Notes
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[1]
Université Paris-Est, ERUDITE (EA437), UPEC, UPEM et TEPP-CNRS (FR3435), 5 bd Descartes, 77454 Marne-la-Vallée Cedex2. dmitrijeva.jekaterina@gmail.com
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[2]
EconomiX, Université Paris Ouest Nanterre la Défense, 200 avenue de la République, 92000 Nanterre, florent.fremigacci@gmail.com.
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[3]
Université Paris-Est, ERUDITE (EA437), UPEC, UPEM et TEPP-CNRS (FR3435), 5 bd Descartes, 77454 Marne-la-Vallée Cedex2. yannick.lhorty@univ-mlv.fr
-
[4]
Mis en œuvre à partir de juin 2009 en métropole, étendu sous certaines conditions aux jeunes de moins de 25 ans en septembre 2010 et appliqué à partir de janvier 2011 dans les départements d’outre-mer, le revenu de solidarité active (RSA) est versé par les CAF à 2 086 000 foyers allocataires fin juin 2012 en France entière.
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[5]
Le rapport du comité national d’évaluation du RSA (Bourguignon [2011]) est un exemple de cette prééminence du volet monétaire. Le RSA y est présenté comme une nouvelle allocation. La réforme des dispositifs d’accompagnement et celle de la gouvernance et des partenariats, ne sont abordés qu’en toute fin de rapport et uniquement sous l’angle d’une enquête de notoriété auprès des personnes.
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[6]
Les « droits et devoirs » s’appliquent aux deux tiers des allocataires du RSA. Il s’agit des allocataires qui disposent de moins de 500 € de revenu mensuel d’activité et qui relèvent du RSA socle. Notons en outre que les bénéficiaires du RSA sont des foyers au sens de la CNAF. Le RSA est une prestation destinée à lutter contre la pauvreté, qui se définie au niveau du ménage, tandis que l’accès à l’emploi se défini au niveau d’un individu.
-
[7]
Les personnes signent un contrat d’engagement réciproque (CER) ou un projet personnalisé d’accès à l’emploi (PPAE) par lequel elles s’engagent à rechercher un emploi, à tente de créer leur propre activité ou encore, à entreprendre les actions nécessaires à une meilleure insertion sociale ou professionnelle.
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[8]
Nous ne préciserons pas le nom de ce département dans cette étude. Il s’agit d’un département dont les caractéristiques socio-démographiques et urbaines sont proches de la médiane des départements français. L’anonymat est justifié par la volonté de ne pas stigmatiser un territoire en particulier pour les défaillances de ses dispositifs d’insertion, alors que nous étudions des difficultés qui sont rencontrées par l’ensemble des acteurs de l’insertion partout en France.
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[9]
Le nom du programme et celui des ateliers qui le compose ont été modifiés.
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[10]
L’enquête a été réalisée par téléphone auprès des 3 601 allocataires pour lesquels nous disposions d’un numéro. Seuls 995 de ces appels ont donné lieu à un entretien, soit un taux de réponse de 28 %. Ce taux apparaît relativement faible mais il se situe dans la moyenne des taux de réponse observés au niveau du département et traduit la difficulté à maintenir un contact régulier avec le public cible. Une grande partie des non-réponses s’explique par l’impossibilité d’entrer en contact avec l’allocataire. Les refus et l’incapacité de répondre à l’enquête représentent 20 % des non-réponses, tandis que 7 % des numéros transmis n’étaient pas valides. Même si notre approche reste essentiellement descriptive, ce taux élevé de non réponse peut s’avérer problématique si les allocataires ne participant pas à l’enquête possèdent des caractéristiques individuelles spécifiques. Cela ne semble toutefois pas être le cas lorsque l’on compare répondants et non répondants sur la base des variables présentes dans les fichiers administratifs (résultats disponibles sur demande).
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[11]
Heckman et Smith [2004] décomposent le processus de participation au Job Training Partnership Act (JTPA), un programme fédéral instauré aux États-Unis au début des années quatre-vingts modulant formation, accompagnement et subvention à l’employeur. Les auteurs distinguent 5 phases (éligibilité, information, candidature, acceptation et participation effective) et étudient les déterminants susceptibles de faire passer les individus d’une étape à l’autre. Même si les données dont nous disposons ne permettent pas une analyse aussi détaillée de la non-participation, la proximité des cadres d’analyse et du type de programme se prête à la mise en œuvre d’une telle décomposition.
-
[12]
Qui détaille davantage la chaîne des décisions lors des dernières étapes de la décomposition de Heckman et Smith [2004].
-
[13]
Une décomposition de la participation en assignation et adhésion est également réalisée par Weber [2006] sur données Autrichiennes.
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[14]
Nous définissons comme éligibles, les personnes ayant été orientées vers le dispositif et nous nous positionnons ainsi directement à l’étape 4 de la décomposition du processus de participation proposée par Heckman et Smith [2004].
-
[15]
Pour un individu donné, cet indicateur transcrit une probabilité de participer à l’atelier demandé, i.e. Pr (par = 1).
-
[16]
Au niveau individuel, le taux de convocation s’apparente à une probabilité d’être convoqué pour l’atelier demandé, Pr (C = 1) pour les individus que nous avions défini comme éligibles.
-
[17]
Au niveau individuel, le taux d’acceptation donne une probabilité de répondre positivement à une invitation à l’atelier, Pr (A = 1|C = 1).
-
[18]
C’est une probabilité de se rendre à l’atelier pour lequel l’individu a préalablement accepté la participation, Pr (P = 1|A = 1, C = 1).
-
[19]
Du côté de la demande, la complexité et la lourdeur des conditions d’accès au dispositif peut aussi expliquer en partie le non-recours, comme dans l’étude de Kleven et Kopczuk [2011].
1. Introduction
1 Les travaux d’évaluation qui portent sur les effets des minima sociaux en France se concentrent pour l’essentiel sur le volet monétaire des prestations. Qu’ils étudient le Revenu Minimum d’Insertion, l’Allocation Parent Isolé, ou, depuis la réforme de 2008, le Revenu de Solidarité Active [4], qu’ils s’intéressent à leurs effets sur la pauvreté, sur les gains du retour à l’emploi, ou sur les comportements d’offre de travail, les évaluateurs résument les minima sociaux à un barème d’aide monétaire qui varie en fonction des revenus d’activité et de la taille du ménage et qui interagit avec les barèmes d’autres prestations sociales. Le volet non monétaire n’est que rarement considéré [5]. Or, la loi du 1er décembre 2008 qui a généralisé le RSA n’a pas seulement modifié le barème de l’allocation, elle a aussi réformé les politiques d’insertion. Selon les termes de sa section 3, intitulée « droits et devoirs », les bénéficiaires [6] du RSA ont droit « à un accompagnement social et professionnel adapté à ses besoins et organisé par un référent unique ». Pour cet accompagnement, il est orienté de façon prioritaire vers le service public de l’emploi, lorsqu’il est disponible pour occuper un emploi, ou vers un organisme compétent en matière d’insertion sociale « lorsqu’il apparaît que des difficultés tenant notamment aux conditions de logement, à l’absence de logement ou à son état de santé font temporairement obstacle à son engagement dans une démarche de recherche d’emploi ». L’accompagnement débute systématiquement par une étape de diagnostic et d’orientation et se fait ensuite selon une logique de parcours individualisé. Avant la réforme, dans le cadre du RMI, cette logique de parcours n’était pas aussi affirmée, l’étape d’orientation n’était pas systématique, l’accompagnement professionnel par Pôle Emploi n’était pas prioritaire et la contractualisation [7] était moins fréquente (Zoyem [2001] ; Pla [2008] ; Eydoux et Tuschszirer [2010]).
2 Dans cet article, nous nous intéressons à l’évaluation du volet non monétaire du RSA et nous montrons que les politiques d’insertion, qui sont de la responsabilité des Conseils généraux, relèvent d’un véritable paradoxe. D’un côté, elles sont construites dans chaque département au plus près des besoins sociaux des personnes, dans une logique de parcours, ce qui est conforme à la grande diversité des situations individuelles. Nous le montrons à l’aide de l’exploitation statistique de deux sources de données individuelles inédites qui couvrent un département [8] : le fichier administratif exhaustif issu des questionnaires utilisés par le Conseil Général pour orienter les personnes dans tel ou tel parcours et une enquête statistique sur les obstacles dans l’accès à l’emploi que nous avons réalisé en 2011 auprès d’un millier d’entrants au RSA.
