Regards 2018/2 N° 54

Couverture de REGAR_054

Article de revue

Des perspectives nouvelles de coopération franco-chinoise en matière d’assurance maladie et d’assurance retraite

Pages 189 à 203

Notes

  • [1]
    La Nouvelle Aquitaine avec le Sichuan, l’Occitanie avec le Tianjin, Auvergne Rhône-Alpes avec le Henan, le Grand Est - (Alsace) avec le Guizhou, et (Lorraine) avec le Gansu, l’Ile de France avec Pékin, et Provence Alpes côte d’Azur avec le Zhejiang.
  • [2]
    Source China Statistical Yearbook 2017.
  • [3]
    Articles 95 et 97 de la loi autonome des Assurances Sociales de 2011.
  • [4]
    Source, rapport sur les fonds d’assurance vieillesse et de retraite 20018-2022 de l’Académie Chinoise des Sciences Sociales.
  • [5]
    Source du Service économique, Ambassade de France/juillet 2014.

1Début septembre 2018, dans le cadre des rencontres entre la direction de l’EN3S et celle du National Social Security Capacity Building Center (NSSCBC), une mission a été conduite par D. Libault. Les rencontres réalisées à Pékin et dans la province du Zhejiang ont permis d’échanger sur les enjeux des assurance maladie et vieillesse chinoises, et de dégager de nouvelles perspectives de coopération. L’extension rapide des deux risques à l’ensemble de la population soulève des questions multiples, complexes dans leur résolution. Le taux de croissance annuelle à deux chiffres de l’assurance maladie, et le vieillissement sont deux défis majeurs. La multiplicité des dispositifs juxtaposés et des systèmes d’informations associés, la non portabilité des droits entre provinces, l’éclatement de la gouvernance sont autant d’enjeux contemporains. Cette mission a permis aussi d’étudier la stratégie de l’offre de service numérisée, déployée par les institutions en charge de la protection sociale chinoise.

2Depuis les années 1990, le développement de la protection sociale est une priorité des politiques publiques en Chine, avec une accélération notable depuis le milieu des années 2000. En 2009, le gouvernement central a décidé de rendre universelles les assurances maladie et vieillesse pour l’ensemble des populations rurales et urbaines d’ici 2020.

3Depuis 2007 dans le cadre d’une première convention de partenariat, l’EN3S a multiplié les échanges avec le National Social Security Capacity Building Center (NSSCBC), école de formation des cadres dirigeants de la protection sociale chinoise pour l’ensemble du pays. Ces échanges sont désormais inclus dans l’Accord stratégique France-Chine signé le 28 juin 2013 entre les Ministères en charge de la Sécurité Sociale dans leur pays respectif, le Ministère des Affaires Sociales et de la Santé pour la France, et le Ministère des Ressources Humaines et de la Sécurité Sociale pour la Chine (Le MOHRSS).

4Cet accord permet en sus des diverses actions déjà engagées entre l’EN3S et le NSSCBC de poursuivre un travail de coopération technique, basé sur des programmes de travail approfondis, axés notamment sur la professionnalisation des équipes, la gestion, l’extension de la couverture sociale de la population et la prise en compte de la couverture territoriale. Parmi les modalités de coopération établies par l’accord conventionnel de 2007 figuraient les voyages d’études en France de cadres chinois en charge des risques gérés par la sécurité sociale chinoise, ainsi que des séminaires d’études en Chine de cadres dirigeants français en charge de gestion d’un organisme de protection sociale. Cette forte dynamique a ouvert, à partir de 2013, le champ des études conjointes sur de nouvelles thématiques, abordées dans le cadre de formations ou de missions dans les deux pays.

5L’importance prise par les partenariats établis entre les provinces chinoises et les régions françaises doit aussi être soulignée. Portées par les URSSAF, Caisses Primaires et organismes du Régime social agricole, sept régions françaises sont désormais liées à des provinces chinoises [1].

6Cette tradition coopérative est également portée par l’organisation régulière de colloques franco-chinois.

7Tous les deux ans, se tient, alternativement en Chine et en France, un colloque sur une problématique partagée. En novembre 2014, un premier colloque s’était tenu à Paris sur le thème des « Politiques en faveur des personnes âgées ». En octobre 2016, un second colloque a été organisé à Pékin sur « L’assurance complémentaire santé ». En octobre dernier à Paris, s’est déroulé le troisième colloque sur « Numérique et Protection Sociale ».

