Notes
-
[*]
Professeur à l’Université de Framche-Comté, Président du Jury. J’adresse mes remerciements les plus chaleureux à tous ceux qui ont contribué à l’organisation du concours : Kim David, Martine Vincent et Françoise Mivoubi au Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, Mme Caron, Mme Mendes, Mme Ahmed-Chaouch, Mme Couthures-Idrizi et F. Adam à l’Université de Paris I qui a accueilli les épreuves du concours et V. Lefeuvre au MEEDATT. Les points de vue exprimés dans ce rapport reflètent l’opinion de l’ensemble des membres du jury.
-
[1]
Cf. Levy Garboua [2009].
-
[2]
Cf. Levy Garboua [2009].
-
[3]
Auquel ont participé, entre autres, Laffont [1995], Linnemer et Perrot [2004], Mougeot [1998], Gary-Bobo et Trannoy [2009].
1 Le concours d’Agrégation de l’Enseignement Supérieur en Sciences Economiques a été ouvert par un arrêté du 3 mars 2009. 22 emplois de professeurs des Universités ont été offerts à ce concours dont la première épreuve a eu lieu le 18 novembre 2009. 86 candidats se sont inscrits, 65 se sont présentés à la première épreuve, 32 ont été déclarés sous-admissibles à l’issue de celle-ci et 25 admissibles à l’issue de la leçon de théorie économique. Les résultats du concours ont été proclamés le 2 avril 2010.
2 Le jury que j’ai eu l’honneur de présider était composé d’Antoine d’Autume, professeur à l’Université de Paris I, Dominique Bureau, ingénieur général des Ponts et Chaussées, délégué général, Conseil Economique pour le Développement Durable au MEEDATT, Françoise Forges, professeur à l’Université de Paris-Dauphine, Victor Ginsburgh, professeur à l’Université libre de Bruxelles, Elyès Jouini, Professeur à l’Université de Paris Dauphine, Alain Trannoy, Directeur d’Etudes à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales.
3 Je tiens d’abord à remercier chaleureusement les membres de ce jury qui ont effectué un travail considérable et ont fait preuve tout au long du concours d’une grande rigueur scientifique, d’un souci permanent d’équité et d’impartialité et d’un remarquable esprit d’équipe au service de l’objectif, pleinement partagé, de recruter les meilleurs professeurs pour nos universités. Le jury a fonctionné sur la base d’une recherche permanente du consensus dans une ambiance amicale et très professionnelle.
4 Le but de ce rapport est d’exposer la conception du concours, son organisation et les enseignements que l’on peut en tirer. Il vise aussi à permettre aux futurs candidats d’être informés sur les dernières modalités retenues afin de le préparer au mieux.
1. La conception du concours
5 Les modalités d’organisation du concours sont définies par le décret 84-431 du 6 juin 1984 et l’arrêté du 13 février 1986 modifié. Ces textes, qu’il n’est pas possible de modifier lorsque le concours est ouvert, définissent une procédure stricte qui prévoit 3 épreuves, tous les candidats devant passer la première consistant en une discussion des travaux qui ne peut excéder 45 minutes. Après cette épreuve, les candidats sous-admissibles effectuent une leçon de 30 minutes, préparée en loge pendant huit heures, portant sur la théorie économique. A l’issue de celle-ci, les admissibles doivent faire une leçon de spécialité dans les mêmes conditions.
6 Le jury, ayant au préalable délibéré sur les avis des rapporteurs de chaque candidat, possède, au moment de la première épreuve, une information précise sur la valeur des travaux de recherche des candidats telle qu’elle est fournie par leur dossier. Cette évaluation des mérites des candidats est, par ailleurs, facilitée par le fait que tous les candidats ont publié des articles dans des revues à comité de lecture, que ces articles ont fait l’objet d’appréciations approfondies par les rapporteurs de ces revues et que ces revues font l’objet de classements reflétant la hiérarchie que la discipline accorde à chaque revue. Une présentation orale longue apporte peu à l’évaluation de la plupart des dossiers et ne joue un rôle réel que pour quelques dossiers de valeur moyenne ou pour des candidats dont la carrière est atypique. Une amélioration considérable des conditions de déroulement du concours consisterait à permettre au jury de n’auditionner qu’un sous-ensemble de candidats ayant les dossiers de publication les plus solides, comme cela a existé pour l’Agrégation dans les années 1970 et comme c’est la règle pour les autres modalités décentralisées de recrutement, les comités de sélection des Universités décidant librement du nombre de candidats qu’ils entendent et de la durée de l’audition. La longueur du concours serait réduite, ce qui permettrait de constituer plus aisément un jury comprenant des chercheurs actifs.
