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Article de revue

Les effets de Pairs dans l'Éducation : une Revue de Littérature

Pages 739 à 757

1. Introduction

1Les pairs désignent les agents avec lesquels un individu est en interaction. Dans le cas de l’éducation, les pairs peuvent être les camarades de classe àl’école primaire, les camarades de Travaux Dirigés à l’Université, ou encore les compagnons de chambrée sur le campus universitaire. Les effets de pairs dans l’éducation traduisent ainsi l’impact des interactions sur la production d’éducation. Ces interactions peuvent prendre la forme d’entraide, peuvent traduire une norme sociale ou être par exemple le fruit d’une compétition.

2Ces effets jouent un rôle crucial dans le succès ou l’échec de nombreuses politiques publiques éducatives. Les bénéfices de la démocratisation de l’enseignement pourraient être plus faibles qu’espérés si les nouveaux entrants dans le système éducatif ont un impact négatif sur ceux qui auraient de toute façon choisi les études. Si à l’inverse il existe des externalités positives des bons élèves vers les moins bons, il faut questionner la dichotomie de l’enseignement supérieur français entre classes préparatoires et universités. De manière générale, et pour les mêmes raisons, les effets de pairs sont au cœur des politiques qui visent à modifier la composition des groupes : politiques de déségrégation aux États-Unis (busing), politiques qui visent à proposer des aides financières aux plus démunis pour envoyer leurs enfants dans des écoles privées (vouchers), concurrence entre les écoles et ouverture de la carte scolaire (voir l’article de Gabrielle Fack et Julien Grenet dans ce numéro), ou encore la constitution de groupes de niveau dans les écoles.

3De nombreux travaux théoriques se sont intéressés à ces questions. A titre d’exemple, Epple et Romano [1998], pour étudier l’effet des vouchers, prennent en compte les effets de pairs dans un modèle dans lequel les parents choisissent entre école publique et école privée. En intégrant les élèves perturbateurs dans son modèle, Lazear [2001] propose un cadre théorique pour analyser l’effet de la taille des classes. Enfin, Bénabou [1993] étudie l’impact des effets de pairs liés à l’éducation sur l’efficacité d’une ville composée de plusieurs communautés.

4Il est dès lors indispensable de conduire des travaux empiriques rigoureux pour déterminer l’existence, l’amplitude et la forme des effets de pairs. Ces travaux sont de plus en plus nombreux, mais identifier et estimer des effets de pairs reste un travail délicat. Tout d’abord parce qu’il n’est pas trivial de définir le groupe de pairs le plus pertinent : les interactions ont-elle lieu dans la classe, dans l’école, avec les compagnons de chambrée à l’Université, avec les amis, dans le quartier ? D’autre part parce que comparer des groupes formés de manière endogène ne peut mener qu’à des estimations biaisées, et il faut donc recourir à des méthodes plus fines. L’objectif de cet article est ainsi de décrire les principales difficultés économétriques que doit surmonter l’évaluateur, et présenter en détails les résultats les plus récents en insistant sur la stratégie d’identification adoptée.

5Dans le section 2 nous présentons brièvement les formes théoriques des effets de pairs. Dans la section 3 nous détaillons les problèmes empiriques qui se posent pour leur identification. La section 4 donne un panorama des résultats récents. Enfin nous concluons dans la section 5.

2. Les formes théoriques des effets de pairs

6Les différentes formes théoriques possibles que peuvent prendre les effets de pairs sont synthétisées dans Hoxby et Weingarth [2005].

7La forme particulière des effets de pairs considérée dans Lazear [2001], celle d’une externalité négative, correspond à l’effet négatif des élèves les moins bons sur l’ensemble des élèves du groupe. Ce modèle est appelé « Bad apple model ». A l’opposé, le « Shining light model » est basé sur l’idée qu’il existe une externalité positive des meilleurs éléments du groupe sur l’ensemble de ses membres. Ces deux modèles sont tempérés par le « Individious comparison model ». En effet dans ce modèle, la présence de bons éléments fait mécaniquement rétrograder les autres en termes de rang, ce qui peut les décourager et nuire à leur réussite. De même, la présence de moins bons éléments fait grimper les autres dans l’échelle des rangs, ce qui peut les encourager à progresser.

8Le « Boutique model » suggère qu’un élève réussit d’autant mieux qu’il est entouré d’élèves qui lui ressemblent. De la sorte, l’ensemble du groupe peut avancer au même rythme, l’enseignant peut mettre en place une pédagogie ciblée. Ce modèle plaide en faveur de classes de niveau. Le « Focus Model » précise que l’homogénéité des groupes est un atout, même pour les élèves qui ne font pas partie du groupe homogène. La pire des situations serait une distribution bimodale, qui entraînerait une véritable schizophrénie dans l’organisation du travail. Ceci peut être un argument en défaveur des classes multi-niveaux qui se sont développées en France depuis de nombreuses années. A l’opposé du « Focus model », le « Rainbow model » insiste sur l’idée que lorsqu’un élève est entouré de tous les types d’élèves, il est incité à interagir avec l’ensemble du spectre, ce qui est de nature à favoriser sa réussite car il voit les problèmes sous de nombreux angles différents. Le « Single crossing model » introduit de l’asymétrie par rapport au « Shining light model » : les bons élèves sont supposés bénéficier plus que les autres de la présence de bons éléments. C’est le type d’effets considéré par exemple par Bénabou [1993]. Le « Subculture model » est en quelque sorte l’opposé logique du « Boutique model » : tant q’une minorité ne dépasse pas une masse critique, la majorité est prête à faire des efforts pour l’intégrer, ce qui peut être bénéfique pour la minorité. Mais au delà de cette masse critique, la majorité rejette cette minorité, ce qui lui est néfaste.