8Parmi les modalités partenariales, figurent aussi les missions organisées régulièrement entre les équipes dirigeantes des deux écoles de formation (EN3S et NSSCBC), pour faire le point sur les avancées concrètes du programme de coopération. Début septembre 2018, une mission de ce type, conduite par Dominique Libault, directeur de l’EN3S, s’est déroulée en Chine, avec deux déplacements majeurs à Pékin et à Hangzhou.

9Cette mission, alimentée par de nombreux échanges, a permis de prendre la mesure de la réflexion et de la dynamique chinoises en matière de protection sociale, portées par la volonté des pouvoirs publics d’adapter celle-ci aux enjeux d’une couverture universelle dans les domaines de l’assurance maladie et de la retraite. Elle ouvre de nouveaux champs de coopération nécessitant l’implication de l’expertise des institutions nationales et locales françaises de protection sociale aux côté de l’EN3S.

10Les travaux de la mission lors de son déplacement ont également permis d’approcher la trajectoire de l’offre de service numérique, visant à simplifier les démarches des usagers en matière de droits et d’obligations dans la sphère sociale. Le colloque organisé par l’EN3S et le NSSCBC les 25 et 26 octobre 2018 a été l’occasion de partager l’expérience chinoise.

11La confrontation des expériences française et chinoise est un bon levier de réflexion, d’autant que la Chine, comme dans d’autres domaines, apprend et s’adapte très vite. Elle est à l’écoute de l’expérience française qui s’est profondément réformée, cinquante ans avant les transformations décidées en Chine.

I – Les principaux défis de la protection sociale chinoise

12- La Chine, comme la France, est confrontée aux défis de la maîtrise des dépenses de santé en pleine croissance annuelle (entre 16 et 20 %), d’une offre hospitalière complexe pas toujours efficiente, du vieillissement de la population, et de son corollaire la dépendance. Elle connait les difficultés liées à la mise en place de systèmes « universels » destinés à remplacer les dispositifs juxtaposés et incomplets. La question de la solvabilité du régime des retraites est également posée.

13Depuis près de dix ans, la Chine a renforcé son dispositif juridique pour améliorer l’accès de sa population à la sécurité sociale, garantie par la Constitution (article 45).

14Ainsi, les taux de couverture de la population contre les risques maladie et vieillesse ont fortement progressé. En 2004, 15,7 % de la population chinoise bénéficiaient d’une assurance santé de base. Aujourd’hui, ce taux atteint 99 %, avec un objectif d’extension à l’ensemble de la population à l’horizon 2020. De même en 2004, seulement 16,7 % de la population chinoise possédait une assurance vieillesse. A présent, plus de 80 % de la population est protégée contre ce risque. Mais des différences subsistent entre en particulier entre les travailleurs urbains et les travailleurs ruraux.

15Les études chinoises, notamment le rapport « China 2030 » concluent que la combinaison des évolutions démographiques avec l’extension des systèmes santé et retraite, conduiraient à plus que tripler entre 2010 et 2030, les dépenses publiques de retraites (passage de 2,7 % à 10 % du PIB), et à augmenter les dépenses publiques en santé de plus de 50 % sur la même période (glissement de 2,7 % à 4,2 % du PIB).

I.1 – Un système universel en construction

16Les sollicitations de nos partenaires chinois portent sur les préalables ou les leviers nécessaires à l’atteinte des objectifs de généralisation en cours des systèmes d’assurance maladie de base et de retraite : Professionnalisation de la gestion des organismes, pilotage global des systèmes de protection sociale, unification ou compatibilité des systèmes d’information, contrôle exercé sur les professions de santé, politique du médicament, stratégie hospitalière, portabilité des droits maladie ou retraite entre provinces.

17Si la mise en place d’un système de protection sociale devient une priorité du pouvoir politique dès le début des années 2000, le régime de base de la sécurité sociale actuelle chinoise repose sur la première loi autonome des Assurances Sociales entrée en vigueur le 1er juillet 2011. Il intègre la vieillesse, la maladie, les accidents du travail, la maternité et le chômage. La couverture des risques chômage, accidents du travail et maternité ne concerne alors que les travailleurs urbains.

I.2 – Un système accompagnateur des évolutions économiques successives

18Les réformes mises en place par les pouvoirs publics chinois ont visé à étendre la protection sociale à l’ensemble de la population rurale et urbaine, alors que le pays a connu de forts bouleversements socio-économiques, moteurs du décollage économique, mais également source possible d’inégalités sociales et territoriales menaçant le tissu social. Le système de protection sociale encore en construction, a dû faire face aux défis posés par l’exode massif de la main-d’œuvre rurale vers les grandes villes (lieux de production et d’exportation), et l’émergence de la catégorie des populations migrantes internes.

