Notes
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[1]
L’écriture de cet article a bénéficié du soutien scientifique et financier de l’École Polytechnique, de l’Institut Véolia Environnement, du projet joint Interdependent Security (Wharton School et Columbia University à New York) et du Ministre français des Affaires Etrangères. Les points de vue exprimés ici engagent uniquement son auteur et en aucun cas ces institutions. Cet article est le fruit de nombreuses discussions, en France comme à l’étranger, notamment avec les membres du groupe assurance du National Bureau of Economic Research américain. D’autres éléments furent discutés lors des « Managing and Financing Extreme Events » Meetings organisés en octobre 2002 et avril 2003 à Wharton. Je remercie les deux rapporteurs ainsi que Sandra Auffray, Christophe Caron, Arnaud Delenda, Dominique Henriet, Claude Henry, Thierry Hommel, Christian Gollier, Paul Kleindorfer, Howard Kunreuther, Patrick Lagadec, Alexia Leseur, David Moss, Pierre Picard, Françoise Rudetski, Bernard Sinclair-Desgagné et Gordon Woo pour leurs commentaires des versions antérieures de cet article et nos échanges sur le sujet. Enfin, je tiens à remercier Jacques DeParis, Président du GAREAT, pour son éclairage sur le système français.
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[2]
Center for Risk Management, The Wharton Business School (Philadelphie, Etats-Unis) et Laboratoire d’économétrie de l’Ecole Polytechnique (Paris). Email : erwannmk@ wharton. upenn. edu.
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[3]
Suivant la définition de l’“acte de terrorisme” retenue, les chiffres peuvent varier d’une étude à l’autre.
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[4]
Notons que la configuration de ces attentats est particulière : les terroristes n’ont pas frappé avec des colis ou des voitures piégées, comme ce fut le cas lors du premier attentat, en 1993, contre le WTC, mais ont détourné de son usage traditionnel l’un des grands réseaux vitaux à la continuité économique et sociale du pays, le transport aérien. Ils ont alors pu bénéficier de ses capacités pour porter une attaque de grande échelle et beaucoup plus déstabilisante puisque chaque élément du réseau, chaque avion de ligne, devenait un vecteur potentiel de danger. Si bien que le réseau tout entier devenait risqué. Cela obligea les autorités américaines à ordonner la fermeture de l’espace aérien aux vols commerciaux sur l’ensemble du territoire américain, première fois qu’elles prenaient une telle mesure. Il est remarquable que les attaques à l’anthrax de l’automne 2001 obéissent à un même schéma de détournement de réseaux vitaux (réseau postal). Pour une analyse récente des questions de protection des grandes infrastructures critiques aux États-Unis, voir Michel-Kerjan (à paraître).
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[5]
Pour les plus récents travaux sur la question, voir notamment Zeckhauser [1996], Kunreuther et Roth [1998], Froot [1999,2001], Gollier [2002], Kunreuther, Grossi et Patel (à paraître), Grace, Klein, Kleinforfer et Murray [2003] et pour des contributions en Français, Zajdenweber [2000], Godard, Henry, Lagadec et Michel-Kerjan [2002].
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[6]
La tenue de la conférence “Terrorisme et responsabilité pénale internationale”, organisée par l’association SOS Attentats en février 2002 à l’Assemblée Nationale (Paris), a également mis en lumière cette évolution. Il en est ressorti la nécessité d’une coopération internationale, devenue d’autant plus impérative que le développement de réseaux terroristes de toute sorte s’est considérablement accéléré ces dernières années (ONU [2002], SOS Attentats [2002], US Department of State [2003]; voir aussi Huntington [1996]), comme en témoignent les recents attentats perpétrés contre des intérêts français. Cette question de collaboration internationale en matière de lutte anti-terroriste a d’ailleurs été inscrite à l’agenda du sommet du G8 à Évian en juin 2003 et conduit à la création du “Groupe d’action contre le terrorisme”.
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[7]
Trois mois seulement après les attentats contre les États-Unis et l’explosion de l’usine AZF de Toulouse.
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[8]
Notamment au sein de la Wharton School.
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[9]
Plus spécifiquement, on estime les pertes liées à l’interruption d’activité à 11 milliards de dollars, le dédommagement des salariés à 2 milliards, l’assurance vie à 2,7 milliards, les pertes matérielles dues à la destruction des tours à 3,5 milliards, montant égal à celui des remboursements au titre de la couverture responsabilité des compagnies aériennes; les autres remboursements au titre de la couverture responsabilité s’élèvent à 10 milliards de dollars (Hartwig [2002]).
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[10]
Si l’on considère le risque qu’un immeuble de grande taille soit la cible d’un attentat terroriste, les risques individuels de chacun de ses occupants sont fortement corrélés : un assureur qui les couvrirait tous serait très fortement exposé, bien plus que s’il assurait exclusivement des personnes et des entreprises dans des immeubles situés dans des quartiers différents.
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[11]
Je remercie l’un des deux rapporteurs pour m’avoir indiqué ce point.
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[12]
Contre trois fois moins pour l’indice S & P 500.
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[13]
Notons que le phénomène est freiné par l’asymétrie d’information qui existe ex post entre les investisseurs et les assureurs : les investisseurs ne connaissent pas le montant total des pertes que les assureurs vont devoir supporter suite aux attentats. Pour qu’investir dans une compagnie d’assurance touchée par l’événement soit un placement rentable, encore faut-il que l’investissement ne serve pas exclusivement à l’indemnisation des assurés de la compagnie.
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[14]
L’indice Paragon – qui mesure le prix de la réassurance des catastrophes – a augmenté de 7 % en 2002 pour le seul marché américain.
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[15]
Des dynamiques d’ajustement similaires ont été observées après certaines grandes catastrophes naturelles. Ainsi, après l’ouragan Andrew de 1992 et le tremblement de terre de Northridge en 1994, pas moins de 4 milliards de nouveaux capitaux ont été investis dans l’industrie de l’assurance (et spécifiquement pour couvrir de tels risques), à travers la création de captives ou de sociétés de réassurances offshore spécialisées dans la couverture contre les catastrophes naturelles, et pour la plupart basées aux Bermudes (Godard, Henry, Lagadec et Michel-Kerjan [2002]).
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[16]
Doherty, Lamm-Tennant et Starks [2002] analyse empiriquement l’adéquation de l’évolution des marchés d’assurances après le choc du 11 septembre 2001 aux résultats de plusieurs modèles théoriques qui s’avèrent relativement pertinents pour traiter et prédire ce type de phénomènes.
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[17]
Leurs études portent sur les catastrophes naturelles, mais l’argumentaire paraît également justifié dans le cas du terrorisme à grande échelle.
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[18]
Voir notamment Liedtke et Courbage (eds) [2002].
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[19]
Même si cette augmentation peut paraître exorbitante. A titre d’exemple, l’aéroport de Chicago était, avant ces attentats, couvert à hauteur de 750 millions de dollars pour une prime annuelle de 125 000 dollars. Après le 11 septembre 2001, les assureurs n’offraient plus qu’une couverture de 150 millions de dollars, et cela contre le paiement d’une prime de 6.9 millions de dollars (ratio prime sur couverture multiplié par plus de 270).
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[20]
L’étude en question a été réalisée antérieurement aux événements du 11 septembre 2001 et envisageait des désastres d’origine naturelle.
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[21]
En France par exemple, le groupe Axa décide, dès le mois d’octobre 2001, de se désengager d’un contrat qu’il avait signé avec la Fédération internationale de football pour couvrir le risque d’annulation de la coupe du monde de football 2002 au Japon et en Corée (à hauteur de 944 millions d’euros; notons que la couverture est aussitôt prise en charge par l’assureur américain Warren Buffet).
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[22]
Dans certains cas, les terroristes pourraient aussi vouloir atteindre des cibles considérées comme particulièrement sûres afin de démontrer leurs capacités d’attaques; c’est par exemple le cas de cibles gouvernementales ou symboliques, comme ce fut le cas lors du 11 septembre contre les tours jumelles du WTC et le Pentagone.
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[23]
De fait, ces externalités dues aux efforts d’autoprotection peuvent également influencer le prix de l’assurance pour les autres agents; voir notamment Ehrlich et Becker [1972].
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[24]
Lors de la prise d’otages du vol Air France Alger-Paris en décembre 1994, l’intention des pirates de l’air aurait été de faire s’écraser l’avion contre la Tour Eiffel ou d’autres lieux symboliques sur Paris. Cette information n’a été rendue publique que très récemment en France, à savoir après les attentats du 11 septembre 2001. Dans le futur, pour des raisons évidentes, il est très probable qu’une information similaire ne serait pas non plus révélée par les services de renseignement et de défense nationale.
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[25]
Dans la relation assureur/assuré pour la couverture contre les attentats, le problème d’aléa de moralité se pose éventuellement ex post.
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[26]
Pour que la réduction d’asymétrie d’information soit efficace, il ne suffit pas que le gouvernement partage certaines informations dont il dispose avec les assureurs. Encore faut-il que les assureurs puissent intégrer rapidement ces informations à leur politique de primes. Néanmoins, hormis les mutuelles qui peuvent effectuer des rappels de primes auprès de leurs assurés en cours de période contractuelles, les compagnies d’assurance doivent attendre l’échéance de la police d’assurance pour augmenter le montant des primes d’assurance (dans le cas où l’assuré resterait client de la même compagnie).
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[27]
La question du degré d’incertitude sur le risque et de l’apprentissage informationnel constitue donc également une différence importante avec les désastres naturels; DeMarcellis et Michel-Kerjan [2003] modélise sous forme de jeu informationnel cette asymétrie et ses impacts sur les politiques de partages de risques entre assureurs et gouvernement.
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[28]
Même si plusieurs modèles analysant différents scénarios d’attentats de plus ou moins grande échelle ont été élaborés récemment ; voir Major (à paraître), Woo (à paraître).
