Couverture de REDP_214

Article de revue

Estimer la fonction de dépenses publiques locales avec et sans mesure du prix : les apports du système linéaire de dépenses

Pages 583 à 605

Notes

  • [1]
    CREM, (UMR 6211 CNRS), Université de Rennes 1 Marie-estelle.binet@univ-rennes1.fr Je remercie les deux rapporteurs anonymes de la revue ainsi que tous ceux qui ont contribué à améliorer la version initiale de ce travail. Je remercie en particulier Fabrizio Carlevaro.

1. Introduction

1La connaissance des déterminants des dépenses publiques locales est plus que jamais une problématique au cœur des débats institutionnels actuels [1]. D’abord, en France, les dépenses du secteur public local n’ont cessé de croître représentant 7,9 % du PIB en 1980 contre 11,3 % en 2008. Ensuite, la Cour des Comptes a annoncé que la France devait réduire son déficit à hauteur de 20 milliards d’euros chaque année, dès 2011. Une contraction des dépenses est donc à prévoir à tous les niveaux de l’intervention publique et notamment à l’échelon local. En 2010, l’Assemblée Nationale a estimé entre 120 et 150 milliards d’euros la part des collectivités locales dans la dette de la France, provenant des dotations de l’État et de contreparties de moins values fiscales et d’exonérations dont l’État assure la compensation. D’ores et déjà, le gouvernement français vient d’annoncer le gel des dotations aux collectivités jusqu’en 2013. Cette enveloppe devrait donc stagner à 50,4 milliards d’euros, ce qui, en termes réels, correspond à une baisse dont l’ampleur pourra être appréciée via un effet revenu dans notre étude.

2Enfin, une réforme récente, la suppression de la taxe professionnelle et son remplacement par la contribution économique territoriale, est également susceptible de modifier l’équilibre budgétaire des collectivités territoriales. Guengant [2010] présente l’ensemble des conséquences de cette réforme fiscale. Entre autres effets, cette réforme réduit la base taxable disponible pour les collectivités et modifie la répartition des impôts locaux entre les ménages et les entreprises. Ainsi, avant la réforme, les entreprises finançaient 54 % des prélèvements au titre des taxes professionnelle et foncière bâtie. Après la réforme, la part des ménages est accrue, pour atteindre 71 % (29 % pour les entreprises), réduisant ainsi les marges de manœuvre fiscale des collectivités. Les impacts de cette réforme peuvent être évalués dans le cadre de la spécification retenue dans cet article, via un effet prix.

3La modélisation souvent retenue dans la littérature pour analyser, d’un point de vue empirique, les déterminants des choix budgétaires locaux est issue du courant des Choix Publics, voir Mueller [2003]. On retient ainsi l’hypothèse de Downs [1957] pour expliquer les choix des gouvernements sortants : « les partis proposent des politiques en vue de gagner des élections, et non de gagner leur élection pour mettre en œuvre des politiques ».

4De nombreux travaux empiriques menés dans cette optique s’inspirent de deux articles fondateurs écrits par Borcherding et Deacon [1972] et Bergstrom and Goodman [1973] consacrés à l’estimation de fonctions de dépenses municipales. Les choix budgétaires locaux sont supposés obéir à une logique de demande, pour satisfaire l’électeur médian. Cette approche a pour principal mérite de souligner l’importance du « prix » du bien public et du revenu dans le processus du choix de la quantité de bien public offerte. Et la spécification qui en découle offre des expressions des élasticités-prix et revenu, enrichissant ainsi l’analyse des déterminants des dépenses publiques locales. Une analyse critique de la littérature a été proposée par Reiter and Weichenrieder [1997]. En outre, les études déjà réalisées en France et à l’étranger depuis les années 70, montrent que cette modélisation est pertinente, d’un point de vue empirique, si on analyse les comportements publics à l’échelon le plus fin (communal) et si on étudie les dépenses agrégées, voir Turnbull et Djoundourian [1994] par exemple.

5D’une manière générale, ces travaux sont confrontés à la difficulté d’observer les quantités de biens publics offertes. Les auteurs sont ainsi amenés à définir une fonction de dépense publique locale supposée dépendre linéairement de ses déterminants. Dans deux articles récents, Allers et Elhorst [2011] et Aaberge et Langorgen [2003] proposent une spécification de la fonction de dépenses publiques municipales sous la forme d’un système linéaire de dépenses (SLD), qu’ils estiment en coupe transversale. En plus de fournir une spécification directement sous la forme de dépenses, l’intérêt du SLD est de pouvoir être estimé sans mesure du « prix » du bien public, comme le proposent ces auteurs. Le SLD permet également d’intégrer une composante minimale de la dépense publique. Mais leur spécification ne repose pas sur le modèle de l’électeur médian.

6Dès lors, l’originalité de cet article est de rapprocher les deux courants de littérature en explicitant l’utilité de l’électeur médian sous la forme d’une fonction Stone Geary. On peut ainsi en déduire une fonction de dépense publique municipale au sein d’un système linéaire de dépenses. L’analyse est ainsi enrichie à plusieurs titres.

7D’une part, le modèle de l’électeur médian identifie le ratio fiscal comme mesure du « prix » du bien public conformément à Bergtom et Goodman [1973]. Il justifie également l’introduction de variables explicatives additionnelles pour tenir compte des différences intercommunales en matière de coût de production du bien public ou relatives aux caractéristiques socioéconomiques de la population locale.

8D’autre part, le SLD offre une spécification directement sous la forme d’une fonction de dépenses, incluant une composante fixe. D’après notre cadre théorique, celle-ci correspond aux dépenses minimales que le décideur public local doit fournir pour satisfaire l’électeur médian, quel que soit le contexte économique et institutionnel.

9Ensuite, en estimant le SLD avec et sans mesure du « prix », on est ainsi en mesure d’apprécier la pertinence du ratio fiscal comme approximation du « prix » du bien public local. Puis, à partir de l’analyse des élasticités prix obtenues grâce aux estimations avec le ratio fiscal, on évalue le degré d’acceptation d’une augmentation de la fiscalité locale par les ménages.

