Notes
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[✝]
Université Paris-Est (UPE), ERUDITE et TEPP (FR CNRS 3435) : denis.anne@gmail.com
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[‡]
University Paris-Est (UPE), ERUDITE et TEPP (FR CNRS 3435) : sylvain.chareyron@univ-paris-est.fr, 5 boulevard Descartes, Champs-sur-Marne 77454 Marne-La-Vallée.
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[1]
Par exemple, dans des communautés où le faible capital scolaire est la règle, la désutilité causée par l’arrêt des études peut être compensée par l’utilité obtenue en se conformant à la norme sociale du groupe. Pour, une revue de la littérature, voir Costa-Font et Cowell [2015].
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[2]
Les ménages éligibles sont bénéficiaires du RSA et à ce titre se voient attribuer un référent chargé de leur accompagnement professionnel et social.
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[3]
La tarification par zones a été supprimée en septembre 2015. A cette date, un forfait mensuel de 70 euros permettait de voyager sur l’ensemble du réseau d’Île-de-France.
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[4]
L’éligibilité de 32 ménages n’a pu être déterminée en raison du non-renseignement de leurs revenus d’activité. Pour d’autres, seuls les revenus d’activité sont connus. Grâce à cette information, l’éligibilité de ces ménages peut être connue (voir son calcul ci-dessus). Par contre, dans l’échantillon des ménages éligibles, la variable de revenu comporte ainsi 26 valeurs manquantes.
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[5]
Pour obtenir ou renouveler leur droit au RSA les ménages ont dû faire un état des lieux précis de leurs ressources peu de temps avant de répondre à l’enquête. La déclaration de ressources remplie lors de la demande du RSA peut être soumise à vérification et le ménage est amené à payer les sommes indues en cas de mauvaises déclarations, ce qui permet de penser que les ménages s’informent précisément sur leurs ressources pour cette démarche.
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[6]
Il est donc possible que certains ménages ayant déjà obtenu l’aide ne soient plus éligibles ; ou soient actuellement éligibles non recourants mais n’apparaissent pas comme tels car recourants antérieurs, amenant une éventuelle sous-estimation du non-recours.
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[7]
Dans notre enquête 32 communes sur 194 comptent plus de six ménages bénéficiaires du RSA dont 13 communes qui en comptent plus de vingt. Pour ces communes des informations sur la localisation géographique des ménages à l’IRIS auraient permis une plus grande précision de l’estimation. Les simulations de Monte Carlo effectuées par Lee [2009] ont cependant montré que dans un modèle SAR lorsque l’unité de voisinage choisie est plus grande que la vraie unité le biais est moins important que lorsqu’elle est plus petite.
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[8]
Les résultats des tests de Student effectués sont présentés dans le tableau 1.
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[9]
Le choix du modèle est donc avant tout dicté par des considérations théoriques et par l’expérience de la littérature. Il ne semble pas exister à l’heure actuelle de méthode de choix empirique du modèle spatial à utiliser dans le cas dichotomique comme c’est le cas en présence d’une variable dépendante continue. L’estimation de modèle SEM en lieu et place de modèles SAR a très peu d’influence sur les coefficients dans notre cas mais l’interprétation des coefficients devra être réalisée avec prudence.
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[10]
Voir Lesage et Pace [2009] pour une présentation d’ensemble.
-
[11]
Les effets de réseau correspondent aux interactions endogènes de la classification établie par Manski [2000].
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[12]
Il est possible que certaines caractéristiques inobservables, comme la volonté de vivre en milieu rural, déterminent la localisation de certains ménages à l’est du département ou dans des lieux éloignés des transports en commun. L’effet estimé de la distance au transport en commun et la corrélation spatiale pourraient alors traduire en partie le fait que ces ménages ont une moindre propension à utiliser les transports en commun et donc à demander le FGT.
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[13]
Les deux variables possèdent un coefficient de corrélation de 45 %. Le test VIF n’indique pas de présence de mutlicolinéarité entre les deux variables.
-
[14]
L’estimation est réalisée à l’aide du package « spatialprobit » (de Matos et Wilhelm [2015]) de R.
-
[15]
Les 26 ménages pour lesquels le revenu par unité de consommation n’est pas connu ont été considérés comme ayant un revenu inférieur à la médiane. La raison pour laquelle l’information n’est pas connue est généralement que la situation du ménage paraissait trop difficile et que l’enquêteur n’a pas posé cette question. Il est donc très probable que les revenus soient inférieurs à la médiane du revenu des ménages. Cette hypothèse n’a, par ailleurs, pas de conséquence sur les résultats de l’estimation.
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[16]
D’autant que le forfait gratuité est chargé sur une carte de transport « Navigo » standard. Au quotidien, lors du passage aux bornes d’accès, l’utilisation du FGT ne comporte donc pas d’éléments stigmatisants. Seul le rechargement trimestriel des droits à un guichet peut potentiellement poser problème au bénéficiaire, mais il peut également se faire sur une borne automatique, sans vis-à-vis.
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[17]
Les effets marginaux présentés sont des effets totaux moyens. Ils tiennent donc compte des effets de diffusion induits par la présence d’effets de voisinage.
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[18]
L’existence de la carte « Solidarité Transport » est par exemple indiquée sur le site de la RATP.
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[19]
Des différences de taux d’accès à l’emploi peuvent, par exemple, exister à l’intérieur d’un département (L’Horty, Duguet et Sari [2015]) et avoir un effet sur la connaissance ou la demande du dispositif.
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[20]
Les résultats sont disponibles sur demande.
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[21]
Les résultats sont obtenus à partir des packages « spatialprobit » (de Matos et Wilhelm [2015]) et « Mcspatial » (McMillen [2013]) de R.
1 Les auteurs remercient les deux rapporteurs anonymes de la Revue d’Économie Politique pour la pertinence de leurs commentaires. Cet article a également bénéficié des remarques des participants de la 13e conférence interdisciplinaire TEPP (Travail Emploi et Politiques Publiques) ainsi que du séminaire du département « Marché du travail, ressources humaines et politiques sociales » du Centre for European Economic Research (ZEW). Les auteurs restent seuls responsables des erreurs et omissions qui pourraient subsister.
1. Introduction
2 Qu’une personne qui en a besoin ne perçoive pas une aide à laquelle elle a droit et qui a été créée pour elle, c’est un paradoxe et peut-être une aporie, tant pour le savant qui veut comprendre que pour le politique qui veut agir. C’est pour tenter de les résoudre que les travaux sur le non-recours se sont multipliés ces dernières années. L’originalité de notre approche est de mesurer en quoi le non-recours peut renvoyer à des effets de territoire, qu’ils soient liés à l’environnement des bénéficiaires potentiels ou à des facteurs d’offre.
3 La littérature sur le non-recours vise pour l’essentiel à expliquer ses causes ainsi que ses conséquences sur les revenus des bénéficiaires potentiels ou encore sur les budgets des offreurs d’aide. On distingue habituellement le non-recours primaire — un individu éligible à une aide n’en fait pas la demande — et le non-recours secondaire lié à la non obtention d’une aide pourtant accessible et demandée (Math et van Oorschot [1996]). Le non-recours primaire est généralement analysé comme le résultat d’un arbitrage entre le coût du recours (coûts de transaction liés aux démarches, stigmates éventuels attachés à la perception d’une aide sociale… (Moffitt [1983])) et ses avantages (adéquation de l’aide au public cible, montant de l’aide perçue… (cf. Anderson et Meyer [1997] par exemple)) dans un environnement où la qualité d’information des éligibles peut être imparfaite. Le non-recours secondaire est lui abordé à partir du comportement de l’offreur d’aide (erreurs de procédure ou sélectivité des administrations elles-mêmes).
4 Du fait des contraintes imposées par les données disponibles, la plupart des études économiques ont modélisé l’ensemble du non-recours comme provenant d’un choix des bénéficiaires potentiels (Duclos [1995, 1997] ; McGarry [1996] ; Pudney, Hernandez et Hancock [2007]). Ils ont supposé à cette occasion que le non-recours secondaire était d’importance négligeable. Ils ont également modélisé comme un seul comportement le fait de ne pas connaître l’existence du programme et le fait de ne pas le demander. Or, si la décision de solliciter l’aide peut être considérée comme un choix et à ce titre inclure des considérations de coûts d’accès à l’information (Hernandez et Pudney [2007]), ne pas avoir connaissance du dispositif ne relève pas d’une logique de choix. De plus, les déterminants de l’accès à l’information initiale ne sont pas nécessairement les mêmes que ceux conduisant à la décision de demander ou non l’aide. Il semble donc utile de différencier non seulement le non-recours primaire du non-recours secondaire, mais également la non-connaissance d’un dispositif du fait de ne pas le réclamer.
