Notes
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[*]
Télécom ParisTech, Département de sciences économiques et sociales, et CREST-LEI. Correspondance : Télécom ParisTech, 46 rue Barrault, 75634 Paris Cedex 13. Courriel : marc.bourreau@telecom-paristech.fr
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[**]
John F. Kennedy School of Government et invité à l’Institute for Advanced Study, Princeton (N.J.) (2013-2015). Correspondance : John F. Kennedy School of Government, 79 John F. Kennedy Street, Cambridge, MA 02138, États-Unis. Courriel : pinar_dogan@hks.harvard.edu
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[***]
Central University of Finance and Economics, School of Management and Engineering. Correspondance : Central University of Finance and Economics, 39 South College Road, Haidian District, Beijing, P.R. China 100081. Courriel : romain.lestage@cufe.edu.cn
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[1]
Les effets d’apprentissage et la relation entre niveau d’accès et différenciation des services sont discutés dans Bourreau, Dogan et Lestage [2014], mais de façon informelle et incomplète.
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[2]
Par exemple, dans les télécoms, le dégroupage de la boucle locale correspond à un niveau d’accès λ bas, tandis que l’accès « au débit » (ou bitstream access) correspond à un niveau d’accès λ plus élevé.
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[3]
Notre modélisation se concentre sur la stratégie d’investissement de l’entrant et ignore les réactions possibles de l’opérateur historique.
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[4]
Pour ce modèle de base comme pour les extensions développées dans les sections suivantes, nos hypothèses sur la fonction de coût d’investissement assurent que les conditions du second ordre sont satisfaites. Les dates optimales d’investissement sont donc obtenues à partir des conditions du premier ordre.
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[5]
C’est un des motifs pour lesquels les autorités de régulation nationales cherchent généralement à promouvoir le dégroupage de la boucle locale, qui correspond à un niveau d’accès bas.
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[6]
Bourreau et Dogan [2012] proposent un modèle dans lequel le degré de différenciation entre opérateurs dépend du niveau d’accès, mais ils n’étudient pas la décision d’investissement de l’entrant.
Introduction
1Le développement des télécommunications et des services d’accès à Internet requiert de gros investissements en infrastructure. Au cours des quinze dernières années, des dépenses importantes ont été engagées par les opérateurs pour moderniser leurs réseaux et permettre l’essor de l’accès à Internet. Le déploiement de réseaux de nouvelle génération en fibre optique a été amorcé plus récemment pour la fourniture de l’accès à l’Internet à très haut débit.
2Les télécommunications constituent, depuis le mouvement de libéralisation de la fin des années 1990, un secteur concurrentiel où les investissements sont essentiellement réalisés par des acteurs privés. Il s’agit néanmoins d’un secteur régulé. L’existence de fortes tendances à la concentration du marché, d’inégalités géographiques en termes de coûts de déploiement des infrastructures et d’externalités sur un grand nombre d’activités économiques incite les pouvoirs publics à encadrer le secteur. L’accès tiers aux réseaux constitue un des dispositifs centraux de cette régulation. Il vise à faciliter le développement de la concurrence en contraignant les opérateurs qui disposent d’infrastructures à les partager avec leurs concurrents.
3Cette régulation est particulièrement débattue, en raison de ses effets potentiellement négatifs sur les incitations à investir. En permettant à des firmes d’entrer sur le marché « par les services », c’est-à-dire sans déployer d’infrastructure en propre, l’accès ne dissuade-t-il pas l’investissement dans de nouveaux réseaux ? À l’inverse, la possibilité d’entrer par les services et d’acquérir de l’expérience tout en répartissant dans le temps les coûts d’investissement ne favorise-t-elle pas, comme le soutient l’approche de l’échelle de l’investissement (Cave et Vogelsang [2003] ; Cave [2006]), le développement à terme de la concurrence par les infrastructures ?
4Depuis son introduction dans les débats réglementaires, l’approche de l’échelle de l’investissement est devenue une pierre angulaire pour les régulateurs du secteur. Par exemple, dans son rapport d’activité de l’année 2006, l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) a cité l’échelle de l’investissement comme l’élément central de sa politique réglementaire depuis 2004. En 2005, le groupe des régulateurs européens a soutenu, dans un rapport sur le marché du haut débit en Europe, qu’il y avait une relation positive et significative entre la mise en œuvre de cette approche par les régulateurs et le développement de ce marché (European Regulators Group [2005]). Aujourd’hui, les régulateurs s’interrogent sur la façon d’adapter cette approche pour le passage aux réseaux d’accès à très haut débit (Cave [2010]).