10Une application est proposée, en guise d’illustration, pour étudier les choix budgétaires de 404 villes françaises métropolitaines de plus de20 000 habitants (à l’exception de Paris) en 2005. En France, la taille constitue une source majeure d’hétérogénéité entre les villes. Pour la contrôler, on distingue deux catégories de communes (les plus de 50 000 habitants et les autres) et on réalise une estimation séparée pour chaque groupe.

11Finalement, cette étude livre plusieurs résultats originaux. Dans une première étape, on estime directement la dépense minimale à hauteur de 75 % environ du montant total. Dans une seconde étape, on la fait dépendre de variables explicatives décrivant la structure de la population communale ainsi que les différences intercommunales en matière de coût de production du bien public. L’estimation du SLD ainsi translaté révèle alors des valeurs plus faibles de la dépense minimale (entre 30 et 36 % du total selon l’échantillon de communes retenu). Ce résultat s’explique par la mise en évidence d’économies d’échelle en consommation, qui se traduisent par une relation négative entre la dépense minimale par habitant et la taille de la population communale.

12Ensuite, l’utilisation du ratio fiscal comme mesure du « prix » du bien public engendre une sous estimation systématique de la dépense minimale. En particulier, un biais important semble apparaître si on considère les villes dont la population est comprise entre 20 000 et 50 000 habitants, conduisant ainsi à privilégier la spécification sans mesure du prix.

13Les résultats révèlent également des valeurs des élasticités prix et revenu plus importantes que si on applique la méthodologie habituellement retenue dans la littérature. On en déduit que notre approche, comparée à la méthodologie traditionnelle, prédit une influence plus grande du gel des dotations de l’État sur la dépense (transitant par un effet revenu). De même, l’approche traditionnelle surestime le degré d’acceptation d’une augmentation de la fiscalité locale par les ménages car elle révèle des valeurs plus faibles des élasticités prix.

14Le plan de l’article est le suivant. La seconde section présente le système linéaire de dépenses et ses enjeux méthodologiques. La troisième section décrit les spécifications du système linéaire de dépenses retenues (avec et sans translation ainsi qu’avec et sans prix). Après avoir décrit les données, les résultats obtenus sont discutés dans une quatrième section. Une dernière section conclut.

2. Un tour d’horizon sur le système linéaire de dépenses

15Un premier point rappelle la formulation générale du système linéaire de dépenses. Un second point décrit les principaux enjeux méthodologiques posés par l’estimation du SLD dans la littérature. Dans le troisième, on présente les quelques études consacrées à l’analyse des déterminants de la dépense publique en retenant le SLD.

2.1. Présentation générale

16On suppose que les préférences des ménages pour n biens sont représentées par une fonction d’utilité Stone-Geary :

equation im1
n
U = i?=1 (qi ? ci)?i [1]

17Dans cette formulation, qi mesure la demande pour le bien i, ci peut être défini comme une consommation minimale ou nécessaire du bien i (ou encore une quantité « obligée »). Cette formulation signifie que le consommateur retire une satisfaction uniquement à partir d’un niveau minimum de consommation. ?i est un paramètre décrivant les préférences du consommateur. On doit vérifier que ci < qi et ?i ? 0 qui garantissent l’existence de la fonction d’utilité.

18La maximisation de cette fonction d’utilité sous contrainte budgétaire permet de définir les fonctions de demande suivantes du ménage considéré :

equation im2
µ ? ?pici
qi= ci + ?iip=i, i = 1,..., n [2]

19La dépense en bien i du ménage est alors donnée par :

equation im3
piqi= pi ci + ?i (µ ? ?i=1pi ci), i = 1,..., n [3]
n
equation im4
n
avec i?=1?i = 1

20pi est le prix unitaire du bien i et µ mesure la dépense totale du ménage. Une telle spécification signifie que le consommateur acquiert d’abord une quantité minimale ci de chaque bien, indépendamment du niveau des prix et de son revenu. Il alloue le reste du budget, en proportion fixe ?i, à l’achat du bien i. ?i mesure la part marginale de la dépense discrétionnaire allouée à la consommation du bien i.

21L’intérêt du SLD est de permettre d’étudier les comportements de demande en considérant simultanément la consommation d’autres biens. Plus précisément, on retient en général un système de n biens qui sont par construction des substituts. Et on est amené à estimer un système de n ? 1 biens. La première estimation a été effectuée par Stone [1954] pour étudier les choix de consommation des ménages au Royaume-Uni sur données annuelles pour la période 1920-1938. Partant d’une formulation générale linéaire de la fonction de dépense, il a montré que la seule forme fonctionnelle qui satisfait les propriétés d’additivité, d’homogénéité et de symétrie est le SLD, voir Deaton et Muellbauer [1980]. De nombreuses études ont été réalisées sur données temporelles. Mais des applications en coupe transversale ont également été récemment proposées par Gaudin et al. [2001] pour analyser la consommation d’eau potable et par Aaberge et Langorgen [2003] ou par Allers et Elhorst [2011] pour étudier les déterminants de la dépense publique municipale. Ces auteurs retiennent une spécification élargie et une translation du SLD qui sont décrites dans le point suivant.

2.2. Enjeux méthodologiques

2.2.1. Le système linéaire de dépenses élargi

22Le SLD élargi (Extended Linear Expenditure System) développé par Lluch [1973] remplace la dépense totale (notée µ dans (2) et (3)) par un indicateur du revenu du consommateur. Dans sa version initiale, on introduit le revenu permanent dans une perspective dynamique. Une formulation alternative (qui sera retenue ici dans le cadre d’une étude en coupe transversale) consiste à considérer le revenu courant du consommateur noté Y. Le SLD élargi s’écrit donc désormais :

equation im5
Y ? ?pici
qi =ci+ ?iip=i, i = 1,..., n [4]

23Dès lors ?i peut s’interpréter comme une propension marginale à consommer.

24Utiliser le revenu du consommateur à la place de la dépense totale est susceptible d’atténuer le biais induit par la corrélation entre le terme d’erreur et la dépense totale dans l’équation de régression issue de (3). Cette spécification est par ailleurs conforme à la logique du modèle de l’électeur médian retenu dans cet article (voir section 3).