5 Le fait que des ménages ne connaissent pas une aide pourtant ciblée sur eux peut s’expliquer par des caractéristiques individuelles qui réduisent leurs chances d’accéder à l’information ou par un effet de réseau lié à un problème de diffusion de cette information dans leur environnement. De même l’absence de demande de l’aide peut provenir de facteurs qui réduisent l’intérêt d’un ménage pour une prestation mais également d’une plus grande difficulté à la demander due, entre autres, à la peur d’être déconsidéré par son entourage (stigmate social). Il s’agit dans ce dernier cas de la diffusion de normes de comportement. Depuis Akerlof [1997] et Akerlof et Kranton [2000, 2005], l’analyse économique des normes sociales a montré, par des travaux théoriques et appliqués, que des gains d’utilité issus de la conformation à une norme sociale peuvent compenser la désutilité issue de comportements apparemment sous-optimaux [1] comme le non recours, et qu’il est donc rationnel pour les agents économiques de suivre des stratégies qui les desservent à première vue.
6 La diffusion de telles normes de comportement peut s’observer à travers la propagation spatiale de leurs effets. L’existence d’effets spatiaux a été montrée dans des domaines aussi variés que la réussite scolaire (Goux et Maurin [2007]), l’acquisition du capital humain (Borjas [1995]), la criminalité (Glaeser, Sacerdote et Scheinkman [1996]), ou les prix de l’immobilier (Baumont [2009]). Peu de travaux se sont, en revanche, intéressés à identifier l’influence de ces effets sur le recours à un programme d’aide. Cette lacune peut sans doute s’expliquer par la difficulté d’obtenir des données permettant à la fois de déterminer l’éligibilité des individus au dispositif d’aide et de modéliser la dimension spatiale du non-recours. Pour faire face à cette difficulté, certains travaux ont tenté d’introduire des variables permettant de contrôler des caractéristiques locales (Tempelman et Houkes-Hommes [2015]) ou d’approximer les effets de réseau (Terracol [2002]). Terracol [2002] a ainsi montré que le pourcentage d’allocataires du Revenu Minimum d’Insertion (RMI) dans le département, en approximant le niveau de stigmate social, a un effet positif sur le recours au RMI. Ce type de résultat semble indiquer la présence d’effets de réseau dans le recours aux aides sociales. Le risque existe néanmoins de mal interpréter un écart territorial. En effet, il peut certes illustrer un effet du réseau, mais il est également possible qu’une variable masquée, non prise en compte explique ces écarts territoriaux : différences dans l’offre de politique sociale locale, dans son orientation, caractéristique inobservée (ethnique, sociale…) spécifique à la population d’un territoire (Jencks et Mayer [1989]). Peuvent également s’ajouter des effets de spatial mismatch (Brueckner et Zenou [2003] ; Kain [1968]) en cas d’éloignement géographique entre les personnes et certaines ressources (emplois, formations, services sociaux, transports publics…). Pour tenter de distinguer plus clairement les mécanismes à l’œuvre certains travaux ont mis au second plan la question de l’éligibilité pour adopter un point de vue spatial plus général. Par exemple, Bertrand, Luttmer et Mullainathan [2000] choisissent la langue utilisée pour communiquer comme indicateur du réseau mobilisé à l’intérieur d’un territoire. En mesurant par ailleurs l’utilisation des aides locales selon les groupes ethniques, ils évitent une partie importante des biais induits par la présence de variables omises et suggèrent un effet de réseau spécifique. Le même type de résultats a également été obtenu pour l’utilisation de services de soin (Deri [2005]) ou de services prénataux (Aizer et Currie [2004]). Il n’existe en revanche pas de consensus sur le canal par lequel l’effet de réseau se produit : diffusion d’information pour Aizer et Currie [2004], d’information et de normes pour Deri [2005] ou absence d’identification précise du canal pour Rege, Telle et Votruba [2012] ; Shang [2013].
7 Nous nous proposons ici de mobiliser les outils de l’économie spatiale pour vérifier s’il existe un effet spécifique du territoire capable d’expliquer une partie du non-recours à une aide sociale locale spécifique dans le domaine du transport, domaine particulièrement adapté pour étudier les variables spatiales. Nous différencions également parmi les différents effets spatiaux les effets de spatial mismatch des effets de diffusion de normes et d’informations. L’aide choisie est le Forfait Gratuité Transport (FGT) ; offert à certains ménages en Île-de-France, il leur permet d’utiliser gratuitement les transports publics. Un des intérêts principaux de ce dispositif est donc de permettre un meilleur accès au transport en commun ce qui peut notamment avoir des retombées positives sur l’emploi (Duguet, L’Horty et Sari [2009] ; L’Horty et Sari [2013]).
8 L’étude s’appuie sur une enquête de terrain réalisée en Seine-et-Marne auprès de bénéficiaires du RSA. L’originalité de cette enquête est qu’elle permet de décomposer les trois dimensions du non-recours : la connaissance, la demande et l’obtention d’une aide à laquelle on est éligible. Si ces trois éléments sont bien connus (Okbani [2013]), il est rare que l’on soit capable de les décomposer et de les étudier séparément. L’enquête de terrain permet de connaître l’éligibilité à l’aide étudiée, de mesurer sa connaissance par les personnes, puis la demande et enfin l’obtention de celle-ci. La générosité est également prise en compte puisque le montant de l’aide étudiée varie selon la composition du ménage. Sachant si le bénéficiaire potentiel a accès à un moyen de transport personnel, connaissant sa localisation, celle de son référent [2] et celle du point d’accès au réseau de transports en commun, on peut intégrer la distance par les différents coûts de transport supportés pour bénéficier de cette aide. L’économétrie permet in fine d’expliquer le non-recours par ses déterminants habituels tout en vérifiant l’existence d’un effet « territoire » propre qu’on pourra lui-même décomposer en effet distance et effets de diffusion d’informations ou de normes. En revanche, si le non-recours secondaire est quantifié, l’enquête ne permet pas d’étudier ses déterminants et leur significativité.
9 Dans la section suivante nous proposons une présentation du dispositif et des hypothèses d’explication de sa non-connaissance et de sa non-demande. Nous présentons ensuite en détail, l’enquête et les données utilisées. La section 4 détaille la stratégie empirique et la section 5 les résultats de l’estimation pour la non-connaissance et la non-demande du programme ainsi que les tests de robustesse.
2. Le dispositif et les effets théoriques attendus
2.1. Le Forfait Gratuité Transport (FGT) en Île-de-France
10 Depuis la fin des années quatre-vingt-dix, et plus particulièrement depuis la loi Solidarité et Renouvellement Urbain (SRU) de décembre 2000, les collectivités locales sont tenues de proposer un tarif réduit pour l’accès aux services de transport urbain des personnes à faibles ressources et en difficulté sociale. L’Île-de-France offre dans ce cadre depuis 2002 des tarifs « Solidarité Transport » aux personnes bénéficiaires de la Couverture Maladie Universelle Complémentaire (CMU-c) ou de l’Allocation de Solidarité Spécifique (ASS). Actuellement, le Forfait Solidarité Transport (FST) permet aux bénéficiaires d’obtenir une réduction de 75 % sur un abonnement hebdomadaire ou mensuel au réseau francilien de transports en commun. En 2007, la Région est allée plus loin et a proposé un Forfait Gratuité Transport (FGT) aux bénéficiaires du RMI ainsi qu’à tous les membres de leur foyer, leur accordant la gratuité totale sur l’ensemble du réseau francilien ; cette gratuité était également offerte aux bénéficiaires de l’Allocation Parent Isolé (API) et aux personnes percevant à la fois l’ASS et la CMU complémentaire. A l’occasion du passage au RSA, en 2009, une condition de ressources a été ajoutée : la gratuité totale est désormais réservée aux bénéficiaires du RSA dont le revenu garanti est inférieur à 135 % du montant forfaitaire — c’est à dire du montant du seul RSA socle perçu par les personnes sans revenu d’activité.
11 Pour les bénéficiaires du RSA, l’éligibilité au FGT ne dépend au final que des revenus d’activité du ménage. En effet, le revenu garanti est égal au montant forfaitaire du RSA « socle seul » (qui varie lui-même selon la configuration familiale) auquel s’ajoutent 62 % des revenus d’activité. Le FGT étant accessible quand le revenu garanti est inférieur à 1,35 fois le montant forfaitaire, il l’est donc si les revenus d’activité sont inférieurs à (0,35/0,62) = 0,56 fois le montant forfaitaire. En mai 2015, la gratuité représentait une économie de 116,50€ par mois et par bénéficiaire par rapport au prix de l’abonnement mensuel au « Pass Navigo » pour les cinq zones d’Île-de-France [3].