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[29]
L’initiative lancée en 2002 par l’assureur Allianz, consistant à proposer, notamment à l’intention des industriels des pays européens, une police d’assurance couvrant le risque d’attentat, tend à montrer que tous les assureurs et réassureurs ne sont pas farouchement opposés à couvrir ce risque – et cela sans garantie de l’État – pour peu qu’ils aient le choix des primes, et des assurés.
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[30]
L’Institut National des Assurances israélien paie pour l’indemnisation des dommages physiques aux victimes (pertes de salaire, soins médicaux).
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[31]
En Irlande du Nord, particulièrement touchée par le terrorisme nationaliste, les assureurs ont, dès 1977, refusé de couvrir ces événements. Depuis, les pertes matérielles conséquentes à des attentats sont également indemnisées par le gouvernement qui les finance par les impôts généraux.
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[32]
Par exemple, la franchise restant à la charge de l’assureur doit pouvoir être exprimée en pourcentage des primes touchées par l’assureur, de façon à limiter une attitude d’aléa de moralité ex post de l’assureur (jouer sur les niveaux de réserves ou gonfler les montants d’indemnisation, ce qui permet à l’assureur d’être en bons termes avec ses assurés et d’accéder plus rapidement aux remboursements de son réassureur, l’État).
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[33]
La gratuité de la réassurance gouvernementale reste valable tant que les réserves du fonds ne dépassent par le milliard de livres sterling.
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[34]
A noter que plusieurs changements importants ont été introduits dans le fonctionnement de Pool Re depuis le 1er janvier 2003. Par exemple, les assureurs peuvent désormais tarifer la couverture terroriste eux-mêmes, ce qui n’était pas le cas auparavant. De plus, le prix de la couverture par Pool Re a été multiplié par deux en contrepartie d’une garantie plus large (les attaques chimiques, biologiques et nucléaires sont désormais couvertes).
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[35]
L’émission d’actifs financiers de type “catastrophes bonds” en rapport avec la survenance de scénarios d’attaques particuliers est actuellement à l’étude au sein de plusieurs entreprises américaines. Néanmoins, de tels mécanismes de titrisation se heurteraient, de part la nature même du terrorisme, à un phénomène d’aléa de moralité beaucoup plus important que dans le cas des “Cat. Bonds” émis depuis plusieurs années pour couvrir les conséquences financières de certaines catastrophes naturelles; voir Kunreuther et al. [2003]. Parmi les contributions les plus complètes sur les questions de mécanismes de transfert alternatifs, voir Lane [2002].
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[36]
Cela peut être le cas dans certains pays qui ne s’estiment pas être des cibles du terrorisme. Par exemple, à ce jour, aucun système d’assurance national contre le terrorisme n’a encore été mis en place au Japon, et cela certainement parce que pour la majorité des japonais, ce risque n’apparaît pas aujourd’hui être un risque important.
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[37]
Pour une analyse historique approfondie des interventions du gouvernement comme gestionnaire de risque en dernier ressort, voir Moss [2002].
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[38]
Comme en témoigne par exemple les aides du gouvernement fédéral américain octroyées aux compagnies d’aviation American Airlines et United Airlines après le 11 septembre 2001 pour leur éviter la faillite.
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[39]
Une description des deux systèmes de couverture des dommages corporels existant aujourd’hui en France, le Fonds de Garantie des victimes d’actes de terrorisme et d’autres infractions établi en 1986 et la “garantie des accidents de la vie” (GAV), proposée par les assureurs privés depuis juin 2000, est discutée de manière approfondie dans le chapitre 7 de Godard, Henry, Lagadec et Michel-Kerjan [2002] ; voir aussi Rudetski [2002].
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[40]
Jusqu’en 1986, l’acte de terrorisme ou attentat constituait une clause d’exclusion des couvertures d’assurance de dommage aux biens (explosion d’une voiture ou d’un appartement par exemple). Depuis la loi du 9 septembre 1986, cette clause d’exclusion est réputée non écrite et ne peut plus être invoquée par les assureurs : la clause de garantie obligatoire des actes de terrorisme ou attentats prévaut. Les préjudices matériels sont donc indemnisés par les compagnies d’assurance.
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[41]
Il s’apparente au système Pool Re anglais; le système mis en place en novembre 2002 en Allemagne est similaire, avec la création d’une nouvelle société d’assurance – Extremus AG – engagée jusqu’à 2 milliards d’euros.
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[42]
Les entreprises, les collectivités locales et les immeubles de grande superficie dont les capitaux assurés dépassent les 6 millions d’euros sont ainsi couverts. Il est notable que les contrats de particuliers ne sont pas modifiés. Les particuliers continuent donc à être assurés contre des dommages à leurs biens dus à un attentat ou acte de terrorisme. Concernant les plus grandes entreprises, un décret et un arrêté du 28 décembre 2001 leur donne la possibilité de souscrire pour le risque de terrorisme des montants de garanties différents de ceux prévus pour les autres types de risques de dommages aux biens comme l’incendie.
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[43]
Pour des raisons évidentes de simplicité de gestion, l’assiette sur laquelle porte la couverture est la même que pour le système de couverture contre les catastrophes naturelles. De plus, la surcharge payée par les entreprises ne dépend ni de la situation géographique ni du degré d’exposition au risque ; soit 6 % de la cotisation de base pour des sommes assurées comprises entre 6 et 20 millions d’euros, 12 % pour des sommes comprises entre 20 et 50 millions, et 18 % pour les sommes entre 50 et 750 millions; au-delà, le taux de prime est défini spécifiquement.
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[44]
Le déclenchement des remboursements de réassurance se fait donc en fonction des pertes subies par l’ensemble des compagnies d’assurance et non en fonction des pertes propres à chaque compagnie d’assurance. Cela risque d’engendrer des situations dans lesquelles un petit nombre d’assureurs supportent des coûts pouvant les déstabiliser fortement, alors que l’industrie dans son ensemble est peu touchée (en deçà du seuil de 1.5 milliards d’euros nécessaire à actionner la réassurance de la CCR).
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[45]
Voir les études réalisées par Swiss Re [2002], ainsi que Liedtke et Courbage [2002] et Lenain, Bonturi et Koen [2002].
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[46]
Aux États-Unis, contrairement à la législation française, la couverture dommageresponsabilité n’inclut pas automatiquement une couverture contre le terrorisme. De ce fait, il a été possible aux assureurs américains de refuser de reconduire leurs polices spécifiques “terrorisme” tout en poursuivant leur activité dommage-responsabilité. Certaines polices ont néanmoins été reconduites, moyennant une transformation radicale des termes du contrat : diminution drastique de la couverture, multiplication significative des taux de prime (Kunreuther [2002]).
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[47]
Un premier projet de loi a été présenté par la Chambre des représentants en novembre 2001, le second par le Sénat en juin 2002 qui fut finalement retenu et qui a conduit au TRIA. Le premier projet, qui fut rejeté car jugé trop en faveur de l’industrie de l’assurance, prévoyait que le gouvernement fédéral supporte, dans un premier temps, le remboursement immédiat aux assureurs et aux assurés de 90 % des dommages au-delà d’une franchise d’un milliard de dollars de pertes annuelles supportées par l’ensemble des assureurs américains. Dans un second temps, les assureurs et certains assurés commerciaux auraient remboursé partiellement le gouvernement sous forme de taxes prélevées ex post et sans intérêt.
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[48]
Pour une analyse du mécanisme de couverture des risques terroristes aux États-Unis, voir Michel-Kerjan [2003-a] et Kunreuther, Michel-Kerjan et Porter [2003].
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[49]
Les assureurs ont en effet été contraints de proposer à l’ensemble de leurs clients, et dans un délai de trois mois après la signature du TRIA, une couverture contre le terrorisme, ces derniers ayant le choix de l’acheter ou non : obligation d’offre mais pas d’achat ; voir Michel-Kerjan [2003a].
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[50]
Une première génération de modèles de quantification du risque terroriste a vu le jour à l’automne 2002, développée par des firmes spécialisées dans la modélisation des risques catastrophiques telles que AIR, RMS et EQECat ; voir l’ouvrage co-écrit par l’équipe de la Wharton School en collaboration avec ces trois firmes (Grossi, Kunreuther et Patel (eds.), à paraître).
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[51]
Par exemple, aucun retour d’expérience public n’a été mené en France après l’explosion de l’usine AZF à Toulouse qui constitue pourtant l’une des catastrophes industrielles les plus importantes jamais survenues en Europe ; voir notamment l’éditorial du Journal Le Monde du 21 septembre 2002, jour anniversaire de la tragédie, titrant “AZF, connais pas !”.
1. Introduction
1Le terrorisme n’est pas un risque nouveau : plus de 10 000 personnes ont perdu la vie et plus de 60 000 ont été blessées, victimes d’actes de terrorisme, au cours de ces trente dernières années dans le monde (Vareilles [2001]) [3]. Les attentats perpétrés contre les États-Unis le 11 septembre 2001 ont cependant engendré, à eux seuls, un effet de caisse de résonance tout à fait considérable dans la communauté internationale : l’échelle des potentialités s’est littéralement modifiée.
2Ces attentats ont en effet constitué un événement sans précédent pour un État en paix : tout d’abord, par le nombre de décès à déplorer – 3056 – dans l’effondrement des deux tours du World Trade Center, dans l’écrasement des avions sur le Pentagone et en Pennsylvanie et parmi les services d’urgence. Sans précédent aussi puisque les cibles visées n’étaient pas seulement des biens publics représentant le pouvoir gouvernemental ou relevant de la sécurité publique (l’espace aérien), mais des biens privés détruits par des avions de ligne privés [4]. Au regard des impacts des attentats du 11 septembre, l’acte de terrorisme – sous de multiples formes possibles – est devenu une nouvelle source de sinistres, des “sinistres à grande échelle”.
3Aussi, le risque terroriste s’intègre-t-il dès lors assez légitimement dans un domaine de recherche plus large, celui des risques catastrophiques [5]. Ces recherches connaissent un essor certain depuis plusieurs années, notamment du fait de la survenance dans plusieurs grandes régions industrialisées du monde de catastrophes naturelles particulièrement dévastatrices. Sur un plan purement économique, la question du financement des conséquences de tels événements – et donc du partage du risque ex ante – émerge de manière centrale et nous focaliserons notre analyse du terrorisme sur cet aspect.