19Le passage d’une croissance économique d’abord adossée sur l’investissement et les exportations, à un modèle reposant davantage sur la consommation domestique, justifie aussi la mise en place d’une protection sociale universelle sécurisant la population contre les risques majeurs maladie et vieillesse, poussant traditionnellement à une épargne de précaution. Le rapport du Secrétaire Général XI Jinping au 19e Congrès du Parti Communiste Chinois d’octobre 2017 a confirmé la priorité donnée à la protection sociale, levier majeur de la cohésion sociale.

II – Les enjeux spécifiques de l’assurance maladie chinoise

20Pendant quelques années, l’assurance maladie a semblé être moins au cœur des priorités de coopération recherchées par nos partenaires, concurrencée par d’autres réflexions autour du financement de la protection sociale et des régimes de retraite notamment. Ceci n’est plus aussi vrai aujourd’hui, au regard des enjeux liés à la généralisation du système, confronté à des disparités de régimes, de droits, d’efficience du système de soins et de solidité financière. Les premières réformes touchant au système chinois de l’assurance maladie datent de 1998. Entre 1998 et 2010, la population couverte par la branche assurance maladie de base est passée de 19 à 433 millions. En 2018, plus de 1,2 milliards de Chinois sont protégés par l’assurance maladie de base.

II.1 – Un peu d’histoire

21L’évolution de l’économie chinoise et ses besoins en main d’œuvre au début des années 2000 a impulsé de nouvelles mobilités, illustrées par les migrations massives de travailleurs issus des zones rurales vers les zones urbaines. Ce phénomène a entraîné l’apparition de plusieurs problématiques liés à des prises en charge du risque santé différents selon les catégories de travailleurs. Historiquement la population rurale ne bénéficiait pas d’une sécurité sociale institutionnelle, contrairement aux travailleurs urbains couverts par les assurances sociales garanties par les entreprises d’État. En milieu rural, la solidarité familiale faisait office de filet de sécurité. Une nouvelle catégorie de travailleurs est apparue, les migrants, qui ont rejoint les centres urbains industriels, notamment du littoral oriental. Cette catégorie ne bénéficie pas spontanément de l’accès au système de protection sociale organisé pour les travailleurs des zones urbaines.

22Historiquement, le bénéfice d’avantages sociaux est lié à la localité de résidence (système du hùkõu ou livret de résidence à la naissance, réparti en deux catégories le livret rural et le livret urbain). Les travailleurs considérés en ville comme migrants, sont ceux qui ne possèdent pas de Húkõu urbain. Pour les migrants, souvent très pauvres, bénéficiaires de contrats de travail ou clandestins, la maladie ou l’accident de travail sont toujours synonymes de perte de revenus avec l’impossibilité d’être pris en charge par le système de santé du lieu de travail. En 2016, le phénomène de la population migrante (nongmingong) était estimé par les pouvoirs publics à environ 245 millions d’individus, soit près de 18 % de la population chinoise de 1,374 milliards individus [2].

23Certaines villes apporteront des améliorations aux droits sociaux des travailleurs migrants. Ainsi à Shanghai, un migrant ayant travaillé sept ans dans la ville et acquitté des cotisations sociales (existence d’un contrat de travail) pouvait obtenir un hùkõu urbain lui ouvrant droit au système de protection sociale. Dans la plupart des villes, le fait d’obtenir un hùkõu urbain, ne permettait toujours pas d’obtenir un accès aux droits proposés par la protection sociale locale, même avec un contrat de travail. La réponse apportée à ce fort enjeu, source d’injustice et d’instabilité sociale, a été l’instauration d’une couverture maladie de base obligatoire, pour les migrants en milieu urbain, par la loi autonome des Assurances Sociales entrée en vigueur en juillet 2011 [3].

24Le système d’assurance maladie chinois couvre les travailleurs urbains salariés (dont les migrants et les étrangers), les résidents urbains sans activité professionnelle (personnes âgées, personnes sans emploi, étudiants, et les enfants) par affiliation volontaire, et les fonctionnaires. Les travailleurs indépendants (sans salarié) peuvent aussi être couverts par l’assurance maladie selon diverses modalités.

25Ainsi la province du Zhejiang propose aux travailleurs indépendants ayant un permis de travail, ou une licence commerciale, de choisir entre l’affiliation volontaire au régime local d’assurance maladie des travailleurs urbains ou le maintien dans le régime de la province de leur résidence initiale. En l’absence de ces autorisations, c’est le régime de la résidence initiale hors de la province du Zhejiang qui prévaut.

