Reliance 2008/1 n° 27

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Article de revue

Plaidoyer pour la formation des avs

Une expérience de professionnalisation des avs en Languedoc-Roussillon

Pages 95 à 98

Notes

  • [1]
    Marie Anaut, Reliance, n° 16, 2005.

1L’exigence d’un accompagnement des enfants en situation de handicap en milieu scolaire ordinaire est, à l’origine, un combat de parents convaincus des compétences et des potentiels de leurs enfants. Aujourd’hui, la loi reconnaît cette nécessité et fait de la scolarisation un droit pour chaque enfant. Cependant, pour être pleinement respecté, ce droit doit s’appliquer avec un réel souci qualitatif. Par conséquent, cette mission doit être confiée à des professionnels formés pour accompagner les enfants à besoins éducatifs particuliers dans la communauté scolaire. En Languedoc-Roussillon, une expérience unique de professionnalisation des avs a été mise en place d’octobre 2004 à juin 2007. Soixante-quinze avs en contrat d’assistants d’éducation (cdd renouvelables six années maximum) ont bénéficié d’une formation d’éducateur spécialisé ou de moniteur éducateur financée par l’Éducation nationale. Le présent article témoigne de cette expérience.

2La formation dont nous avons bénéficié a été une réelle opportunité pour nous-mêmes, pour l’ensemble des enfants accompagnés et pour la communauté scolaire. Nous y avons appris que l’expérience professionnelle se construit par l’appropriation d’éléments théoriques (notamment concernant le développement psychologique du petit d’homme), mais aussi au travers des réflexions et des échanges. Ceux menés à propos des diverses classifications des maladies et handicaps (cis, cif), par exemple, nous ont conduits à nous interroger sur la relativité des normes et sur le caractère fluant des notions de normal et de pathologique.

3Les bénéfices de la formation dans nos accompagnements sont capitaux. Elle nous a apporté, outre un savoir-faire professionnel et des apports théoriques indispensables pour réfléchir nos pratiques, une vision globale des besoins de l’enfant non limités à des objectifs purement scolaires et une légitimité aux yeux des parents, des enseignants et des professionnels. Elle nous a permis d’adopter un réel positionnement éducatif et professionnel rendant crédibles des pratiques d’un genre nouveau dans l’école. Car c’est bien de cela qu’il est question : tenter d’inclure, dans un lieu aussi normé et normalisateur que l’école, les approches singulières et personnalisées qui permettent à chaque enfant en situation de handicap d’évoluer à son rythme et de développer ses compétences et ses capacités.

4Être acteur de l’inclusion engage l’avs à être « au clair » avec la dimension éthique de cette notion, pour laquelle il œuvre, au quotidien, dans la relation d’aide. De plus, l’inclusion nécessite un travail en amont, avec l’école et avec les familles, afin qu’une même conception des objectifs concernant l’enfant soit clairement posée en début d’année. Cela suppose qu’une élaboration préalable, portant sur les représentations du handicap, soit faite avec les enseignants. Or, trop souvent, les enseignants, informés qu’ils auront dans leur classe un enfant différent, passent leurs vacances d’été dans l’angoisse car ils ne connaissent pas le handicap et cela les effraie. Nous avons mis en place cette élaboration dans les diverses écoles où nous sommes passés et nous avons constaté que la formation, en nous permettant de nous positionner en tant que professionnels au sein des équipes enseignantes, nous a légitimés, dans ce travail préalable, indispensable à l’accueil des élèves. De plus, pour les enseignants, l’accueil d’enfants différents, « hors normes », est souvent déroutant : notre position d’avs en formation professionnelle a permis de mettre à leur disposition un savoir, un savoir-faire, une approche différente de l’enfant différent. Chacun a su trouver sa place : le pédagogique et l’éducatif se sont complétés pour favoriser l’inclusion. Nous avons pu apporter aux enseignants des éclairages sur ce qui relève spécifiquement des situations de handicap dans la lecture quotidienne que nous faisons des comportements des enfants accompagnés, grâce aux outils construits en formation, notamment dans les instances d’élaboration de l’expérience professionnelle. Nous avons également pu les informer sur les avancées de la mise en application de la loi de 2005, à travers les apports juridiques donnés en formation.

