Notes
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[1]
Rapport du groupe de travail « Aptitude et médecine du travail » (Mai 2015)
-
[2]
La loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels a gommé une partie des différences entre les régimes juridiques des inaptitudes médicales (au poste) d’origine professionnelle et non professionnelle. Elle a aussi remodelé, d’aucuns diront bouleversé, l’organisation de la recherche du reclassement du salarié victime. V. S Fantoni, F Héas, PY Verkindt, La santé au travail après la loi du 8 août 2016, Dr social 2016.921
-
[3]
C.trav., art. L 1226-13 à L 1226-17
-
[4]
C’est-à-dire en assurant le maintien du lien d’emploi
-
[5]
C. sec. soc. art. L 323-3-1
-
[6]
C. trav., art. R 4624-31
-
[7]
Cass soc 25 févr. 1997, n° 94-41351
-
[8]
Cass soc 11 juill. 2012, n° 10-23 831, inédit dans une espèce où le juge du fond avait cru pouvoir considérer que la petite taille de l’entreprise et le conflit entre les parties rendaient impossible la réintégration
-
[9]
Cass soc., 30 nov 2010, n° 09-66210, Bull. civ., V, n° 272
-
[10]
Cass soc 26 janv. 2011, n° 09-42 117 inédit (fait isolé), Cass soc 29 mars 2017, n° 15-29329 inédit (faits non établis)
-
[11]
Cass soc 15 mars 2005, n° 03-43038, Bull civ., V, n° 87
-
[12]
Cass soc 21 nov. 2000, n ° 98 42509, Bull civ., V, n° 381 (« … ni l’existence d’une cause économique de licenciement ni l’application des critères de l’ordre des licenciements ne suffisent à caractériser l’impossibilité de maintenir le contrat pour un motif non lié à l’accident »).
-
[13]
Cass soc 23 sept 2009, n° 08-41685, Bull.civ., V, n° 192 ; Cass soc, 7 janv. 2015, n° 13-23059 ; comp. Cass soc 16 mars 2016, n° 14-25543 inédit ;
-
[14]
Cass soc 9 juin 2010, n° 09-41040, Bull.civ., V, n° 131 « … les règles protectrices applicables aux victimes d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle s’appliquent dès lors que l’inaptitude du salarié, quel que soit le moment où elle est constatée ou invoquée, a, au moins partiellement, pour origine cet accident ou cette maladie et que l’employeur avait connaissance de cette origine professionnelle au moment du licenciement »
-
[15]
Cass soc 12 mai 2004, n° 02-44325, Bull.civ., V, n° 132
-
[16]
Cass soc 7 mars 2007, n° 05-42279, Bull. civ., V, n° 42
-
[17]
Cass soc, 30 septembre 2014, n° 13-16297 comp. Circ. DGT n°2009-04 du 17 mars 2009
-
[18]
C’est-à-dire depuis le 1er janvier 2017.
-
[19]
Cass soc., 24 mars 2010, n° 09-40339, Bull.civ., V, n° 72
-
[20]
C. trav., art. L 1226-11
-
[21]
Alors réservée aux seules inaptitudes d’origine professionnelle (pour une illustration, Cass soc 25 mars 2015, n° 13-28229, publié)
-
[22]
Au demeurant, un avis d’inaptitude à tout emploi ou le classement du salarié en deuxième catégorie d’invalidité ne suffisaient pas à alléger l’obligation de rechercher le reclassement (Cass soc., 19 oct 2005, n° 02-46 173, Bull.civ. V, n° 293 ; Cass soc, 10 févr. 2016, n° 14-16148 inédit)
-
[23]
Cass soc 23 nov 2016, n° 15-18092 et 14-26 398 tous deux promis à la publication au Bulletin
-
[24]
S Fantoni, F Héas, PY Verkindt, La santé au travail après la loi du 8 août 2016, Dr social 2016.921 ; L Mazon et M Loiselet, Réforme de l’inaptitude médicale : vers un nouvel échec de simplification ?, SS Lamy, 2017, n° 1761, p. 6 ; A Gardin, La réforme des règles relatives à la santé au travail : entre ombres et lumières, RJS 2017, p. 275 ; M Ledoux et A Godefroy, La sécurisation relative de la procédure d’inaptitude, RJS 2017, p. 93
-
[25]
C. trav., art. R 4624-31 ancien
-
[26]
C. trav., art. L 4624-4 et L 4624-5 dans leur rédaction issue de la loi du 8 août 2016, v. aussi le décret n° 2016-1908 du 27 décembre 2016 (C. trav., art. R 4624-42 et s.)