2.2. Effets théoriques attendus
12 Avant d’intégrer la dimension spatiale, nous cherchons dans un premier temps, à vérifier l’influence des facteurs habituels du non-recours en distinguant leur effet sur la non-connaissance et sur la décision de ne pas demander l’aide. En mesurant le non-recours des personnes informées de l’existence de l’aide, il est possible de tester sur l’aide étudiée le modèle théorique de décision optimale (Blundell, Fry et Walker [1988]). En application du raisonnement économique habituel, nous considérons le non-recours comme le résultat d’un arbitrage où l’individu demandera à bénéficier du programme si l’utilité qu’il y gagne est supérieure à celle qu’il retire de l’absence de demande. Ainsi, pour un dispositif d’aide aux transports en commun, l’accès ou la possession d’un moyen de déplacement individuel devrait réduire la demande de l’aide en fournissant une alternative aux transports publics. La connaissance du dispositif n’est pas considérée comme provenant d’un choix, il paraît en effet impossible d’opérer une décision sur quelque chose d’inconnu. Il est cependant possible que des facteurs comme l’éducation accroissent les chances pour le ménage d’entrer en contact avec l’information. La décision d’accéder à une connaissance plus approfondie du dispositif pour en connaître les conditions d’éligibilité ou d’accès relève elle d’un arbitrage qui influence la demande de l’aide.
13 L’intégration de variables spatiales permet de préciser les déterminants de la non-connaissance et du non-recours. Premièrement, la distance aux transports en commun peut influencer l’utilisation de l’aide en augmentant l’utilité du FGT pour les personnes se trouvant à proximité d’un transport public. Le département de la Seine-et-Marne est particulièrement étendu mais également très varié pour ce qui est de la densité des transports en commun. Deuxièmement, l’accès à l’information peut être facilité par la proximité avec le référent, ce qui peut augmenter la probabilité d’être informé de l’existence de l’aide. Dans ce cas les ménages les plus éloignés du référent vont posséder une probabilité plus faible de connaître le dispositif. Troisièmement, des disparités spatiales dans la propension au recours peuvent s’expliquer par une concentration plus importante dans une partie du territoire d’une variable explicative ayant une influence sur la connaissance ou la demande. Le niveau d’éducation moyen par exemple n’est pas identique dans tous les quartiers d’une ville ou les différentes zones d’une région. Finalement, des phénomènes de concentration spatiale peuvent provenir d’effets de diffusion d’informations ou de normes qui peuvent accroître la connaissance de l’aide ou réduire la stigmatisation liée à la demande dans certaines parties du département. Il semble intuitif de considérer qu’un individu aura plus de chances de connaître une aide s’il vit au milieu de personnes qui la connaissent ; et qu’il aura plus de chances de trouver normal de demander une aide que ses voisins demandent souvent. A l’inverse, le faible recours sur un territoire risque de réduire les probabilités de connaître une aide et même si elle est connue, de singulariser l’individu qui la demande.
3. Présentation des données
14 Les données sont issues d’une enquête par téléphone réalisée en Seine-et-Marne auprès d’un échantillon représentatif de 1 020 bénéficiaires du RSA. Ces 1 020 bénéficiaires sont issus du fichier exhaustif des personnes inscrites au RSA en Seine-et-Marne entre décembre 2013 et septembre 2014. La totalité des 2 455 personnes de ce fichier a été contactée. Les non réponses correspondent presque exclusivement à des erreurs de numéros de téléphone ou à des absences / non réponses. Bien que les refus de participer à l’enquête ne constituent que 4 % de l’ensemble, il est possible que certaines non-réponses introduisent un biais. En effet, en dehors des erreurs et changements de numéros (21 % des échecs de contact) ou des indisponibilités matérielles, certaines personnes ont pu être réticentes à répondre à un appel ne provenant pas de leur réseau de proches (aux numéros enregistrés dans leur téléphone) ou du fait d’une fragilité psychologique ou sociale.
15 L’enquête visait à connaître et à mesurer les besoins, la connaissance, le recours et l’obtention de plusieurs aides sociales locales offertes en Seine-et-Marne. Une aide départementale était choisie dans chaque domaine de la politique d’action en faveur des personnes touchant le RSA : dans le champ de l’insertion par l’emploi, les stages et formations incluses dans le « pack insertion » proposé par le département ; pour le logement le Fonds de Solidarité Logement ; pour l’insertion sociale le système de microcrédit personnel permettant de financer les projets de personnes n’ayant pas accès au crédit classique du fait de leurs revenus ou de leur situation professionnelle ou familiale. Et enfin le Forfait Gratuité Transport pour la mobilité. C’est à l’accès à cette aide que nous nous intéressons.
16 Le calcul de l’éligibilité au Forfait Gratuité Transport s’appuie sur les déclarations des personnes lors de l’enquête. Une question sur les ressources du ménage et sur les revenus d’activité était posée [4]. A partir de ces réponses, il a été possible d’estimer le nombre de bénéficiaires potentiels : parmi les 1 020 ménages enquêtés, 826 avaient a priori droit à cette aide. La précision des réponses à ces questions est crédibilisée par l’obligation de déclaration des ressources pour obtenir ou renouveler les droits au RSA [5]. De plus, la distribution des revenus des bénéficiaires indique que le risque d’erreur dans le calcul de l’éligibilité est faible : comme le montre la figure 1, les ménages éligibles disposent pour la plupart de revenus d’activité très inférieurs au seuil ouvrant droit au FGT.
Fonction de répartition des ménages de l’enquête selon leur éloignement au seuil d’éligibilité
Fonction de répartition des ménages de l’enquête selon leur éloignement au seuil d’éligibilité
Note : Les ménages pour lesquels la distance au seuil d’éligibilité est négative possèdent des revenus d’activité suffisamment bas pour être éligibles au FGT.Lecture : Près de 80 % des ménages sont éligibles avec une distance de plus de 290€ au seuil d’éligibilité.
17 Pour étudier le non-recours, il a été également demandé aux enquêtés s’ils connaissaient, avaient déjà demandé et éventuellement obtenu le FGT [6]. Sur l’ensemble des éligibles 23 % déclarent ne pas connaitre son existence, 42 % ne l’ont pas demandé et 50 % ne l’ont pas reçu. Il apparaît donc que 8 % des éligibles ayant demandé l’aide ne l’obtiennent pas. Cela peut s’expliquer par une mauvaise estimation de leurs revenus d’activité par les enquêtés ou par un changement récent dans la situation ou les ressources de ces personnes. Le fait que 95 % d’entre elles soient à plus de 300 € du seuil d’éligibilité plaide néanmoins pour l’hypothèse d’un non-recours secondaire.
18 Au final, la décision de ne pas demander le programme semble concerner moins de la moitié des non-recourants. Il est alors possible de quantifier l’importance des différentes composantes du non-recours. Le point de vue du ménage est adopté et seuls les déterminants du non-recours primaires seront estimés, mais de façon distincte entre la non-connaissance du dispositif et sa non-demande. L’échantillon des 826 ménages éligibles est donc utilisé pour estimer les déterminants de la non-connaissance de l’existence du Forfait Gratuité Transport. Un échantillon de 636 ménages éligibles connaissant l’existence du programme est construit pour estimer les déterminants de la non-demande.
19 La prise en compte du Forfait Gratuité Transport dans cette enquête constitue un bon moyen d’intégrer la dimension spatiale à la problématique du non-recours. L’enquête permettait de connaître la commune de résidence des ménages enquêtés. Le département de la Seine-et-Marne étant composé d’un nombre important de communes de dimensions réduites, cette unité permet de disposer d’une variabilité spatiale suffisante pour estimer des effets de réseau [7]. Par ailleurs, l’échantillonnage est assez dense pour capter des phénomènes de concentration spatiale. Il est également possible de tester les explications les plus couramment avancées pour expliquer le non-recours. En effet, les déterminants de la connaissance et de la demande du dispositif peuvent être distingués. Le fait que l’obtention de l’aide suppose une action spécifique permet d’intégrer le coût de ces démarches, même s’il est modéré (puisque la carte peut être obtenue sur le site « Solidarité-Transport » du STIF, le syndicat des transports d’Île-de-France). L’équivalent monétaire de l’aide peut quant à lui s’avérer assez élevé suivant la composition familiale puisque tous les membres du foyer ont droit à la gratuité sur l’ensemble des zones d’Île-de-France. Le poids du — ou plutôt la sensibilité au — stigmate « d’assistanat » lié à la perception d’une aide sociale sont a priori plus faibles sur ce type d’aide puisque les bénéficiaires potentiels ont déjà fait la démarche pour obtenir le RSA.
3.1. Matrice de poids et statistiques descriptives
20 Le tableau 1 présente, dans les deux premières colonnes (1), les moyennes de différentes variables pour les ménages éligibles connaissant et ne connaissant pas l’existence du FGT. Les deux dernières colonnes (2) présentent les moyennes de ces variables pour les demandeurs et les non-demandeurs sur la population des ménages éligibles et connaissant l’existence du dispositif.