26Pour les travailleurs ruraux, l’extension de l’assurance maladie a été réalisée, par le biais du New Cooperative Medical Scheme, auquel les résidents ruraux peuvent s’affilier volontairement.

27L’objectif du gouvernement central est de généraliser la couverture médicale de base dite universelle (quanmin jiben yibao) au plus tard en 2020 pour tous les résidents des zones rurales et urbaines.

II.2 – Les nouveaux enjeux de l’assurance maladie de base

28Si la priorité stratégique visant à proposer une couverture d’assurance maladie de base est en passe d’être atteinte d’ici 2020, un enjeu important demeure autour des niveaux de prise en charge en fonction du régime d’appartenance ou du territoire, faute d’un dispositif unifié.

Tendre vers un régime unifié et national

29La mise en place de la couverture maladie universelle procède davantage de la juxtaposition de régimes disparates et catégoriels que de la mise en place d’un système unifié assurant les mêmes droits à l’ensemble des populations. Le système d’assurance maladie repose sur plusieurs régimes, les travailleurs salariés urbains, les résidents urbains, les résidents ruraux, les fonctionnaires et un programme d’assistance pour les populations les plus pauvres. Le système maladie repose aussi sur une fragmentation géographique, laissant aux autorités locales une grande autonomie de gestion sur les droits et les cotisations.

30Ce choix d’une gestion décentralisée a aussi abouti à l’existence de plusieurs milliers de fonds (3500 en 2012) nuisant à la mutualisation des risques, donc à leur soutenabilité financière.

Faire converger les taux et périmètres de prise en charge

31Si les options du système d’assurance maladie sont bien adoptées au niveau national, les provinces et les villes conservent des marges d’autonomie dans l’application modulée de la réglementation en raison de contraintes économiques ou sociales locales. Les taux de prises en charge ne sont pas nécessairement homogènes selon les régimes de couverture, faisant varier les restes à charges. Globalement selon l’OMS, le reste à charge était encore de 34,9 % en 2011 avec de fortes disparités selon les territoires et les catégories d’assurés sociaux, l’assurance maladie de base intervenant à hauteur de 56 % et les assurances complémentaires pour 9 %.

32Ainsi dans la province de Zhejiang, visitée par la mission, les taux de remboursements des soins peuvent varier entre 70 % pour les habitants ruraux ou urbains, et 83 % pour les travailleurs salariés. Les travailleurs migrants ont également un traitement souvent différencié avec la possibilité de choisir entre le régime provincial d’assurance maladie de base de leur lieu de travail (s’ils possèdent un permis de résidence et/ou un contrat de travail) et le régime d’assurance maladie de base de leur domicile historique, dans l’attente de l’obtention de ce permis de résidence. Dans cette dernière hypothèse, le travailleur migrant malade doit se faire soigner dans sa province et ville d’origines. Subsistent également des disparités conséquentes en matière d’aides au titre de l’assistance médicale versées par les bureaux des affaires civiles des localités.

33La prise en charge des affections longue durée, prévue dans la réforme de 2009, reste à construire. En l’absence d’équivalent au dispositif français, les restes à charge demeurent importants pour les patients nécessitant des soins lourds.

Réussir la portabilité des droits

34La loi autonome sur les Assurances Sociales de 2011 a posé le principe de portabilité des droits acquis au titre de l’assurance maladie (et de l’assurance retraite). Mais, dans les faits, il n’existe pas de portabilité des droits entre provinces. Ainsi, un travailleur de Pékin muté par son employeur à Hangzhou, une des villes visitées par la mission, ne bénéficiera pas du transfert de ses droits précédemment acquis à l’assurance maladie de la municipalité de Pékin, à l’instar de ce qui se produit dans les systèmes unifiés, comme le système français. Pour les travailleurs mobiles, la notion d’universalité territoriale reste à bâtir. La fragmentation des systèmes d’information et l’existence de règles parfois différentes, notamment sur les conditions d’éligibilité, sont aujourd’hui autant d’obstacles à surmonter pour instaurer la portabilité des droits d’une province à l’autre.

35Aujourd’hui, l’assurance maladie de base repose sur plusieurs régimes. Il existe aussi les assurances complémentaires santé pour les salariés travaillant en entreprise. L’État intervient financièrement en complément par le biais de l’aide sociale auprès des populations les plus pauvres, afin de leur permettre d’accéder aux soins.