2.2.2. Intérêt de la translation

25Pollack et Wales [1981] ont montré l’intérêt de faire dépendre les paramètres de fonctions de demande de variables démographiques (nombre d’enfants). La méthodologie de translation ainsi décrite, appliquée au SLD, consiste à spécifier les paramètres du modèle, la consommation obligée c et éventuellement le paramètre ? exprimant les préférences du consommateur comme des fonctions de variables explicatives reflétant l’hétérogénéité individuelle. Cette procédure est souvent retenue dans les études en coupe transversale car on dispose de variables décrivant les caractéristiques individuelles et les préférences du consommateur. Le pouvoir explicatif du modèle est ainsi accru. En même temps, la qualité de l’estimation est améliorée (réduction du biais lié à la non prise en compte de variables qui se révèlent être significatives comme le soulignent Allers et Elhorst [2011].

26Ainsi, Howe [1977], qui analyse les comportements de consommation des ménages, fait dépendre la consommation obligée de leurs caractéristiques comme l’âge, le niveau d’éducation, l’emploi et la taille de la famille. Dans le même esprit, Gaudin et al. [2001] font dépendre la consommation minimale d’eau potable de variables comme la taille de la famille et le climat, combiné à la présence d’équipements comme le jardin…

2.3. Applications du SLD à l’étude de la dépense publique

27Le système linéaire de dépenses a été utilisé récemment dans deux études en coupe transversale pour étudier les déterminants des dépenses publiques municipales. Dans cette optique, Allers et Elhorst [2011] retiennent un échantillon de 496 municipalités aux Pays-Bas en 2002 et Aaberge et Langorgen [2003] étudient 426 municipalités en Norvège en 1993. On peut également répertorier des études plus anciennes comme celles d’Eastwood [1978] et de Dudley et Montmarquette [1979] qui étudient les choix budgétaires dans une optique longitudinale.

28Dans ces études, les fondements théoriques sous jacent au SLD reposent sur une logique différente du modèle de l’électeur médian. D’après Eastwood [1978], les choix budgétaires du gouvernement local sortant obéissent également à une logique de réélection. Mais, cela l’amène à rechercher le maintien du « statu quo » pour satisfaire les groupes de pression locaux, et à maintenir la fiscalité à un niveau faible. Eastwood [1978] justifie ainsi l’emploi d’une fonction d’utilité Stone Geary et du SLD avec une composante autonome de la dépense publique. Allers et Elhorst [2010] supposent que le gouvernement local maximise une fonction de bien-être social sous une contrainte décrivant l’équilibre budgétaire de la collectivité. Aaberge et Langorgen [2003] retiennent une spécification similaire.

29L’estimation de fonctions de demande de bien public local pose une difficulté relative à l’inobservabilité des quantités produites de bien public local. La formulation (3) du SLD expliquant la dépense publique permet de contourner cet écueil. En outre, les études réalisées par Aaberge et Langorgen [2003] et Allers et Elhorst [2010] et proposent d’estimer directement ou par translation le paramètre ?i = pi ci représentant la dépense minimale. Ils n’ont donc pas besoin de définir le « prix » du bien public.

30Il faut toutefois noter que la littérature fournit (au moins) deux mesures du « prix » du bien public. D’abord, à la suite de Bergstrom et Goodman [1973], de nombreux articles ont utilisé le paramètre associé au ratio fiscal pour calculer l’élasticité prix de la dépense municipale, voir section 3. Ensuite, en supposant que les biens publics sont intensifs en travail, Eastwood [1978] utilise un indice du salaire moyen dans le secteur public concerné (éducation, administration générale, …). Dans le cadre de notre application en coupe transversale consacrée au secteur communal français, les rémunérations dans le secteur public local, homogènes sur l’ensemble du territoire, ne peuvent pas être utilisées.

31En revanche, les deux autres méthodologies sont retenues et comparées dans cet article. D’abord, la dépense minimale est estimée directement sans avoir recours à une variable de prix. Ensuite, en retenant le ratio fiscal, variable d’une commune à l’autre, comme mesure du « prix » du bien public communal, on peut alors estimer la consommation obligée. Puis, la dépense minimale peut être déduite en multipliant le ratio fiscal par la consommation obligée, pour être ensuite comparée à la dépense minimiale estimée directement. Cette comparaison offre ainsi une évaluation du modèle de l’électeur médian et du ratio fiscal comme mesure du « prix » du bien public communal.

32Par ailleurs, l’adaptation du SLD à l’étude des dépenses publiques pose une difficulté relative à l’hypothèse de substituabilité qui sous tend la spécification. Les études proposées par Allers et Elhorst [2010] et Aaberge et Langorgen [2003] estiment un système d’équations en différenciant plusieurs postes de dépenses publiques municipales. Pour se conformer à l’hypothèse de substituabilité, ils retiennent un « nombre limité de catégories de services publics ». Compte tenu des compétences exercées par les communes françaises (services publics administratifs, école primaire, transport, …), l’hypothèse de substituabilité entre les différentes dépenses publiques municipales est écartée. Cela nous amène à proposer, dans la troisième section, une forme simplifiée du système composé d’un bien privé composite et du bien public municipal agrégé comme dans Gaudin et al. [2001]. On exclut donc de fait les biens publics offerts par les collectivités de rang supérieur (département et région) dont les dépenses ont parfois un caractère complémentaire avec les dépenses communales, voir Binet et al. [2010] pour une discussion.

3. Spécifications des fonctions de dépenses publiques locales

33Cette section est consacrée à la présentation des spécifications du SLD élargi avec et sans translation retenues dans cet article.

3.1. Spécifications sans translation

34A la suite de Borcherding et Deacon [1972] et de Bergstrom and Goodman [1973], de nombreuses études empiriques consacrées à l’estimation de fonctions de dépenses publiques locales retiennent le modèle de l’électeur médian comme cadre théorique sous-jacent. Une version simplifiée de ce modèle est présentée ci-après.