7 Face à cette obligation d’auditionner la totalité des candidats lors de la première épreuve, j’ai proposé à ceux que j’ai sollicités pour faire partie du jury, de réduire la durée de la première épreuve et de faire de la troisième leçon une véritable leçon de spécialité en relation directe avec les travaux des candidats. En d’autres termes, la leçon de spécialité, préparée pendant 8 heures en loge conformément aux termes du décret, prendrait la forme d’un séminaire sur un sujet tiré au sort parmi trois thèmes choisis par le jury dans les travaux de chaque candidat.
8 Sur cette base et après accord des services compétents du Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, j’ai pu convaincre des personnalités scientifiquement indiscutables de participer à ce jury. Les modalités du concours, annoncées aux candidats lors de la séance inaugurale, étaient les suivantes :
- une première épreuve de 15 minutes consistant en une présentation de 5 minutes et une discussion de 10 minutes des travaux déposés,
- une leçon en loge de théorie économique de 30 minutes,
- une leçon en loge de spécialité de 30 minutes portant sur un sujet que le candidat était invité à traiter à la lumière de ses travaux et choisi, dans le cadre de la spécialité retenue, parmi les travaux des candidats. Cette leçon était suivie d’un quart d’heure de questions.
10 Pour que les candidats puissent accéder à leurs travaux pendant la préparation en loge, un site Internet protégé – AGREGECO – a été créé, site sur lequel les admissibles ont été invités à déposer leurs articles, documents de travail et thèses. Le jury a vérifié les textes déposés pour éviter que d’autres types de documents ne soient accessibles.
11 Pour les autres modalités du concours, nous avons suivi la pratique des derniers concours. Les candidats devaient envoyer à l’ensemble des membres du jury un CV et un document synthétique de présentation de leurs recherches. Ils devaient, d’autre part, envoyer à leurs rapporteurs cinq travaux figurant sur leur CV. En ce qui concerne la première épreuve, les candidats pouvaient utiliser un ordinateur et un matériel de projection. Il a donc été demandé à ceux qui le souhaitaient de transmettre leur présentation par mail de telle sorte que celle-ci puisse être projetée dès l’entrée du candidat dans la salle d’examen. Pour les deux leçons, nous avons donné aux candidats un accès au portail BiblioSHS (notamment aux bases EconLit, JStore, Science Direct) et la possibilité d’utiliser un ordinateur et une imprimante pour préparer leur leçon. Une clé USB permettait à ceux qui le souhaitaient d’utiliser le matériel de projection lors de la présentation orale.
2. Le déroulement du concours
12 Le concours d’Agrégation est une procédure basée sur une évaluation des compétences des candidats en tant que chercheurs et en tant qu’enseignants. Comme cela est reconnu dans la littérature spécialisée (Aghion et al. [2005], Gary-Bobo et Trannoy [2009]) le professeur d’Université est un agent « multi-tâches » au sens d’Holmstrom et Milgrom [1991]. Le jury se doit donc d’essayer d’apprécier ces deux fonctions principales que sont la recherche et la pédagogie. Comme les jurys présidés par Rodolphe Dos Santo Fereira et par Louis Levy-Garboua [1], nous avons accordé un poids important à la recherche. Aucun candidat auditionné lors de la première épreuve ne s’est présenté sans publication dans des revues à comité de lecture. La moyenne d’âge élevée des candidats – 38 ans – reflète le fait que les candidats attendent d’avoir un dossier scientifique sérieux avant de passer le concours. La qualité moyenne des travaux, dont tous les observateurs ont noté l’amélioration constante depuis quelques années, est bonne. En moyenne, les candidats indiquaient plus de 6 articles publiés dans leur dossier. La part des articles publiés dans des revues internationales est importante et de nombreux candidats avaient été publiés dans les meilleures revues de leur domaine. Par ailleurs, les dossiers déposés étaient, dans l’ensemble, très clairs et permettaient bien d’identifier l’activité passée, les thématiques de recherche et les projets en cours.