5La littérature théorique s’est naturellement intéressée à la question de savoir si certains éléments dans cette approche pouvaient effectivement aboutir à ce que la concurrence par les services favorise l’investissement. Par exemple, Avenali, Matteucci et Reverberi [2010] et Bourreau et Drouard [2014] s’intéressent aux effets d’apprentissage pendant la phase de concurrence par les services, alors que Bourreau, Dogan et Lestage [2014] s’intéressent à la répartition dans le temps des coûts d’investissement liée à une entrée progressive sur le marché. Nous nous inscrivons dans le prolongement de cette littérature en proposant un modèle théorique d’investissement. Une première contribution de notre travail consiste à intégrer plusieurs dimensions de l’approche de l’échelle de l’investissement, alors que les analyses théoriques antérieures ne s’en tiennent qu’à une seule. Nous étudions conjointement les effets d’apprentissage et la répartition dans le temps de l’investissement et nous nous intéressons également aux effets de la différenciation des services.
6Une seconde contribution de notre travail consiste à analyser l’impact du niveau d’accès sur la stratégie d’investissement d’un opérateur alternatif. Généralement, le régulateur fixe le tarif auquel les entrants peuvent se raccorder aux infrastructures disponibles, mais il spécifie aussi quelles infrastructures doivent être mises à leur disposition. Un niveau d’accès élevé signifie qu’une large fraction des infrastructures existantes est mise à disposition des entrants et que l’entrée par les services est peu coûteuse. La littérature a beaucoup étudié la tarification de l’accès, mais elle a en grande partie ignoré la question du niveau d’accès, pourtant très importante en pratique pour les régulateurs. Dans le prolongement de Bourreau, Dogan et Lestage [2014], nous nous intéressons également à cette question.
7Nous adoptons le modèle de Bourreau, Dogan et Lestage [2014] comme point de départ pour notre analyse. Dans ce modèle, un entrant choisit de déployer directement un réseau de bout en bout (entrée « par les infrastructures ») ou de construire un segment de réseau lui permettant, dans un premier temps, de se raccorder à l’infrastructure existante avant de compléter cet investissement dans un second temps (entrée « par les services » puis « par les infrastructures »). Le régulateur fixe non seulement le tarif mais également le niveau d’accès. Un niveau d’accès élevé implique que l’entrée par les services est peu coûteuse mais que la transition vers la concurrence par les infrastructures requiert un investissement important. Le profit actualisé de l’entrant dépend des profits et des coûts à opérer en concurrence par les services et par les infrastructures, de la durée de chaque phase de concurrence et du niveau d’accès. Dans ce cadre, l’existence d’une phase de concurrence par les services retarde l’entrée par les infrastructures et une augmentation du niveau d’accès accélère l’entrée par les services et retarde l’entrée par les infrastructures.
8Ce modèle est présenté dans la seconde section. Notre contribution consiste à étudier comment nos résultats sont modifiés lorsque l’on introduit deux éléments au centre de l’approche de l’échelle des investissements, à savoir les effets d’apprentissage (troisième section) et l’existence d’une relation négative entre le niveau d’accès et le degré de différenciation des services de télécommunications (quatrième section) [1].
9De manière générale, notre cadre d’analyse se rapporte aux industries où une firme dispose d’un monopole sur une infrastructure et est soumise à une obligation d’accès tiers. Notre modèle peut ainsi être appliqué aux réseaux de télécommunications fixes (ou « filaires », par opposition aux réseaux de télécommunications mobiles), qu’il s’agisse des réseaux d’accès traditionnels en cuivre ou des réseaux à très haut débit en fibre optique. Ce dernier cas appelle cependant deux remarques. Tout d’abord, contrairement au cas des réseaux en cuivre où il existe sur l’ensemble du territoire national un monopole de l’opérateur historique, les réseaux en fibre optique sont susceptibles d’être déployés non seulement par l’opérateur historique mais aussi par un ou plusieurs entrants. Notre modèle se concentre sur les zones dites « grises » où, compte tenu des densités de population relativement faibles, un seul opérateur est en mesure de rentabiliser le déploiement d’un réseau en fibre optique. De surcroît, lorsque notre cadre théorique est appliqué au cas de la fibre optique, il convient de noter que notre modèle constitue une représentation partielle des effets de la régulation de l’accès sur les décisions d’investissement des opérateurs. En effet, le point de départ de notre analyse est une situation dans laquelle les infrastructures de télécommunications ont d’ores et déjà été déployées, ce qui, sur une large partie du territoire national, n’est pas encore le cas des réseaux en fibre optique. Notre modèle ignore ainsi l’impact de la régulation de l’accès sur les incitations à déployer des réseaux en fibre optique et se concentre sur ses conséquences sur l’entrée de nouveaux acteurs une fois que ces réseaux auront été déployés.