9Signalons que ces théories font écho à celles qui expliquent les effets de voisinage (Jencks et Mayer [1990]). Les théories de la contagion insistent sur l’influence du groupe de pairs comme mécanisme générateur des effets de voisinage. Il s’agit dans le cadre d’une classe par exemple de l’entraide entre élèves. Les théories de la socialisation collective mettent en avant le rôle joué par les modèles que représentent les adultes du quartier et le contrôle social qu’ils assurent. Il s’agit dans une classe du rôle de modèle assuré par les moins bons ou les meilleurs élèves. Ils peuvent avoir sur leurs pairs une influence sur la préférence pour l’effort scolaire ou sur les anticipations surle futur. Enfin, les théories de la compétition insistent sur la concurrence qui peut s’installer au sein d’un quartier pour réussir socialement lorsqu’il existe une certaine rareté. C’est ce qui peut arriver dans une classe par exemple lorsque les élèves passent un concours à la fin de l’année. Les interactions peuvent être bénéfiques en élevant le niveau de chacun, mais le partage d’informations, en augmentant la probabilité de réussite des concurrents, peut avoir un impact négatif sur la réussite individuelle.

10Il existe enfin un modèle d’effets de pairs très populaire et systématiquement estimé, défini par une équation, le modèle linéaire en moyenne. Nous y reviendrons en détail dans la section suivante. Contentons nous pour l’instant de dire que dans ce modèle, les effets de pairs sont pris en compte par la moyenne de la qualité du groupe. L’effet de cette moyenne est homogène (linéaire) sur l’ensemble du groupe. En termes de politique publique, ce modèle a pour implication que toute réallocation des individus dans les groupes n’a qu’un effet redistributif, créant des gagnants et des perdants, mais n’a aucun impact sur l’efficacité moyenne des résultats. Il faut donc être conscient que ce modèle, bien que très populaire, n’en reste pas moins soumis à des hypothèses très contraignantes.

3. Les difficultés de l’évaluation

3.1. Le modèle linéaire en moyenne

11Supposons que l’on dispose dans nos données de G groupes (g = 1... G) d’individus de taille n (des groupes de Travaux Dirigés à l’Université par exemple). Les effets dge pairs dans l’éducation ont été estimés dans la plupart des travaux dans le cadre du modèle linéaire en moyenne (« linear in means model »). Ce modèle, étudié en détail par Manski (1993), est le suivant.

equation im1
yig= c + y? ig ? + x? ig ? + xig ? + zg ? + uig[1]

12i est un individu (un étudiant par exemple) du groupe ; c est une constante ; yigest le résultat de l’individu i (sa note à l’examen par exemple) ;xigest un ensemble de caractéristiques exogènes de l’individu i, comme par exemple la CSP ou le niveau d’éducation de ses parents, ou encore ses propres capacités scolaires.equation im2 désigne la moyenne des résultats du groupe g, duquel on a omis l’individu i (d’où l’indice « ? »). L’effet de cette variable, ?, est selon la terminologie de Manski [1993] l’effet de pairs endogène. Endogène dans le sens où il traduit l’effet du comportement des membres du groupe sur chaque individu. Dans notre exemple, l’effet endogène traduira l’effet de la note moyenne du groupe de TD sur la réussite de l’étudiant i. Il se peut qu’un étudiant faisant partie d’un groupe qui a une bonne note moyenne redouble d’effort pour ne pas être trop distancé parses camarades de TD. Cet effet psychologique se manifestera dans ce cas par un ? positif. Il est à noter que dans ce modèle, cet effet est identique pour tous les individus du groupe : une augmentation de la note moyenne du groupe aura le même effet, que l’étudiant soit bon ou pas. equation im3 désigne la moyenne (hors individu i) des caractéristiques exogènes du groupe. Cet effet est qualifié, en référence au caractère exogène des caractéristiques x, d’effet de pairs exogène. Si l’on pense à l’aptitude scolaire des étudiants, être dans un groupe qui a une bonne capacité moyenne peut m’être bénéfique car les bons éléments pourront m’expliquer ce que je n’ai pas compris, ou ils pousseront l’enseignant à faire un cours de meilleure qualité, par exemple en posant des questions intéressantes. z rassemble les caractéristiques communes à tous les membres du groupegg. Dans le cas des effets de pairs dans l’éducation, il s’agira le plus souvent d’un effet école ou enseignant. Cet effet est qualifié d’effet de pairs corrélé. uigest un choc i.i.d. En terme de politique publique, il est important de faire la distinction entre ces trois types d’effets de pairs. Une politique publique s’appuyant sur les effets exogènes, visant une certaine catégorie d’individus, n’aurait pas uniquement un effet sur le public cible, mais sur tout le groupe en raison des effets endogènes. C’est ce qu’on appelle le multiplicateur social.

13Pour compléter le modèle on suppose que les x et les z sont indépendantes du résidu, et que ce dernier, d’espérance nulle et de variance ?2u, est identiquement indépendamment distribué. Notons enfin que ce modèle est également linéaire enequation im4, ce qui est restrictif dans la mesure où l’augmentation de la qualité moyenne du groupe aura le même impact sur tous les membres du groupe. Il est possible de différencier les effets en rajoutant le croisement de equation im5 et xigdans le modèle. L’hypothèse d’homogénéité des effets de pairs exogènes devient ainsi testable.

