Regards 2020/1 N° 57

Couverture de REGAR_057

Article de revue

Parcours des personnes âgées dans le système de santé

Pages 115 à 126

Notes

  • [1]
    Anap, « Les parcours de santé des personnes âgées sur un territoire », 2011-2012.
  • [2]
    Hcaam, « Vieillissement, longévité et assurance maladie », note adoptée le 22 avril 201.
  • [3]
    D. Carriburu, M. Menoret, Sociologie de la santé, institutions, professions et maladies, Armand Colin, 2004.
  • [4]
  • [5]
    S. Briançon, G. Guérin, « Maladies chroniques », Actualité et Dossier en Santé Publique, n° 72, septembre 2010.
  • [6]
    « Stratégie pour affronter l’enjeu de la chronicité en Euskadi », rapport Ministère Espagnol, juillet 2010.
  • [7]
    « Cadre de référence pour la prévention et la gestion des maladies chroniques physiques en première ligne », Ministère de la Santé et des services Sociaux, Québec, 2002.
  • [8]
    Huard, All, « Améliorer la prise en charge des pathologies chroniques », Pratiques et Organisation des Soins, volume 41, n° 3, juillet-septembre 2010.
  • [9]
    J. Castonguay, « Le financement des soins chroniques », Cirano, Montréal octobre 2013.

1La prise en charge des maladies chroniques est l’un des plus grands défis pour tous les systèmes de santé du monde. Pour y faire face, il est nécessaire de transformer les organisations en santé. Le parcours d’une personne dans le système de santé est un concept dont on commence à découvrir l’importance en 2010 avec le rapport du Haut Conseil pour l’Avenir de l’Assurance Maladie (Hcaam). La population âgée et très âgée qui bénéfice de l’amélioration de son espérance de vie en bonne santé a la particularité de cumuler la polypathologie et la chronicité. La réflexion sur la prise en charge et l’accompagnement de cette population concentre ainsi les efforts par les enjeux qu’elle cristallise. Plusieurs modèles internationaux de prise en charge existent et mettent en évidence des invariants, mais la transformation nécessaire ne pourra se pérenniser qu’avec une formation à la prise en charge holistique dans les cursus de santé et un accompagnement au changement respectueux des éco systèmes locaux.

2La France comme tous les pays développés doit faire face au défi que représente le nombre croissant de personnes atteintes de maladies chroniques pour lesquelles une prise en charge globale peut permettre d’éviter ou retarder la survenue de complications et la perte d’autonomie.

3La population âgée et très âgée qui bénéficie de l’amélioration de son espérance de vie en bonne santé a la particularité de cumuler la polypathologie et la chronicité. La réflexion sur la prise en charge et l’accompagnement de cette population concentre ainsi les efforts par les enjeux qu’elle cristallise. Les premiers travaux sur les parcours [1] de cette population au sein du système de santé ont permis de mieux s’approprier ce concept et de modéliser des actions à mener.

4Nous nous attacherons ici à préciser comment surgit la notion de parcours, comment améliorer la gestion des maladies chroniques, leur prise en charge et l’accompagnement des personnes. Nous nous appuierons sur les expériences étrangères, les enseignements de l’expérimentation nationale Personnes Âgées En Risque de Perte d’Autonomie (Paerpa) pour identifier les pratiques probantes et invariantes dans la mise en œuvre des parcours de santé.

I – Contexte

5Le parcours d’une personne dans le système de santé est un concept dont on commence à découvrir l’importance en 2010 quand le rapport du Haut Conseil pour l’Avenir de l’Assurance Maladie (Hcaam) sur le vieillissement et la longévité [2] indique que « Le grand âge met en évidence comme le ferait un instrument d’optique grossissant, un point de fragilité fondamental dans l’organisation des soins : son absence de transversalité autour de chaque personne malade ». L’attention portée à la qualité d’un « parcours » suppose de passer d’une médecine pensée comme une succession d’actes ponctuels et indépendants à une médecine qu’on peut appeler de « parcours ». Il s’agit d’une médecine – entendue plus largement que les actes des seuls médecins – dont l’objectif est d’atteindre, par une pratique plus coopérative entre professionnels et une participation plus active des personnes soignées, une qualité d’ensemble, et, ce, dans la durée de la prise en charge soignante.