5Cette loi a légitimé le travail de partenariat que nous avons mis en place entre les acteurs de l’école et la famille. Leur dialogue est souvent difficile et notre place de médiateur a favorisé leur rencontre en permettant que chacun soit reconnu par l’autre comme un partenaire sur lequel s’appuyer. L’approche systémique, par exemple, apporte de nouveaux outils pour le travail en équipe et pour la collaboration avec les familles. Elle favorise le dialogue constant entre professionnels et familles et renforce la cohérence des actions en direction de l’enfant. Elle vient bouleverser les méthodes traditionnellement utilisées à l’école.

6De plus, notre présence dans la classe elle-même « impose » le partenariat et il faut souvent beaucoup de diplomatie pour se faire une place dans les classes. Là encore, la formation donne des arguments pour faire reconnaître nos compétences et notre place à l’école. Par le travail qu’elle permet sur les représentations sociales de chacun face au handicap, par la capacité qu’elle donne pour se mettre à distance de ses propres réactions émotionnelles, par la réflexion qu’elle inaugure quant au travail en équipe, cette formation offre des bases solides pour apporter un regard nouveau sur les situations de handicap, mettre en valeur les potentialités des enfants et des jeunes au regard du monde enseignant et des autres enfants, citoyens de demain.

7La formation contribue à la construction de l’accompagnement quotidien de l’enfant : celui-ci doit être réajusté à chaque instant pour ne pas faire écran entre l’enfant et les pairs, l’enfant et son enseignant, l’enfant et lui-même. Nous sommes un moyen de compensation, ce qui signifie que nous devons amener l’enfant à solliciter notre soutien quand il en ressent le besoin, et non pas devancer sa demande : il doit en effet apprendre à se connaître dans ses points forts mais aussi dans ses limites. C’est en s’expérimentant dans le cadre scolaire qu’il va apprendre à développer ses capacités cognitives et sociales. La norme scolaire devient ainsi un outil avec lequel il va se construire en s’y confrontant. L’aide que nous lui apportons se caractérise par une présence-absence, en sorte qu’elle constitue un étayage et non une entrave au développement de son autonomie. Pour cela, des objectifs précis concernant la socialisation, le développement des capacités intellectuelles, des capacités d’adaptation relationnelles, l’expressivité et la communication, la valorisation et l’estime de soi, le travail sur l’image de soi doivent être posés. Ils donnent à l’accompagnement une direction et des possibilités de réajustements en fonction de ces objectifs. L’analyse des pratiques, telle qu’elle est réalisée en formation des métiers du social, est un point d’appui indispensable pour les élaborer et pour pouvoir les évaluer.

8L’apport de la formation est d’une grande richesse pour les enfants accompagnés eux-mêmes. Si les avs ne sont pas formés, on ne peut plus parler d’inclusion. Celle-ci ne peut reposer sur la bonne volonté et le savoir-faire personnel des accompagnants, cela n’est pas acceptable. L’avs a besoin d’être considéré dans un réseau de relations professionnelles qui soutiendra son accompagnement ; il a besoin d’être reconnu comme un professionnel à part entière de la relation d’aide et cela ne s’invente pas ! J’illustrerai ce propos par une situation concrète : pendant trois ans, j’ai accompagné, en classe ordinaire, un enfant souffrant de troubles autistiques (syndrome d’Asperger) se traduisant notamment par un déficit d’attention et une grande difficulté d’expression et de communication. Le travail effectué avec lui a été de longue haleine : il était très renfermé en lui-même et il a fallu plusieurs mois pour qu’il commence à porter un intérêt à ceux qui l’entouraient. Peu à peu, à force de sollicitations, d’adaptations, de tentatives pour le rencontrer, il est parvenu à répondre aux consignes scolaires. Il a alors découvert ses importantes capacités intellectuelles et, se comparant à ses camarades, s’est mis peu à peu à prendre confiance en lui et à trouver du sens à sa présence au sein de la classe. Il a alors investi le scolaire. Le travail de socialisation s’est réalisé lui aussi petit à petit grâce à des projets spécifiques mis en place pour lui permettre d’entrer en relation. Pour cela, les autres enfants de la classe ont été d’un grand recours : ils ont réellement participé à cette inclusion, volontairement et avec plaisir.