3.2. Le problème de la réflexion

14Le problème de la réflexion est un problème d’identification fondamental de ce modèle. Il traduit l’idée selon laquelle si l’on constate une corrélation (par exemple positive) entre le résultat de l’individu i et la moyenne de son groupe, il est impossible de savoir si c’est l’individu qui affecte le groupe, ou si c’est le groupe qui affecte le résultat de l’individu. Il en est de même si deux individus face à face font exactement les mêmes mouvements : il est impossible de savoir lequel d’entre eux imite l’autre, d’où l’idée du problème de la réflexion. En termes économétriques ce problème se traduit par l’endogénéité du résultat moyen dans le modèle (1). On peut pour le voir calculer equation im6Pour cela il suffit, après avoir remarqué queequation im7, de montrer que

15equation im8 (si ? ? 1), et d’en déduire que :

equation im9
E (y? ig uig) = (1 ? ?) (?ng? 1 + ?) ?2u[2]

16Le paramètre ?, l’effet endogène, est donc intrinsèquement non identifié dans ce modèle. Dans le cadre de ce modèle il faut donc se résoudre à estimer une forme réduite qui mêle effet endogène et effet exogène. En remplaçantequation im10 par sa valeur, on trouve que la forme réduite s’écrit :

equation im11
yig= c + x? ig ? ? + xig ? ? + zg ? ? + vig[3]

17avec

equation im12
c? = ng? 1 + ?[c+ (ng? 1) (1 ? ?) c]
ng? 1 ng ?
ng?1 [? (?+?)]
?? =ng?1+? ?+ 1??
? ? = ng? 1 + ?[? + (ng? 1) (1 ? ?)]
ng ? 1 ? (? + ?)
? ? = ng? 1 + ? [? + (ng? 1) (1 ??) ?]
ng? 1 ng ?
vig= ng? 1 + ?[uig+ (ng? 1) (1 ? ?) ug]
ng? 1 ng ?

18Remarquons que les résidus de cette forme réduite ne sont plus homos-cédastiques. Il faut donc être attentifs à proposer des estimations robustes. Notons enfin que parfois il est possible d’identifier séparément effets endogènes et exogènes. C’est notamment le cas lorsqu’il existe suffisamment de variation dans la taille des groupes (Davezies et al. [2009]), ou lorsqu’il est possible de décrire structurellement le réseau social dans lequel apparaissent les interactions (Bramoullé et al. [2009] et Calvo-Armengol et al.[2008]). Dans la suite de cette section, l’effet endogène n’apparaîtra plus dans le modèle, on ne considérera que sa forme réduite.

3.3. Variable omise et sélection endogène dans les groupes

19Supposons maintenant qu’il existe une variable cigdans la liste des x que l’économètre n’observe pas. Cette variable peut être par exemple l’aptitude scolaire inobservée. Le modèle s’écrit alors :

equation im13
yig= c + x? ig ?+ xig ?+ zg ? + uig[4]

20avecequation im14. On suppose que la variable c est corrélée avec les x, ce qu’on peut modéliser par cig= µxig+ vigavec µ ? 0. On suppose quex et c sont indépendantes de v, que les v sont indépendants de v, et enfin quev et v sont i.i.d. On suppose de plus que les individus utilisent la variable cigpour se sélectionner dans les groupes (ou que l’institution l’utilise pour organiser les groupes), ce qui s’écrit E (cig cjg) = ? ? 0, ?i ? j. Il existe ainsi une variable omise corrélée avec les variables exogènes, et sur laquelle est basée la sélection dans les groupes. Cette structure est-elle de nature à biaiser certains coefficients ? Pour le voir, après avoir calculé que sous les hypothèses retenues equation im15 et ?j ? kequation im16on montre que :

equation im17
E (xig uig) = ?+ ??2x µ
E(x?ig uig) = (?nngg?? 21 + ?2)+ n?g2?12x µ

21On voit ainsi que xiget equation im18sont endogènes dans le modèle (4) avec variable omise et sélection endogène. La forme de ces covariances montre que plus µ et ? sont grands plus xigetequation im19 sont endogènes. Lorsqu’il existe une variable omise (µ ? 0) mais qu’il n’y a pas de sélection endogèneequation im20 reste endogène, mais lorsque la taille du groupe est suffisamment grande equation im21devient exogène. Par contre, même avec des groupes de grande taille, equation im22 reste endogène. Comme dans le cas sans sélection endogène xiget x? ig sont indépendants, le biais associé à xigne se transmettra pas àequation im23 Ainsi, lorsqu’il existe une variable omise sans sélection endogène, les effets de pairs sont asymptotiquement sans biais. Par contre, en présence de sélection endogène, les effets de pairs sont biaisés : il n’est pas possible de savoir si la corrélation (par exemple positive) observée entre yiget equation im24est réellement due à l’effet du groupe ou si elle traduit simplement l’existence d’une sélection endogène dans les groupes (pour des raisons inobservées les bons étudiants se regroupent entre eux).

4. Résultats empiriques

22Le travail qui a propulsé le thème des effets de pairs dans l’éducation sur les devants de la scène est le Coleman Report [1966]. Ce rapport conclut à des effets de pairs massifs. Quelques études ont suivi, comme Henderson et al. [1978], Summers and Wolfe [1977] ou Evans et al. [1992]. On sait cependant aujourd’hui que ces travaux pionniers sont sujets aux biais décrits dans la section 3. On se concentrera donc sur les résultats des articles plusrécents. On présentera les résultats en regroupant les travaux selon la stratégie d’identification adoptée.