6Ce moment s’inscrit après trois bouleversements. Ce fut en premier lieu la transition épidémiologique, c’est-à-dire l’émergence des pathologies chroniques en lien avec le vieillissement de la population. La volumétrie des pathologies chroniques, associée au vieillissement de la population, remet en cause des pratiques professionnelles formatées pour appréhender et traiter des pathologies aiguës.

7À ces contraintes de la chronicité s’ajoute un deuxième bouleversement en lien avec l’omniprésence du risque particulièrement vis-à-vis de la maladie et de sa santé ; ce risque émerge avec l’épidémie due au virus du Sida dans les années 1990. Cette épidémie fait prendre conscience du risque en santé, mais aussi de la place du patient/ usager et de son rôle, tant dans sa propre prise en charge que dans les décisions en santé. Ces prises de conscience vont conduire à l’installation de la démocratie sanitaire et en 2002 à la loi Kouchner relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. Les travaux en sociologie de Carriburu et Ménoret en 2004 [3] ont analysé ce que signifiait vivre avec une maladie chronique. Ils ont éclairé les notions de « carrière du malade et de trajectoire de la maladie » en amont de ce que nous appelons maintenant le continuum de prise en charge et l’empowerment du patient/usager.

8Le troisième bouleversement est venu de l’évolution profonde des pratiques professionnelles en lien avec les progrès des sciences fondamentales en physique (laser, nouvelles possibilités d’exploration), en génétique et pharmacologie, les outils numériques et maintenant l’intelligence artificielle.

9Ces bouleversements ne pouvaient qu’imposer une (r)évolution des conceptions du soin et de la santé.

II – Le concept de parcours

10Le rapport du Hcaam nous apporte deux éclairages :

111 Il permet de constater que « la présence très systématique d’un grand nombre de pathologies chroniques avec l’âge rend tout à fait prioritaire l’articulation des soins cliniques et techniques et l’accompagnement de la perte d’autonomie ». Cette articulation mobilise un grand nombre d’intervenants et met au jour l’importance d’une coordination entre l’ensemble des professionnels concernés des trois champs : sanitaire, médico-social et social.

122 Il fournit la distinction en termes d’organisation et de coûts entre la prise en charge en soins requis par la maladie et la prise en charge nécessaire à l’accompagnement et à la perte d’autonomie, et d’autre part la réponse aux besoins sociaux. Le rapport démontre que « si la dépense moyenne individuelle augmente avec l’âge, les causes ne sont pas épidémiologiques mais en lien avec les inadaptations structurelles fortes nécessitant de repenser l’organisation du système, inadaptations que sont les insuffisances de coordination, [de travail pluridisciplinaire] et dans la transversalité ».

13En synthèse, l’avis du Hcaam dans sa séance du 22 mars 2012 est clair : « La médecine de “parcours” demande un travail soignant plus collectif. Elle appelle la combinaison de soins de premier recours “populationnels”, c’est-à-dire tournés vers la prise en charge globale des besoins de santé d’une population sur un territoire donné, et d’une médecine de spécialité et de plateau technique, plus “interventionnelle” aux moments qui l’exigent ».

14Cela suppose d’abord de renforcer, à tous les niveaux, les dimensions pluri professionnelles du travail soignant, et de considérer que les fonctions de coordination assurées par les soignants eux-mêmes font intrinsèquement partie du soin. Le Hcaam a distingué, dans ses travaux, la fonction de « synthèse médicale » et la fonction de « coordination soignante et sociale ». Cette dernière s’impose dans toutes les situations complexes et la garantie de la circulation de l’information doit être assurée.

15Dès 2012 nous disposons des arguments documentés pour mettre en œuvre une politique de parcours :

  1. Une approche par population ciblée sur des besoins globaux en santé.
  2. Une analyse de la part respective entre la maladie chronique, le niveau d’autonomie et les besoins sociaux.
  3. Une nécessaire mise en place de nouvelles pratiques professionnelles : synthèse médicale associée à la coordination sociale ; testé dans Paerpa sous l’appellation PPS (Plan Personnalisé de Santé).
  4. Un partage d’information obligatoire.
  5. Une situation complexe qui doit être prise en charge par plusieurs intervenants : futur dispositif d’appui.