4Avant le 11 septembre, la couverture terroriste ne posait pas de problème particulier pour l’industrie de l’assurance, soit que les pays déjà reconnus comme étant exposés à ces risques aient mis en place des systèmes particuliers de couverture, soit que ces risques soient transférés sans difficulté aux compagnies de réassurances disposant de capacités de diversification géographique du risque beaucoup plus importantes. Or, sur ce plan, la réaction des réassureurs mondiaux a été brutale après le 11 septembre : au lendemain de la tragédie, la plupart des grands réassureurs mondiaux, immédiatement suivis par ceux de moindre taille, ont annoncé que jusqu’à nouvel ordre, ils ne réassureraient plus – ou que très partiellement – les risques liés au terrorisme. Ce faisant, ils ont privé les assureurs de cette capacité de transfert de risque. Dans de nombreux pays, les assureurs, désormais privés des capacités de réassurance, et face à un risque catastrophique nouveau et de nature très particulière, se sont alors eux-mêmes tournés vers les Etats en annonçant à leur tour qu’ils ne couvriraient plus ce type d’événements.
5Hier, le terrorisme était considéré comme ne devoir relever que des instances du pays touché, et donc d’une gouvernance nationale. Comme nouveau risque à grande échelle, il devient aujourd’hui un enjeu transnational : l’acquisition et la valorisation d’un savoir-faire collectif, notamment en matière d’économie politique et de gouvernance internationale [6].
6Après cette première section introductive, l’article est organisé comme suit. Dans la section 2, nous analysons les impacts des événements survenus le 11 septembre sur la couverture des actes de terrorisme et la réaction des marchés d’assurance et de réassurance.
7Plus spécifiquement, l’ampleur atteinte par ces événements a transformé l’espace des événements possibles, de risques plus locaux vers des sinistres à grande échelle. Pour les assureurs, cela a nécessité de reconsidérer les termes de leur engagement. Dans le même temps, on a assisté à un afflux significatif de nouveaux capitaux vers l’industrie de l’assurance qui rendait le marché de l’assurance assez attractif pour des investisseurs ; ce phénomène peut paraître assez contre intuitif bien qu’il soit prédit par plusieurs modèles théoriques, et fait que le seul argument de pertes potentiellement catastrophiques ne peut suffire à expliquer entièrement le refus des assureurs de couvrir, seuls, de tels événements.
8Aussi, proposons-nous dans la section 3 quatre spécificités du risque de terrorisme au regard de la question du partage des risques catastrophiques susceptibles d’expliquer ce refus des assureurs : 1) l’existence d’externalités négatives engendrées par des efforts d’autoprotection, du fait de comportements terroristes qui diffèrent grandement en ce sens des effets de la nature ; 2) un degré d’incertitude élevé et qui plus est dynamique ; 3) le fait que les porteurs de risques (assurés, assureurs) ne disposent pas d’information quant à la réalisation possible de nouveaux événements : cette information relève de la sécurité nationale, et donc de l’État. Il s’agit d’un cas tout à fait particulier d’asymétrie d’information ; 4) Enfin, au travers de leurs propres politiques étrangères et de leurs services de contre-terrorisme, les États peuvent influencer l’occurrence de tels événements ; en ce sens, l’État est “faiseur” et gestionnaire de risques.
9Ces caractéristiques amènent à s’interroger sur les fondements des choix de partage de risques entre des assureurs – privés des possibilités offertes par l’industrie de la réassurance – et les gouvernements, ainsi que sur les fondements économiques qui soutiennent le choix d’un schéma particulier. Nous montrons que les caractéristiques du terrorisme nécessitent que tout système de couverture implique impérativement le niveau gouvernemental du pays. Ces différents schémas de couverture sont discutés dans la section 4 et mis en regard avec des systèmes existant déjà à l’étranger (Espagne, Grande-Bretagne et Israël notamment).
10En France, un nouveau système de couverture contre les conséquences matérielles d’actes terroristes, fondé sur un principe de solidarité nationale et qui prend appui sur le secteur privé, a été mis en place très rapidement [7]. Opérationnel depuis le 1er janvier 2002, il constitue un schéma cohérent qui répond de manière appropriée aux spécificités du marché français. Il est discuté dans la section 5 de l’article.
11Enfin, nous analyserons la situation aux États-Unis où la menace terroriste reste présente dans tous les esprits, dans un pays qui a désormais placé la question du contre-terrorisme au cœur de ses décisions politiques. Situation paradoxale, le 11 septembre 2002, jour anniversaire de la tragédie, aucun système national de couverture commerciale contre le terrorisme n’existait encore aux États-Unis. La loi finalement signée en novembre 2002, le Terrorism Risk Insurance Act (TRIA) instaure un système provisoire – établi pour trois ans – de partage de risques entre État fédéral, assureurs et assurés. Nous l’introduisons dans la section 6 et mettons en avant les principales interrogations pour l’avenir de ce système. La direction du Trésor américain, en collaboration avec des équipes de recherche [8], travaille actuellement à établir une solution plus durable de couverture pour l’après 2005, année d’arrêt du système TRIA. La section 7 conclut.
2. Impact du 11 septembre 2001 sur l’assurabilité du terrorisme
12Dans cette section, nous montrons pourquoi le seul argument de pertes potentiellement catastrophiques ne peut suffire à expliquer le refus des assureurs de couvrir, comme avant, ce type d’aléas.
2.1. Hypercorrelation des risques : l’événement le plus coûteux de l’histoire de l’assurance
13Avec 40 milliards de dollars pour les seuls dommages assurés (majoritairement remboursés par les réassureurs), les attentats du 11 septembre 2001 constituent, de fait, le sinistre le plus coûteux de toute l’histoire de l’assurance et de la réassurance mondiale (Swiss Re [2002] ; Lelain, Bonturi et Koen [2002]). Qui plus est, des lignes de risques très diverses ont été touchées en même temps [9]. L’hypercorrelation des risques apparaît alors comme une des composantes importantes du risque terroriste [10]. A cet égard, la concentration croissante d’habitations ou d’activités en un même lieu pourrait bien constituer un facteur aggravant comme cibles privilégiées pour des groupes terroristes à la recherche d’un impact extrême. En termes de prévention, une réponse possible serait de mettre en place des politiques de déconcentration des patrimoines [11]. Les réflexions actuellement en cours aux États-Unis quant à la multiplication des centres de décisions et la redondance géographique des États-majors d’entreprises et des services gouvernementaux – afin de permettre la continuité de l’activité en cas d’attaques contre l’un des centres décisionnels – vont d’ailleurs en ce sens (les tours du WTC abritaient un grand nombre de sièges sociaux et de centres de commandement, dont le centre de gestion de crise de la ville de New York qui fut entièrement détruit, nécessitant une réorganisation complète, en temps réel, pour gérer l’événement).
2.2. Réactions des marchés d’assurances : l’apport des modèles théoriques
14Dans les semaines qui ont suivi, un phénomène pouvant paraître assez contre intuitif s’est produit. Les cours des actions des compagnies d’assurances ont d’abord chuté les jours suivant les attentats, puis n’ont cessé de remonter au fil des semaines. On estime ainsi qu’entre le 10 septembre 2001 et le 08 novembre 2001, l’indice boursier des compagnies américaines d’assurances dommage-responsabilité a augmenté de 6,5 % [12]. Ainsi, sur la période septembre-novembre 2001, quelques 19 milliards de dollars de nouveaux capitaux ont été investis dans ces marchés d’assurances [13].
15Comment expliquer cet afflux de nouveaux capitaux après une grande catastrophe alors même que l’on pourrait s’attendre à une réaction inverse des investisseurs, à savoir se désengager sur le moyen terme d’un domaine jugé trop risqué ? A la suite de sinistres catastrophiques de cette ampleur, on peut tout d’abord s’attendre à une prise de conscience collective (populations, entreprises) des risques encourus. Il en résulte une croissance forte et immédiate de la demande d’assurance. Parallèlement à cette augmentation de la demande, les assureurs limitent leur offre de couverture (ce qui ne constitue pas une défaillance de marché, mais plutôt une réaction à un choc spécifique : pertes importantes, capacités réduites, révision à la hausse des potentialités de catastrophes, augmentation des prix de la réassurance [14] ). Un nouvel équilibre de marché est alors atteint dans lequel le prix de l’assurance est plus élevé. Le marché devient donc bien plus attractif, du moins tant que de nouveaux événements ne provoquent pas un effet de cumul de pertes qui conduirait de nombreux assureurs à la faillite [15]. Cet ajustement d’un équilibre pré-catastrophe vers un nouvel équilibre (qui peut différer du premier) prend un certain temps durant lequel il existe de réelles opportunités de marché [16].
16Comme le montrent Gron [1994,1999], Doherty et Garven [1995] ainsi que Doherty et Posey [1997] [17], investir dans des compagnies d’assurances ou dans la création de nouvelles structures de couverture spécialisée peut donc devenir plus attrayant pour certains investisseurs.
17Le seul caractère catastrophique des montants de remboursements d’assurance après le 11 septembre ne permet donc pas d’expliquer entièrement le refus exprimé par les assureurs de couvrir à nouveau les dégâts matériels conséquents aux actes de terrorisme [18]. Une augmentation des primes de risques les années suivantes [19] et l’arrivée de nouveaux capitaux permet, théoriquement, aux compagnies demeurant solvables de rééquilibrer leur compte et de poursuivre leur activité. Une étude récente confirme d’ailleurs ce point de vue en montrant que l’industrie de l’assurance aux États-Unis pouvait supporter sans déstabilisation majeure une perte liée à un événement extrême occasionnant des dommages assurés à hauteur de 40 milliards (Cummins, Doherty et Lo [2002]) [20].
