée en France, ou encore le milieu social d’origine (diplôme et classe sociale des parents). Le niveau scolaire des parents, de même que l’origine sociale, conditionnent fortement le parcours scolaire des enfants migrants : toutes choses étant égales par ailleurs, l’absence de diplôme chez les parents ou le fait d’appartenir aux milieux populaires amenuise sensiblement les chances d’obtenir un baccalauréat tout en augmentant la probabilité de quitter les études sans avoir de diplôme. Mais si ces éléments, que d’aucuns considèrent comme des marqueurs d’un handicap socioculturel ou d’une distance culturelle à la scolarisation en France, conditionnent fortement les trajectoires scolaires, ils n’éliminent pas l’influence respective du passage par les classes adaptées ou de l’âge d’arrivée.
Tableau 3 : Probabilité d’une orientation vers les filières générales ou technologiques après la troisième, d’obtention du baccalauréat ou d’absence de diplôme (modèles logit)
Tableau 3 : Probabilité d’une orientation vers les filières générales ou technologiques après la troisième, d’obtention du baccalauréat ou d’absence de diplôme (modèles logit)
Champ : Immigrés arrivés avant 17 ans, scolarisés entièrement ou partiellement en France, ayant terminé leurs études initiales et âgés de 18 à 60 ans au moment de l’enquête (en 2008).Lecture : Les chances d’une orientation en seconde générale ou technologique après la troisième sont divisées par 0,7 pour les immigrés arrivés entre 6 et 11 ans comparativement à ceux arrivés avant l’âge de 6 ans. Autrement dit, les chances des seconds sont 1,4 fois supérieures à celles des premiers.
Degré de significativité : si p<0,1 =>* ; si p<0,5 =>** ; si p<0,01 =>***
L’hypothèse d’une discrimination institutionnelle
48La transition fréquente pour élèves allophones des classes d’accueil vers des classes spéciales généralement dévolues aux élèves en grande difficulté scolaire soulève la question de l’existence dans les établissements scolaires de pratiques de relégation des enfants migrants pouvant s’apparenter à une forme de discrimination institutionnelle. Les obstacles institutionnels à la scolarisation des enfants migrants aux différentes étapes du cursus ont bien été mis en évidence dans la recherche collective coordonnée par Schiff sur « la non scolarisation, la déscolarisation et la scolarisation partielle des migrants » dans l’enseignement secondaire (Schiff et al., 2004). L’enquête qui a été conduite à la fin des années 1990 et au tournant des années 2000 dans des établissements du secondaire attestait, entre autres, des obstacles fréquemment rencontrés par ces élèves et leurs familles lors de l’inscription dans le système scolaire, puis d’une rétention fréquente des élèves dans les classes d’accueil au-delà d’une année. On y notait également une surorientation des primo-arrivants vers les classes adaptées plutôt que vers les classes ordinaires, en particulier lorsque les élèves avaient accumulé plusieurs années de retard en comparaison de l’âge théorique correspondant à un niveau d’étude donné.
49De nombreuses observations à l’échelon des établissements ou des académies, à l’instar de l’analyse réalisée par Schiff et Fouquet-Chauprade (2011) d’une cohorte d’élèves scolarisés pour la première fois en 1998 en classes d’accueil (N = 1 755) dans les collèges de trois académies (Bordeaux, Paris, Créteil), confirment la surorientation des élèves primo-arrivants vers les classes adaptées ou spécialisées après un passage par les classes d’accueil pour élèves étrangers et non francophones. Dans cette enquête, en dépit d’un respect formel et apparent de la règlementation en vigueur sur l’accueil des élèves primo-arrivants et allophones, les sociologues ont pu constater une résistance des acteurs scolaires à l’intégration de ces élèves en classe ordinaire avec pour prétexte le manque de places dans des classes déjà surchargées des établissements. Dans une des académies étudiées, 20 % des élèves des classes d’accueil auraient ainsi fréquenté à un moment ou à un autre de leur scolarité des UPI (Schiff et Fouquet-Chauprade, 2011). Sur la base de l’analyse du devenir des élèves, les deux chercheuses ont également pu observer une forte hétérogénéité dans le traitement des élèves allophones selon les académies avec, par exemple, un taux de redoublement en classe d’accueil particulièrement élevé dans une des académies ou encore une orientation vers les filières professionnelles courtes bien plus fréquente. Dans le même sens, elle note que les arrêts d’étude cinq ans après la première inscription en classe d’accueil sont très variables d’une académie à l’autre.
50Nos données confirment que, par le passé, les élèves migrants ont davantage fréquenté les classes adaptées que les autres populations scolaires issues de l’immigration (enfants d’immigrés nés en France) et que la population majoritaire. Dans le sillage de l’analyse de Vallet et Caille (cf. supra), nous avons cherché à savoir si le passage par une structure d’accueil augmentait (ou pas) le placement dans une classe adaptée, toutes choses égales par ailleurs. La taille de l’échantillon étant réduite, nous avons limité le nombre de variables et de modalités dans les différents modèles (cf. Encadré 4).
Le premier modèle (M1) ne tient compte que de l’âge d’arrivée en France (avant six ans ; entre six et onze ans ; entre douze et seize ans). Il analyse ainsi la probabilité, pour les migrants venus enfants ou adolescents, d’avoir fréquenté une classe adaptée en fonction de l’âge d’arrivée.
Le deuxième modèle (M2) intègre en plus de l’âge, la période d’arrivée (avant 1971 ; dans les années 1970 ; dans les années 1980 ; entre 1991 et 2008) pour tenir compte des variations dans les politiques d’accueil en fonction de l’histoire migratoire.
Le troisième modèle (M3) introduit l’admission en structure d’accueil (passage ou non par ce type de structure) en plus de l’âge et de la période d’arrivée.
Le quatrième (M4) ajoute aux variables du M3 l’auto-évaluation du niveau en français à l’arrivée en France : aucune maîtrise du français ; une maîtrise partielle ; une très bonne maîtrise à l’écrit et à l’oral ; le français comme langue de référence.
Le cinquième modèle (M5) intègre en plus de toutes les autres variables, des éléments du parcours scolaire antérieur ainsi que les origines migratoires et familiales : redoublement en primaire, âge à la première scolarisation, degré de ségrégation des établissements fréquentés (concentration d’enfants d’immigrés), origine européenne ou extraeuropéenne, origine sociale populaire et niveau de diplôme des parents.
51Le résultat des modélisations montre que les arrivées tardives en France, c’est-à-dire après l’âge légal de la scolarisation (six ans) (M1), augmentent la probabilité d’un passage par les classes adaptées. La différence d’effet mesuré par les odds ratios (OR) entre une arrivée avant l’âge du primaire (six ans) ou pendant (six à onze ans) est toujours statistiquement significative. Et les valeurs d’OR semblent indiquer une tendance à ce que le risque de placement en classe adaptée s’élève avec l’âge d’arrivée : lorsqu’ils sont arrivés entre douze et seize ans, les jeunes migrants ont deux fois plus de risques d’avoir fréquenté une classe spécialisée que les enfants migrants arrivés avant six ans. On peut penser que plus les arrivées sont tardives et plus les enfants ont accumulé du retard. Ainsi, il leur faudrait plus qu’un an pour se mettre à niveau. Mais, faute de places dans les classes spécifiques, et compte tenu de la législation voulant que les classes d’accueil ne soient fréquentées que pour une année, ils seraient orientés vers les classes de l’enseignement adapté.
52En prenant pour référence la décennie des années 1970 (M2), qui concorde avec l’officialisation et la première mise en ordre des dispositifs d’accueil dans le cadre scolaire, les années 1980 semblent avoir été particulièrement propices au placement des enfants migrants dans les classes adaptées. Pour autant, les périodes historiques d’arrivée sur le territoire français et dans le système scolaire en elles-mêmes modulent peu l’influence propre de l’âge d’entrée en France et dans le système scolaire français sur la probabilité de placement en classe adaptée. Dit autrement, l’âge d’entrée dans la scolarisation des enfants migrants semble avoir compté plus que la période d’arrivée dans le risque de placement en classe adaptée.
53Le troisième modèle (M3) permet de tester plus directement l’incidence du passage par les structures d’accueil pour étrangers et non francophones sur la fréquentation des classes adaptées. On découvre alors ce n’est pas tant l’âge d’entrée ou la période d’arrivée qui est associée à l’affectation en classe adaptée que le passage par les dispositifs d’accueil des élèves non francophones. Nos résultats attestent que, dans les parcours scolaires des élèves migrants, l’intégration des structures d’accueil à l’arrivée en France et le placement dans une classe adaptée vont très souvent de pair. Le lien entre les deux expériences de scolarisation est particulièrement fort : le risque d’affectation en classe adaptée est 4,1 fois plus grand pour les élèves admis en structure d’accueil que pour les autres élèves migrants, à âge et période d’arrivée comparables.
54La prise en compte, dans l’analyse statistique, d’éléments relatifs à la maîtrise de la langue française en famille (M4), au parcours scolaire, aux origines sociales ou au diplôme des parents (M5) ne fait pas disparaître l’influence d’une scolarisation en dispositifs d’accueil sur la probabilité d’avoir fréquenté les classes adaptées.
55Au terme de ces analyses, le soupçon quant à l’existence de pratiques ségrégatives et discriminatoires en procédant à la relégation des enfants ou adolescents migrants dans les classes adaptées n’est pas levé. Tout concorde pour considérer qu’historiquement l’admission des enfants migrants dans les structures pour non francophones (CLIN, CLA) s’est accompagnée tendanciellement d’une relégation de ces élèves dans les classes adaptées ou spécialisées des établissements à défaut de pouvoir ou de vouloir les accueillir dans les classes et les filières ordinaires comme le préconisent les textes officiels depuis 1970 [12]. Dès lors, comment qualifier ces pratiques de relégation sinon de « discriminations institutionnelles » [13] ?
Tableau 4 : Passage par les dispositifs d’accueil et probabilité de placement dans les classes adaptées (modèles logit)
Tableau 4 : Passage par les dispositifs d’accueil et probabilité de placement dans les classes adaptées (modèles logit)
Champ : Immigrés arrivés avant 17 ans, scolarisés entièrement ou partiellement en France, ayant terminé leurs études initiales et âgés de 18 à 60 ans au moment de l’enquête (en 2008).Lecture : dans le modèle 1 (M1) la probabilité d’avoir été placé en classe adaptée est par 1,7 fois plus élevée pour les enfants migrants arrivés en France entre que 6 et 11 ans qu’avant l’âge de 6 ans.
Seuil de significativité : si p<0,1 =>* ; si p<0,05 =>** ; si p<0,01 =>***
L’expérience scolaire des enfants migrants
57La prise en considération des conditions objectives de scolarisation des enfants migrants arrivés en cours de scolarité peut laisser à penser que nombre d’entre eux partagent rétrospectivement une expérience subjective plutôt négative de leur passage par le système éducatif français. La « course d’obstacles » (Schiff, 2007 et 2015) qu’ils ont dû parcourir dans le système scolaire français, les attentes et les freins qu’ils ont dû surmonter, les orientations fréquentes vers l’enseignement professionnel, la relégation de nombre d’entre eux vers les classes adaptées, les échecs et le décrochage scolaires, auxquels s’ajoutent des relations parfois conflictuelles et stigmatisantes avec les autres élèves (Schiff, 2007a et 2007b) peut porter à croire que le regard que cette catégorie d’élèves porte sur son passé scolaire s’exercerait sur un mode critique.
58Une des originalités de l’enquête TeO est d’avoir combiné questions factuelles et questions subjectives et introduit dans la partie du questionnaire dédié à la reconstitution du parcours scolaire des questions incitant à déclarer les éventuels traitements différentiels dont les personnes auraient pu faire l’objet au niveau de la notation, de l’orientation, dans les sanctions et la discipline ou dans les interactions verbales. Ces informations ont été amplement analysées pour les descendants d’immigrés nés en France (Brinbaum et Primon, 2013 et 2016) et ont fait apparaître l’expression d’un sentiment d’injustice, voire de discrimination raciste, en particulier dans le domaine de l’orientation scolaire, de la part d’une partie des hommes descendants des immigrations postcoloniales (Afrique du Nord, Afrique subsaharienne, Turquie).
Avec comme réponses possibles : « mieux traité(e) ; pareil ; moins bien traité(e) ».
Les personnes déclarant un traitement différent des autres élèves sont ensuite interrogées sur les critères de différenciation, avec une liste de six motifs : sexe, état de santé ou handicap, couleur de peau, origines ou nationalité, façon de s’habiller, âge et une modalité « autre ».
59En analysant les expériences scolaires des immigrés âgés de dix-huit à soixante ans à la date de l’enquête, les résultats ne concordent pas avec les hypothèses ou les attendus. En effet, 14 % des enfants migrants arrivés à un âge préscolaire (avant six ans) et respectivement 13 % et 11 % de la classe des migrants arrivés à six-onze ans et à douze-seize ans déclarent avoir connu des traitements négatifs à l’école. Or, ce sont ceux qui sont arrivés le plus tard qui expriment le moins ce sentiment d’injustice (-3 points). Pour l’essentiel, c’est l’orientation qui est mise en cause. La part des mécontents s’élève à 16 % parmi les migrants arrivés avant six ans, ou entre six et onze ans, et à 14 % parmi ceux venus entre douze et seize ans.
Tableau 5 : Expérience d’injustice scolaire selon l’origine et l’âge d’arrivée en France pour les immigrés (en %)
Tableau 5 : Expérience d’injustice scolaire selon l’origine et l’âge d’arrivée en France pour les immigrés (en %)
Champ : Immigrés arrivés avant 17 ans ayant terminé leurs études initiales et âgés de 18 à 60 ans au moment de l’enquête (en 2008).Lecture : Parmi les immigrés arrivés avant l’âge de 6 ans, 21 % ont déclaré au moins un traitement défavorable les concernant.
61Ces résultats appellent deux remarques. En premier lieu, les déclarations de traitements défavorables des enfants migrants (20 %) sont sensiblement plus élevées que dans la moyenne de la population des dix-huit à soixante ans (7 %). En second lieu, les enfants migrants qui objectivement rencontrent le plus d’obstacles à la scolarisation et le plus de difficultés scolaires, c’est-à-dire ceux ayant intégré le système au niveau du secondaire et arrivés entre douze et seize ans, ne sont pas ceux qui reportent une expérience des plus négatives, en particulier en matière d’orientation. De la même manière lorsqu’ils sont interrogés sur les causes probables des traitements différentiels dont ils auraient fait l’objet, plus rares sont les anciens élèves âgés de douze et seize ans à leur arrivée dans le système scolaire qui mettent en avant leurs origines géographiques, leur nationalité ou encore leur couleur de peau. Au total, dans nos données, seuls 11 % citent ces critères et assimilent les traitements scolaires dont ils ont fait l’objet à des discriminations racistes. Parmi ceux arrivés plus jeunes, le taux se révèle supérieur : 15 % chez ceux arrivés à six-onze ans et 16 % chez ceux venus avant six ans. Les écarts vont dans le même sens au sujet du racisme vécu à l’école : 18 % des enfants migrants citent une expérience de racisme scolaire ; ils sont 23 % parmi ceux arrivés avant l’âge de six ans, mais seulement 9 % parmi les immigrés arrivés entre douze et seize ans alors que plusieurs enquêtes mentionnent des expériences de stigmatisation des primo-arrivants par les pairs dans les collèges ou les lycées. Lorsque la question de la confiance en l’école leur est posée, ceux arrivés tardivement (entre douze et seize ans) sont 89 % à répondre positivement, taux proche de ceux arrivés entre six et onze ans (90 %) ou plus jeunes encore (88 %).