35Conformément à l’hypothèse d’unidimensionnalité, on considère la dépense publique locale totale CG G, avec CG le coût unitaire du bien publicet G le volume total offert. Dans ce modèle, on suppose que le décideur public local choisit le niveau de bien public offert afin de satisfaire l’électeur médian dont la fonction d’utilité s’écrit Um (x, g), x mesurant sa consommation de bien privé :

equation im6
ym = tbm + x (5)
{C G=tB (6)
MaxUm (x, g) s.cg
g= G (7)
N?

36L’équation (5) décrit la contrainte budgétaire de l’électeur médian avec ymson revenu et bm sa base d’imposition. L’équation (6) décrit la contrainte budgétaire simplifiée de la collectivité financée uniquement par des recettes fiscales collectées auprès des ménages soumis à un impôt local dont le taux est t. B représente la somme des bases d’imposition de la collectivité considérée, N mesure la taille de la population locale et b est la base d’imposition moyenne.

37D’après l’équation (7), la quantité de bien public disponible pour l’électeur médian notée g diffère du volume total offert G en présence de congestion, avec ? le paramètre de congestion. Cette contrainte souligne le rôle joué par la taille de la population locale comme déterminant de la dépense publique locale.

38La résolution de ce programme donne l’expression du taux marginal de substitution entre bien public et bien privé :

equation im7
?U /?g b
TMSx, g = ?Umm /?x = bmN? ? 1 CG = pm [8]

39Le TMS qui représente la disposition à payer pour le bien public est appelé le prix fiscal dans ce modèle. En général, en l’absence d’observations sur les quantités offertes de bien public local, les études établissent une fonction de dépenses publiques locales qui est supposée dépendre linéairement du prix fiscal pm et du revenu de l’électeur médian assimilé à la médiane des revenus de la collectivité d’après Bergstrom et Goodman [1973].

40Concrètement, le prix fiscal pm comprend, d’une part, les coûts d’usageN? ? 1 et de production CG du bien public et, d’autre part, le ratio fiscal equation im8égal, en théorie, au rapport entre la base d’imposition de l’électeur médian et la base d’imposition moyenne de la commune. Concrètement, le ratio fiscal en général utilisé dans les études empiriques mesure le partage de l’impôt local entre les ménages et les entreprises. Le ratio est donc égal à 0 dans le cas extrême où l’intégralité de la fiscalité locale repose sur les entreprises et à 1 dans le cas inverse. Le paramètre associé au ratio fiscal permet de calculer l’élasticité-prix de la dépense dans Bergstrom et Goodman [1973]. Dès lors, l’élasticité prix mesure, en quelque sorte, le degré d’acceptation d’une augmentation de la fiscalité locale par les ménages. Lesmarges de manœuvre en matière de fiscalité sont d’autant plus importantes que l’élasticité prix est faible en valeur absolue.

41Dans la littérature, les études montrent que le bien public communal est un bien normal et peu élastique. Ainsi, les élasticités revenu obtenues par Bergstrom and Goodman [1973] sont comprises entre 0,16 et 1,73 tandis que les élasticités prix sont comprises entre – 0,01 et – 0,50. Plus récemment, Turnbull and Djoundourian [1994] obtiennent des valeurs comprises entre – 0,4 et – 0,8 pour l’élasticité prix et 0,22 pour l’élasticité revenu.

42L’originalité de cet article est de décrire les préférences de l’électeur médian sous la forme d’une fonction d’utilité Stone-Geary. On en déduit ainsi une formulation de la dépense communale conforme à celle du SLD élargi (4) en retenant le revenu médian. Le ratio fiscal sert à évaluer l’effet prix. Étant donné que l’intérêt porte ici sur la demande de bien public communal, et pour se conformer à l’hypothèse de substituabilité, on suppose que la fonction d’utilité du consommateur dépend du bien public local noté 1 et d’un bien privé composite noté 2, comme dans Gaudin et al. [2001].

43On associe le prix pà la demande des autres biens q2. En l’absence de variations spatiales du prix q(mais en présence de variations spatiales du prix ple ratio fiscal communal), on peut incorporer ces valeurs constantes dans le paramètre ? qui représente la dépense minimale en biens privés :

equation im9
(y ?p c ??)
q1=c1+?m p11[9]

44On en déduit la spécification à estimer :

equation im10
pq= pc+ ? (ym ? pc? ?) + ? [10]

45pqest la dépense municipale par habitant et ? est le terme d’erreurs. Le paramètre cpeut être interprété comme une quantité de bien public communal minimale que l’électeur médian souhaite que le décideur public local produise. Dans cet article, deux formulations de (10) sont estimées afin d’être comparées. En retenant le ratio fiscal comme mesure de p1, on estimec1, ? et ?. Puis, on est également en mesure d’estimer ?= pcà la place dec1, comme dans Aaberge et Langorgen [2003].

46Les élasticités prix et revenu dérivées du système linéaire de demande s’écrivent :

47equation im11avec equation im12 pour l’élasticité revenu.

48equation im13 pour l’élasticité prix.

49On observe que l’élasticité revenu est toujours positive, ce qui exclut les biens inférieurs. En outre, comme 1 < ? < 0, l’élasticité prix est supérieure à – 1 et la demande de bien public est nécessairement inélastique. Ces deux restrictions sont conformes aux propriétés connues du bien public local.

50Dans la littérature, les auteurs établissent une élasticité prix de la dépense. Ils ne sont donc pas en mesure de connaître précisément les effets d’unevariation relative du prix sur la quantité demandée. On propose dans cet article de calculer une élasticité prix-quantité que l’on peut déduire d’une estimation de c1.

51Le point suivant présente une troisième spécification qui repose sur la translation de la dépense communale minimale. Celle-ci permet d’une part, d’identifier ses principaux déterminants et d’autre part, d’enrichir la spécification, en introduisant des variables explicatives reflétant l’hétérogénéité des villes françaises.

3.2. Spécification avec translation de la dépense minimale

52La dépense minimale, représentée par ?1=p1c1, dans (10), varie d’une municipalité à l’autre. Elle dépend en effet de la quantité minimale reflétant les préférences de l’électeur médian ainsi que du coût de production du bien public. Aaberge et Langorgen [2003] et Allers et Elhorst [2011], la font dépendre de variables décrivant les caractéristiques de la population municipale et les différences en matière de coût unitaire de production du bien public.