-
[27]
C. trav., art. L 4624-4 in fine
-
[28]
C. trav., art. L 4624-6
-
[29]
Sur le sujet, v. M Ledoux et A Godefroy, op cit.
-
[30]
L’employeur doit proposer un autre emploi au salarié approprié à ses capacités en se fondant sur les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu’il formule sur les capacités du salarié à exercer une des tâches existant dans l’entreprise ainsi que l’aptitude du salarié à bénéficier d’une formation le préparant à occuper un poste adapté. Il doit aussi consulter les délégués du personnel.
-
[31]
C. trav., art. L 1226-14 alinéa 2
-
[32]
Sur le mode calcul de l’ensemble de ces indemnités, v. C. trav, art. L 1226-16. Le sort du salarié sous contrat à durée déterminée est nettement moins favorable puisque l’article L 1226-20 du Code du travail écarte l’application à son profit des articles L 1226-14 à L 1226-16.
-
[33]
Loc cit.
-
[34]
C. trav., art. L 4622-2, 2°
-
[35]
C. sec soc, art. L432-9, L 323-3 et R 323-3 ; aussi C sec soc art. R 481-2
-
[36]
Ainsi du contrat de rééducation professionnelle en entreprise qui peut dans certains cas prendre la suite d’une reprise du travail à temps partiel thérapeutique ou de la formation réalisée en centre de rééducation professionnelle ou en centre de pré-orientation professionnelle
-
[37]
Les organismes de l’assurance maladie (service médical, service social CARSAT, …), l’AGEFIPH et le Service d’appui pour le maintien dans l’emploi des travailleurs handicapés (SAMETH) ou encore la Maison départementale des Personnes Handicapées (MDPH) et la Commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées pour ne citer que quelques acteurs d’une longue liste.
-
[38]
V. par exemple l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme estimant que le système français de réparation du risque professionnel n’était pas discriminatoire au sens de l’article 14 de la Convention (CEDH 12 janvier 2017, req. 74734/1 JCP S 2017, 1054 note D Asquinazi Bailleux)
1Le droit français du risque professionnel s’organise autour des trois pôles que sont la prévention, la sanction et la réparation. Les frontières entre ces composantes de la politique de santé au travail ne sont cependant pas étanches. C’est ainsi que si les instruments juridiques de la prévention trouvent leur place naturelle au sein du Code du travail, le Code de la sécurité sociale offre lui aussi des leviers pour développer une action préventive pilotée depuis les CARSAT. De même, l’amélioration de la réparation par l’effet de la constatation d’une faute inexcusable, et le renchérissement du coût de l’accident ou de la maladie qui en résulte, participent aussi d’une logique sanctionnatrice.
2La réparation des effets de la réalisation du risque professionnel présente elle-même une image composite. En effet, au-delà de la réparation des conséquences de l’accident du travail et de la maladie professionnelle assurée par le Livre IV du Code de la sécurité sociale, la question du retour du salarié victime dans son emploi ou dans un emploi émerge comme une donnée centrale de la politique de réparation du risque lorsque l’on constate avec le Rapport Issindou [1], que l’inaptitude, conduit dans quatre-vingt-quinze pour cent des cas à la perte de l’emploi. Le rapprochement du sort des victimes d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle et de celui des salariés devenus médicalement inaptes à leur poste pour une autre raison [2] ne dispense pas de constater que c’est d’abord au profit des premiers que le législateur est intervenu.
3La loi n°81-3 du 7 janvier 1981 avait en effet pour finalité de leur assurer une situation plus favorable. Il faut en effet se souvenir que lorsque ce texte est adopté, l’inaptitude médicale du salarié est encore une cause de rupture dite « non imputable » à l’employeur. Dans ce contexte, l’instauration d’un régime spécifique à destination des accidentés du travail résultait du constat que l’entreprise étant peu ou prou à l’origine de l’atteinte à la santé ou à l’intégrité physique du salarié, elle devait supporter des contraintes supplémentaires s’agissant de la recherche du maintien du salarié dans l’emploi. Ainsi, quoiqu’exprimée du bout des lèvres, l’idée d’une réparation via la protection de l’emploi n’était pas absente de l’innovation législative. Elle n’a pas disparu si l’on considère le régime indemnitaire spécifique de l’absence de recherche de reclassement et de l’absence de reclassement lorsque l’inaptitude a une origine professionnelle [3].