21 Les ménages qui disposent d’un véhicule ou dont le répondant possède le permis B ont moins souvent connaissance du dispositif et le demandent moins. Les ménages ne connaissant pas le dispositif déclarent significativement vivre plus souvent dans un logement insalubre, être propriétaire ou sans-domicile [8]. Par ailleurs, les ménages qui n’ont pas connaissance du dispositif comme ceux qui ne le demandent pas habitent en moyenne significativement plus loin de leur référent et d’une station de transport en commun. Ces statistiques descriptives montrent la diversité des variables influençant la non-connaissance et le non-recours. Il est maintenant nécessaire d’élaborer un modèle économétrique complet permettant de repérer le rôle joué par chacune de ces variables en contrôlant leurs interactions potentielles. Notre objectif est également de tester l’influence spécifique de la distance et du voisinage dans la non-connaissance et la non-demande du programme.
Ménages éligibles | Ménages éligibles ayant connaissance de l’existence du programme | |||||||
Non-connaissance | Connaissance | Non-demande | Demande | |||||
Moyenne | Écart-type | Moyenne | Écart-type | Moyenne | Écart-type | Moyenne | Écart-type | |
Caractéristiques du répondant : | ||||||||
Hommed | 0,45 | 0,50 | 0,41 | 0,49 | 0,53 | 0,50 | 0,37 | 0,48 |
Age | 38,02 | 12,49 | 36,88 | 11,66 | 37,69 | 11,86 | 36,61 | 11,59 |
Diplôme | 2,49 | 1,42 | 2,68 | 1,48 | 2,73 | 1,34 | 2,66 | 1,53 |
En emploi | 0,12 | 0,33 | 0,11 | 0,32 | 0,13 | 0,34 | 0,10 | 0,31 |
Caractéristiques du ménage : | ||||||||
Nombre de personne dans le ménage | 2,32 | 1,54 | 2,45 | 1,57 | 2,32 | 1,65 | 2,50 | 1,54 |
Soutien familialc | 0,77 | 0,42 | 0,67 | 0,47 | 0,70 | 0,46 | 0,66 | 0,48 |
Revenu par unité de consommation (en €) | 501,31 | 236,11 | 481,17 | 205,39 | 461,41 | 169,43 | 487,95 | 216,12 |
Possède un véhiculecd | 0,45 | 0,50 | 0,28 | 0,45 | 0,53 | 0,50 | 0,20 | 0,40 |
Possède le permis bcd | 0,56 | 0,50 | 0,40 | 0,49 | 0,65 | 0,48 | 0,32 | 0,47 |
Situation familiale : | ||||||||
Veuf, divorcé ou séparé | 0,21 | 0,40 | 0,21 | 0,40 | 0,21 | 0,40 | 0,21 | 0,40 |
En couple | 0,36 | 0,48 | 0,35 | 0,48 | 0,35 | 0,48 | 0,35 | 0,48 |
Logement : | ||||||||
Logement insalubrec | 0,05 | 0,22 | 0,02 | 0,14 | 0,01 | 0,11 | 0,02 | 0,15 |
Problèmes financiers liés au logement | 0,16 | 0,37 | 0,18 | 0,38 | 0,14 | 0,35 | 0,19 | 0,39 |
Propriétairecd | 0,09 | 0,29 | 0,05 | 0,22 | 0,09 | 0,28 | 0,04 | 0,19 |
Sans-domicilecd | 0,13 | 0,34 | 0,05 | 0,23 | 0,09 | 0,29 | 0,04 | 0,20 |
Difficultés : | ||||||||
Capacité à comprendre les questionsd | 9,17 | 2,31 | 9,18 | 2,24 | 9,64 | 1,59 | 9,03 | 2,41 |
Problème de santé ou handicap | 0,15 | 0,36 | 0,11 | 0,32 | 0,12 | 0,33 | 0,11 | 0,32 |
Accompagnements : | ||||||||
Emploi/Formationd | 0,07 | 0,25 | 0,08 | 0,27 | 0,02 | 0,14 | 0,10 | 0,30 |
Santé | 0,09 | 0,29 | 0,12 | 0,32 | 0,11 | 0,32 | 0,12 | 0,32 |
Caractéristiques géographiques : 2 | ||||||||
Densité de population (hab./km) | 2002 | 1672 | 2220 | 1608 | 1804 | 1637 | 2358 | 1576 |
Distance au réfèrent (en km)cd | 6,24 | 7,62 | 4,86 | 6,32 | 6,83 | 7,08 | 4,21 | 5,91 |
Distance au transport collectif le plus proche (en km)cd | 1,08 | 2,51 | 0,64 | 1,88 | 1,28 | 2,93 | 0,43 | 1,31 |
Observations | 190 | 636 | 159 | 477 |
Statistiques descriptives sur les ménages éligibles au FGT
Notes : La variable « revenu par unité de consommation » contient 26 valeurs manquantes sur la population des ménages éligibles. La variable « diplôme » est codée de 0 (jamais scolarisé) à 6 (enseignement supérieur). La variable « capacité à comprendre les questions » est évaluée de 0 à 10. 10 indiquant la meilleure capacité de compréhension. Cette évaluation a été réalisée par l’enquêteur.c : La moyenne de cette variable est significativement différente entre les connaissants et les non-connaissants au seuil de risque de 5 % (test de Student).
d : La moyenne de cette variable est significativement différente entre les demandeurs et les non-demandeurs au seuil de risque de 5 % (test de Student).
Lecture : Les ménages éligibles qui n’ont pas connaissance de l’existence du FGT se situent en moyenne à 1,08 km du transport collectif le plus proche contre 640 mètres pour les ménages éligibles qui connaissent l’existence du programme. La distance moyenne au transport collectif le plus proche est significativement différente entre les deux catégories au seuil de risque de 5 % (test de Student).
22 L’analyse de la présence de corrélations spatiales nécessite la définition d’une matrice de poids spatiale W. La matrice de poids a pour but de spécifier les liens par lesquels peuvent se produire les mécanismes de diffusion entre les différents individus. La nature de l’unité étudiée ainsi que la présence de ménages isolés ne permettent pas l’utilisation d’une simple matrice de contiguïté. Dans ce cas la matrice de poids contiendrait des lignes et des colonnes avec uniquement des zéros pour les unités isolées, ce qui fausserait l’interprétation des inférences en retirant les observations du résultat global (Dall’erba et Le Gallo [2008]). La distance est utilisée pour sélectionner les k plus proches voisins de chaque unité. Les ménages étant assez dispersés sur le territoire, cette construction est plus appropriée que de réaliser la sélection sur une distance fixe (Baumont [2009]), auquel cas le nombre de voisins varierait de façon importante entre les observations. De plus, des variables de distance étant incluses dans le modèle, utiliser une matrice basée sur la distance pourrait entraîner des problèmes de multico-linéarité (Wilhelmsson [2002]). Les tests de sensibilité des résultats réalisés avec des matrices de poids fondées sur différentes distances fixes confirment la meilleure prise en compte de l’autocorrélation spatiale par l’utilisation de la méthode des k plus proches voisins.
23 La forme générale de matrice des poids des k plus proches voisins W (k) est définie comme :
wi*j = 0 si i = j, ∀k
wi*j = 1 si dij < di (k) et wij (k) = wi*j (k)/∑ wi*j (k)
j
wi*j = 0 si dij > di (k)
24 Où wij (k) est un élément de la matrice des poids standardisée et di (k) est un point de coupure définie pour chaque unité i. Plus précisément, di (k) est la kieme plus petite distance entre l’individu i et toutes les autres unités de manière à ce que chaque unité i ait exactement k voisins.
25 Il est nécessaire de choisir le nombre de plus proches voisins à considérer. Dans notre cas, l’autocorrélation spatiale semble mieux captée par une matrice de poids fondée sur les 6 plus proches voisins, c’est donc cette matrice qui sera utilisée dans la suite de l’analyse. Il n’existe pas de méthode universellement admise pour choisir le type de matrice de voisinage et le nombre de plus proches voisins à considérer. Ces choix peuvent pourtant avoir une influence sur la mesure de la corrélation spatiale et donc sur la spécification du modèle (Harris et Kravtsova [2009]). Des tests de sensibilité des modèles à la spécification de la matrice de voisinage seront donc réalisés.
4. Stratégie empirique
26 La présence d’autocorrélation spatiale dans la demande du FGT nécessite d’être prise en compte de façon spécifique dans la modélisation. Il est possible que la diffusion d’informations ou de normes ait une influence sur le comportement des ménages en matière d’utilisation des aides. Or si l’autocorrélation spatiale provient d’un autre phénomène que la distance au référent, au transport en commun le plus proche ou d’une autre variable explicative, l’estimation d’un modèle probit ou logit entraînerait des résultats inefficients ou biaisés selon la configuration de l’autocorrélation spatiale (Anselin [1988]).