18Or, de manière pragmatique, que s’est-il passé après les attentats du 11 septembre 2001 ? L’industrie de l’assurance a immédiatement refusé de reconduire, après leur date d’échéance, les polices d’assurance offrant une couverture contre les risques d’attentats [21]. Il faut donc rechercher d’autres caractéristiques dans la nature même du risque pour expliquer non seulement la position des assureurs, mais aussi le désengagement beaucoup plus net des compagnies de réassurance à les couvrir contre cet aléa. C’est l’objet de la section suivante.
3. Particularités du terrorisme comme risque extrême
19Dans cette section, nous mettons en avant et analysons quatre caractéristiques du terrorisme qui en font un risque à grande échelle à part.
3.1. Externalités négatives des efforts d’auto-protection
20Contrairement à d’autres sources de risques extrêmes comme les catastrophes industrielles ou naturelles pour lesquelles l’investissement d’un agent dans des mesures de protection a pour influence de réduire l’occurrence de l’événement et/ou le niveau des pertes potentielles, les mesures de protection contre le risque terroriste sont plus complexes à mettre en place : toute mesure d’autoprotection locale peut également engendrer des externalités négatives. En effet, établir pour un bâtiment particulier des mesures de protection observables publiquement peut, d’un côté, permettre de réduire la probabilité d’attaque contre ce bâtiment puisque le bénéfice marginal d’une telle attaque, du point de vue du groupe terroriste, décroît du fait de l’effet richesse (ressources limitées). D’un autre côté, cela peut alors inciter les terroristes à attaquer des autres bâtiments plus vulnérables [22]. Il en résulte donc que l’autoprotection d’un agent peut augmenter la probabilité des autres agents d’être attaqués [23]. A cause de cette interdépendance dynamique, le bénéfice social retiré d’un tel effort de protection peut s’avérer substantiellement moindre que le bénéfice privé retiré par le propriétaire du premier bâtiment. Seules des politiques de gestion globale des risques permettraient de contenir ces effets en endogénéisant les externalités. En absence de mécanismes de coordination adéquates, il y a nécessité d’interventions gouvernementales pour cela (mise en place de standards de sécurité par exemple) ; voir Kunreuther et Heal [2003].
21Dans la mesure où investissement en autoprotection et assurance sont considérés comme substituts par un agent économique, une telle caractéristique du risque terroriste appelle, au moins théoriquement, des politiques publiques subventionnant l’assurance au détriment des efforts d’autoprotection. Cet argument peut appuyer la rationalité d’une intervention gouvernementale dans les marchés d’assurance du risque terroriste (Hirshleifer [1953] ; Lakdawalla et Zanjani [2002]).
3.2. Incertitude dynamique
22Une autre différence importante avec les catastrophes d’origine naturelle est l’existence d’une incertitude dynamique : les terroristes peuvent adapter leurs comportements en fonction de leurs ressources et de leur connaissance des vulnérabilités des cibles potentielles. Le risque terroriste n’est donc pas quelque chose de figé mais évolue dans le temps (des nouveaux groupes se constituent et peuvent rester à l’état de veille plusieurs années, les cibles et les types d’attaques changent, etc.). Ainsi, s’il est possible de réduire les dommages dus à un tremblement de terre dans la Silicon Valley en Californie par l’adoption de mesures de prévention déjà bien connues techniquement, personne ne peut influencer l’occurrence du séisme lui-même. Le risque terroriste est par contre changeant puisqu’il résulte à tout instant des mesures de protection mises en place par ceux exposés, des actions des gouvernements (voir plus bas) pour augmenter le niveau de sécurité et de la volonté des groupes terroristes de perpétrer un attentat : l’incertitude qui s’y rattache est dynamique.
3.3. Une distribution d’information tout à fait particulière
23Une autre singularité du terrorisme de masse peut expliquer le refus de l’industrie de l’assurance de le couvrir seule. Il s’agit d’abord du haut degré d’incertitude quant aux risques encourus : le 11 septembre 2001 a montré une nouvelle forme de terrorisme pour laquelle il n’existe aucune donnée historique.
24La nature de l’information disponible sur d’éventuelles nouvelles attaques est tout à fait originale, et mérite donc une attention particulière, tant sur le plan pragmatique (pour l’élaboration de politiques publiques ou de stratégies pour les assureurs/réassureurs) que théorique (toute modélisation ne tenant pas compte de cet aspect serait incomplète).
25Quelle est-elle ? Traditionnellement, sur le plan de la théorie économique, l’intervention publique dans les marchés d’assurances se voit justifiée en partie pour des raisons de défaillances de marché (antisélection due à une asymétrie d’information assureurs/assurés, par exemple). Or, dans le cas du risque terroriste, le problème est plutôt qu’il existe une symétrie de non-information entre les assureurs et leurs assurés quant aux risques encourus à couvrir. En effet, pas plus les assureurs que les assurés eux-mêmes ne disposent d’information probante sur ces risques. S’il existe bien une asymétrie d’information, celle-ci se situe entre le gouvernement et les compagnies d’assurance couvrant les risques : le gouvernement dispose a priori d’une meilleure information sur ces risques, notamment grâce aux services de renseignement, d’espionnage et de contre-espionnage et à la coopération internationale en matière de lutte anti-terroriste. Cependant, au nom de la sécurité de l’État, de telles informations ne sont pas rendues publiques [24]. Dans un tel contexte, le terrorisme à grande échelle n’est pas seulement un risque nouveau pour lequel il n’existe pas de données historiques, mais aussi pour lequel le gouvernement est la partie la plus informée (hormis les groupes terroristes bien entendu). Les problèmes d’asymétrie d’information ex ante, observés dans une relation traditionnelle assureur/assuré, ne se posent guère pour le risque de terrorisme à grande échelle [25].
26Cette distribution de l’information contribue à ce qu’un système de couverture contre les risques d’attentat ne puisse se satisfaire des seuls assureurs privés [26] et doive impliquer le gouvernement.
3.4. L’État, “faiseur” et porteur de risques de terrorisme
27L’État n’a pas seulement une meilleure information sur le risque, il est aussi gestionnaire de risques. Localement, l’État peut utiliser les informations dont il dispose pour diminuer le niveau de vulnérabilité de lieux connus comme étant des cibles potentielles ou avérées, et aussi réduire l’activité terroriste sur son territoire (réduction des pertes potentielles) ; par exemple, en renforçant la présence policière dans certains lieux publics ou les contrôles dans les ports et les aéroports.
28Sur un plan international, certaines décisions des instances gouvernementales d’un pays affectent le niveau de risque : la politique étrangère peut fortement alimenter ou fortement limiter la volonté de certains groupes terroristes de frapper les intérêts nationaux. Le comportement de l’État affecte donc, au moins en partie, les probabilités d’occurrence des actes de terrorisme et le niveau des pertes associées.
29Sur le plan de l’analyse économique, il s’agit là d’une caractéristique importante du risque de terrorisme comme risque catastrophique : l’État est “faiseur” de risques. Il est également la première source de prévention de tels risques.
30Dès lors, il n’existe pas, à ma connaissance, d’autres exemples semblables à celui du terrorisme à grande échelle : une relation assureur/assuré pour couvrir un événement, potentiellement catastrophique dans laquelle un tiers qui peut influer sur l’occurrence d’un risque, est la partie la mieux informée [27]. Or, du point de vue de l’économie normative, une solution efficace pour traiter de telles situations où l’une des parties peut agir sur la probabilité d’un événement ou sur les niveaux des pertes potentielles, est, justement, de rendre cette partie porteuse de risques.
31Dans un tel contexte, il apparaît difficile de s’appuyer exclusivement sur les fondements traditionnels de l’assurance (calculs actuariels, primes indexées sur le risque statistique réellement encouru et sur les efforts de prévention de l’assuré, mis en place de franchises également modulées, etc.) [28]. Mieux vaut mettre à profit des conceptions fondées sur des schémas globaux de partage de risques à grande échelle s’appuyant sur un haut degré de mutualisation et le développement de partenariats public-privé.
32Le partage des risques au sein du seul secteur privé requiert des conditions que ne présente donc plus le risque terroriste dès lors que l’échelle atteinte par les sinistres devient trop importante au regard des capacités des assureurs, a fortiori lorsqu’ils sont privés de toute solution de réassurance. Les attentats du 11 septembre 2001 ont considérablement transformé cette échelle. La perception du risque a également changé. Plusieurs arguments développés plus haut rendent naturelle et nécessaire une intervention gouvernementale afin de palier le défaut de couverture de la sphère privée, sous peine de voir tout simplement cette dernière se désengager. Une telle intervention – qui peut très bien n’être que temporaire – n’est pas seulement indispensable parce que les montants en jeux sont catastrophiques (pour bénéficier des capacités de diversification intertemporelle des coûts, et sur l’ensemble des contribuables, dont dispose le gouvernement), mais aussi parce que l’État est faiseur de risques et parce qu’il dispose d’une meilleure information sur le risque.
33Comment le gouvernement peut-il intervenir ? Doit-il pendre à sa charge la couverture des conséquences des attentats pour l’ensemble de la nation ? De manière opposée, peut-il réellement se désengager totalement en laissant faire le marché de l’assurance [29] ? Quels sont les avantages et les inconvénients des différents modes d’intervention gouvernementale ?
34Plusieurs solutions de partenariats public-privé pour le partage des risques de terrorisme sont proposées dans la section suivante et reliées aux schémas qui existent à travers le monde.
4. Schémas nationaux de couverture
35Nous proposons dans cette section trois schémas possibles de partage du risque de terrorisme entre un gouvernement et la sphère privée de l’assurance. Ces solutions vont d’une intervention gouvernementale totale à l’absence d’intervention gouvernementale. Cette dernière possibilité paraît néanmoins difficilement concevable compte tenu des particularités que nous venons de mettre en avant. Le choix d’un système en particulier devra répondre aux attentes spécifiques du gouvernement et des assureurs du pays concerné.
