Notes
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[*]
Je remercie deux rapporteurs anonymes pour leurs commentaires. Je reste seul responsable des éventuelles erreurs ou maladresses.
Université de Montpellier I (LAMETA) et Toulouse School of Economics (TSE), Faculté d’Economie, Avenue Raymond Dugrand – CS 79606 – 34960 Montpellier Cedex 2 – France
Tel : (+33) (0) 4 34 43 24 84
Email : guillaume.cheikbossian@univ-montp1.fr -
[1]
Dans un autre article où des entreprises d’un même secteur industriel s’engagent dans des activités de lobbying pour maintenir une protection tarifaire, l’auteur arrive à la même conclusion (voir, Pecorino [1998]).
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[2]
Dans cet article, nous employons souvent des termes inspirés de la théorie des conflits. De fait cette théorie est étroitement liée à celle sur les recherche de rentes dans la mesure où l’utilisation d’une fonction de succès se trouve au cœur de ces deux types de théories. La différence essentielle entre les deux est que dans la théorie des conflits le « prix » convoité est endogène et dépend de l’arbitrage des agents entre activité productives permettant de produire le « prix » en question, et activités d’appropriation ou de défense du (ou d’une partie du) « prix ». Dans la théorie sur les recherches de rentes, le « prix » – la rente – est au contraire exogène, comme c’est le cas dans la présente analyse. Pour une étude comparée des modèles de recherche de rentes et des modèles de conflits, voir Neary [1997].
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[3]
Notons que le rendement marginal d’une unité additionnelle d’effort individuel (ainsi que d’effort collectif) en activités de recherche de rentes est strictement décroissant avec le niveau d’effort. Par conséquent, le programme d’optimisation de chaque joueur est strictement concave et les conditions du premier ordre sont nécessaires et suffisantes pour caractériser les fonctions de meilleures réponses des différents joueurs.
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[4]
Voir aussi Katz, Nitzan et Rosenberg [1990].
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[5]
Le facteur d’actualisation de l’institution en place n’a pas d’importance car, comme nous allons le préciser, celle-ci joue à chaque période sa fonction de meilleure réponse à l’action collective du groupe, et ceci indépendamment de l’histoire du jeu. Pour une analyse de l’action collective dans un jeu répété avec taux d’escompte hétérogènes des différents joueurs – mais en l’absence de conflits inter-groupes – voir Haag et Lagunoff [2007].
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[6]
En anglais, on utilise le terme de « grim trigger stratégies » – que l’on pourrait traduire littéralement par « statégies de déclic (ou déclenchement) dures – ou même parfois le terme plus parlant de « Nash-reversion stratégies ».
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[7]
Les preuves des différents résultats (Lemme 1 et Propositions 2 et 3) sont données en annexe.
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[8]
Les trois opérateurs historiques de téléphonie mobile en France ont été condamnés par le Conseil de la concurrence en décembre 2005 à un montant total de plus de 500 millions d’euros pour entente illégale (sur les prix) entre 1997 et 2003. Pendant sept ans, ils ont tenté par tous les moyens de casser cette décision. En vain. Le 30 mai 2012, la Cour de cassation a publié un arrêt rejetant le pourvoi formulé par le troisième opérateur après avoir rejeté ceux des deux autres, mettant ainsi un terme définitif à cette affaire (voir le Monde du 30 mai 2012).
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[9]
Voir également la preuve de la Proposition 2 dans l’Annexe.
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[10]
Le signe de la dérivée de ωD − ωC par rapport à n est du même signe que le numérateur de cette dérivée donné par : − {n2 [n2 − 4n + 2] + n1 + β [2βn (n − 3) + n (n − 4) + 3β] + n3β [2β (n − 1) − n] + n2β [4βn (n − 2) − n2 + β] }. On peut observer que les termes – à l’intérieur de { . } – en facteurs de n2 et de n1 + β sont de signes positifs pour n ≥ 4. En revanche, les termes en facteur de n2β et n3β sont de signes ambigus. Néanmoins, ces termes sont croissants avec β et donc atteignent un minimum en β = 0. Or en β = 0, la somme de ces deux termes est donnée par − n (n + 1), qui est plus faible, en valeur absolue, que n2 [n2 − 4n + 2] . Par conséquent, le numérateur de la dérivée de ωD − ωC par rapport à n est négatif, ce qui implique que ωD − ωC est décroissant avec n pour n ≥ 4, quel que soit la valeur de β.
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[11]
Ce gain est en partie compensé par une baisse de la probabilité de succès (baisse qui devient d’autant plus marginale que la taille du groupe est importante).
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[12]
A la limite, lorsque la taille du groupe devient infinie, le bénéfice par tête devient nul que les membres du groupe coopèrent ou non, et en conséquence le gain net (individuel) à coopérer devient nul également. En effet, on a (ωC − ωN) ∣β = 1 = (n − 1)2 / [4n (n + 1)2] qui tend vers 0 lorsque n tend vers l’infini.
1. Introduction
1 Selon la thèse célèbre d’Olson [1965], les grands groupes sont moins efficaces que les petits groupes pour atteindre leurs objectifs. Le principal argument invoqué par Olson est que les incitations à se comporter en passager clandestin sont d’autant plus fortes que la taille du groupe en question est importante. Cette conclusion semble rester valable dans un cadre dynamique en dépit du potentiel des stratégies de réciprocité (Axelrod [1981]) que pourraient utiliser les membres d’un groupe donné afin de circonscrire le problème de passager clandestin. En effet, les politistes doutent que de telles stratégies puissent être efficaces dans les grands groupes (voir Hardin [1982] ; Olson [1982] ; Sandler [1992] ; Taylor [1982]) ou lorsque les efforts ne sont pas parfaitement observable (Bendor and Mookherjee [1987]).
2 Ainsi, si l’on en croit l’analyse traditionnelle de l’action collective – dans sa version statique ou dynamique – on devrait observer que les groupes d’intérêt cherchent à minimiser leurs tailles afin de limiter au maximum le problème de passager clandestin. Nous n’observons rien de tel, au contraire. Par exemple, comme le notent Esteban et Ray [2001], l’analyse traditionnelle va à l’encontre de la célèbre maxime romaine « diviser pour régner », qu’un grand nombre d’entités politiques se sont attachées à appliquer avec une surprenante universalité tout au long de l’Histoire. De même, dans la vie économique et sociale, lorsqu’un groupe spécifique cherche à faire valoir sa position ou ses intérêts – comme cela peut être le cas d’une organisation syndicale – il cherche plutôt à attirer de nouveaux membres sur la base de critères d’intégration plus large plutôt que le contraire.
3 Une des limites majeures de l’analyse traditionnelle de l’action collective est qu’elle considère le cas d’un groupe isolé du reste du monde. Or, le plus souvent, les intérêts d’un groupe donné heurtent ceux d’autres groupes. En effet, la plupart des activités politiques et sociales impliquent des groupes (pays, entreprises, départements d’administrations publiques, etc.) qui ont des intérêts antagonistes ou qui s’opposent les uns aux autres pour l’obtention d’une rente, que celle soit politique – i.e. ayant les caractéristiques d’un bien public – ou économique – i.e. ayant les caractéristiques d’un bien privé. Dans ce contexte, la coordination intra-groupe est d’autant plus décisive que son absence pourra être exploitée par des groupes concurrents poursuivant leurs propres objectifs. En d’autres termes, la concurrence intergroupe ou la présence d’une menace extérieure peut favoriser la cohésion intra-groupe comme le suggère d’ailleurs un grand nombre d’études expérimentales en psychologie sociale (voir Bonstein [2003], pour une synthèse de ces études).
4 L’objet de cet article est précisément de montrer en quoi l’adversité peut renforcer la coopération intra-groupe, et en quoi la taille du groupe peut, dans ce contexte, être une force plutôt qu’une faiblesse. Plus spécifiquement, nous développons un modèle très simple de recherche de rente, à la Tullock [1980] et Nitzan [1991], dans lequel un groupe composé de plusieurs membres – dénommé le groupe challenger – conteste la rente d’une institution en place représentée par un seul membre. La somme des investissements en recherche de rente des membres du groupe challenger rapportée à la somme des investissements des deux entités en concurrence détermine la probabilité de succès du groupe de remporter la rente. Par conséquent, la probabilité de succès du groupe challenger a un caractère de bien public vis-à-vis de ses membres, caractère qui est l’origine du problème d’action collective ou de passager clandestin. De plus, le modèle structurel que nous utilisons incorpore deux paramètres essentiels. Le premier mesure l’aptitude relative au conflit de l’institution en place. Le second paramètre est une mesure du degré de rivalité de la rente (pour les membres du groupe challenger) permettant de considérer tous les cas intermédiaires entre une rente qui serait un bien public pur (indivisible) et une rente qui serait un bien privé pur (parfaitement divisible).