Niveau d’accès et investissement en infrastructure
10Afin d’étudier l’impact des conditions d’accès sur la stratégie d’entrée et d’investissement d’un opérateur alternatif, Bourreau, Dogan et Lestage [2014] proposent le modèle suivant. Un opérateur historique et un entrant sont en concurrence pour fournir des services de communication aux consommateurs. L’opérateur historique dispose d’un réseau en propre, contrairement à l’entrant qui doit soit louer l’accès à l’infrastructure de l’opérateur historique, soit déployer un réseau de bout en bout. Dans ce dernier cas, le coût fixe d’investissement supporté par l’entrant est c(t), où t représente la date d’investissement. Lorsqu’il accède à l’infrastructure de l’opérateur historique à un niveau λ ∊ [0, 1], l’entrant peut utiliser une fraction λ du réseau de l’opérateur en place. Pour pouvoir s’interconnecter, il doit néanmoins construire les tronçons de réseau manquants, du niveau λ au niveau 1, et son coût d’investissement est alors égal à (1 – λ)c(t). Avec cette modélisation, un niveau d’accès λ élevé nécessite peu d’investissement de la part de l’entrant [2], plaçant l’entrant à un plus bas niveau sur la « rampe de l’investissement » (cf. fig. 1).
La rampe de l’investissement de l’entrant
La rampe de l’investissement de l’entrant
11La nature de la concurrence entre l’opérateur historique et l’entrant dépend du mode d’entrée de ce dernier. Si l’entrant entre sur le marché en construisant un réseau de bout en bout, les firmes se font concurrence par les infrastructures et le flux de profit de l’entrant à chaque instant du temps est πF. Si l’entrant accède au réseau de l’opérateur historique à un niveau λ, la concurrence s’effectue par les services et son flux de profit à chaque instant est πS(r), où r représente le tarif d’accès versé par l’entrant à l’opérateur historique. On suppose pour le moment que ce profit en concurrence par les services est indépendant du niveau d’accès ; nous reviendrons sur cette hypothèse dans la quatrième section. On suppose en outre que πS(r) ≤ πF, car la concurrence par les infrastructures offre davantage de possibilités de différenciation, une qualité plus élevée ou des coûts plus bas. Enfin, le profit de l’entrant lorsqu’il accède au réseau de l’opérateur historique décroît avec le tarif d’accès : dπS(r) / dr < 0.
12Le coût d’investissement baisse au cours du temps en raison d’un progrès technique exogène. Plus spécifiquement, Bourreau, Dogan et Lestage [2014] supposent que ce coût baisse de manière convexe et tend vers 0 en l’infini : c’ ≤ 0, c″ ≥ 0 et . Par conséquent, l’entrant finit toujours par déployer un réseau de bout en bout. Il peut le faire directement (entrée par les infrastructures) ou accéder au préalable aux infrastructures de l’opérateur historique (entrée par les services puis par les infrastructures). Le profit actualisé de l’entrant [3] est
14dans le premier cas et
16dans le second cas. Le paramètre ρ > 0 représente ici le taux d’actualisation et C(t) ≡ e−ρtc(t) est le coût d’investissement actualisé.
17S’il décide d’entrer directement par les infrastructures, l’entrant déploie un réseau de bout en bout à la date t0. S’il décide d’entrer préalablement par les services, l’entrant déploie le premier tronçon du réseau qui lui permet de se raccorder aux infrastructures de l’opérateur historique (le tronçon]λ, 1]) à la date tS ; il complète ensuite son investissement et déploie le second tronçon du réseau (le tronçon [0, λ]) à la date tF.
18On introduit la fonction Z(t) ≡ –C′(t)eρt, qui est décroissante en raison des hypothèses faites sur le coût d’investissement c(t). Les dates d’investissement qui maximisent le profit actualisé de l’entrant sont alors
20en cas d’entrée par les infrastructures et
22et
24en cas d’entrée par les services [4]. Bourreau, Dogan et Lestage [2014] en déduisent le résultat suivant.
25Proposition 1. (i) La présence d’une phase de concurrence par les services retarde l’émergence de la concurrence par les infrastructures. (ii) En cas d’entrée par les services, une augmentation du niveau d’accès ou une baisse du tarif d’accès accélèrent l’entrée par les services mais retardent l’émergence de la concurrence par les infrastructures.