13 Comment classer et synthétiser l’information fournie par ces dossiers ? Les deux derniers jurys ont eu recours à la bibliométrie et au calcul d’un score de publication basé sur les classements des revues. Le jury présidé par L. Levy-Garboua a ainsi construit un classement spécifique sur la base de la classification du CNRS et du score retenu par le CORE en Belgique [2]. Il a aussi accordé une note de jury reflétant les avis des rapporteurs et la qualité de l’audition des candidats. La bibliométrie fait aujourd’hui débat. Ainsi la 5ème section du CNU vient de rejeter son usage pour la détermination des promotions des professeurs et des maîtres de conférences. Pourtant, le calcul d’un score de publication présente le grand avantage de donner une évaluation objective et exogène des publications. Il réduit le risque inhérent aux évaluations subjectives exposées à la capture de la procédure par des groupes de pression représentant les intérêts de certaines branches de la science économique, des tenants de certaines approches, voire des intérêts syndicaux ou politiques. A cet égard, il est apparu au jury que ce calcul de score était une base indispensable d’appréciation des mérites scientifiques des candidats. Il était non moins clair qu’il fallait en faire un usage raisonné et tenir compte aussi, au moyen d’une note du jury, de la cohérence des programmes de recherches, de l’originalité des contributions, de l’intérêt des travaux pour la politique économique et de la présence d’autres travaux (notamment les livres, les documents de travail, les communications et les rapports de recherche).
14 L’avantage de la bibliométrie est de fournir un critère exogène. Cependant, il existe aujourd’hui un grand nombre de classifications des revues. Celle de Kalaitzidakis, Mamuneas et Stengos publiée en 2003 par le Journal of the European Economic Association et basée sur les citations des revues fait référence. Palacios-Huerta et Volij [2004] ou Ritzberger [2008] ont également proposé des « rankings » des revues. Une généralisation de ces approches a été effectuée par Combes et Linnemer [2009] qui combinent un indice de citations pour les revues répertoriées dans le Journal of Citation Reports (JCR) par Thomson-Reuters et un modèle d’estimation pour les revues non répertoriées par le JCR basé sur les citations des auteurs d’articles dans ces revues. Plus de 1 000 revues sont ainsi classées selon une base rigoureuse. A côté de ces méthodes scientifiques de classement, il existe aussi des classements à caractère administratif retenus par des Universités ou par des pays. En France, le CNRS et l’AERES ont ainsi élaboré des classifications officielles.
15 Attachant beaucoup d’importance au fait d’avoir une base d’évaluation ex-ante et non modifiable, nous avons longuement réfléchi à ce sujet et débattu avant d’avoir en main les dossiers des candidats. Deux questions sont à résoudre : la position relative des revues et les poids à accorder à chaque revue.
16 Concernant la hiérarchisation des revues, les différents classements concordent assez largement pour les revues généralistes et pour les meilleures revues spécialisées. Cependant, il existe des divergences importantes pour certaines revues entre les classements prenant en compte les citations et ceux qui résultent d’une procédure administrative et peuvent être influencés par des considérations stratégiques. Pour prendre un exemple (qui n’a concerné aucun candidat), le CNRS retient seulement 20 revues en économie publique ou en organisation industrielle alors qu’il classe 31 revues d’économie et gestion de la santé. De plus, une proportion considérable des revues retenues par le CNRS dans ce denier domaine ne correspond pas à des revues de sciences économiques mais à des revues d’épidémiologie ou de santé publique dont les critères d’acceptation sont très éloignés de ceux de notre discipline. Ainsi, au regard de cette classification, publier dans le Journal of Epidemiology and Community Health ou dans Quality of Life Research est équivalent à publier dans des revues économiques de bon standing comme le Journal of Economic Behavior and Organization, le Journal of Public Economic Theory ou le Journal of the European Economic Association. Ces revues économiques reconnues sont même moins bien cotées par le CNRS que l’American Journal of Public Health ou Social Science and Medecine, revues qui n’apparaissent pas parmi les 1 200 premières revues d’économie par Combes et Linnemer [2009]. On pourrait ainsi multiplier les exemples de distorsions effectuées par le classement CNRS en faveur de revues relevant de certains champs disciplinaires.