5 En accord avec les analyses traditionnelles d’action collective nous montrons que, dans le jeu (d’étape) statique, le groupe est d’autant moins efficace que l’institution en place est avantagée dans le conflit, que la rente est divisible et que la taille du groupe est importante. Dans le jeu répété, les membres du groupe peuvent soutenir un comportement coopératif en adoptant des stratégies de déclic (ou de représailles). Celles-ci prescrivent que si un ou plusieurs membres dévient de la coopération et se comportent en passagers clandestins, alors tous les membres du groupe se comportent de façon non-coopérative pour toutes les périodes futures. Nous déterminons ainsi le taux d’escompte minimum des périodes futures pour lequel la coopération intra-groupe peut être soutenue comme un équilibre de Nash en sous-jeu parfait. Cette valeur limite – qui représente donc un degré de patience minimum – est une mesure de la facilité de la soutenabilité de la coopération intra-groupe. Une valeur limite plus élevée correspond à une plus grande difficulté du maintien de la coopération.
6 Nous montrons plusieurs résultats. En particulier, la coopération intragroupe est d’autant plus difficile à soutenir que l’aptitude au conflit de l’institution en place est élevée ou que la rente convoitée a les caractéristiques d’un bien privé. Ces résultats sont intuitifs. En particulier, plus la rente correspond à un bien privé qui peut être divisible entre les membres du groupe, plus le bénéfice par tête de la rente est faible ce qui réduit les incitations à coopérer.
7 Nous montrons également qu’il est d’autant plus facile de soutenir la coopération intra-groupe – et ainsi de remporter la rente – que la taille du groupe est importante indépendamment du degré de caractère public (ou privé) de la rente. Ce résultat va à l’encontre de l’analyse traditionnelle de la dynamique de l’action collective selon laquelle les stratégies de réciprocité dans un jeu répété sont moins efficaces dans les grands groupes que dans les petits groupes. L’intuition générale de notre résultat est que la menace d’un retour à la non-coopération au sein du groupe est plus sévère à mesure que la taille de la collectivité augmente. En effet, plus la taille du groupe est importante, plus les probabilités de succès avec et sans coopération au sein du groupe divergent l’une de l’autre en raison, d’une part, de l’accroissement du problème de passager clandestin à l’équilibre non-coopératif intragroupe et, d’autre part, de la présence d’un opposant pouvant profiter de cette faiblesse du groupe challenger pour obtenir (ou conserver) la rente en question.
8 Il est important de noter que ce résultat est indépendant du degré de rivalité de la rente et, en particulier, reste valide même lorsque la rente est un bien privé pur avec un bénéfice par tête qui diminue proportionnellement avec la taille du groupe. En fait, le surplus de gain individuel en déviant (de la coopération) est toujours décroissant avec la taille du groupe. La raison en est que ce surplus est (essentiellement) donné par l’économie (pour celui qui dévie) de la contribution individuelle à l’effort collectif du groupe. Or cette contribution individuelle est décroissante avec la taille du groupe car l’effort agrégé (optimal) est borné par la valeur de la rente d’un montant fixe et par la présence de l’institution en place qui agit pour contrecarrer l’action collective du groupe challenger. Par contre, le surplus de gain individuel de la coopération (par rapport à la non-coopération) peut augmenter ou diminuer avec la taille de la collectivité selon le degré de rivalité de la rente. Si celle-ci correspond à un bien public, alors le gain net de coopération augmente ce qui joue dans le même sens d’une baisse du gain net de déviation pour faciliter la soutenabilité de la coopération intra-groupe. Si la rente est un bien privé alors le bénéfice par tête diminue avec la taille du groupe et c’est cet effet qui, à mesure que la taille du groupe augmente, domine les gains relatifs à l’élimination du problème de passager clandestin. Néanmoins, le gain net de la coopération diminue moins vite que le gain net de la déviation, ce qui à nouveau permet de soutenir plus facilement la coopération intra-groupe.
1.1. Une (brève) revue de la littérature
9 Cet article contribue à la littérature, initiée par Olson [1965], sur le problème de passager clandestin et l’action collective effective d’un groupe en fonction de sa taille. Un certain nombre d’auteurs (par exemple, Chamberlin [1974] ; McGuire [1974] ; Oliver et Marwell [1988]) ont souligné que la thèse d’Olson selon laquelle il existe une relation inverse entre la taille du groupe et son niveau d’action collective dépend fondamentalement du fait que le bien collectif soit un bien privé pur et divisible entre les membres du groupe. En effet, selon ces auteurs, si le bien collectif est un bien public pur alors le niveau d’action collective d’un groupe dépend positivement de sa taille. Plus récemment, Pecorino [2009, 2012] montre que la fourniture privée de bien public devient impossible à mesure que la taille de la collectivité augmente – en fait, tend vers l’infini – dès lors que le bien public présente le moindre degré de rivalité.
10 Plus étroitement liée à la présente analyse est celle d’Esteban et Ray [2001]. Ces auteurs montrent, dans un modèle statique de recherche de rentes entre groupes, que les grands groupes ont une probabilité de succès plus importante indépendamment du degré de rivalité de la rente dès lors que le coût d’investissement en activités de recherche de rentes est suffisamment convexe. En effet, dans ce cas, les membres d’un petit groupe contribuent plus que dans un grand groupe – en raison d’un problème de passager clandestin moins sévère – mais néanmoins pas assez – compte tenu de la convexité du coût d’effort de recherche de rentes – pour compenser le nombre plus faible de contributeurs. Dans cet article, nous nous intéressons également au problème d’action collective lorsque le bien collectif a une nature mixte public/privé mais dans un cadre dynamique. Et c’est précisément parce que les grands groupes sont intrinsèquement désavantagé dans la concurrence intergroupe à l’équilibre du jeu statique, qu’ils sont plus aptes à maintenir la coopération dans le jeu répété.
11 En ce qui concerne la littérature sur les accords tacites dans les jeux répétés de fourniture (privée) de biens publics, McMillan [1979] a été le premier à montrer en quoi des stratégies de représailles pouvaient permettre de rapprocher l’équilibre décentralisé de l’optimum social dans une économie avec bien(s) public(s). Plus récemment, Pecorino [1999] étudie l’impact d’une hausse de la taille de la collectivité sur l’aptitude de celle-ci à soutenir, dans un jeu répété, un comportement coopératif de fourniture privée de bien public. Il montre qu’un accroissement de la taille du groupe a un effet indéterminé sur le facteur d’escompte minimum nécessaire au maintien de la coopération. [1] Par rapport à ces analyses, notre contribution est d’étudier la dynamique de l’action collective d’un groupe non pas isolé du reste du monde, mais en concurrence avec un opposant. Dans ce contexte, les incitations à dévier ou à (continuer de) coopérer sont de nature totalement différente qu’en l’absence de menace extérieure. Nous montrons de plus qu’une hausse de la taille du groupe a un effet non ambigu (et positif) sur l’efficacité des stratégies de réciprocité pour soutenir la coopération au sein du groupe.
12 Enfin, cet article s’inscrit dans la continuité d’un travail précédent sur la coopération intra-groupe versus concurrence intergroupe dans un jeu répété de recherche de rentes entre groupes (Cheikbossian [2012]). Dans ce premier article, nous considérons deux groupes de tailles différentes (un petit et un grand groupe) qui se font concurrence de façon répétée pour une rente privée parfaitement divisible entre groupes d’une part et entre membres d’un même groupe d’autre part. Un des résultats principaux est de montrer que s’il existe un équilibre en sous-jeu parfait permettant de soutenir la coopération dans le petit groupe, alors il existe aussi un équilibre permettant de soutenir la coopération dans le grand groupe, tandis que la réciproque n’est pas vraie. L’analyse que nous proposons ici consiste en fait à considérer que l’un des deux groupes est composé d’un seul individu. Cette simplification nous permet d’étendre l’analyse au cas où il existe une asymétrie d’aptitude dans le conflit ainsi qu’au cas où la rente convoitée peut avoir aussi bien les caractéristiques d’un bien public que celles d’un bien privé. Enfin, nous concluons la présente analyse en montrant que dans un jeu (répété) de recherche de rentes entre individus et sans opposition extérieure, la coopération est plus difficile à soutenir à mesure que la taille de la collectivité augmente. Ceci suggère que c’est bien dans l’adversité que la taille du groupe est une force plutôt qu’une faiblesse pour renforcer la cohésion intra-groupe.
