Notes
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[1]
Professeur à l’Université d’Orléans. Email : Jean-Paul.Pollin@univ-orleans.fr
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[2]
Cette volonté est explicitement affirmée en introduction (p. 13) du Bulletin Mensuel que la Banque Centrale Européenne a consacré à son 10e anniversaire. Le chapitre 6 de ce numéro porte précisément sur l’intégration financière. Rappelons par ailleurs, que l’Eurosystème se définit comme l’ensemble constitué de la BCE et des Banques Centrales nationales des pays de la zone euro.
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[3]
La première directive européenne sur le secteur bancaire date de 1977 : elle visait à harmoniser les normes relatives à la solvabilité, la liquidité et les contrôles internes. En 1989 une directive a édicté le principe de la « licence bancaire unique », une seconde a transposé au niveau européen les dispositions de l’Accord de Bâle I sur la réglementation des fonds propres. Le FSAP a débouché notamment en 2004 sur la directive MiFID (Markets in Financial Instruments Directive) créant un « passeport européen » qui permet aux institutions financières d’offrir des produits et services financiers dans tous les Etats membres, dès lors qu’elles ont été habilitées à le faire dans leur propre pays.
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[4]
On peut, en effet, montrer que plus l’impact d’une variation des taux directeurs de la Banque Centrale est différencié, et plus la politique monétaire doit être peu réactive, dès lors qu’elle prend en compte les écarts de conjoncture entre pays membres de la zone. Ce phénomène est analogue au « principe de conservatisme » de Brainard [1967]. Cf. la démonstration et l’illustration de Penot et Pollin [2001].
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[5]
On trouvera une description plus détaillée de ces actions dans BCE [2006a], dans le Bulletin Mensuel de la BCE publié à l’occasion de son 10e anniversaire, ainsi que dans les rapports annuels consacrés à l’intégration financière : « Financial Integration in Europe » [2007, 2008, 2009].
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[6]
Cf. par exemple Kalemli-Ozcan et al. [2009].
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[7]
Cf. Financial Integration in Europe [2007, 2008, 2009] ; cf. aussi Baele et al. [2008].
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[8]
Giovannini [2008] explique que le cœur du fonctionnement des marchés de titres se situe dans les systèmes de compensation et de règlement (l’environnement « post marché »). Or ceux-ci sont fragmentés en un ensemble de standards, conventions, régulations… qui freine l’intégration de ces marchés. Les propositions faites par le groupe que présidait Giovannini pour le compte de la Commission Européenne ont été selon lui peu suivies d’effet parce qu’elles se heurtent à l’opposition des acteurs en place, qui disposent de positions de monopole.
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[9]
Cf. en ce sens Adjaouté et Danthine [2008].
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[10]
Cf. Sander et Kleimeier [2004] ; Sorensen et Werner [2006] ; Gropp et al. [2007].
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[11]
Cecchetti [1999], dans le prolongement du courant « Law and Finance » considère que la diversité des régimes juridiques dans la zone euro rendra très difficile l’intégration financière et donc l’exercice de la politique monétaire.
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[12]
Ces différences dans les taux d’intérêt bancaires peuvent aussi avoir des explications qui n’ont rien à voir avec l’intégration. Elles peuvent, en effet, provenir de différences dans les caractéristiques des emprunteurs (par exemple la taille ou la structure financière des firmes) ou le caractère plus ou moins risqué de leur investissement (par exemple les prix plus ou moins volatils de l’immobilier). Affinito et Farabullini [2009] cherchent à répondre à cette objection en prenant en compte les différences nationales dans les conditions de demande et d’offre de crédit. Cela conduit à réduire significativement les écarts de taux observés, surtout pour les types de crédit sur lesquels les demandeurs disposent d’un rapport de force plus favorable. En appliquant la même méthodologie aux taux des crédits hypothécaires Sorensen et Lichtenberger [2007] mettent aussi en évidence des différences significatives entre pays, explicables par la fiscalité, les conditions de garantie et le rapport du crédit accordé à la valeur du bien. Gropp et Kashyap [2008] considèrent, quant à eux, qu’une meilleure mesure de l’intégration consiste à analyser l’éventuelle convergence des rentabilités entre banques. Ils montrent qu’il y a effectivement rapprochement des rentabilités pour les banques européennes cotées (par un alignement sur les plus profitables). En revanche, les rentabilités des banques non cotées ne convergent pas, notamment du fait des particularités des banques mutualistes et des caisses d’épargne.
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[13]
En 2008 le rachat d’ABN-AMRO par un consortium de 3 banques européennes a accru sensiblement le montant des opérations transfrontières. Et il se peut que la crise financière ouvre des opportunités de consolidation, à l’instar du rachat de FORTIS par BNP. Mais il est trop tôt pour dire si ces opérations de circonstance constitueront le point de départ d’un mouvement durable de concentration bancaire dans la zone euro.
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[14]
Ce point est en partie développé dans un des « spécial features » du chapitre 2 de la BCE [2007]. On y trouvera aussi des statistiques qui complètent celles qui viennent d’être données.
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[15]
Cette volonté de passer de l’intégration au développement et à l’efficience des systèmes financiers était déjà évoquée dans le rapport de mars 2007 sur l’intégration financière. Le rapport d’avril 2009 prend explicitement en compte ces nouveaux indicateurs. Entre temps la BCE avait publié des travaux sur cette question. Cf. Hartmann et al. [2007].
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[16]
En réalité, on peut faire valoir que ces deux processus sont aussi substituables dans la mesure où les demandeurs de capitaux sont susceptibles de se financier à l’extérieur de leur pays si les conditions y sont plus favorables et si l’intégration financière le rend possible. De plus, l’existence éventuelle d’économies d’échelle et d’agglomération peut induire une spécialisation de certains pays dans les activités financières. Dans ce cas on assisterait à un creusement des inégalités dans le développement financier des différents pays. Cf. en ce sens Guiso et al. [2004] ainsi que les discussions de cette contribution par Ph. Martin et P.O. Gourinchas.
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[17]
Le rapport 2009 de la BCE sur l’intégration financière en Europe retient 5 indicateurs : la taille des marchés financiers (telle que définie précédemment, c’est-à-dire en intégrant les crédits bancaires), le marché des billets de trésorerie (commercial paper), le marché des obligations corporate, le contenu en information du marché des actions (la désynchronisation entre les évolutions individuelles des cours et celles des indices de marché), le financement par capital-risque. C’est peu dire que l’efficience est vue principalement comme le développement de la finance de marché.
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[18]
Une partie de ces indicateurs est issue des rapports « Doing Business » publiés régulièrement par Banque Mondiale.
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[19]
Bulletin Mensuel « 10e anniversaire de la BCE », p. 109.
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[20]
Cf. Hartmann et al. [2007], p. 21-24.
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[21]
On rejoint ici aussi la position libérale qui considère qu’il n’y a plus de débat possible sur le modèle de gouvernance qui doit s’imposer. Hansmann et Kraakman [2003] parlent, à ce propos, de « fin de l’Histoire ».
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[22]
Cf. en particulier l’introduction de l’ouvrage édité par Hall et Soskice [2001]. Pollin et Vaubourg [2006] proposent une analyse en composantes principales de 23 variables institutionnelles portant sur 16 pays développés, principalement européens. Le premier axe de l’ACP (33 % de la variance) oppose les variables représentatives des systèmes financiers de marché (forte capitalisation, faible concentration du capital…) aux variables représentatives d’une forte régulation des marchés du travail et des liens (pouvoir des syndicats, lourdeur des procédures pour la création d’une firme…).
Pagano et Volpin [2005] font, quant à eux, ressortir une corrélation négative entre la protection de l’emploi et celle des actionnaires, ce qui va dans le même sens. -
[23]
Gatti et Vaubourg [2009] étudient l’effet sur le taux de change de l’interaction entre systèmes financiers et régulation du marché du travail sur un échantillon de 18 pays de l’OCDE. Elles montrent qu’un système de finance directe est favorable à l’emploi lorsque la régulation du marché du travail et la coordination salariale sont faibles. Un système intermédié est plus approprié dans le cas contraire.
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[24]
Cf. le survey de Lafontaine et Slade [2007].
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[25]
Si l’on accepte de regarder au-delà des frontières de l’Union européenne, le modèle japonais constitue à vrai dire un exemple encore plus typique comme les travaux de M. Aoki l’ont montré. Cf. en particulier Aoki [2006].
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[26]
Ces variables sont le « formalisme juridique » (censé mesurer le poids des procédures qui freinent le développement financier), la protection des investisseurs (le respect des droits des actionnaires minoritaires) la répression des délits d’initiés, le niveau de concurrence dans le secteur bancaire et la part du secteur public dans le capital bancaire.
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[27]
Vitols [2001] montre que les différences de gouvernance d’entreprise entre l’Allemagne et le Royaume-Uni ont conduit à des choix de spécialisation dissemblables dans deux secteurs qu’il a plus particulièrement étudiés (la finance et la chimie-pharmacie). Mais ces choix n’aboutissent nullement à des écarts de compétitivité. On peut dire, au contraire, que chaque pays s’est spécialisé en fonction de son avantage comparatif institutionnel ». Et il n’apparaît aucune tendance à la convergence de l’un des systèmes vers l’autre.
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[28]
Cf. Mayer [2002].
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[29]
Amable [2005] distingue trois systèmes de protection sociale : celui des économies libérales, celui des économies « corporatistes conservatrices », et celui des économies social-démocrates. Il range l’Allemagne, la France… dans la seconde catégorie, et les pays d’Europe du Nord dans la troisième. A l’exception de la Finlande, ces économies social-démocrates sont restées à l’extérieur de la zone euro.
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[30]
Ainsi Hall et Soskice [2001] distinguent entre les économies libérales de marché et les économies de marché coordonnées. Amable [2003] distingue 5 types de capitalismes également stables et dont les performances sont comparables.
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[31]
Les lois sur les faillites fournissent un bon exemple de ces différences. Ces lois propres à chaque pays reposent effectivement sur un arbitrage entre les intérêts des créditeurs, des salariés, des actionnaires… Or, il n’y a pas a priori de solution optimale en ce domaine. Rien ne montre que la loi la plus restrictive, qui protège le mieux les intérêts des créditeurs, permet une maximisation de la somme des intérêts particuliers.
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[32]
L’un des objectifs de l’ouvrage de Hancke et al. (ed) [2007] est précisément de corriger ce possible travers.
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[33]
Cf. en particulier O’Sullivan [2003], Hacketal et al. [2005], Vitols [2005], Goyer [2006], Carlin [2008], Georgen et al. [2008]. En revanche, Pesin et Strassel [2006] développent dans leur ouvrage un point de vue différent : ils intitulent un de leurs chapitres « le crépuscule du capitalisme rhénan ».
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[34]
On débat, depuis assez longtemps, sur le point de savoir si les banques allemandes ont joué un rôle actif dans la gouvernance des entreprises. En particulier Edwards et Fisher [1994] se sont efforcés de montrer que ce n’était pas le cas : pour eux les banques se sont toujours gardées d’intervenir dans les décisions stratégiques. Mais de notre point de vue, cette question n’est pas essentielle. Ce qui compte le plus, en l’occurrence, n’est pas que les banques aient été impliquées dans les décisions, mais plutôt qu’elles aient contribué à protéger les contrats implicites entre les différentes parties prenantes des entreprises. C’est-à-dire qu’elles aient pu les soustraite à la dictature des marchés et des critères de rentabilité à court terme.
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[35]
Cf. Goyer [2007].
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[36]
Cf. Boutillier et Bricongne [2006].
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[37]
C’est du moins la thèse développée par Goyer [2007].
