Couverture de RECSOC_208

Article de revue

Actualités de FORS-Recherche sociale

Une parentalité contemporaine sous tension

Pages 82 à 85

Notes

  • [1]
    Cicchelli V., Maunaye E., 2001, « Significations de la responsabilité parentale à la naissance de l’enfant et après son adolescence », in Lien social et politiques, n°46.
  • [2]
    Ibid.
  • [3]
    Doumont D., Renard F., Parentalité : nouveau concept, nouveaux enjeux ?, UCL- RESO, Unité d’Education pour la Santé, novembre 2004.
  • [4]
    Déchaux J.-H., 2009, « La famille à l’heure de l’individualisme », in Projet, 2011/3 n° 322, p. 31.
  • [5]
    Entendu comme l’autre ou les autres personnes faisant fonction de parent.
  • [6]
    Boudon R., Besnard P., Cherkaoui M., Lécuyer M.-P., 1999, Dictionnaire de sociologie, Paris, Larousse.
  • [7]
    Colombani J.-M., avec la collaboration de Morel A., Vassalo B. et Zeller P., 2008, Rapport sur l’adoption, collection Rapports officiels, présidence de la République ; Secrétariat général du Gouvernement, La Documentation française.

1 Depuis près de 25 ans, la parentalité est inscrite dans un mouvement ambivalent d’incrimination et de valorisation. Apparue sur le devant de la scène politique à la fin des années 2000 sur fond de discours sécuritaire, la notion de parentalité a d’abord été érigée en « problème social ». L’« égocentrisme » des parents, leur moindre disponibilité et la délégation d’une part de leurs tâches éducatives à des tiers ou relais (école, services de santé, services culturels, services d’accompagnement scolaire, par exemple), la plus grande fragilité de leurs unions… ont été tenus responsables, par les pouvoirs publics, des mauvais comportements et des difficultés d’insertion de la jeunesse, dans un contexte de hausse de la délinquance. En écho à ce discours moralisateur en appelant à la responsabilisation des parents, s’est construit un autre discours, visant à soutenir ces mêmes familles. Centré sur le thème de la coéducation ou éducation partagée, celui-ci a mis en exergue les ressources propres des parents, réhabilitant leur place dans la prise en charge des enfants, et leur reconnaissant un rôle majeur et non substituable.

2 Les sociologues Vincenzo Cicchelli et Emmanuelle Maunaye ont bien cerné ce double mouvement d’incrimination / valorisation de la parentalité. Ils ont notamment démontré comment le souci prégnant de protéger l’enfant, dans son intérêt supérieur et son bien-être, était à l’origine d’une valorisation inédite des tâches éducatives, et, en conséquence, du rôle et de la responsabilité des parents : « Une plus grande vigilance à l’égard du danger que les parents représentent pour leurs enfants s’accompagne d’une plus grande demande d’implication de leur part. Loin de déresponsabiliser les parents, l’avènement de la critique de leurs actions contribue à faire d’eux les interlocuteurs exclusifs des autorités publiques et des experts » [1].

3 Dans ce contexte de sur-responsabilisation, on assiste à une inflation des attentes à l’égard des parents. Sommés de répondre de leur enfant dans tous les aspects de sa vie, « de sa sécurité, de la plénitude de son être, de sa maturation psycho-physique et de sa réussite scolaire et sociale » [2], ils sont aujourd’hui rendus destinataires d’un ensemble de savoirs et de connaissances complexes qu’ils sont censés maîtriser et mettre en œuvre (connaissances en matière de puériculture, de psychologie, de pédagogie, d’hygiène et de diététique…), mais aussi des savoir-être par rapport aux institutions (dont, en premier lieu, l’école). Un ensemble de prescriptions leur sont faites par la sphère publique (experts de la psychologie enfantine, corps médical, PMI, école, médias, etc.) sur la manière d’être parent, en référence à une série de normes dominantes, qui sans être formalisées explicitement dans aucun document, peuvent être synthétiquement retraduites ainsi : la disponibilité et l’investissement continu auprès de l’enfant, en particulier lors des premières années de sa vie ; l’assurance de sa protection et la défense de son intérêt ; l’accompagnement de celui-ci dans la découverte et la réalisation de soi ; la non ingérence dans sa vie et la participation à son autonomisation ; le souci de son avenir et de sa future insertion sociale ; et enfin la cohésion familiale.

4 Dans ce paysage saturé de messages sur le « how to do » et le « how to be »[3], les parents sont souvent frappés d’un sentiment diffus de culpabilité, et ce avant même d’entreprendre une quelconque action auprès de leur enfant. En outre, ils sont en proie à des tensions et angoisses : face à la multiplication des conseils qui leur sont adressés, ils finissent par ne plus savoir lesquels suivre, et par douter du bien-fondé de leurs pratiques éducatives. D’autant plus que les normes éducatives socialement mises en avant sont parfois contradictoires, ce qui rend leur articulation délicate : comment, par exemple, protéger son enfant de certaines fréquentations sans pour autant être intrusif dans sa vie ? Comment s’assurer de sa future position sociale, tout en le laissant libre de ses choix en termes d’orientation puis de parcours professionnel ? Comment maintenir un regard constant sur son enfant sans brider son autonomisation ?

5 Le caractère dans lequel s’exerce aujourd’hui le rôle de parent se révèle donc très contraint : « une partie des problèmes que rencontrent les familles au quotidien résulte de cette difficulté à articuler, tenir ensemble, ces différentes normes (…) c’est un problème de trop-plein plutôt que de vide. Les normes se relativisant les unes les autres, le choix des possibles s’est ouvert pour les individus. Loin de s’opposer à la contrainte sociale, il en est le produit. L’ouverture des possibles est le fait d’une pression multiforme de la société sur l’individu » [4]. Chaque parent tente, à son niveau et en lien avec l’autre parent [5], de se repérer dans ce système normatif, et de composer avec les différentes prescriptions à l’œuvre. Et cet exercice s’avère complexe, les normes pouvant s’opposer les unes au autres mais aussi entrer en contradiction avec des règles, valeurs, principes, ou convictions personnels. Aussi, les parents procèdent à tâtons dans la définition de leur propre parentalité, ils mettent en place des stratégies de négociations, construisent des arrangements, tant avec les normes qu’avec eux-mêmes, pour trouver un mode d’être parent qui ait à la fois du sens pour eux et soit « acceptable » aux yeux de la société.

6 Face à l’intérêt porté à la parentalité et aux dispositifs publics qui y sont associés, la Caisse National des Allocations Familiales (CNAF) s’est interrogée sur la représentation de ce que doit être une « bonne éducation », et en filigrane, une « bonne famille ». En 2011, sa Direction des Statistiques, des Etudes et de la Recherche a ainsi lancé, dans le cadre de son programme de travail, un appel à projets de recherches sur la production et la réception des normes de parentalités, les normes étant entendues comme des « règles qui régissent les conduites individuelles et collectives (…), mode de régulation sociale (…), l’attente de sanctions positives et la crainte de sanctions négatives assurent, dans cette optique, le fonctionnement du système normatif » [6].

La parentalité adoptive comme observatoire privilégié de la réception et de la gestion des normes éducatives

7 Dans le cadre de cet appel à projets de recherche, nous avons fait le choix d’étudier la parentalité adoptive comme fenêtre d’observation privilégiée des modalités de réception et de gestion des normes éducatives par les parents contemporains. Tous les parents sont certes en prise avec une série de normes liées à la parentalité. Néanmoins, les parents adoptifs y sont confrontés de manière spécifique car explicite. En effet, dans le cas de l’adoption, le projet parental et familial sort de la sphère privée puisque sa réalisation et sa mise en œuvre sont conditionnées à l’approbation et à la validation d’un tiers institutionnel, l’Etat. Ce tiers est d’abord en charge de délivrer un agrément pour l’adoption, puis de procéder à des contrôles une fois l’enfant arrivé au foyer. Ainsi, les parents adoptifs se trouvent inscrits dans un processus évaluatif inédit dans l’exercice de leur parentalité qui, de facto, objective et formalise les attentes de la société à leur égard. La parentalité adoptive se présente ainsi comme une configuration normative « extrême » révélatrice de :

  • la manière dont les normes relatives à la parentalité s’expriment et s’actualisent aujourd’hui ;
  • la façon dont les parents contemporains reçoivent ces normes et négocient avec elles ;
  • la façon dont ils vivent les décalages entre les injonctions à l’œuvre et leurs principes personnels d’une part, l’exercice concret de leur parentalité au quotidien, d’autre part.

8 A partir d’entretiens qualitatifs de type ethnographique avec 30 couples de parents ayant adopté à l’étranger au cours des cinq dernières années, il s’agira de mettre en lumière la manière dont les parents adoptifs vivent et gèrent les injonctions qui leur sont adressées, et d’identifier les ajustements auxquels ils procèdent pour les articuler avec leur identité personnelle (de conjoint, de professionnel, d’ami, de « fils » ou de « fille de », etc.).

9 Dans un contexte si institutionnalisé et réglementé, comment les parents réagissent-ils ? Comment se positionnent-ils par rapport aux normes éducatives à l’œuvre ? Tentent-ils de se conformer au modèle du « bon parent » délivré par les services d’adoption et acteurs socio-éducatifs concernés ? Ou développent-ils, au contraire, des stratégies pour mettre à distance les normes ? Quelles sont leurs marges de manœuvre pour exprimer leur propre modèle éducatif dans un cadre en apparence très contraint ? De quelle manière la configuration normative spécifique dans laquelle s’exerce leur parentalité impacte-t-elle leur définition de soi ? Quelle renégociation identitaire (entendue comme négociations avec soi-même, avec ses représentations personnelles…) suppose-t-elle ou induit-elle ?

10 L’étude de l’ensemble de ces questions débouchera sur la proposition d’une typologie des modes de réception et de gestion des normes liées à la parentalité par les parents adoptifs. Cette typologie devra être conçue à la fois comme un outil de connaissance sur la construction normative et le vécu du rôle de parent aujourd’hui, mais aussi comme un outil plus opérationnel, ouvrant, dans la continuité du rapport Colombani [7], des pistes de réflexion sur la manière dont la CNAF pourrait se positionner dans l’accompagnement des familles après l’adoption.

Notes

  • [1]
    Cicchelli V., Maunaye E., 2001, « Significations de la responsabilité parentale à la naissance de l’enfant et après son adolescence », in Lien social et politiques, n°46.
  • [2]
    Ibid.
  • [3]
    Doumont D., Renard F., Parentalité : nouveau concept, nouveaux enjeux ?, UCL- RESO, Unité d’Education pour la Santé, novembre 2004.
  • [4]
    Déchaux J.-H., 2009, « La famille à l’heure de l’individualisme », in Projet, 2011/3 n° 322, p. 31.
  • [5]
    Entendu comme l’autre ou les autres personnes faisant fonction de parent.
  • [6]
    Boudon R., Besnard P., Cherkaoui M., Lécuyer M.-P., 1999, Dictionnaire de sociologie, Paris, Larousse.
  • [7]
    Colombani J.-M., avec la collaboration de Morel A., Vassalo B. et Zeller P., 2008, Rapport sur l’adoption, collection Rapports officiels, présidence de la République ; Secrétariat général du Gouvernement, La Documentation française.
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