17 La question des poids accordés à chaque revue dans un calcul de score est d’une nature différente. Le jury présidé par Louis Levy-Garboua avait retenu une hiérarchie de 1 à 8 à partir du classement CNRS selon la correspondance (cat. 1* ? 8, cat. 1 ? 6, cat. 2 ? 4, cat. 3 ? 2, cat. 4 ? 1). Ce classement présente l’inconvénient d’être discret et donc de comporter des sauts importants entre des revues proches mais classées dans des catégories différentes. Le classement proposé par Combes et Linnemer [2009] présente l’avantage d’être continu et d’inclure 1 200 revues. En revanche, il valorise un article paru dans The Quarterly Journal of Economics près de 300 fois plus qu’un article d’Economie et Prévision.
18 Après de nombreuses et fructueuses discussions, le jury a décidé de retenir deux modalités de calcul du score de publication. La première traduit, en quelque sorte, la vision française de la recherche économique telle qu’elle apparaît dans le classement du CNRS que nous avons retenu avec les poids choisis par le jury précédent. La seconde traduit la vision de la recherche économique au plan international telle qu’elle apparaît dans la classification Combes-Linnemer [2009] que nous avons retenue en prenant le logarithme du score. Cette concavification ramene à 11.5 l’ecart entre la meilleure revue et la moins bonne. Nous avons ensuite procédé à une normalisation pour le ramener à une échelle semblable à celle du CNRS. Dans les deux cas, nous avons suivi l’usage du jury précédent en divisant le score par la racine carrée du nombre d’auteurs et en ne tenant pas compte du nombre de pages. Nous avons cependant réduit le poids attribué aux notes (Economics Letters, Economics Bulletin) et avons écarté les commentaires, les réponses, les errata et les introductions de numéros spéciaux, de même que les articles d’autres disciplines (gestion, mathématiques, droit). La seule modification apportée aux classements a été l’introduction de l’American Economic Journal, nouvelle revue qui a été assimilée à une revue de niveau 2 dans le classement du CNRS.
19 Ces précisions sur l’usage de la bibliométrie étant apportées, il convient de revenir sur l’usage raisonné que nous en avons fait. Les critères quantitatifs étant vérifiables, ils limitent les contestations ex-post. Comme le soulignent Gary-Bobo et Trannoy [2009], c’est le moins mauvais moyen d’orienter les efforts des chercheurs dans la bonne direction. Cependant le jury conscient du caractère objectif des règles de score basées sur la bibliométrie était aussi conscient de certaines de ses limites. Le processus du refereeing anonyme est incontestablement aussi la moins mauvaise méthode de sélection des articles mais il est parfois imparfait et il arrive que même les bonnes revues fassent des erreurs. La pratique privilégie dans certains domaines l’innovation technique marginale sur la réflexion économique approfondie. Des stratégies efficaces de publication consistant à soumettre en même temps plusieurs papiers sur le même sujet peuvent conduire à l’acceptation d’articles peu différenciés dans plusieurs revues. Des phénomènes d’appartenance à un réseau peuvent aussi être source de distorsions. C’est pourquoi, pour compléter son évaluation de la première épreuve, le jury a accordé une troisième note (avec un poids équivalent à celui de chacune des deux précédentes) fondée sur la lecture des travaux et sur une appréciation en profondeur de l’intérêt et de l’originalité des recherches effectuées ainsi que des autres éléments des dossiers (ouvrages, chapitres d’ouvrages, rapports, articles dans d’autres disciplines). Le jury a également choisi de pondérer les notes de chaque leçon de manière équivalente à celle de la note du jury.
20 Ces critères étant définis ex-ante, le jury n’est pas revenu sur les notes de score qui, en quelque sorte, s’imposaient à lui. La note du jury, qui prenait aussi en compte l’audition des candidats a, dans une majorité de cas, été proche du score. Cependant, pour un nombre non négligeable de dossiers, elle a corrigé celui-ci à la hausse ou à la baisse.
21 Le rapport de L. Levy-Garboua soulignait l’amélioration constante de la qualité moyenne des travaux des candidats au fil des années et le fait que ce concours recrute de bons et même souvent d’excellents chercheurs. Nous pouvons faire la même constatation qui témoigne d’une vitalité certaine de la discipline. Les candidats auditionnés avaient quasiment tous un dossier de publications solide. Un grand nombre avait écrit dans les meilleures revues de leur spécialité. La plupart ont présenté leurs travaux de façon très professionnelle et mis en évidence, dans la plupart des cas, un projet de recherche cohérent et argumenté.