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[38]
C. Picart [2008] montre d’une part que les flux d’emploi en France sont nettement moins importants qu’aux Etats-Unis. D’autre part, les rotations (excès des flux de main d’œuvre sur les emplois) apparaissent plutôt comme le résultat d’un dualisme du marché du travail (elles sont concentrées sur certains secteurs) que comme le produit d’un processus de destruction créatrice
1. Introduction
1 Depuis sa création l’Eurosystème a retenu comme l’un de ses objectifs principaux de favoriser l’intégration financière européenne [2]. Plus précisément, cet objectif est défini comme le fait de permettre à tous les agents de la zone d’avoir un égal accès aux mêmes instruments et services financiers. Ce qui n’est finalement qu’une application de l’idée de « Marché unique » ; et la position de l’Eurosystème sur ce point ne fait, du reste, que prolonger et appuyer celle de la Commission Européenne, dont les nombreuses directives en ce domaine (notamment celles issues du Plan d’action pour les services financiers (PASF) de 1999) ont aussi pour ambition d’agir pour la constitution d’un espace financier concurrentiel soumis à des règles communes [3].
2 Mais au-delà de l’évocation du principe de concurrence, l’intérêt de l’Eurosystème pour l’intégration financière s’explique par plusieurs autres bonnes raisons. D’abord, parce que l’unification des systèmes financiers doit assurer une meilleure diffusion et un impact plus homogène des impulsions de politique monétaire dans les différents pays partenaires. La BCE pourra manier d’autant plus facilement ses taux directeurs qu’ils seront répercutés de façon assez semblable (donc, sans trop de distorsions) dans toutes les économies de la zone [4]. Ce qui suppose que le fonctionnement des institutions et des marchés financiers soit aussi proche que possible d’un pays à l’autre. De plus, la possibilité de transferts de capitaux entre régions, fait partie, comme on le sait, des critères de définition d’une zone monétaire optimale : en présence de chocs asymétriques ou de réactions asymétriques à de mêmes chocs, ces transferts permettent de maintenir la stabilité de la zone en l’absence d’ajustements de parités et de politiques monétaires différenciées. Enfin, l’intégration financière assure, en principe, une meilleure allocation des capitaux et une meilleure répartition des risques au sein de la zone. Ce qui favorise la croissance et la stabilité du système économique, et donc améliore les conditions d’arbitrage entre inflation et croissance. L’accomplissement des missions de la Banque Centrale s’en trouve ainsi facilitée.
3 L’objectif étant précisé, l’Eurosystème contribue à l’intégration financière à travers trois types d’actions [5].
- d’une part, il participe, au moins à titre de conseil, à la construction d’un cadre législatif et réglementaire favorable à l’unification des marchés bancaires et financiers. En particulier, il a œuvré pour une meilleure application de la directive sur les services financiers, pour la rédaction des obstacles aux opérations de fusions-absorptions transfrontières entre institutions financières, pour le renforcement des accords de surveillance entre pays, pour la rationalisation de la surveillance des groupes transfrontières… La crise financière actuelle a d’ailleurs mis en évidence les insuffisances de la coordination entre superviseurs nationaux. De sorte que, l’Eurosystème verra son rôle renforcé à l’avenir dans ce domaine.
- d’autre part, il accompagne les initiatives du secteur privé en faveur de l’intégration. La BCE a ainsi contribué à la coordination des intervenants de marché pour le développement du projet STEP (Short Term European Paper) qui a permis la mise en place d’un marché paneuropéen de titres à court terme. Elle a également fourni son appui à la constitution du système européen de paiement (SEPA) qui doit conduire, à compter de novembre 2009, à la mise en place d’un marché intégré des paiements de détail.
- enfin, l’Eurosystème a développé des infrastructures permettant d’assurer les paiements de montant élevé (système TARGET) ainsi que la mobilisation transfrontière des actifs offerts en garantie (le dispositif CCBM qui permet le transfert de garanties entre pays). Ces différents systèmes ont participé à l’intégration des marchés monétaires en rationalisant et en unifiant les conditions de règlements et la gestion de la liquidité des établissements de crédit. Ils devraient être complétés à l’avenir par des initiatives visant à réduire la fragmentation des systèmes de règlements-livraison sur les valeurs mobilières.
5 Il est difficile de dire quel a été l’impact effectif de ces actions de l’Eurosystème sur l’intégration financière. Car plusieurs effets se sont conjugués durant la période de transition vers l’euro et après sa mise en place. De fait, la convergence législative, réglementaire et institutionnelle s’est accompagnée d’une réduction du risque de change et d’un développement des échanges commerciaux qui ont aussi favorisé les relations financières entre pays membres de la zone. L’incidence respective de ces phénomènes connexes est difficile à démêler et il s’agit d’ailleurs d’une question secondaire pour notre propos [6].
6 Quoiqu’il en soit, l’intégration financière, au sens retenu par l’Eurosystème, a sans doute progressé au cours de ces dix dernières années. Et l’objectif de cet article est de montrer que cette évolution soulève au moins autant de problèmes qu’elle est censée en résoudre. Pour cela nous allons d’abord montrer que cette intégration ne conduit pas à une homogénéisation des comportements et des systèmes financiers dans les pays de la zone. Nous tenterons ensuite d’expliquer comment la diversité qui persiste provient de modèles économiques dissemblables. Enfin, on se demandera quel peut être l’impact des politiques d’intégration sur l’évolution de ces modèles et dans quelle mesure (sous quelles conditions) elles sont capables de favoriser la convergence.
2. De la mesure de l’intégration aux préceptes de développement financier
2.1. La mesure de l’intégration financière
7 En plus des actions, que nous venons d’évoquer, pour stimuler l’intégration financière, la BCE a construit une batterie d’indicateurs pour en mesurer l’évolution. L’exercice est révélateur de la conception de l’intégration que s’est donné l’Eurosystème et des objectifs qu’il poursuit en ce domaine. Les statistiques retenues sont publiées chaque année dans un rapport consacré spécifiquement à cette question [7]. Pour l’essentiel, la BCE suit l’évolution de deux types d’indicateurs concernant quatre principaux marchés (monétaire, obligataire, d’actions et bancaire) :
- les indicateurs fondés sur les prix mesurent les écarts de taux (ou de cours) et leurs évolutions sur des titres ou des crédits comparables entre pays : par exemple, le niveau et les variations de l’écart type des taux d’intérêt sur les obligations d’Etat ou sur les crédits à la consommation. Ou, de façon un peu plus sophistiquée, on estime la dépendance des prix, des rendements des titres ou des taux de crédits aux effets propres à chaque pays. Puisque sur des marchés intégrés la réaction des prix d’actifs à des variables nationales devrait se trouver réduite, tandis que la sensibilité aux variables relatives à l’ensemble de la zone devrait augmenter.
- les indicateurs fondés sur les quantités cherchent quant à eux à apprécier la diversification des portefeuilles (des agents non financiers ou des institutions financières) sur l’ensemble de la zone. C’est-à-dire que l’on mesure la part des titres (des marchés monétaires, obligataires ou d’actions) émis dans un des pays de la zone et détenus par des résidents d’un des autres pays partenaires.
9 A ces indicateurs s’ajoutent des observations sur l’intégration des structures de marchés (les systèmes de transactions, de règlements et de conservations des titres…) et sur les implantations bancaires ou les opérations de fusions-acquisitions entre établissements financiers au sein de la zone [8].
10 Au total, ces différentes statistiques parviennent à des constats très proches et conformes à ce que l’intuition laissait attendre :
- logiquement les marchés monétaires sont bien intégrés et des progrès en ce sens ont été régulièrement réalisés depuis la mise en place de l’euro. Il s’agit en effet de marchés de gros dans lesquels l’Eurosystème tient une place déterminante et où tout a été fait pour assurer une homogénéité des conditions d’échange et de détermination des prix. Cette forte intégration se retrouve également sur les marchés obligataires. L’introduction de l’euro a, en effet, décloisonné les marchés de dettes publiques et a incité les états à homogénéiser les caractéristiques de leurs dettes ainsi que les pratiques de leurs émissions. Cela a rendu ces titres plus facilement substituables, ce qui a profité au marché qui a connu, à la fois, une forte croissance du volume d’émissions (ce qui s’explique par l’élargissement transfrontière de l’ensemble des emprunteurs et investisseurs) et une réduction de « l’effet pays » dans la formation des rendements.
- comparativement l’intégration des marchés d’actions parait moins avancée et semble avoir moins progressé. La part des actions, émises dans un pays de la zone euro et détenue par des résidents d’un autre pays partenaire s’est accrue d’environ 20 % entre 1997 et 2007, mais les portefeuilles restent encore constitués en majorité de titres émis dans le pays de résidence. Ce qui montre que le « biais domestique » est encore bien présent. D’autre part, les avantages de la diversification au niveau des pays de la zone semblent régresser du fait d’une corrélation croissante entre indices nationaux. La diversification serait devenue plus profitable entre secteurs plutôt qu’entre pays de la zone euro. Toutefois ce résultat mérite d’être pris avec prudence et la crise financière récente l’a peut être remis en cause [9].
- mais c’est surtout au niveau de la banque de détail que l’intégration financière est la plus en retard. Les conditions de crédit, pour des prêts comparables, sont sensiblement différentes et ne tendent pas à se rapprocher. Divers travaux ont d’ailleurs montré que la répercussion des taux monétaires sur les taux des crédits s’opère de façon très inégale d’un pays à l’autre, ce qui pose, on l’a déjà dit, un sérieux problème pour l’efficacité de la politique monétaire européenne [10]. Il y a à cela de nombreuses explications possibles. Ce peut être dû à des différences entre systèmes juridiques qui impliquent des protections inégales des droits des créditeurs (donc des niveaux de risque différents pour des prêts de même nature) [11]. Ce peut être aussi le résultat d’écarts d’efficience des systèmes bancaires, des structures de marché dissemblables, des formes particulières de relations de clientèle, des différences historiques et culturelles dans les pratiques bancaires…. [12]. En tout état de cause, il semble que la concurrence pour l’offre de services financiers progresse difficilement. Les implantations d’institutions financières (tout spécialement d’établissements de crédit) sont restées, jusqu’ici très limitées et n’ont guère progressé au cours de ces dernières années [13].
2.2. De l’intégration des marchés à celle des comportements ?
12 Au total, l’intégration financière, telle que définie par l’Eurosystème, a progressé de façon bien différente selon les marchés, et il se trouve que celui qui est resté le plus en retard (la banque de détail) est probablement celui qui est le plus important du point de vue de la transmission de la politique monétaire. Mais au regard des objectifs de la BCE le problème ne s’arrête pas là, car ce qui importe c’est la convergence des comportements financiers des agents. En particulier, pour que l’impact des impulsions monétaires soit suffisamment homogène, il faut aussi que les structures de financement et de placement soient assez proches entre les économies de la zone. Or le fait que les marchés soient intégrés, que tous les agents aient accès aux divers produits et services financiers, à des conditions identiques, ne suffit pas à garantir cette convergence des structures et des comportements financiers. Et de ce point de vue, l’hétérogénéité dans la zone euro est encore très forte. On peut en donner quelques brefs éléments descriptifs :
- la structure des portefeuilles des ménages est bien différente d’un pays à l’autre. Les actifs immobiliers par rapport à l’ensemble de la richesse est de l’ordre de 70 % en Espagne contre 40 % aux Pays-Bas. La part de la richesse financière détenue sous forme de liquidités est de 20 % aux Pays Bas, contre 40 % en Allemagne ou en Espagne et 56 % en Autriche. En revanche, la proportion des réserves techniques d’assurance est forte aux Pays Bas (55 %), tandis qu’elle est faible en Belgique, en Grèce et en Italie. Les placements en actions sont élevés en Espagne (40 % de la richesse financière), alors qu’elle est faible aux Pays-Bas et en Allemagne (un peu plus de 20 %).
- les structures de financement des entreprises sont également hétérogènes entre les pays de la zone. En particulier le financement par fonds propres est relativement élevé (de l’ordre de 60 % des passifs) en France, en Finlande et en Grèce, alors qu’il n’est que de 40 % en Autriche et de 50 % en Allemagne, Espagne, Italie et Pays-Bas. Au contraire, la proportion de prêts bancaires est de l’ordre de 45 % en Autiche, de 35 % en Belgique, Allemagne et Pays-Bas et seulement de 20 % en France.