4.1. Le gouvernement comme assureur en dernier ressort
36Dans cette configuration, le gouvernement supporte la majeure partie des risques (assurance publique volontaire), voire tous (assurance obligatoire), et cela sans aucun recours à l’industrie de l’assurance. Il est souvent retenu pour couvrir des pays particulièrement exposés où les assureurs refusent toujours de couvrir ces risques. La mise en place d’un tel système se fonde sur une notion de solidarité nationale devant le terrorisme, chacun contribuant à l’indemnisation des victimes.
37Une telle couverture peut s’établir par la création d’un fonds public qui recueille les primes et indemnise en cas d’attentats. C’est notamment le cas en Espagne où un organisme public, le Consortio, couvre à la fois contre les catastrophes naturelles et les actes de terrorisme.
38La couverture gouvernementale peut également s’effectuer sans prélèvement de primes ex ante, les remboursements étant financés par l’impôt. En Israël par exemple, les dommages matériels dus à des actes de terrorisme sont couverts par un fonds public. La participation de tous est obligatoire et les remboursements des dégâts matériels sont financés par les impôts généraux [30]; le gouvernement israélien, et donc l’ensemble des contribuables, supporte les risques [31].
4.2. Le gouvernement comme réassureur en dernier ressort
39Un tel système constitue un partage de risque effectif entre secteurs public et privé : puisque les assureurs peuvent se réassurer directement auprès d’une instance publique ad hoc, les risques sont supportés par les deux parties. Le niveau de partage dépendra alors de la structure du système d’assurance et du type de contrat de réassurance retenu [32]. En Afrique du Sud, de nombreux assureurs privés se sont d’abord retirés de ce marché en 1976. Il s’en est suivi la création d’un pool, le SASRIA (South Africa Strikes and Riots Insurance Association), constitué des quinze plus grandes compagnies d’assurances opérant dans le pays. Le gouvernement est le réassureur en dernier ressort du pool. De même en Grande-Bretagne, depuis les attaques terroristes de l’IRA à Londres en 1993, les assureurs britanniques peuvent se réassurer pour le risque de terrorisme auprès d’une mutuelle d’assurance spécifique, Pool Re, constituée de plus de 200 membres. La couverture par les assureurs privés a été facilitée par l’existence d’une police spécifique. Cette police est rattachée aux contrats commerciaux d’assurance mais toutefois indépendante, avec une prime d’assurance propre qui dépend notamment de la localisation géographique des biens assurés (il existe un taux différent pour chacune des quatre zones définies, le prix maximum étant pour le centre-ville de Londres). La totalité de ces primes est transférée à Pool Re. En cas de sinistre, l’assureur couvert par le pool supporte une certaine franchise, le pool prenant en charge le complément. Le gouvernement britannique agit comme réassureur du pool en dernier ressort, et cela gratuitement et sans limite de garantie [33] dès que les réserves de Pool Re s’avèrent insuffisantes (en janvier 2001, le pool disposait de 1,1 milliards d’euros de réserves) [34].
40Les assureurs ne supportant qu’une franchise relativement faible au regard des montants de pertes possibles, un tel système présente l’avantage de limiter le risque de crédit (insolvabilité de l’assureur). Comme dans le schéma précédent, l’avantage principal d’un tel mécanisme est que les assurés seront toujours indemnisés car aucune faillite de compagnies d’assurance réassurées auprès du pool, n’est à craindre du fait d’un attentat. Un schéma de réassurance gouvernementale permet également limiter les effets économiques post attaque de court terme, notamment la réduction de l’offre d’assurance après un sinistre à grande échelle, tel que cela a été le cas après le 11 septembre 2001. Précisément, cette configuration a été retenue en France et aux États-Unis, avec des conditions de partage de risques assurés/assureurs/gouvernement qui diffèrent néanmoins grandement d’un pays à l’autre (cf. sections 5 et 6).
4.3. Le gouvernement comme prêteur en dernier ressort
41Le choix d’un schéma particulier peut également retenir une intervention gouvernementale encore moins marquée. C’est notamment le cas lorsque le gouvernement accepte ex ante de garantir aux assureurs l’obtention de prêts à taux réduit s’ils ne disposent pas des montants nécessaires à l’indemnisation de leurs assurés en cas d’attaques terroristes. Les assureurs rembourseront alors le gouvernement sur une période de temps décrite par le contrat de prêt. Un tel schéma limite également le risque de crédit.
42Le risque supporté par le gouvernement est assez faible dans ce cas : lorsque certaines des compagnies d’assurance auxquelles il a consenti un prêt n’ont plus les moyens d’honorer les remboursements. En tout état de cause, ce risque est bien moindre que les conséquences éventuelles d’attentats à grande échelle. Le concept de prêteur en dernier ressort applicable aux banques pourrait alors être utilisé pour les compagnies d’assurance faisant face à du terrorisme de masse, pour peu que certaines institutions s’y engagent (en France, la direction du Trésor ou la Banque de France par exemple ; aux États-Unis, la Réserve fédérale).
43Néanmoins, il n’est pas certain qu’un tel système serait accepté par la majorité des assureurs qui raisonnent souvent en termes de perte maximum possible (PMP). Lorsque l’État se positionne en réassureur en dernier ressort, la PMP des assureurs égalise leur niveau d’engagement défini ex ante. Lorsque l’État n’est que prêteur en dernier ressort, la PMP en cas de terrorisme peut devenir catastrophique. Cette solution est donc moins avantageuse pour les assureurs que le schéma précédent (État réassureur en dernier ressort) puisqu’ils sont in fine les seuls porteurs de risques [35].
44Enfin, on pourrait également considérer une quatrième configuration, avec une absence totale d’intervention du gouvernement, ni ex ante comme porteur de risques, ni ex post comme prêteur en dernier ressort [36]. Une telle éventualité paraît néanmoins difficilement soutenable politiquement dans des pays jugés à risques lorsque leur réalisation pourrait affecter un grand nombre de personnes ou d’entreprises, soit directement (les victimes elles-mêmes), soit indirectement par effet de cascade sur l’économie tout entière.
45Dans Godard, Henry, Lagadec et Michel-Kerjan [2002], nous montrons comment, devant la pression publique en situation post catastrophe, le gouvernement intervient toujours pour venir en aide aux sinistrés. La menace ex ante d’une non-intervention gouvernementale en cas de catastrophe – notamment pour inciter les personnes et entreprises à mettre en place des mesures de prévention et aussi à s’assurer dans des pays où cela n’est pas obligatoire – est bien souvent, dans la plupart des pays industrialisés du moins, une menace non crédible (voir le concept du “dilemme du politique” dans Godard et al., [2002]). Ceci est d’autant plus vrai dans le cas de terrorisme qui relève avant tout de la sécurité nationale, et compte tenu des caractéristiques du risque lui-même analysées plus haut en détails [37]. Cela d’ailleurs, peut constituer une source d’externalités négatives : comptant sur une intervention gouvernementale en cas d’attaques, les entreprises sont peu enclines à investir dans une couverture d’assurance devenue coûteuse [38].
46En tout état de cause, le choix d’un système particulier, des mécanismes de partage de risques associés et des conditions d’opération doit bien évidemment tenir compte des spécificités du pays considéré. Dans la suite de l’article, nous confrontons ces schémas aux deux marchés particuliers que sont la France et les États-Unis.
5. France : la mise en place du GAREAT
5.1. Spécificités françaises
47Quelle analyse pouvons-nous faire de la situation française en matière de couverture contre les actes de terrorisme ? Nous nous focalisons ici sur la seule question de la couverture des dommages matériels [39].
48La recherche d’un système de couverture contre des sinistres d’origine terroriste a du se faire, en France, dans un contexte particulier.
49D’une part, la couverture d’assurance contre ce type d’événements y était dépendante de celle “dommage-responsabilité” [40], et posait donc un véritable problème de choix d’engagement aux assureurs français. En effet, en France, depuis la loi de 1986, les contrats d’assurance dommageresponsabilité donnent droit à une couverture contre le terrorisme. Dès lors, ne pas reconduire leurs polices d’assurance dommage-responsabilité impliquait pour les assureurs français de cesser également leur activité de base et pour les entreprises, de n’être plus couvertes.
50D’autre part, l’explosion de l’usine AZF de Toulouse, dix jours seulement après les attentats contre les États-Unis, a particulièrement alimenté la psychose de nouveaux attentats sur le territoire français.
51La connaissance et la prise en compte de ces deux éléments sont nécessaires pour évaluer le schéma qui a été mis en place et vouloir s’en inspirer pour élaborer d’autres systèmes à l’étranger.
52A l’automne 2001, les assureurs français ont d’abord annoncé qu’ils ne reconduiraient pas au-delà du 31 décembre (date d’échéance de la plupart des contrats) un certain nombre de polices jugées trop risquées : les assurés auraient alors été, de fait, dans l’incapacité de trouver une couverture, non seulement contre le terrorisme mais aussi en dommage-responsabilité. Cette réaction a obligé le Trésor à s’impliquer dans des négociations avec la sphère privée de l’assurance, afin d’établir une solution de partenariat pouvant être effective au 1er janvier 2002.
53Or, il existait déjà en France un système national de couverture contre des événements potentiellement catastrophiques et, fondé sur un partenariat entre les secteurs public et privé. Il s’agit du “système Cat. Nat.” (pour “catastrophes naturelles”). Établi en 1982, le système couvre contre les événements naturels légalement considérés comme des “catastrophes naturelles”, dont les primes sont collectées et gérées par les assureurs privés avec la possibilité d’être réassurés auprès de la Caisse Centrale de Réassurance (CCR) qui dispose d’une garantie illimitée de l’État (Michel-Kerjan [2001]). Précisément, le système mis en place pour couvrir les conséquences matérielles d’actes de terrorisme s’appuie, au moins partiellement, sur une logique d’opération similaire à celle du système Cat. Nat.
5.2. Un schéma cohérent
54De leur côté, les assureurs privés se sont engagés à constituer un pool de co-réassurance capable d’offrir une mutualisation suffisante du risque terroriste. Pour limiter les risques de crêtes, le gouvernement, de son côté, s’est engagé à garantir de manière illimitée le pool au-delà d’un certain montant total annuel de sinistres assurés. Ce montant a tout d’abord été fixé à 1,5 milliards d’euros par an pour l’année 2002.