22 La leçon de théorie économique a été, en revanche, à bien des égards décevante. Le jury avait retenu des sujets assez généraux correspondant à un niveau de master 1 et abordant des thèmes qui lui semblaient devoir faire partie des connaissances de base d’un professeur de sciences économiques à l’Université. La variance des notes attribuées à cette épreuve a été égale à trois fois celle des notes attribuées à la première pour les sous-admissibles. Si certains candidats ont présenté une leçon argumentée traitant la question posée et mettant en évidence une maîtrise certaine de la science économique, d’autres ont révélé des lacunes graves, une méconnaissance surprenante de concepts fondamentaux et une incapacité évidente à transmettre une réponse cohérente à la question. Pourtant tous les candidats qui ont subi cette épreuve sont maîtres de conférences ou professeurs assistants. Ils enseignent donc depuis de nombreuses années (plus de dix ans en moyenne). Notre système universitaire produit donc des chercheurs de qualité dans des domaines extrêmement pointus mais ces chercheurs très spécialisés connaissent mal les bases de leur discipline. On se trouve en fait dans une situation opposée de celle que dénonçait J.J. Laffont [1995] qui regrettait à la fois l’insuffisance de la vraie recherche moderne et la préférence des jeunes chercheurs pour les tours d’horizon de littérature et les spéculations générales.
23 On peut voir dans cette spécialisation un effet de la structure des enseignements de troisième cycle qu’ont suivi les candidats dans leurs cursus. Dans bien des cas, les DEA (et aujourd’hui certains masters) étaient très spécialisés et ne comportaient pas toujours des enseignements quantitativement importants de microéconomie et de macroéconomie, enseignements qui permettent la compréhension profonde de l’économie et fournissent le bagage fondamental de notre discipline. Des notions importantes semblent ainsi avoir été découvertes par les candidats au moment du tirage du sujet et pour certains ne pas l’avoir été du tout. En dépit de l’abondante bibliographie disponible et de l’accès aux ressources informatiques, les leçons qui en ont résulté étaient souvent imprécises, en partie hors sujet, cédant aux spéculations générales sans aborder les questions cruciales sous-jacentes à l’énoncé. Certes, les candidats à l’agrégation ne sont pas dans des conditions équivalentes à celles d’une préparation d’un cours destiné aux étudiants. On peut toutefois s’inquiéter de cette incapacité de répondre à une question – et même pour certains de cette capacité à donner des réponses fausses ou très discutables Parmi les candidats ayant traité correctement le sujet qui leur était proposé, bien peu ont tenté d’y apporter une touche personnelle, ne serait-ce qu’en discutant de l’apport et des limites des développements qu’ils présentaient. La dynamique de spécialisation, voire d’hyperspécialisation, de la recherche ne doit pas s’accompagner, chez de futurs professeurs, de la méconnaissance des lignes de force de la discipline. C’est sûrement là une condition pour lutter efficacement contre la désaffection des étudiants pour la science économique.
24 La troisième épreuve est apparue au jury comme la plus intéressante. Elle a permis aux candidats de faire une leçon bien distincte de la leçon de théorie économique et d’associer leurs compétences scientifiques et pédagogiques. Dans l’ensemble, elle a donné des résultats meilleurs que la seconde. Elle a toutefois révélé, dans certains cas, les limites des articles présentés et les limites de certains candidats. Elle n’a probablement pas souffert d’ambigüités tenant à sa nouveauté, car j’ai annoncé, en des termes identiques, à chaque candidat, à la fin de la leçon de théorie économique, la nature de l’épreuve. Bien que l’énoncé des sujets invitât les candidats à les traiter « en s’appuyant sur leurs propres travaux », quelques candidats ont préféré faire une leçon traditionnelle. Pour ne défavoriser personne, le jury a été tolérant dans sa manière de juger cette épreuve et a accepté les diverses interprétations retenues par les candidats. A cet égard, il est certain que l’on gagnerait à une définition ex ante plus détaillée de ce que l’on attend des candidats en ce qui concerne les leçons pour éviter que les candidats ne fassent des choix en fonction des croyances qu’ils peuvent avoir sur ce que le jury attend, croyances qui souvent sont erronées.