53D’une manière générale, la population est susceptible d’influencer la dépense par habitant par le biais d’économies d’échelle en consommation, voir Beat Blankart et Pommerehne [1979] pour une définition. Les économies d’échelle en consommation, qui sont infinies en l’absence de congestion (ou de rivalité), sont susceptibles de concerner les services publics administratifs. En revanche, les études s’accordent sur le fait que la présence de jeunes enfants scolarisés et de bénéficiaires du RMI est susceptible d’influencer positivement la dépense par habitant, voir Aaberge et Langorgen [2003]. Ils bénéficient en effet de services ciblés (avec exclusion d’usage et/ou rivalité) comme l’école et certaines aides sociales (comité communal d’action sociale, logements sociaux, gratuité de services…).

54L’autre composante de dépense minimale est le coût unitaire de production du bien public, d’après le modèle de l’électeur médian. Il est supposé dépendre de la taille des équipements publics ainsi que du mode de production (en coopération intercommunale ou non). Compte tenu de la disponibilité des données, le stock de capital public communal est mesuré par les variables suivantes : le nombre de logements sociaux (Logsociaux), le nombre de résidences secondaires (Resecond) et la longueur de la voirie. La deuxième variable approxime les dépenses d’équipements touristiques ou plus généralement de loisir.

55Par conséquent, on peut formuler la spécification translatée de la manière suivante :

equation im14
pq= ?+ ? (ym ? ?? ?) [11]

56Avec la dépense publique municipale par habitant minimale ?décrite par le système d’équations suivant (12-16) :

equation im15
?1=?1N+?Logsociaux+?Resecond+?voirie [12]

57La population communale N est décomposée par type d’usagers (Rmistes, élèves scolarisés et le reste de la population) :

equation im16
N=Pop+?elèves+?Rmistes [13]

58Étant donné que l’appartenance à un Établissement Public de Coopération Intercommunale (EPCI) est susceptible d’engendrer des économies d’échelle en production (voir Beat Blankart et Pommerehne [1979], les équations (14- 16) permettent de capter ces effets spécifiques :

equation im17
?2=?20+?21 D(EPCI) [14]
?3=?30+?31 D(EPCI) [15]
?4=?40+?41 D(EPCI) [16]

59D(EPCI) est une variable muette prenant la valeur 1 si la municipalité n’appartient pas à un EPCI, 0 sinon.

60Les équations de (12) à (16) sont substituées dans (11). On obtient ainsi une équation de dépenses à estimer avec non linéarité dans les paramètres.?, ?1, ?20, ?21, ?30, ?31, ?40, ?41 , ?1, ?2, et ? sont les paramètres à estimer. Une méthode d’estimation tenant compte des non linéarités dans les paramètres est requise. Il s’agit d’une méthode itérative de minimisation de la somme des carrés des résidus fondée sur une généralisation de l’algorithme de Gauss-Newton.

4. Déterminants des dépenses de villes françaises de plus de 20 000 habitants

61Les variables disponibles décrivant les caractéristiques des villes de plus de 20 000 habitants en France sont d’abord présentées. Les deux derniers points sont ensuite consacrés à la description et à l’analyse des résultats obtenus avec et sans méthode de translation.

4.1. Données

62En 2009, les dépenses totales du secteur communal (communes et EPCI) représentent 55 % de l’ensemble des dépenses des collectivités françaises. La part des dépenses des départements est de 32 % et celle des régionss’élève à 13 %. Le rôle de l’échelon communal est donc prépondérant en France. Cependant, les situations budgétaires des communes sont connues pour être hétérogènes et une importante source de disparité résulte des différences de taille de la population. Ainsi, environ 77 % des quelque 36 000 communes ont moins de 1 000 habitants alors qu’on dénombre 841 communes de plus de 10 000 habitants.

63L’étude porte sur 404 villes françaises peuplées de plus de 20 000 habitants (à l’exception de Paris). On distingue au sein de cet échantillon, deux sous groupes, les communes de plus de 50 000 (au nombre de 109) et celles de moins de 50 000 habitants (au nombre de 295). Cette décomposition permet un traitement spécifique des villes de plus 50 000 habitants susceptibles d’offrir une gamme plus large de services publics (effet « zoo »). Et, comme l’indiquent Beat Blankart et Pommeherenne [1979], les économies d’échelle en consommation ne peuvent être correctement mesurées que si on considère des villes offrant une qualité comparable de services publics. Cette décomposition est ensuite justifiée, a posteriori, par un test de Chow.

64L’analyse porte sur une année récente, 2005, postérieure à l’acte II de la décentralisation et reflétant donc la situation actuelle des municipalités en France. En 2005, la dépense totale des villes de plus de 20 000 habitants a augmenté de 3,3 % (variation annuelle). Les dépenses de fonctionnement représentent 72 % du budget total avec plus de la moitié consacrée au paiement des salaires. Les dépenses d’investissement portent principalement sur la construction des écoles primaires, des réseaux de transport, des projets d’urbanisme et des équipements de loisirs. Il faut noter que ces investissements sont souvent des projets de coopération intercommunale.

65Les dépenses totales sont exprimées en euros par habitant et correspondent aux dépenses de fonctionnement augmentées de l’épargne brute qui a vocation, dans la comptabilité publique locale, à couvrir le remboursement du capital des emprunts passés et à autofinancer les dépenses d’investissement. De manière habituelle dans la littérature, l’effet prix est apprécié en utilisant le ratio fiscal calculé en rapportant la base d’imposition moyenne des ménages sur la base moyenne totale. Il faut enfin noter que le montant des dotations de l’État par habitant est additionné au revenu de l’électeur médian. L’effet du gel des dotations de l’État pourra donc être apprécié via l’élasticité revenu.

66Les données sont issues des comptes de gestion fournies par la DGCP (Ministère de l’Économie) et par les fichiers de la DGCL (Ministère de l’Intérieur).