9Après trois ans d’évolution, je n’ai pas eu la possibilité de poursuivre cet accompagnement. Mon remplaçant, que j’ai rencontré en début d’année avec les nouveaux enseignants, sans expérience ni formation, n’avait pas les compétences requises pour poursuivre le travail amorcé. En deux mois, l’enfant s’est de nouveau refermé sur lui-même, s’exprimant de moins en moins : par manque d’information et de formation, cet accompagnant mettait l’enfant en position d’objet ! Les enseignants se sont bien rendu compte de son inaptitude à accomplir sa mission et une demande de changement d’avs a été faite et réalisée. Cet exemple n’est malheureusement pas isolé. Il met en lumière l’importance de la compétence de l’avs. Son insuffisance peut faire basculer le projet de scolarisation d’un enfant. Si sa pratique n’est pas construite, réfléchie, précise, évaluée ; bref, s’il n’est pas formé, les risques d’un échec sont massifs.

10L’inclusion ne peut pas se faire « au petit bonheur la chance » ; les familles ne peuvent pas dépendre de la bonne volonté d’enseignants laissés seuls pour relever le défi de la différenciation pédagogique et éducative ; il est intolérable que les enfants soient à la merci de personnes non formées pour cette mission. L’inclusion en milieu ordinaire ne signifie pas la fin de l’éducation spécialisée, au contraire : elle nécessite une réelle collaboration, la création de ponts entre ces deux mondes riches et complexes, qui ont tout à gagner à s’enrichir mutuellement des pratiques et des champs de compétences qui s’articulent et se complètent pour tenir compte de toute la dimension du sujet. Dans cette nouvelle donne, il y a place pour des avs formés dont le travail s’effectue en partenariat et en complémentarité avec les autres professionnels – éducateurs spécialisés, psychomotriciens, ergothérapeutes, orthophonistes, enseignants, etc.

11Les représentations sociales du handicap sont lourdes d’un passé d’images négatives et morbides. L’enjeu de l’inclusion est de mettre en lumière le fait que la personne en situation de handicap est avant tout une personne et, qu’à ce titre, elle a droit à partager les espaces sociaux de tous. Le regard se métamorphosera par la rencontre, par le partage d’instants communs où chacun sera considéré dans sa valeur humaine et dans ses capacités. Les enfants d’aujourd’hui, habitués à fréquenter, à côtoyer les différences quotidiennement à l’école, développeront des capacités d’entraide et de solidarité au contact d’enfants différents. Ils auront un regard neuf, plus juste, plus humain des personnes en situation de handicap et contribueront ainsi concrètement à en modifier les représentations sociales. Nous sommes, avs, médiateurs de ces rencontres, de ces échanges, et la formation nous donne les moyens de mettre en œuvre cette nouvelle socialité entre deux mondes clivés depuis des siècles, afin que la différence soit reconnue, respectée, et enrichisse le milieu qui l’accueille.

12Les avs sont des « tuteurs de résilience [1] » qui ont à prendre en considération l’environnement global de l’enfant afin de construire l’inclusion avec tous les acteurs qui y interagissent. Pour y parvenir, il faut qu’ils soient reconnus professionnellement : c’est pour défendre cette idée que plusieurs avs ont créé unaïsse, l’association nationale d’accompagnants scolaires pour la reconnaissance d’un nouveau métier de l’accompagnement. unaïsse signifie : Union nationale pour l’avenir de l’inclusion scolaire, sociale et éducative. On peut consulter son site sur :

13http:// unaisse. free. fr


Date de mise en ligne : 04/06/2008

https://doi.org/10.3917/reli.027.0095

Notes

  • [1]
    Marie Anaut, Reliance, n° 16, 2005.

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