25 En définitive, bien que le jury ait mis l’accent sur les qualités des candidats en tant que chercheurs, les qualités pédagogiques ont joué un rôle non négligeable dans la sélection des admis et dans le classement. Beaucoup de candidats avaient obtenu, en effet, des évaluations proches après la première épreuve. La seconde et la troisième ont permis de les départager. Il convient enfin de souligner que les professeurs d’Université que ce concours a permis de recruter connaissent déjà une reconnaissance internationale certaine. Leurs publications dans des revues de haut niveau en témoignent. Plusieurs d’entre eux ont réussi à publier dans des revues de premier plan (classées AA par Combes et Linnemer [2009]), comme Journal of Monetary Economics, Journal of Economic Theory, Journal of Public Economics, Rand Journal of Economics, European Economic Review ou Games and Economic Behavior. Tous avaient des articles dans des revues de rang A. Il convient aussi de mentionner que les spécialités des agrégés sont très diversifiées tant du point de vue des approches (théoriques, empiriques ou expérimentales) que des domaines abordés.
3. Les enseignements du concours
26 Le concours d’Agrégation de l’enseignement supérieur est depuis de nombreuses années un sujet de débat. Il n’existe que dans les disciplines juridiques, économiques et de gestion.
27 Dans la plupart des autres pays où le système universitaire est plus concurrentiel, le modèle de la « tenure » et la procédure de la « tenure track » sont en vigueur. Après une période probatoire (inférieure à 7 ans), les professeurs assistants demandent que leur titularisation soit examinée par les professeurs du département dans lequel ils enseignent. Soit leur contrat s’achève, soit ils sont promus.
28 Le système français est éloigné de ce modèle pour de multiples raisons. La principale est qu’il ne s’est ouvert à la concurrence que récemment avec la loi LRU. La seconde est que le statut de la fonction publique implique l’emploi à vie de toutes les catégories d’universitaires. Parmi les différentes procédures prévues par les textes réglementaires, le concours d’Agrégation est un concours national de la fonction publique recrutant des professeurs pour un ensemble d’Universités. Les avantages de ce mécanisme sont bien connus : les jurys étant renouvelés à chaque concours et n’ayant pas de lien avec les universités où sont localisés les emplois (ceux-ci n’étant connus qu’au moment des résultats) ont une incitation à choisir les meilleurs candidats plus forte que dans une procédure décentralisée dans un monde non concurrentiel. Les jurys peuvent aussi être sensibles à leur réputation et agir ainsi dans le sens de la promotion des jeunes chercheurs les plus compétents dans l’intérêt de la discipline. Les inconvénients de ce concours sont aussi bien connus. Ils concernent la procédure d’appariement des candidats et des Universités, le choix dans l’ordre du classement ne conduisant pas nécessairement à une adéquation des besoins des deux partenaires. Des critiques ont aussi porté dans le passé sur les choix de certains jurys jugés scientifiquement voire politiquement orientés.
29 Ce débat [3] aurait pu être clos par la LRU qui a cependant maintenu le principe du concours d’Agrégation. Il ne m’appartient pas de me prononcer sur la compatibilité de ce principe avec la lettre de la loi. Il est, d’autre part, évident que l’instauration d’un système universitaire vraiment concurrentiel rendrait le concours inutile. Cependant, dans la période transitoire que nous vivons, il m’apparaît que l’intérêt de la discipline plaide pour le maintien de ce concours, l’intérêt à court terme des Universités ne coïncidant pas toujours avec l’intérêt général et pouvant conduire à la promotion de candidats ayant des dossiers de publication moins fournis que ne le sont en moyenne les dossiers des agrégés.
30 Conserver le principe ne signifie pas conserver le concours tel quel. La procédure est lourde et pourrait être allégée sans conséquences pour la qualité du recrutement. Ainsi, dès lors que les instruments bibliométriques existent et que les dossiers doivent faire l’objet d’une évaluation par deux rapporteurs, l’audition de la totalité de candidats est inutilement coûteuse. Elle n’existe pas dans les autres procédures universitaires. Pourquoi la maintenir pour ce concours ? Permettre aux jurys de présélectionner les candidats qu’ils souhaitent voir poursuivre le concours rendrait inutile l’audition fastidieuse de candidats au dossier de publications insuffisant et permettrait de réduire considérablement le temps passé en séance par le jury et les coûts supportés par les candidats. La première épreuve pourrait alors prendre la forme d’un séminaire de recherche portant sur un article du candidat choisi par le jury parmi les travaux déposés ou par le candidat lui même. Une seconde épreuve pourrait consister, comme aujourd’hui, en une leçon de théorie économique permettant de juger les capacités des candidats à exposer les bases de leurs disciplines. Le séminaire étant fixé à la première épreuve, la troisième leçon serait inutile et pourrait être supprimée.