4.1. Les expériences naturelles

4.1.1. Transferts de population

23Pour étudier les effets de pairs, cette série de travaux se base sur des mouvements exogènes de population qui modifient la composition des groupes. Ces mouvements proviennent de politique publique de déségrégation (Angrist et Lang [2004] et Hoxby et Weingarth [2005]) ou sont la conséquence d’ouragans (Imberman et al. [2009]). Dans tous les cas, les auteurs trouvent des instruments crédibles pour prendre en compte une éventuelle sélection endogène dans les groupes.

24Depuis 1955, à la suite d’une décision de la Cour Suprême, les États-Unis se sont engagés dans un vaste processus de déségrégation, qui vise entre autres à mixer les origines ethniques au sein des écoles. De nombreux programmes ont depuis été implémentés. Le busing visait, par exemple, à emmener en bus les enfants issus de minorités dans des écoles de quartiers beaucoup plus aisés. Le programme « Metropolitan Council for Educational Opportunity » (Metco) s’inscrit dans cette ligne. C’est un programme important par sa taille et sa durée. Ainsi, durant l’année scolaire 2000/2001, 3200 élèves du district de Boston ont étudié dans 32 districts de la banlieue de Boston. Les opposants à ce genre de programme redoutaient d’éventuelles externalités négatives dues à l’afflux d’élèves en difficulté. Qu’en a-t-il été ? Angrist et Lang [2004] ont étudié cette question, en comparant les résultats d’étudiants non-metco plus ou moins affectés par l’arrivée d’étudiants metco. Des biais pourraient être présents. En effet, les proviseurs pourraient affecter les élèves metco dans des classes de plus petite taille ou les entourer des meilleurs élèves non-metco. Pour prendre en compte ces biais potentiels, les auteurs utilisent la règle de Maimonides (Angrist et Lavy [1999]) comme instrument, et en concluent que les élèves metco ont très peu affecté leurs homologues non-metco.

25Dans la même veine, le Wake County est passé d’une politique de réaffectation basée sur l’origine ethnique avant 2000 à une politique basée sur le revenu familial depuis 2000. Ce changement a donné lieu à des modifications dans la composition des classes (environ 5 % de la population chaque année). Hoxby et Weingarth [2005] ont utilisé cette expérience naturelle pour étudier la présence et la forme des effets de pairs au sein des classes. En utilisant des effets fixes individuels et en instrumentant les réallocations au moyen de variables simulées, les auteurs trouvent des effets de pairs significatifs et non-linéaires, dans le sens où l’ensemble des élèves bénéficient de la présence des meilleurs d’entre eux. De manière importante, ils montrent qu’une fois les effets de pairs dus à l’aptitude pris en compte, il n’existe plus d’effets de pairs relatifs à la composition ethnique ou salariale des classes.

26Dans un autre registre, les ouragans Katrina et Rita ont forcé en 2005 beaucoup d’enfants à se déplacer dans le Sud-Est des États-Unis, et ce de manière manifestement exogène. Imberman et al. [2009] utilisent cette expérience naturelle en analysant les données tirées de Houston et de Louisiana. Si, en raison du chaos, l’affectation dans les écoles et les classes est probablement exogène dans l’immédiat après-ouragan, les familles déplacées ont pu se sélectionner de manière endogène dans certaines écoles au bout de quelques mois. Les auteurs utilisent alors la part relative des évacués dans le groupe juste après l’ouragan pour instrumenter cette même part au moment où sont évalués les élèves. Les résultats montrent que l’afflux d’évacués a modérément diminué les résultats des tests de mathématiques à Houston. Les auteurs trouvent des effets de pairs significatifs et hautement non-linéaires : les résultats des élèves augmentent lorsqu’ils sont entourés de bons étudiants et diminuent avec de moins bons élèves.

4.1.2. Variations exogènes intra-école

27En tant que décision familiale, le choix d’une école est le plus souvent endogène. Au sein d’une école, la répartition des élèves dans les classes est une décision stratégique de la part des décideurs. Les équipes dirigeantes peuvent décider par exemple de faire des groupes de niveau, ou affecter les meilleurs enseignants aux meilleurs ou aux moins bons groupes. La répartition des élèves dans les classes est donc également potentiellement endogène. Par contre, lorsque l’on se fixe une école, et que l’on s’intéresse à l’ensemble des classes d’un niveau spécifique (les classes de troisième de l’école X), il est souvent raisonnable de penser que d’une année sur l’autre, les variations observées dans les caractéristiques de ce groupe ne proviennent ni de choix familiaux ni de décisions stratégiques des écoles. Cette variation peut donc être considérée comme exogène et peut être utilisée pour fournir des estimations sans biais des effets de pairs.

Effets de pairs liés à l’aptitude

28Le premier papier à avoir utilisé cette stratégie d’identification est Hoxby [2001], qui étudie l’impact de la composition des classes en termes de genre, d’origine ethnique et d’aptitude. Son idée est que si le pourcentage de garçons a varié entre la génération qui était en sixième en 1997 dans l’école X, et celle qui était en sixième en 1998 dans la même école, cette variation peut-être considérée comme exogène. En utilisant des données issues d’écoles primaires de l’État du Texas, et en incluant des effets fixes écoles/ niveau/année, l’auteur trouve des effets de pairs significatifs, modérés et linéaires.

29Lavy et al. [2009a] adoptent la même stratégie, mais s’intéressent aux effets de pairs liés à l’aptitude. Pour cela ils utilisent des données administratives issues du collège et du lycée en Israel. Ils définissent un élève de faible aptitude par son statut de redoublant et comparent des cohortes adjacentes selon leur pourcentage de redoublants. Ils trouvent que les élèves faibles, et en particulier les plus faibles d’entre eux, ont un impact négatif sur les élèves d’aptitude moyenne.