14 Toutes ces observations tendent à montrer que l’incidence de la politique monétaire européenne ne peut être homogène dans l’ensemble de la zone : étant donné les grandes différences de situations et de comportements financiers, la sensibilité aux taux d’intérêt de la demande des ménages et des entreprises ne peut être la même d’un pays à l’autre [14]. Du point de vue de l’efficacité de la transmission des décisions de politique monétaire, on ne peut s’arrêter à l’intégration financière, telle que définie par l’Eurosystème. C’est en réalité vers la convergence des systèmes financiers nationaux qu’il faudrait aller.
15 Pour cette raison sans doute, la BCE a été amenée assez vite à glisser de ses observations, et recommandations sur l’intégration à une analyse et des jugements sur l’efficience des systèmes financiers [15]. Tout en reconnaissant que l’intégration et le développement financiers sont des processus distincts (il peut y avoir rapprochement entre les systèmes sans que cela garantisse leur efficacité), elle affirme qu’ils sont complémentaires, parce que l’effacement des frontières doit logiquement stimuler la concurrence entre les marchés, les intermédiaires et les régulateurs financiers et améliorer ainsi les conditions d’offre de fonds prêtables [16]. Ce qui justifie éventuellement une analyse conjointe de ces deux processus. Mais on peut alors se demander si l’Eurosystème ne franchit pas les limites de ses compétences dans la mesure où cette question ne concerne pas directement la politique monétaire ni même la stabilité financière stricto sensu. La BCE pénètre d’ailleurs sur ce terrain avec prudence en invoquant l’agenda de Lisbonne ainsi qu’une sollicitation de l’ECOFIN en 2006, lui demandant de surveiller et d’évaluer les caractéristiques institutionnelles susceptibles de nuire à l’efficience des services financiers. Par ailleurs, la Banque affirme que cette efficience est de nature à conforter, ou faciliter, sa fonction de régulation, en améliorant la croissance potentielle des économies de la zone. Enfin, la BCE n’envisage pas de s’impliquer dans l’optimisation des systèmes financiers, affirmant explicitement que leur construction doit être principalement induite par le marché (ou par le jeu décentralisé des acteurs). Conformément à la doctrine des autorités européennes en ce domaine, elle considère que sa mission n’est pas de définir et d’imposer des institutions applicables à tous, mais plutôt de mettre en place un cadre législatif et réglementaire permettant aux agents économiques (assistés éventuellement par les administrations publiques) de les construire. L’efficience résulte alors de la mise en concurrence des solutions décentralisées.
2.3. Une conception contestable du développement financier
16 Pourtant, en dépit de toutes ces précautions, les indicateurs retenus par l’Eurosystème pour juger du développement financier sont bien loin d’être neutres :
- en eux-mêmes les indicateurs de taille du système financier ne posent pas de problèmes de fond, mais ne sont guère significatifs au regard du problème posé. On observera, cependant, que la mesure du marché des capitaux (capitalisation boursière + obligations + crédits bancaires) rapporté au PIB n’a guère de signification dans certains pays, tels que le Luxembourg, la Suisse ou encore l’Irlande. De plus, cet indicateur peut être mal interprété lorsque l’on est en présence d’une bulle boursière ou d’une évolution anarchique des crédits (comme ce fut le cas dans la période récente notamment pour les pays anglo-saxons). L’exubérance des marchés ou le surendettement des agents ne doit quand même pas être confondu avec une augmentation de l’efficience financière. Qui plus est, les indicateurs de taille choisis donnent l’impression de privilégier les financements de marché par rapport aux financements intermédiés [17]. Enfin l’intérêt manifesté pour la titrisation, comme indicateur d’efficience, est pour le moins maladroit.
- cependant, les autres indicateurs retenus par la BCE, à la suite des travaux de Hartmann et al. [2007] sont beaucoup plus discutables. Ils s’appuient exclusivement sur l’abondante littérature issue du courant « Law and Finance », initiée à l’université de Chicago, puis parrainée et diffusée par la Banque Mondiale. Or, ces travaux ont été à l’origine de vives polémiques et suspectés de parti pris doctrinal. Leurs fondements tiennent en quelques propositions simples et maintenant bien connues : le développement financier dans une économie est fonction de la protection dont disposent les apporteurs de capitaux, de la concurrence entre institutions financières et plus généralement de la liberté économique et de l’intégrité des administrations. Pour améliorer l’efficience des systèmes financiers (et en conséquence la croissance économique) il faut donc agir pour renforcer les garanties dont disposent les créditeurs, protéger les droits des actionnaires minoritaires, veiller à ce que les entreprises diffusent des informations aussi riches et fiables que possible, favoriser l’entrée de nouvelles institutions sur les marchés des services financiers, faire en sorte que la règlementation prudentielle n’interfère pas avec le libre jeu des marchés… Et les indicateurs retenus par la BCE ne font que reprendre cette vision purement libérale du bon fonctionnement des systèmes financiers. Les propositions de Hartmann et al [2007] reprises en partie dans le rapport 2008 sur l’intégration financière en Europe, considèrent notamment l’efficacité juridique (le temps de règlement des conflits) le droit des créditeurs et des actionnaires, la concentration bancaire, l’actionnariat public dans les établissements de crédit, le poids de la discipline de marché dans la régulation bancaire… [18]. Et l’on retrouve ainsi les thèmes habituels et les conclusions des auteurs du courant « Law and Finance ». La BCE donne l’impression d’adhérer sans nuance à cette littérature pourtant très controversée.
18 En définitive, le choix des indicateurs de la BCE revient à prendre pour modèle le système financier anglo-saxon. D’ailleurs, on lit dans le bulletin mensuel consacré au 10e anniversaire de la Banque : « Par rapport au groupe des pays de référence, le système financier de la zone euro soutient en moyenne la comparaison tout en se situant en retrait par rapport au Royaume-Uni et aux Etats-Unis qui réalisent de très bons résultats pour la plupart des indicateurs » [19]. Il est difficile de mieux dire. En l’occurrence, la BCE affiche ouvertement une préférence qui la fait clairement sortir de ses compétences et qui apparaît, aujourd’hui, peu avisée.
19 C’est d’autant plus étrange que cette position est en porte à faux par rapport aux conceptions qui prévalent en ce domaine dans certains pays de la zone euro, et ont à ce titre une vraie légitimité politique. Cela apparaît notamment à propos de la gouvernance des entreprises : les écrits de la BCE semblent la réduire au seul problème du conflit potentiel entre actionnaires minoritaires et dirigeants [20]. Comme si l’objectif de l’entreprise ne pouvait être que de maximiser la valeur actionnariale [21]. En conséquence, les questions traitées concernent la protection des actionnaires contre les « insiders » et le point de savoir si la concentration de l’actionnariat est préférable à sa dispersion. Sans surprise on conclut qu’un actionnariat dispersé et composé d’investisseurs institutionnels serait bénéfique au système financier européen. Or cette proposition est en contradiction avec la situation qui prévaut dans la quasi-totalité des pays européens et même dans la très grande majorité des pays développés, à l’exception du Royaume-Uni et dans une moindre mesure des Etats-Unis. Plus encore, cette conception de la gouvernance s’oppose aux principes prévalant en Europe Continentale qui ont toujours invoqué « l’intérêt général » de l’entreprise et les droits de l’ensemble des « parties prenantes » (stakeholders), au delà de l’intérêt et des droits des actionnaires (shareholders).
20 Partant de préoccupations parfaitement légitimes sur l’intégration financière, et au terme d’analyses qui se voulaient purement techniques, la BCE en vient à exprimer des propositions pour une architecture des systèmes financiers qui reposent sur des préférences socio-politiques manifestes et qui de surcroit contredisent les fondements des modèles économiques d’une partie des économies dominantes de la zone (on pense, en particulier, au fameux « modèle rhénan »). Comment et au nom de quoi en est-on arrivé là ?
21 En fait, l’Eurosystème raisonne comme si les différences entre systèmes financiers de la zone étaient le résultat d’une inefficience partielle ou d’un développement financier insuffisant. Il considère donc que la solution pour parvenir à une plus grande homogénéité des systèmes financiers consiste tout simplement à les rapprocher du modèle anglo-saxon pris comme référence. Ce qui conduirait, comme on vient de le voir, à renforcer le poids des apporteurs de capitaux dans la gouvernance des entreprises, à promouvoir un actionnariat plus dispersé dans lequel les fonds de placement prendraient une plus grande place, à élargir la place des marchés et des institutions de capital-risque…
22 On doit reconnaître à cette thèse le mérite de la cohérence par rapport au parti pris libéral qui inspire l’Eurosystème. Mais elle est à la fois politiquement contestable et théoriquement infondée, car :
- il n’est pas vrai qu’il existe une architecture financière optimale. L’efficience d’un système financier ne s’évalue pas en fonction de ses seules caractéristiques mais surtout, à la façon dont il s’articule avec les institutions, les règles, les contrats… qui structurent le jeu de l’ensemble des acteurs d’une économie. En d’autres termes, l’efficience doit se juger en considérant les interdépendances qui lient entre elles les différentes composantes de l’organisation institutionnelle d’un système économique.
- il n’est pas vrai, non plus, que le fait de soumettre des systèmes financiers hétérogènes à des normes ou des incitations communes ait le pouvoir de les faire converger. Parce que les parties d’un ensemble cohérent ne peuvent évoluer indépendamment les unes des autres. Au pire on prend le risque, en agissant ainsi, de déstabiliser cet ensemble. Au mieux, les systèmes soumis aux mêmes impulsions peuvent sauvegarder leur stabilité par des solutions individuelles qui aggravent leurs divergences.
24 Ce sont précisément ces deux points que nous souhaitons maintenant développer. Ils ne sont pas spécifiques à l’intégration européenne, mais ils y trouvent un terrain d’application qui nous semble très pertinent.
3. Efficience des systèmes financiers et complémentarités institutionnelles
25 La fonction d’un système financier n’est pas seulement de mobiliser de l’épargne pour l’acheminer vers des investissements supposés productifs. Il est aussi d’orienter et de contrôler les décisions des utilisateurs de capitaux. Les deux missions sont évidemment liées parce que la collecte des fonds prêtables nécessite que l’on s’assure de leur emploi, ce qui implique notamment que l’on résolve le classique problème d’asymétrie d’information entre offreurs et demandeurs de capitaux.
26 L’expérience montre qu’il n’est guère possible de construire une typologie robuste des systèmes financiers, en se fondant sur des critères formels ou institutionnels. En particulier, l’opposition souvent faite entre les systèmes à orientation bancaire (« bank oriented ») et ceux où prédominent les marchés « market oriented ») est aujourd’hui dépassée : parce que la frontière est devenue floue entre les activités traditionnelles des établissements de crédit et celles de marchés. Mais il faut ajouter que le comportement des banques est différent selon le contexte dans lequel elles évoluent (la structure du marché du crédit, l’environnement comptable et réglementaire…) : la banque de relation ne joue pas le même rôle qu’une « banque à l’acte ». Il en est de même pour les intermédiaires financiers en tout genre : assurance, fonds de pension, fonds d’investissement… Enfin, le fonctionnement et l’incidence des marchés financiers peuvent également être bien différents selon le type de produits traités, les instruments, la concentration du capital… Il n’est donc pas pertinent de caractériser et d’évaluer un système financier en ces termes, c’est-à-dire en se limitant à décrire ses composantes et le poids qu’elles occupent.