31 Dans ces conditions, il serait plus aisé de convaincre des collègues actifs de participer aux jurys. On réduirait ainsi le risque souligné par R. Gary-Bobo et A. Trannoy [2009] de voir les bons chercheurs abandonner « l’évaluation de la recherche à des personnes moins qualifiées » qui monopoliseraient ces tâches. La procédure serait moins longue pour les candidats. Connaissant la possibilité d’élimination sur travaux, les candidats attendraient d’avoir un dossier solide ce qui réduirait le nombre de candidats et la charge de travail des jurys. Le fait d’imposer l’habilitation à diriger les recherches comme un pré-requis aurait des effets analogues.
32 Pour en venir aux critiques évoquées plus haut, celle qui concerne la compétence des jurys peut rester un argument de poids si l’on se tenait strictement à l’ordre du tableau de classement selon le grade et l’ancienneté pour choisir le président du jury. Parmi ceux qui figurent au dernier échelon, certains ont, pour des raisons diverses, abandonné toute activité de recherche depuis plusieurs années. Même s’il est tout à fait concevable qu’ils constituent des jurys compétents, leur nomination serait source de polémiques qu’il serait préférable d’éviter. Pour que le concours soit crédible, il est indispensable que ceux qui jugent les compétences des futurs professeurs soient compétents et qu’ils fondent leurs décisions sur les critères internationalement admis de qualité des publications. Puisqu’il existe aujourd’hui des procédures officielles de reconnaissance des activités de recherche, il suffirait d’y faire appel et de restreindre le choix des présidents – et des membres professeurs du jury – à ceux qui sont titulaires de la prime d’excellence scientifique. On pourrait aussi rendre plus explicites les mécanismes de consultation – ancien président de jury, président de CNU – en vigueur actuellement de manière informelle.
33 Reste la question délicate de l’appariement. Dans le système universitaire actuel, force est de constater que les établissements ont majoritairement une préférence pour les candidats locaux et que les agrégés ont majoritairement une préférence pour leur université d’origine. Leur choix d’affectation est alors essentiellement guidé par la minimisation du temps de transport. Le concours 2009-2010 n’a pas échappé à cet usage. Il est difficile d’échapper à la contradiction entre le principe du choix en fonction du classement et les désirs des Universités et des candidats. Faire du concours un moyen de constituer une liste d’aptitude liée au nombre de postes à pourvoir serait une voie de résolution du dilemme mais elle poserait le problème des admis sans emploi. Ce problème serait probablement important pour les candidats de nationalité étrangère ou pour ceux dont le profil spécifique ne correspondrait pas aux besoins des universités ayant des postes vacants. Dans ces conditions, la possibilité de changer plus rapidement d’université constituerait un moyen d’améliorer l’allocation initiale en respectant les préférences des parties en cause.
Annexe 1
34 Sujets de la 1re leçon de théorie économique
- Les marchés financiers sont-ils efficients ?
- Quelle est la place de l’économie du bien-être dans la théorie économique actuelle ?
- Biens culturels et marché
- Dans quelle mesure les différences d’information entre les agents sont-elles un obstacle à l’efficience ?
- Réglementation et libéralisation des industries de réseau
- Marché de droits et efficacité
- La soutenabilité de la croissance
- L’échange international entre pays similaires
- Quelle est la portée du concept de préférence révélée ?
- Limites de la théorie de l’espérance d’utilité
- Dette publique et équilibre macroéconomique
- Différenciation des produits et structures de marché
- Entreprises et théorie du commerce international
- L’altruisme
- La neutralité de la monnaie dans l’analyse macro-économique moderne
- Le coût social des Fonds publics
- Démocratie représentative et choix publics
- Optimisation et rationalité limitée
- Finance et cycles
- L’incomplétude des contrats et ses conséquences
- Appariement et chômage
- Discrimination par les prix et bien-être
- Les défaillances de l’intervention publique
- La convergence internationale des niveaux de vie
- La spéculation est-elle stabilisante ?