30Hanushek et al. [2003] suivent leurs cohortes dans le temps, et prennent comme mesure des pairs le résultat des élèves l’année précédente. En incluant des effets fixes individuels et école/niveau, ils peuvent faire des comparaisons entre classes de la même école et du même niveau. Ils trouvent des effets de pairs significatifs et positifs. Dans leurs données, l’ensemble des élèves bénéficient de la présence de bons éléments dans leur groupe, mais la variance de la qualité de la classe ne semble pas avoir d’impact.

31Arcidiacono et Nicholson [2005] étudient les effets de pairs sur la réussite et le choix de spécialité dans les facultés de médecine aux États-Unis. A nouveau, ils incluent des effets fixes facultés pour prendre en compte la sélection endogène des étudiants dans les facultés. Les effets de pairs estimés sont faibles ou nuls, que ce soit concernant la réussite ou le choix de spécialité.

Effets de pairs liés au comportement

32Carell et al. [2008] utilisent les données des académies de l’armée de terre, de l’armée de l’air et de la marine aux États-Unis. Chacune de ces académies comprend pour chaque cohorte environ 4 200 étudiants. Ils s’intéressent à la probabilité de tricher aux examens. Ils utilisent pour cela une enquête dans laquelle les anciens étudiants déclarent s’ils ont triché au lycée et s’ils ont triché dans l’académie militaire. En incluant des effets fixes école, les auteurs trouvent des effets importants : selon les spécifications, un étudiant supplémentaire qui a triché au lycée entraîne environ 0,5 tricheurs supplémentaires à l’Université. Les non-linéarités sont testées et montrent que les effets de pairs sont plus importants pour les étudiants du quartile d’aptitude académique le plus faible.

33Carell et Hoekstra [2010] utilisent des données issues de l’école primaire dans un comté de Floride. Ils tentent de mettre à jour un éventuel effet négatif dû à la présence des moins bons élèves. Ils étudient pour cela l’effet de la proportion de pairs qui subissent des violences domestiques. En incluant des effets fixes école/niveau, ils trouvent des effets importants. Plus précisément, l’arrivée dans une classe de 20 d’un élève troublé supplémentaire réduit la note en lecture et en maths de 0,69 points de pourcentiles et augmente de 17 % l’indiscipline.

4.1.3. Affectation aléatoire

Dans les chambres du campus universitaire

34Dans certaines universités américaines, l’affectation des étudiants dans les chambres du campus peut-être considérée comme aléatoire. Ceci donne l’opportunité d’étudier la présence d’effets de pairs entre compagnons de chambrée. Sacerdote [2001], Zimmerman [2003] et Foster [2006] ont respectivement analysé les données du Dartmouth College, du Williams College et de l’Université du Maryland. Ces trois articles trouvent des effets de pairs significatifs mais d’amplitude tout au plus modérée, et non robustes.

35Stinebrickner et Stinebrickner [2006] cherchent à comprendre ce résultat relativement négatif avec les données du Berea College. Grâce à leurenquête originale, ils montrent que les coturnes passent beaucoup de temps ensemble, mais qu’ils ne sont pas nécessairement amis. De plus, ils ne passent en moyenne que 20 minutes par jour ensemble à interagir scolairement. D’où l’idée que les compagnons de chambrée ne sont peut-être pas les pairs les plus pertinents lorsque l’on s’intéresse au travail de groupe. Par contre ils montrent que les habitudes d’effort et les anticipations sur le futur peuvent avoir un impact important sur celles des coturnes. Ils pensent donc que les variables corrélées à l’emploi du temps du compagnon de chambrée peuvent être pertinentes pour l’étude des effets de pairs. Lorsqu’ils utilisent des variables similaires à celles des travaux précédemment cités, les effets de pairs sont non significatifs. Par contre, avec une variable corrélée à l’emploi du temps, ils trouvent des effets significatifs pour les étudiantes, mais pas pour les étudiants. Ces effets sont de plus non linéaires, les bons ayant un effet positif et les moins bons un effet négatif. Ils montrent ainsi que des effets de pairs existent, et qu’ils s’expliquent plus par le rôle de modèle du compagnon de chambrée que par une éventuelle entraide scolaire. Autrement dit, les effets de pairs modifieraient plus les préférences que les dotations initiales.

36Les travaux précédents étudient l’impact des effets de pairs sur la note moyenne à la fin de la première année universitaire. Brunello et al. [2010] testent l’hypothèse selon laquelle les effets de pairs varient selon les matières, ce qui est rendu possible par le fait qu’à l’Université de Calabria en Italie, les étudiants choisissent une filière (sciences dures, sciences humaines et sciences sociales) dès la première année. En utilisant l’affectation aléatoire dans les campus, ils montrent que les effets de pairs sont importants dans les sciences dures et beaucoup moins dans les autres filières. Ceci pourrait être une autre source d’explication des faibles effets estimés dans les premiers travaux, qui mélangent les matières en étudiant la note moyenne à la fin de l’année.

37Pour finir avec les campus universitaires, Kremer et Levy [2008] étudient l’effet de la quantité d’alcool consommée par le compagnon de chambrée au lycée. Ils trouvent un effet négatif sur les résultats à l’Université. Par contre ils ne trouvent pas d’effet significatif de la qualité académique passée des pairs sur la réussite. En outre, les étudiants les plus faibles sont les plus sensibles à ces effets négatifs.