16Les travaux de l’Anap publiés en 2012 sur l’organisation des parcours de santé sur les territoires viennent conforter les apports du Hcaam, en identifiant des acteurs – le plus souvent des réseaux – mais aussi des dispositifs comme les Clic qui n’ont pas attendu pour s’organiser d’une manière plus coordonnée pour apporter des services qui s’inscrivent dans un territoire de proximité. Tous les retours d’expérience préconisent une place plus importante des soins primaires, une réponse territoriale, une coordination intégrée pour faciliter l’articulation ville-hôpital et des actions de « décentration » de la place de l’hôpital dans le système de santé.

17Ces constats ont trouvé une inscription à partir de 2012 dans les différents textes législatifs où les thématiques, parcours et organisations territoriales apparaissent avec engagement de responsabilité populationnelle. C’est ainsi que dès 2013 est déployée l’expérimentation pilote nationale Paerpa qui deviendra modélisante pour l’ensemble des parcours des principales populations cibles : les PPS deviennent des PPCS (Plan Personnalisé de Coordination en Santé) publié par l’HAS en 2019 [4].

18Avec la loi « Ma santé 2022 », c’est un engagement collectif pour répondre aux besoins de santé sur les territoires, l’installation de communauté professionnels territoriales de santé qui doivent permettre d’améliorer la réponse des soins primaires en lien avec les hôpitaux de proximité, et l’extension des dispositifs d’appui de proximité : plateforme territoriale d’appui.

III – La gestion de la maladie chronique

19Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la prise en charge des maladies chroniques est l’un des plus grands défis pour tous les systèmes de santé du monde. Sur le plan international, les maladies chroniques constituent la principale cause de mortalité.

20Les maladies chroniques résultent de l’adoption de certaines habitudes de vie et de processus biologiques liés à la génétique ou au vieillissement. Caractérisées par un début lent et insidieux, les maladies chroniques sont de longue durée (OMS, 2011). Elles ne peuvent généralement pas être guéries de façon définitive et exigent des services de santé continus, sur une longue période (OMS, 2003).

21Au-delà de la liste des pathologies chroniques, ce qui importe n’est pas la maladie spécifique mais les caractéristiques communes et leur inscription dans le parcours en santé des personnes, en lien avec leur environnement, leur mode de vie, leurs facteurs de risque.

III.1 – La définition en France du Haut Conseil de Santé Publique (HCSP)

22Le HCSP propose dans son rapport de novembre 2009 sur la prise en charge et la protection sociale des personnes atteintes de maladie chronique d’utiliser la définition transversale de la maladie chronique telle que proposée par les auteurs du Plan 2007-2011 : Les maladies chroniques pour l’amélioration de la qualité de vie des personnes atteintes de maladies chroniques 2007-2011.

23Les maladies chroniques sont caractérisées par [5] :

  • La présence d’un état pathologique de nature physique, psychologique ou cognitive, appelé à durer.
  • Une ancienneté minimale de trois mois, ou supposée telle.
  • Un retentissement sur la vie quotidienne comportant au moins l’un des trois éléments suivants :
    1. une limitation fonctionnelle des activités ou de la participation sociale,
    2. une dépendance vis-à-vis d’un médicament, d’un régime, d’une technologie médicale, d’un appareillage ou d’une assistance personnelle,
    3. la nécessité de soins médicaux ou paramédicaux, d’une aide psychologique, d’une adaptation, d’une surveillance ou d’une prévention particulière pouvant s’inscrire dans un parcours de soins médico-social.

24Nous pouvons compléter par les travaux du Ministère de la Santé et de la consommation du Gouvernement Basque publiés en juillet 2010 (tableau ci-dessous).

figure im2

25Au regard de ces facteurs communs, on comprend que la prise en charge des patients ayant une ou des maladies chroniques ne peut plus être dans une organisation circonscrite à une unité de lieu, de temps et d’action conduite avec un médecin, une maladie, un acte, un traitement et/ou plus ou moins une hospitalisation. Bien au contraire, on comprend que plusieurs étapes sont nécessaires.

26La prise en charge des personnes porteuses de maladies chroniques exige :

  • un diagnostic qui prend en compte les besoins de la totalité d’un individu,
  • des actions de prévention primaires et secondaires,
  • un investissement de la personne elle-même dans la prise en charge de sa santé,
  • une inscription dans le temps avec des périodes de « calme » de la maladie et des périodes de « crise ».

27Cela a conduit à l’élaboration de plusieurs modèles de prise en charge puisqu’il s’agit de mobiliser auprès d’une personne plusieurs professionnels sur un temps long avec plusieurs niveaux de réponse possible.