27 En revanche, il existe une distinction analytiquement bien fondée entre deux formes de contrôle des utilisateurs de capitaux (ici des entreprises) :
- la première repose sur des relations de proximité entre les demandeurs et apporteurs de capitaux. Elle utilise des informations acquises directement auprès de l’emprunteur : il s’agit donc d’informations privées qui mélangent des observations quantifiées et des appréciations plus qualitatives (« soft information ») obtenues dans le cadre d’une relation durable. Le contrôle s’opère, quant à lui, par intervention directe sur les décisions de l’entreprise (par l’intermédiaire de clauses particulières, arrêts des financements, vote du conseil d’administration…). Ce type de relation concerne les crédits bancaires traditionnels (par des banques de relation) mais aussi les interventions en fonds propres de sociétés de capital-risque (qui sont des intermédiaires financiers) ou encore les apports d’actionnaires majoritaires (qui exercent en principe un contrôle direct sur les dirigeants) :
- la seconde repose, au contraire, sur une rencontre ponctuelle sur un marché entre les demandeurs et les apporteurs de capitaux. Elle utilise des informations diffusées publiquement (par documents comptables, évaluations d’analystes financiers ou agences de notation…) et donc accessibles à tous les investisseurs potentiels. Le contrôle s’exerce par les prix des titres émis, dont les évolutions sanctionnent et orientent les décisions de la firme. Les investisseurs, n’ayant pas la possibilité d’intervenir directement sur ces décisions, agissent en achetant ou vendant les titres (en « votant avec leurs pieds »), ce qui est d’autant plus facile que le marché est liquide. Ce type de relation concerne évidemment les financements de marché, c’est-à-dire les actions cotées, du moins celles qui sont détenues par un actionnariat dispersé, mais aussi les obligations, les billets de trésorerie. On peut y ajouter les financements accordés par les banques à l’acte, non pas que celles-ci exercent leur contrôle par des signaux de prix, mais parce qu’elles nouent des relations ponctuelles, pour une durée définie et sur la base d’informations quantifiables (scoring, par exemple).
29 Le recours à l’une ou l’autre de ces formes de contrôle se justifie de différentes manières. Notamment parce que les coûts de production et de diffusion de l’information peuvent rendre trop couteuse ou, au contraire, plus avantageuse l’une des solutions : par exemple, le recours au marché est prohibitif pour les financements de faible montant. Toutefois, ce qui oppose le plus clairement ces deux types de relations entre offreurs et demandeurs de capitaux c’est la façon dont elles s’inscrivent dans le temps et dont elles l’utilisent. Il serait sans doute excessif d’affirmer que les marchés ne gardent aucune mémoire des transactions passées, car les phénomènes de réputation, qui sont des traces de jeux passés, interviennent bel et bien dans les conditions de financement. Mais il reste que leur logique de fonctionnement (la recherche de la liquidité et l’anonymat des co-échangistes) interdit effectivement certains engagements durables. Tandis que le propre des intermédiaires financiers, mais aussi des investisseurs de long terme (en particulier les détenteurs de blocs de contrôle), est précisément d’instaurer et de préserver des relations de long terme avec les entreprises. Cela permet de résoudre des problèmes d’asymétrie d’information dans le cadre de contrats à plusieurs périodes, et aussi de lisser dans le temps les conditions de financement.
30 Dès lors, le type de contrôle exercé gouverne la façon dont l’entreprise développe sa stratégie et prend ses décisions dans le temps, c’est-à-dire l’horizon de ses investissements, la flexibilité de ses plans de production, ses réactions à la conjoncture. Il existe donc une interaction entre les relations financières et le modèle d’entreprise ; au-delà ces relations sont en interdépendance avec les divers aspects de l’organisation économique et sociale. Mais rien ne permet de dire que l’une, l’autre ou une combinaison particulière des deux formes de contrôle est a priori préférable. Car leur efficience est contingente au contexte institutionnel dans lequel elles existent. Et c’est bien pourquoi la conception du courant « Law and Finance », reprise dans les écrits de la BCE, parait tellement réductrice. Il est, en effet, caricatural de ramener l’efficience d’un système financier à la qualité de la protection offerte aux apporteurs de capitaux, et en définitive à la nature du régime juridique qui la rend possible. Parce que les contrats financiers ne sont qu’une partie de l’ensemble des engagements (explicites ou non) qui lient entre eux les agents économiques. L’évaluation que l’on en fait doit donc tenir compte de la façon dont ils s’y insèrent.
31 Cette idée est un des éléments constitutifs des travaux sur la « diversité des capitalismes » qui parlent à ce propos de « complémentarités institutionnelles ». Sans reprendre ou chercher à résumer ces contributions, nous allons brièvement analyser les interdépendances possibles entre les systèmes financiers et les autres dimensions institutionnelles des modèles économiques et sociaux. Ce qui permettra de relativiser la croyance en un système financier optimal.
3.1. Systèmes financiers et protection de l’emploi
32 Plusieurs études ont mis en évidence l’existence, au niveau des économies développées, d’une corrélation négative entre la capitalisation boursière (plus généralement le poids des marchés financiers) et la protection de l’emploi [22]. Ainsi s’opposent les économies anglo-saxonnes (Royaume-Uni, Etats-Unis, Canada) aux économies d’Europe Continentale (Allemagne, Autriche, Italie). Cette observation est très instructive et s’explique assez bien dans la mesure où l’horizon plus court du contrôle par le marché implique des ajustements de l’emploi plus rapides, induits par un mode de gouvernance (un modèle dit de « shareholders ») et/ou un cadre réglementaire qui s’accordent avec la logique financière. Le maintien de la rentabilité du capital, y compris à court terme, suppose une adaptation rapide de la productivité des facteurs et donc une flexibilité suffisante des emplois. Au plan macroéconomique il est plus facile de satisfaire aux contraintes de rentabilité financière lorsqu’on possède les institutions et que l’on a forgé les comportements qui permettent d’assumer le coût de la plus grande instabilité de l’économie qui en résulte. Cela nécessite un marché externe du travail assez actif pour offrir aux salariés des « options de sortie », c’est-à-dire des possibilités de reclassement qui rendent le coût de l’ajustement socialement acceptable. Cela suppose aussi que les salariés disposent de qualifications transposables et donc pas trop spécifiques aux entreprises qu’ils quittent ou qui les licencient.
33 Au contraire, un système garantissant une forte protection de l’emploi, fondé sur des relations stables entre les entreprises et leurs salariés (un modèle de « stakeholders ») se prête mal aux exigences des marchés financiers. Il présente l’avantage de favoriser l’acquisition par les salariés de connaissances et de savoir faire propres à l’entreprise. Mais en contrepartie, l’adaptation du processus de production aux chocs extérieurs se fait par transformation des emplois et des qualifications en interne, ce qui est fatalement plus lent. En conséquence, cela suppose des formes de financement qui offrent à la firme la flexibilité nécessaire pour compenser la rigidité de ses engagements vis-à-vis de ses salariés. Ce qui signifie qu’un tel système s’accorde mieux avec une concentration du capital (qui crédibilise les engagements pris), un financement plus intermédié et une proximité entre banques et entreprises (afin de lisser les conditions de financement et d’amortir les fluctuations de liquidité) [23].
3.2. Systèmes financiers et relations inter-entreprises
34 Cette argumentation se transpose naturellement aux relations inter-entreprises, dans la mesure où les fournisseurs et clients de la firme peuvent aussi être considérés, comme des « parties prenantes ». Du moins dans le cas où les différentes contributions au sein d’un même processus de production ne peuvent être réglées par des contrats complets, pas trop couteux à écrire et à faire exécuter. Les mécanismes de marché ne permettent pas alors de fixer la valeur de chaque contribution pour rendre possibles et efficients les échanges entre les entités participant à la production. C’est ce qui explique que certains stades du processus doivent être intégrés, afin de résoudre de façon interne à l’entreprise ce problème de coordination.
35 La théorie des coûts de transaction et celle des droits de propriété ont développé des arguments qui justifient ce phénomène d’intégration et expliquent les déterminants des frontières de la firme [24]. L’une et l’autre démontrent que l’intégration dans une même entité de certains stades du processus de production est préférable dans certaines circonstances. C’est-à-dire lorsque les échanges entre ces stades de production se fait à des conditions incertaines (volatiles dans le temps), lorsque certains d’entre eux posent des problèmes de contrôle, lorsqu’ils impliquent des investissements spécifiques, ou encore, lorsqu’ils nécessitent une mise en commun de ressources (dans la recherche, la conception de nouveaux produits par exemple).
36 Mais l’intégration n’est pas la seule, ni la meilleure solution pour répondre à ce problème de coordination. Parce qu’ici aussi certaines défaillances de marché peuvent être surmontées en fixant dans le temps la relation entre les firmes et/ou en rendant crédibles leurs engagements réciproques. Certains comportements opportunistes, capables de bloquer la conclusion de contrats, n’ont de sens que lorsque l’échange entre entreprises est ponctuel (un jeu à une seule période). Ils peuvent être éliminés, n’être plus profitables, lorsque la transaction se répète sur une période assez longue (lorsqu’il s’agit de jeux à plusieurs périodes). La menace de rompre la relation peut être dissuasive ; ou en sens inverse il est possible de construire dans le temps une réputation qui peut valoir engagement à ne pas exploiter un rapport de force favorable, et se substituer à un contrat explicite, difficile ou couteux à écrire.
37 Dans ces conditions, des entités distinctes peuvent accepter d’apporter des contributions spécifiques, de mettre en commun des ressources… Il suffit pour cela que se nouent entre elles des relations de long terme qui permettent de répondre à l’incomplétude des contrats. Mais cela suppose naturellement que l’horizon des firmes concernées autorise la mise en place de telles relations. Et c’est à ce niveau que se joue l’interdépendance entre l’organisation industrielle et le système de financement et de gouvernance. Car ces relations de long terme ne s’accordent qu’avec un horizon et des critères particuliers de gestion. Elles supposent un certain partage du pouvoir de décision entre les firmes qui choisissent de coopérer, et une définition des objectifs qui ne mette pas trop l’accent sur la rentabilité à court terme. Elles nécessitent donc un environnement financier qui protège le développement de collaborations durables entre firmes, c’est-à-dire à nouveau, un système de financement plus intermédié, une proximité entretenue entre instituions financières et entreprises… Le modèle rhénan offre un bon exemple d’une telle organisation industrielle couplée avec un système financier respectueux des horizons de long terme des firmes (et de leurs collaborations) [25]. Il s’oppose, ici encore, au modèle anglo-saxon.
38 Or le choix entre ces modèles n’est pas sans conséquence sur les mouvements de restructurations industrielles et ce que l’on peut en attendre. Car d’un côté, il existe une tendance à la désintégration verticale qui résulte de la réduction des coûts de transactions (plus généralement des imperfections de marché) due à l’introduction des nouvelles technologies de l’information ; sans doute aussi de la volonté de réaliser des économies d’échelle au niveau des activités ainsi désintégrées et de la recherche d’une plus grande flexibilité des conditions de production. Mais d’un autre côté cette désintégration nuit, comme on vient de le dire, à la réalisation d’investissements spécifiques. Et c’est ici que l’instauration de relations de long terme entre firmes trouve sa meilleure justification : parce qu’elle permet de surmonter cette contradiction. Mais pour cela, il faut pouvoir nouer et protéger des engagements informels sur un horizon suffisamment long. Ce qui n’est guère compatible avec la montée des financements de marché et des critères de valeur actionnariale. De sorte que le choix du modèle anglo-saxon n’est pas en l’occurrence une garantie d’efficience.
3.3. Systèmes financiers et structures des systèmes productifs
39 Il existe aussi une interdépendance assez évidente entre la structure productive (la composition de la valeur ajoutée) d’une économie et la forme de son système financier. Car les types de contrôle que nous avons évoqués sont plus ou moins adaptés aux secteurs ou aux activités auxquels ils sont susceptibles de s’appliquer. Un contrôle direct par des « insiders » (qui peuvent être des actionnaires majoritaires, des banques de relation…) est a priori plus efficient lorsqu’il concerne des activités connues, car l’information importante est alors spécifique à l’entreprise et elle est moins coûteusement acquise par une relation de proximité. Mais ce type de relation expose à des phénomènes de connivence ou de perte d’objectivité (une « capture du contrôleur ») et laisse peu de place à des divergences d’opinion lorsqu’il s’agit de faire des choix pour lesquels l’information accumulée est peu pertinente ou n’existe pas. C’est-à-dire lorsque le traitement de l’incertitude l’emporte sur la résolution des problèmes d’asymétrie d’information. Dans ce cas, le contrôle externe par les marchés (par les « outsiders ») présente l’avantage d’agréger des informations d’origines plus diverses (notamment sur l’avenir de nouvelles technologies, l’opportunité d’investissements dans de nouveaux secteurs…). De plus, les contrats conclus dans le cadre de relations « distantes » entre firmes et apporteurs de capitaux sont difficilement renégociables, ce qui rend plus strictes les contraintes de budget qu’ils incorporent, et donc plus immédiates les réallocations de ressources. Enfin, les financements de marchés facilitent les prises de risque, dans la mesure où ils offrent de meilleures possibilités de diversification.