3 Mais d’un autre côté, nous relevons une faible participation des personnes aux dispositifs d’accompagnement et à l’ensemble des actions départementales. Ces dispositifs, conçus pour répondre au mieux aux demandes individuelles, ne rencontrent pas leur public. Les personnes sont informées des actions existantes, elles sont même volontaires pour y participer, mais n’y ont finalement pas recours. Pourquoi une aussi faible participation à des dispositifs conçus pour répondre aux besoins des personnes ?
4 Pour expliquer ce paradoxe, nous mobilisons un autre jeu de données individuelles qui nous permet d’étudier les déterminants de la participation aux actions d’insertion du département en nous inspirant d’une décomposition proposée par Heckman et Smith [2004]. Notre analyse des causes de la non-participation conduit à mettre en avant des facteurs d’offre, du côté de l’organisation de politiques d’insertion qui veulent coller au plus près des besoins des personnes.
5 Nous présentons en premier lieu et de façon générale le contenu des politiques d’insertion qui sont coordonnées en France par les départements. Dans une deuxième section, nous utilisons des données individuelles d’orientation et des données d’enquêtes pour souligner l’adéquation entre l’offre de dispositifs d’insertion et les besoins des personnes au niveau d’un département. Dans la troisième section, nous expliquons les causes de la non-participation et nous mettons en avant le rôle prépondérant des conditions de l’offre d’actions d’insertion.
2. Le contenu des politiques départementales d’insertion
6 Le titre III de la loi du 1er décembre 2008 qui a instauré le Revenu de Solidarité Active précise le nouveau cadre des politiques d’insertion. Ces politiques sont définies par un programme départemental d’insertion (PDI), adopté chaque année par les assemblées des Conseils Généraux, et elles sont appliquées au travers un pacte territorial d’insertion (PTI) qui associe aux actions du département d’autres acteurs publics, notamment l’État, le Conseil Régional et Pôle emploi. Elles s’organisent selon une logique de parcours qui suppose une orientation préalable des personnes.
L’orientation des personnes
7 La politique départementale d’insertion est avant tout une politique de suivi et d’accompagnement dans une logique de parcours adaptée aux besoins des personnes. Elle repose sur un dispositif d’orientation des bénéficiaires du RSA qui privilégie l’accompagnement vers le retour à l’emploi. La loi de 2008 a ainsi généralisé une étape préalable de diagnostic individuel, qui pré-existait dans certains départements. Les personnes qui ne présentent pas de difficultés sociales majeures bénéficient d’une orientation professionnelle vers Pôle Emploi ou vers des associations locales spécialisées dans l’accompagnement, pour ceux qui ne sont pas inscrits à Pôle Emploi. Les autres allocataires, qui sont confrontés à des obstacles sociaux tels qu’un problème d’accès au logement ou des difficultés de santé, sont orientées vers un parcours social et vers des acteurs compétents dans ce domaine (Conseil Général, CCAS, association d’insertion, CAF, MSA, etc.). Les départements ont ainsi organisé l’orientation et le suivi des personnes en deux ou trois parcours (certains départements ayant fait le choix d’organiser un parcours mixte, à la fois professionnel et social).
8 Selon une enquête de la DREES auprès des départements, l’orientation vers tel ou tel parcours est réalisée dans plus de huit départements sur dix à partir d’un outil d’aide à la décision, avec ou sans entretien (Arnold et Lelièvre [2012]). Le choix d’orientation est effectué sur la base des réponses à une enquête par questionnaire visant à collecter des données socioprofessionnelles (DSP) : parcours scolaire et professionnel, situation vis-à-vis du logement, problèmes de santé, freins à la reprise d’emploi, etc. En pratique, un nouvel entrant dans le RSA reçoit un courrier de convocation afin de remplir ce questionnaire qui va déterminer son orientation et son référent unique. Ultérieurement, la personne pourra effectuer une demande de réorientation qui sera examinée par l’équipe pluridisciplinaire de son territoire. Ces équipes, qui comprennent aussi des représentants des allocataires, sont compétentes également en matière de suspension, de réduction ou de rétablissement des droits au RSA.
9 Dans le département que nous étudions, l’orientation des personnes est menée à bien par un réseau d’associations d’accompagnement réparties sur tout le territoire qui sont subventionnées par le Conseil Général et qui sont également acteurs de l’accompagnement professionnel pour les bénéficiaires qui ne sont pas inscrits à Pôle Emploi. Ces associations ont aussi pour mission de développer des réseaux locaux avec les entreprises dans le cadre des comités emploi.
L’accompagnement professionnel
10 L’accompagnement professionnel est effectué par Pôle Emploi ou à défaut par un autre acteur désigné par le Conseil Général. Selon l’enquête nationale réalisée par la DARES début 2011 auprès des bénéficiaires du RSA, un quart d’entre eux reçoivent une aide directe à la recherche d’emploi qui prend la forme d’un stage ou d’une formation pour trouver un emploi et/ou pour construire son projet professionnel. Les personnes accompagnées sont appuyées pour rechercher et répondre à des offres d’emploi, pour rédiger leur CV ou leur lettre de motivation, pour se préparer à un entretien d’embauche et parfois pour effectuer un bilan de compétence (Arnold et Rochut [2013]).
11 Cet accompagnement met en jeu d’autres dispositifs qui ne sont pas réservés exclusivement aux allocataires du RSA, même si ces derniers constituent la majeure partie des bénéficiaires. Il mobilise des contrats aidés, dont le support principal est le contrat unique d’insertion (CUI) depuis 2010, qui remplace le contrat d’avenir et le contrat d’insertion revenu minimum d’activité. En 2010, près de 900 CUI ont été signés dans les secteurs non marchands du département que nous étudions (dénommés contrat d’accompagnement dans l’emploi), dont près de la moitié dans le cadre de chantiers d’insertion. En revanche, on ne dénombre que 44 CUI dans les secteurs marchands (dénommés contrat initiative emploi), soit 5,9 % des contrats aidés. Parmi les autres dispositifs, l’aide personnalisée au retour à l’emploi (APRE) est un soutien financier ponctuel d’un montant maximal de 1 500 € afin de lever des obstacles financiers à une reprise d’activité. 875 APRE ont été distribuées en 2010 dans le département étudié. En outre, la mise en œuvre de la clause d’insertion dans les marchés publics est effective depuis janvier 2009.
12 Les départements apportent leur soutien à de nombreuses structures d’insertion par l’activité économique (SIAE) qui sont autant d’acteurs potentiels dans un accompagnement professionnel : chantiers d’insertion, associations intermédiaires, entreprises d’insertion et entreprises de travail temporaire d’insertion. Ces structures proposent des contrats de travail aux personnes éloignées de l’emploi pour contribuer à leur insertion durable dans des domaines professionnels ciblés : entretiens d’espaces verts, travaux agricoles, BTP, services à la personne, nettoyage, transport et logistique. Les Conseils Généraux jouent en outre un rôle actif auprès d’institutions telles que la Caisse d’Allocations Familiales ou les missions locales qu’ils subventionnent.
13 Dans le département que nous étudions, le dispositif central est connu sous le nom de « Sas Insertion » [9]. Il s’agit d’un bouquet de 15 ateliers de courte durée, de trois jours à cinq semaines proposés aux allocataires par onze opérateurs. Ces ateliers couvrent une large gamme de besoins qui va de l’estime de soi à la maîtrise de la langue, en passant par des ateliers bureautiques, internet ou d’aides à la recherche d’emploi. Ils s’apparentent à des actions de formation qui concernent au total un petit nombre de bénéficiaires et qui sont répartis sur tout le territoire départemental au plus près des besoins locaux (nous analyserons la participation à ce dispositif dans la dernière section de cette étude).