55Le Gareat (Groupement des Assureurs et des Réassureurs des Attentats Terroristes) voit ainsi le jour avant l’échéance du 31 décembre 2001 [41] et permet la couverture de ce type d’événements [42]. En outre, il s’agit du premier partenariat public-privé de couverture contre le terrorisme établi dans le monde après le 11 septembre 2001. Il regroupe entre autre les entreprises membres de la Fédération française des sociétés d’assurance (FFSA) et du Groupement des entreprises mutuelles d’assurance (GEMA). Pour l’année 2002, le montant total des primes versées par les assureurs participants a été de l’ordre de 190 millions d’euros [43]. Moyennant le paiement de ces primes, le Gareat les réassure en excédent de perte annuelle. En 2002, le partage des risques s’effectuait comme suit. En cas d’attentat, les assureurs auraient supporté les 250 premiers millions d’euros. Une première ligne de 250 autres millions d’euros constituerait la rétention du pool (moyennant 30 % des primes “attentats” perçues) [44]. Une deuxième ligne regroupant des grands assureurs et des réassureurs (Munich Re, Swiss Re, Hanover Re, Partner Re et la SCOR) aurait pris en charge les remboursements compris entre 500 millions et 1 milliard d’euros (ayant reçu en retour 50 % des primes perçues). Pour les coûts compris entre 1 et 1,5 milliards d’euros, la CCR, qui touchait 10 % des primes attentats (soit 20 millions d’euros), pouvait accorder aux assureurs des prêts à taux zéro remboursables sur dix ans (combinaison réassureur/prêteur en dernier ressort). L’État français se porte garant au-delà du plafond de 1,5 milliards d’euros (porté à 1,75 milliards en 2003 avec l’augmentation de la retention du pool et la création d’une nouvelle ligne couverte par les réassureurs).
56Un tel schéma présente deux avantages : d’une part, de permettre une mutualisation du risque terroriste parmi les assureurs et de limiter l’engagement des réassureurs partenaires du pool et, de l’autre, de maîtriser, grâce à la garantie de l’État, un effet éventuel de cumul global sur une année. Il convient de faire remarquer que ce système n’est pas définitif : il a d’abord été mis en place pour une période d’un an, dans l’attente d’un retour à une situation contractuelle plus normale que ce qu’elle était au 1er janvier 2002. Néanmoins, tout porte à penser qu’après deux ans d’existence d’un système assez commode car de gestion parallèle au traitement des sinistres “Cat. Nat”, les assureurs pourraient accepter de le prolonger au-delà, comme ils le firent déjà pour 2003.
57Il s’agit d’un schéma cohérent qui répond bien aux spécificités du marché français. Il conviendra de l’adapter à la sinistralité sur cette ligne de risques très particulière. Notons enfin que par l’élaboration d’une telle structure de partage de risques, le gouvernement français supporterait, comme réassureur illimité en dernier ressort, la plus grande part des coûts si un sinistre de très grande échelle survenait. L’engagement des assureurs français paraît in fine assez peu élevé au regard des pertes potentielles aujourd’hui considérées par différents scénarios d’attaques terroristes.
6. La couverture du terrorisme aux États-Unis
6.1. Reconsidérer le risque terroriste
58La couverture terroriste était incluse, avant le 11 septembre 2001, sans aucune surcharge spécifique dans la plupart des contrats d’assurance commerciaux standards américains. Cette couverture privée ne posait donc pas de problème particulier, notamment parce que les pertes humaines et financières associées à des actes de terrorisme ont été historiquement faibles aux Etats-Unis, et surtout, à un certain degré, faiblement corrélées.
59En 1993, le premier attentat contre le World Trade Center, tua 6 personnes et causa 725 millions de dollars de pertes assurées. L’attentat à la bombe d’Oklahoma City, en 1995, qui tua 168 personnes, était jusqu’ici le plus important perpétré sur le sol américain, mais les pertes matérielles furent essentiellement des dommages aux biens fédéraux, donc couverts par le gouvernement (Swiss Re [2002]). Qui plus est, cet attentat fut perpétré par un citoyen américain sans connexion avec un quelconque groupe terroriste (on parle alors d’“attentat domestique”). C’est la raison pour laquelle ni les assureurs ni les réassureurs travaillant aux États-Unis n’avaient jusque-là véritablement porté attention au risque terroriste. Les attaques du 11 septembre 2001 les ont obligés à le reconsidérer entièrement. Une grande partie des réassureurs a ainsi décidé de se désengager de ce marché, estimant que ce risque n’était plus assurable [45]. Très vite, la plupart des assureurs américains, privés de capacité de réassurance et non liés à la couverture dommage-responsabilité (contrairement au marché français), a refusé de poursuivre la couverture de tels événements [46].
60Ainsi, au début de l’année 2002, pas moins de 45 états américains autorisaient les sociétés d’assurances à exclure le risque terroriste de leurs contrats [47]. Le 11 septembre 2002, jour anniversaire de la tragédie, aucun système national de couverture commerciale contre le terrorisme n’existait encore aux États-Unis, et les entreprises restaient non couvertes dans une très grande majorité (Hale [2002]) [48].
6.2. Le schéma de partage de risque
61Une telle situation était dénoncée par beaucoup d’entreprises : non seulement de nouvelles attaques auraient infligé des conséquences financières tout à fait considérables aux entreprises non couvertes, mais surtout, un nombre croissant de projets de construction étaient reportés ou tout simplement annulés.
62La loi Terrorism Risk Insurance Act of 2002/TRIA, qui établit un système de partage de risques entre l’État fédéral, les assurés et les assureurs, fut finalement votée par le Congrès américain le 26 novembre 2002. Le système mis en place est un mécanisme d’assurance – les réassureurs n’y participent pas – établi pour trois ans.
63Les pertes assurées (lignes d’assurance commerciale et interruption d’activité) ne sont prises en charge par le Tria que si l’attaque est certifiée par le secrétaire du Trésor américain comme “acte de terrorisme” ; i.e. perpétré par des personnes étrangères ou des intérêts directement liés à des réseaux terroristes (un événement comme Oklahoma City ne serait donc pas couvert par le Tria) ; il n’est déclenché que pour des montants de pertes assurées supérieurs à 5 millions et plafonnés à 100 milliards de dollars.
64Comment fonctionne le mécanisme instauré par le Tria ? En cas d’acte de terrorisme certifié, le gouvernement fédéral rembourse 90 % des pertes assurées en dommages-responsabilité au-delà d’une rétention appliquée à chaque assureur, le complément restant à la charge des assureurs. Cette rétention est déterminée comme un pourcentage des cotisations commerciales directes en dommages-responsabilité perçues l’année précédente par la société d’assurances : 7 % en 2003,10 % en 2004 et 15 % en 2005. Notons que le gouvernement fédéral ne reçoit aucun paiement des assureurs pour leur garantir une telle couverture.
65Il existe aussi un second niveau de seuil qui, lui, est appliqué à l’ensemble de l’industrie de l’assurance supportant les pertes. Si les assureurs doivent supporter un niveau de pertes nécessitant l’intervention fédérale, le gouvernement peut également demander un rappel de cotisations obligatoire. Il s’agit d’une surcharge imposée ex post sur l’ensemble des contrats d’assurance commerciale (que l’assuré soit ou non couvert contre le terrorisme), avec une limite maximum, par année, de 3 % du niveau de cotisation de base payée par l’assuré.
66Cette surcharge ex post s’effectue pour les montants payés par l’État fédéral et compris entre le montant total payé par l’industrie de l’assurance (franchise plus les 10 % des montants supérieurs) et un plafond dit “de recoupement” fixé à 10 milliards de dollars en 2003,12,5 en 2004 et sera de 15 milliards de dollars en 2005. Il s’agit donc pour l’État fédéral de ne rembourser les pertes assurées qu’au-delà de ce second seuil appliqué à l’ensemble de l’industrie de l’assurance, avec une répartition des pertes sous ce seuil entre assureurs et entreprises assurées, indépendamment de leurs propres choix d’achat de couverture terrorisme.
67Le schéma retenu ne crée néanmoins pas l’adhésion des assureurs opérant aux États-Unis puisqu’il leur est laissé le soin de tarifer et de gérer la couverture contre le risque terroriste pour l’ensemble de leurs clients [49]. Il s’agit d’un véritable challenge au regard des difficultés importantes à quantifier le risque terroriste et à s’accorder sur des niveaux de potentialités d’attaques [50].
68Un an après la signature du Tria, la question essentielle pour les assureurs américains est maintenant de savoir ce qu’il adviendra en 2005 : le système Tria sera-t-il reconduit et, dans l’affirmative, sous quelles conditions ? Comment inciter les réassureurs à prendre part à un nouveau système de couverture ? Qu’adviendrait-il si de nouvelles attaques étaient perpétrées sur le territoire des Etats-Unis ou contre des intérêts américains à l’étranger ?
69Les systèmes mis en place en Europe, en concertation avec les représentants des compagnies d’assurance, sont déjà cités comme exemples (McColl [2002] ; US Congress [2002]). La future administration américaine, issue de l’élection présidentielle de 2004 aux États-Unis, pourrait vouloir s’en inspirer pour établir un partenariat public-privé durable pour l’après 2005.
7. Conclusion
70Pour ce qui a trait à l’économie de l’assurance et à l’économie politique, nous avons montré que les risques de terrorisme possèdent plusieurs caractéristiques notables. Ils peuvent conduire à des pertes catastrophiques et menacer la continuité économique et sociale d’un pays, les efforts d’autoprotection peuvent engendrer des externalités négatives, le niveau d’incertitude est élevé et qui plus est, dynamique. La question de l’information disponible est essentielle puisque le gouvernement dispose a priori d’une meilleure information sur les risques encourus que les assureurs et les assurés eux-mêmes, assez dépourvus en la matière ; le gouvernement peut influencer le niveau de risques (situation assez singulière). Enfin, il convient de garder à l’esprit que l’offre de réassurance pour ce risque demeure assez limitée au regard de ce qu’elle était avant les attaques du 11 septembre 2001. Ces particularités font de l’attentat un risque “à part” qu’il convient de traiter comme tel.