III.2 – La maladie chronique : les principaux modèles de prise en charge

28Le modèle international de référence, le plus connu est le Chronic Care Model (CCM) développé par Ed Wagner [6] et ses collaborateurs à partir de 1998 qui comporte 6 niveaux :

  1. L’organisation du système de santé : mettre en place une organisation qui permette de dispenser des soins de qualité et de sécurité.
  2. L’organisation des prestations de services : s’assurer que les soins et le soutien à la prise en charge autonome seront prodigués de façon efficace et efficiente.
  3. Le soutien à la prise de décision : disposer de données scientifiques et tenir compte des préférences des patients.
  4. Le système de renseignements cliniques : dossier partagé, dossier informatisé…
  5. Le soutien à la prise en charge en autonomie du patient : préparer les patients à prendre des décisions éclairées par rapport à leur santé.
  6. Les ressources communautaires : mobiliser les ressources dans la collectivité pour répondre aux besoins des patients.

29Le concept a évolué vers un modèle d’une réponse organisée pour une population ciblée. C’est le modèle de Kayser. La pyramide de Kayser a pour objet de permettre une réponse par complexité et niveau de risque. Ce modèle est utilisé en France actuellement.

figure im3

30L’Anap a travaillé pour proposer à partir de la classification par niveau de risque, une classification par profil de patient avec une double entrée sociale et sanitaire plus proche des organisations de proximité. Cette classification par profil a été construite « à dire expert » pour une population cible âgée, mais elle peut s’adapter à d’autres tranches d’âge.

figure im4

31Selon ce modèle, la notion de risque est faite à partir du repérage de la fragilité comme indicateur d’alerte et de la vulnérabilité ; cela permet de mesurer la capacité de la personne à se prendre en charge. Cette présentation permet de déterminer des partages d’interventions entre les acteurs plutôt sociaux et/ou plutôt sanitaires. L’approche par profil et par besoin permet de mieux mobiliser les professionnels concernés et de mieux ajuster les ressources dont on dispose.

32Compte tenu des périodes d’exacerbation des maladies alternant avec des périodes plus calmes, le continuum de prise en charge et d’accompagnement ne peut pas être linéaire ni fourni par un seul professionnel. Il nécessite un ensemble de soins et de modalités d’organisation de services, complémentaires et articulés entre eux pour fournir une réponse intégrée.

33Cette classification par profil a été construite pour une population cible âgée, mais peut s’adapter à d’autres tranches d’âge.

34Ainsi le processus de prise en charge des personnes porteuses de malades chroniques nécessite plusieurs étapes :

  1. Une segmentation de la population.
  2. L’évaluation pluridisciplinaire et individualisée de la personne.
  3. La définition d’un plan de soins et traitement spécifique et individualisé, en accord avec la personne.
  4. Une surveillance régulière des personnes.
  5. Des programmes éducatifs de prévention.
  6. L’orientation vers les ressources appropriées grâce à une meilleure anticipation et coordination des acteurs.
  7. L’évaluation continue des interventions et des objectifs de santé atteints.
  8. Des guides et protocoles cliniques pour les différentes maladies chroniques ou de profils de patients.

IV – La mise en œuvre des parcours

35La nécessaire transformation du système de santé, mise en évidence par les travaux initiaux du Hcaam à laquelle s’ajoute une meilleure compréhension des trajectoires des maladies chroniques, de leur développement différencié en fonction des profils des patients requiert donc la mise en œuvre réelle des parcours de santé auprès de population cible.

IV.1 – Les principes qui dictent les actions

36Aux travaux déjà cités, s’ajoutent les travaux québécois [7] qui viennent éclairer la notion de responsabilité populationnelle. Ils nous permettent de retenir des éléments invariants dans l’accompagnement de l’évolution des pratiques professionnelles et de la transformation des organisations.

37D’abord, la responsabilité populationnelle signifie que les intervenants qui offrent des services à la population d’un territoire sont amenés à partager collectivement une responsabilité envers cette population en rendant accessible l’ensemble des services et en assurant une prise en charge et un accompagnement des personnes dans le système de santé et le secteur social. La convergence des prestations et services doit être assurée. Les prestations doivent être adaptées aux besoins de chaque territoire en fonction de l’offre existante. L’offre doit comprendre des actions de prévention, mais aussi de réadaptation, rééducation et d’accompagnement en fin de vie. Cette responsabilité à soutenir une personne et/ou une population ciblée relève des services de proximité, en première instance, qui doivent rendre accessible l’ensemble des services dont la personne peut avoir besoin. C’est là le principe du déploiement des coordinations territoriales d’appui dans Paerpa dont les missions ont pour objet de couvrir l’ensemble des besoins d’une personne âgée quand sa situation est complexe. Les plateformes territoriales d’appui ont les mêmes missions, élargies à toute population qui nécessite des prises en charge complexes.