L’accompagnement social
14 A côté de tous ces acteurs et de ces dispositifs qui concourent à l’accompagnement professionnel, les Conseils Généraux organisent un accès aux aides sociales pour les personnes les plus éloignées de l’emploi. A cette fin, ils mobilisent des fonds d’aides sociales ciblés sur différents publics : le Fonds d’Aides aux Jeunes qui accorde des aides ponctuelles ; le Fonds pauvreté précarité qui attribue des aides financières et des secours d’urgence. Des structures départementales réalisent également des actions collectives qui ont un caractère ciblé et ponctuel. En outre, les départements soutiennent des associations caritatives qui offrent une aide alimentaire, une aide pour l’habillement et des services de santé, et divers autres associations qui interviennent selon des logiques plus territoriales ou pour certains publics particuliers (ex : les gens du voyage). Dans notre département, ces dispositifs d’insertion sociale représentent au total un budget de 1 712 700 € en 2010. Cette enveloppe équivaut à 15 % de celle des dispositifs d’insertion par l’emploi (qui mobilisent quant à eux un budget de 11 404 850 € en 2010).
15 Le département étudié apporte également son soutien aux associations qui œuvrent dans le champ de l’insertion par le logement, qu’elles interviennent en direction des jeunes ou d’un public plus large. Son soutien en 2010 s’élève à 968 000 € qui s’ajoutent à la subvention de 723 000 € donnée à l’association qui gère un parc d’environ 300 logements dans le but de mettre à disposition des logements aux familles en difficulté. Ces montants sont ceux de la politique volontaire du département qui complète la politique légale dans le cadre du Fonds de Solidarité Logement dont le montant en 2010 était de 3 200 000 €. Le total des dépenses d’insertion par le logement est donc de 4 891 000 €. Ce montant équivaut à 42,9 % de celui des dépenses d’insertion par l’emploi ce qui est un bon indicateur de la priorité donné par le département à l’accompagnement vers l’emploi.
3. Les besoins des personnes en actions d’insertion
16 Cette organisation des politiques d’insertion selon une logique de parcours d’accompagnement correspond-elle aux besoins des personnes ? Pour tenter de répondre à ce type de question, nous avons mis au point une grille d’analyse des besoins avant de réaliser une enquête statistique auprès d’un échantillon d’un millier d’allocataire du RSA tout en nous appuyant également sur un fichier exhaustif de données administratives départementales utilisées pour orienter les personnes (DSP). Avec ces données, nous avons construit une typologie des allocataires du RSA et de leurs besoins en matière d’action d’insertion que nous confrontons à l’offre de dispositifs d’insertion.
Une grille de lecture
17 L’évaluation de la distance à l’emploi des personnes joue un rôle essentiel dans l’organisation des politiques d’insertion. Elle renvoie à la notion d’employabilité qui ne connaît pas de définition précise et établie au sein de la littérature économique. Les quelques travaux qui mobilisent ce concept se situent généralement à la croisée des sphères économiques, sociologiques et psychologiques (McQuaid et Lindsay [2005]). L’employabilité d’un individu dépend de ses compétences cognitives (perception, langage, mémoire, raisonnement, décision, ...) et non cognitives (confiance en soi, motivation, autonomie, ...), de ses qualifications académiques et professionnelles ainsi que de l’expérience accumulée sur le marché du travail. Ces attributs conditionnent les opportunités des agents, leurs chances de passer du chômage à l’emploi ou de changer d’emplois. En ce sens, le concept d’employabilité recouvre en partie la notion de capital humain (Becker [1975]). Il ne saurait cependant s’y réduire. D’autres facteurs individuels tels que l’état de santé, la mobilité géographique ou la flexibilité vis-à-vis des offres reçues (salaire, type de contrat, horaires) sont également susceptibles d’influencer les possibilités de retour à l’emploi. McQuaid et Lindsay [2005] suggèrent par ailleurs l’existence de facteurs contextuels. La situation familiale des agents peut par exemple les amener à modifier leur offre de travail de façon à assurer la prise en charge éventuelle des enfants, conjoints ou parents (Crespo et Mira forthcoming). L’accès à certains types de ressources peut aussi aider les chômeurs dans leur recherche d’emploi. A cet égard, Chetty [2008] met en lumière le rôle des contraintes de liquidité sur l’issue de la recherche d’emploi. Fontaine [2006] souligne pour sa part que l’appartenance à différents réseaux sociaux peut sous certaines conditions accroître les opportunités d’emploi et développer ainsi l’employabilité des individus. Une conception encore plus large de l’employabilité considèrerait les opportunités d’emploi et les caractéristiques locales de la demande de travail.
18 Afin de documenter les obstacles dans l’accès à l’emploi des allocataires du RSA, nous avons repris et mesuré ces différents éléments en mobilisant deux sources statistiques complémentaires qui décrivent une même population de nouveaux allocataires du RSA du département sur la période 09/2010-03/2011. Nous utilisons donc : i) les données administratives départementales (DSP) couvrant 4 860 entrants en RSA et renseignant les caractéristiques socio-démographiques usuelles (âge, sexe, diplôme), le motif d’inscription, la situation vis-à-vis de l’emploi et le parcours antérieur sur le marché du travail, les difficultés sociales rencontrées (santé, logement, finance, famille, mobilité) ainsi que le type d’accompagnement et l’orientation suivis ; ii) une enquête auprès d’un échantillon représentatif de 995 entrants couvrant de façon plus spécifique l’emploi actuel, la recherche d’emploi éventuelle, la situation vis-à-vis de l’accompagnement (nature, connaissance des référents et des dispositifs d’insertion, ressenti sur l’efficacité attendue), l’usage et la maîtrise de la langue française ainsi que les compétences non cognitives (motivation, confiance en soi, ...). [10]
Les obstacles dans l’accès à l’emploi
19 Le public des entrants au RSA est composé majoritairement de femmes (61 %), d’âge intermédiaire, très peu diplômées (70 % des individus n’ont pas le baccalauréat). Un quart des allocataires révèle exercer un emploi rémunéré au moment de l’enquête (qu’il soit déclaré ou non), mais dans la plupart des cas l’emploi occupé est précaire (CDD, mission d’intérim ou emploi temporaire), à temps partiel et/ou faiblement qualifié (employé de bureau, employé de commerce, agent de service, ...). Parmi ceux qui n’ont pas d’emploi, 31 % disent ne pas en chercher. Peu d’allocataires n’ont jamais travaillé (11 %).
20 En outre, les allocataires du RSA font face à de multiples difficultés sociales qui ont parfois tendance à se cumuler : 55,5 % des individus signalent être confrontés à au moins une difficulté. Parmi ceux-là, la moitié déclare rencontrer deux difficultés ou plus.
21 Les difficultés rencontrées sont principalement liées à l’état de santé des individus (seulement 60 % des personnes interrogées se disent en bonne santé), aux conditions de logement (essentiellement des problèmes d’impayés de loyer et/ou de confort pour 40 % du public), à des difficultés financières (divers impayés pour 42 % des individus), des difficultés d’apprentissage du français (lecture, écriture et/ou compréhension pour environ 20 % des allocataires) et à la réalisation des démarches et formalités administratives.
22 De nombreux allocataires déclarent par ailleurs devoir supporter des charges familiales importantes : 30 % d’individus indiquent avoir des difficultés de disponibilité liées à la garde d’enfant ou d’un proche invalide.
23 De surcroît, les allocataires font face à des obstacles à la mobilité : 7 % ne sont pas mobiles du tout, 15 % le seraient mais n’ont pas accès à un moyen de transport individuel ou collectif, 18,9 % ne sont mobiles que sur leur commune. Moins d’un sur deux est mobile en dehors du département.
Une typologie des bénéficiaires du RSA
24 Afin de décrire de manière synthétique le profil des allocataires du RSA tout en tenant compte de l’hétérogénéité du public étudié, nous avons réalisé une classification ascendante hiérarchique en prenant comme variables actives celles qui caractérisent la situation socio-démographique et l’itinéraire professionnel de l’individu. Nous n’avons pas pris comme variable active le parcours dans lequel la personne a été orientée par le Conseil Général. L’idée est de confronter les choix d’orientation du département à la situation effective des personnes telle qu’elle est décrite par nos données. La lecture du dendrogramme indique que la typologie optimale est obtenue avec trois catégories d’allocataires uniquement. Ces catégories s’organisent spontanément autour de la distance à l’emploi des personnes qui s’avère ainsi constituer effectivement une dimension très structurante.