Dans les classes ou dans les écoles

38Prolongeant l’idée de Stinebrickner et Stinebrickner [2006] selon laquelle les compagnons de chambrée passent peu de temps à travailler ensemble, Carell et al. [2009] et Lyle [2007] étudient les effets de pairs dans les classes de la US Air Force Academy et de la US Military Academy respectivement. Les étudiants de la même classe passent en effet un temps considérable ensemble et interagissent potentiellement plus scolairement qu’avec leur compagnon de chambrée. A la US Air Force Academy, les effets de pairs entre compagnons de chambrée sont inexistants, alors que l’effet de l’escadron est important, beaucoup plus en mathématiques qu’en éducation physique ou qu’en langue étrangère. De plus, les étudiants les moins bons semblent plus bénéficier des effets de pairs que les autres. Concernant la US Military Academy, Lyle [2007] montre que les effets de pairs sont très faiblessur la réussite des étudiants, mais sont importants sur le choix de filière et sur la décision d’abandonner l’armée.

39Ammermueller et Pischke [2006] utilisent le projet PIRLS (Progress in International Reading Literacy Study) pour étudier les effets de pairs relatifs à la lecture dans les écoles primaires de six pays européens. Leur stratégie d’identification consiste à utiliser le fait que dans de nombreux pays, les classes sont formées aléatoirement dans les écoles primaires. Ils comparent ainsi des classes de la même école et du même niveau, en ayant pris soin de contrôler d’un effet fixe école. En prenant comme mesure de qualité le nombre de livres à la maison, ils trouvent des effets de pairs significativement positifs, relativement larges, mais ne détectent pas d’effets non-linéaires.

40Kang [2007] utilise des données issues du collège en Corée du Sud durant les années 90. Il utilise l’affectation quasi-aléatoire des élèves dans les écoles, au sein de chaque district, et au sein des classes de la même école. Il trouve des effets positifs du résultat moyen de la classe en mathématiques. Des régressions de quantile montrent que les élèves les moins bons ont un impact négatif sur les élèves les moins bons alors que les meilleurs ont un impact positif sur les meilleurs.

4.2. Les expérimentations aléatoires

41Duflo et al. [2010] étudient l’impact du tracking, c’est-à-dire regrouper dans les mêmes classes des élèves de même niveau. D’un côté des classes plus homogènes pourraient favoriser les pratiques pédagogiques des enseignants et donc améliorer les résultats des élèves ; d’un autre côté si des effets de pairs existent, les moins bons élèves subiront une perte s’ils ne se retrouvent qu’entre eux. Lorsque l’on compare des écoles qui font des groupes de niveau et celles qui n’en font pas, la difficulté réside dans le fait qu’à la fois les enseignants et les élèves sont des populations différentes entre ces deux types d’école. Pour surmonter ces problèmes, Duflo et al. [2008] analysent les résultats d’une expérimentation au Kénya. 120 écoles qui n’avaient qu’une classe de CP en 2005 reçurent des fonds pour engager un nouvel enseignant. 60 écoles tirées au hasard firent des groupes de niveau et les 60 autres allouèrent aléatoirement les élèves dans les deux classes. Les résultats montrent que les élèves ont mieux réussi dans les classes de niveau, et ce quelque soit leur niveau initial. Enfin, les 60 autres écoles pour lesquelles les groupes sont formés aléatoirement permettent d’étudier la présence d’effets de pairs : la moyenne du groupe a un impact positif, mais pas sa variance.

42L’objectif du projet STAR est d’étudier l’impact de la taille des classes. Comparer les résultats d’élèves dans des classes de différentes tailles est toujours problématique dans la mesure où les élèves et les enseignants peuvent être affectés de manière endogène dans des classes de différente taille. Ainsi le projet STAR a aléatoirement affecté des élèves dans des classes de taille différente (13-17 ou 22-25). 79 écoles et 11600 élèves ont pris part à cette expérimentation, qui a montré que la réduction de la taille desclasses était un instrument puissant pour améliorer les résultats des élèves. Grâce à l’affectation aléatoire dans les groupes, cette expérimentation a également été utilisée pour étudier la présence d’effets de pairs. Boozer et Cacciola [2001] ont ainsi montré qu’il existait dans ces données des effets de pairs (liés à la qualité des élèves) significatifs et relativement larges. Whit-more [2005] a trouvé que les classes dans lesquelles les filles sont plus représentées réussissent mieux, et ce pas uniquement car les filles ont en moyenne une meilleure aptitude scolaire que les garçons.

4.3. Les autres stratégies d’identification

43Lefgren [2004] adopte une stratégie à variable instrumentale pour étudier les effets de pairs en classe de sixième à Chicago. Pour obtenir de la variation, l’auteur compare des écoles qui font des groupes de niveau et des écoles qui n’en font pas. En plus d’inclure des effets fixes écoles pour contrôler la sélection dans les écoles, l’auteur propose d’instrumenter la qualité moyenne de la classe par le processus de détermination des groupes de niveau par les administrations. Les effets estimés sont faibles. Dans la même veine, Ding et Lehrer [2007] étudient les écoles du secondaire en Chine. Ils profitent du fait que l’affectation des enfants dans les écoles se fait principalement sur la base de tests observables par les économètres. Les auteurs peuvent donc contrôler la sélection et ainsi éviter tout problème d’endogénéité dû à la sélection sur inobsevable dans les groupes. En considérant que le groupe de pairs pertinent est l’école, ils montrent qu’une augmentation de un pourcent de la qualité des pairs du groupe est équivalente à une augmentation de 8-15 % de l’effet des résultats passés sur les résultats présents. Ils montrent que les meilleurs élèves bénéficient plus des effets de pairs que les moins bons élèves.