2. Le cadre d’analyse
2.1. Le jeu statique
13 Nous commençons par spécifier le jeu d’étape (statique) noté G. Il y a n + 1 joueurs indicés par i = 0, 1,..., n qui s’engagent dans des activités de recherches de rente pour obtenir un prix (ou une rente). L’agent 0 – dénommé ci-après « l’institution en place » – a un avantage comparatif dans le jeu de recherche de rente. Les autres agents, i.e. i = 1, 2,..., n, sont regroupés dans un groupe – dénommé ci-après le « groupe challenger » – et mettent leurs efforts en commun dans le jeu de recherche de rente de façon à supplanter l’institution en place. On notele niveau d’effort (non observable) en activités de recherche de rente de l’individu i appartenant au groupe challenger, etla somme (observable) des efforts des membres de ce groupe. Le niveau d’effort (observable) de l’institution en place est noté Y ∈ R+. A la suite de la littérature sur les activités de recherche de rente, initiée par Tullock [1980], nous considérons que la probabilité de succès du groupe challenger est donnée par une fonction de succès au concours, p : R+2 → [0, 1] , de type Logit, à savoir
p (X, Y) = X + λY si (X, Y) ≠ 0, [1]
1/2 si (X, Y) = 0,
14 tandis que la probabilité de succès de l’institution est donnée par 1 − p (X, Y). [2]
15 λ ≥ 1 est un paramètre qui représente l’aptitude relative au conflit de l’institution en place. Par exemple, si X = Y, alors la probabilité de succès du groupe challenger est égale à p (X, Y) = 1/ (1 + λ) ≤ 1/2, tandis que celle de l’institution en place est égale à (1 − p (X, Y)) = λ/ (1 + λ) ≥ 1/2, reflétant ainsi sa position dominante dans le conflit.
16 Le montant de la rente contestée est égal à V. Cette rente peut avoir à la fois un caractère de bien public et un caractère de bien privé. Pour modéliser le degré de rivalité de la rente, nous supposons que le bénéfice individuel de cette rente pour chaque membre du groupe est donné par V/nβ. Lorsqueβ = 0, la rente est un bien public « pur » et le bénéfice individuel est indépendant de la taille du groupe. Lorsque β = 1, la rente correspond à un bien privé « pur » et est divisible en parts égales entre les membres du groupe. Enfin, lorsque 0 < β < 1, la rente est bien « mixte » qui se rapproche d’autant plus d’un bien public (privé) que β est faible (élevé).
17 Enfin, nous supposons que les préférences de chaque agent sont données par une fonction d’utilité linéaire et additivement séparable, ωi : R+ × [0, 1] → R+. L’utilité espérée d’un individu i (pour i = 1,..., n) du groupe challenger est donnée par
n
18 tandis que l’utilité espérée de l’institution en place est donnée par
19 Ce type de modèle structurel peut permettre de représenter un grand nombre de situations réelles d’opposition entre groupes pour une rente politique ou économique. Par exemple, dans le cas d’une rente privée, le modèle peut représenter une situation de marché en concurrence imparfaite où un monopole en place s’engage dans des activités de recherche et développement pour maintenir sa position dominante et ainsi contrer l’action des concurrents potentiels qui eux-mêmes cherchent à supplanter le monopole en place en proposant un nouveau produit. Le paramètre λ peut alors représenter la différence de coûts en activités de recherche et développement entre l’entreprise en place et les entrants potentiels. On pourrait aussi imaginer le cas d’un conflit pour l’accès à une ressource naturelle avec d’un côté l’exploitant historique de la ressource naturelle et de l’autre plusieurs agents qui contestent son exploitation. Dans le cas d’un bien public (pur ou mixte), le modèle peut par exemple représenter le cas où plusieurs juridictions locales font du lobbying auprès de la juridiction centrale pour contester la position de la principale localité bénéficiaire (par exemple) d’un programme de dépollution ou de rénovation (ou de construction) d’infrastructures publiques. Toujours dans le cas d’un bien public (pur), on peut aussi penser aux situations de conflits politiques et/ou idéologiques où par exemple plusieurs groupes investissent dans des activités d’influence pour asseoir leur indépendance (ou leur sentiment d’indépendance) vis-à-vis du groupe dominant (ou au pouvoir).
20 Nous déterminons dans un premier temps l’équilibre du jeu en une étape dans lequel les membres du groupe challenger décident de façon non coopérative de leurs contributions à l’effort collectif de leur groupe et indépendamment de l’action de l’institution en place. Notons X−i ≡ ∑κ≠i xk la somme des efforts de tous les membres du groupe en excluant l’individu i. La meilleure réponse de ce dernier à X− i et au niveau d’effort de l’institution en place, i.e. ri (X− i, Y), est donnée par la condition du premier ordre suivante [3]
[xi + X− i + λY]2 nβ
21 La meilleure réponse de l’institution en place au niveau d’effort collectif X du groupe challenger, i.e. r0 (X), est donnée par la condition du premier ordre suivante
[X + λY]2
22 Comme l’effort collectif du groupe challenger a un caractère de bien public pour ses membres, les conditions du premier ordre déterminent seulement le niveau d’effort agrégé mais pas les niveaux d’efforts individuels. Nous nous concentrons donc sur l’équilibre symétrique où tous les membres du groupe produisent le même niveau d’effort (ce qui est justifié dans la mesure où ils sont parfaitement identiques les uns aux autres).
23 L’équilibre symétrique non-coopératif intra (et inter) groupe est donné par un couple d’effort (xN, YN) tel que r0 (XN) = YN etpour tout i = 1,..., n (et où). Les conditions de l’équilibre symétrique sont donc données par
(nxN + λYN)2 nβ
24 et
(nxN + λYN)2
25 En résolvant ce système, nous obtenons
[1 + λnβ]2 n
26 tandis que YN = n1 + β xN.
27 On peut en déduire la probabilité de succès du groupe challenger à l’équilibre non-coopératif intra-groupe, i.e.
1 + λnβ
28 tandis que la probabilité de succès de l’institution en place est donnée par [1 − p (XN, YN)] = λnβ / [1 + λnβ]. On observe que p (XN, YN) est d’autant plus faible que λ, β ou n est important. En particulier, lorsque la taille de la collectivité augmente, l’impact négatif d’une baisse des contributions individuelles sur l’effort agrégé – en raison d’un problème de passager clandestin plus sévère – domine l’impact positif d’un nombre de contributeurs plus important. Il en résulte une baisse de la probabilité de succès sauf dans le cas extrême où la rente est un bien public pur (i.e. lorsque β = 0), auquel cas la probabilité de succès est indépendante de la taille du groupe. Dans ce cas, la baisse des contributions individuelles est exactement compensée par les efforts des membres additionnels. [4]
29 Soit ωN ≡ ωi (xN, XN, YN), pour i = 1, 2,..., n, le gain espéré pour chaque membre du groupe à l’équilibre non-coopératif (intra)-groupe. En substituant (8) et (9) dans (2), on obtient
ωN = n + λn
(n − 1) V [10]
[1 + λnβ]2 n1 + β
30 Le gain espéré de l’institution en place, noté, est donné par
ω 0N = λn
V [11]
β
1 + λn
2.2. La coopération intra-groupe
31 Nous considérons maintenant une situation dans laquelle les membres du groupe coopèrent dans leurs activités de recherche de rentes. En d’autres termes, ils choisissent conjointement leur niveau d’effort collectif de façon à maximiser la somme de leurs gains espérés, à niveau d’effort donné du concurrent. Plus spécifiquement, le groupe challenger maximise par rapport à X, à Y donné. La meilleure réponse du groupe challenger au niveau d’effort Y de l’institution en place, i.e. R (Y), est donnée par la condition du premier ordre suivante
[X + λY]2 nβ
32 La meilleure réponse de l’institution en place, i.e. r0 (X), est donnée par la condition du premier ordre suivante
[X + λY]2
33 L’équilibre du jeu de recherche de rente entre le groupe challenger – dont les membres coopèrent entre eux – et l’institution en place est donné par un couple (XC, YC) tel que R (YC) = XC et r0 (XC) = YC. En supposant que les membres du groupe challenger se partagent de façon égale l’effort collectif, et en notant xC = XC /n ce niveau d’effort individuel avec coopération intragroupe, nous obtenons
[n + λnβ]2
34 tandis que YC = nβ xC.