4Il n’y a donc rien d’incongru à examiner le rapport à l’emploi de la victime d’un risque professionnel au prisme d’une exigence de réparation, si l’on veut bien considérer que la notion de réparation renvoie aux idées de remise en l’état, de dédommagement et de compensation (sous une forme pécuniaire ou non) d’un préjudice.
5En d’autres termes, en complément de la réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles organisée au Livre IV du Code de la Sécurité sociale, les dispositifs issus principalement du Code du travail destinés à favoriser le maintien dans l’emploi, le retour dans l’emploi antérieurement occupé, ou encore enfin la réinscription dans le marché du travail participent aussi à leur manière à la réparation lato sensu du risque professionnel. Ils y parviennent en « sanctuarisant » la période de suspension du contrat de travail [4] et en renforçant l’obligation faite à l’employeur de rechercher le reclassement du salarié inapte. On verra cependant que la protection du lien d’emploi est relative et que l’exigence de recherche de reclassement, quoique que fortement sanctionnée, n’est pas incompatible, il s’en faut de beaucoup, avec le maintien du droit de l’employeur de procéder au licenciement.
I – Sanctuariser la période de suspension du contrat de travail
6Tandis que l’article L 1226-9 du Code du travail pose un principe d’interdiction de rompre le contrat pendant la période de suspension, tout en réservant quelques exceptions que la jurisprudence tend à interpréter très restrictivement, l’article L. 1226-7 opère une délimitation de la période d’emploi ainsi protégée. Nul doute que la protection qui résulte de la combinaison de ces deux textes participe d’une logique de réparation pour un salarié dont la santé est atteinte par l’effet même de l’exécution de son contrat de travail.
I.1 – L’interdiction de principe de rompre le contrat pendant la suspension du contrat de travail
7Le principe est clairement posé de la prohibition de toute rupture du contrat de travail pendant la période de suspension qui commence dès l’arrêt de travail. À vrai dire, la période protégée déborde assez largement de l’arrêt de travail stricto sensu. Elle commence en effet à la date de son établissement mais englobe non seulement le délai d’attente et la durée du stage de réadaptation, de rééducation ou de formation professionnelle que suit l’intéressé en application de l’avis établi par la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées ainsi que les périodes au cours desquelles le salarié suit les actions d’évaluation, d’accompagnement, d’information et de conseil auxquelles la caisse de sécurité sociale participe [5]. La période de suspension du contrat prend fin avec la visite médicale de reprise, que les textes nouveaux n’ont pas supprimée et qui reste obligatoire dans tous les cas de maladie professionnelle et lorsque l’accident du travail a conduit à un arrêt de travail d’au moins 30 jours [6].
8La sanction est à la mesure de l’interdiction puisque l’article L 1226-13 du Code du travail dispose que toute rupture prononcée pendant la période de suspension est nulle, l’employeur étant dans l’obligation de faire droit à la demande de réintégration du salarié concerné. Ce dernier est libre de la demander et l’employeur ne peut lui reprocher de ne pas l’avoir demandée ni même de l’avoir refusée si elle lui avait été proposée. Aucun argument ne peut venir s’opposer à la réintégration laquelle doit être opérée dans le poste antérieurement occupé et, s’il n’existe plus, dans un emploi équivalent comportant le même niveau de rémunération, la même qualification et les mêmes perspectives de carrière [7].
9La réparation sous la forme de remise en l’état est ici sans concessions ni limites comme le rappelle une décision du 11 juillet 2012 [8] Si le salarié ainsi licencié ne peut prétendre à l’indemnité de préavis (sauf convention collective plus favorable), il a droit, dans le cas où il ne demanderait pas sa réintégration, non seulement à l’indemnité de licenciement mais aussi à l’indemnité conventionnelle de licenciement (si la convention collective ne l’exclut pas) ainsi qu’à la réparation intégrale du préjudice résultant de l’illicéité de la rupture [9]. Pour autant, la protection de l’emploi du salarié dont le contrat est suspendu n’est pas sans limites.