27 Les développements en économétrie spatiale ont permis d’élaborer différents modèles tenant compte de l’autocorrélation spatiale comme le modèle à erreurs spatialement autocorrélées (SEM) et le modèle à variable endogène spatialement décalée (SAR). Dans le modèle SEM un processus spatial autorégressif est introduit dans les erreurs. Ce type de modèle permet de détecter des problèmes de spécification et d’améliorer les estimateurs en leur présence. Dans le modèle SAR, que nous utiliserons, l’autocorrélation spatiale des observations est prise en compte par une variable endogène spatialement décalée et reflète le fait que la demande d’un ménage est influencée par la demande du dispositif des autres ménages. Il semble ici plus pertinent d’utiliser ce modèle dans la mesure où l’on cherche à modéliser de tels effets de voisinage sur la demande et la connaissance du FGT par les ménages [9] (Le Gallo [2002, 2004]). Le modèle s’écrit :
Y = ρWY + βX + ε et ε∼N (0, σ
I) [1]
28 Où le paramètre estimé ρ mesure la dépendance spatiale des observations.
29 Il est possible de donner à ce modèle un soubassement théorique pour ce qui a trait à la demande de l’aide. Dans ce cas la décision de demander ou non le dispositif dépend de la différence d’utilité, entre les deux états, obtenus par un individu . La variable latente n’est pas observée mais seulement le choix effectué :
Yi = 0 si Yi* < 0
30 Les modèles spatiaux autorégressifs, initialement adaptés à des variables dépendantes continues, ont été récemment étendus aux variables dichotomiques. Les travaux menés dans cet objectif ont conduit à l’élaboration de différentes méthodes d’estimation. Après les premières tentatives d’estimation par maximisation de la vraisemblance (Case [1992] ; McMillen [1992]), une approche bayésienne a été proposée par LeSage [2000]. Il suggère d’utiliser la méthode de Monte-Carlo par chaîne de Markov (MCMC) pour surmonter la complication introduite par la multidimensionalité de la fonction de répartition de la loi normale dans la vraisemblance du modèle probit spatial. L’estimation MCMC consiste à échantillonner de façon séquentielle les paramètres depuis leur distribution conditionnelle. Un nombre important d’échantillonnage permet de faire converger les paramètres vers la distribution jointe postérieure [10]. Cette méthode a ensuite était étendue par Smith et LeSage [2004]. Le principal inconvénient de ces méthodes est la durée importante de temps de calcul qu’elles requièrent. Un autre type d’approche possible est l’estimation par la méthode des moments généralisés (GMM). La première estimation par GMM a été proposée par Pinkse et Slade [1998] pour le probit à erreur spatiale. Cette approche a ensuite été suivie par Klier et McMillen [2008] pour le probit à variable endogène spatialement décalée. Klier et McMillen [2008] réalisent une approximation linéaire aux alentours de l’absence d’interdépendance. Cette méthode à l’avantage d’être d’exécution rapide et fonctionne bien sur de grands échantillons et pour des niveaux d’autocorrélation spatiale faibles (Franzese, Hays et Schaffer [2010]), mais les propriétés asymptotiques du GMM ne sont plus applicables (Smirnov [2010]). Wang, Iglesias et Wooldridge [2013] ont également essayé d’établir une estimation d’exécution rapide en proposant une estimation par quasi-maximum de vraisemblance, plus efficiente que celle par GMM. Dans notre cas la taille des échantillons reste modeste et le temps de calcul n’est pas problématique. Pour l’estimation, nous utiliserons la méthode bayésienne proposée par LeSage [2000]. Les méthodes d’estimation n’ont pas les mêmes propriétés et présentent parfois des résultats sensiblement différents pour un même échantillon. Des tests de robustesse seront donc effectués à l’aide d’une estimation par maximum de vraisemblance (Case [1992] ; McMillen [1992]) et par GMM (Klier et McMillen [2008]).
31 La stratégie empirique consiste donc à tenir compte du maximum de facteurs qui peuvent influencer la distribution spatiale pour pouvoir différencier les différents déterminants spatiaux et pour que le coefficient de corrélation spatiale capte uniquement les effets de réseau (diffusion d’information ou de normes) [11]. Il est cependant plus prudent d’interpréter ce coefficient de corrélation comme un effet de voisinage. Il n’est en effet, pas possible de déterminer si la corrélation provient d’un effet contextuel dû au fait que des ménages vivant dans le même voisinage peuvent être exposés à des déterminants similaires ou si la corrélation provient uniquement d’un effet de réseau. De manière générale il n’est pas possible d’exclure la présence d’endogénéité dans l’estimation de certaines variables comme le coefficient de corrélation spatiale et la distance au service de transport en commun. Le lieu d’habitation n’est pas nécessairement décidé de manière entièrement aléatoire, même après prise en compte des facteurs observables [12].
32 Nous introduisons dans la spécification les variables d’explication du non-recours généralement utilisées dans la littérature comme le sexe, l’âge, le niveau de diplôme, le nombre de personnes dans le ménage, la situation matrimoniale, le revenu, la situation vis-à-vis du logement et vis à vis de l’emploi (Domingo et Pucci [2014] ; Hernanz, Malherbet et Pellizzari [2004]). La possession d’un véhicule ou du permis B peut réduire l’utilité à bénéficier des transports en commun et sont donc également introduits dans les modèles. La capacité à comprendre les questions posées lors de l’enquête est utilisée dans l’estimation comme un indicateur de la capacité de compréhension générale du répondant. Deux variables liées aux difficultés rencontrées par le ménage pour son logement, sont introduites. Bien que le Forfait Gratuité Transport n’apporte pas directement d’aide au logement, le logement est une problématique à part entière pour les ménages pauvres et peut donc influer sur la connaissance et sur la nécessité d’une aide à l’utilisation des transports en commun. Deux variables d’accompagnement, familial et public, sont introduites dans l’estimation car l’accompagnement est supposé avoir un effet sur la connaissance et l’accessibilité du dispositif. Par ailleurs, certains travaux ont montré des différences de propension au non-recours en fonction du milieu de vie, urbain ou rural (Bramley, Lancaster et Gordon [2000]). Une variable indiquant la densité de population dans la localité est donc introduite. Pour tester les hypothèses sur la distribution spatiale de la non-connaissance et de la non-demande de l’aide, des variables de distance au référent et de distance aux stations de RER, de cars départementaux et de trains les plus proches sont également construites. Les trois variables de distance aux différents moyens de transport collectif sont finalement regroupées dans une variable de distance à la station de transport en commun la plus proche.
5. Résultats et robustesse
5.1. Résultats
33 Le tableau 2 présente les résultats de la modélisation de la non-connaissance du dispositif sur l’échantillon des éligibles et le tableau 3 les résultats de l’estimation de la non-demande du dispositif sur l’échantillon des éligibles ayant connaissance de l’existence du dispositif. Les résultats de quatre spécifications différentes sont affichés de la colonne (1) à (5) dans les deux tableaux. La colonne (1) n’inclut pas les variables de distance au référent et au transport en commun le plus proche. Celles-ci sont ajoutées dans la colonne (2) et (3). La colonne (4) présente les résultats du modèle probit comportant à la fois les variables de distance au référent et aux transports en commun [13]. Les résultats du SAR probit [14] incluant ces variables sont présentés dans la colonne (5) [15].
34 Nos résultats confirment partiellement les causes du non-recours habituellement étayées par la littérature. Comme dans l’étude de Riphahn [2001], il n’existe pas de différence significative de comportement entre hommes et femmes. Par contre, d’autres variables régulièrement utilisées dans les études sur le non-recours, comme l’âge, le niveau de diplôme, la situation familiale ou la présence d’enfants dans le ménage n’ont pas d’effet significatif sur la connaissance ou la demande du dispositif. Cela peut s’expliquer par la particularité du dispositif ; il est en effet probable que les coûts de stigmatisation soient, de façon générale, plus faible dans ce dispositif. La carte peut être demandée sur internet et ne demande donc pas de contact direct avec une autre personne [16]. De plus si une partie de la stigmatisation prend la forme d’un coût fixe, le coût a déjà été payé lors de la demande du RSA. Or l’effet négatif parfois obtenu pour l’âge peut en partie s’expliquer par l’augmentation de la stigmatisation qui lui est liée. On trouve également un résultat contre-intuitif : le non-recours augmente lorsque les enquêtés ont moins de difficultés de compréhension des questions. Si les difficultés de compréhension peuvent renvoyer à des bénéficiaires non francophones, ce résultat reste difficile à interpréter.