35 La probabilité de succès du groupe challenger avec coopération intragroupe est donc donnée par
, [15]
n + λnβ
36 tandis que la probabilité de succès de l’institution est donnée par [1 − p (XC, YC)] = λnβ / [n + λnβ]. p (XC, YC) est (de nouveau) une fonction décroissante de λ et β. En revanche, cette probabilité de succès est une fonction croissante de n. En effet, plus la taille du groupe est importante plus le bénéfice agrégé de la rente est élevé ce qui se traduit par un niveau d’effort collectif plus élevé et donc par une probabilité de succès plus importante. Cependant, si la rente est un bien privé parfaitement divisible (i.e. β = 1), alors la probabilité de succès est indépendante de la taille. Dans ce cas, l’impact de l’intégration de nouveaux membres sur le bien-être agrégé est exactement compensé par une baisse des niveaux d’utilité individuels en raison d’une baisse proportionnelle (à la taille) du bénéfice par tête de la rente.
37 Soit ωC ≡ ωi (xC, XC, YC), pour i = 1, 2,..., n, le gain espéré de chaque membre du groupe à l’équilibre coopératif intra-groupe. En substituant (14) et (15) dans (2), nous obtenons
ωC = n V [16]
[n + λnβ]2 nβ
38 Le gain espéré de l’institution en place, noté, est donné par
ω 0C = λn
V [17]
β
n + λn
39 Bien sûr, lorsque les membres du groupe challenger coopèrent, ils investissent plus en activités de recherche de rentes et ont un gain espéré plus élevé que lorsqu’ils ne coopèrent pas, i.e. ωC > ωN. En revanche, l’institution en place a un gain espéré plus faible lorsque les membres du groupe coopèrent entre eux, i.e..
3. Le jeu répété
3.1. Préliminaires
40 Nous supposons maintenant que le jeu d’étape (statique) présenté dans la section 2.1 est répété indéfiniment. Ce jeu répété est noté G∞ (δ), où δ ∈ (0, 1) est le taux d’actualisation par période commun aux membres du groupes. [5] Alors que les efforts individuels ne sont pas observables, le niveau d’effort collectif du groupe challenger et celui de l’institution en place sont parfaitement observables à chaque période. Notons Xt ∈ R+ le niveau d’effort collectif du groupe challenger et Yt ∈ R+ le niveau d’effort de l’institution en place en période t. L’histoire publique (i.e. observable) du jeu en période t ≥ 1 est donc ht = ((X0, Y0), (X1, Y1), ..., (Xt − 1, Yt − 1)), ou . En fait, chaque membre du groupe observe aussi ses propres actions passées. Cependant, dans cette section nous étudions des stratégies de représailles où toute déviation du niveau d’effort collectif optimal du groupe challenger entraîne un chemin de punition parfaitement symétrique pour tous les membres du groupe indépendamment de l’identité du (ou des) tire-au-flanc(s). En conséquence, nous avons uniquement besoin de spécifier l’histoire publique du jeu pour définir les stratégies des différents protagonistes.
41 Soit Ht l’ensemble des histoires publiques en période t. L’histoire initiale est l’ensemble nul, i.e. H0 ≡ {∅}, et H et l’ensemble de toutes les histoires publiques possibles, i.e.. Une stratégie (pure) dans G∞ (δ) pour le membre i du groupe challenger, pour tout i = 1, 2,..., n est une fonction de l’ensemble des histoires (publiques) possibles vers l’ensemble des réels, σi : H → R+. De la même façon, une stratégie dans G∞ (δ) pour l’institution en place est une fonction définie sur les mêmes ensembles, σ0 : H → R+.
42 Notons σ− 0 ≡ (σ1, σ2,..., σn) le profil de stratégies des membres du groupe challenger, et σ ≡ (σ0, σ− 0) le profil de stratégies incluant celle de l’institution en place. Tout profil de stratégies génère un chemin de contributions agrégéesdéfini de façon inductive à savoir : (X0 (σ), Y0 (σ)) ≡ σ (∅) et (Xt (σ), Yt (σ)) ≡ σ ((X0 (σ), Y0 (σ)), ..., (Xt − 1 (σ), Yt − 1 (σ))) pour tout t ≥ 1. En période t, (Xt (σ), Yt (σ)) génère un gain ωi (Xt (σ), Yt (σ)) pour tout i = 0, 1,..., n. Un chemin de contributions dans G∞ (δ) génère donc une suite (infinie) de gains statiques, i.e.. La somme des gains actualisés obtenue avec le profil de stratégie σ dans le jeu indéfiniment répété est donc donnée par (pour i = 0, 1,..., n),
Wi (σ) = ∑δtωi (Xt (σ), Yt (σ)) [18]
t=0
43 Un profil de stratégie σ est un équilibre de Nash de G∞ (δ) si, pour tout i = 1,..., n, σi est une meilleure réponse à σ− i ≡ (σ1,..., σi − 1, σi − 1..., σn) et à σ0, et si σ0 est une meilleure réponse à σ− 0. Et c’est un Equilibre (de Nash) en Sous-jeu Parfait (ESP) de G∞ (δ) si quel que soit l’histoire publique du jeu (i.e. la continuation de σ après ht) est un équilibre de Nash du sous-jeu correspondant. Enfin, dans la suite de l’analyse, nous nous intéressons à des équilibres en sous-jeu parfait stationnaires et symétriques à l’intérieur du groupe challenger, vérifiant les deux propriétés suivantes : (i) un profil d’action stationnaire est joué après toutes histoires possibles ; (ii) tous les membres du groupe challenger produisent le même niveau d’effort à une période donnée quel que soit l’histoire de la période en question.
3.2. Stratégies de déclic de retour à l’équilibre de Nash (statique)
44 Nous supposons que les membres du groupe challenger utilisent des stratégies de déclic de retour indéfini à l’équilibre de Nash statique avec non-coopération au sein du groupe afin de soutenir la coopération intragroupe (voir Friedman [1971]). [6] Ces stratégies prescrivent donc que toute déviation du comportement coopératif est punie par un retour permanent à la non-coopération au sein du groupe, indépendamment du comportement de l’institution en place. Néanmoins, les actions des membres du groupe challenger sont à chaque période des fonctions de meilleures réponses individuelles – en cas de non-coopération – ou une fonction de meilleure réponse collective – en cas de coopération – à l’action de l’institution en place. Par ailleurs, cette dernière joue à chaque période sa meilleure réponse à l’action collective du groupe (que ses membres coopèrent ou non) indépendamment de l’histoire du jeu (i.e. σ0 (ht) = r0 (Xt) quel que soit ht). En d’autre termes, comme dans la section précédente, nous supposons que les stratégies des membres du groupe challenger et de l’institution en place sont telles que nous avons une solution non-coopérative entre les deux entités à chaque période.
45 En général dans les jeux répétés indéfiniment, il existe une infinité d’ESP. En effet, selon le théorème du folklore, les stratégies de déclic de retour permanent à l’équilibre non-coopératif permettent de soutenir n’importe quel niveau d’effort agrégé du groupe challenger plus élevé que celui correspondant à celui du jeu en une étape, dès lors que les membres du groupe sont suffisamment patients. Comme nous l’avons étudié dans la Section 2.2, nous envisageons le cas où les membres du groupe coopèrent « complètement » dans leurs activités de recherche de rente. Autrement dit, nous nous intéressons au « meilleur » ESP du point de vue des membres du groupe challenger, c’est-à-dire celui permettant de soutenir le niveau d’effort collectif qui maximise la somme des utilités des membres du groupe challenger à chaque période.
46 Pour résumer, le profil de stratégies que nous étudions est donc caractérisé par σi (ht) = xC pour i = 1,..., n et σ0 (ht) = r0 (XC) = YC si t = 0, ou si pour t≥1 ; σi (ht) =xN pour i=1,..., n et σ0 (ht) = r0 (XN) = YN sinon. Ce profil de stratégies est noté σC.