I.2 – Les limites de la prohibition de la rupture
10La prohibition de la rupture n’est pas absolue et il est possible de repérer des limites résultant de la lettre même de l’article L. 1226-9 du Code du travail et d’autres, tenant au champ d’application de cette règlementation spéciale.
a – Les limites à l’interdiction de licencier résultant du texte
11L’article L 1226-9 du Code du travail permet à l’employeur de rompre le contrat soit en justifiant d’une faute grave du salarié, soit en apportant la preuve de l’impossibilité de maintenir le contrat « pour un motif étranger » à l’accident ou à la maladie. Force est de constater que non seulement la charge de la preuve de ces « faits justificatifs » de la rupture pèse sur l’employeur mais qu’au surplus le juge se montre très peu réceptif à leur admission. C’est ainsi qu’un fait isolé quoique fautif ne saurait constituer une faute [10] suffisante. Quant à l’impossibilité de maintenir le contrat appréciée nécessairement à la date de la rupture, la jurisprudence tend à l’apprécier très strictement. C’est ainsi que si la cessation d’activité de l’employeur peut la caractériser [11], la seule existence d’une cause économique ne saurait la constituer [12]. On en déduira aisément que la lettre du texte et l’interprétation qu’en donne le juge conduisent à privilégier en toutes circonstances, le maintien du lien d’emploi. Le constat s’avère plus mitigé si l’on considère les récentes évolutions relatives au champ d’application du régime protecteur.
b – Les limites résultant du champ d’application du régime protecteur
12Le champ d’application de la protection spéciale des salariés accidentés du travail est limité par trois paramètres qui viennent tempérer à des degrés divers la force de l’interdiction de rompre. Participerait ainsi du renforcement de la protection de l’emploi, la solution jurisprudentielle qui, tout en rappelant que l’employeur doit être informé du caractère professionnel de l’accident ou de la maladie, accepte néanmoins que la dégradation de l’état de santé du salarié ne soit que partiellement liée à l’accident du travail [13]. Il en sera de même de la jurisprudence qui admet l’application du régime spécial dès lors que l’employeur a connaissance du fait que le salarié entend faire reconnaître le caractère professionnel du fait générateur de l’arrêt de travail [14]. En revanche, la Cour de cassation rappelle régulièrement que seules les victimes d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle sont éligibles à la protection (les victimes d’accidents de trajet en sont exclues). Plus ambivalente, est la position adoptée s’agissant de la nature de la rupture prohibée. La tendance générale de la jurisprudence était, jusqu’à récemment, de donner une amplitude certaine à la protection en considérant que l’interdiction de rompre le contrat ne concernait pas seulement le licenciement mais aussi la rupture en cours de période d’essai [15] ou la mise à la retraite [16]. La Cour de cassation a, un temps, appliqué la même solution aux ruptures d’un commun d’accord mais elle vient d’opter pour une solution radicalement inverse en matière de rupture conventionnelle. Elle a en effet considéré en 2014 que celle-ci était possible pendant la période de suspension prenant ainsi une attitude en tous points contraire à l’avis de l’administration du travail tel qu’exprimé dans une circulaire DGT du 17 mars 2009 [17].
II – Reclasser pour réparer
13La réparation complète des conséquences de l’accident ou de la maladie professionnelle impliquerait que la rupture du contrat soit exclue en la matière puisque c’est bien l’activité qui est la cause de l’atteinte à l’intégrité physique ou mentale du salarié, elle-même à la source de l’inaptitude médicale du salarié concerné. La réparation qui résulterait d’un maintien en emploi entre cependant en contradiction, avec le droit de résiliation unilatérale du contrat de travail à durée indéterminée et dans une certaine mesure avec les règles qui s’appliquent à la rupture anticipée du contrat à durée déterminée. S’il ne fait guère de doute que la réintégration d’un salarié dont l’aptitude médicale n’a pas été atteinte par l’accident ou la pathologie s’impose, l’inaptitude ne donne naissance qu’à une obligation de rechercher le reclassement du salarié. Cette exigence, quoique renforcée au fil du temps par la jurisprudence n’en demeure pas moins une obligation de moyens et la preuve par l’employeur de l’impossibilité de reclasser le salarié victime légitimera, le cas échéant, la rupture du contrat.