36A terme, l’État aura à se déterminer sur un modèle d’assurance maladie, définissant à nouveau ce qui relèverait de marges locales et provinciales ou du niveau national. Ce qui ne manquera sans doute pas de créer des tensions avec les acteurs locaux. En 2016, le Gouvernement Central a décidé de mettre en place un régime unifié de l’assurance maladie pour les résidents urbains non-salariés et les résidents ruraux, commencement d’une marche possible vers une un système totalement unifié à terme.

Maîtriser les dépenses de santé

37Le gouvernement chinois reste attentif aux équilibres financiers de l’assurance maladie de base, dans un contexte croissance annuelle des dépenses de santé de l’ordre de 16 à 20 %, s’expliquant notamment par l’extension progressive de la protection à l’ensemble de la population. Les autorités chinoises établissent un lien entre le niveau de la prise en charge financière des soins et la performance économique du pays, afin d’écarter tout risque de déficit budgétaire qui devrait être obligatoirement comblé par l’État central.

38Le désengagement financier de l’État au début des années 2000 vis-à-vis du secteur santé a poussé les établissements publics de soins, bénéficiant d’une autonomie de gestion croissante et d’une situation de quasi-monopole, à des pratiques génératrices de dépenses pour l’assurance maladie : sur-prescription généralisée des médicaments à prix non encadrés aux dépens des médicaments à prix fixes, utilisation abusive de la prescription médicamenteuse pour équilibrer leurs comptes. Ce mouvement a été accompagné par les praticiens hospitaliers eux-mêmes intéressés aux bénéfices des hôpitaux publics.

39La possibilité pour les patients de choisir leur parcours de soins et donc d’aller vers les hôpitaux publics urbains de meilleures qualité et technicité que les hôpitaux ruraux a aussi encouragé ces dérives.

40En 2009, une première réforme sur la politique du médicament est lancée, touchant à la production de médicaments, à la fixation de prix excluant toute marge bénéficiaire pour les hôpitaux publics, et à la rationalisation des prescriptions. Cette réforme a mécaniquement amélioré le taux de remboursement de l’assurance maladie de base, et par voie de conséquence l’accès aux soins, en particulier en milieu rural. Mais pour éviter des déficits hospitaliers trop importants, l’État a dû compenser à l’aide de subventions la perte de revenus imposée aux hôpitaux.

41Une autre tendance est apparue dans l’activité des hôpitaux, l’innovation dans des soins sophistiqués et couteux, concernant un nombre relativement réduit de patients.

42Pour assurer la solvabilité financière, la politique des taux de cotisation est également sollicitée au niveau local, soit en augmentant les taux appliqués aux assurés (équilibre financier du système). Parfois, ce sont des baisses qui sont décidées pour des motifs économiques en diminuant ceux des employeurs (développement des entreprises et soutien à la croissance), comme ce fut le cas en 2018 à Pékin, Shanghai, Tianjin, et les provinces du Guangdong (Canton) et du Zhejiang (Hangzhou).

43La généralisation d’une complémentaire santé individuelle est une voie retenue pour contenir les dépenses de l’assurance maladie de base. Depuis 2015, les pouvoirs publics, Ministère des Finances et Commission de Régulation des Assurances en Chine, ont lancé un projet visant à généraliser les complémentaires « santé » individuelles, en associant une mesure de défiscalisation annuelle.

Renforcer le pilotage global du système

44La réflexion menée sur la gouvernance du système d’assurance maladie, a conduit le gouvernement central à créer en 2018, une nouvelle Administration Nationale de l’Assurance Maladie (ANAM), visant à renforcer le pilotage national, évolution qui aura sans doute des prolongements organisationnels et structurels au niveau des administrations provinciales et locales. Directement rattachée au Premier Ministre, elle regroupe plusieurs administrations jusqu’alors dispersées entre différents ministères. Cette évolution corrobore le choix d’un futur système unifié et national.

45La nouvelle Administration Nationale de l’Assurance Maladie détient les compétences détenues en France par la Direction de la Sécurité Sociale et par la Caisse Nationale d’Assurance Maladie : Pilotage stratégique, gestion des ressources budgétaires, définition des taux de cotisation et des tarifs de prise en charge des soins et des médicaments, politique de maîtrise des dépenses de santé, actions sur les comportements des professionnels de santé et des patients. Somme toute des thèmes classiques pour à la fois satisfaire les besoins de la population tout en maîtrisant l’évolution des dépenses.