47 Dans un premier temps, nous établissons le lemme suivant. [7]
48 Lemme 1 : A chaque période au cours de laquelle tous les membres du groupe challenger contribuent le niveau d’effort xC maximisant le bien-être collectif du groupe, la meilleure déviation possible de σC pour chaque membre du groupe est de couper sa contribution à 0.
49 Notonsle gain de déviation optimal pour l’individu i, et où. Nous avons
ωD = (n − 1) x
V [19]
(n − 1) xC + λYC nβ
50 En substituant (14) dans (19) et en utilisant YC = nβ xC, nous avons
(n − 1) + λnβ nβ
51 Le profil de stratégie σC prescrit que suite à une déviation (ou plusieurs) à l’intérieur du groupe challenger, les membres de ce groupe retournent de façon permanente au niveau d’effort non-coopératif intra-groupe xN (donné par (8)), tandis que l’institution investit pour un montant YN = n1 + β xN (au lieu de YC = nβ xC). Par conséquent, aucun membre du groupe challenger n’a intérêt à dévier de σC si le surplus de gain en déviant de la coopération aujourd’hui – donné par ωD − ωC – est plus faible que la somme actualisée des gains relatifs futurs de la continuation de la coopération (par rapport à la non-coopération) – donnée par [δ/ (1 − δ)] (ωC − ωN). La contrainte incitative est donc donnée par
1−δ
52 Le facteur d’escompte minimum au-dessus duquel la coopération intragroupe peut être soutenue comme un équilibre en sous-jeu parfait est donc δ̂ ≡ [ωD − ωC] / [ωD − ωN] . En substituant (10), (16) et (20) dans cette expression, nous obtenons
δ̂ = [22]
[n + λnβ]2 [n2 − n − 1 + λnβ (n − 1)2]
53 On a donc la proposition suivante
54 Proposition 1 : Le profil de stratégies σC constitue un ESP de G∞ (δ) avec coopération permanente au sein du groupe challenger, si et seulement si δ ≥ δ̂.
55 En effet, pour tout δ ≥ δ̂, il n’existe aucune déviation profitable pour les membres du groupe challenger à la fois en phase de coopération (puisque la contrainte incitative (21) est satisfaite), et en phase de punition puisque celle-ci consiste pour chaque membre du groupe à jouer sa meilleure réponse aux actions des autres membres du groupe et de l’institution en place à chaque période. Par ailleurs, comme l’institution joue sa meilleure réponse à l’effort collectif du groupe à chaque période également – que les membres du groupe challenger coopèrent ou non – σC est bien un ESP du jeu répété.
3.3. Efficacité du concurrent, degré de rivalité et coopération intra-groupe
56 Dans cette section, nous étudions l’impact d’une variation des différents paramètres du modèle sur le facteur d’escompte minimum au-dessus duquel la coopération intra-groupe peut être soutenue comme un ESP à l’aide des stratégies de déclic simples que nous avons étudiées dans la section précédente. Nous avons un premier résultat qui est le suivant.
57 Proposition 2 : Le facteur d’escompte minimum δ̂ tel que le profil de stratégies σC constitue un ESP (avec coopération permanente au sein du groupe challenger) est d’autant plus élevé que λ, représentant l’efficacité relative de l’institution en place dans le conflit, et/ou β, représentant le degré de rivalité de la rente, sont élevés.
58 L’impact de λ et β sur la facilité de la soutenabilité de la coopération au sein du groupe challenger (mesurée par δ̂) dépend de l’impact de ces mêmes paramètres sur les gains espérés de coopération, non-coopération et défection. En fait, à partir de (10) et (16) et (20), on peut observer que l’utilité espérée est toujours décroissante avec λ et β. En effet, une hausse de λ ou β conduit à un affaiblissement de la position du groupe challenger et inversement à un renforcement de l’institution en place dans le conflit qui oppose ces deux entités pour l’attribution de la rente. Dans le cas d’une hausse de l’aptitude au conflit de l’institution en place, la raison en est simplement que le rendement marginal de l’effort d’investissement de chaque membre du groupe challenger devient relativement plus faible, ce qui conduit à une baisse des investissements et donc des gains espérés, que les membres du groupe coopèrent ou non. Il en résulte également une baisse de l’utilité espérée de l’individu qui dévie de la coopération intra-groupe. Dans le cas d’une hausse du degré de rivalité de la rente, le bénéfice par tête de la rente diminue au sein du groupe challenger (alors que le bénéfice de cette rente pour l’institution en place reste inchangé). La valeur individuelle de la rente devenant plus faible, les membres du groupe challenger investissent moins et ont un gain espéré plus faible, qu’il y ait coopération ou non à l’intérieur du groupe. A nouveau, dans ce cas, il en résulte une baisse de l’utilité espérée pour l’individu qui dévie de la coopération.
59 Ainsi, lorsque λ ou β augmente, le gain de déviation diminue alors que la sévérité de la punition – i.e. le retour permanent à la solution non-coopérative au sein du groupe – augmente puisque le gain de non-coopération diminue également. Ces deux effets contribuent à baisser le facteur d’escompte minimum au-dessus duquel les stratégies de déclic permettent de soutenir la coopération intra-groupe comme un équilibre en sous-jeu parfait. Cependant, la solution coopérative est aussi moins attrayante à mesure que λ ou β augmente, ce qui contribue à augmenter ce même facteur d’escompte minimum. Le résultat de la Proposition 1 montre donc qu’une hausse de λ et β a un impact (négatif) plus important sur le gain espéré de la coopération que sur ceux de la non-coopération et de la déviation réunis.
60 L’intuition de ce résultat est que l’institution en place devient relativement plus agressive dans le conflit à mesure que λ ou β augmente lorsque les membres du groupe challenger coopèrent par rapport au cas où ils ne coopèrent pas. En effet, le ratio des niveaux d’investissements de l’institution avec et sans coopération au sein du groupe challenger est donné par YC /YN = xC /nxN. En utilisant (8) et (14), nous avons YC /YN = n [(1 + λnβ)/ (n + λnβ)]2 qui est une fonction croissante de λ et β. La réaction plus forte de l’institution en place lorsque λ ou β augmente limite les gains potentiels de la coopération et rend ainsi plus difficile la soutenabilité de la coopération au sein du groupe challenger.
61 Enfin, notons que la Proposition 2 implique l’énoncé suivant.
62 Corollaire 1 : La coopération intra-groupe est plus facile à soutenir lorsque la rente est un bien public pur (i.e. β = 0) que lorsqu’elle est un bien privé parfaitement divisible entre les membres du groupe challenger (i.e. β = 1).
63 Ceci suggère que les groupes d’intérêts poursuivant un objectif politique ou idéologique sont plus à même de maintenir la cohésion intra-groupe que des groupes poursuivant un objectif purement économique. Dans le premier cas, on peut par exemple penser aux lobbies anti-nucléaire qui en France sont regroupés dans le réseau « Sortir du nucléaire » – lequel rassemble près d’un millier d’associations antinucléaires – pour coordonner leurs actions, et notamment pour exiger la suspension du projet EPR ou organiser des opérations médiatiques comme le blocage des convois ferroviaires de déchets nucléaires. Dans le cas d’une rente correspondant à un bien privé, on peut penser au cas où des associations de défense des consommateurs de téléphonie mobile se coordonnent pour dénoncer les pratiques anticoncurrentielles d’entente entre les opérateurs (historiques). [8] L’analyse suggère que la coopération est plus difficile à soutenir dans ce second type de cas que lorsque le conflit est de nature plus politique, mais qu’elle reste néanmoins faisable dès lors que les acteurs sont suffisamment patients.
3.4. Taille du groupe et coopération intragroupe
64 Nous étudions maintenant l’impact de la taille du groupe sur la facilité de la soutenabilité de la coopération intra-groupe mesurée par δ̂. Pour simplifier, et sans perte de généralité, nous posons désormais λ = 1 dans la mesure où λ et β ont le même impact et interviennent de façon symétrique sur δ̂. [9] Dans ce cas, le facteur d’escompte minimum est donné par
δ̂ = n [1 + n
] [n (n−2) +n
(n − 1)] [23]
[n + nβ]2 [n2 − n − 1 + nβ (n − 1)2]
65 Nous pouvons alors montrer le résultat suivant.
66 Proposition 3 : Pour tout n ≥ 4, le facteur d’escompte minimum δ̂ tel que le profil de stratégies σC constitue un ESP (avec coopération permanente au sein du groupe challenger) est d’autant plus faible que la taille du groupe est importante, indépendamment du degré de rivalité de la rente donné par β.