38Puis, la gestion du risque : il s’agit d’assurer une organisation qui permette le passage d’une réponse de premier niveau vers la gestion coordonnée et l’accès à l’expertise dans une approche verticale. Pour assurer la totalité des besoins de la personne, il faut une coordination transversale entre tous les acteurs concernés. L’objectif de cette organisation est d’anticiper les décompensations, les situations de crise sociale pour permettre des actions programmées, réduire les risques d’aggravation de la maladie et de perte d’autonomie.

39Cette double entrée verticale et horizontale permet d’avoir des stratégies différenciées par niveau de risque suivant le modèle de Kayser :

  • Gestion de cas individualisée.
  • Mise en place de processus et protocoles spécifiques pour la gestion de la maladie chronique.
  • Participation et engagement de la responsabilité des patients.

40Enfin, les pratiques probantes invariantes : le but de l’organisation des parcours en santé est bien de mieux maîtriser la trajectoire de ces pathologies et de mieux accompagner les personnes au long cours. Il s’agit de réduire et/ou prévenir les incidents liés à la maladie, les aggravations, récidives. L’enjeu est d’engager des actions de prévention secondaire et tertiaire, de réduire la morbidité. Il s’agit de permettre à la personne d’être, quand elle le souhaite, en autogestion de sa maladie ; pour les acteurs en santé, d’avoir des réponses coordonnées et intégrées pour apporter des services individualisés. C’est finalement un programme ambitieux qui suppose une collaboration interdisciplinaire et interprofessionnelle.

IV.2 – La collaboration interdisciplinaire et interprofessionnelle

41Celle-ci ne se décrète pas, mais s’apprend. Les barrières sont nombreuses : une asymétrie de statuts et une asymétrie de culture entre les acteurs du champ sanitaire, médecins en particulier, et les acteurs du champ social et médico-social. Il existe aussi une asymétrie d’intérêts. Les professionnels sont réticents vis-à-vis d’une collaboration plus systématique avec d’autres intervenants, parce qu’ils y voient un risque de réduction de leur autonomie. L’adaptation à des règles communes et aux exigences des autres constitue autant de contraintes supplémentaires. Il existe un risque de réduction d’activité pour certains partenaires. Enfin, la coopération, en atténuant l’importance des frontières et des hiérarchies, risque de modifier les positions relatives dont certains acteurs tirent leur influence [8].

42Il est impératif de dispenser des formations au sein des enseignements initiaux en santé mais aussi d’assurer un accompagnement du changement en s’appuyant sur des leviers :

  • Un système d’information qui permette un accès à des bases de données, une transmission d’information sécurisée et un partage d’information en coordination pour faciliter le travail quotidien. C’est l’e-parcours avec le développement du numérique en santé inscrit dans la loi « Ma santé 2022 ».
  • Un lieu et/ou un temps commun pour exercer cette collaboration, structure unique de coordination et travail en dématérialisé.
  • Des outils cliniques partagés : dossiers partagés, outils de repérage, d’évaluation de modalités de suivi, communs et appropriés, accessibles dans les logiciels métiers.

43Nous disposons d’un document unique national pour repérer les besoins des personnes et identifier un plan de prise en charge et d’accompagnement : le PPCS déjà cité, publié par l’HAS. C’est un support de coordination générique et commun à l’ensemble des dispositifs de coordination. Il facilite leur convergence car il est formalisé autour d’éléments structurants communs :

  1. Il est élaboré autour de la séquence « repérage de la personne – évaluation de ses besoins et synthèse concertée de l’évaluation – plan d’action en réponse aux besoins (soins, aides, accompagnements) – évaluation et révision des actions ».
  2. Il est co-construit avec les usagers dont il recueille la parole. Il tient compte des valeurs, des attentes et des choix éclairés de la personne et de son entourage.

44Le modèle de PPCS peut être adapté par les professionnels pour tenir compte des spécificités de leur démarche. La rédaction du PPCS incite les professionnels à définir des objectifs communs partagés pour répondre aux besoins des personnes et témoigne de leur engagement auprès d’une population ciblée.