46Cette réorganisation devra davantage intégrer la nécessaire coordination avec le Ministère en responsabilité de la Santé, sur le niveau de prise en charge et le contenu du panier de soins. Ceci permettra d’éviter, à titre d’exemple, que perdure le non remboursement de certains médicaments pourtant prescrits par les hôpitaux publics, parce que ne figurant pas sur la liste des médicaments remboursables.

47La refonte de la politique du médicament et la réforme du secteur hospitalier constituent les deux axes majeurs de réformes à côté du développement d’une couverture assurance maladie universelle. Il s’agit globalement d’améliorer la qualité des soins et l’efficacité du système de santé dans un cadre financier maîtrisé. Une des difficultés actuelles de pilotage des réformes du système tiendrait en ce que la gestion de l’assurance maladie est encore à la main des provinces et des villes. L’émergence d’une nouvelle administration dédiée va sans doute modifier l’équilibre actuel des pouvoirs entre les niveaux de décisions.

III – Les enjeux spécifiques du système de retraite chinois

48Comme pour l’assurance maladie, le Gouvernement Central a opté pour un système assurance retraite généralisée, pour les résidents urbains et les résidents ruraux. (Articles 21 et 22 de la loi autonome sur les Assurances Sociales. 2011). La mise en place d’un système national, unifié va de pair avec le renforcement du pilotage national portant sur la gestion des cotisations et sur le paiement des pensions.

49La Chine va rapidement être confrontée au développement du régime de retraite conjugué avec le vieillissement de la population.

III.1 – Un peu d’histoire

50Le système de retraite repose sur plusieurs régimes :

  • Les travailleurs urbains, avec trois niveaux, une assurance vieillesse obligatoire (système de répartition), une assurance retraite complémentaire (mise en place par les entreprises) et un système volontaire d’épargne personnelle.
  • Les employés de la fonction publique.
  • Les résidents ruraux âgés de plus de 16 ans. Ce régime prévoit une assurance volontaire garantie par une cotisation, complétée par des subventions d’État et des collectivités locales.
  • Les résidents urbains non-salariés et sans activité professionnelle. Ce régime est alimenté par des cotisations individuelles.
  • Les travailleurs « indépendants » sont couverts obligatoirement par l’assurance vieillesse. Ils peuvent choisir de cotiser au régime des travailleurs urbains ou à celui des résidents urbains non-salariés.

51De 1998 à 2010, le nombre de retraités est passé de 112 à 257 millions, avec une projection autour de 350 millions en 2030. En 2012, 82 % de la population active urbaine, soit 300 millions d’individus, étaient affiliés au système de retraite. A partir de 2009, se déploie un régime de retraite destiné aux habitants ruraux. En 2011, 330 millions résidents ruraux y sont affiliés. Par ailleurs, un régime comparable a été déployé à partir de 2011 au profit des travailleurs non-salariés résidant en ville. En 2012, à l’aide de ces trois régimes de retraite, plus de 80 % de la population de plus de 16 ans sont affiliés au système de retraite.

III.2 – Les enjeux du système de retraite chinois

52Paradoxalement, la Chine très peuplée, vit une faiblesse démographique liée à l’accélération du vieillissement de la population alors que la population globale stagne entre 1milliard 300 millions et 1 milliard 400 millions d’habitants. La politique de l’enfant unique certes assouplie en 2014 a créé le phénomène du « 4-2-1 ». Ceci veut dire que dans une famille, l’enfant unique pourrait avoir à payer pour ses deux parents et ses quatre grands parents. C’est clairement l’enjeu de la soutenabilité du système retraite qui est posé, alors que le nombre d’actifs décline depuis 2012.

Des choix à réaliser pour garantie la soutenabilité des régimes de retraite sur la durée

53En janvier 2018, l’Académie chinoise des Sciences Sociales s’est alarmée dans un rapport [4], sur la soutenabilité financière du système. Elle évoque à l’appui de ses alertes, l’évolution du rapport actifs/inactifs : A l’échelle nationale en 2018, le taux d’actifs est de deux pour un inactif. En milieu urbain, il est encore de cinq actifs pour un inactif. En 2022, ce taux passera de quatre actifs pour un inactif. Les projections s’accordent à estimer (sources Nations Unies) que la population de plus de 60 ans va représenter près de 25 % de la population totale en 2030, à comparer aux 12,5 % en 2010. Selon le rapport de l’Académie, es difficultés financières des fonds vont rapidement s’afficher pour treize à quatorze provinces, sur les trente-quatre que compte le pays.