67Le tableau 1 décrit les variables disponibles :

Tableau 1

Description des données, 404 villes françaises de plus de 20 000 habitants en 2005

Description
des
variables
MoyenneMinimum Maximun
par strate
de
population
Dépenses
par
habitant
(euros)
Revenu
moyen
annuel
(euros)
20-50 000 + 50 000
habitants habitants
1 078 1141
8 840 8 947
20-50 000 + 50 000 20-50 000 + 50 000
habitants habitants habitants habitants
569 731 3529 3137
4593 4743 23910 35938
Ratio fiscal
Population Nombre de
Rmistes Nombre de
résidences secondaires
Nombre
d’élèves
scolarisés Nombre de
logements
sociaux
Longueur
voirie en
mètres
0,27 0,24
30 328 106 607
354 1 670
648 1 798
5 421 16 874
3 652 12 005
82 695 224 357
0,04 0,12 0,51 0,41
20 020 50 070 49 340 807 070
7 72 1881 19679
36 90 29330 23560
2600 7010 10640 132000
300 600 13500 69200
11000 27000 500000 1250000
figure im18

Description des données, 404 villes françaises de plus de 20 000 habitants en 2005

68Parmi les 295 communes dont la population est comprise entre 20 000 et 50 000 habitants, 235 appartiennent à un EPC1 (80 %) (respectivement 86 (80 %) pour les 109 autres villes). Les statistiques révèlent que les plus grandes villes (+ 50 000 habitants) ont un niveau moyen de dépenses supérieur aux autres d’environ 6 %. Cet écart peut s’expliquer par des charges d’entretien plus lourdes. Elles offrent également, en général, une gamme plus large de biens publics (« effet zoo » décrit par Oates [1988].

4.2. Résultats des estimations sans translation

69Deux estimations par moindres carrés non linéaires de la spécification (10) permettant d’expliquer la dépense communale par habitant sont comparées, avec et sans mesure du prix. D’une part, en retenant le ratio fiscal comme mesure du prix p1, il est possible d’estimer directement la quantité minimalec1. Ensuite, en multipliant ce paramètre par le ratio fiscal, variable d’une commune à l’autre, on en déduit une valeur moyenne de la dépense correspondante (avant-dernière ligne du tableau). D’autre part, en l’absence de mesure du prix, on peut tout de même estimer directement la dépense minimale (paramètre ?1). Finalement, comme Gaudin et al. [2001] nous posons ? = 0 pour obtenir une estimation cohérente des autres paramètres. Les résultats des estimations sont présentés dans le tableau ci-dessous.

Tableau 2

Estimation de la fonction de dépenses municipales (10) sans translation avec et sans mesure du prix (matrice des variances covariances robuste à la présence d’héléroscédaslicité).

Nombre d’habitants+20000habitants +50000habitants 20000-49999
habitants
Para
mètres
estimésMéthodo
logie
Propen
sion à
consom
mer ?
Quantité
mini
male : c1
Dépense minimale
?1
Probabi
lité (test
hétéros
cédisti-
cité)
MAPE
Estimation Estimation Estimation
(probabilité) (probabilité) (probabilité)
Avec prix Sans prix Avec prix Sans prix Avec prix Sans prix
0,093 0,030 0,059 0,032 0,11 0,027
(0,000)*** (0,001)*** (0,000)*** (0,001)*** (0,000)*** (0,000)***
712 2334 31
(0,003)*** (0,000)*** (0,91)
843 863 846
(77 %) (76 %) (78 %)
(0,000)*** (0,000)*** (0,000)***
0,000*** 0,005*** 0,000*** 0,01*** 0,000*** 0,10*
22,6% 19,92% 20% 19% 23,8% 20,27%
figure im19
Nombre d’habitants+20000habitants +50000habitants 20000-49999
habitants
Log vrai
sem-
blance
SBIC
Moyenne
des
dépenses
mini
males par
tête
Nombre
d’obser
vations
– 3008 –2933 –810 –795 –2187 –2136
3014 2939 815 800 2193 2142
191 574 8,65
(18,6 %) (53,6 %) (0,85 %)
404 109 295
figure im20

Estimation de la fonction de dépenses municipales (10) sans translation avec et sans mesure du prix (matrice des variances covariances robuste à la présence d’héléroscédaslicité).

Significativité : *** pour 1 %, ** pour 5 % et * pour 10 %.

70L’ensemble des résultats sont cohérents car les paramètres estimés vérifient les conditions d’existence de la fonction d’utilité Stone-Geary. Le paramètre décrivant les préférences en matière de bien public local ? est toujours positif. De plus, les valeurs des dépenses autonomes sont inférieures aux dépenses moyennes observées.

71La qualité de l’ajustement est meilleure pour les estimations sans prix. Ainsi, il est permis de penser que l’utilisation du ratio fiscal engendre une erreur de mesure sur le « prix » du bien public perçu par l’électeur médian. Dès lors, on observe une sous-estimation de la dépense autonome et une surestimation du paramètre de préférences dans ce cas. En effet, si les estimations avec ou sans prix révèlent une part prépondérante de la dépense autonome si on considère les villes de plus de 50 000 habitants, elles divergent considérablement pour les villes dont la population est comprise entre 20 000 et 50 000 habitants. Pour celles-ci, la quantité obligée est non significative et la dépense autonome qui en résulte est négligeable. En revanche, si l’on retient la méthode sans mesure du prix, la dépense autonome estimée y est toujours importante, correspondant à plus de 75 % du total. L’utilisation du ratio fiscal ne permet donc pas d’assurer la robustesse des résultats.

72Le tableau 3 décrit la distribution des élasticités prix et revenu obtenues avec le système linéaire de dépenses issues des estimations avec le ratio fiscal. Ces valeurs peuvent être comparées aux valeurs obtenues si l’on applique la méthodologie habituellement retenue dans la littérature : estimation par moindres carrés ordinaires d’une fonction de dépenses par habitant et calcul des élasticités prix et revenu à partir des coefficients respectivement associés au ratio fiscal et au revenu médian. Avec cette méthodologie, on obtient une élasticité prix moyenne égale à – 0,24 et une élasticité revenu moyenne égale à 0,66 pour les villes de moins de50 000 habitants (respectivement – 0,15 et 0,26 pour les villes de plus de 50 000 habitants).

