Couverture de REDP_175

Article de revue

Introduction

Numéro spécial de la Revue d'Economie Politique sur l'évaluation contingente à la mémoire de Brigitte Desaigues, coordonné par Ari Rabl, Ecole des Mines de Paris

Pages 647 à 649

1Dans de nombreuses situations on a besoin de savoir la valeur de biens qui ne sont pas échangés sur le marché, tels que la réduction des risques de mortalité ou la préservation d’un paysage ou d’un monument. Des valeurs monétaires pour de tels biens sont nécessaires pour de nombreuses décisions en politique de l’environnement et de santé, afin d’évaluer les bénéfices de mesures proposées pour le développement durable et la protection de l’environnement. Pour certains biens non-marchands il est possible de déterminer la valeur en observant les choix sur le marché. Par exemple la valeur d’un site naturel peut être déterminée par la méthode des coûts de transports parce que la valeur est implicite dans les dépenses que les gens font pour visiter le site. Le coût du bruit peut être estimé en comparant le loyer ou le prix des maisons dans des zones à différents niveaux de bruit, tout autre chose étant égale. Ces méthodes sont appelées méthodes de coûts révélés parce la valeur est révélée par les transactions du marché.

2Pourtant ce n’est pas possible pour la plupart des biens non-marchands et la seule possibilité est de demander aux gens directement quelle est leur évaluation. Cette méthode s’appelle évaluation contingente (EC) parce qu’elle présente aux gens une situation hypothétique, en demandant combien ils seraient prêts à payer pour ce bien s’il pouvaient l’acheter. L’idée a été proposée de manière théorique en 1952 par S.V. Ciriacy-Wantrup, et la première application pratique a été réalisée en 1963 par R. Davis pour mesurer la valeur d’un site naturel pour les chasseurs et les touristes. Comparant les résultats avec la méthode des coûts de transports, il trouvait une bonne cohérence. L’évaluation contingente est une méthode de coûts déclarés parce les gens indiquent leur valeur explicitement.

3L’utilisation de l’EC est devenue très répandue depuis les années 1980 quand des agences gouvernementales des Etats Unis commençaient à utiliser les résultats dans des procès concernant des dommages environnementales. L’application la plus célèbre fut l’évaluation des dommages de la marée noire d’Exxon Valdez en Alaska, afin de déterminer une compensation correcte des victimes.

4Tandis que l’idée de base est simple, la réalisation des études d’EC nécessite un soin extrême afin d’assurer la qualité des résultats. Plusieurs des études ont obtenus des résultats douteux, et la question de la validité de la méthode a provoqué de nombreuses controverses. Bien sûr, la plupart des personnes interrogées essaient de coopérer en indiquant combien ils sont prêts à payer pour le bien proposé, mais est-ce que les réponses ont un sens ? En particulier, est-ce que le CAP (consentement à payer) est comme un prix qu’ils payeront réellement s’ils peuvent acheter le bien ? Beaucoup de tests de cette question ont été effectués, par exemple en revenant, après une enquête sur la préservation de la faune, pour demander une donation pour une association de la préservation de la faune : souvent le paiement réel est bien en dessous de la valeur déclaré dans une évaluation contingente. Un aspect particulièrement troublant de l’EC est le manque de proportionalité entre la quantité du bien et le CAP : par exemple, si l’on demande d’abord le CAP pour sauver 100 vies, suivi de la question pour sauver 1000 vies, la seconde réponse de la plupart des personnes est moins que dix fois le CAP pour 100 vies. Souvent les gens indiquent une somme forfaitaire pour une bonne cause, sans réfléchir sur la relation entre leur CAP et la quantité du bien. Toutes les bonnes études d’EC font des tests de proportionnalité, mais l’utilisation des résultats pour les décisions politiques nécessite toutefois une grande prudence.

5Un des critiques les plus pénétrants a été le prix Nobel Kahneman, un psychologue qui lui-même a été très actif dans le domaine de l’EC, avec des études importantes sur la validité des résultats. Afin de fournir des consignes plus rigoureuses pour la réalisation des EC, un groupe d’experts très renommés (présidés par les prix Nobel Arrow et Solow) a été convoqué en 1993 par la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA). Après avoir consulté 22 économistes experts, ce groupe a publié des recommandations en 1995, parmi lesquelles les plus importantes sont :

  • d’utiliser des interviews face-à-face et non pas par téléphone ;
  • de poser la question sur le CAP en termes d’un référendum (« est-ce que vous acceptez de payer xxx ? ») ;
  • de donner au personnes interrogées des informations détaillées sur le bien en question (y compris des scénarios extrêmes sur l’évolution du bien, sur les mesures de protection, et sur son importance écologique) ;
  • d’expliquer soigneusement les effets économiques, afin que les personnes expriment un CAP pour le bien particulier et non pas pour l’environnement en général ;
  • de poser des questions supplémentaires afin d’assurer que les personnes ont bien compris la question posée.

6Ces recommandations ont été généralement suivies, bien que celle concernant le format de référendum soit de plus en plus critiquée, par exemple par Brigitte Desaigues qui montrait que le montant proposé peut avoir une influence importante sur le CAP (le biais d’ancrage) et qui recommande l’utilisation de la question ouverte (« Combien est-ce que vous êtes prêts à payer ? »), malgré le rapport NOAA.

7L’évaluation contingente, ainsi que d’autres méthodes de préférences déclarées telles que choice modeling, contingent ranking, et contingent rating, est devenue un champ de recherche très active parce que ces méthodes sont le moyen principal, et souvent le seul moyen, pour déterminer la valeur de biens non-marchands. L’importance d’une évaluation correcte de tels biens augmente avec le besoin croissant de déterminer les bénéfices des politiques pour la protection de l’environnement et le développement durable. L’évaluation des impacts sur la santé et la mortalité a un intérêt particulier. L’objet de ce numéro spécial est donc de présenter un aperçu de ces sujets, avec des articles de la recherche actuelle.

8Il convient de dédier ce numéro à la mémoire de Brigitte Desaigues parce qu’elle a été l’expert éminent de l’évaluation contingente en France, à commencer avec la première évaluation contingente française en 1991. Elle était, jusqu’à sa disparition le 15 mars 2006, professeur de gestion et directeur du Laboratoire de Stratégie Industrielle (LASI) à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Sa spécialité était l’économie de l’environnement, une matière qui l’amenait naturellement à l’évaluation contingente. Elle participait dans de nombreux projets de recherche de la Commission Européenne, surtout la série de projets ExternE sur les coûts externes de l’énergie.

9Pendant les deux dernières décennies de sa vie elle était Secrétaire Général de la Revue d’Economie Politique, une raison de plus pour cet hommage. J’ai coordonné ce numéro parce qu’elle était mon collègue le plus proche avec qui j’ai collaboré sur de nombreux projets, en particulier des projets d’évaluation contingente (elle était aussi mon épouse). Les articles de ce numéro ont été présentés et discutés dans un workshop à la Sorbonne le 15 mars 2007. Je souhaite remercier les auteurs pour leurs contributions à cette commémoration.

10Le numéro commence avec une introduction et synthèse par le professeur Chilton. Ensuite l’article par Desaigues et al rapporte un projet d’intérêt particulier pour Brigitte : l’évaluation de la mortalité due à la pollution. Les autres articles concernent des développements méthodologiques et/ou des applications de l’évaluation contingente.

bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Avec le soutien de

Retrouvez Cairn.info sur

18.97.9.171

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions