Notes
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[1]
Ce papier a été présenté lors de la 3e Conférence internationale du CEMF, “Principles of Post-Keynesian Economic Policies”, Dijon, 30 novembre-1er décembre 2007. L’auteur remercie tous les participants au colloque. Il est également redevable aux deux rapporteurs de la revue pour leurs lectures minutieuses et les nombreuses améliorations qu’ils ont permises. Néanmoins, il demeure seul responsable des éventuelles erreurs restantes.
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[2]
Dans cet article, nous employons indifféremment les termes propension à épargner des firmes, taux de mise en réserve ou taux de rétention pour qualifier la variable sf.
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[3]
En effet, nous savons que ?/Y = v(?/K) avec v = K/Y le coefficient de capital constant et le niveau des prix fixé à p = 1 pour simplifier. Ainsi, chaque hausse de la part des profits est associée à une hausse du taux de profit.
1 – Introduction [1]
1Les modèles de croissance et répartition cambridgiens de Kaldor (1956) et Pasinetti (1962) sont à la base de longues controverses entre économistes néo-classiques et post-keynésiens durant les années soixante. À l’origine, ces modèles visent à limiter, voire éliminer, l’effet des travailleurs dans la détermination du taux de profit macroéconomique. Ils tentent également de s’affranchir de la théorie de la productivité marginale au bénéfice de variables de répartition, à l’instar des propensions à épargner différenciées, et d’accumulation, tel le taux de croissance du stock de capital.
2Ces débats expliquent sans doute la littérature abondante, jusqu’à nos jours, qui cherche à généraliser les résultats obtenus initialement. Dès lors, les théories de la croissance et de la répartition fondées sur le socle Kaldor-Pasinetti ont connu des développements nombreux qui peuvent être divisés en quatre courants. La première tentative a consisté à intégrer l’État et un système d’imposition complet aux modèles canoniques cambridgiens (Steedman, 1972 ; Faria et Araujo, 2004). Plus récemment, ce sont les orientations politiques des gouvernements en matière de dépenses publiques qui ont été évaluées dans le cadre d’un modèle kaldorien, montrant leurs effets sur le taux de profit macroéconomique (Charles, 2007). Un deuxième axe de recherche s’est intéressé aux conditions d’existence des théories post-keynésiennes de la répartition lorsque les agents ont des comportements d’épargne différents selon l’origine du revenu (Chiang, 1973) et qu’une distinction s’effectue également entre profits des ménages et des firmes (Commendatore, 1999). Le troisième courant concerne l’extension des modèles de croissance au cadre d’une économie monétaire (Faria, 2000 ; Park, 2002). Le dernier axe regroupe les développements relatifs à l’économie internationale avec l’étude de petites économies ouvertes ou de modèles à plusieurs pays (Mainwaring, 1980 et Commendatore, 2003).
3Toutefois, malgré des avancées décisives, les travaux précédents souffrent d’au moins deux insuffisances. La première concerne l’absence d’une prise en compte de l’endettement et ses effets sur l’accumulation. En réalité, il s’agit ici d’un influent programme de recherche, ouvert par Minsky (1975, 1982), qui a été négligé. Ainsi, il n’y a pas eu de tentative franche pour élargir les théories de Cambridge au cadre de la macroéconomie financière post-keynésienne pourtant très féconde (cf., entre autres, Taylor et O’Connell, 1985 ; Keen, 1995 ; Asada, 2001 ; Lima et Meirelles, 2007 ; Charles, 2008). Le second point concerne le taux de rétention des firmes, autrement dit la propension à épargner, qui détermine leur politique à l’égard des dividendes versés. Actuellement, l’hypothèse la moins fruste consiste à supposer l’existence d’une propension à épargner sur les profits exogène et différente de l’unité. Cependant, cette méthode empêche toute analyse des conflits possibles entre gestionnaires et actionnaires quant à la répartition des profits. Certes, un taux de rétention fixe simplifie l’étude de la dynamique économique, néanmoins, dans le même temps, il appauvrit considérablement les interactions entre endettement et comportement des firmes en ce qui concerne le versement des dividendes. L’objectif central de ce papier consiste donc à évaluer l’impact d’une propension à épargner endogène des firmes dans le cadre d’un modèle de répartition et d’endettement de type Kaldor-Pasinetti-Minsky. En définitive, il s’agit ici de renforcer la tradition cambridgienne sur son propre terrain (prise en compte d’un taux de rétention endogène et de la politique des dividendes choisie par les gestionnaires) et de la généraliser en lui incorporant des concepts issus de la macroéconomie financière post-keynésienne à la Minsky (ratio d’endettement et montant des cash flows).
4Le papier se décompose de la manière suivante. D’abord, on rappelle la structure d’un modèle dynamique de type cambridgien de long terme avec une fonction d’épargne complète et un taux de rétention endogène. En cela, nous suivons les études économétriques sur la politique des dividendes adoptée par les firmes et variant en fonction du niveau d’endettement. Ensuite, nous étudions le comportement dynamique du modèle et soulignons les diverses trajectoires possibles de l’économie. Des simulations numériques sont effectuées afin d’illustrer l’effet des différents paramètres sur l’équilibre et la stabilité financière de cette économie. Enfin, nous établissons quelques conclusions dans la dernière section.
2 – La structure du modèle
5Dans ce qui suit nous proposons un modèle cambridgien dynamique fondé sur une fonction d’investissement endogène, contrairement aux premiers modèles de répartition post-keynésiens qui ne comportaient qu’un taux d’accumulation supposé exogène. La tradition cambridgienne se fonde sur plusieurs principes. D’abord, l’utilisation de fonctions de production à facteurs complémentaires, dont les coefficients techniques sont fixes, et le refus des fonctions de productions macroéconomiques à facteurs substituables. Cette position découle de la critique initiale de Robinson (1953) et de la controverse sur le capital, cette dernière montre qu’il est impossible d’agréger le capital sans émettre d’hypothèses injustifiables économiquement. Ensuite, il s’agit de l’étude de situations de long terme dans lesquelles le taux d’utilisation de la capacité productive est constant et à son niveau normal, à l’inverse des modèles kaleckiens. Ainsi, quand la demande augmente, le taux d’accumulation dépasse son niveau de long terme et les firmes augmentent les prix. Ceci diminue le salaire réel, fait croître la part des profits, et, in fine, augmente le taux de profit agrégé. Ce mécanisme constitue l’ajustement traditionnel des premiers modèles post-keynésiens en cas de déséquilibre, comme rappelé par Lavoie (1998). Enfin, les cambridgiens établissent une théorie alternative de la répartition des revenus. À long terme, le taux de profit et la répartition sont déterminés par des variables macroéconomiques (taux de croissance, propensions à épargner…), plutôt que par le concept de rareté relative du travail par rapport au capital. Ce faisant, ils expulsent de la détermination du taux de profit la notion de productivité marginale des facteurs (cf. Charles, 2006).
6Nous partons de l’équilibre en taux de croissance sur le marché des biens en définissant les fonctions d’investissement et d’épargne suivantes :
8avec le taux d’accumulation du capital désiré, le ratio de l’épargne au stock de capital, ?t = ?t/Kt le taux de profit global, dt = Dt/Kt le ratio dette sur capital et i le taux d’intérêt. En ce qui concerne les variables relatives aux comportements d’épargne, 0 < sf < 1 représente le taux de rétention des profits nets et 0 < sc < 1 la propension à épargner des capitalistes dont les revenus sont constitués de dividendes et d’intérêts perçus. [2] Par souci de simplicité, nous supposerons que les travailleurs dépensent l’intégralité de leurs salaires en consommation. Ils ne constituent aucune épargne en tant que classe sociale si bien que l’épargne des uns est compensée par la désépargne des autres au niveau individuel. L’équation d’investissement est issue des travaux de Jarsulic (1996) et Charles (2008). Elle dépend des profits nets disponibles par le biais d’un coefficient ? > 0 et d’un paramètre ? > 0 qui est assimilé aux esprits animaux par les Post-keynésiens et représ ente un taux de croissance exogène. La relation (1) s’appuie, en partie, sur les travaux empiriques de Summers (1981), Gilchrist et Himmelberg (1995) et Ndikumana (1999), selon lesquels les cash flows jouent fortement dans l’explication du niveau d’investissement. L’équation (2) représente la fonction d’épargne globale, composée de l’épargne des firmes et des ménages capitalistes, soit : . Elle indique que l’épargne s’effectue sur les profits nets des firmes (?t – iDt), ainsi que sur les dividendes et les intérêts perçus par les capitalistes [(1 – sf)(?t – iDt) + iDt].
9La prochaine étape consiste à endogénéiser le taux de rétention des firmes ce qui permet, indirectement, d’évaluer les effets macroéconomiques d’une modification dans la politique de versement des dividendes. Un taux de rétention variable permet d’appréhender un aspect important des conflits entre gestionnaires et actionnaires, à savoir les tensions portant sur le partage des profits nets dans une économie en croissance. De ce fait, nous supposons la relation générale suivante :
11La fonction supra indique qu’une hausse du taux d’endettement provoque une augmentation du taux de mise en réserve. L’explication est la suivante : un ratio d’endettement d plus élevé conduit les gestionnaires à penser que l’état financier des firmes est plus préoccupant puisque, toute chose égale par ailleurs, le niveau des profits est plus faible. Ils réagissent en durcissant la politique de versement des dividendes et augmentent le taux de rétention (ce qui correspond à une ponction sur les dividendes) afin de contrebalancer la baisse des profits nets. En définitive, nous introduisons ici un mécanisme par lequel les gestionnaires des firmes tentent de préserver leur autonomie financière et leur capacité à remplir les engagements financiers contractés dans le passé. L’équation (3) adopte un point de vue particulier puisque c’est le niveau de l’endettement qui détermine le taux de rétention. Certes, nous aurions pu choisir une causalité alternative, non moins pertinente, dans laquelle le montant de la dette dépend des choix en matière de politique de distribution des dividendes et donc du rapport de force antre actionnaires et gestionnaires. Ceci modifierait la causalité retenue dans cet article (dt ? sf) par la relation inverse (sf ? dt). Cette hypothèse est très intéressante car elle soulève de nombreuses possibilités de dynamiques économiques et financières complexes. Toutefois, dans le travail qui suit, nous préférons nous concentrer sur la relation (3) dont le soubassement empirique présenté infra fait référence en matière de coupes dans les dividendes. De surcroît, elle n’omet pas pour autant la question des rapports de force entre gestionnaires et actionnaires. Ici, ce sont les valeurs et variations de qui synthétisent l’état de tensions entre ces deux groupes. Dans la figure 1, à endettement constant (), une diminution de traduit une baisse du pouvoir des gestionnaires face aux pressions exercées par les actionnaires, à l’inverse une hausse de indique que les premiers reprennent la situation en main, imposant leurs vues en matière d’autofinancement. Pour plus de simplicité, nous supposons une relation linéaire.
Conflit entre actionnaires et gestionnaires
Conflit entre actionnaires et gestionnaires
12L’expression (3) s’appuie sur plusieurs travaux économétriques. Ainsi, De Angelo, De Angelo et Skinner (1992) indiquent qu’aux Etats-Unis, sur la période 1980-1985, la moitié des firmes diminuent les dividendes lors de la première année de baisse des profits nets. Dans le même esprit, Benartzi, Michaely et Thaler (1997) montrent que les firmes qui diminuent les dividendes ont connu des baisses des profits lors de l’année de la ponction et durant les périodes précédentes. Récemment, Benito et Young (2003), en se basant sur des données relatives au Royaume-Uni pour la période 1974-1999, rapportent que des niveaux d’endettement élevés augmentent la probabilité d’une baisse du taux de distribution et donc d’une hausse de sf. De tels résultats sont également confirmés par Fama et French (2001) sur données américaines, de même que par Gwilym, Seaton et Thomas (2004) pour le Royaume-Uni sur la période 1996-2000. En définitive, les travaux empiriques récents semblent montrer que plus les firmes sont endettées et plus elles ont tendance à réduire les dividendes distribués aux actionnaires. En outre, l’économétrie financière récente (cf. Healy et Palepu, 1988 ; Benartzi, Michaely et Thaler, 1997 ; Ho et Wu, 2001) montre que les firmes qui ponctionnent ou omettent les dividendes génèrent des profits nets positifs au cours des exercices comptables ultérieurs. Ceci semble donc confirmer l’hypothèse du mécanisme de compensation positif présenté précédemment.
13Concernant la dynamique du taux de profit brut, nous supposons un mécanisme d’ajustement cambridgien standard, à savoir le taux de profit varie en fonction de l’excès de demande sur le marché des biens (cf. Araùjo, 1995) :
15? est un coefficient positif représentant la vitesse de réaction aux déséquilibres entre investissement et épargne. Comme indiqué supra ces modèles sont basés sur le long terme et supposent que le taux d’utilisation est à sa pleine capacité. Ainsi, lorsque l’investissement augmente () les firmes élèvent leurs prix ce qui diminue le salaire réel (w/p), de même que la part des salaires (wL/pY) dans le produit. En définitive, la part des profits (?pY = 1 – (wL/pY)) croît de même que le taux de profit macroéconomique. La relation (4) représente le mécanisme précédent. [3] Ici, nous laissons à des recherches ultérieures les ajustements du taux de profit via le taux d’utilisation des capacités productives, dans la logique des modèles kaleckiens (Lavoie, 1992). En effet, ce type d’ajustement mérite une reformulation explicite complète du modèle, ce qui dépasse largement le cadre de cet article. En définitive, en remplaçant la relation (3) dans (1) et (2) et les expressions correspondantes dans (4), puis en réarrangeant, nous obtenons l’évolution du taux de profit suivante :
17Ayant exposé la dynamique du taux de profit nous pouvons maintenant étudier le comportement du ratio d’endettement. D’abord, en supposant qu’il n’y a pas d’émission d’actions nouvelles (sur ce point cf. Taylor, Barbosa-Filho et Rada, 2006), le niveau d’investissement provient (i) des nouveaux emprunts et (ii) des profits nets non distribués :
19En dérivant le ratio d’endettement, il vient :
21En remplaçant sf et par leur valeur issue de (1) et (3) dans (6), puis l’expression correspondante dans (7), nous trouvons l’équation dynamique suivante :
23Dans les sections suivantes, nous étudierons les propriétés dynamiques de ce modèle cambridgien, puis les comportements relatifs à la politique des dividendes sur la stabilité. Enfin, nous procéderons à plusieurs simulations numériques afin d’évaluer l’effet des différentes variables sur l’équilibre.
3 – Stabilité dynamique
24La linéarisation du système (5)-(8) au voisinage de l’état stationnaire donne :
Synthèse de l’analyse de stabilité dynamiqueLe classement de Shanghai 2009
Synthèse de l’analyse de stabilité dynamiqueLe classement de Shanghai 2009
25À présent, il convient d’évaluer l’effet d’une modification de certaines variables sur la stabilité de l’économie en partant de la situation (i). Une hausse du taux d’intérêt, en modifiant ? a deux conséquences : d’abord, elle provoque la baisse de ensuite, elle accroît ce qui favorise l’apparition de l’équilibre de point selle (ii). Ceci implique que lorsque le taux d’intérêt atteint une valeur trop élevée, ce dernier peut changer l’équilibre et dégrader la stabilité financière de l’économie.
26La politique des dividendes adoptée par les firmes a également un rôle essentiel à jouer sur les propriétés dynamiques de cette économie. Quel est l’impact d’une politique plus favorable à l’égard des actionnaires ? Celle-ci prend la forme d’une modification à la baisse de ce qui indique que, pour un niveau d’endettement constant, les gestionnaires acceptent d’augmenter les dividendes versés aux actionnaires. Cette attitude a souvent des origines communes, à savoir les pressions exercées par les propriétaires des firmes sur les gestionnaires. Les firmes acceptent de prendre un risque supplémentaire en élevant les dividendes car, toute chose égale par ailleurs, ceci diminue l’autofinancement et constitue un comportement moins prudent à l’égard de l’endettement. Les gestionnaires, préoccupés par la survie à long terme des firmes mais également par la précarité de leur statut et les exigences à court terme des actionnaires, anticipent les réclamations en adoptant une politique de redistribution plus accommodante. Pour les gestionnaires les plus réticents, les hausses de dividendes peuvent arriver après que les propriétaires de l’entreprise aient exprimé leurs mécontentements et fait effectivement pressions sur les gestionnaires. Dans cette économie, une politique des dividendes plus favorable aux actionnaires, se manifestant par une diminution de accroît l’instabilité financière :
28En effet, il apparaît qu’une politique plus accommodante dans le versement des dividendes conduit l’économie au cas de figure (ii), caractéristique d’une économie financièrement fragile. Ceci s’explique par l’effet redistributif négatif d’une hausse du revenu des capitalistes qui ont une propension à épargner sc élevée. La hausse de la demande de consommation émanant des dividendes supplémentaires est incapable de compenser la baisse des profits nets. Les firmes sont donc contraintes de s’endetter plus si elles veulent maintenir les investissements, ce qui accroît leur fragilité financière. Il est possible de recouper les résultats précédents en construisant les différents diagrammes de phases du modèle et de compléter l’étude de la dynamique. La différentielle totale de l’équation (5) à l’équilibre stationnaire s’écrit :
29Quelques aménagements donnent la pente de la droite :
30qui dépend du signe de ?. En utilisant une procédure similaire pour le ratio de dette, il vient :
31Et :
Cas de stabilité dynamique
Cas de stabilité dynamique
Equilibre instable de point selle
Equilibre instable de point selle
32En se référant aux cas exposés précédemment, la situation (i) est tracée dans la figure 2. Conformément aux expressions (13) et (15) la pente de est positive et celle de est négative car ? > 0. A l’inverse, la figure 3 illustre l’apparition de l’instabilité financière lorsque ? < 0 avec et ce qui a pour effet de changer le signe des deux pentes. Ce cas se produit lorsque le taux d’intérêt est élevé ou que les firmes cèdent aux pressions des actionnaires en pratiquant une politique des dividendes plus généreuse envers ceux-ci, alors que les conditions financières (taux d’endettement et niveau des cash flows) sont inchangées. En définitive, les comportements moins prudents des gestionnaires modifient les propriétés dynamiques de l’économie en la rendant plus sensible aux chocs exogènes. Concernant les figures 4 et 5, celles-ci représentent les cas (iii) et (iv) analysés supra lorsque ? < 0 mais que il apparaît que la stabilité dépend de la pente des courbes.
Stabilité dynamique lorsque
Stabilité dynamique lorsque
Instabilité de point selle lorsque
Instabilité de point selle lorsque
4 – Simulations numériques
33Il convient de donner une forme précise à la relation (3) indiquant les variations du taux de rétention et indirectement le comportement des firmes à l’égard de la politique des dividendes. Ceci nous permettra d’effectuer quelques simulations numériques portant sur la dynamique et d’évaluer l’effet des différents paramètres sur l’équilibre stationnaire. Afin de ne pas compliquer inutilement la formalisation, nous adoptons la relation linéaire suivante :
Paramètres de stabilité dynamique
Paramètres de stabilité dynamique
34En supposant les conditions initiales suivantes : ?(0) = 0.1 et d(0) = 0.6 la figure 6a montre que l’équilibre est localement stable. À l’inverse, la figure 6b indique qu’un choc perturbant l’équilibre, suite à une hausse du taux d’intérêt à i = 0.07, génère une crise financière avec hausse de l’endettement et baisse des profits.
Hausse du taux d’intérêt et instabilité financière
Hausse du taux d’intérêt et instabilité financière
35Ensuite, en conservant les conditions initiales précédentes et les paramètres du tableau 2, nous constatons (figure 7a) qu’un accroissement de la propension à épargner des capitalistes à sc = 0.85 provoque de l’instabilité, celle-ci pouvant néanmoins se corriger via une hausse du coefficient ?1 = 0.65 (figure 7b). Dans ce cas, les firmes compensent la baisse de la demande de consommation des capitalistes par un durcissement de la politique des dividendes en élevant le taux de rétention. A court terme, cette technique est stabilisante car elle permet de dégager des profits nets suffisants afin de remplir les engagements financiers contractés lors des périodes passées. Toutefois, sur le long terme, elle a ses propres limites car il est improbable que les actionnaires acceptent de ne pas percevoir de dividendes sur une très longue période. En outre, la figure 7b indique que la hausse du taux de rétention permet de maintenir les profits positifs mais elle n’empêche pas l’endettement de s’établir à un niveau supérieur. Ce type d’équilibre est donc fragile car des augmentations persistantes du ratio de dette finissent par peser sur les profits disponibles, ce qui met inévitablement un terme aux dépenses d’investissement des firmes.
Hausse des sc et durcissement de la politique des dividendes
Hausse des sc et durcissement de la politique des dividendes
36Désormais, la prochaine étape consiste à évaluer l’effet d’une modification de divers paramètres sur l’état stationnaire. Pour cela, nous attribuons les valeurs suivantes aux coefficients du modèle cambridgien :
Paramètres de statique comparative
Paramètres de statique comparative
37Les valeurs des variables à l’état stationnaire sont (?*, d*) = (0.0892, 0.479). Par la suite, toute chose étant égale par ailleurs, nous calculons l’impact d’une hausse de 20 % de chaque paramètre, sur les valeurs d’équilibre du taux de profit macroéconomique et du ratio d’endettement. Les données sont regroupées dans le tableau 4 infra avec des valeurs de ? et ? inchangées.
Effets sur l’état stationnaire
Effets sur l’état stationnaire
38Les résultats obtenus confirment bien l’effet positif d’un durcissement de la politique des dividendes, à savoir une hausse du taux de profit et une baisse du ratio de dette. Ainsi, une progression de 20% de ?1 entraîne une hausse de ? de 0.7% et une baisse de l’endettement de 6.8% ce qui contribue sensiblement à améliorer la solidité financière des firmes.
39Quant à ?, il est considéré par les Post-keynésiens comme un proxy de l’enthousiasme des gestionnaires (mais également des banquiers) et de leurs esprits animaux. Une augmentation de ce paramètre indique qu’à cash flows constants les firmes souhaitent investir plus. Ici, les calculs montrent un résultat anti-Minsky, puisqu’une hausse de l’accumulation n’est pas systématiquement associée à une montée de l’endettement, une possibilité initialement soulevée par Lavoie et Seccareccia (2001), puis Toporowski (2008).
40Ensuite, concernant l’impact d’une hausse des taux d’intérêt, il est possible de retrouver les résultats traditionnels de la macroéconomie financière à la Minsky. En partant de la définition du PIB par les dépenses (Yt = Ct + It), puis par les revenus (Yt = Wt + ?t), il vient l’égalité Wt + ?t = Ct + It. La valeur des profits s’écrit :
42Comme précisé supra, les travailleurs n’épargnent pas en tant que classe sociale, ce qui implique Cwt = Wt. En divisant l’équation précédente par le stock de capital, la dérivée par rapport à i nous donne :
44avec Cct/Kt = (1 – sc)[1 – sf(?t – idt) + idt]. Il vient que la somme de la propension à épargner et de la propension à investir doit être supérieure à l’unité pour qu’une hausse du taux d’intérêt ait un effet négatif sur le taux de profit. Ici, ce résultat se fonde essentiellement sur une forte propension à épargner de la part des ménages rentiers. À l’inverse, si sc est très faible (par exemple sc = 0.20), la hausse du taux d’intérêt devient positive, puisqu’elle revient à distribuer du pouvoir d’achat aux capitalistes qui consomment la quasi-totalité de leurs revenus. Le choc négatif sur l’investissement des firmes est compensé par le surcroît de consommation. Toutefois, ce cas nous semble peu plausible. Selon nous, il subsiste deux arguments justifiant une valeur élevée de sc. D’abord, les rentiers seraient contraints d’épargner une large portion de leurs revenus afin de ne pas dilapider un patrimoine qu’ils ne sauraient – ou ne voudraient – reconstituer par le travail. Ensuite, une explication alternative solide consiste à dire que, leurs revenus étant déjà très élevés, les capitalistes ne peuvent consommer qu’une faible partie de ceux-ci. Dans ce cas, une propension à épargner forte ne dépend plus d’une contrainte de perpétuation de classe ou d’un refus catégorique du travail, mais plutôt d’un comportement non contraint reflétant le niveau élevé du stock de richesse, à l’origine d’un large flux de revenus financiers (dividendes et intérêts).
45Enfin, une progression de la propension à épargner des rentiers a un impact négatif sur le taux de profit, à l’instar des premiers modèles cambridgiens de type Kaldor-Pasinetti. Il est à noter que cette conséquence a un caractère systématique, autrement dit peu importe la valeur initiale de sc.
46Il ressort des simulations précédentes que le taux d’intérêt et la propension à épargner des rentiers peuvent avoir un effet négatif non seulement sur la stabilité dynamique, mais également sur l’équilibre stationnaire lui-même. Par conséquent, s’il semble difficile d’imaginer que les firmes influencent directement le taux d’intérêt et les comportements d’épargne des capitalistes, il n’en va pas de même de la valeur du taux de rétention et des profits non distribués. Ces derniers sont sous le contrôle des gestionnaires, pour peu qu’ils résistent au conflit les opposant aux actionnaires, et représentent l’unique source prudente de financement de l’accumulation sur le long terme. En outre, ils constituent un élément clé afin de lutter contre l’instabilité macroéconomique.
5 – Conclusion
47L’objectif de cet article est d’évaluer le rôle de la politique des dividendes, adoptée par les firmes, sur la stabilité macroéconomique. Pour ce faire, nous construisons un modèle cambridgien amélioré qui se base sur certains concepts de la macroéconomie financière post-keynésienne issue des travaux de Minsky (1975, 1982). En conséquence, i1 prend en compte des comportements d’épargne différenciés, caractéristique des modèles de répartition, et intègre également de manière explicite des variables financières, à l’instar des cash flows nets et du ratio d’endettement. De surcroît, une autre spécificité de ce modèle est d’endogénéiser le taux de mise en réserve des profits, à savoir une variable essentielle dans la détermination de la stabilité financière.
48Nous montrons que les gestionnaires des firmes, en cédant aux pressions des actionnaires, génèrent une certaine instabilité dynamique. En effet, en acceptant d’assouplir la politique de versement des dividendes, les firmes se privent de précieuses ressources leur permettant de financer de manière prudente leurs dépenses d’investissement. Ce phénomène est renforcé par le fait que la diminution des profits non distribués, venant de la baisse du taux de rétention, n’est pas compensée par la hausse de la demande de consommation des capitalistes. Ceci est dû à la faible propension à consommer de ces derniers, ce qui explique qu’une hausse de leurs revenus ne se traduit que par de faibles augmentations de la demande s’adressant aux firmes.
49Par ailleurs, ce papier souligne le fait que la prise en compte des variables financières est susceptible de rendre les modèles cambridgiens instables à long terme tout comme le sont les modèles purement minskyens. Ici, le principe d’ajustement par les prix est insuffisant pour ramener l’économie à l’équilibre.
Bibliographie
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Mots-clés éditeurs : taux de rétention endogène, modèle cambridgien, instabilité
Date de mise en ligne : 12/04/2012.
https://doi.org/10.3917/rel.781.0075Notes
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[1]
Ce papier a été présenté lors de la 3e Conférence internationale du CEMF, “Principles of Post-Keynesian Economic Policies”, Dijon, 30 novembre-1er décembre 2007. L’auteur remercie tous les participants au colloque. Il est également redevable aux deux rapporteurs de la revue pour leurs lectures minutieuses et les nombreuses améliorations qu’ils ont permises. Néanmoins, il demeure seul responsable des éventuelles erreurs restantes.
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[2]
Dans cet article, nous employons indifféremment les termes propension à épargner des firmes, taux de mise en réserve ou taux de rétention pour qualifier la variable sf.
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[3]
En effet, nous savons que ?/Y = v(?/K) avec v = K/Y le coefficient de capital constant et le niveau des prix fixé à p = 1 pour simplifier. Ainsi, chaque hausse de la part des profits est associée à une hausse du taux de profit.