67 Ce résultat contraste avec la thèse communément admise des politistes selon lesquels la coopération est plus difficile à maintenir dans les grands groupes que dans les petits groupes (voir, par exemple, Hardin [1982] ; Olson [1982] ; Sandler [1992] ; Taylor [1982]). En effet nous obtenons exactement la proposition inverse, laquelle est d’autant plus remarquable qu’elle est valable quelle que soit la nature la rente. Notre résultat est aussi plus conforme – comme nous l’avons déjà mentionné en introduction – à un grand nombre d’observations informelles selon lesquelles les groupes d’intérêt ou d’influence cherchent généralement à accroître le nombre de leurs membres et à créer une plateforme de coopération la plus large possible plutôt que l’inverse. On peut penser à nouveau aux différents groupes d’influence poursuivant un objectif politique ou idéologique – groupes anti-nucléaire, anti-avortement, etc... – ou aux différentes organisations professionnelles (patronales et syndicales). Notons également qu’un grand nombre d’études empiriques montrent précisément que les montants des transferts publics reçus par des groupes d’intérêts spécifiques dépendent positivement de leurs tailles (voir Potters et Sloof [1996], pour une revue de la littérature).
68 La présomption communément admise selon laquelle la coopération est plus difficile à soutenir dans les grands groupes que dans les petits groupes s’appuie sur l’idée que l’impact d’une déviation individuelle sur l’action collective du groupe est perçue comme plus faible dans les grands groupes, ce qui doit impliquer que la tentation de dévier du comportement coopératif est plus forte. Dans notre analyse, la tentation de dévier ou le gain net de déviation (par rapport à la coopération) – soit la différence ωD − ωC – est toujours décroissante avec la taille du groupe. [10] En effet, le gain net de déviation est (essentiellement) imputable, pour celui qui dévie du comportement coopératif, à l’économie de la contribution à l’effort collectif du groupe. [11] Or la contribution individuelle elle-même diminue avec la taille du groupe et ceci d’autant plus que la rente est divisible (comme on peut le voir à partir de (14) en posant λ = 1). Cela vient du fait que la probabilité de succès du groupe challenger est une fonction concave des investissements individuels (et de l’investissement collectif en recherche de rentes). Par ailleurs, l’effort agrégé du groupe est borné par la valeur de la rente d’un montant fixe et par la présence de l’institution en place qui agit pour contrecarrer l’action collective du groupe challenger. Par conséquent, lorsque n augmente, l’effort agrégé augmente également mais dans une proportion moindre que l’augmentation de n, ce qui implique une baisse des efforts individuels à l’équilibre coopératif intra-groupe. Comme la contribution individuelle à l’équilibre coopératif diminue avec la taille, le gain net de dévier – qui est donc donné essentiellement par le montant économisé en ne contribuant pas – diminue également. Ceci contribue à une baisse du facteur d’escompte minimum permettant de soutenir la coopération intra-groupe, comme on peut le voir à partir de (21).
69 Le résultat final de l’impact d’une hausse de n sur le facteur d’escompte minimum dépend également de l’impact de n sur le gain net de la coopération (par rapport à la non-coopération) – soit la différence ωC − ωN. Or ce gain net peut augmenter ou diminuer avec la taille de la collectivité selon que la rente est un bien dont les caractéristiques sont plus ou moins proches d’un bien public (ou privé). Pour le voir, nous pouvons considérer les deux cas polaires. Nous avons,
70 lorsque la rente est un bien public et
∂nβ = 1 4n2 (n + 1)3
71 lorsque la rente est un bien privé.
72 Lorsque la rente est un bien public pur (i.e. β = 0), le gain net (individuel) de la coopération augmente avec la taille du groupe (voir (24)). En fait, les gains de coopération ωC et de non-coopération ωN augmentent tous les deux avec n (comme on peut le constater à partir de (10) et (16) en posant λ = 1 et β = 0). Cependant ωC augmente plus vite que ωN avec la taille du groupe. L’intuition a l’origine de ce résultat est que, lorsque la rente est un bien public pur, la taille du groupe n’a aucun impact sur le bénéfice individuel de la rente – donné par V – alors que cela renforce les bénéfices nets de la coopération intra-groupe – notamment en termes de probabilités de succès – puisque le problème de passager clandestin est d’autant plus fort que la taille du groupe est importante à l’équilibre non-coopératif intra-groupe. En résumé, lorsque β = 0, le gain net de la coopération ωC − ωN augmente avec n, tandis que le gain net de déviation ωD − ωC diminue avec n. Les deux effets vont dans le même sens d’une diminution du facteur d’escompte minimum au-dessus duquel la coopération intra-groupe peut être soutenue comme un ESP.
73 Lorsque la rente est un bien privé (i.e. β = 1), le gain net (individuel) de la coopération est en général décroissant – i.e. pour n ≥ 5 – avec la taille du groupe (voir (25)). Dans ce cas, les gains de coopération ωC et de non-coopération ωN diminuent avec n (comme on peut le constater à partir de (10) et (16) en posant λ = 1 et β = 1). Cependant ωC diminue plus vite que ωN avec la taille du groupe. L’intuition de ce résultat est, que lorsque la rente est un bien privé parfaitement divisible, le bénéfice individuel de la rente – donné par V/n – diminue proportionnellement avec la taille du groupe. Cet effet direct (négatif) sur le bénéfice par tête de la rente domine l’effet indirect (positif) – qui joue notamment à travers les probabilités de succès – d’une hausse de la taille sur les gains relatifs à coopérer en raison de l’élimination du problème de passager clandestin. Il en résulte que l’écart des niveaux de bien-être individuel avec et sans coopération est décroissant avec la taille de la collectivité [12], ce qui va dans le sens d’une hausse du taux d’escompte minimum (comme on peut le voir à partir de (21)). Le résultat de la Proposition 3 – selon lequel le taux d’escompte minimum est toujours décroissant avec n – montre donc que le gain net à dévier diminue encore plus rapidement avec la taille du groupe que les bénéfices nets de la coopération intra-groupe lorsque la rente est un bien privé. L’intuition est la suivante. Le gain net à dévier – donné par l’économie de la contribution individuelle – diminue proportionnellement avec la taille du groupe puisque l’effort agrégé ainsi que la probabilité de succès sont invariants avec cette taille à l’équilibre coopératif (comme on peut l’observer à partir de (14) et (15) en posant λ = β = 1). En revanche, le gain net à coopérer diminue moins que proportionnellement par rapport à la taille en raison de l’élimination du problème de passager clandestin qui permet de compenser en partie la baisse (proportionnelle) du bénéfice par tête de la rente.
74 L’explication de la Proposition 3 s’appuie sur les deux cas polaires d’une rente correspondant à bien public pur et de celle correspondant à un bien privé parfaitement divisible. Cependant, il important d’insister sur le fait que le résultat de la décroissance du facteur d’escompte avec la taille du groupe reste valable pour tous les cas intermédiaires d’une rente correspondant à un bien mixte plus ou moins divisible entre les membres du groupe challenger. On peut aussi en déduire que ce qui facilite au maximum la soutenabilité de la coopération intra-groupe – dans le sens d’une minimisation du facteur d’escompte au-dessus duquel σC est un ESP – correspond à une situation où la taille de la collectivité devient infinie. Pour l’illustrer, considérons les deux cas extrêmes d’une rente ayant les caractéristiques d’un bien public pur et d’une rente parfaitement divisible. A partir de (23), nous avons
[26]
n→∞ β=0 n→∞ β=1 2
75 En d’autres termes, lorsque la taille du groupe devient très grande, il suffit que ses membres accordent un poids aussi petit que possible à leurs gains futurs pour que la coopération intra-groupe soit un équilibre du jeu répété lorsque la rente est un bien public pur. Si la rente est un bien privé parfaitement divisible entre les membres du groupe, alors la coopération est plus difficile à soutenir mais reste néanmoins possible pour un large ensemble de valeurs du taux d’escompte effectif des membres du groupe (à savoir pour toute valeur de δ ∈ [0.5, 1]).
3.5. Absence d’un opposant
76 Dans cette section, nous étudions un jeu répété de recherche de rentes entre n joueurs mais sans opposant extérieur pour tenter d’isoler l’impact du rôle de ce dernier dans le jeu de concurrence entre groupes analysé jusqu’à présent.