Tableau 3

Description des élasticités prix et revenu avec le système linéaire de dépenses

Nombre
d’habitants
+ 20 000+ 50 000 20-50 000
Élasticité-prixMoyenne – 0,83
Min – 0,98
Max – 0,58
– 0,49 – 0,99
– 0,85 – 0,99
– 0,17 – 0,98
Élasticité-
revenu
Moyenne 0,82
Min 0,25
Max 2,65
0,50 0,99
0,23 0,29
1,70 2,65
figure im21

Description des élasticités prix et revenu avec le système linéaire de dépenses

73D’abord, par construction du SLD, les élasticités prix doivent être supérieures à – 1 et négatives, et l’élasticité revenu positive. L’estimation du système linéaire de dépenses fournit donc des valeurs conformes à ces contraintes.

74On constate ensuite que les élasticités issues du système linéaire de dépenses révèlent une plus grande sensibilité aux variations de prix et de revenu que celles obtenues avec la méthodologie habituelle. On peut donc penser que les valeurs obtenues avec la méthode traditionnelle surestiment le taux d’acceptation d’une augmentation de la fiscalité locale par les ménages et sous-estiment l’effet dépressif sur la dépense municipale du gel des dotations de l’État aux collectivités.

75Néanmoins, les deux méthodes s’accordent sur la plus grande sensibilité aux variations de prix et de revenu de l’électeur médian dans les villes de moins de 50 000 habitants par rapport aux autres. En effet, les élasticité-prix sont comprises entre – 0,85 et – 0,17 avec une valeur moyenne de – 0,49 si on considère les villes de plus de 50 000 habitants (et respectivement une valeur moyenne de – 0,99 pour les autres). Ces résultats suggèrent que les habitants des villes de plus de 50 000 habitants sont moins désireux de voir l’offre de biens publics diminuer que les autres en cas d’alourdissement de part de la fiscalité pesant sur les ménages. Toutes choses égales par ailleurs, la mise en place de la contribution économique territoriale devrait engendrer une plus forte baisse des dépenses dans les villes dont la population est comprise entre 20 000 et 50 000 habitants.

76Le constat est similaire si l’on analyse la distribution des élasticités revenu. En effet, si on applique la méthode standard, la valeur maximale de l’élasticité revenu s’élève à 0,39 pour les villes de plus de 50 000 habitants (respectivement 1,39 pour les autres). La baisse des dépenses devrait doncêtre plus marquée, à la suite du gel des subventions de l’État, dans les villes de moins de 50 000 habitants.

77Comme le suggèrent Aaberge et Langorgen [2003], la translation de la dépense autonome permet d’intégrer à la spécification des variables susceptibles de capter l’hétérogénéité des caractéristiques communales et donc d’améliorer le pouvoir explicatif du modèle.

4.3. Résultats des estimations avec translation de la dépense minimale

78Comme le test de Breush-Pagan révèle la présence d’hétéroscédasticité, la matrice des variances covariances robuste de White est calculée. Les résultats des estimations obtenues par moindres carrés non linéaires sont présentés dans le tableau 4. Des estimations préliminaires ont conduit à écarter certaines variables non significatives (valeur du paramètre égal à 0 dans le tableau de résultat) ou à imposer une valeur nulle pour la dépense privée minimale ?.

Tableau 4

Estimation du système linéaire de dépenses avec translation de la dépense minimale

Taille de la population+ 50 000 habitants20 000-49 999 habitants
CoefficientsEstimation (probabilité)Estimation (probabilité)
?0,075
(0,000)***
0,079
(0,000)***
?1– 0,0065
(0,000)***
– 0,011
(0,018)**
?200,050
(0,000)***
0,060
(0,000)***
?210,074
(0,000)***
0,12
(0,000)***
?300,067
(0,000)
0,046
(0,000)***
?3100
?400,0011
(0,000)***
0,00055
(0,12)
?4100
figure im22
Taille de la population+ 50 000 habitants20 000-49 999 habitants
?20– 17
(0,025)*
?10– 3,83
(0,000)***
?00
Probabilité
(test hétéroscédisticité)
0,000***0,00***
MAPE17,13 %16,16 %
Log vraisemblance– 771– 2 048
SBIC7852 073
Nombre d’observations109295
Dépense minimale par
tête
430
(36 %)
359
(31,8 %)
figure im23

Estimation du système linéaire de dépenses avec translation de la dépense minimale

Significativité : *** pour 1 %, ** pour 5 % et * pour 10 %.

79La méthode de translation permet d’identifier les déterminants de la dépense minimale. Une estimation de cette dépense peut être calculée pour chaque commune à l’aide des coefficients estimés et des équations (12-16). Leurs expressions sont développées dans l’équation (A) pour les villes de plus de 50 000 habitants et dans l’équation (B) pour les villes dont la population est comprise entre 20 000 et 50 000 habitants :

equation im24
??= ? 0,005 pop + (0,037 + 0,071 D (EPCI)) Logsociaux + 0,051 Resecond +
0,001 voirie [A]
??= ? 0,0087 pop + 0,030 élèves + 0,21 Rmistes + (0,053 + 0,127D
(EPCI)) Logsociaux + 0,048 Resecond [B]

80La valeur moyenne des dépenses minimales est présentée dans la dernière ligne du tableau, pour chaque échantillon. Ces valeurs révèlent une part de la dépense minimale inférieure à celle obtenue sans translation (tableau 2).

81Ce résultat peut s’expliquer en notant que la dépense minimale résulte de plusieurs effets dont un exerçant une influence négative, toutes choses égales par ailleurs et révélant l’existence d’économies d’échelle en consommation : toute augmentation de la population (à l’exception des Rmistes et des élèves) a pour effet de réduire la dépense minimale par habitant. Dès lors, l’arrivée de 1 000 nouveaux habitants dans les villes de moins de 50 000 habitants réduit la dépense par tête à hauteur de 8,7 euros (contre5 euros pour les villes de plus de 50 000 habitants). Cet effet est donc plus important dans les communes de moins de 50 000 habitants.