II.1 – La réintégration du salarié apte
14Jusqu’à la mise en œuvre de la loi du 8 août 2016 [18], l’article L. 1226-8 disposait que si le salarié était déclaré apte par le médecin du travail, il devait retrouver son emploi ou un emploi similaire assorti d’une rémunération équivalente. Depuis la réforme, la référence à l’avis d’aptitude a disparu et le texte précise plus sobrement qu’ « à l’issue des périodes de suspension, le salarié retrouve son emploi… ». On ne saurait mieux exprimer l’idée que l’aptitude est aujourd’hui le principe, l’inaptitude résultant désormais d’une décision consécutive à une procédure que détaille l’article L. 1226-10 du Code du travail.
15L’obligation qui pèse sur l’employeur est une obligation de réintégration dans l’emploi antérieur et si cet emploi n’existe plus ou n’est plus vacant, la réintégration doit s’opérer dans un emploi « similaire » de l’emploi, assorti d’une rémunération équivalente. Sur le caractère similaire, une décision du 24 mars 2010 [19] permet de montrer la précision attendue du juge du fond en la matière. La Cour de cassation va ainsi considérer que la modification du point de départ de la tournée de livraison (avant la suspension le salarié prenait son service à Aubagne près de sa résidence et après la suspension, l’employeur lui demandait de prendre son service dans le territoire de Belfort pour effectuer la même tournée) ne permettait pas de considérer que l’emploi, dont les caractéristiques purement techniques n’étaient pas modifiées, était bien un emploi similaire. Au surplus, la rémunération et les perspectives de carrière du salarié doivent être équivalentes. Cette solution associée à l’idée qu’en aucune manière, le salarié ne doit subir du fait des conséquences de l’accident ou de la maladie professionnelle, un retard dans sa promotion ou d’avancement dans l’entreprise montre assez qu’en réalité, pèse sur l’employeur une obligation d’avoir sinon à réparer au moins à assumer les conséquences d’un fait dommageable survenu « par le fait ou à l’occasion du travail ».
II.2 – La recherche de reclassement du salarié inapte et le sort du salarié non reclassé
16Dès l’instant où le salarié est déclaré inapte à son poste de travail par le médecin du travail, l’employeur devient débiteur d’une obligation de rechercher le reclassement. Cette recherche est encadrée de diverses manières que la loi dite Loi Travail a modifiées. Elle doit s’opérer dans un délai d’un mois calculé à compter de l’examen médical de reprise du travail. À défaut de reclassement ou de licenciement, l’employeur doit reprendre le versement du salaire correspondant à l’emploi occupé par le salarié concerné avant l’arrêt de travail [20]. En l’état de la jurisprudence antérieure à l’adoption de la loi du 8 août 2016, la Cour de cassation avait sensiblement durci les exigences en matière de recherche de reclassement sans pour autant en faire une obligation de résultat. C’est ainsi qu’elle avait fait de la consultation des délégués du personnel [21] une formalité substantielle dont la violation conduisait à l’application des lourdes indemnités prévues à l’article L. 1226-15 du Code du travail. C’est ainsi encore qu’elle avait étendu le périmètre de la recherche de reclassement au-delà de la seule entreprise, vers le groupe parmi les entreprises dont les activités et l’organisation permettaient la permutation du tout ou partie du personnel. Enfin, le juge se montrait très vigilant sur la correspondance entre les préconisations du médecin du travail que l’employeur se devait de solliciter et, le cas échéant, de faire préciser et le poste de reclassement proposé [22].
17Un mouvement de repli ou de temporisation semble néanmoins se dessiner qui affecte tant la jurisprudence que la règlementation. À propos de la première, particulièrement significatifs semblent être les arrêts rendus par la Cour de cassation le 23 novembre 2016 [23] qui permettent à l’employeur de tenir compte de la position même implicite prise par le salarié pour limiter le périmètre de reclassement. Par ailleurs, la loi du 8 août 2016 a modifié en profondeur la procédure de constatation de l’inaptitude médicale ainsi que les mécanismes de contestation de l’avis du médecin du travail.