54Les pistes de l’allongement de la durée de cotisation et de report de l’âge de départ à la retraite sont à l’étude. L’âge légal de départ à la retraite est fonction de plusieurs paramètres, sexe, secteur d’activité professionnelle ou métier exercé. Il faut souligner que l’âge moyen de départ à la retraite était de 51,2 ans en 2014 [5], soit dix ans de moins que la moyenne mondiale.

55Actuellement en application de l’article 16 de la loi sur les Assurances Sociales de 2011, la période minimale de contribution d’un assuré social ayant atteint l’âge légal de départ à la retraite est de quinze ans, hormis pour les fonctionnaires. Une loi sur les fonctionnaires du 1er septembre 2017, entrée en vigueur au 1er janvier 2018 stipule dans son article 88 que cette catégorie professionnelle doit une contribution de trente ans, avant de pouvoir bénéficier du droit à la retraite.

Construire la portabilité des régimes retraites entre les provinces

56La taille du pays explique les choix faits par le passé de droits ouverts au niveau des provinces, dont les populations dépassent en nombre celle des grands pays européens. A cette fragmentation territoriale du système, comme pour l’assurance maladie de base, s’ajoutent plusieurs régimes de retraite disparates, évoqués précédemment.

Réduire les écarts entre les montants de retraite à revenus identiques d’activité

57Les montants des retraites versées par rapport aux revenus d’actifs comparables sont également disparates selon les catégories professionnelles.

IV – L’expérience chinoise, source d’inspiration pour développer les solutions du guichet unique et l’offre de service numérique

58Ces expérimentations s’inscrivent dans le droit fil de la stratégie des pouvoirs publics d’améliorer le fonctionnement des services publics dans les zones rurales comme urbaines. Elles sont en cours dans la province du Zhejiang, siège de l’entreprise du e-business, Alibaba.

IV.1 – Un environnement très favorable à l’innovation en Chine et dans le Zhejiang

59La Chine possède 800 millions d’internautes. L’appétence pour les nouveaux services est très forte, e-commerce et démarches administratives en ligne ou à l’aide du téléphone mobile. Cette offre en fort développement s’inscrit dans les objectifs du Président Xi Jinping de faire de la Chine « un des leaders innovateurs d’ici 2030, avant d’atteindre l’objectif de se transformer en puissance scientifique et technologique de premier rang mondial avant le centenaire de la fondation de la République populaire de Chine en 2049 ».

60Certaines entreprises et universités françaises ont pris la mesure de ce dynamisme. Deux Maisons Franco-Chinoises de l’Innovation ont été créées à Pékin et à Shenzhen, lieux de rencontre et de fertilisation croisées pour les universités, grandes écoles (HEC, ESCP Europe), grands groupes, start-ups et chercheurs des deux pays.

61Le Zhejiang, est une province de l’est qui se situe en dessous de Shanghai. Sa capitale est Hangzhou. D’une superficie de plus de 104 000 km2, sa population (recensement 2015) était de plus de 55,3 millions d’habitants, dont près de 66 % habitent en ville. Son PIB par habitant la situe au quatrième rang des 34 provinces chinoises. Cette province témoigne de ce qu’on peut appeler le miracle économique chinois ; un territoire pauvre et rural devenu une grande région économique avec de grandes aventures industrielles, autour du biomédical, du service numérisé et de l’automobile.

62La présence du siège d’Alibaba, grande entreprise du numérique explique le lancement expérimental d’une offre de service numérique par les administrations et les organismes de protection sociale de la province. L’environnement est particulièrement favorable à cette évolution.

IV.2 – L’offre de service numérisée impulsée dans le Zhejiang par les pouvoirs publics en charge de la protection sociale

63Une offre de service a été installée sur une plateforme de service inter administrations réalisée par l’entreprise Alibaba. Cette offre propose sur le site provincial, les informations propres à l’assurance maladie, ainsi qu’une offre élargie mettant l’accent sur le « Un seul déplacement », toutes administrations confondues.

64Il est ainsi possible à partir d’un téléphone mobile (solution privilégiée), d’une borne multi-administrations, voire d’un ordinateur personnel, d’accéder à près de 150 applications portant sur des démarches administratives, qui évite aux administrés de se déplacer, en particulier ceux de zones isolées.

65Dans le domaine de la protection sociale, les démarches mettant l’assuré social en lien avec son organisme d’assurance maladie de base, ou son établissement de soins sont multiples : vérification du compte individuel « assurance maladie », versement de cotisations, récupération d’une attestation de droits, obtention d’un rendez-vous à l’hôpital, déclaration de perte de la carte d’assurance maladie, transmission en temps réel des factures entre l’hôpital et l’organisme assurance maladie en charge du règlement, Alibaba a contractualisé cette dernière offre de service avec 7000 hôpitaux dans 20 villes.