40 En conséquence, les activités ou les systèmes productifs plus matures devraient mieux s’accorder avec un mode de contrôle direct (financement intermédié, concentration du capital et du système bancaire). Alors qu’au contraire, le « contrôle à distance » est plus approprié pour les économies ou les secteurs en recomposition, pour lesquels existe une incertitude sur la rentabilité des investissements. Dans ce cas, la réallocation rapide des capitaux, la diversification des risques sont plus importantes que la question du contrôle des dirigeants.
41 En ce sens plusieurs contributions ont cherché à mettre en relation certaines caractéristiques des systèmes financiers et la croissance (ou l’innovation, le niveau de R et D) d’entreprises ou de secteurs particuliers. Carlin et Mayer [2003] par exemple, montrent que la diffusion d’informations de qualité sur les entreprises, la concurrence dans le secteur bancaire et la concentration du capital sont favorables à la croissance des secteurs à haute qualification et dépendant de capitaux propres pour leur financement. Au-delà, d’autres travaux ont cherché à démontrer que les économies développées qui souhaitent stimuler l’innovation (qui cherchent à se situer sur la « frontière technologique ») doivent accroître le poids des marchés financiers, à la différence des économies moins avancées qui pratiquent une stratégie d’imitation. C’est d’ailleurs ce type d’argument qui a alimenté la démarche d’Hartmann et al. [2007], puisqu’elle consiste à montrer que la mobilité du capital est fonction du développement financier, lequel dépend principalement des variables juridiques dont nous avons parlé [26].
42 En poussant trop loin le raisonnement, on en vient alors à considérer qu’il existe une forme optimale de système financier pour l’ensemble des pays développés. Or cette interprétation, que nous récusons, appelle au moins trois réserves ou remarques critiques :
- il faut d’abord souligner que la compétitivité ou les performances macroéconomiques d’un pays ne dépendent pas seulement, ni principalement, d’un positionnement sur les nouvelles technologies. L’exemple de l’Allemagne montre que l’on peut être très compétitif en maintenant une spécialisation sur des productions de qualité mais utilisant des technologies de milieu de gamme [27]. Il semble qu’en l’occurrence, le modèle de gouvernance recherchant la stabilité de l’emploi et la préservation des compétences acquises ait joué un rôle important dans ce choix stratégique. Ainsi, l’évolution du système productif allemand a privilégié, à la différence des économies anglo-saxonnes, les innovations incrémentales plutôt que radicales. Mais rien ne démontre que ce soit là une stratégie de second rang.
- de même l’augmentation de la productivité n’est pas qu’une affaire de mobilité du capital et des autres facteurs de production. Pour une bonne part c’est aussi le produit d’une accumulation de connaissances et de savoir faire de la part des salariés et des fournisseurs. Or, nous avons déjà dit que ces investissements spécifiques nécessitent des engagements durables de l’entreprise vis-à-vis de toutes ses « parties prenantes », donc l’inverse de ce qu’impose l’horizon court-termiste des marchés. L’innovation n’a pas seulement besoin de flexibilité dans l’allocation des ressources, elle a aussi besoin de temps et de stabilité.
- on a d’ailleurs tiré des conclusions excessives, et en partie fausses, du développement des technologies de l’information et de la communication aux Etats-Unis. D’abord parce qu’il a été assuré bien plus par des financements de proximité (apports personnels ou de proches) ou intermédiés (institutions de capital risque) que par les marchés [28]. Ensuite, parce que l’innovation ne prend pas les mêmes formes selon les secteurs, et ce qui a pu être vrai pour les technologies de l’information et de la communication, ne se transpose pas forcément aux biotechnologies. Le temps de maturation n’est pas le même dans les deux cas, de sorte que la mobilisation du capital et son contrôle ne s’opèrent pas de la même façon.
3.4. Systèmes financiers et protection sociale
44 Dans un autre ordre d’idée, on peut dire que la forme et l’étendue de la protection sociale façonnent également le système financier. Mais ce n’est plus ici la demande de financement qui est concernée ; c’est plutôt de la structure de l’offre de capitaux dont il s’agit. Car le niveau et la composition de l’épargne diffèrent selon que les assurances sociales (chômage, santé, vieillesse) sont laissées principalement à la responsabilité individuelle ou qu’elles sont prises en charge par la collectivité. Dans la zone euro cela conduit à opposer notamment l’Irlande, les Pays-Bas, l’Espagne qui peuvent être considérés de ce point de vue, comme des économies libérales (faibles prestations publiques, pas d’objectif redistributif), à l’Allemagne, la France, l’Autriche dans lesquelles les dépenses sociales publiques sont plus développées et qui accordent plus d’importance à la solidarité [29].
45 Dans le premier cas, l’assurance se fait par souscription auprès de sociétés qui constituent des réserves principalement sous formes de titres. Un tel système a donc besoin de marchés financiers développés, puisqu’en l’absence d’une liquidité des actifs suffisante, les fonds ne pourraient investir en toute sécurité. Cela nécessite donc des normes rigoureuses de comptabilité et de diffusion de l’information, une bonne protection des apporteurs de capitaux et notamment des actionnaires minoritaires…
46 Au contraire, lorsque la couverture sociale par le secteur public est élevée, la constitution de réserves n’est pas ou est moins nécessaire : on pense, en particulier, aux régimes de retraites par répartition. Dans les pays concernés l’épargne investie sur les marchés de façon directe ou indirecte, est alors sensiblement plus faible. On observe que les placements des ménages sont composés plus largement de produits bancaires classiques, ce qui a naturellement des conséquences sur la structure de l’offre de financements générée au niveau national. L’Allemagne en est un bon exemple.
3.5. De la relativité des critères d’efficience
47 En traitant, comme on vient de le faire, des seuls rapports du système financier aux autres dimensions du système économique (en négligeant les relations de ces autres dimensions entre elles), on laisse de côté une large partie de la matrice des complémentarités institutionnelles. C’est-à-dire que l’on renonce aussi à décrire les combinaisons de toutes ces dimensions qui caractérisent les systèmes économiques et sociaux. Par là même, on renonce à comprendre ce qui fait la cohérence et la stabilité de certaines d’entre elles. Cette problématique est précisément celle de la littérature sur la variété des capitalismes. Mais nous n’entendons pas nous y engager plus avant ; on en retiendra seulement qu’il existe des configurations institutionnelles (des modèles économiques et sociaux) de formes bien différentes mais qui s’avèrent également performantes et raisonnablement stables à moyen-long terme [30].
48 Notre objectif était tout simplement de montrer qu’il n’existe pas de définition ou d’indicateurs d’efficience d’un système financier qui s’applique indistinctement à toute configuration institutionnelle. En particulier, le fait d’améliorer la protection des apporteurs de capitaux ou d’inciter à la maximisation de la valeur actionnariale ne peut être considéré en toutes circonstances, comme un facteur d’optimisation ou de développement du système financier. Car cela revient en l’occurrence à favoriser un certain partage des droits de propriété dont rien ne prouve qu’il soit a priori le meilleur. Tout contrat financier repose sur un partage variable d’une économie à l’autre entre les parties prenantes de la firme [31]. Et il serait bien naïf, ou au contraire mystificateur, d’interpréter ces différences dans le temps et l’espace comme une marque de plus ou moins grande efficience. Dans le cas de certaines architectures institutionnelles le fait de réduire les droits des salariés, d’inciter à une dispersion du capital, de faciliter les OPA... peut être contreproductif. Parce que de telles mesures sont susceptibles de remettre en cause des relations de long terme entre l’entreprise et certaines de ses parties prenantes.
49 Définir dans l’absolu les voies et les moyens du développement financier ne peut donc être neutre. Et l’on ne peut même pas s’en tirer en expliquant qu’il ne s’agit que d’améliorer le fonctionnement du système ou d’élargir la gamme des possibilités de financement ou de placement. Car le simple fait d’introduire ces nouvelles opportunités (par exemple faciliter l’entrée de nouvelles institutions, ou rendre plus aisées les OPA) est capable de déstabiliser l’organisation existante. En d’autres termes, le développement des marchés peut s’avérer contraire à la pérennité des financements intermédiés (des relations de proximité). C’est ainsi que la volonté d’intégration de l’Eurosystème se heurte à l’hétérogénéité institutionnelle des pays membres de l’Union monétaire.
4. La libéralisation financière ne garantit pas la convergence : l’exemple des cas allemand et français
50 Le fait d’insister sur la cohérence entre les différentes dimensions d’un système économique et social ne doit pas empêcher de penser ses transformations, sous l’impulsion d’une dynamique propre ou sous l’effet de chocs extérieurs. C’est une objection classique faite au courant de la diversité des capitalismes : à trop insister sur les complémentarités institutionnelles, on court le risque de ne pas comprendre la logique de ses évolutions [32].
51 De notre point de vue la question, plus étroite, qui se pose est celle de savoir comment des systèmes différents, mais a priori stables, réagissent face à des chocs communs : sous quelles conditions ils sont à même de conserver leur cohérence dans leur diversité, ou dans quels cas, au contraire, ils vont être amenés à converger. Plus précisément encore : dans quelle mesure le fait de soumettre les systèmes financiers européens à des pressions, des normes, des règles identiques va-t-il les unifier. Car il se trouve qu’ils ont tous été plus ou moins soumis à l’impact de la globalisation et à la volonté d’intégration de l’Eurosystème. Cela s’est traduit par une montée du pouvoir actionnarial qui a accru les exigences de rentabilité du capital (en les alignant sur celles des pays anglo-saxons), rapproché les règles de gouvernance (sur les droits de vote, la composition des conseils d’administration, les normes comptables…), accru la concurrence entre banques, unifié en partie les fonctionnements des marchés financiers.
52 Ces évolutions ont des causes multiples. En particulier, les phénomènes démographiques (le vieillissement de la population), ont joué un rôle essentiel dans le développement des fonds d’investissement et contribué ainsi au renforcement du pouvoir actionnarial. Mais l’internationalisation des flux de capitaux a aussi élargi les possibilités d’arbitrage des fonds et leur a permis d’imposer plus facilement leurs exigences de rentabilité. La mise en place de l’euro a naturellement participé à ce phénomène puisque nous avons vu qu’elle avait favorisé les investissements à l’étranger (réduit le « biais domestique ») des fonds d’investissement. L’élimination du risque de change, mais aussi les mesures prises en faveur de l’intégration financière a permis l’émergence de marchés plus liquides et donc plus attractifs.
53 Les systèmes financiers européens ont ainsi été soumis à de fortes pressions internes et externes capables de bousculer leur logique et leurs conditions de fonctionnement. Des pressions qui vont globalement dans le sens des préconisations de l’Eurosystème, dont le rôle a consisté à les accompagner. Il est donc intéressant d’étudier comment les différentes économies y ont réagi, et dans quelle mesure cela a favorisé la convergence recherchée. Nous allons pour cela nous concentrer sur les systèmes de financement et de gouvernance allemands et français pour lesquels on dispose de bonnes informations, et dont les évolutions ont été symptomatiques : leurs différences initiales ont généré des trajectoires dissemblables au lieu de les rapprocher.