18On n’y reviendra pas ici [24] sauf pour rappeler que, si, pas plus qu’auparavant le Code du travail ne définit l’inaptitude, il en offre désormais une sorte de délimitation implicite. En effet, l’article L. 4624-4 du Code du travail prévoit que le médecin du travail déclare le travailleur inapte à son poste de travail après avoir constaté qu’aucune mesure d’aménagement, d’adaptation ou de transformation du poste de travail n’est possible et que l’état de santé du travailleur justifie un changement de poste de travail. Par ailleurs, la procédure de constatation de l’inaptitude, qui ne requiert plus nécessairement deux examens médicaux espacés de deux semaines [25], laisse place désormais à au moins deux « échanges » entre le médecin du travail, l’employeur et le salarié pour le premier, entre le médecin du travail et le salarié pour le second [26].
19Sous l’angle de la réparation par l’amélioration de la recherche du retour dans l’emploi, on doit constater que la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 souffle le froid et le chaud. Que la volonté d’améliorer le reclassement du salarié soit présente dans les projets à l’origine du texte ne fait guère de doute si l’on considère le soin avec lequel le législateur a précisé les conditions du dialogue préalable et postérieur à l’avis d’inaptitude. De même, participent de cet objectif, l’obligation faite au médecin de compléter son avis d’inaptitude par des « indications relatives au reclassement du travailleur » [27] ainsi que celle, imposée à l’employeur cette fois, de prendre en compte l’avis, les indications ou les propositions du médecin du travail et de faire connaître par écrit les motifs qui s’opposent selon lui à ce qu’il y soit donné suite [28].
20Cependant, l’organisation déplorable des recours contre l’avis portant sur l’aptitude [29] ainsi que la possibilité donnée au médecin du travail de fermer dès son avis, la voie de la recherche du reclassement ne peut qu’engendrer une inquiétude certaine que la position très stricte adoptée jusqu’à présent par la Cour de cassation ne tempère que partiellement.
21C’est ainsi que selon l’article L. 1226-12 du Code du travail, le médecin pourra mentionner expressément dans son avis que tout maintien dans l’emploi du salarié serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement.
22Même si l’on peut admettre que parfois, notamment en présence de risques psychosociaux graves, la sortie de l’entreprise constitue la seule solution pour éviter toute dérive mortifère, on ne peut que s’inquiéter d’une telle dispense de recherche de reclassement. On peut penser cependant que les médecins du travail n’utiliseront cette faculté qu’avec la plus grande prudence. Plus inquiétante est sans doute, l’affirmation par l’alinéa 3 de l’article L. 1226-12 du Code du travail que l’obligation de reclassement est réputée satisfaite lorsque l’employeur a proposé un emploi au salarié dans les conditions visées par l’article L. 1226-10 du Code du travail [30], étant précisé que cet emploi doit être aussi comparable que possible à l’emploi précédemment occupé. Le sens à donner à cette disposition nouvelle (que l’on retrouve au demeurant à l’article L. 1226-2-1 du Code du travail pour les inaptitudes d’origine non professionnelle) n’est pas tranché et il faudra attendre l’interprétation jurisprudentielle pour mesurer l’intensité de ce qui ressemble à s’y méprendre à une présomption.
23Si l’on considère que la recherche du reclassement du salarié victime d’un accident du travail dans son poste (le cas échéant adapté ou aménagé) ou plus largement dans l’emploi s’analyse comme un élément de la réparation des préjudices résultant d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, l’ampleur des sanctions pécuniaires attachées à la violation de l’obligation de reclassement se justifie pleinement, tout comme se justifie la différence de traitement du salarié devenu médicalement inapte à son poste pour des raisons autres que professionnelles. Ces sanctions n’ont pas été modifiées par la loi du 8 aout 2016 et sont différentes selon que l’employeur a respecté son obligation ou non. Si l’employeur justifie de l’impossibilité de proposer un emploi conforme aux préconisations du médecin du travail ou s’il peut se prévaloir d’une mention expresse dudit médecin dans son avis d’inaptitude écartant tout maintien dans l’emploi, il pourra s’engager dans la voie de la rupture du contrat à charge pour lui de verser une indemnité spéciale de licenciement ainsi qu’une indemnité équivalente à l’indemnité compensatrice de préavis [31]. Dans le cas où le salarié refuserait le reclassement proposé dès lors que cette proposition répond aux exigences légales, ces indemnités sont dues sauf si le refus du salarié est considéré comme abusif. En revanche, la défaillance de l’employeur dans la proposition de reclassement emporte des conséquences autrement plus importantes. En effet, et sauf réintégration que ni le salarié ni l’employeur ne sont dans l’obligation d’accepter, l’indemnité octroyée par la juridiction saisie sera au minimum égale à douze mois de salaires et viendra compléter l’indemnisation prévue par l’article L 1226-14 rappelée supra [32].