62Les écarts selon l’âge d’entrée sont en revanche plus élevés en ce qui concerne les interactions verbales. En effet, les enfants arrivés entre six et onze ans et entre douze et seize ans rapportent deux fois plus d’expériences défavorables à cet égard que ceux arrivés avant six ans (respectivement, 7 à 8 % contre 4 %) [14].
63Comment expliquer cette contradiction apparente entre les conditions objectives de scolarisation et l’expérience personnelle reportée par les anciens élèves ? Faut-il voir dans les déclarations des élèves migrants arrivés en étant âgés un défaut de perspective critique ou un excès de conformité envers l’école ? Peut-on lire dans leur point de vue la manifestation d’une illégitimité de la critique envers une institution qui les a accueillis malgré tout et dont ils ont été bénéficiaires bien qu’étant étrangers ? À leurs yeux les difficultés de l’expérience scolaire sont-elles compensées par la satisfaction de l’accomplissement du projet migratoire ? Autre hypothèse : comme le suggèrent certains témoignages de parents (UNAF, 2015), nombre de ces immigrés, qui ont accédé au système scolaire français en cours de route, ont pu avoir une première expérience de l’enseignement dans leur pays d’origine et, partant, apprécier positivement les différences entre les conditions de scolarisation. Quoi qu’il en soit, on retrouve partiellement dans ces réponses la même tendance que dans les déclarations des immigrés adultes face aux injustices et aux discriminations au travail qui s’en plaignent moins que les descendants (Brinbaum, Safi et Simon, 2016 ; Dubet et al., 2014).
Conclusion
64En vue de leur insertion dans les filières ordinaires, ce vieux pays d’immigration qu’est la France peut s’enorgueillir d’avoir institué il y a un demi-siècle des dispositifs destinés aux élèves arrivants de l’étranger et ne maîtrisant pas ou mal la langue de l’école. Les analyses qui précèdent, en proposant un regard rétrospectif sur les parcours et l’expérience scolaires des enfants ou adolescents migrants, attestent cependant des difficultés rencontrées par les élèves arrivés après l’âge de la scolarité obligatoire comme des pratiques plus ou moins délibérées ou conscientes de relégation scolaire de ces élèves, en dépit des principes affichés dans les textes et règlements officiels. L’absence d’une supervision nationale de l’accueil de ces élèves ou d’un suivi statistique régulier de la progression des acquisitions et des scolarités des primo-arrivants a vraisemblablement favorisé la reproduction dans le temps de pratiques discriminatoires telles que l’affectation des élèves primo-arrivants et allophones des classes d’accueil dans les classes adaptées ou spéciales des établissements scolaires ou encore une orientation préférentielle vers les formations professionnelles du second cycle de l’enseignement secondaire.
65L’entrée dans le système éducatif d’élèves allophones après l’âge de la scolarisation obligatoire et plus généralement les mobilités et les migrations internationales des enfants ou adolescents constituent à l’évidence un véritable défi pour le système scolaire français (Armagnague-Roucher et Bruneaud, 2016). Ce dernier forme un espace-temps institué pour des élèves natifs et sédentaires ou peu mobiles et dont la progression des apprentissages et des scolarités est encore étroitement indexée à l’échelle des âges biologiques et subordonnée à la maîtrise de la langue française, sans même parler du poids toujours déterminant des héritages scolaires et culturels.