44Figlio [2007] adopte également une stratégie par variable instrumentale pour étudier l’impact des élèves perturbateurs sur le résultat des pairs dans les classes de sixième d’un district de Floride. Pour mesurer le caractère perturbateur d’un élève les données contiennent des informations sur les exclusions. Et l’idée est d’utiliser le fait que les garçons qui portent des prénoms féminins se mettent plus que les autres à mal se comporter à partir du collège, hypothèse que les données de l’auteur supporte. Il propose ainsi d’utiliser le nom féminin comme instrument du comportement perturbateur des élèves. L’auteur trouve des résultats significatifs et de grande amplitude, et ne trouve pas de non linéarités.

45Cipollone et Rosolia [2007] utilisent des différences de différences. Ils étudient l’influence de la réussite des garçons sur celle des filles. Pour cela ils utilisent comme expérience naturelle un tremblement de terre survenu au sud de l’Italie en 1980. En raison de ce tremblement de terre, certaines cohortes de garçons de cette région ont été exemptées de service militaire obligatoire. Pour ces cohortes, ceci a eu pour conséquence de modifier de manière exogène la probabilité de réussite d’un garçon. Il s’agit alors de comparer les taux de réussite des filles dans des villes plus ou moins affectées par les exemptions dues au tremblement de terre et d’utiliser la dimension temporelle pour éliminer les tendances communes aux filles de différentes régions. Les estimations suggèrent qu’une augmentation d’un point de pourcentage de garçons obtenant le baccalauréat augmente celui des filles entre 0,7 et 0,8 points.

46De giorgi et al. [2010] étudient le choix de filière à l’Université Bocconi en Italie. Ils proposent d’utiliser le fait que les groupes se recouvrent partiellement pour identifier tous les paramètres d’un modèle linéaire en moyenne classique, y compris l’effet endogène. L’intuition de leur stratégie d’identification est la suivante. Le problème de la réflexion est un cas particulier de biais de simultanéité. Le recouvrement partiel des groupes donnent des relations d’exclusion qui permettent de prendre en compte ce problème et ainsi d’identifier l’effet endogène. De plus, pour prendre en compte le biais du à la potentielle présence d’effets corrélés, ils proposent d’instrumenter l’effet endogène par les caractéristiques exogènes moyennes des pairs exclus. L’application montre que les effets de pairs sont importants : avoir dans son groupe un camarade moyen supplémentaire augmente la probabilité de choisir la même filière que lui de 7,4 points de pourcentage.

47Enfin, Lavy et al. [2009b] étudient en classe de troisième au Royaume Uni les effets de pairs liés à l’aptitude. Les auteurs, observant plusieurs matières et un test passé pour chacune de ces matières, disposent de variation au sein du même groupe, mais dans des matières différentes. En incluant des effets fixes école et élève, ils trouvent des effets modérés et non-linéaires. L’augmentation d’un écart-type de la qualité moyenne de l’école augmente la note de l’élève d’environ 0,2 écarts-type. Ils montrent que ces résultats sont principalement dus à l’effet des 5 % les meilleurs (qui ont un effet positif) et les 5 % les moins bons (qui ont un effet négatif).

4.4. Les effets de pairs liés au quartier

48Jusqu’à maintenant, les interactions sociales considérées se déroulent au sein de la classe, de l’école, ou du campus universitaire. Cependant des interactions importantes pour l’éducation peuvent exister en dehors du cadre scolaire. C’est en particulier le cas des effets de quartier. Ce thème méritant une revue de littérature à lui tout seul, nous nous contenterons de donner deux exemples de travaux récents, l’un aux États-Unis et l’autre en France.

49Pour étudier les effets de voisinage, Kling et al. [2007] utilisent une expérience randomisée de grande ampleur dans laquelle des aides financières ont été proposées à des foyers habitant dans des zones de grande pauvreté, tirés au hasard, pour déménager dans des zones moins pauvres. Le tirage aléatoire permet de prendre en compte le potentiel biais de sélection dû à la sélection endogène des foyers dans les zones d’habitation. Il s’agit du programme Moving To Opportunity (MTO) qui a eu lieu dans cinq villes des États-Unis, Baltimore, Boston, Chicago, Los Angeles et New York. L’échantillon comporte 4248 ménages assignés au programme entre 1994 et 1997. Les données, collectées en 2002, permettent de recueillir des informations concernant les caractéristiques économiques, la santé mentale, la santé physique, les comportements à risque et l’éducation. Concernant l’éducation, cette expérience a eu des effets importants, positifs sur les jeunes filles, et de manière surprenante négatifs sur les jeunes hommes. De plus, Sanbonmatsu et al. [2006] ne trouvent pas d’effet significatif pour les enfants âgés entre 6 et 10 ans sur leurs résultats scolaires en lecture, mathématiques ou concernant les problèmes comportementaux.

50Sur données françaises, Goux et Maurin [2007] prennent en compte l’endogénéité du choix de résidence en utilisant deux stratégies d’identification, et profitent de la structure de l’Enquête Emploi française pour définir des voisinages proches, d’environ 20 ou 30 ménages. La première stratégie consiste à instrumenter l’éducation des pairs par la date de naissance ; cette stratégie par variable instrumentale montre qu’une augmentation d’un écart-type de la proportion de pairs qui ont déjà redoublé une classe augmente de 10 à 15 % la probabilité individuelle de redoublement. La deuxième stratégie profite de l’allocation aléatoire des foyers à faible revenu dans le parc HLM. Les résultats détectent à nouveau des effets de pairs importants.