66Pour les organismes de retraite, a été mis en place à titre expérimental à Shenzhen, par le biais de cette plateforme, un système de reconnaissance faciale permettant à un retraité de prouver qu’il est toujours en vie, sans devoir se déplacer.

67D’aucun pourrait avancer que des offres de service semblables ont été proposés ou sont en cours de développement de la part des organismes en charge de la protection sociale en France. Ce qui est intéressant dans la solution chinoise c’est que les administrations et les organismes de protection sociale se sont associés pour proposer un bouquet de services commun.

68Parallèlement, une politique d’implantation physique de guichets uniques multi-organismes est amorcée. Ces guichets uniques proposent le service de la plateforme inter administrations par le biais d’une borne partagée.

V – Conclusion sur les nouveaux thèmes de coopération possibles au regard des réformes en cours

69La volonté du Gouvernement Central chinois de réussir la généralisation d’un système d’assurance maladie de base universel, et d’un système de retraite généralisé d’ici 2020, constitue deux opportunités de poursuivre la coopération initiée depuis 2006 entre l’EN3S et le NSSCBC, avec le soutien des Ministères de tutelle français et chinois, le concours des institutions et des administrations de Sécurité Sociale.

70La montée en charge ambitieuse des réformes en cours sur l’assurance maladie de base et la retraite, amènent nos partenaires chinois à s’interroger en toute légitimité sur des réformes structurantes.

71En matière d’assurance maladie, les interrogations portent notamment sur le champ et le niveau de prise en charge par la couverture de base. Des échanges sur place ont montré que la réflexion sur le rôle des complémentaires santé était active. Les pouvoirs publics, les experts et les universitaires procèdent à des observations comparatives sur les modèles « historiques » à haut niveau de prise en charge par le système de base obligatoire (France et autres pays européens) et les modèles privilégiant l’intervention des complémentaires santé privés (États-Unis). La volonté de renforcer le pilotage s’exprime très nettement avec la création d’une administration nationale dédiée à la seule assurance maladie de base. A travers l’émergence de l’ANAM, s’exprime la vision d’un système plus unifié porté par une institution nationale renforcée. La maîtrise des dépenses de santé et l’efficience du système de santé sont les préoccupations majeures de cette administration récente. Cette nouvelle administration nationale de l’assurance maladie, en ayant choisi pour son premier déplacement à l’étranger d’approfondir sa connaissance du système français, a ouvert une réelle opportunité de coopération.

72Les préoccupations de la soutenabilité des dépenses concernent aussi le système de retraite. Les Institutions de sécurité sociale françaises, nationales et locales, avec l’EN3S, sont en capacité de témoigner de leur expérience, de suggérer des réponses sur les questions posées par nos partenaires chinois. Le Ministère des Ressources humaines et de la Sécurité Sociale, toujours en charge du risque vieillesse, souhaite également coopérer sur le thème de la portabilité des droits.

73A contrario, les expérimentations chinoises en cours en particulier dans la région du Zhejiang, d’une offre de service numérique inter administrations et de la mise en place de guichet unique de protection sociale peuvent être une source d’inspiration, parmi d’autres, pour les institutions françaises. La transition numérique justifie également de porter la réflexion sur la prise en compte par les systèmes de protection sociale des nouvelles modalités de travail induites par l’économie numérique. La confrontation des solutions ne peut être qu’enrichissante, comme l’a montré le colloque organisé au mois d’octobre 2018 par l’EN3S et le NSSCBC sur le « Numérique et la Protection Sociale ».


Date de mise en ligne : 18/04/2019

https://doi.org/10.3917/regar.054.0189

Notes

  • [1]
    La Nouvelle Aquitaine avec le Sichuan, l’Occitanie avec le Tianjin, Auvergne Rhône-Alpes avec le Henan, le Grand Est - (Alsace) avec le Guizhou, et (Lorraine) avec le Gansu, l’Ile de France avec Pékin, et Provence Alpes côte d’Azur avec le Zhejiang.
  • [2]
    Source China Statistical Yearbook 2017.
  • [3]
    Articles 95 et 97 de la loi autonome des Assurances Sociales de 2011.
  • [4]
    Source, rapport sur les fonds d’assurance vieillesse et de retraite 20018-2022 de l’Académie Chinoise des Sciences Sociales.
  • [5]
    Source du Service économique, Ambassade de France/juillet 2014.

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