Pour les personnes les plus proches de l’emploi, peu d’obstacles personnels et sociaux
25 Le premier groupe est le plus proche de l’emploi et est confronté à peu d’obstacles dans une trajectoire individuelle de retour à l’emploi. Il réunit 45 % des allocataires. Il s’avère qu’il s’agit de ceux qui sont majoritairement inscrits et accompagnés par Pôle Emploi, qui ont été orientés par le Conseil Général vers Pôle Emploi et dont le référent est au Pôle Emploi. Ces personnes sont des actifs d’âge intermédiaire (35-44 ans) qui n’éprouvent pas de difficultés de disponibilité liées à la garde d’enfant en bas âge ou de parents proches et éprouvent peu de difficultés sociales en générale. Elles sont entrées au RSA suite à la fin de leurs droits à une allocation chômage. Elles sont proches de l’emploi, ont des références professionnelles avec un historique de travail stable (elles ont toujours travaillé ou bien de façon intermittente mais longtemps). Elles ont un niveau de diplôme plus élevé en moyenne que celui des autres allocataires. Elles sont plutôt mobiles géographiquement (y compris sur un autre département), disposent d’un moyen de transport collectif ou individuel et d’un permis B.
26 Lorsqu’elles sont au chômage, les personnes de ce groupe recherchent un emploi activement, en combinant plusieurs techniques de recherche. Elles sont immédiatement disponibles pour occuper un emploi et leur projet professionnel est clairement défini. Elles sont accompagnées dans leur retour à l’emploi, par leur référent de Pôle Emploi et aussi par d’autres acteurs de l’accompagnement. Elles ont un niveau élevé d’écriture et de lecture en français et exercent des activités professionnelles de « cols blancs » (employé de bureaux, service-commerce, ...). Lorsqu’elles sont en emploi, ce qui arrive plus souvent que pour les autres groupes, elles exercent plus fréquemment un emploi de meilleure qualité, à temps complet. Enfin, ces personnes s’illustrent par un niveau de confiance en elles plus élevées.
27 Pour ce premier groupe qui éprouve le moins de difficulté d’insertion, le besoin principal n’est pas de bénéficier d’une aide sociale mais d’être accompagnée dans leur recherche d’emploi et d’accéder à des formations ou à des expériences professionnelles en lien avec leur projet. L’existence d’un accompagnement à vocation professionnelle uniquement est donc conforme aux besoins de ces personnes.
Les personnes un peu plus éloignées de l’emploi cumulent davantage de difficultés sociales
28 Le deuxième groupe de la typologie est de même taille que le premier et réunit environ 45 % des allocataires. Ces personnes ont déjà travaillé mais de façon épisodique et pour des durées courtes. Elles ont davantage d’ancienneté dans le RSA et indiquent cumuler plusieurs sources de difficultés dans l’accès à l’emploi. Elles ont parfois des problèmes de disponibilité liées à la garde des enfants ou d’autres charges de famille. Elles ne sont guère mobiles géographiquement, ou uniquement sur leur commune de résidence. Elles déclarent éprouver davantage de problèmes de santé que les personnes du premier groupe.
29 Ces personnes ne sont pas accompagnées vers l’accès à l’emploi et ne sont pas inscrites au Pôle Emploi. Elles ont été orientées vers une association d’accompagnement ou vers une Maison des solidarités et bénéficient moins fréquemment d’un accompagnement individuel. Elles sont soutenues par leur entourage proche pour effectuer leurs démarches administratives. Elles indiquent connaître l’identité de leur référent. Elles répondent peu et mal aux questions qui portent sur leurs démarches de recherche d’emploi, leur disponibilité pour occuper un emploi et l’existence d’un projet professionnel. Elles ont moins confiance en elles que les personnes du premier groupe. Leur langue maternelle est le français.
30 Ce deuxième groupe est composé de personnes un peu plus éloignées de l’emploi qui rencontrent des difficultés sociales. Leurs besoins combinent une demande d’accompagnement professionnelle avec la nécessité d’une aide sociale ciblée sur une difficulté particulière (mobilité géographique, garde d’enfants, etc.). Il apparaît que l’existence d’un parcours solidarité répond bien aux besoins de ce groupe.
Les jeunes femmes avec enfants sans référence professionnelle cumulent les difficultés économiques et sociales
31 Le troisième groupe issu de la classification ascendante hiérarchique est à la fois celui qui est le plus éloigné d’une trajectoire d’accès à l’emploi et celui qui cumule plusieurs sources de difficultés sociales. Il réunit un dixième des allocataires. Ces personnes sont plus jeunes avec une part des 16-24 ans plus élevée que dans les autres groupes et sont très majoritairement des femmes (75 %). Elles sont rentrées au RSA en tant que personne isolée avec enfant à charge. Elles n’ont jamais travaillé, ne disposent d’aucune référence professionnelle et n’ont pas de diplôme parce qu’elles n’ont parfois jamais été scolarisées. Elles sont majoritairement orientées vers les MDS, ce qui est cohérent avec leur situation sociale, et ne sont pas inscrites au Pôle Emploi. Elles se caractérisent dans l’enquête par un comportement de non réponse à beaucoup de questions. Elles éprouvent des difficultés liées à la garde d’enfants ou de proches. Elles sont peu mobiles géographiquement (et uniquement sur leur commune de résidence) et n’ont ni moyen de locomotion ni de permis de conduire. Elles font face également à des difficultés de logement.
32 Ces personnes sans emploi ont un niveau très faible de Français écrit, lu et parlé. Elles ont mal répondu à l’enquête à la fois pour leurs démarches d’accès à l’emploi, pour leur projet professionnel, leur disponibilité et pour l’organisme d’accompagnements qui les suivaient. Ces difficultés de réponse renvoient de façon plus générale aux difficultés de manier la langue française. A la maison, la langue parlée le plus souvent n’est pas le français. Ces personnes éprouvent également davantage de difficultés pour toutes leurs démarches administratives.
33 Elles cumulent toutes les difficultés économiques et sociales. La logique est donc celle d’un empilement des difficultés sur ces individus les plus défavorisés. Eloignées de l’emploi par leur absence de référence professionnelle, ces personnes le sont aussi par l’ampleur des obstacles personnels et sociaux à surmonter pour envisager occuper effectivement un emploi. L’accompagnement vers l’emploi n’est donc pas une priorité pour ces personnes. Il s’agit avant tout pour elles de surmonter leurs multiples difficultés sociales.
Adéquation avec l’offre d’insertion et sélection
34 Notre typologie recouvre assez largement l’orientation des personnes selon les principaux parcours d’accompagnement. Qu’il soit professionnel ou social, le parcours n’entre pourtant pas de façon active dans la construction de la typologie. Un tiers des allocataires est orienté vers Pôle Emploi, 28 % sont pris en charge par les associations d’accompagnement qui proposent des accompagnements professionnels ou sociaux et 31 % suivent un parcours uniquement social vers les maisons de solidarité. On confirme ainsi la pertinence de cette orientation vers deux parcours qui correspondent effectivement dans leurs grandes lignes aux besoins différenciés des personnes.
35 Cela étant, on constate également un phénomène de sélection : les personnes le plus et le mieux accompagnées vers l’emploi sont celles qui éprouveraient en l’absence de tout accompagnement le moins d’obstacles à l’accès à l’emploi. A l’inverse, les personnes les moins accompagnées, en particulier celles qui ne connaissent pas leur référent, sont sans doute celles dont les besoins sociaux sont à la fois les plus importants et les plus diversifiés. Le faible accès à l’offre d’action d’insertion paraît plus marqué pour les personnes qui auraient le plus besoin de ces actions. Ce constat, établi sur des données départementales, est corroboré par l’enquête nationale auprès des bénéficiaires du RSA menée par le DARES début 2011 selon laquelle les bénéficiaires du RSA ont d’autant plus de chance d’avoir un accompagnement intensif que leur ancienneté dans le dispositif est faible et qu’ils ont peu de problèmes de santé (Arnold et Rochut [2013]).