82Les estimations révèlent ensuite que plusieurs autres facteurs contribuent à accroître mécaniquement les dépenses communales minimales par habitant. On peut ainsi évaluer l’impact de l’évolution de populations ciblées comme le nombre d’élèves et le nombre de Rmistes sur la structure budgétaire communale. Étant bénéficiaires de prestations spécifiques, on s’attend à ce qu’un accroissement de leur nombre respectif pèse sur la dépense communale par habitant. Finalement, dans notre étude, cet effet n’apparaît que pour les villes dont la population est comprise entre 20 000 et 50 000 habitants. Ainsi, une augmentation du nombre de Rmistes à hauteur de 100 engendre une dépense supplémentaire estimée à 21 euros par habitant, toutes choses égales par ailleurs. L’impact d’une augmentation du nombre d’élèves est plus faible car 100 élèves supplémentaires accroissent la dépense minimale de 3 euros par habitant. Dans notre modèle, ces effets sont non significatifs si l’on considère les communes de plus de 50 000 habitants.

83Ensuite, les résultats montrent que toute augmentation des équipements publics engendre une dépense par habitant additionnelle, cela quelle que soit la taille des communes étudiées. Les résultats soulignent également parfois l’existence d’un surcoût quand la commune n’appartient pas à un EPCI. Plus précisément, si l’on considère d’abord les communes de plus de 50 000 habitants (équation (A)), la construction de 100 nouveaux logements sociaux engendre un accroissement de la dépense publique de 3,7 euros par habitant si la commune appartient à un EPCI (contre 10,8 euros si la commune ne coopère pas). La même variable a un impact plus important dans les villes de moins de 50 000 habitants (+ 5,3 euros avec coopération et + 18 euros sans coopération). Ces résultats semblent donc confirmer l’existence d’économies d’échelle en production induites par la coopération intercommunale. L’achèvement de la carte intercommunale, prévue pour 2014, est donc susceptible de réduire les dépenses dans les villes qui ne coopèrent pas encore.

84Une augmentation du nombre de résidences secondaires affecte également positivement les dépenses minimale par tête, mais de manière similaire que la commune appartienne ou non à un EPCI et quelle que soit la taille de la commune (plus 100 résidences secondaires engendrent un accroissement d’environ 5 euros de la dépense municipale par habitant).

85Enfin, un kilomètre de routes supplémentaires accroît faiblement la dépense par habitant (+ 1 euro) mais uniquement pour les villes de plus de 50 000 habitants. Ce faible effet suggère que l’intégralité des dépenses de voiries (investissement et entretien qui sont en général importants à l’échelle communale) n’apparait donc pas dans la partie minimale mais qu’une partie pourrait dépendre des fluctuations du prix et du revenu.

5. Conclusion

86Dans le contexte institutionnel actuel, la compréhension des déterminants des dépenses publiques locales et de leur incidence respective est primordiale. L’apport principal de cet article est de proposer une méthodologie empirique originale fondée sur l’estimation d’une fonction de dépense communale par habitant issue d’un système linéaire de dépenses (SLD) simplifié (réduit à deux biens, le bien public municipal et un bien privé composite). La formulation sous la forme d’une fonction de dépenses est intéressante en raison de la difficulté à observer les quantités offertes de biens publics locaux.

87Si l’on suppose que l’offre de bien public communal répond à une logique de demande (modèle de l’électeur médian), le SLD élargi qui en découle permet une décomposition de la dépense publique locale en fonction d’une composante minimale et d’une partie variable. La première peut être interprétée comme une dépense minimale qui doit être réalisée afin de satisfaire l’électeur médian. Une méthode de translation, inspirée par Pollack et Wales [1981], permet d’identifier ses principaux déterminants. La partie variable dépend notamment des fluctuations du revenu, du partage de l’impôt entre les ménages et les entreprises ainsi que des préférences de l’électeur médian.

88Un autre avantage du SLD est son caractère opérationnel dans le cadre d’une étude des choix publics car il peut être estimé avec et sans mesure du prix.

89Finalement, si on retient 404 villes françaises de plus de 20 000 habitants en distinguant celles de plus et celles de moins de 50 000 habitants, on obtient les principaux résultats suivants :

90

  • On montre d’abord que la part estimée des dépenses minimales dépend de la méthodologie employée. En l’absence de translation, elles correspondent à 75 % du total environ. Toutefois, l’estimation du SLD translaté fait apparaître un effet d’économie d’échelle en consommation qui conduit à reconsidérer ce premier résultat. Les dépenses minimales ne correspondraient plus qu’au tiers environ des dépenses totales.
  • L’emploi du ratio fiscal comme approximation du « prix » du bien public engendre une surestimation du paramètre de préférences mesurant la propension marginale à consommer le bien public et une sous-estimation de la dépense minimale.
  • Les élasticités prix et revenu dérivées du système linéaire de dépenses sont comparées aux valeurs obtenues si l’on applique la méthodologie traditionnelle. Deux résultats apparaissent. D’abord, les valeurs obtenues sont plus élevées avec le système linéaire de dépenses. On peut ainsi penser que la méthodologie traditionnelle engendre une sous- estimation des valeurs des élasticités. Ensuite, la sensibilité aux variations de prix et de revenu est plus importante dans les villes de moins de 50 000 habitants que dans celles ayant plus de 50 000 habitants.

91En somme, le SLD offre un diagnostic plus riche que la spécification habituellement utilisée dans la littérature. Deux extensions pourront être proposées afin d’approfondir ces premiers résultats. D’abord, le système non linéaire de dépenses développé et testé par Carlevaro [1976, 1977, 1982] offre une spécification plus flexible. Ensuite, le SLD pourra être élargi comme dans Allers et Ehorst [2011] afin d’introduire au sein de la spécification l’existence de dépendances spatiales entre les villes.

Bibliographie

Références bibliographiques

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Mots-clés éditeurs : Électeur médian, Système linéaire de dépenses, Demande de bien public local

Mise en ligne 29/12/2011

https://doi.org/10.3917/redp.214.0583

Notes

  • [1]
    CREM, (UMR 6211 CNRS), Université de Rennes 1 Marie-estelle.binet@univ-rennes1.fr Je remercie les deux rapporteurs anonymes de la revue ainsi que tous ceux qui ont contribué à améliorer la version initiale de ce travail. Je remercie en particulier Fabrizio Carlevaro.
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