71Notre connaissance des nouvelles potentialités de sinistres à grande échelle ponctuels, comme nos efforts d’apprentissage en la matière (notamment en France [51] ), demeurent assez faibles. Il s’agit pourtant d’un domaine de l’économie dont le développement est devenu nécessaire si l’on veut pouvoir mesurer l’efficacité économique des partenariats public-privé à établir et des politiques publiques existantes ou à instaurer.
72Face à un spectre grandissant de vulnérabilités combinées avec une interdépendance croissante des activités économiques et sociales fonctionnant en flux tendu, ces questions devraient aujourd’hui relever de l’agenda économique et politique du plus haut niveau des pays.
73Dans cet article, nous avons proposé des éléments de réponse à travers une analyse essentiellement centrée sur la question duale du partage des risques catastrophiques et de l’élaboration de partenariats entre les secteurs public et privé dans le cas du risque terroriste. Un premier pas, même si beaucoup reste à construire pour apporter des solutions adaptées aux enjeux posés par ces nouveaux risques.
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Mots-clés éditeurs : privé, catastrophes, gouvernement, assurance, terrorisme, partenariats public
Date de mise en ligne : 01/02/2009
https://doi.org/10.3917/redp.135.0625Notes
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[1]
L’écriture de cet article a bénéficié du soutien scientifique et financier de l’École Polytechnique, de l’Institut Véolia Environnement, du projet joint Interdependent Security (Wharton School et Columbia University à New York) et du Ministre français des Affaires Etrangères. Les points de vue exprimés ici engagent uniquement son auteur et en aucun cas ces institutions. Cet article est le fruit de nombreuses discussions, en France comme à l’étranger, notamment avec les membres du groupe assurance du National Bureau of Economic Research américain. D’autres éléments furent discutés lors des « Managing and Financing Extreme Events » Meetings organisés en octobre 2002 et avril 2003 à Wharton. Je remercie les deux rapporteurs ainsi que Sandra Auffray, Christophe Caron, Arnaud Delenda, Dominique Henriet, Claude Henry, Thierry Hommel, Christian Gollier, Paul Kleindorfer, Howard Kunreuther, Patrick Lagadec, Alexia Leseur, David Moss, Pierre Picard, Françoise Rudetski, Bernard Sinclair-Desgagné et Gordon Woo pour leurs commentaires des versions antérieures de cet article et nos échanges sur le sujet. Enfin, je tiens à remercier Jacques DeParis, Président du GAREAT, pour son éclairage sur le système français.
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[2]
Center for Risk Management, The Wharton Business School (Philadelphie, Etats-Unis) et Laboratoire d’économétrie de l’Ecole Polytechnique (Paris). Email : erwannmk@ wharton. upenn. edu.
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[3]
Suivant la définition de l’“acte de terrorisme” retenue, les chiffres peuvent varier d’une étude à l’autre.
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[4]
Notons que la configuration de ces attentats est particulière : les terroristes n’ont pas frappé avec des colis ou des voitures piégées, comme ce fut le cas lors du premier attentat, en 1993, contre le WTC, mais ont détourné de son usage traditionnel l’un des grands réseaux vitaux à la continuité économique et sociale du pays, le transport aérien. Ils ont alors pu bénéficier de ses capacités pour porter une attaque de grande échelle et beaucoup plus déstabilisante puisque chaque élément du réseau, chaque avion de ligne, devenait un vecteur potentiel de danger. Si bien que le réseau tout entier devenait risqué. Cela obligea les autorités américaines à ordonner la fermeture de l’espace aérien aux vols commerciaux sur l’ensemble du territoire américain, première fois qu’elles prenaient une telle mesure. Il est remarquable que les attaques à l’anthrax de l’automne 2001 obéissent à un même schéma de détournement de réseaux vitaux (réseau postal). Pour une analyse récente des questions de protection des grandes infrastructures critiques aux États-Unis, voir Michel-Kerjan (à paraître).
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[5]
Pour les plus récents travaux sur la question, voir notamment Zeckhauser [1996], Kunreuther et Roth [1998], Froot [1999,2001], Gollier [2002], Kunreuther, Grossi et Patel (à paraître), Grace, Klein, Kleinforfer et Murray [2003] et pour des contributions en Français, Zajdenweber [2000], Godard, Henry, Lagadec et Michel-Kerjan [2002].
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[6]
La tenue de la conférence “Terrorisme et responsabilité pénale internationale”, organisée par l’association SOS Attentats en février 2002 à l’Assemblée Nationale (Paris), a également mis en lumière cette évolution. Il en est ressorti la nécessité d’une coopération internationale, devenue d’autant plus impérative que le développement de réseaux terroristes de toute sorte s’est considérablement accéléré ces dernières années (ONU [2002], SOS Attentats [2002], US Department of State [2003]; voir aussi Huntington [1996]), comme en témoignent les recents attentats perpétrés contre des intérêts français. Cette question de collaboration internationale en matière de lutte anti-terroriste a d’ailleurs été inscrite à l’agenda du sommet du G8 à Évian en juin 2003 et conduit à la création du “Groupe d’action contre le terrorisme”.
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[7]
Trois mois seulement après les attentats contre les États-Unis et l’explosion de l’usine AZF de Toulouse.
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[8]
Notamment au sein de la Wharton School.
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[9]
Plus spécifiquement, on estime les pertes liées à l’interruption d’activité à 11 milliards de dollars, le dédommagement des salariés à 2 milliards, l’assurance vie à 2,7 milliards, les pertes matérielles dues à la destruction des tours à 3,5 milliards, montant égal à celui des remboursements au titre de la couverture responsabilité des compagnies aériennes; les autres remboursements au titre de la couverture responsabilité s’élèvent à 10 milliards de dollars (Hartwig [2002]).
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[10]
Si l’on considère le risque qu’un immeuble de grande taille soit la cible d’un attentat terroriste, les risques individuels de chacun de ses occupants sont fortement corrélés : un assureur qui les couvrirait tous serait très fortement exposé, bien plus que s’il assurait exclusivement des personnes et des entreprises dans des immeubles situés dans des quartiers différents.
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[11]
Je remercie l’un des deux rapporteurs pour m’avoir indiqué ce point.
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[12]
Contre trois fois moins pour l’indice S & P 500.
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[13]
Notons que le phénomène est freiné par l’asymétrie d’information qui existe ex post entre les investisseurs et les assureurs : les investisseurs ne connaissent pas le montant total des pertes que les assureurs vont devoir supporter suite aux attentats. Pour qu’investir dans une compagnie d’assurance touchée par l’événement soit un placement rentable, encore faut-il que l’investissement ne serve pas exclusivement à l’indemnisation des assurés de la compagnie.
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[14]
L’indice Paragon – qui mesure le prix de la réassurance des catastrophes – a augmenté de 7 % en 2002 pour le seul marché américain.
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[15]
Des dynamiques d’ajustement similaires ont été observées après certaines grandes catastrophes naturelles. Ainsi, après l’ouragan Andrew de 1992 et le tremblement de terre de Northridge en 1994, pas moins de 4 milliards de nouveaux capitaux ont été investis dans l’industrie de l’assurance (et spécifiquement pour couvrir de tels risques), à travers la création de captives ou de sociétés de réassurances offshore spécialisées dans la couverture contre les catastrophes naturelles, et pour la plupart basées aux Bermudes (Godard, Henry, Lagadec et Michel-Kerjan [2002]).
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[16]
Doherty, Lamm-Tennant et Starks [2002] analyse empiriquement l’adéquation de l’évolution des marchés d’assurances après le choc du 11 septembre 2001 aux résultats de plusieurs modèles théoriques qui s’avèrent relativement pertinents pour traiter et prédire ce type de phénomènes.
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[17]
Leurs études portent sur les catastrophes naturelles, mais l’argumentaire paraît également justifié dans le cas du terrorisme à grande échelle.
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[18]
Voir notamment Liedtke et Courbage (eds) [2002].
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[19]
Même si cette augmentation peut paraître exorbitante. A titre d’exemple, l’aéroport de Chicago était, avant ces attentats, couvert à hauteur de 750 millions de dollars pour une prime annuelle de 125 000 dollars. Après le 11 septembre 2001, les assureurs n’offraient plus qu’une couverture de 150 millions de dollars, et cela contre le paiement d’une prime de 6.9 millions de dollars (ratio prime sur couverture multiplié par plus de 270).
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[20]
L’étude en question a été réalisée antérieurement aux événements du 11 septembre 2001 et envisageait des désastres d’origine naturelle.
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[21]
En France par exemple, le groupe Axa décide, dès le mois d’octobre 2001, de se désengager d’un contrat qu’il avait signé avec la Fédération internationale de football pour couvrir le risque d’annulation de la coupe du monde de football 2002 au Japon et en Corée (à hauteur de 944 millions d’euros; notons que la couverture est aussitôt prise en charge par l’assureur américain Warren Buffet).
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[22]
Dans certains cas, les terroristes pourraient aussi vouloir atteindre des cibles considérées comme particulièrement sûres afin de démontrer leurs capacités d’attaques; c’est par exemple le cas de cibles gouvernementales ou symboliques, comme ce fut le cas lors du 11 septembre contre les tours jumelles du WTC et le Pentagone.
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[23]
De fait, ces externalités dues aux efforts d’autoprotection peuvent également influencer le prix de l’assurance pour les autres agents; voir notamment Ehrlich et Becker [1972].
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[24]
Lors de la prise d’otages du vol Air France Alger-Paris en décembre 1994, l’intention des pirates de l’air aurait été de faire s’écraser l’avion contre la Tour Eiffel ou d’autres lieux symboliques sur Paris. Cette information n’a été rendue publique que très récemment en France, à savoir après les attentats du 11 septembre 2001. Dans le futur, pour des raisons évidentes, il est très probable qu’une information similaire ne serait pas non plus révélée par les services de renseignement et de défense nationale.