VARIABLES |
(1) Probit |
(2) Probit |
(3) Probit |
(4) Probit |
(5) SAR Probit |
Homme |
– 0,048 (0,113) |
– 0,050 (0,113) |
– 0,050 (0,114) |
– 0,051 (0,113) |
– 0,051 (0,112) |
Age |
0,002 (0,005) |
0,002 (0,005) |
0,002 (0,005) |
0,002 (0,005) |
0,002 (0,005) |
Diplôme |
– 0,055 (0,036) |
– 0,055 (0,036) |
– 0,054 (0,036) |
– 0,054 (0,036) |
– 0,053 (0,037) |
En emploi |
– 0,002 (0,163) |
– 0,012 (0,164) |
– 0,008 (0,163) |
– 0,014 (0,164) |
– 0,044 (0,151) |
Nombre de personne dans le ménage |
– 0,040 (0,043) |
– 0,040 (0,043) |
– 0,036 (0,043) |
– 0,037 (0,043) |
– 0,033 (0,043) |
Soutien familial |
0,312*** (0,113) |
0,306*** (0,113) |
0,315*** (0,114) |
0,310*** (0,114) |
0,325*** (0,112) |
Possède un véhicule |
0,311** (0,130) |
0,313** (0,130) |
0,301** (0,130) |
0,304** (0,131) |
0,324** (0,139) |
Possède le permis B |
0,220* (0,127) |
0,214* (0,128) |
0,226* (0,127) |
0,221* (0,128) |
0,235* (0,132) |
Veuf, séparé ou divorcé (Réf : Célibataire) |
– 0,088 (0,153) |
– 0,091 (0,153) |
– 0,086 (0,154) |
– 0,088 (0,154) |
– 0,094 (0,157) |
En couple (Réf : Célibataire) |
0,003 (0,139) |
0,005 (0,139) |
0,014 (0,139) |
0,014 (0,139) |
– 0,003 (0,139) |
RUC supérieur à la médiane |
0,064 (0,103) |
0,062 (0,103) |
0,059 (0,103) |
0,058 (0,103) |
0,066 (0,106) |
Logement insalubre |
0,723*** (0,270) |
0,701*** (0,269) |
0,704*** (0,269) |
0,693*** (0,268) |
0,758** (0,297) |
Problèmes financiers liés au logement |
– 0,093 (0,140) |
– 0,095 (0,140) |
– 0,103 (0,141) |
– 0,103 (0,141) |
– 0,113 (0,147) |
Propriétaire |
0,348* (0,200) |
0,326 (0,199) |
0,325 (0,202) |
0,314 (0,201) |
0,309 (0,213) |
Sans-domicile |
0,548*** (0,181) |
0,550*** (0,182) |
0,560*** (0,181) |
0,560*** (0,181) |
0,544*** (0,183) |
Capacité à comprendre les questions |
– 0,011 (0,023) |
– 0,013 (0,023) |
– 0,013 (0,023) |
– 0,014 (0,023) |
– 0,017 (0,023) |
Formation ou accompagnement vers l’emploi |
0,100 (0,189) |
0,101 (0,189) |
0,112 (0,189) |
0,111 (0,189) |
0,123 (0,201) |
Densité de population dans la commune (hab./km2) |
– 0,000 (0,000) |
– 0,000 (0,000) |
– 0,000 (0,000) |
0,000 (0,000) |
– 0,000 (0,000) |
Distance au référent (en km) |
0,011 (0,009) |
0,008 (0,010) |
0,008 (0,010) | ||
Distance au transport collectif le plus proche (en km) |
0,041 (0,026) |
0,034 (0,027) |
0,031 (0,025) | ||
Constante |
– 1,460*** (0,400) |
– 1,533*** (0,408) |
– 1,517*** (0,404) |
– 1,557*** (0,410) |
– 1,507*** (0,410) |
ρ |
0,132* (0,071) | ||||
Observations Log-vraisemblance |
826 – 417,6 |
826 – 416,8 |
826 – 416,2 |
826 – 415,9 |
826 – 417,9 |
VARIABLES |
(1) Probit |
(2) Probit |
(3) Probit |
(4) Probit |
(5) SAR Probit |
Homme |
0,174 (0,129) |
0,185 (0,129) |
0,183 (0,130) |
0,190 (0,129) |
0,173 (0,135) |
Age |
0,001 (0,006) |
0,001 (0,006) |
0,000 (0,006) |
0,001 (0,006) |
0,001 (0,006) |
Diplôme |
– 0,059 (0,044) |
– 0,062 (0,044) |
– 0,057 (0,044) |
– 0,060 (0,044) |
– 0,063 (0,044) |
En emploi |
0,038 (0,178) |
– 0,002 (0,177) |
0,024 (0,178) |
– 0,004 (0,177) |
0,008 (0,204) |
Nombre de personne dans le ménage |
– 0,033 (0,053) |
– 0,031 (0,052) |
– 0,024 (0,052) |
– 0,024 (0,052) |
– 0,030 (0,048) |
Soutien familial |
– 0,003 (0,128) |
– 0,016 (0,129) |
– 0,003 (0,130) |
– 0,011 (0,130) |
– 0,012 (0,133) |
Possède un véhicule |
0,655*** (0,142) |
0,680*** (0,143) |
0,641*** (0,142) |
0,662*** (0,142) |
0,691*** (0,158) |
Possède le permis B |
0,384*** (0,141) |
0,349** (0,142) |
0,385*** (0,141) |
0,359** (0,141) |
0,360** (0,146) |
Veuf, séparé ou divorcé (Réf : Célibataire) |
– 0,063 (0,177) |
– 0,073 (0,181) |
– 0,049 (0,180) |
– 0,058 (0,182) |
– 0,061 (0,185) |
En couple (Réf : Célibataire) |
– 0,050 (0,178) |
– 0,046 (0,178) |
– 0,023 (0,177) |
– 0,026 (0,177) |
– 0,029 (0,164) |
RUC supérieur à la médiane |
– 0,376*** (0,124) |
– 0,374*** (0,125) |
– 0,370*** (0,125) |
– 0,370*** (0,125) |
– 0,366*** (0,126) |
Logement insalubre |
– 0,087 (0,467) |
– 0,109 (0,460) |
– 0,059 (0,471) |
– 0,079 (0,465) |
– 0,103 (0,451) |
Problèmes financiers liés au logement |
– 0,380** (0,167) |
– 0,398** (0,170) |
– 0,410** (0,169) |
– 0,420** (0,171) |
– 0,434** (0,183) |
Propriétaire |
0,418* (0,247) |
0,404 (0,249) |
0,406 (0,252) |
0,398 (0,252) |
0,411 (0,274) |
Sans-domicile |
0,452* (0,231) |
0,452** (0,230) |
0,484** (0,229) |
0,477** (0,228) |
0,509** (0,246) |
Capacité à comprendre les questions |
0,091** (0,036) |
0,088** (0,036) |
0,085** (0,036) |
0,084** (0,036) |
0,087*** (0,033) |
Formation ou accompagnement vers l’emploi |
– 0,870*** (0,326) |
– 0,862*** (0,324) |
– 0,827** (0,327) |
– 0,827** (0,324) |
– 0,867*** (0,320) |
Densité de population dans la commune (hab./km2) |
– 0,000** (0,000) |
– 0,000 (0,000) |
– 0,000 (0,000) |
– 0,000 (0,000) |
– 0,000 (0,000) |
Distance au référent (en km) |
0,025** (0,011) |
0,018 (0,012) |
0,015 (0,020) | ||
Distance au transport collectif le plus proche (en km) |
0,091*** (0,031) |
0,076** (0,032) |
0,076** (0,036) | ||
Constante |
– 1,751*** (0,506) |
– 1,931*** (0,507) |
– 1,870*** (0,514) |
– 1,983*** (0,513) |
– 1,877*** (0,514) |
ρ |
0,113 (0,112) | ||||
Observations | 636 | 636 | 636 | 636 | 636 |
Log-vraisemblance | – 295,6 | – 293,2 | – 292,1 | – 290,9 | – 291,4 |
35 Les conditions de logement influent nettement sur le non-recours. Le fait d’être sans-domicile augmente fortement la probabilité de ne pas connaître et de ne pas demander le dispositif, ce qui confirme les résultats de Chareyron et Domingues [2015]. Les sans-domicile sont moins souvent informés de l’existence du dispositif, et quand ils le sont, il leur est plus difficile de le demander. Être sans-domicile augmente en moyenne de 16 % la probabilité de ne pas connaître l’existence de l’aide aux transports et augmente de 14 % la probabilité de ne pas la demander [17]. L’importance des conditions de logement dans l’explication du non-recours, apparaît également par l’effet négatif, sur la connaissance du dispositif, d’habiter dans un logement insalubre. Assez logiquement, avoir des difficultés financières, notamment des problèmes pour payer son logement augmente la probabilité de demander l’aide aux transports lorsqu’on en a connaissance. Par contre, le fait de posséder un revenu par unité de consommation supérieur à la médiane réduit la probabilité de ne pas demander l’aide, ce qui suggère que ces ménages ont plus de facilités à accéder au dispositif. Ce résultat peut sembler contre-intuitif : le bénéfice retiré du FGT étant d’autant plus important que le ménage est pauvre. Mais un effet localement positif du revenu sur le recours a déjà été observé dans certaines études (Tempelman et Houkes-Hommes [2015]). Le fait de posséder de faibles revenus peut entrainer des difficultés particulières pour demander le programme. Il est également possible que certaines caractéristiques affectent la propension à avoir de faibles revenus et à ne pas demander l’aide. Dans notre cas il est aussi possible que les ménages les plus pauvres aient moins besoin d’utiliser les transports en commun par exemple en raison d’un plus faible nombre d’activités de loisirs.