24Pour autant, l’importance de la recherche d’un reclassement dans l’entreprise ne saurait faire oublier que le retour du salarié accidenté du travail ou atteint d’une maladie professionnelle doit aussi être recherché dans l’emploi. Au-delà des initiatives prises par les entreprises elles-mêmes, c’est plus globalement la lutte contre le risque de désinsertion professionnelle qui doit être privilégiée comme l’indiquait la proposition 27 du Rapport Issindou [33]. La prise en compte de ce risque et sa prévention apparaissent explicitement parmi les missions des services de santé au travail [34] mais les dispositifs de réadaptation fonctionnelle et de rééducation professionnelle en vue d’un reclassement professionnel [35] requièrent la mise en œuvre d’outils adaptés [36] ainsi que l’intervention et la coordination de nombreux acteurs aux statuts variés [37]. Faut-il rappeler ici que la Convention d’Objectifs et de Gestion de la branche accidents du travail et maladies professionnelles pour la période 2014-2017 comportait un programme d’actions associées, destiné à renforcer la prévention de la désinsertion professionnelle ?
25L’attention légitimement portée à la réparation des préjudices résultant pour le salarié d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, les contentieux auxquels cette réparation conduit parfois allant jusqu’aux plus hautes juridictions européennes [38] ne sauraient occulter le fait que le maintien ou le retour dans l’emploi lato sensu font partie intégrante d’une réparation adaptée à la société contemporaine. Non seulement parce que l’emploi et le travail participent parfois de l’efficacité de la thérapie mais aussi parce qu’il demeure, quoiqu’on dise parfois, un élément essentiel de la reconnaissance sociale.
Notes
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[1]
Rapport du groupe de travail « Aptitude et médecine du travail » (Mai 2015)
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[2]
La loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels a gommé une partie des différences entre les régimes juridiques des inaptitudes médicales (au poste) d’origine professionnelle et non professionnelle. Elle a aussi remodelé, d’aucuns diront bouleversé, l’organisation de la recherche du reclassement du salarié victime. V. S Fantoni, F Héas, PY Verkindt, La santé au travail après la loi du 8 août 2016, Dr social 2016.921
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[3]
C.trav., art. L 1226-13 à L 1226-17
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[4]
C’est-à-dire en assurant le maintien du lien d’emploi
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[5]
C. sec. soc. art. L 323-3-1
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[6]
C. trav., art. R 4624-31
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[7]
Cass soc 25 févr. 1997, n° 94-41351
-
[8]
Cass soc 11 juill. 2012, n° 10-23 831, inédit dans une espèce où le juge du fond avait cru pouvoir considérer que la petite taille de l’entreprise et le conflit entre les parties rendaient impossible la réintégration
-
[9]
Cass soc., 30 nov 2010, n° 09-66210, Bull. civ., V, n° 272
-
[10]
Cass soc 26 janv. 2011, n° 09-42 117 inédit (fait isolé), Cass soc 29 mars 2017, n° 15-29329 inédit (faits non établis)
-
[11]
Cass soc 15 mars 2005, n° 03-43038, Bull civ., V, n° 87
-
[12]
Cass soc 21 nov. 2000, n ° 98 42509, Bull civ., V, n° 381 (« … ni l’existence d’une cause économique de licenciement ni l’application des critères de l’ordre des licenciements ne suffisent à caractériser l’impossibilité de maintenir le contrat pour un motif non lié à l’accident »).