26Preuve. (i) Il existe une phase de concurrence par les services si et seulement si . Or, cette condition implique que . (ii) D’après (1) et (2), on a , , et . ■
27Les dates d’investissement qui maximisent le profit actualisé de l’entrant sont le reflet d’un arbitrage entre deux effets : le coût d’opportunité à retarder l’investissement et la baisse de coût d’investissement induite par ce report. Le premier effet renvoie au fait qu’en décidant d’investir plus tard, l’entrant retarde la date à partir de laquelle il obtiendra des flux de profits plus élevés (puisque πF ≥ πS(r)). La baisse du coût d’investissement est la conséquence du progrès technique exogène. Toute baisse du tarif d’accès accroît les flux de profit en concurrence par les services ; elle accroît donc le coût d’opportunité à ajourner l’entrée par les services. En revanche, à travers un effet de remplacement, elle réduit le coût d’opportunité à retarder l’investissement complémentaire et retarde donc la concurrence par les infrastructures. Toute hausse du niveau d’accès réduit le coût de l’entrée par les services et accélère cette forme d’entrée. Cependant, elle accroît le coût de l’investissement complémentaire, ce qui contribue à le retarder.
28Lorsque l’opérateur alternatif entre sur le marché par les services, le développement de la concurrence par les infrastructures est accéléré par la réduction du coût d’investissement et retardé par un effet de remplacement. En effet, il est plus coûteux d’entrer directement par les infrastructures que de passer de la concurrence par les services à la concurrence par les infrastructures. En revanche, le passage à la concurrence par les infrastructures accroît davantage les flux de profit dans le premier cas que dans le second. Cet effet de remplacement domine toujours l’effet coût d’investissement, ce qui explique que l’entrée par les services retarde la concurrence par les infrastructures.
29Ces résultats obtenus par Bourreau, Dogan et Lestage [2014] semblent contredire la thèse de l’échelle de l’investissement, notamment l’idée selon laquelle l’entrée par les services peut faciliter l’émergence de la concurrence par les infrastructures. Dans notre modèle, le seul bénéfice de l’entrée par les services est de répartir dans le temps l’investissement en infrastructure. L’entrée par les services peut pourtant avoir d’autres bénéfices. Elle peut permettre notamment aux opérateurs entrants d’acquérir de l’expérience. Par ailleurs, contrairement à ce que nous avons supposé jusqu’à présent, le profit de l’entrant en concurrence par les services peut dépendre du niveau d’accès. Dans les deux sections qui suivent, nous introduisons ces différents éléments dans le modèle de Bourreau, Dogan et Lestage [2014] et nous étudions si les résultats résumés dans la proposition 1 restent toujours valides.
Les effets d’apprentissage
30Les effets d’apprentissage constituent un fondement essentiel de l’approche de l’échelle de l’investissement. En effet, l’hypothèse selon laquelle la concurrence par les infrastructures est facilitée par l’entrée par les services repose sur l’idée que cette dernière permet aux entrants d’obtenir de l’information sur la demande et les coûts, de promouvoir leur marque auprès des consommateurs ou d’améliorer la qualité de leurs services à travers un processus de learning by doing.
31Supposons qu’il existe une phase d’apprentissage de durée T ≥ 0 (exogène) au cours de laquelle les flux de profit de l’entrant sont réduits. Pendant cette phase, les flux de profit de l’entrant sont et . Une fois la phase d’apprentissage écoulée, l’entrant obtient les mêmes flux de profit πS(r) ou πF que dans la section précédente. Naturellement, en concurrence par les services, un tarif d’accès élevé réduit les flux de profit, que la phase d’apprentissage soit ou non terminée : on a dπS / dr < 0 et .
32En cas d’entrée par les infrastructures, l’entrant obtient le profit actualisé
34Sa date d’entrée optimale est alors
36On remarque que plus la phase d’apprentissage est longue (plus T est élevé), plus l’entrée est tardive. En effet, l’existence d’une phase d’apprentissage réduit le coût d’opportunité à ajourner l’investissement. Dans le cas limite où T = 0, on retrouve .
37Lorsque l’entrée s’effectue par les services, deux cas doivent être distingués : celui d’un apprentissage court qui se termine avant que ne soit réalisé l’investissement complémentaire et celui d’un apprentissage long qui se prolonge au-delà de cette date. Si l’apprentissage est court, le profit actualisé de l’entrant est égal à
39et les dates d’investissement qui maximisent ce profit sont
41et
43Si la phase d’apprentissage est longue, le profit actualisé de l’entrant est
45et les dates d’investissement qui maximisent ce profit sont
47et
49On obtient alors le résultat suivant.