36 Certains autres résultats semblent confirmer une interprétation du recours en termes de besoin et de coûts. Ainsi, bénéficier de soutien familial augmente la probabilité de ne pas avoir connaissance de l’existence du dispositif. Cela pourrait indiquer que les ménages qui bénéficient d’un soutien familial s’appuient sur ce soutien et s’informent moins des dispositifs collectifs d’aide. Le fait de disposer d’un moyen de transport alternatif aux transports en commun (détention du permis de conduire, possession d’un véhicule) augmente à la fois le risque de ne pas connaître et de ne pas demander le Forfait Gratuité Transport quand on y a droit. Si l’effet de l’utilisation d’un véhicule privé sur la demande de la carte « Solidarité Transport » était attendu, son effet sur la connaissance même du dispositif est plus surprenant. Il est cependant possible que les ménages utilisant un véhicule privé soient moins enclins à consulter les informations sur les transports en commun et soient donc moins susceptibles de rencontrer les informations concernant l’existence du dispositif [18] ou d’y être attentifs. On peut proposer le même type d’interprétation pour expliquer que les personnes qui suivent une formation aient plus souvent besoin de se déplacer et demandent plus souvent le FGT.
37 Nos résultats confirment que le calcul coût-avantage intègre une dimension spatiale ce qui permet de vérifier que le non-recours peut résulter d’un « spatial mismatch » entre la localisation des bénéficiaires potentiels et l’accès aux transports en commun. Conformément à l’intuition, cette dimension spatiale joue sur la demande plus que sur la connaissance du dispositif : une plus grande distance au point d’accès au réseau de transport collectif réduit la demande du Forfait Gratuité Transport. S’éloigner d’un kilomètre du transport en commun le plus proche réduit en moyenne de 2,1 % la probabilité de demander le dispositif. Il s’agit donc d’un effet spatial parfaitement cohérent avec l’analyse habituelle du non-recours à partir d’une comparaison des coûts et des avantages de l’aide. La distance au référent, dont on aurait pu penser qu’elle jouerait sur la probabilité de connaître l’aide n’apparaît significative que pour la demande à l’aide. De plus, l’effet de cette variable disparaît lorsqu’on l’intègre en même temps la distance au transport au commun, qui reste significative pour ce qui est de la demande du FGT. C’est donc bien d’abord le coût de déplacement pour bénéficier du service qui influence le non-recours à cette aide plus que le coût d’accès à l’information ou à une personne ressource.
38 En plus du paramètre « distance », nous suggérons un effet spécifique de diffusion d’information, qui apparaît confirmer pour nos données les résultats des travaux sur les effets de réseau. Dans la table détaillant les déterminants de la non-connaissance de l’aide au transport, la significativité du coefficient ρ indique que la probabilité de connaître le dispositif augmente avec le nombre de personnes connaissant eux-mêmes le FGT dans le voisinage, ce qui semble confirmer l’hypothèse de mécanismes de réseau dans la diffusion de l’information. Bien que d’une magnitude assez faible, la dépendance spatiale reste ainsi présente lorsque les distances au transport en commun et au référent sont prises en compte. La significativité du coefficient, alors que les variables de distance sont introduites, suggère qu’un effet de réseau influence la probabilité de connaître le dispositif. Ce résultat semble confirmer que les effets de diffusion suggérés par Chareyron [2014] et Okbani [2013] affectent la connaissance de la gratuité des transports en commun. Cependant, malgré le nombre important de variables de contrôle, il n’est pas possible d’exclure la possibilité que la corrélation spatiale capte la présence d’une variable omise. L’effet pourrait provenir de politiques sociales différentes entre les territoires (par exemple dans la diffusion de l’information) mais également de différences de conditions macroéconomiques ou du marché du travail entre les zones (Riphahn [2001]) [19]. Enfin, on n’observe pas de concentration spatiale significative pour la non-demande une fois les variables de distance prises en compte ; parmi les effets spatiaux, seule la distance joue ici. La demande du dispositif ne semble donc pas influencée par des effets de diffusion de normes au sein d’une localité. La dimension spatiale du non-recours est confirmée dans ses différents aspects : par l’impact géographique d’une part et par les effets de diffusion d’information d’autre part. Contrairement aux résultats de Aizer et Currie [2004] pour l’utilisation de service pré-nataux aux États-Unis, les effets de réseau apparaissent ici provenir de phénomène de diffusion d’information et non de norme.
5.2. Robustesse
39 Trois composantes de la modélisation peuvent avoir une influence sur les résultats sans qu’il existe de procédure faisant consensus pour déterminer leur valeur exacte : la forme de la matrice de voisinage, le paramètre de sélection du voisinage et la méthode d’estimation du probit spatial.
40 La création d’une matrice de voisinage par plus proches voisins a été choisie pour son adéquation à la situation rencontrée et les résultats obtenus avec des matrices alternatives confirment ce choix [20]. Le nombre de voisins à sélectionner a été fixé à 6 car la corrélation spatiale est bien captée pour la non-connaissance du dispositif avec ce paramétrage. L’estimation est quant à elle réalisée par la méthode bayésienne proposée par Lesage [2000], par maximum de vraisemblance et par GMM. Les tableaux de l’annexe présentent l’influence du paramétrage de la matrice de voisinage et de la technique d’estimation sur l’estimation du coefficient de corrélation spatiale pour la non-connaissance et la non-demande du dispositif [21].
41 L’estimation du coefficient de corrélation spatiale de la non-demande de l’aide varie peu entre les différentes estimations. Le coefficient est parfois significatif quand les variables de distance ne sont pas introduites mais ne l’est pas quand elles sont présentes dans l’estimation. En revanche l’estimation du coefficient pour la non-connaissance de l’aide est moins robuste. Les résultats sont sensibles à la technique d’estimation. Lorsque l’estimation par maximum de vraisemblance ou par GMM est utilisée, le coefficient est significatif pour presque tous les différents k, que les variables de distance soient présentes ou non. Avec la méthode d’estimation par chaîne de Markov, en revanche, le coefficient est significatif seulement pour certains choix de nombre de voisins. Les résultats retenus dans la partie 5.1 sont donc conservatifs quant à la présence d’autocorrélation spatiale dans la non-connaissance du programme.
6. Conclusion
42 L’article analyse les déterminants du non-recours primaire à une aide sociale locale — le Forfait Gratuité Transport en Île de France — en décomposant la non-connaissance et la non-demande. Il intègre une dimension spatiale, en recherchant d’une part l’existence d’un spatial mismatch dans le non-recours et d’autre part des effets de diffusion d’informations et de normes grâce à des techniques récentes permettant d’estimer les modèles spatiaux à variable endogène discrète.
43 La modélisation séparée de la non-connaissance et de la non-demande du dispositif permet de différencier clairement les déterminants de ces deux facteurs du non-recours. S’ils sont souvent similaires, les variables liées directement à des questions financières comme les difficultés de paiement du logement n’ont d’influence que sur la demande du dispositif. En revanche les conditions de vie comme la situation de logement ont principalement un effet sur la connaissance de l’existence du Forfait Gratuité Transport. Ces résultats indiquent que les personnes les plus en marge de la société ou vivant dans les situations les plus précaires ont un accès plus difficile à l’information. La demande du dispositif est, quant à elle, positivement affectée par le revenu du ménage. Le recours à l’aide est donc plus difficile pour les ménages connaissant de mauvaises conditions de logement et pour les ménages ayant les revenus les plus faibles.
44 La pertinence de la décomposition de l’effet spatial en spatial mismatch et effets de réseau est confirmée par les résultats. Nous observons des effets de voisinage significatifs dans la connaissance du dispositif, suggérant la présence de mécanismes de diffusion d’information. La demande du dispositif garantissant la gratuité des transports en commun d’Île-de-France est quant à elle influencée par l’éloignement entre le lieu de vie et les transports collectifs, confirmant la validité de l’approche en matière de choix rationnel dans la modélisation de la demande de l’aide aux transports : un coût d’accès supérieur au service réduit la demande d’aide. Il n’apparaît pas en revanche d’effets de voisinage dans la demande de l’aide. Ce résultat ne rejette cependant pas la possibilité de diffusion de normes qui réduirait ou augmenterait la stigmatisation liée à la demande. Le résultat est obtenu pour un dispositif probablement peu stigmatisant à demander (en partie car il est réservé à des ménages déjà bénéficiaires de l’aide sociale) et où les effets liés au stigmate sont donc plus difficiles à capter. La diffusion peut également s’effectuer par d’autres canaux, comme la proximité culturelle, ethnique ou sociale ou à une échelle spatiale différente de celle utilisée dans cet article.