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- Brinbaum Yaël, Moguérou Laure et Primon, Jean-Luc (2014) Les enfants d’immigrés et l’école : un échec scolaire à relativiser, in Maris Poinsot et Serge Weber Dirs., Migrations et mutations de la société française, Paris, La découverte, pp. 158-166.
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- Zirotti Jean-Pierre (1979) La scolarisation des travailleurs immigrés. Tome 1. Évaluation, sélection et orientation scolaire, Nice, IDERIC, 192 p.
- Zirotti Jean-Pierre (1978) Une enquête sur l’orientation scolaire des adolescents immigrés, Migrants-Formation, 29-30, pp. 77-82.
Notes
-
[1]
Des données plus récentes sur le nombre d’unités d’accueil et leur évolution sont semble-t-il non disponibles (Lang et Sorre, 2017).
-
[2]
Dans cette présentation, nous nous référons principalement au travail de Kleinholt (2008).
-
[3]
Ce point fait d’ailleurs l’objet de la circulaire de 1986 qui rappelle que : « les élèves étrangers qui sont nés ou arrivés très tôt en France et dont les difficultés, qu’il s’agisse d’une insuffisante maîtrise de la langue écrite ou d’insuffisances dans d’autres matières fondamentales, doivent être traitées dans le même cadre que les difficultés analogues des élèves français ».
-
[4]
Reconstituées rétrospectivement à partir du « stock » des immigrés vivant en France en 2008, les entrées (des flux) ne comptabilisent pas les décès intervenus entre temps et les « remigrations » c’est-à-dire les retours dans les pays d’origine ou plus simplement les départs de France.
-
[5]
Tous les graphiques et tableaux de l’article proviennent de l’enquête Trajectoires et Origines (INED-INSEE, 2008).
-
[6]
Dans l’ensemble de la population des dix-huit à soixante ans, les pourcentages sont respectivement de : 25 % de positions socioprofessionnelles supérieures et intermédiaires ; 24 % d’indépendants ; 50 % d’employés et ouvriers, dont 14 % de non qualifiés (source : TeO).
-
[7]
Les niveaux scolaires des parents sont codés sur la base des nomenclatures françaises des diplômes et non selon la position scolaire relative au pays d’origine. Cette deuxième méthode serait plus rigoureuse et satisfaisante (Ichou et Goujon, 2017), mais elle n’est pas immédiatement disponible dans la source.
-
[8]
42 % dans l’ensemble de la population des dix-huit à soixante ans (source : TeO).
-
[9]
Ce dont semblent attester les taux relativement élevés de fréquentation des classes adaptées par ces publics scolaires. Cf. infra.
-
[10]
Selon l’enquête TeO.
-
[11]
Les différences d’orientation scolaire après le collège sont significatives statistiquement : calculée à partir des données non pondérées (échantillon), la probabilité d’un indice Khi-deux valant 28.4 selon une loi Khi-deux à quatre 4 degrés de liberté est légèrement inférieure à 0.0001.
-
[12]
La circulaire de 2012 insiste, une fois de plus, sur cet objectif majeur qui semble difficile à réaliser depuis cinquante ans. Dans le document on parle non plus d’intégration, mais d’inclusion : « L’inclusion dans les classes ordinaires constitue la modalité principale de scolarisation. Elle est le but à atteindre, même lorsqu’elle nécessite temporairement des aménagements et des dispositifs particuliers ».
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[13]
La notion de discrimination institutionnelle, comme celle plus usitée de racisme institutionnel, se distingue des discriminations directes et individuelles en mettant l’accent sur les pratiques des organisations ou des institutions. Les discriminations institutionnelles sont généralement insidieuses (non manifestes) et renvoient à l’application des règles et tout autant aux pratiques, aux routines des institutions et de leurs agents.
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[14]
Selon l’enquête TeO.