77 Supposons que l’institution en place « sorte du marché » et que les n membres du groupe soient en concurrence les uns contre autres pour une rente d’un montant V. On note à nouveau xi ∈ R+ le niveau d’effort ou de dépenses en activités de recherche de rente de l’individu i, et la somme des investissements de tous les individus. En l’absence de l’institution en place, la probabilité de succès de chaque individu est donnée parpi (xi, X) = xi /X si X ≠ 0, et pi (xi, X) = 1/n si X = 0 (avec). La fonction d’utilité espérée de l’individu i est donnée par νi (xi, X) = pi (xi, X) V − xi.
78 Supposons également que les n individus utilisent des stratégies de déclic simples de retour permanent à l’équilibre non-coopératif suite à une déviation de la solution coopérative. Nous nous intéressons (à nouveau) au « meilleur » équilibre en sous-jeu parfait, c’est-à-dire celui permettant de soutenir la coopération « complète » entre tous les individus. Celui-ci correspond en fait à la situation où aucun des joueurs ne s’engage dans des activités de recherche de rentes, i.e. x = X = 0, ce qui implique que chaque individu a une probabilité 1/n de se voir octroyer la rente à chaque période. L’utilité espérée de la coopération est donc pour chaque individu (et à chaque période) donné par νC = V/n.
79 A l’équilibre non-coopératif, chaque individu décide indépendamment des autres du montant de son investissement en activités de recherche de rentes. La meilleure réponse de l’individu i au niveau d’investissement agrégé X− i de tous les autres individus, i.e. ri (X− i), est donnée par la condition du premier ordre suivante (X− i /X2) V − 1 = 0. L’équilibre symétrique est tel que pour tout i = 1,..., n (et où). Nous avons donc (n − 1) xN / [nxN]2 = 1, ce qui implique xN = [(n − 1)/n2] V. La probabilité de succès de chaque individu est, comme à l’équilibre coopératif, égale à 1/n. Cependant, l’utilité espérée est plus faible (en raison des ressources dissipées dans le conflit) et est donnée par νN = V/n2.
80 Nous devons enfin déterminer le gain de celui qui dévie de la coopération. Compte tenu de la fonction de succès au concours, dévier de X = 0 consiste à investir un montant ε en activités de recherche de rentes qui peut être aussi petit que possible dans la mesure où tout investissement positif permet de garantir de façon certaine l’attribution de la rente. En considérant que ε → 0, le gain (certain) de déviation est donné par νD = V.
81 La contrainte incitative selon laquelle chaque individu préfère à chaque période continuer à coopérer plutôt que de dévier s’écrit de la même façon que dans l’analyse du jeu de concurrence entre le groupe challenger et l’institution en place. En remplaçant les niveaux d’utilité ωD, ωC et ωN par (respectivement) νD, νC et νN dans (21), le facteur d’escompte minimum au-dessus duquel la coopération peut être soutenue comme ESP avec des stratégies de retour indéfini à l’équilibre non-coopératif est donné par δ̃ = (νD − νC)/ (νD − νN). On obtient
n+1
82 Nous avons alors le résultat suivant.
83 Proposition 4 : En l’absence d’opposant extérieur, le facteur d’escompte minimum δ̃ permettant de soutenir la coopération intragroupe (à l’aide de stratégies de déclic d’un retour permanent à l’équilibre non-coopératif intragroupe) est d’autant plus élevé que la taille du groupe est importante.
84 On en conclut que dans le cas où les n membres du groupe sont en concurrence les uns contre les autres sans opposant extérieur, la coopération est d’autant plus difficile à soutenir que le nombre de prétendants est important. L’intuition de ce résultat est la suivante. Le surplus de gain en déviant de l’équilibre coopératif, i.e. νD − νC = [(n − 1)/n]V, augmente avec le nombre de prétendants car la déviation permet de se garantir de façon certaine l’attribution de la rente, alors que la probabilité d’obtenir cette rente à l’équilibre coopératif diminue avec n. En revanche, le bénéfice net de la coopération, i.e. νC − νN = [(n − 1)/n2] V diminue avec le nombre de compétiteurs (et converge vers 0 lorsque n tend vers l’infini) car le gain espéré de coopération diminue plus vite que celui de non-coopération. La baisse du bénéfice net de la coopération joue dans le même sens qu’une hausse du gain net de déviation pour augmenter le facteur d’escompte minimum au-dessus duquel la coopération peut être maintenue.
85 Bien sûr, la structure de ce jeu est différente de celle que nous avons étudiée tout au long de cet article. Dans le cas de la concurrence entre le groupe challenger et l’institution en place la « coopération » consiste en la production d’un bien public à savoir un effort collectif qui détermine la probabilité de succès pour l’obtention d’une rente qui ensuite bénéficie à tous les membres du groupe. Dans le cas présent, la « coopération » consiste à s’abstenir d’investir dans des activités de recherche de rente puisque cela ne change pas la probabilité pour chaque individu de se voir attribuer la rente. Bref, dans un cas nous avons un jeu de recherche de rentes entre groupes (associé à un problème de passager clandestin intragroupe), et dans le second cas un jeu de recherche de rentes entre individus. Il est donc difficile de comparer les deux types d’analyse. Néanmoins, l’analyse du jeu répété entre individus suggère que c’est bien la présence d’un concurrent extérieur qui est à l’origine du résultat selon lequel la coopération intra-groupe est d’autant plus facile à soutenir que la taille du groupe est importante, que la rente soit un bien public, un bien privé ou un bien mixte.
4. Conclusion
86 Nous avons étudions, dans le cadre d’un jeu répété, le conflit entre une institution en place et un groupe challenger composé de plusieurs membres pour l’obtention d’une rente dont les caractéristiques peuvent être plus ou moins proche d’un bien public (ou privé). Les membres du groupe challenger sont supposés utiliser des stratégies de représailles d’un retour permanent à la solution non-coopérative au sein du groupe de façon à soutenir un comportement coopératif dans leurs activités de recherche de rentes vis-à-vis de l’institution en place. Nous montrons en particulier que la coopération intra-groupe est d’autant plus difficile à soutenir que le degré de rivalité de la rente est important. En revanche, une augmentation de la taille du groupe facilite le maintien de la coopération entre ses membres indépendamment du caractère plus ou moins privé (ou public) de la rente convoitée. Le fait que le groupe soit en concurrence avec un opposant pour l’attribution de la rente en question joue un rôle déterminant dans les résultats.
87 Le mérite de cet article est de montrer, dans un cadre d’analyse extrêmement simple, que l’intuition communément admise selon laquelle la coopération est plus difficile à soutenir dans les grands groupes que dans les petits groupes, ne tient pas. Au contraire nous montrons, dans un contexte de concurrence entre groupes, que les conditions les plus favorables au maintien de la coopération correspondent à une situation où la taille de la collectivité devient infiniment grande. Si de plus la rente a la nature d’un bien public pur, alors la coopération intra-groupe est un équilibre du jeu répété dès lors que les individus accordent le moindre poids à leurs gains espérés futurs. Comme nous l’avons précisé en introduction, en pratique, les groupes d’intérêts poursuivant un objectif économique (rente privée) ou politique (rente publique) tentent généralement d’accroître leur influence par le biais d’un accroissement de leurs tailles plutôt que par une diminution. D’un autre côté, il reste difficile de concevoir que dans une communauté de taille infinie, la coopération ne soit jamais rompue. Cette implication extrême de notre analyse a peut-être justement pour origine la simplicité du modèle étudié. Il serait certainement utile de considérer, de façon plus réaliste, un cadre d’analyse dans lequel les membres du groupe n’ont pas les mêmes préférences et où il existe des problèmes informationnels sur les niveaux d’action collective des entités en concurrence ou sur la valeur de la rente elle-même.
5. Annexe
5.1. Preuve du Lemma 1
88 Notons xd le niveau d’effort de l’agent qui dévie du comportement coopératif. Son gain espéré est donc donné par
ωi (xD, X −Ci, YC) = (n − 1C) x
D+ x
C Vβ − xD, [A1]
(n − 1) x + x + λY n
89 où xC est donné par (14), et où YC = nβ xC. Le « tire-au-flanc » choisit xD de façon à maximiser son gain espéré donné par (A1). La condition du premier ordre est donné par
[(n − 1) xC + xD + λYC]2 nβ
90 Le terme de gauche est décroissant en xD. L’agent qui dévie coupe sa contribution à 0 si, i.e., si
91 En substituant (14) dans cette expression et en utilisant YC = nβ xC, nous avons
n [(n − 1) + λnβ]2
92 Cette condition devient
93 ou encore
94 qui est toujours satisfaite pour tout n ≥ 1.