45 Au final, nos résultats suggèrent qu’il est important de lutter à la fois contre les facteurs responsables de la non-connaissance et du non-recours. La moindre connaissance des ménages les plus fragiles et l’existence d’effets de voisinage amènent à recommander des politiques publiques de diffusion de l’information, par exemple en mobilisant les référents locaux des bénéficiaires du RSA dans les Maisons Départementales des Solidarités. Le lien entre demande de l’aide et éloignement aux transports en commun ne peut que militer pour une couverture plus dense du territoire par le réseau des transports en commun. De ce point de vue, le développement dans de nombreuses régions de systèmes de navettes ou d’arrêts facultatifs sur le principe des Transports à la Demande (l’arrêt est desservi sur réservation préalable) est à encourager… à condition que ces systèmes permettent bien d’augmenter le nombre de points d’accès au réseau et non de transformer des arrêts permanents en arrêts facultatifs.
Annexe
Test de sensibilité du coefficient d’autocorrélation spatiale pour la non-connaissance du « Forfait Gratuité Transport »
Matrice de voisinage | MCMC | ML | GMM | |||
Nombre de plus proches voisins | Sans variable distance | Avec variables de distance | Sans variable distance | Avec variables de distance | Sans variable distance | Avec variables de distance |
2 | * | * | *** | *** | *** | ** |
3 | ** | ** | *** | *** | *** | *** |
4 | ** | * | *** | *** | *** | ** |
5 | NS | NS | *** | *** | ** | NS |
6 | * | * | *** | *** | *** | *** |
7 | NS | NS | *** | *** | *** | * |
8 | NS | NS | *** | *** | *** | *** |
9 | NS | NS | *** | *** | *** | *** |
10 | NS | NS | *** | *** | *** | NS |
11 | NS | NS | *** | *** | NS | NS |
12 | NS | NS | *** | *** | *** | ** |
13 | NS | NS | *** | *** | *** | NS |
14 | NS | NS | *** | ** | ** | NS |
Test de sensibilité du coefficient d’autocorrélation spatiale pour la non-connaissance du « Forfait Gratuité Transport »
Notes : NS : Non significatif ; *** : Significatif au seuil de risque de 1 % ; ** : Significatif au seuil de risque de 5 % ; * : Significatif au seuil de risque de 10 %.Test de sensibilité du coefficient d’autocorrélation spatiale pour la non-demande du « Forfait Gratuité Transport »
Matrice de voisinage | MCMC | ML | GMM | |||
Nombre de plus proches voisins | Sans variable distance | Avec variables de distance | Sans variable distance | Avec variables de distance | Sans variable distance | Avec variables de distance |
2 | NS | NS | NS | NS | NS | * |
3 | * | NS | NS | NS | * | NS |
4 | * | NS | NS | NS | NS | NS |
5 | ** | NS | NS | NS | ** | NS |
6 | NS | NS | NS | NS | *** | NS |
7 | * | NS | ** | NS | *** | NS |
8 | ** | NS | ** | NS | *** | NS |
9 | ** | NS | ** | NS | *** | NS |
10 | ** | NS | *** | NS | *** | NS |
11 | ** | NS | ** | NS | *** | NS |
12 | NS | NS | NS | NS | NS | NS |
13 | NS | NS | NS | NS | NS | NS |
14 | * | NS | NS | NS | NS | NS |
Bibliographie
Références bibliographiques
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Notes
-
[✝]
Université Paris-Est (UPE), ERUDITE et TEPP (FR CNRS 3435) : denis.anne@gmail.com
-
[‡]
University Paris-Est (UPE), ERUDITE et TEPP (FR CNRS 3435) : sylvain.chareyron@univ-paris-est.fr, 5 boulevard Descartes, Champs-sur-Marne 77454 Marne-La-Vallée.
-
[1]
Par exemple, dans des communautés où le faible capital scolaire est la règle, la désutilité causée par l’arrêt des études peut être compensée par l’utilité obtenue en se conformant à la norme sociale du groupe. Pour, une revue de la littérature, voir Costa-Font et Cowell [2015].
-
[2]
Les ménages éligibles sont bénéficiaires du RSA et à ce titre se voient attribuer un référent chargé de leur accompagnement professionnel et social.
-
[3]
La tarification par zones a été supprimée en septembre 2015. A cette date, un forfait mensuel de 70 euros permettait de voyager sur l’ensemble du réseau d’Île-de-France.
-
[4]
L’éligibilité de 32 ménages n’a pu être déterminée en raison du non-renseignement de leurs revenus d’activité. Pour d’autres, seuls les revenus d’activité sont connus. Grâce à cette information, l’éligibilité de ces ménages peut être connue (voir son calcul ci-dessus). Par contre, dans l’échantillon des ménages éligibles, la variable de revenu comporte ainsi 26 valeurs manquantes.
-
[5]
Pour obtenir ou renouveler leur droit au RSA les ménages ont dû faire un état des lieux précis de leurs ressources peu de temps avant de répondre à l’enquête. La déclaration de ressources remplie lors de la demande du RSA peut être soumise à vérification et le ménage est amené à payer les sommes indues en cas de mauvaises déclarations, ce qui permet de penser que les ménages s’informent précisément sur leurs ressources pour cette démarche.
-
[6]
Il est donc possible que certains ménages ayant déjà obtenu l’aide ne soient plus éligibles ; ou soient actuellement éligibles non recourants mais n’apparaissent pas comme tels car recourants antérieurs, amenant une éventuelle sous-estimation du non-recours.
-
[7]
Dans notre enquête 32 communes sur 194 comptent plus de six ménages bénéficiaires du RSA dont 13 communes qui en comptent plus de vingt. Pour ces communes des informations sur la localisation géographique des ménages à l’IRIS auraient permis une plus grande précision de l’estimation. Les simulations de Monte Carlo effectuées par Lee [2009] ont cependant montré que dans un modèle SAR lorsque l’unité de voisinage choisie est plus grande que la vraie unité le biais est moins important que lorsqu’elle est plus petite.
-
[8]
Les résultats des tests de Student effectués sont présentés dans le tableau 1.
-
[9]
Le choix du modèle est donc avant tout dicté par des considérations théoriques et par l’expérience de la littérature. Il ne semble pas exister à l’heure actuelle de méthode de choix empirique du modèle spatial à utiliser dans le cas dichotomique comme c’est le cas en présence d’une variable dépendante continue. L’estimation de modèle SEM en lieu et place de modèles SAR a très peu d’influence sur les coefficients dans notre cas mais l’interprétation des coefficients devra être réalisée avec prudence.
-
[10]
Voir Lesage et Pace [2009] pour une présentation d’ensemble.
-
[11]
Les effets de réseau correspondent aux interactions endogènes de la classification établie par Manski [2000].
-
[12]
Il est possible que certaines caractéristiques inobservables, comme la volonté de vivre en milieu rural, déterminent la localisation de certains ménages à l’est du département ou dans des lieux éloignés des transports en commun. L’effet estimé de la distance au transport en commun et la corrélation spatiale pourraient alors traduire en partie le fait que ces ménages ont une moindre propension à utiliser les transports en commun et donc à demander le FGT.
-
[13]
Les deux variables possèdent un coefficient de corrélation de 45 %. Le test VIF n’indique pas de présence de mutlicolinéarité entre les deux variables.
-
[14]
L’estimation est réalisée à l’aide du package « spatialprobit » (de Matos et Wilhelm [2015]) de R.
-
[15]
Les 26 ménages pour lesquels le revenu par unité de consommation n’est pas connu ont été considérés comme ayant un revenu inférieur à la médiane. La raison pour laquelle l’information n’est pas connue est généralement que la situation du ménage paraissait trop difficile et que l’enquêteur n’a pas posé cette question. Il est donc très probable que les revenus soient inférieurs à la médiane du revenu des ménages. Cette hypothèse n’a, par ailleurs, pas de conséquence sur les résultats de l’estimation.
-
[16]
D’autant que le forfait gratuité est chargé sur une carte de transport « Navigo » standard. Au quotidien, lors du passage aux bornes d’accès, l’utilisation du FGT ne comporte donc pas d’éléments stigmatisants. Seul le rechargement trimestriel des droits à un guichet peut potentiellement poser problème au bénéficiaire, mais il peut également se faire sur une borne automatique, sans vis-à-vis.
-
[17]
Les effets marginaux présentés sont des effets totaux moyens. Ils tiennent donc compte des effets de diffusion induits par la présence d’effets de voisinage.
-
[18]
L’existence de la carte « Solidarité Transport » est par exemple indiquée sur le site de la RATP.
-
[19]
Des différences de taux d’accès à l’emploi peuvent, par exemple, exister à l’intérieur d’un département (L’Horty, Duguet et Sari [2015]) et avoir un effet sur la connaissance ou la demande du dispositif.
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[20]
Les résultats sont disponibles sur demande.
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[21]
Les résultats sont obtenus à partir des packages « spatialprobit » (de Matos et Wilhelm [2015]) et « Mcspatial » (McMillen [2013]) de R.