36 Parmi les allocataires qui éprouvent des difficultés sociales, soit la moitié des allocataires, il y a une grande diversité de situations. Cela justifie d’organiser l’accès à l’aide sociale pour laisser le choix aux personnes et de proposer une offre diversifiée. On peut remarquer que, dans l’ensemble, la grande diversité des actions soutenues par le département semble à même de satisfaire qualitativement la diversité des besoins des allocataires, d’autant que la panoplie des aides financières accessibles aux ménages défavorisés permet elle aussi de surmonter telle ou telle difficulté ponctuelle (avec en particulier l’Aide Personnalisé au Retour à l’Emploi qui peut être utilisée pour financer une grande variété de besoins). Mais il est difficile d’indiquer si l’adéquation est réalisée quantitativement (les moyens sont-ils strictement proportionnés aux besoins ?) et territorialement (l’adéquation est-elle réalisée en tout point du territoire ?).
37 Enfin on doit noter que le cumul de nombreuses difficultés sociales est un phénomène réel pour plus d’un dixième des allocataires. Un petit nombre d’allocataires est donc confronté à plusieurs sources de difficultés, notamment l’immobilité géographique et les responsabilités familiales. Ce constat interroge fondamentalement l’offre d’actions d’insertion qui ne semble pas conçu pour traiter simultanément un cumul important de difficulté. Le risque est grand que les personnes qui ont les besoins sociaux les plus importants ne bénéficient pas d’une aide proportionnée à l’ampleur de leurs difficultés.
Un non recours important aux actions d’insertion
38 Une indication sur la qualité de l’adéquation entre l’offre et la demande d’insertion est donnée par le niveau de la participation à l’offre d’actions d’insertion sociale et économique. Malgré l’ampleur et la variété de leurs difficultés sociales, seule une faible proportion d’allocataires est en demande d’une aide. Seulement 36 % des allocataires ont cherché à obtenir une aide financière ou matérielle auprès d’un service social au cours des 12 derniers mois. De même, parmi ceux qui évoquent une difficulté de logement, seule la moitié a entrepris des démarches d’accès ou de maintien dans le logement. Le faible recours aux aides sociales concerne également les aides à l’insertion. Seulement 14 % des bénéficiaires du RSA indiquent bien connaître les services proposées par le département en matière d’insertion et seulement 10 % connaissent le « Sas Insertion » dont le but est précisément de proposer, dans une logique de parcours social, des solutions à chacun des obstacles rencontrés.
39 Toutes voies confondues, les allocataires indiquent qu’ils sont globalement peu accompagnés. 33 % se disent accompagnés dans leur recherche d’emploi, et parmi eux, seulement un sur quatre est accompagné par le Pôle Emploi. Au total, on dénombre 43 % des bénéficiaires du RSA inscrits auprès du Pôle emploi, ce qui indique que de nombreux inscrits à Pôle emploi ne déclarent pas être accompagnés. En outre, 35 % des bénéficiaires ne peuvent pas indiquer quel type d’aide a été apporté par le référent. La faiblesse du recours à l’accompagnement se traduit aussi par le fait que la plupart des allocataires ne connaissent pas leur référent. Ils sont 73 % à déclarer ne pas connaître leur référent personnellement. Notons que ce pourcentage est plus élevé que celui obtenu lors de l’enquête nationale auprès des bénéficiaires du RSA effectuée début 2011 par la Dares, selon laquelle 45 % des allocataires n’identifient pas leur référent unique, tandis qu’une enquête analogue de la DREES menée en 2006, indiquait un chiffre de 40 % (Arnold et Rochut [2013]). Mais de façon plus générale, les ordres de grandeur sur les recours aux aides sociales sont les mêmes dans les enquêtes nationales et dans nos données départementales. Dans l’enquête de la DARES, seulement 46 % des bénéficiaires du RSA dans le champ des Droits et devoirs déclarent avoir obtenu au moins une aide depuis leur entrée dans le dispositif, qu’il s’agisse d’un accompagnement professionnel ou d’une aide sociale.
40 Ces constats nous ont conduit à analyser de façon plus approfondie les déterminants de la participation des personnes à l’offre d’actions d’insertion. Dans le département que nous étudions, le dispositif « Sas Insertion » joue, comme nous l’avons déjà évoqué, un rôle central dans cette offre de service. Nous avons donc choisi d’analyser de façon approfondie les conditions du recours à ce dispositif.
4. Analyser la non-participation aux actions d’insertion
41 La non-participation se caractérise par une situation où des personnes éligibles à une prestation sociale ne la perçoivent pas, soit parce qu’ils n’en font pas la demande (non-recours), soit parce qu’ils n’ont pas eu accès au dispositif pour des contraintes du côté de l’offre (rationnement). C’est un sujet important puisqu’il pose la question de l’effectivité de l’action publique et de la plus ou moins bonne affectation des dépenses publiques aux besoins des personnes ciblées. Le fait que des personnes non visées puissent recevoir la prestation et que parallèlement, les personnes ciblées ne la reçoivent pas, pose des questions politiques et économiques non triviales.
42 Afin d’isoler les responsabilités du côté de la demande et celles du côté de l’offre, nous proposons dans cette section une décomposition des causes de la faible participation au dispositif « Sas Insertion » en distinguant le fait d’être invité à participer, d’accepter l’invitation et d’être présent à l’invitation.
Les causes de la non-participation : ce que dit la littérature
43 On peut identifier plusieurs causes à la faible participation aux dispositifs publiques en s’appuyant sur les travaux existants. La littérature théorique et appliquée se concentre sur l’analyse du non recours et met en avant les coûts de la participation à un programme et notamment le stigma qui peut peser sur des personnes recevant des prestations sociales (Moffitt [1983]). Currie [2006] souligne l’importance d’autres coûts supportés par les personnes, tels que les coûts de collecte de l’information sur l’existence des programmes sociaux ou encore le coût de gestion pour candidater au programme et satisfaire les obligations déclaratives. Le non recours peut ainsi s’expliquer par les coûts de transaction élevés liés à la demande d’aide. La procédure administrative d’accès à la prestation peut être perçue comme longue et coûteuse, et son issue est incertaine. Les individus estiment que les coûts présents sont trop importants par rapport aux bénéfices futurs (O’Donoghue, Rabin [1999]). Une autre explication souvent avancée est celle du manque d’information sur les aides (Duflo et al. [2006] ; Saez [2009]). Les personnes éligibles à une aide peuvent ne pas être informées de la possibilité d’en bénéficier ou ne pas croire en leur éligibilité. On peut évoquer enfin la possibilité que des personnes n’aient pas bénéficié de la prestation pour des raisons qui tiennent à l’insuffisance de l’offre de prestations (Queralt et Witte [2002] ; Hernanz, Malherbet et Pellizzari [2004]).
44 On peut théoriquement décomposer la participation à un dispositif d’aide sociale comme le produit d’un ensemble de probabilités qui correspondent à autant d’étapes dans une démarche de participation (Heckman et Smith [2004] [11]). Par exemple, pour avoir effectivement bénéficié de l’aide, il faut 1) être éligible ; 2) être informé (savoir que l’aide existe et que l’on y a droit) ; 3) effectuer les démarches de demande de l’aide c’est-à-dire (a) vouloir bénéficier de l’aide, ce qui revient à considérer que l’ensemble des gains directs et indirects, monétaires ou non, compense l’ensemble des coûts associés au bénéfice de l’aide et (b) pouvoir en bénéficier, c’est-à-dire être en mesure d’effectuer les démarches nécessaires ; 4) voir sa demande être effectivement acceptée ; 5) effectivement entrer dans le programme (être disponible, être mobile, etc). La participation effective est le résultat final de toutes ces étapes successives, chacune étant conditionnée par l’étape précédente. Connaître ces probabilités conditionnelles pose des difficultés particulières de mesure. Par exemple, lors de l’étape d’éligibilité, l’une des principales difficultés est celle de l’identification des personnes concernées puisque, par définition, elles ne se font pas connaître des services délivrant les prestations. Il est délicat d’identifier les éligibles dans la mesure où les différentes prestations ne reposent pas sur les mêmes critères. Elles font le plus souvent appel à un seuil de ressources maximum mais le repérage précis des éligibles à partir de fichiers administratifs est souvent difficile.