4.1. L’Allemagne et la globalisation financière : les voies de la résistance
54 La très grande majorité des travaux consacrés aux transformations du système allemand de financement et de gouvernance considère qu’il est parvenu à s’adapter aux défis de la globalisation et de l’intégration financière européenne en préservant ses caractéristiques essentielles [33]. Le « capitalisme rhénan » constituait jusqu’ici le type même de l’économie de marché coordonnée (au sens de Hall et Soskice), reposant sur une forte concentration du capital des entreprises, un financement largement intermédié, des banques directement investies dans le capital et le contrôle des firmes et des engagements de long terme entre les entreprises et leurs salariés. Or ce système a dû subir un certain nombre de pressions d’origines diverses qui étaient potentiellement déstabilisantes :
- l’évolution majeure est celle qui a conduit les banques à se désengager du capital des entreprises. Pour les y inciter le gouvernement les a autorisées à vendre leurs participations en franchise d’impôts sur les plus values. Ce retrait devait rompre ou du moins réduire l’imbrication trop étroite entre le système bancaire et les grandes entreprises pour faciliter une allocation plus libre du capital. Plus généralement, il devait réduire la concentration du capital puisque cette mesure, également applicable aux entreprises non financières, était censée réduire les participations croisées. Dans le même temps, cela ouvrait le capital des firmes à de nouveaux investisseurs.
- dans le même ordre d’idée, après bien des péripéties, le Parlement allemand a fini par voter une loi sur les OPA, inspirée d’une directive européenne, à ceci près qu’elle autorisait d’assez larges pratiques défensives des dirigeants contre les OPA hostiles. Dans le contexte allemand cette réforme constituait une avancée notable, capable d’élargir le contrôle des firmes par le marché.
- d’autre part, afin d’éviter la marginalisation de la place de Francfort, les pouvoirs publics en liaison avec les autorités de marché (elles-mêmes réformées avec la création d’une Commission Fédérale de Régulation) ont légiféré pour améliorer la transparence de l’information sur les sociétés et pour mieux protéger les actionnaires minoritaires.
- enfin, diverses mesures ont été prises pour faciliter l’accès des entreprises aux marchés financiers (avec la création éphémère d’un Nouveau Marché), moderniser le système de transactions et élargir la gamme des produits traités.
56 La principale conséquence de ces diverses initiatives a été de distendre les rapports entre les entreprises et les grandes banques [34]. D’abord parce que celles-ci se sont séparées d’un peu plus du tiers des participations qu’elles détenaient, une partie ayant été rachetée par les compagnies d’assurance. Mais de surcroit, l’intensification de la concurrence dans le secteur bancaire a remis en cause la coopération qui prévalait dans le contrôle des entreprises, notamment lorsque celles-ci connaissaient des difficultés financières. En d’autres termes, la concurrence entre institutions financières a réduit la proximité qui existait entre entreprises et banques. Et comme dans le même temps les participations croisées entre firmes ont aussi été partiellement rompues, la concentration du capital s’en est trouvée sensiblement diminuée. Ainsi les grandes entreprises, ou du moins certaines d’entre elles, ont en partie perdu la protection dont elles disposaient face aux exigences des investisseurs court-termistes.
57 Il reste que les entreprises allemandes sont restées très dépendantes des financements bancaires. D’ailleurs si l’accroissement du recours aux marchés financiers a engendré un développement des opérations de toute nature (transactions boursières, fusions-acquisitions, introduction de nouvelles sociétés sur le marché…) ainsi qu’une augmentation de la capitalisation boursière, celle-ci reste très en retrait (en pourcentage du PIB) par rapport au niveau observé dans les autres pays développés. Au demeurant, les variations très heurtées des marchés au cours de ces dix dernières années empêchent d’évaluer précisément la croissance de long terme de cette capitalisation.
58 Parallèlement, on a observé un infléchissement de la structure de l’épargne vers les placements boursiers. Mais ici encore, l’évolution heurtée de ces dernières années n’est pas claire et le niveau de détention de valeurs mobilières est relativement faible, comme il a déjà été dit ; l’épargne des ménages allemands reste largement investie en liquidités. Quant aux entrées de capitaux-extérieurs sur les marchés, elles sont restées modestes : en 2005 la part de la capitalisation boursière détenue par les étrangers n’était que de 21 %, soit une proportion inférieure de moitié à celle de la France. De plus, il semble que les prises de participation des fonds d’investissement étrangers, notamment anglo-saxons, aient été faites dans un simple objectif de diversification, sans chercher à intervenir dans la gestion des entreprises : en témoigne le faible nombre d’entreprises cotées dans lesquelles les fonds ont pris une part supérieure à 5 % du capital [35].
59 Si l’on s’en tient à ces observations, le système financier allemand ne parait pas avoir connu de véritable bouleversement et c’est pourquoi on s’accorde généralement pour considérer qu’il reste fondé sur l’importance de l’intermédiation et n’a donc pas basculé jusqu’ici vers un système dominé par les marchés. Par le fait même le modèle de gouvernance des entreprises semble avoir, lui aussi, préservé sa particularité, c’est à dire la prise en compte des intérêts des diverses parties prenantes, le souci du long terme… Toutefois, cette stabilité du « cœur financier » n’a pu se maintenir qu’au prix d’un certain nombre de contreparties :
- d’abord les grandes entreprises sont parvenues à améliorer leur compétitivité et leur rentabilité en délocalisant une partie notable de leurs activités. Elles ont donc protégé leur modèle en cherchant à l’extérieur les conditions de leur flexibilité et de la maîtrise de leurs coûts.
- les PME (les entreprises du Mitelstand) ont également servi de variables d’ajustement dans la flexibilisation du système de production. De plus, ce sont elles qui ont subi le plus durement l’affaiblissement des relations entre les banques et les entreprises. Elles ont à l’évidence été soumises à un rationnement de leurs financements de long terme.
- enfin, les pouvoirs publics ont réagi à la dérive des dépenses sociales, à la rigidité de la structure productive et à la dégradation de la compétitivité par une série de mesures visant à réduire la protection de l’emploi (licenciements facilités, possibilités de contrats de travail plus courts) ainsi que la durée et le montant des prestations chômage. Ce qui a eu pour conséquence de créer ou d’accentuer un certain dualisme sur le marché du travail.
61 Ces évolutions ont permis aux grandes entreprises de s’adapter aux exigences de rentabilité du capital induites par la globalisation. Elles ont aussi permis à l’économie allemande, de faire face à la détérioration de sa compétitivité, résultant notamment de son entrée dans l’euro à une parité surévaluée. Elles se sont traduites par une rigueur salariale de plusieurs années, un déplacement du partage de la valeur ajoutée et une montée des inégalités. La pression sur les salariés a autorisé un fléchissement sensible de la consommation, mais qui a été compensé, au niveau de la demande globale, par une progression impressionnante des exportations. De sorte que l’Allemagne a retrouvé (du moins avant qu’elle ne soit frappée par la crise et l’effondrement du commerce mondial) des performances macroéconomiques satisfaisantes sans remettre en cause la cohérence de son architecture institutionnelle. Car, au bout du compte, le compromis capital-travail a été préservé et le principe de cogestion a résisté aux discours prêchant la supériorité du « modèle de shareholders ». L’Allemagne offre ainsi l’exemple d’une résistance au modèle dominant, sans que l’on puisse y voir la marque d’une quelconque inefficience.
4.2. La France et la globalisation financière : le glissement contraint vers une économie libérale ?
62 Même si l’on a parfois tendance à regrouper la France et l’Allemagne en évoquant un modèle d’Europe Continentale, leurs systèmes de financement et de gouvernance ont connu des histoires bien différentes. D’abord, parce que le modèle français n’a jamais eu la cohérence de son homologue : en dépit de la référence à l’intérêt général de l’entreprise, le principe de cogestion a toujours été récusé, et les banques françaises n’ont pas été aussi présentes auprès des entreprises que les banques universelles « à l’allemande ». Par contre, l’Etat a joué en France un rôle essentiel de coordination par sa politique industrielle, ses politiques sociales, et sa forte implication dans le financement de l’économie (circuits de financements privilégiés, rôle de la Caisse des dépôts…). Curieusement c’est d’ailleurs l’Etat qui a été à l’origine de la libéralisation du système financier, au milieu des années 80, pour des raisons aussi diverses que mal définies. La France a donc entrepris une « modernisation » de ses intermédiaires et marchés financiers avant l’Allemagne et bien avant l’intégration monétaire et financière européenne. Même si la mise en place de l’euro a certainement ici aussi contribué à amplifier l’entrée des capitaux étrangers, donc l’empreinte de la finance anglo-saxonne.
63 On sait que ces impulsions se sont traduites par une vive progression de la finance de marché : entre le début des années 90 et la veille de la crise financière, la capitalisation boursière rapportée au PIB a plus que doublé. En 2006, ce ratio ressortait environ à 80 %, soit le double du ratio allemand. Parallèlement, les crédits accordés par les institutions financières aux entreprises ont peu augmenté de sorte que le taux d’intermédiation des financements d’entreprises, au sens étroit, a diminué de quelques 20 % (de 50 % à 30 % environ), depuis le milieu des années 90. De ce point de vue le système financier français est désormais plus proche du modèle anglo-saxon, par la place qu’il accorde aux financements de marchés.
64 En revanche, la structure des placements financiers des agents non financiers n’a pas évolué dans les mêmes proportions. En particulier, la part des titres dans le patrimoine des ménages (et surtout les titres détenus en direct) reste limitée. Elle est même très faible si on la compare à celle des pays anglo-saxons. Ce qui s’explique naturellement par la forme du régime de retraite, en dépit du rôle grandissant des placements sous forme d’assurance vie. C’est donc l’entrée des non résidents qui a permis de combler l’écart entre l’offre et la demande de financements de marché : on estime que depuis la fin des années 90, 80 % des financements non intermédiés ont été apportés par des non-résidents [36]. La baisse des taux d’intermédiation, au sens strict ou au sens large, depuis lors, s’explique principalement par ce phénomène.
65 Ce mouvement est bien plus fort que celui observé en Allemagne. De plus, l’origine et la motivation des fonds paraissent être différentes. Si l’on en juge par le montant des prises de participation des fonds d’investissement étrangers dans le capital des entreprises françaises, il ne semble pas que l’objectif de diversification soit ici prédominant. Goyer [2007] montre que les prises de participation supérieures à 5 % du capital de fonds étrangers sont deux fois plus élevées qu’en Allemagne. L’entrée dans le capital a donc ici pour but d’intervenir, au moins à court terme, dans les décisions des firmes.
66 Cette différence essentielle avec l’Allemagne mérite que l’on s’y arrête, car il se pourrait qu’elle soit due à la moindre cohérence du modèle français, à sa moindre capacité de résistance par rapport aux exigences du capital financier [37]. Du fait de la faiblesse du contre-pouvoir salarial, notamment de la faible représentation des salariés dans les instances de décision, les dirigeants de l’entreprise disposent d’une plus grande marge de manœuvre. De sorte que les fonds d’investissement ont pu nouer des alliances avec la direction et les actionnaires majoritaires pour imposer des réorganisations plus vite et plus facilement qu’en Allemagne. En d’autres termes, le « capital impatient » a pu établir, en France mieux qu’en Allemagne, un rapport de force favorable lui permettant de faire prévaloir ses objectifs et son horizon de contrôle.
67 Ce phénomène a bien sûr touché plus directement les grandes entreprises, cibles privilégiées de ces investissements étrangers, qui ont subi ou mené de nombreuses opérations de restructurations, d’externalisations, de cessions, de fusions-absorptions, de délocalisations… Mais les PME ont également été affectées de façon indirecte parce que le comportement des grandes firmes gouverne (par leurs commandes, les garanties qu’elles offrent, les partenariats qu’elles nouent, les participations qu’elles prennent …) celui des entreprises qui gravitent autour d’elles. De sorte que la soumission à cette nouvelle gouvernance, à ces critères de rentabilité de plus court terme, s’est propagée bien au-delà de la zone d’intervention directe des fonds d’investissement. Or, cette modification des critères nécessitait une plus grande flexibilité, dans l’allocation des ressources et en particulier dans la gestion des emplois. De ce point de vue, d’importantes évolutions, soutenues par les politiques publiques, se sont d’ailleurs produites dont témoignent la sensibilité accrue de l’emploi au niveau d’activité et la plus forte mobilité des salariés : les trois quarts des embauches se font en contrats à durée déterminée et les formes d’emplois précaires (CDD, intérim, stages) sont passées de 9 % par rapport à l’emploi total en 1990 à près de 14 % en 2007. Il faut y ajouter la montée des rémunérations variables, liées à la performance, qui a également permis de flexibiliser la masse salariale en fonction de la conjoncture.