5.2. Preuve de la Proposition 2
95 La dérivée de δ̂ par rapport au paramètre λ mesurant l’efficacité relative dans le conflit de l’institution en place est donnée par
∂δ̂ (n − 1) n
[a0 (n) + a1 (n) λn + a2 (n) [λn] + a3 (n) [λn]
]
∂λ̄ = [n + λnβ]3 [n2 − n − 1 + λnβ (n − 1)2]2 , [A7]
96 où a0 (n) = n (n3 − 2n2 − n + 3), a1 (n) = 2n4 − 5n3 + 6n2 − 5n + 1, a2 (n) = n4 − 2n3 + 5n2 − 5n − 2 et a3 (n) = n3 − 2n2 + 3n + 3. On peut facilement vérifier que a0 (n), a1 (n), a2 (n) and a3 (n) sont strictement positifs pour tout n ≥ 2. Nous avons donc ∂δ̂/∂λ > 0.
97 En ce qui concerne l’impact d’une hausse du degré de rivalité de la rente mesuré par β sur le facteur d’escompte minimum, on peut observer que lorsque λ apparaît dans δ̂, il est toujours multiplié par nβ. Posons A ≡ λnβ. Nous avons ∂δ̂/∂λ = [∂δ̂/∂A]. [∂A/∂λ], où ∂A/∂λ = nβ. Par ailleurs, nous avons ∂δ̂/∂β = [∂δ̂/∂A] . [∂A/∂β] où ∂A/∂β = λlog [n] nβ = λlog [n] (∂A/∂λ). Il en résulte que
∂β ∂λ
98 qui est également de signe positif.
5.3. Preuve de la Proposition 3
99 La dérivée de δ̂ par rapport à la taille du groupe challenger n est donnée par
100 où
ψ1 (n, β) = n [n3 (2n − 7) + 4n2 + 3 (n − 1) − β [n3 (n − 3) + n2 + (4n − 3)]],
ψ2 (n, β) = (n − 1) [n3 (n − 1) − n (n + 1) + 1 − β [n3 (n − 3) + n (7n − 8) + 1]],
ψ3 (n, β) = n3 (n − 1) − n (2n − 3) − β [n3 (n − 3) + n (5n − 6) + 3]
ψ4 (n) = (n − 1)2
101 On veut montrer que le numérateur de (A9) est positif ce qui implique (compte tenu du signe ″ – ″ devant l’expression de (A9)) que ∂δ̂/∂n est négatif. On peut d’abord constater que ψ0 (n) et ψ4 (n) sont positifs pour tout n ≥ 3. Ensuite, on peut observer que ψ1 (n, β), ψ2 (n, β) et ψ3 (n, β) sont décroissants avec β pour tout n ≥ 3. Dès lors, pour montrer que ψ1 (n, β), ψ2 (n, β) et ψ3 (n, β) sont positifs pour toute valeur de β, il suffit de vérifier que ces coefficients sont positifs en β = 1. Nous avons
ψ2 (n, β = 1) = n (n − 1) [2n (n − 4) + 7],
ψ3 (n, β = 1) = n2 (2n − 7) + 3 (3n − 1)
102 Ces coefficients sont tous (strictement) positif pour n ≥ 4. Par conséquent, la dérivée de δ̂ par rapport à n est toujours négative pour n ≥ 4.
Bibliographie
Références bibliographiques
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Notes
-
[*]
Je remercie deux rapporteurs anonymes pour leurs commentaires. Je reste seul responsable des éventuelles erreurs ou maladresses.
Université de Montpellier I (LAMETA) et Toulouse School of Economics (TSE), Faculté d’Economie, Avenue Raymond Dugrand – CS 79606 – 34960 Montpellier Cedex 2 – France
Tel : (+33) (0) 4 34 43 24 84
Email : guillaume.cheikbossian@univ-montp1.fr -
[1]
Dans un autre article où des entreprises d’un même secteur industriel s’engagent dans des activités de lobbying pour maintenir une protection tarifaire, l’auteur arrive à la même conclusion (voir, Pecorino [1998]).
-
[2]
Dans cet article, nous employons souvent des termes inspirés de la théorie des conflits. De fait cette théorie est étroitement liée à celle sur les recherche de rentes dans la mesure où l’utilisation d’une fonction de succès se trouve au cœur de ces deux types de théories. La différence essentielle entre les deux est que dans la théorie des conflits le « prix » convoité est endogène et dépend de l’arbitrage des agents entre activité productives permettant de produire le « prix » en question, et activités d’appropriation ou de défense du (ou d’une partie du) « prix ». Dans la théorie sur les recherches de rentes, le « prix » – la rente – est au contraire exogène, comme c’est le cas dans la présente analyse. Pour une étude comparée des modèles de recherche de rentes et des modèles de conflits, voir Neary [1997].
-
[3]
Notons que le rendement marginal d’une unité additionnelle d’effort individuel (ainsi que d’effort collectif) en activités de recherche de rentes est strictement décroissant avec le niveau d’effort. Par conséquent, le programme d’optimisation de chaque joueur est strictement concave et les conditions du premier ordre sont nécessaires et suffisantes pour caractériser les fonctions de meilleures réponses des différents joueurs.
-
[4]
Voir aussi Katz, Nitzan et Rosenberg [1990].
-
[5]
Le facteur d’actualisation de l’institution en place n’a pas d’importance car, comme nous allons le préciser, celle-ci joue à chaque période sa fonction de meilleure réponse à l’action collective du groupe, et ceci indépendamment de l’histoire du jeu. Pour une analyse de l’action collective dans un jeu répété avec taux d’escompte hétérogènes des différents joueurs – mais en l’absence de conflits inter-groupes – voir Haag et Lagunoff [2007].
-
[6]
En anglais, on utilise le terme de « grim trigger stratégies » – que l’on pourrait traduire littéralement par « statégies de déclic (ou déclenchement) dures – ou même parfois le terme plus parlant de « Nash-reversion stratégies ».
-
[7]
Les preuves des différents résultats (Lemme 1 et Propositions 2 et 3) sont données en annexe.
-
[8]
Les trois opérateurs historiques de téléphonie mobile en France ont été condamnés par le Conseil de la concurrence en décembre 2005 à un montant total de plus de 500 millions d’euros pour entente illégale (sur les prix) entre 1997 et 2003. Pendant sept ans, ils ont tenté par tous les moyens de casser cette décision. En vain. Le 30 mai 2012, la Cour de cassation a publié un arrêt rejetant le pourvoi formulé par le troisième opérateur après avoir rejeté ceux des deux autres, mettant ainsi un terme définitif à cette affaire (voir le Monde du 30 mai 2012).
-
[9]
Voir également la preuve de la Proposition 2 dans l’Annexe.
-
[10]
Le signe de la dérivée de ωD − ωC par rapport à n est du même signe que le numérateur de cette dérivée donné par : − {n2 [n2 − 4n + 2] + n1 + β [2βn (n − 3) + n (n − 4) + 3β] + n3β [2β (n − 1) − n] + n2β [4βn (n − 2) − n2 + β] }. On peut observer que les termes – à l’intérieur de { . } – en facteurs de n2 et de n1 + β sont de signes positifs pour n ≥ 4. En revanche, les termes en facteur de n2β et n3β sont de signes ambigus. Néanmoins, ces termes sont croissants avec β et donc atteignent un minimum en β = 0. Or en β = 0, la somme de ces deux termes est donnée par − n (n + 1), qui est plus faible, en valeur absolue, que n2 [n2 − 4n + 2] . Par conséquent, le numérateur de la dérivée de ωD − ωC par rapport à n est négatif, ce qui implique que ωD − ωC est décroissant avec n pour n ≥ 4, quel que soit la valeur de β.
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[11]
Ce gain est en partie compensé par une baisse de la probabilité de succès (baisse qui devient d’autant plus marginale que la taille du groupe est importante).
-
[12]
A la limite, lorsque la taille du groupe devient infinie, le bénéfice par tête devient nul que les membres du groupe coopèrent ou non, et en conséquence le gain net (individuel) à coopérer devient nul également. En effet, on a (ωC − ωN) ∣β = 1 = (n − 1)2 / [4n (n + 1)2] qui tend vers 0 lorsque n tend vers l’infini.