-
[13]
Cass soc 23 sept 2009, n° 08-41685, Bull.civ., V, n° 192 ; Cass soc, 7 janv. 2015, n° 13-23059 ; comp. Cass soc 16 mars 2016, n° 14-25543 inédit ;
-
[14]
Cass soc 9 juin 2010, n° 09-41040, Bull.civ., V, n° 131 « … les règles protectrices applicables aux victimes d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle s’appliquent dès lors que l’inaptitude du salarié, quel que soit le moment où elle est constatée ou invoquée, a, au moins partiellement, pour origine cet accident ou cette maladie et que l’employeur avait connaissance de cette origine professionnelle au moment du licenciement »
-
[15]
Cass soc 12 mai 2004, n° 02-44325, Bull.civ., V, n° 132
-
[16]
Cass soc 7 mars 2007, n° 05-42279, Bull. civ., V, n° 42
-
[17]
Cass soc, 30 septembre 2014, n° 13-16297 comp. Circ. DGT n°2009-04 du 17 mars 2009
-
[18]
C’est-à-dire depuis le 1er janvier 2017.
-
[19]
Cass soc., 24 mars 2010, n° 09-40339, Bull.civ., V, n° 72
-
[20]
C. trav., art. L 1226-11
-
[21]
Alors réservée aux seules inaptitudes d’origine professionnelle (pour une illustration, Cass soc 25 mars 2015, n° 13-28229, publié)
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[22]
Au demeurant, un avis d’inaptitude à tout emploi ou le classement du salarié en deuxième catégorie d’invalidité ne suffisaient pas à alléger l’obligation de rechercher le reclassement (Cass soc., 19 oct 2005, n° 02-46 173, Bull.civ. V, n° 293 ; Cass soc, 10 févr. 2016, n° 14-16148 inédit)
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[23]
Cass soc 23 nov 2016, n° 15-18092 et 14-26 398 tous deux promis à la publication au Bulletin
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[24]
S Fantoni, F Héas, PY Verkindt, La santé au travail après la loi du 8 août 2016, Dr social 2016.921 ; L Mazon et M Loiselet, Réforme de l’inaptitude médicale : vers un nouvel échec de simplification ?, SS Lamy, 2017, n° 1761, p. 6 ; A Gardin, La réforme des règles relatives à la santé au travail : entre ombres et lumières, RJS 2017, p. 275 ; M Ledoux et A Godefroy, La sécurisation relative de la procédure d’inaptitude, RJS 2017, p. 93
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[25]
C. trav., art. R 4624-31 ancien
-
[26]
C. trav., art. L 4624-4 et L 4624-5 dans leur rédaction issue de la loi du 8 août 2016, v. aussi le décret n° 2016-1908 du 27 décembre 2016 (C. trav., art. R 4624-42 et s.)
-
[27]
C. trav., art. L 4624-4 in fine
-
[28]
C. trav., art. L 4624-6
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[29]
Sur le sujet, v. M Ledoux et A Godefroy, op cit.
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[30]
L’employeur doit proposer un autre emploi au salarié approprié à ses capacités en se fondant sur les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu’il formule sur les capacités du salarié à exercer une des tâches existant dans l’entreprise ainsi que l’aptitude du salarié à bénéficier d’une formation le préparant à occuper un poste adapté. Il doit aussi consulter les délégués du personnel.
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[31]
C. trav., art. L 1226-14 alinéa 2
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[32]
Sur le mode calcul de l’ensemble de ces indemnités, v. C. trav, art. L 1226-16. Le sort du salarié sous contrat à durée déterminée est nettement moins favorable puisque l’article L 1226-20 du Code du travail écarte l’application à son profit des articles L 1226-14 à L 1226-16.
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[33]
Loc cit.
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[34]
C. trav., art. L 4622-2, 2°
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[35]
C. sec soc, art. L432-9, L 323-3 et R 323-3 ; aussi C sec soc art. R 481-2
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[36]
Ainsi du contrat de rééducation professionnelle en entreprise qui peut dans certains cas prendre la suite d’une reprise du travail à temps partiel thérapeutique ou de la formation réalisée en centre de rééducation professionnelle ou en centre de pré-orientation professionnelle
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[37]
Les organismes de l’assurance maladie (service médical, service social CARSAT, …), l’AGEFIPH et le Service d’appui pour le maintien dans l’emploi des travailleurs handicapés (SAMETH) ou encore la Maison départementale des Personnes Handicapées (MDPH) et la Commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées pour ne citer que quelques acteurs d’une longue liste.
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[38]
V. par exemple l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme estimant que le système français de réparation du risque professionnel n’était pas discriminatoire au sens de l’article 14 de la Convention (CEDH 12 janvier 2017, req. 74734/1 JCP S 2017, 1054 note D Asquinazi Bailleux)