68 Il n’empêche que la protection de l’emploi reste en France encore bien plus développée que celle qui prévaut dans les économies libérales de marché, et le fonctionnement du marché du travail n’a pas la même fluidité que celle des économies américaine et britannique. La plus grande flexibilité du travail (l’augmentation des flux de main d’œuvre) a touché certains types d’emploi et certaines catégories de salariés ; elle n’a pas engendré une dynamique de réallocation des emplois dans l’ensemble de la population active [38]. De ce fait, les recompositions en tout genre du système productif, censées stimuler la productivité et l’emploi, ont jusqu’ici alimenté un chômage supérieur à la moyenne de la zone euro. La plus grande précarité des emplois n’a pas été compensée par une activité plus soutenue sur le marché du travail. En conséquence, ce sont les dépenses publiques pour l’emploi qui ont absorbé le coût social de l’accroissement de la flexibilité et qui ont permis de maintenir la croissance de la consommation. Mais ces dépenses, qui représentent 4,5 % du PIB depuis le début des années 2000, pèsent naturellement sur la compétitivité, ce qui réduit ou annule les gains attendus d’une éventuelle amélioration dans la gestion de la main d’œuvre.
69 Au total, cette agitation incessante de l’organisation productive a sans doute permis aux grandes entreprises d’obtenir des taux de rentabilité plus élevés et plus stables, répondant ainsi aux normes fixées par les fonds d’investissement. Les profits des entreprises du CAC 40 ont augmenté, surtout parce qu’une partie croissante de leur activité se situe à l’étranger. Mais d’un point de vue plus général, rien ne prouve que les transformations du système productif ont permis d’améliorer les performances macroéconomiques. Tous les indicateurs montrent que la croissance de la productivité est restée faible et stable depuis le début des années 90. Au plan de la compétitivité, la France enregistre depuis 2002 une baisse continue de sa part de marché dans l’ensemble des exportations des pays de l’OCDE, en dépit d’une stabilité des coûts unitaires de production. L’industrie française reste peu spécialisée, à la différence de celle de l’Allemagne, et elle semble nettement en retard dans ses performances technologiques et sa capacité d’innovation : elle détient 4,7 % des brevets dits « triadiques » contre 11,9 % à l’Allemagne. En bref, quels que soient les indicateurs auxquels on se réfère, il apparaît un étrange décalage entre les performances de l’économie française (en termes de croissance, d’emploi ou de commerce extérieur) et l’importance des restructurations qu’elle a subies au cours de ces dernières années, sous l’influence des évolutions importées de ses systèmes de financement et de gouvernance.
70 Soumis aux exigences de cette nouvelle logique financière, le modèle économique et social français n’a manifestement pas trouvé les moyens d’y répondre de façon cohérente. Probablement parce que ces exigences se sont révélées incompatibles avec les caractéristiques des autres dimensions institutionnelles, et notamment avec le fonctionnement du marché du travail ou le niveau de protection sociale. Pour retrouver une cohérence, le modèle français est donc condamné à choisir entre deux voies opposées. Soit il tente de se soustraire aux contraintes qu’impose le « capital impatient » pour revenir à un horizon de décision qui s’accorde avec une croissance et des relations salariales plus équilibrées ; ce qui nécessite de retrouver des sources de financement à long terme et des structures de capital plus stables. Soit il accepte la loi de la finance globalisée et il doit alors franchir les derniers pas pour entrer pleinement dans une économie libérale de marché ; ce qui implique de revoir la protection de l’emploi, la couverture sociale… En l’absence d’un fort volontarisme politique, c’est cette seconde solution qui devrait logiquement s’imposer.
4.3. Allemagne et France : les enseignements d’une comparaison
71 Au total, les évolutions comparées des modèles allemand et français montrent bien qu’il est illusoire de vouloir faire converger les systèmes financiers en les incitant à se soumettre à des règles identiques, à partager des infrastructures communes ou même à intégrer leurs marchés de capitaux. Confrontés aux mêmes transformations de leur environnement, les systèmes de financement et de gouvernance allemands et français ont réagi de façon très différente. Parce que leurs réactions étaient conditionnées par la configuration institutionnelle dont ils dépendaient. Sans doute aussi parce que les choix qui ont été faits se situaient dans des contextes politiques et sociaux dissemblables.
72 Quoiqu’il en soit, le modèle allemand s’est adapté aux nouvelles exigences de valorisation du capital en préservant l’essentiel de sa cohérence. Tandis que le modèle français s’est trouvé déstabilisé et n’a peut être plus d’autre choix que d’achever sa transition vers une économie libérale de marché, ce qui sera sans doute long et coûteux. Bien évidemment on ne peut ramener l’explication des performances comparées de l’Allemagne et de la France à une simple question de compatibilité entre système financier et rapport salarial. Mais cette confrontation permet, au moins, de montrer que l’augmentation du poids des marchés financiers n’est pas en elle-même un facteur de croissance et de compétitivité. Elle montre aussi que l’organisation d’un espace financier intégré n’induit pas les mêmes conséquences dans les pays concernés. A l’arrivée, il y a bien deux types de systèmes financiers et de configurations institutionnelles qui divergent au lieu de se rapprocher.
73 Or, ces évolutions différentes constituent un sérieux problème du point de vue de l’intégration monétaire et financière européenne. Car non seulement cela renforce l’hétérogénéité des mécanismes de transmission de la politique monétaire entre les pays partenaires. Mais de plus, cela peut induire une divergence des structures productives, ce qui augmente l’éventualité de chocs asymétriques ou de réponses asymétriques à des chocs communs au sein de la zone. Dans tous les cas, cela remet en cause l’opportunité de la monnaie unique et contraint l’exercice de la politique monétaire.
74 Plus encore, ces divergences institutionnelles débouchent sur des stratégies de politique économique potentiellement conflictuelles. On a vu que l’Allemagne était parvenue à rétablir sa compétitivité en jouant sur des engagements réciproques des salariés et des entreprises : la rigueur salariale contre la stabilité de l’emploi. Cela lui a permis de stimuler ses exportations et de tirer ainsi sa croissance. De la part d’un pays développé et vieillissant cela n’a rien a priori de condamnable et devrait même être considéré comme exemplaire. Mais il est vrai que ces gains de parts de marché se sont faits, pour une bonne part, aux dépens de ses partenaires européens et sont donc considérés comme non coopératifs. Les autres pays (et en particulier la France) incapables de suivre une telle stratégie du fait de leurs relations sociales et des caractéristiques de leur système financier, ont sollicité l’endettement privé et public pour leur régulation macroéconomique. Ce qui peut également apparaître comme un comportement non coopératif. Mais on comprend bien que l’instabilité de ce jeu n’est pas le simple produit « d’égoïsmes nationaux ». Car la coopération suppose un rapprochement préalable des modèles, et le chemin actuellement suivi pour y parvenir est loin d’être optimal. Penser que l’on peut appliquer le principe de subsidiarité au choix des configurations institutionnelles est une idée fausse ; suggérer que l’on peut laisser aux forces du marché le soin de les faire converger en est une autre.
5. Conclusion
75 L’intégration financière est, sans aucun doute, un aspect essentiel de la construction monétaire européenne. Principalement parce qu’il est sous-optimal d’appliquer une même politique monétaire à une zone dont les systèmes financiers sont trop hétérogènes. Des effets trop différenciés d’un pays à l’autre a alors pour conséquence de rendre cette politique peu réactive. C’est bien d’ailleurs la situation que l’on observe aujourd’hui dans la zone euro : la BCE manie ses taux directeurs avec une excessive prudence parce que leur impact est bien différent selon les régions, et aussi parce que les conjonctures y sont dissemblables.
76 L’Eurosystème a donc raison d’accorder une attention particulière à ce problème et de tenter d’y apporter des réponses. Mais le défi est redoutable car cette recherche de l’intégration financière suppose que l’on définisse le point de convergence et le chemin pour y parvenir. Concrètement, il s’agit de savoir quel est le type de système financier que l’on souhaite voir se mettre en place dans l’ensemble de la zone. Or la réponse à cette question ne se réduit pas à de pures considérations techniques. Elle renvoie à des préférences sociales qui en font un véritable problème d’économie politique. Parce qu’une organisation financière n’est pas une simple juxtaposition de produits, de banques, de marchés… ; et son efficience ne dépend pas seulement de la qualité et de la diversité de ces composantes. Cette efficience est surtout fonction de la cohérence de l’architecture financière (c’est-à-dire de la combinaison de ses composantes) et de son articulation avec les autres dimensions institutionnelles du système économique et social dans lequel elle s’insère.
77 Ce type de réflexion est, cependant, tout à fait étranger à la problématique de l’Eurosystème sur la question de l’intégration financière. Sa démarche consiste en réalité à reprendre la stratégie constante (délibérée et affichée) des autorités européennes, en matière de convergence institutionnelle : celle de la mise en concurrence des systèmes nationaux. Car, du fait de la diversité de leurs cultures, de leurs valeurs, de leur histoire, les pays européens n’ont jamais été en mesure de s’entendre sur un modèle économique et social commun. Ils ont donc considéré que l’intégration viendrait de la confrontation entre les différentes solutions nationales, les meilleures ayant vocation à s’imposer dans l’ensemble de l’Union. On a souvent fait valoir que cette façon de procéder risquait de promouvoir les solutions les plus libérales qui privilégient l’intervention publique minimale et le moins disant réglementaire. Mais plus encore, elle risque de déstabiliser les modèles nationaux (du moins certains d’entre eux) et de les éloigner au lieu de les rapprocher.
78 En ce sens, l’étude de l’intégration financière fournit une bonne illustration des enjeux de la convergence institutionnelle, de ses difficultés et des limites de la stratégie de mise en concurrence des solutions nationales. L’idée d’un système financier optimal ne résiste guère, en effet, à l’analyse des interdépendances entre les caractéristiques de l’architecture financière et les autres dimensions de l’organisation économique et sociale. Il n’y a donc pas de raison pour que tous les pays partenaires convergent, par les vertus de la concurrence, vers le même système de financement dès lors qu’ils diffèrent au niveau de leur protection de l’emploi, de leur protection sociale, de leur modèle de gouvernance, de leurs structures productives… Les évolutions divergentes des systèmes allemand et français de financement et de gouvernance en sont un bon exemple. En ce domaine, qui est aussi celui de la diversité des capitalismes, la « fin de l’Histoire » n’est pas encore pour demain. Du moins l’alignement sur le modèle anglo-saxon n’est pas une fatalité.
79 Il ressort de tout ceci, que la convergence des systèmes financiers suppose sans doute aussi le rapprochement des autres dimensions institutionnelles des pays partenaires. Et l’on ne peut alors éluder un débat et des choix sur les grandes lignes d’un modèle européen. Au fond, ce n’est pas là une exigence démesurée, puisqu’il était dit que la construction européenne n’avait de sens que si elle permettait aux pays membres de garder dans la mondialisation une organisation économique et sociale qui leur soit propre. Mais en l’occurrence, la conception de ce modèle n’est pas seulement une ambition politique estimable, c’est aussi la condition indispensable de l’intégration financière, et donc monétaire, européenne. Faute de quoi l’aventure de la monnaie unique restera un projet inachevé et potentiellement instable. Car en-deçà des critères traditionnels (asymétries des réactions aux chocs, mobilité des facteurs…) c’est bien l’homogénéité, ou du moins la compatibilité, des configurations institutionnelles qui fonde pour l’essentiel l’existence d’une zone monétaire optimale. Le « péché originel » de l’euro réside dans la négligence ou le déni de ce principe.