- La théorie des zones monétaires optimales
- Les politiques budgétaires en union monétaire
- Analyse micro-économique et développement
- Recherche & Développement et croissance
- Les rendements croissants
- Les bulles financières
- La redistribution sans transferts forfaitaires
Annexe 2
36 Sujets de la leçon de spécialité
- Les fondamentaux macroéconomiques expliquent-ils la volatilité des taux de change ?
- Effets de débordements en économie ouverte et compétition fiscale entre Etats
- Inégalités, dommages environnementaux, et croissance
- Monnaie unique et IDE
- L’apport des algorithmes génétiques à l’analyse des marchés et des organisations
- Est-il possible de construire des produits dérivés pour le marché immobilier résidentiel ?
- Rationalité limitée et réseaux sociaux en économie publique
- Conséquences macroéconomiques de flux de migration endogènes
- Les politiques de régulation de l’encombrement dans les transports
- Rationalité cognitive et rationalité limitée
- L’impact des participations au capital sur les enchères
- L’économie politique de la politique monétaire
- Retraite par répartition et chômage involontaire
- Recherche d’emploi et réseaux sociaux
- Les rôles respectifs des régulateurs et des juges pour la maîtrise des risques industriels environnementaux
- Défauts de coordination, réalisation des échanges et efficacité de la politique monétaire
- Localisation des activités dans un pays et ouverture internationale
- Altruisme familial et dette publique
- Efficience et non-manipulation des mécanismes dans les économies avec production
- Fluctuations à taches solaires dans les économies dont les agents sont hétérogènes
- « Expérience rating » et chômage
- La révélation d’information dans les jeux de persuasion
- Pouvoir de marché et réforme agraire
- L’impact du déficit et de la dette publics sur l’investissement public
- Le biais à l’encontre de l’âge sur le marché du travail
Bibliographie
Références bibliographiques
- AGHION Ph. et E. COHEN [2009], Education et croissance, Paris, La documentation française.
- COMBES P.P. et L. LINNEMER [2009], Inferring missing citations : a quantitative multi-criteria ranking of all journals in economics, w.p. GREQAM
- GARY-BOBO R. et A. TRANNOY [2009], Professeur d’université : profession libérale d’Etat, Commentaire, 127, 653-668, et 128, 891-995.
- HOLMSTROM B. et MILGROM P. [1991], Multitask Principal – Agent Analysis : incentive contracts, assets ownership and Job Design, Journal of Law, Economics and Organization, 7, 24-52.
- KALAITZIDAKIS P. J. MAMUNEAS et T. STENGOS [2003], Ranking of Academic Journals and Institutions in Economics, Journal of the European Economic Association, 16 (1) ; 1346-1358.
- LAFFONT J.J. [1995], Reflexions sur le concours d’agrégation, Revue d’Economie Politique, 105 (2), 353-356.
- LEVY GARBOUA L. [2009], Rapport sur le premier concours national de l’enseignement supérieur pour le recrutement de professeurs des universités en Science Economique (2007-2008), Revue d’Economie Politique, 603-623.
- LINNEMER L. et PERROT A. [2004], Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le concours d’agrégation de science économique, Revue Economique, 55, 275- 321.
- MOUGEOT M. [1999], Propositions concernant le recrutement des Professeurs de Sciences Economiques, La lettre de l’AFSE, n° 41, 12-13.
- PALACIOS-HUERTA I et VOLIJ O. [2004], The measurement of intellectual influence, Econometrica, 72 (3), 963-977.
- RITZBERGER K. [2008], A ranking in journals in economics and related fields, German Economic Review, 9 (4), 402-430.
Notes
-
[*]
Professeur à l’Université de Framche-Comté, Président du Jury. J’adresse mes remerciements les plus chaleureux à tous ceux qui ont contribué à l’organisation du concours : Kim David, Martine Vincent et Françoise Mivoubi au Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, Mme Caron, Mme Mendes, Mme Ahmed-Chaouch, Mme Couthures-Idrizi et F. Adam à l’Université de Paris I qui a accueilli les épreuves du concours et V. Lefeuvre au MEEDATT. Les points de vue exprimés dans ce rapport reflètent l’opinion de l’ensemble des membres du jury.
-
[1]
Cf. Levy Garboua [2009].
-
[2]
Cf. Levy Garboua [2009].
-
[3]
Auquel ont participé, entre autres, Laffont [1995], Linnemer et Perrot [2004], Mougeot [1998], Gary-Bobo et Trannoy [2009].