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[25]
Dans la relation assureur/assuré pour la couverture contre les attentats, le problème d’aléa de moralité se pose éventuellement ex post.
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[26]
Pour que la réduction d’asymétrie d’information soit efficace, il ne suffit pas que le gouvernement partage certaines informations dont il dispose avec les assureurs. Encore faut-il que les assureurs puissent intégrer rapidement ces informations à leur politique de primes. Néanmoins, hormis les mutuelles qui peuvent effectuer des rappels de primes auprès de leurs assurés en cours de période contractuelles, les compagnies d’assurance doivent attendre l’échéance de la police d’assurance pour augmenter le montant des primes d’assurance (dans le cas où l’assuré resterait client de la même compagnie).
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[27]
La question du degré d’incertitude sur le risque et de l’apprentissage informationnel constitue donc également une différence importante avec les désastres naturels; DeMarcellis et Michel-Kerjan [2003] modélise sous forme de jeu informationnel cette asymétrie et ses impacts sur les politiques de partages de risques entre assureurs et gouvernement.
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[28]
Même si plusieurs modèles analysant différents scénarios d’attentats de plus ou moins grande échelle ont été élaborés récemment ; voir Major (à paraître), Woo (à paraître).
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[29]
L’initiative lancée en 2002 par l’assureur Allianz, consistant à proposer, notamment à l’intention des industriels des pays européens, une police d’assurance couvrant le risque d’attentat, tend à montrer que tous les assureurs et réassureurs ne sont pas farouchement opposés à couvrir ce risque – et cela sans garantie de l’État – pour peu qu’ils aient le choix des primes, et des assurés.
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[30]
L’Institut National des Assurances israélien paie pour l’indemnisation des dommages physiques aux victimes (pertes de salaire, soins médicaux).
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[31]
En Irlande du Nord, particulièrement touchée par le terrorisme nationaliste, les assureurs ont, dès 1977, refusé de couvrir ces événements. Depuis, les pertes matérielles conséquentes à des attentats sont également indemnisées par le gouvernement qui les finance par les impôts généraux.
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[32]
Par exemple, la franchise restant à la charge de l’assureur doit pouvoir être exprimée en pourcentage des primes touchées par l’assureur, de façon à limiter une attitude d’aléa de moralité ex post de l’assureur (jouer sur les niveaux de réserves ou gonfler les montants d’indemnisation, ce qui permet à l’assureur d’être en bons termes avec ses assurés et d’accéder plus rapidement aux remboursements de son réassureur, l’État).
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[33]
La gratuité de la réassurance gouvernementale reste valable tant que les réserves du fonds ne dépassent par le milliard de livres sterling.
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[34]
A noter que plusieurs changements importants ont été introduits dans le fonctionnement de Pool Re depuis le 1er janvier 2003. Par exemple, les assureurs peuvent désormais tarifer la couverture terroriste eux-mêmes, ce qui n’était pas le cas auparavant. De plus, le prix de la couverture par Pool Re a été multiplié par deux en contrepartie d’une garantie plus large (les attaques chimiques, biologiques et nucléaires sont désormais couvertes).
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[35]
L’émission d’actifs financiers de type “catastrophes bonds” en rapport avec la survenance de scénarios d’attaques particuliers est actuellement à l’étude au sein de plusieurs entreprises américaines. Néanmoins, de tels mécanismes de titrisation se heurteraient, de part la nature même du terrorisme, à un phénomène d’aléa de moralité beaucoup plus important que dans le cas des “Cat. Bonds” émis depuis plusieurs années pour couvrir les conséquences financières de certaines catastrophes naturelles; voir Kunreuther et al. [2003]. Parmi les contributions les plus complètes sur les questions de mécanismes de transfert alternatifs, voir Lane [2002].
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[36]
Cela peut être le cas dans certains pays qui ne s’estiment pas être des cibles du terrorisme. Par exemple, à ce jour, aucun système d’assurance national contre le terrorisme n’a encore été mis en place au Japon, et cela certainement parce que pour la majorité des japonais, ce risque n’apparaît pas aujourd’hui être un risque important.
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[37]
Pour une analyse historique approfondie des interventions du gouvernement comme gestionnaire de risque en dernier ressort, voir Moss [2002].
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[38]
Comme en témoigne par exemple les aides du gouvernement fédéral américain octroyées aux compagnies d’aviation American Airlines et United Airlines après le 11 septembre 2001 pour leur éviter la faillite.
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[39]
Une description des deux systèmes de couverture des dommages corporels existant aujourd’hui en France, le Fonds de Garantie des victimes d’actes de terrorisme et d’autres infractions établi en 1986 et la “garantie des accidents de la vie” (GAV), proposée par les assureurs privés depuis juin 2000, est discutée de manière approfondie dans le chapitre 7 de Godard, Henry, Lagadec et Michel-Kerjan [2002] ; voir aussi Rudetski [2002].
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[40]
Jusqu’en 1986, l’acte de terrorisme ou attentat constituait une clause d’exclusion des couvertures d’assurance de dommage aux biens (explosion d’une voiture ou d’un appartement par exemple). Depuis la loi du 9 septembre 1986, cette clause d’exclusion est réputée non écrite et ne peut plus être invoquée par les assureurs : la clause de garantie obligatoire des actes de terrorisme ou attentats prévaut. Les préjudices matériels sont donc indemnisés par les compagnies d’assurance.
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[41]
Il s’apparente au système Pool Re anglais; le système mis en place en novembre 2002 en Allemagne est similaire, avec la création d’une nouvelle société d’assurance – Extremus AG – engagée jusqu’à 2 milliards d’euros.
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[42]
Les entreprises, les collectivités locales et les immeubles de grande superficie dont les capitaux assurés dépassent les 6 millions d’euros sont ainsi couverts. Il est notable que les contrats de particuliers ne sont pas modifiés. Les particuliers continuent donc à être assurés contre des dommages à leurs biens dus à un attentat ou acte de terrorisme. Concernant les plus grandes entreprises, un décret et un arrêté du 28 décembre 2001 leur donne la possibilité de souscrire pour le risque de terrorisme des montants de garanties différents de ceux prévus pour les autres types de risques de dommages aux biens comme l’incendie.
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[43]
Pour des raisons évidentes de simplicité de gestion, l’assiette sur laquelle porte la couverture est la même que pour le système de couverture contre les catastrophes naturelles. De plus, la surcharge payée par les entreprises ne dépend ni de la situation géographique ni du degré d’exposition au risque ; soit 6 % de la cotisation de base pour des sommes assurées comprises entre 6 et 20 millions d’euros, 12 % pour des sommes comprises entre 20 et 50 millions, et 18 % pour les sommes entre 50 et 750 millions; au-delà, le taux de prime est défini spécifiquement.
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[44]
Le déclenchement des remboursements de réassurance se fait donc en fonction des pertes subies par l’ensemble des compagnies d’assurance et non en fonction des pertes propres à chaque compagnie d’assurance. Cela risque d’engendrer des situations dans lesquelles un petit nombre d’assureurs supportent des coûts pouvant les déstabiliser fortement, alors que l’industrie dans son ensemble est peu touchée (en deçà du seuil de 1.5 milliards d’euros nécessaire à actionner la réassurance de la CCR).
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[45]
Voir les études réalisées par Swiss Re [2002], ainsi que Liedtke et Courbage [2002] et Lenain, Bonturi et Koen [2002].
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[46]
Aux États-Unis, contrairement à la législation française, la couverture dommageresponsabilité n’inclut pas automatiquement une couverture contre le terrorisme. De ce fait, il a été possible aux assureurs américains de refuser de reconduire leurs polices spécifiques “terrorisme” tout en poursuivant leur activité dommage-responsabilité. Certaines polices ont néanmoins été reconduites, moyennant une transformation radicale des termes du contrat : diminution drastique de la couverture, multiplication significative des taux de prime (Kunreuther [2002]).
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[47]
Un premier projet de loi a été présenté par la Chambre des représentants en novembre 2001, le second par le Sénat en juin 2002 qui fut finalement retenu et qui a conduit au TRIA. Le premier projet, qui fut rejeté car jugé trop en faveur de l’industrie de l’assurance, prévoyait que le gouvernement fédéral supporte, dans un premier temps, le remboursement immédiat aux assureurs et aux assurés de 90 % des dommages au-delà d’une franchise d’un milliard de dollars de pertes annuelles supportées par l’ensemble des assureurs américains. Dans un second temps, les assureurs et certains assurés commerciaux auraient remboursé partiellement le gouvernement sous forme de taxes prélevées ex post et sans intérêt.
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[48]
Pour une analyse du mécanisme de couverture des risques terroristes aux États-Unis, voir Michel-Kerjan [2003-a] et Kunreuther, Michel-Kerjan et Porter [2003].
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[49]
Les assureurs ont en effet été contraints de proposer à l’ensemble de leurs clients, et dans un délai de trois mois après la signature du TRIA, une couverture contre le terrorisme, ces derniers ayant le choix de l’acheter ou non : obligation d’offre mais pas d’achat ; voir Michel-Kerjan [2003a].
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[50]
Une première génération de modèles de quantification du risque terroriste a vu le jour à l’automne 2002, développée par des firmes spécialisées dans la modélisation des risques catastrophiques telles que AIR, RMS et EQECat ; voir l’ouvrage co-écrit par l’équipe de la Wharton School en collaboration avec ces trois firmes (Grossi, Kunreuther et Patel (eds.), à paraître).
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[51]
Par exemple, aucun retour d’expérience public n’a été mené en France après l’explosion de l’usine AZF à Toulouse qui constitue pourtant l’une des catastrophes industrielles les plus importantes jamais survenues en Europe ; voir notamment l’éditorial du Journal Le Monde du 21 septembre 2002, jour anniversaire de la tragédie, titrant “AZF, connais pas !”.