45 Afin d’adapter la décomposition de la participation proposé par Heckman et Smith [2004] au cas où il existe des difficultés de mesure de l’éligibilité, nous suggérons de réaliser l’analyse du recours en utilisant les informations portant sur l’ensemble des individus ayant déjà formulé une demande d’aide. Il s’agit des personnes éligibles, qui sont informées et qui ont formulé une demande de participation auprès d’un travailleur social. Nous proposons une décomposition originale des causes de la non-participation à un programme social en trois composantes : être invitée à participer ; accepter l’invitation ; être présent à l’invitation. Cette décomposition synthétique [12] nous semble pertinente du point de vue de l’action publique car elle permet d’isoler les responsabilités du côté de la demande (les comportements des bénéficiaires) et celles du côté de l’offre d’aides sociales. Le comportement des bénéficiaires détermine le souhait de recourir au programme mais l’accès effectif au programme dépend également de contraintes du côté de l’offre. Recours et accessibilité déterminent la participation, mais il importe de les distinguer parce qu’ils sont eux-mêmes déterminés de façon différente et qu’ils renvoient à des leviers de politique publique distincts [13].
46 La décomposition est mise en pratique pour évaluer les causes de la faible participation à un programme d’insertion départementale en exploitant les données individuelles sur les participants et non – participants éligibles au dispositif [14].
Le dispositif « Sas Insertion »
47 Le dispositif mis en œuvre dans le département étudié consiste à proposer un accès individualisé des personnes en insertion à des ateliers spécifiques de formation de courte durée. Ces ateliers sont des modules de formation qui ont pour objet de compléter les savoirs ou compétences des personnes afin de lever les obstacles à leur accès à l’emploi. Il s’agit de mobiliser les outils nécessaires aux personnes en vue de la réalisation de leur parcours d’insertion.
48 Au total, 15 ateliers sont proposés en 2010 par un ensemble de prestataires extérieurs sélectionnés et financés par le département. Ces ateliers ciblent des objectifs variés. Certains s’inscrivent dans un registre d’insertion par le social, d’autres renvoient à de l’insertion par l’économique. On peut distinguer trois types d’ateliers (Tableau 1) : « Accompagnement et aide à la recherche d’emploi », « Confiance en soi, motivation, participation » et « Formation et acquisition de nouvelles compétences ». En fonction de chaque action, un nombre optimal de participants est défini (il faut 6 participants pour tel atelier, 12 ou 15 pour tel autre). Les ateliers diffèrent aussi par leur durée, de 30 heures à 3 semaines.
49 Il est utile de rentrer dans la logique de gestion du « Sas Insertion » avant de mener à bien l’analyse de la participation. Le bouquet d’actions est proposé aux personnes par l’intermédiaire de l’ensemble des référents et des travailleurs sociaux qui accompagnent effectivement ces personnes. Une cellule de gestion du « Sas Insertion » centralise l’ensemble des demandes de participation aux ateliers et décide de l’ouverture de tel ou tel atelier et de sa localisation dans le département en fonction des demandes. Si suffisamment de demandes pour un atelier donné existent dans une partie du département, la cellule de gestion sollicite l’opérateur pour organiser une session pour cet atelier dans cette zone. En pratique, puisqu’il y a un risque de non-participation qui est plus ou moins connu de la cellule de gestion, elle va attendre d’avoir plus de demandes que de places théoriques à l’atelier pour ouvrir celui-ci (la cellule constitue des listes d’attente pour chaque atelier). Tant que les demandes sont insuffisantes ou trop dispersées dans le département, l’atelier n’est pas organisé. Il y a donc un délai qui peut être parfois de plusieurs mois entre l’expression d’un besoin par une personne et l’organisation effective de l’atelier correspondant. Notons que ce type d’organisation n’a rien de spécifique au « Sas Insertion » déployé dans le département. On le retrouve dans l’ensemble des actions d’insertion qui consiste à organiser des réunions collectives, apparentées à des modules de formation.
Caractéristiques des personnes orientées vers le dispositif
50 Les personnes sont orientées vers le dispositif par les travailleurs sociaux avec lesquels elles sont en contact. Nous étudions une période de 19 mois (1er Juin 2010/1er Janvier 2012) pour laquelle les données issues du fichier de gestion du « Sas Insertion » sont disponibles. Au total, 2 027 personnes ont été inscrites au « Sas Insertion » sur cette période. Ces personnes ont formulé 4 700 demandes d’ateliers. Dans la logique d’un parcours d’insertion, chaque personne inscrite est orientée vers plusieurs ateliers (deux en moyenne).
51 La distribution des demandes par ateliers montre que les ateliers les plus sollicités concernent les actions visant à acquérir de nouvelles compétences directement valorisables sur le marché du travail (« Formation bureautique », « Initiation informatique ») ou les actions liées à l’élaboration d’un projet professionnel (« Aide à l’élaboration du projet professionnel »).
Mesure de la participation
52 Afin d’analyser la participation au dispositif, nous calculons un taux de participation global aux ateliers, défini comme la part des demandes pleinement satisfaites, i.e. suite à sa demande l’individu a effectivement participé à l’atelier demandé (équation 1) [15]. Cette mesure se rapproche de la notion de taux d’accès (service rate, Queralt et Witte [2002]) et traduit à la fois le niveau de recours au dispositif par les demandeurs et le poids des contraintes financières ou organisationnelles qui peuvent exister du côté de l’offre.
nombre de demandes ND
53 Les taux de participation aux ateliers du « Sas Insertion » sont généralement très faibles : ils sont en moyenne de 13 %, avec un taux le plus élevé pour les ateliers du type « Formation » (entre 15 et 20 %).
54 Afin d’étudier de manière plus détaillée cette faible participation aux ateliers, nous la décomposons en plusieurs étapes – convocation, acceptation, présence aux ateliers – et nous utilisons des indicateurs permettant une comparaison de la participation à chacune de ces étapes et entre les différents ateliers. Nous introduisons à cette fin les notions de taux de convocation, taux d’acceptation et taux de présence.
55 Le taux de convocation est le rapport du nombre total de demandes sur le nombre de convocation à l’atelier (équation 2) [16]. Il exprime l’état de l’offre d’ateliers et est d’autant plus élevé que les ateliers demandés sont effectivement organisés sur le territoire où réside la personne.
nombre de demandes ND
56 Pour les 4 700 demandes d’ateliers, 2 435 personnes ont été convoquées, ce qui donne un taux de convocation global de 52 %. Ce taux est plus important pour les ateliers de type « Formation » (au-dessus de 60 % pour chacun de ces ateliers) et plus faible pour les ateliers du type « Accompagnement » (43 % en moyenne).
57 Le taux d’acceptation correspond à la part des convocations acceptées par les individus (équation 3) [17]. Il traduit le taux de recours aux ateliers dans la mesure où il repose uniquement sur la décision des individus.
nombre de convoqués NC
58 Le taux d’acceptation est de 47 % en moyenne et il est très semblable entre les ateliers de différents types (Tableau 1).
59 Le taux de présence défini parmi les individus qui ont répondu positivement à la convocation (accepté la participation) correspond à la part de ceux qui se sont effectivement rendus aux ateliers (équation 4) [18].
nombre des individus ayant repondu positivement NA
60 Le taux de présence est en moyenne autour de 55-60 % à l’exception des ateliers « Bilan de validation du projet professionnel », « Le fil de l’emploi », « Mobilité : se déplacer c’est possible », ou ce taux est sensiblement plus faible.
61 Pour résumer, parmi ceux qui ont formulé une demande pour un atelier donné, un individu présent à l’atelier est un individu qui été convoqué, qui a ensuite répondu positivement à cette convocation et qui s’est effectivement rendu à l’atelier. Sur la période observée, 48 sessions des ateliers de type « formation », 64 de type accompagnement, 33 du type « estime de soi » ont été organisées.
62 Le taux de participation global peut se réécrire comme le produit du taux de convocation, du taux d’acceptation et du taux de présence.
ND ND NC NA
63 Le Tableau 1 ci-dessous, donne les valeurs de ces indicateurs pour chaque atelier et par type d’atelier.
(p = cap) de participation Taux | 20 % | 3 % | 11 % | 7 % | 13 % | 13 % | 0 % | 7 % | 11 % | 13 % | 14 % | 13 % | 15 % | 14 % | 20 % | 18 % | 16 % | 18 % | 13 % |
(p = NP/NA) de présence Taux | 62 % | 25 % | 58 % | 38 % | 58 % | 56 % | 0 % | 54 % | 53 % | 52 % | 57 % | 60 % | 58 % | 56 % | 58 % | 59 % | 55 % | 58 % | 56 % |
(NP) Participation | 85 | 6 | 57 | 16 | 18 | 15 | 0 | 31 | 228 | 57 | 36 | 18 | 45 | 156 | 101 | 91 | 56 | 248 | 632 |
(a = NA/NC) d’acceptation Taux | 52 % | 29 % | 50 % | 39 % | 70 % | 53 % | 37 % | 39 % | 46 % | 43 % | 42 % | 63 % | 52 % | 47 % | 51 % | 49 % | 40 % | 47 % | 47 % |
(NA) Acceptations | 138 | 24 | 99 | 42 | 31 | 27 | 11 | 57 | 429 | 109 | 63 | 30 | 78 | 280 | 174 | 154 | 101 | 429 | 1 138 |
(c = NC/ND) de convocation Taux | 63 % | 41 % | 40 % | 48 % | 31 % | 45 % | 24 % | 33 % | 43 % | 55 % | 56 % | 35 % | 52 % | 52 % | 66 % | 62 % | 71 % | 66 % | 52 % |
(NC) Convocations | 265 | 84 | 198 | 108 | 44 | 51 | 30 | 148 | 928 | 253 | 149 | 48 | 151 | 601 | 340 | 313 | 253 | 906 | 2 435 |
(ND) Demandes | 419 | 205 | 497 | 223 | 141 | 113 | 123 | 450 | 2 171 | 456 | 265 | 138 | 291 | 1 150 | 516 | 506 | 357 | 1 379 | 4 700 |
Bilan médico socio professionnel | Bilan de validation du projet professionnel | Aide à l’élaboration du projet professionnel | Le fil de l’emploi | Un look pour l’emploi | Mobilité : bilan | Mobilité : se déplacer c’est possible | Technique de recherche d’emploi | Ensemble type « Accompagnement et aide à la recherche d’emploi » | Bien-être/Lien social | Place et sens du travail | Du sport à l’emploi | Le théâtre, outil d’insertion professionnelle | Ensemble type « Estime de soi, motivation et participation » | Formation bureautique | Initiation informatique – Passeport internet | Linguistique | Ensemble type « Formation et acquisition de nouvelles compétences » | Ensemble tous types |
Calculs de contribution
64 On peut analyser également la contribution de chaque source de non-participation, en décomposant le nombre de demandes ND pour chaque atelier comme suit :
65 où NP désigne le nombre des présents ; (NA − NP) le nombre d’individus qui ont répondu positivement mais ne se sont pas rendus à l’atelier ; (NC − NA) le nombre des personnes ayant été convoquées mais ayant refusé de participer pour diverses raisons ; (ND − NC) le nombre de personnes n’ayant pas été convoquées.
66 Le résultat de cette décomposition figure dans le Graphique 1. De manière générale, plus de la moitié de la non-participation (56 %) s’explique par le côté offre, i.e. les individus n’ont pas été convoqués aux ateliers. Cela renvoie à des contraintes logistiques car l’organisation d’un atelier sur un territoire donné nécessite un nombre élevé de demandes provenant des individus résidant sur ce territoire. Pour autant, ces contraintes n’expliquent pas tout. Près d’un tiers (32 %) de la non-participation est le résultat du côté demande, qui renvoie au fait que les individus convoqués n’ont pas répondu favorablement à l’invitation (non-recours). Finalement, les 12 % restants sont associés à l’absence aux ateliers des individus ayant répondu favorablement à la convocation. Ceci peut s’expliquer à la fois par des facteurs d’offre et par des facteurs de demande car la non-présence peut être due à l’indisponibilité de l’individu (côté demande) ou à l’indisponibilité des places pour les individus placés en liste d’attente (côté offre).
67 En allant plus dans le détail, on peut distinguer d’une part les ateliers du type « Formation » pour lesquels les taux de convocation sont élevés et où la non-participation (la plus faible pour ce type d’ateliers) s’explique majoritairement par l’indisponibilité des individus, et d’autre part les ateliers du type « Accompagnement » comme « Techniques de recherche d’emploi », « Un look pour un emploi », « Mobilité : se déplacer c’est possible » pour lesquels la participation est deux à trois fois plus faible à cause de contraintes d’offre.
5. Conclusions
68 Il y a bien un paradoxe des nouvelles politiques d’insertion qui ont été développés par les départements depuis la réforme du RSA. Organisées selon une logique de parcours individualisé, avec une offre de services coordonnée au niveau départemental conçue pour répondre aux besoins des personnes tels qu’ils se manifestent effectivement sur un territoire donné, ces politiques sont conçues pour faire face à la diversité des difficultés rencontrées par les allocataires dans leur accès à l’emploi. C’est ce que nous avons confirmé à l’aide d’une analyse des données à partir d’une enquête sur les obstacles dans l’accès à l’emploi menée auprès d’un échantillon d’un millier d’entrants au RSA, appariée avec les données des questionnaires utilisés par le Conseil Général pour les orienter dans tel ou tel parcours. Pour autant, nous constatons également une forte non-participation des personnes aux actions d’insertion départementales et aux dispositifs d’accompagnement. Il y a là matière à paradoxe. Pourquoi une aussi faible participation si les dispositifs sont en mesure de correspondre effectivement aux difficultés rencontrées par des personnes par ailleurs volontaires pour en bénéficier ?
Décomposition de la non-participation (ND-NP)
Décomposition de la non-participation (ND-NP)
69 Nous apportons une réponse à cette question et une solution au paradoxe à l’aide d’une étude complémentaire sur un dispositif d’insertion assez représentatif des nouvelles politiques déployées par les départements, le « Sas insertion », bouquet de 15 ateliers qui sont autant de formations accessibles aux personnes en fonction de leurs besoins et des difficultés qu’elles rencontrent dans leur parcours d’accès à l’emploi. Nous proposons une décomposition originale des causes de la faible participation à ce programme social en trois composantes : être invité à participer ; accepter l’invitation ; être présent à l’invitation. Cette décomposition nous semble pertinente du point de vue de l’action publique car elle permet d’isoler les responsabilités du côté de la demande (les comportements des bénéficiaires) et celles du côté de l’offre d’aides sociales.
70 La mise en œuvre effective de cette décomposition sur un programme départemental d’insertion, qui présente des taux de non-participation très élevé, nous a permis de produire plusieurs constats intéressants. Nous avons montré que le non recours par les demandeurs est un phénomène réel qui explique en moyenne un tiers de la non-participation. Pour autant, l’essentiel de l’explication se situe du côté de l’offre. La non-convocation des personnes explique à elle seule entre un tiers et les trois quarts de la non-participation selon les actions. La première cause de la faible participation se situe ainsi du côté de l’insuffisance de l’offre effective de prestations qui correspond de facto à une situation de rationnement. Le taux de convocation n’est que de 52 % en moyenne et varie de 24 % à 63 % selon les ateliers. Ces faibles taux de convocation des candidats traduisent des difficultés organisationnelles dans la mise en place des actions qui requièrent une unité de lieu et une unité de temps. Au final, le faible accès au dispositif renvoie donc principalement à des problèmes du côté de l’offre d’actions d’insertion.