IV.3 – Des allocations de ressources financières dédiées au temps collaboratif

45Le développement du Chronic Care model de Wagner dans les années 1990, non seulement a fourni une meilleure compréhension des besoins des personnes porteuses de maladies chroniques, mais aussi montré que la transformation des organisations est réalisable. Les travaux conduits sur les parcours portent avant tout sur la transformation des organisations du système de santé, mais pas réellement sur la modification du financement, sauf les expérimentations en cours au titre de l’article 51 de la loi de financement de la Sécurité Sociale pour 2018 qui explore des nouvelles modalités d’allocations de ressources financières. Elle introduit notamment un paiement à l’épisode de soins, qui ne répond cependant pas au besoin de paiement du temps collaboratif.

46Dans l’expérimentation Paerpa, le paiement du PPS pour un montant de 100 euros à partager entre 2 ou 3 professionnels dont toujours un médecin qui reçoit 60 euros n’a pas fait la preuve de son efficacité. Les travaux québécois de Joanne Castonguay [9] vont dans ce sens : l’allocation de 50 dollars canadiens aux médecins de famille pour inscrire leurs patients complexes porteurs de maladies chroniques dans un suivi adapté n’a pas eu l’efficacité escomptée. Les enseignements internationaux analysés par Castonguay concluent en 2013 : « Les paiements sont un incitatif essentiel pour orienter les actions des prestataires, mais l’amélioration soutenue dépend des systèmes de collecte et de publication d’indicateurs de résultats. Il ne semble pas exister un mode de paiement qui soit supérieur aux autres. Le meilleur mode de paiement dépend de la situation de départ d’un système de santé. »

Conclusion

47Les travaux conduits sur les parcours des personnes âgées dans le système de santé ont été précurseurs du développement de la responsabilité populationnelle et de la réorganisation territoriale de proximité en cours. Le concept de parcours est dorénavant partagé et inscrit dans les textes législatifs, Néanmoins malgré une méthodologie qui commence à être éclairée par l’expérience, la mise en œuvre généralisée ne pourra se faire sans une formation à la prise en charge holistique des personnes porteuses de maladies chroniques. Cette formation devrait être continue mais aussi initiale et pluri professionnelle dans tous les cursus de santé. L’adaptation en cours en France des organisations du système de santé au service des personnes âgées, mais aussi d’autres populations ciblées, ne pourra se poursuivre sans un respect de règles d’accompagnement du changement. Ceci nécessite un axe d’accompagnement vertical, lisibilité de stratégie institutionnelle, objectifs attendus, indicateurs de suivi retenus ; et un axe horizontal : respect des écosystèmes de santé locaux laissant aux professionnels de terrain la liberté et la capacité de s’organiser sur leur territoire « comme ils l’entendent ».

48La crise de la Covid-19 que nous venons de vivre conforte la capacité des acteurs à s’adapter aux besoins des patients quand ils sont en mesure de le décider eux-mêmes. Il faut pérenniser et accompagner cette agilité et adaptation dont ont fait preuve l’ensemble des professionnels, particulièrement dans l’articulation ville-hôpital.

Notes

  • [1]
    Anap, « Les parcours de santé des personnes âgées sur un territoire », 2011-2012.
  • [2]
    Hcaam, « Vieillissement, longévité et assurance maladie », note adoptée le 22 avril 201.
  • [3]
    D. Carriburu, M. Menoret, Sociologie de la santé, institutions, professions et maladies, Armand Colin, 2004.
  • [4]
  • [5]
    S. Briançon, G. Guérin, « Maladies chroniques », Actualité et Dossier en Santé Publique, n° 72, septembre 2010.
  • [6]
    « Stratégie pour affronter l’enjeu de la chronicité en Euskadi », rapport Ministère Espagnol, juillet 2010.
  • [7]
    « Cadre de référence pour la prévention et la gestion des maladies chroniques physiques en première ligne », Ministère de la Santé et des services Sociaux, Québec, 2002.
  • [8]
    Huard, All, « Améliorer la prise en charge des pathologies chroniques », Pratiques et Organisation des Soins, volume 41, n° 3, juillet-septembre 2010.
  • [9]
    J. Castonguay, « Le financement des soins chroniques », Cirano, Montréal octobre 2013.
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