4.5. Discussion

51Les résultats des articles précédemment cités sont très hétérogènes. La forme des effets de pairs, et même leur existence, ne sont pas claires à la première lecture. Cette hétérogénéité peut provenir de plusieurs facteurs, comme la stratégie d’identification, la taille du groupe, le pays considéré, le niveau considéré, ou encore la variable utilisée pour mesurer les effets de pairs. Malgré un nombre insuffisant de papiers, nous proposons dans cette section une ébauche de méta-analyse.

L’existence des effets de pairs

52La ligne de fracture la plus significative est certainement celle qui sépare les articles qui ont cherché des effets de pairs relatifs à l’aptitude des élèves (modification des dotations initiales) et ceux qui ont recherché des interactions comportementales (modification des préférences). Les papiers du second type trouvent presque systématiquement des effets significatifs et importants. C’est le cas, dans les chambres du campus universitaire, de Kremer et Levy [2008], Lyle (2007), Carell et al. [2008] et Stinebrickner et Stinebrickner [2006] respectivement sur l’effet de l’alcool, les attitudes et les croyances passées concernant l’armée, la tricherie et le temps passé à étudier du compagon de chambrée. C’est également le cas de Carell et Hoekstra [2010] avec les violences domestiques, Imberman et al. [2009] avec l’effet des évacués de Katrina sur l’absentéisme et la discipline, de Figlio [2007] sur l’effet des élèves perturbateurs et de Ammermueller et Pischke [2006] qui mesurent, par le nombre de livres à la maison, le goût pour la lecture des camarades. Seuls Arcidiacono et al. [2005] ne trouvent pas d’effet concernant le choix de filière, ce qui peut être expliqué par la taille importante des groupes (la faculté de médecine).

53Concernant les articles qui recherchent des effets liés à l’aptitude, mesurée par une note prédéterminée, les résultats varient. Dans le primaire et le secondaire, les travaux qui mesurent les effets au niveau de la classe trouvent en général des effets plus importants que ceux qui se placent au niveau de l’école ou de l’ensemble des classes d’un même niveau dans une école. A l’Université, les résultats sont plus probants dans la classe qu’entre les compagnons de chambrée. Dans la mesure ou même le groupe d’amis ne semble pas avoir de rôle à jouer (Foster [2006]), il apparaît donc que dans le cadre de l’institution scolaire, le niveau le plus pertinent pour détecter des effets de pairs est la classe.

54Ces résultats montrent que lorsque les caractéristiques des pairs sont mesurées de manière pertinente et observées au bon niveau, les effets de pairs sont significatifs, et d’amplitude modérée ou importante. Ceci atteste de l’existence des effets de pairs et milite pour leur prise en compte minutieuse dans les politiques publiques éducatives.

La non-linéarité des effets de pairs

55Au-delà de l’existence, la forme des effets de pairs est cruciale du point de vue des politiques publiques. Si par exemple les effets sont purement linéaires, alors toute modification de la composition des groupes n’aurait qu’un effet redistributif, créant des gagnants et des perdants mais pas de gain d’efficacité moyen. Si au contraire des non-linéarités existent il peut exister une allocation optimale des élèves dans les groupes.

56Le résultat qui ressort avec le plus de clarté est l’effet négatif des moins bons élèves et l’effet positif des meilleurs. C’est en effet ce que trouvent au primaire ou au secondaire Imberman et al. [2009], Carell et Hoekstra [2010] et Kang [2007]. Lavy et al. [2009b] précisent que cet effet est principalement du aux 5 % les meilleurs et aux 5 % les moins bons. La question de savoir s’il faut mixer ou non les élèves dans les groupes n’est donc pas triviale. Entourer les moins bons des meilleurs est bénéfique pour les premiers mais a un impact négatif sur les seconds. Il faut donc trouver le juste équilibre.

5. Conclusion

57Les effets de pairs sont au coeur des politiques publiques éducatives qui conduisent à une modification de la composition des groupes. Il est donc crucial de tester la présence et la forme de ces effets. Les travaux empiriques récents ont mis à jours des effets significatifs, et d’autant plus importants qu’ils traduisaient des modifications de comportement et qu’ils étaient mesurés au niveau de la classe. De plus, l’étude des non-linéarités tend à montrer que les effets moyens observés reflètent l’effet positif des meilleurs élèves et l’effet négatif des moins bons.

58Les pistes de recherche futures sont nombreuses. Tout d’abord, il faut continuer l’étude détaillée des non-linéarités afin de déterminer si l’un des deux effets l’emporte, car ceci a des conséquences importantes sur l’étudede la mixité sociale. Ensuite, afin de pouvoir formuler des recommandations de politique publique, il faut absolument passer à l’étape de l’étude des mécanismes sous-jacents aux formes réduites estimées jusqu’à maintenant. Dans les estimations liées à l’aptitude par exemple, il est en effet impossible à ce stade de distinguer l’entraide entre élèves d’un modèle de socialisation collective.

59Ainsi, les effets de pairs doivent être pris très au sérieux par les décideurs publics, et être manipulés avec précaution. Cependant, leur amplitude invite à penser qu’une politique éducative ne saurait être basée exclusivement sur ce levier. Il ne faut donc par exemple pas s’attendre à ce que l’ouverture de la carte scolaire réduise à elle seule les inégalités scolaires. Les effets de pairs doivent être un des piliers d’une politique éducative ambitieuse qui s’appuie également sur la manipulation de la taille des classes, l’affectation des enseignants, des ressources et l’ensemble des acteurs du système.

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