71 Notre lecture de ces résultats est que ces contraintes du côté de l’offre sont liées à la nature même des nouvelles politiques d’insertion. Elles nous paraissent inhérentes à la logique de parcours sous-jacente à ces politiques dont l’objectif est d’apporter une réponse adaptée à la diversité des besoins des personnes, par le biais d’actions qui s’apparentent à des modules de formation organisés à proximité de leur domicile. Cette logique que l’on pourrait qualifier d’adéquationniste pousse les départements à élargir la variété des actions d’insertion proposées localement, compte tenu de la diversité des besoins des personnes et des difficultés sociales qu’elles rencontrent. Dans le cas du département que nous étudions, le nombre d’ateliers proposés dans le cadre du « Sas Insertion » est passé de 10 à 15 en 2010. En élargissant ainsi la gamme de leurs actions d’insertion, les départements réduisent la probabilité que ces actions soient effectivement accessibles dans un délai donné et que les ateliers soient effectivement ouverts [19]. Ces problèmes d’offre se posent d’autant plus que la politique épouse au plus près les besoins des demandeurs.
72 Dans ce contexte, sans remettre en question la finalité des politiques d’insertion, il nous semble que la préoccupation d’une meilleure participation aux actions d’insertion et aux prestations de formation et d’accompagnement mériterait d’être intégrée dans la conception même des politiques d’insertion. Cela implique notamment de se donner les moyens d’observer l’intensité de la participation pour les différentes actions, ce qui est rarement le cas. Pour améliorer la participation, on peut jouer sur la localisation des actions dans l’espace départemental, ainsi que sur les effectifs théoriques et la fréquence de chaque session. On peut également proposer d’accompagner physiquement les personnes pour se rendre aux actions lorsqu’elles rencontrent des difficultés pour se déplacer. A défaut, on peut développer une offre de formations à distance, au travers de connexions internet, voire en utilisant les nouvelles technologies du e-learning. Les politiques d’insertion peuvent s’appuyer ainsi sur les réseaux départementaux de télé-centres qui sont en en cours de constitution.
73 Il serait intéressant de déployer un appareillage de mesure et d’évaluation de la participation pour d’autres prestations sociales locales. A cette fin, nous ne pouvons que recommander la réalisation de travaux d’évaluation permettant de mieux cerner l’origine de la faible participation aux aides sociales locales, qu’il s’agisse d’aides légales ou facultatives. Un travail approfondi pourrait être réalisé sur quelques aides spécifiques, sélectionnées selon l’intérêt de l’évaluation, afin de mesurer quantitativement l’ampleur et les causes de la non-participation.
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- WEBER A. [2008], « Individual Incentives in Program Participation : Splitting up the Process in Assignment and Enrollment ». IZA Discussion Papers 3404, Institute for the Study of Labor (IZA).
Mots-clés éditeurs : RSA, évaluation des politiques publiques, politique départementale, insertion, non recours, employabilité
Date de mise en ligne : 31/08/2015
https://doi.org/10.3917/redp.254.0475Notes
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[1]
Université Paris-Est, ERUDITE (EA437), UPEC, UPEM et TEPP-CNRS (FR3435), 5 bd Descartes, 77454 Marne-la-Vallée Cedex2. dmitrijeva.jekaterina@gmail.com
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[2]
EconomiX, Université Paris Ouest Nanterre la Défense, 200 avenue de la République, 92000 Nanterre, florent.fremigacci@gmail.com.
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[3]
Université Paris-Est, ERUDITE (EA437), UPEC, UPEM et TEPP-CNRS (FR3435), 5 bd Descartes, 77454 Marne-la-Vallée Cedex2. yannick.lhorty@univ-mlv.fr
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[4]
Mis en œuvre à partir de juin 2009 en métropole, étendu sous certaines conditions aux jeunes de moins de 25 ans en septembre 2010 et appliqué à partir de janvier 2011 dans les départements d’outre-mer, le revenu de solidarité active (RSA) est versé par les CAF à 2 086 000 foyers allocataires fin juin 2012 en France entière.
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[5]
Le rapport du comité national d’évaluation du RSA (Bourguignon [2011]) est un exemple de cette prééminence du volet monétaire. Le RSA y est présenté comme une nouvelle allocation. La réforme des dispositifs d’accompagnement et celle de la gouvernance et des partenariats, ne sont abordés qu’en toute fin de rapport et uniquement sous l’angle d’une enquête de notoriété auprès des personnes.
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[6]
Les « droits et devoirs » s’appliquent aux deux tiers des allocataires du RSA. Il s’agit des allocataires qui disposent de moins de 500 € de revenu mensuel d’activité et qui relèvent du RSA socle. Notons en outre que les bénéficiaires du RSA sont des foyers au sens de la CNAF. Le RSA est une prestation destinée à lutter contre la pauvreté, qui se définie au niveau du ménage, tandis que l’accès à l’emploi se défini au niveau d’un individu.
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[7]
Les personnes signent un contrat d’engagement réciproque (CER) ou un projet personnalisé d’accès à l’emploi (PPAE) par lequel elles s’engagent à rechercher un emploi, à tente de créer leur propre activité ou encore, à entreprendre les actions nécessaires à une meilleure insertion sociale ou professionnelle.
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[8]
Nous ne préciserons pas le nom de ce département dans cette étude. Il s’agit d’un département dont les caractéristiques socio-démographiques et urbaines sont proches de la médiane des départements français. L’anonymat est justifié par la volonté de ne pas stigmatiser un territoire en particulier pour les défaillances de ses dispositifs d’insertion, alors que nous étudions des difficultés qui sont rencontrées par l’ensemble des acteurs de l’insertion partout en France.
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[9]
Le nom du programme et celui des ateliers qui le compose ont été modifiés.
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[10]
L’enquête a été réalisée par téléphone auprès des 3 601 allocataires pour lesquels nous disposions d’un numéro. Seuls 995 de ces appels ont donné lieu à un entretien, soit un taux de réponse de 28 %. Ce taux apparaît relativement faible mais il se situe dans la moyenne des taux de réponse observés au niveau du département et traduit la difficulté à maintenir un contact régulier avec le public cible. Une grande partie des non-réponses s’explique par l’impossibilité d’entrer en contact avec l’allocataire. Les refus et l’incapacité de répondre à l’enquête représentent 20 % des non-réponses, tandis que 7 % des numéros transmis n’étaient pas valides. Même si notre approche reste essentiellement descriptive, ce taux élevé de non réponse peut s’avérer problématique si les allocataires ne participant pas à l’enquête possèdent des caractéristiques individuelles spécifiques. Cela ne semble toutefois pas être le cas lorsque l’on compare répondants et non répondants sur la base des variables présentes dans les fichiers administratifs (résultats disponibles sur demande).
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[11]
Heckman et Smith [2004] décomposent le processus de participation au Job Training Partnership Act (JTPA), un programme fédéral instauré aux États-Unis au début des années quatre-vingts modulant formation, accompagnement et subvention à l’employeur. Les auteurs distinguent 5 phases (éligibilité, information, candidature, acceptation et participation effective) et étudient les déterminants susceptibles de faire passer les individus d’une étape à l’autre. Même si les données dont nous disposons ne permettent pas une analyse aussi détaillée de la non-participation, la proximité des cadres d’analyse et du type de programme se prête à la mise en œuvre d’une telle décomposition.
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[12]
Qui détaille davantage la chaîne des décisions lors des dernières étapes de la décomposition de Heckman et Smith [2004].
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[13]
Une décomposition de la participation en assignation et adhésion est également réalisée par Weber [2006] sur données Autrichiennes.
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[14]
Nous définissons comme éligibles, les personnes ayant été orientées vers le dispositif et nous nous positionnons ainsi directement à l’étape 4 de la décomposition du processus de participation proposée par Heckman et Smith [2004].
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Pour un individu donné, cet indicateur transcrit une probabilité de participer à l’atelier demandé, i.e. Pr (par = 1).
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[16]
Au niveau individuel, le taux de convocation s’apparente à une probabilité d’être convoqué pour l’atelier demandé, Pr (C = 1) pour les individus que nous avions défini comme éligibles.
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[17]
Au niveau individuel, le taux d’acceptation donne une probabilité de répondre positivement à une invitation à l’atelier, Pr (A = 1|C = 1).
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C’est une probabilité de se rendre à l’atelier pour lequel l’individu a préalablement accepté la participation, Pr (P = 1|A = 1, C = 1).
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Du côté de la demande, la complexité et la lourdeur des conditions d’accès au dispositif peut aussi expliquer en partie le non-recours, comme dans l’étude de Kleven et Kopczuk [2011].