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Mots-clés éditeurs : intégration financière, modèles de gouvernance, zone monétaire optimale, complémentarités institutionnelles
Date de mise en ligne : 14/09/2010
https://doi.org/10.3917/redp.202.0303Notes
-
[1]
Professeur à l’Université d’Orléans. Email : Jean-Paul.Pollin@univ-orleans.fr
-
[2]
Cette volonté est explicitement affirmée en introduction (p. 13) du Bulletin Mensuel que la Banque Centrale Européenne a consacré à son 10e anniversaire. Le chapitre 6 de ce numéro porte précisément sur l’intégration financière. Rappelons par ailleurs, que l’Eurosystème se définit comme l’ensemble constitué de la BCE et des Banques Centrales nationales des pays de la zone euro.
-
[3]
La première directive européenne sur le secteur bancaire date de 1977 : elle visait à harmoniser les normes relatives à la solvabilité, la liquidité et les contrôles internes. En 1989 une directive a édicté le principe de la « licence bancaire unique », une seconde a transposé au niveau européen les dispositions de l’Accord de Bâle I sur la réglementation des fonds propres. Le FSAP a débouché notamment en 2004 sur la directive MiFID (Markets in Financial Instruments Directive) créant un « passeport européen » qui permet aux institutions financières d’offrir des produits et services financiers dans tous les Etats membres, dès lors qu’elles ont été habilitées à le faire dans leur propre pays.
-
[4]
On peut, en effet, montrer que plus l’impact d’une variation des taux directeurs de la Banque Centrale est différencié, et plus la politique monétaire doit être peu réactive, dès lors qu’elle prend en compte les écarts de conjoncture entre pays membres de la zone. Ce phénomène est analogue au « principe de conservatisme » de Brainard [1967]. Cf. la démonstration et l’illustration de Penot et Pollin [2001].
-
[5]
On trouvera une description plus détaillée de ces actions dans BCE [2006a], dans le Bulletin Mensuel de la BCE publié à l’occasion de son 10e anniversaire, ainsi que dans les rapports annuels consacrés à l’intégration financière : « Financial Integration in Europe » [2007, 2008, 2009].
-
[6]
Cf. par exemple Kalemli-Ozcan et al. [2009].
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[7]
Cf. Financial Integration in Europe [2007, 2008, 2009] ; cf. aussi Baele et al. [2008].
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[8]
Giovannini [2008] explique que le cœur du fonctionnement des marchés de titres se situe dans les systèmes de compensation et de règlement (l’environnement « post marché »). Or ceux-ci sont fragmentés en un ensemble de standards, conventions, régulations… qui freine l’intégration de ces marchés. Les propositions faites par le groupe que présidait Giovannini pour le compte de la Commission Européenne ont été selon lui peu suivies d’effet parce qu’elles se heurtent à l’opposition des acteurs en place, qui disposent de positions de monopole.
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[9]
Cf. en ce sens Adjaouté et Danthine [2008].
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[10]
Cf. Sander et Kleimeier [2004] ; Sorensen et Werner [2006] ; Gropp et al. [2007].
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[11]
Cecchetti [1999], dans le prolongement du courant « Law and Finance » considère que la diversité des régimes juridiques dans la zone euro rendra très difficile l’intégration financière et donc l’exercice de la politique monétaire.
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[12]
Ces différences dans les taux d’intérêt bancaires peuvent aussi avoir des explications qui n’ont rien à voir avec l’intégration. Elles peuvent, en effet, provenir de différences dans les caractéristiques des emprunteurs (par exemple la taille ou la structure financière des firmes) ou le caractère plus ou moins risqué de leur investissement (par exemple les prix plus ou moins volatils de l’immobilier). Affinito et Farabullini [2009] cherchent à répondre à cette objection en prenant en compte les différences nationales dans les conditions de demande et d’offre de crédit. Cela conduit à réduire significativement les écarts de taux observés, surtout pour les types de crédit sur lesquels les demandeurs disposent d’un rapport de force plus favorable. En appliquant la même méthodologie aux taux des crédits hypothécaires Sorensen et Lichtenberger [2007] mettent aussi en évidence des différences significatives entre pays, explicables par la fiscalité, les conditions de garantie et le rapport du crédit accordé à la valeur du bien. Gropp et Kashyap [2008] considèrent, quant à eux, qu’une meilleure mesure de l’intégration consiste à analyser l’éventuelle convergence des rentabilités entre banques. Ils montrent qu’il y a effectivement rapprochement des rentabilités pour les banques européennes cotées (par un alignement sur les plus profitables). En revanche, les rentabilités des banques non cotées ne convergent pas, notamment du fait des particularités des banques mutualistes et des caisses d’épargne.
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[13]
En 2008 le rachat d’ABN-AMRO par un consortium de 3 banques européennes a accru sensiblement le montant des opérations transfrontières. Et il se peut que la crise financière ouvre des opportunités de consolidation, à l’instar du rachat de FORTIS par BNP. Mais il est trop tôt pour dire si ces opérations de circonstance constitueront le point de départ d’un mouvement durable de concentration bancaire dans la zone euro.
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[14]
Ce point est en partie développé dans un des « spécial features » du chapitre 2 de la BCE [2007]. On y trouvera aussi des statistiques qui complètent celles qui viennent d’être données.
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[15]
Cette volonté de passer de l’intégration au développement et à l’efficience des systèmes financiers était déjà évoquée dans le rapport de mars 2007 sur l’intégration financière. Le rapport d’avril 2009 prend explicitement en compte ces nouveaux indicateurs. Entre temps la BCE avait publié des travaux sur cette question. Cf. Hartmann et al. [2007].
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[16]
En réalité, on peut faire valoir que ces deux processus sont aussi substituables dans la mesure où les demandeurs de capitaux sont susceptibles de se financier à l’extérieur de leur pays si les conditions y sont plus favorables et si l’intégration financière le rend possible. De plus, l’existence éventuelle d’économies d’échelle et d’agglomération peut induire une spécialisation de certains pays dans les activités financières. Dans ce cas on assisterait à un creusement des inégalités dans le développement financier des différents pays. Cf. en ce sens Guiso et al. [2004] ainsi que les discussions de cette contribution par Ph. Martin et P.O. Gourinchas.
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[17]
Le rapport 2009 de la BCE sur l’intégration financière en Europe retient 5 indicateurs : la taille des marchés financiers (telle que définie précédemment, c’est-à-dire en intégrant les crédits bancaires), le marché des billets de trésorerie (commercial paper), le marché des obligations corporate, le contenu en information du marché des actions (la désynchronisation entre les évolutions individuelles des cours et celles des indices de marché), le financement par capital-risque. C’est peu dire que l’efficience est vue principalement comme le développement de la finance de marché.
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[18]
Une partie de ces indicateurs est issue des rapports « Doing Business » publiés régulièrement par Banque Mondiale.
-
[19]
Bulletin Mensuel « 10e anniversaire de la BCE », p. 109.
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[20]
Cf. Hartmann et al. [2007], p. 21-24.
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[21]
On rejoint ici aussi la position libérale qui considère qu’il n’y a plus de débat possible sur le modèle de gouvernance qui doit s’imposer. Hansmann et Kraakman [2003] parlent, à ce propos, de « fin de l’Histoire ».
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[22]
Cf. en particulier l’introduction de l’ouvrage édité par Hall et Soskice [2001]. Pollin et Vaubourg [2006] proposent une analyse en composantes principales de 23 variables institutionnelles portant sur 16 pays développés, principalement européens. Le premier axe de l’ACP (33 % de la variance) oppose les variables représentatives des systèmes financiers de marché (forte capitalisation, faible concentration du capital…) aux variables représentatives d’une forte régulation des marchés du travail et des liens (pouvoir des syndicats, lourdeur des procédures pour la création d’une firme…).
Pagano et Volpin [2005] font, quant à eux, ressortir une corrélation négative entre la protection de l’emploi et celle des actionnaires, ce qui va dans le même sens. -
[23]
Gatti et Vaubourg [2009] étudient l’effet sur le taux de change de l’interaction entre systèmes financiers et régulation du marché du travail sur un échantillon de 18 pays de l’OCDE. Elles montrent qu’un système de finance directe est favorable à l’emploi lorsque la régulation du marché du travail et la coordination salariale sont faibles. Un système intermédié est plus approprié dans le cas contraire.
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[24]
Cf. le survey de Lafontaine et Slade [2007].
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[25]
Si l’on accepte de regarder au-delà des frontières de l’Union européenne, le modèle japonais constitue à vrai dire un exemple encore plus typique comme les travaux de M. Aoki l’ont montré. Cf. en particulier Aoki [2006].
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[26]
Ces variables sont le « formalisme juridique » (censé mesurer le poids des procédures qui freinent le développement financier), la protection des investisseurs (le respect des droits des actionnaires minoritaires) la répression des délits d’initiés, le niveau de concurrence dans le secteur bancaire et la part du secteur public dans le capital bancaire.
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[27]
Vitols [2001] montre que les différences de gouvernance d’entreprise entre l’Allemagne et le Royaume-Uni ont conduit à des choix de spécialisation dissemblables dans deux secteurs qu’il a plus particulièrement étudiés (la finance et la chimie-pharmacie). Mais ces choix n’aboutissent nullement à des écarts de compétitivité. On peut dire, au contraire, que chaque pays s’est spécialisé en fonction de son avantage comparatif institutionnel ». Et il n’apparaît aucune tendance à la convergence de l’un des systèmes vers l’autre.
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[28]
Cf. Mayer [2002].
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[29]
Amable [2005] distingue trois systèmes de protection sociale : celui des économies libérales, celui des économies « corporatistes conservatrices », et celui des économies social-démocrates. Il range l’Allemagne, la France… dans la seconde catégorie, et les pays d’Europe du Nord dans la troisième. A l’exception de la Finlande, ces économies social-démocrates sont restées à l’extérieur de la zone euro.
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[30]
Ainsi Hall et Soskice [2001] distinguent entre les économies libérales de marché et les économies de marché coordonnées. Amable [2003] distingue 5 types de capitalismes également stables et dont les performances sont comparables.
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[31]
Les lois sur les faillites fournissent un bon exemple de ces différences. Ces lois propres à chaque pays reposent effectivement sur un arbitrage entre les intérêts des créditeurs, des salariés, des actionnaires… Or, il n’y a pas a priori de solution optimale en ce domaine. Rien ne montre que la loi la plus restrictive, qui protège le mieux les intérêts des créditeurs, permet une maximisation de la somme des intérêts particuliers.
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[32]
L’un des objectifs de l’ouvrage de Hancke et al. (ed) [2007] est précisément de corriger ce possible travers.
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[33]
Cf. en particulier O’Sullivan [2003], Hacketal et al. [2005], Vitols [2005], Goyer [2006], Carlin [2008], Georgen et al. [2008]. En revanche, Pesin et Strassel [2006] développent dans leur ouvrage un point de vue différent : ils intitulent un de leurs chapitres « le crépuscule du capitalisme rhénan ».
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[34]
On débat, depuis assez longtemps, sur le point de savoir si les banques allemandes ont joué un rôle actif dans la gouvernance des entreprises. En particulier Edwards et Fisher [1994] se sont efforcés de montrer que ce n’était pas le cas : pour eux les banques se sont toujours gardées d’intervenir dans les décisions stratégiques. Mais de notre point de vue, cette question n’est pas essentielle. Ce qui compte le plus, en l’occurrence, n’est pas que les banques aient été impliquées dans les décisions, mais plutôt qu’elles aient contribué à protéger les contrats implicites entre les différentes parties prenantes des entreprises. C’est-à-dire qu’elles aient pu les soustraite à la dictature des marchés et des critères de rentabilité à court terme.
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[35]
Cf. Goyer [2007].
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[36]
Cf. Boutillier et Bricongne [2006].
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[37]
C’est du moins la thèse développée par Goyer [2007].
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[38]
C. Picart [2008] montre d’une part que les flux d’emploi en France sont nettement moins importants qu’aux Etats-Unis. D’autre part, les rotations (excès des flux de main d’œuvre sur les emplois) apparaissent plutôt comme le résultat d’un dualisme du marché du travail (elles sont concentrées sur certains secteurs) que comme le produit d’un processus de destruction créatrice