50Proposition 2. Que l’apprentissage soit court ou long, une augmentation du niveau d’accès ou une baisse du tarif d’accès accélère l’entrée par les services et retarde la concurrence par les infrastructures.
51Preuve. D’après (4), (5), (6) et (7), on trouve que , , , , , , et . ■
52Comme dans le modèle de la deuxième section, une augmentation du niveau d’accès affecte l’investissement à travers un effet coût d’investissement alors qu’un accroissement de la charge d’accès affecte l’investissement à travers un effet coût d’opportunité.
53Pour étudier l’impact de la concurrence par les services sur l’émergence de la concurrence par les infrastructures, nous distinguons deux cas, suivant que l’apprentissage est moins coûteux en concurrence par les services (si ) ou en concurrence par les infrastructures (dans le cas contraire).
54Proposition 3. Si l’apprentissage est court et relativement moins coûteux en concurrence par les services, l’entrée par les services peut dans certains cas accélérer la concurrence par les infrastructures. Sinon, l’entrée par les services retarde toujours l’entrée par les infrastructures.
55Preuve. Dans le cas d’un apprentissage court, il existe une phase de concurrence par les services si le niveau d’accès est suffisamment élevé. À partir de (4) et (5), on trouve que si et seulement si
57On trouve ensuite que
59À partir de (3) et (8), on a donc si et seulement si . Si cette condition est vérifiée, il existe au moins un niveau d’accès tel que l’entrée par les services accélère la concurrence par les infrastructures.
60Dans le cas d’un apprentissage long, d’après (6) et (7), on a si et seulement si
62Si λ = λmin2, alors . Or, d’après la proposition 2, on a et . Par conséquent, on a pour tout λ > λmin2. ■
63Si l’entrée s’effectue directement par les infrastructures, l’entrant n’a d’autre choix que d’apprendre alors qu’il concurrence l’opérateur historique par les infrastructures. En revanche, si l’entrée s’effectue par les services et si l’apprentissage est court, ce dernier a lieu durant la phase de concurrence par les services. Dans le cas où l’apprentissage est moins coûteux en concurrence par les services, la concurrence par les infrastructures se développe alors plus rapidement.
64Ce résultat montre que la concurrence par les infrastructures peut être stimulée par l’entrée par les services, à condition que l’apprentissage soit court et moins coûteux en concurrence par les services qu’en concurrence par les infrastructures. Le régulateur doit alors choisir un niveau d’accès approprié, c’est-à-dire ni trop bas, sans quoi l’entrée s’effectuera directement par les infrastructures, ni trop élevé, sans quoi l’entrée par les services retardera la concurrence par les infrastructures.
Niveau d’accès et différenciation des services
65Les pouvoirs publics expriment généralement une préférence pour la concurrence par les infrastructures, parce que cette forme de concurrence offre plus de possibilités de différenciation que la concurrence par les services. En effet, les possibilités de différenciation technique des offres sont plus importantes lorsqu’un opérateur contrôle une plus large fraction de son infrastructure. Il s’ensuit qu’un niveau d’accès bas, tel que peu d’éléments du réseau sont partagés entre opérateurs, permet davantage de différenciation qu’un niveau d’accès élevé [5].
66En reprenant le modèle développé dans les sections précédentes, nous supposons désormais que les flux de profit de l’entrant en concurrence par les services sont d’autant plus élevés que le niveau d’accès est bas, c’est-à-dire que πS = πS (r, λ), avec ∂πS / ∂λ < 0 et ∂πS / ∂r < 0 [6]. Le profit actualisé de l’entrant s’écrit de la même manière que dans la deuxième section. Les dates d’investissement de l’entrant sont alors pour une entrée effectuée directement par les infrastructures et et pour une entrée effectuée préalablement par les services. On obtient le résultat suivant.
67Proposition 4. Lorsque la différenciation des services décroît avec le niveau d’accès (effet de différenciation), une baisse du tarif d’accès accélère l’entrée par les services et retarde la concurrence par les infrastructures. L’impact du niveau d’accès dépend de l’importance de l’effet de différenciation. S’il est d’intensité moyenne, une hausse du niveau d’accès peut accélérer à la fois l’entrée par les services et la concurrence par les infrastructures.
68Preuve. En définissant δS ≡ πS(r, λ) / (1 – λ) et δF ≡ (πF – πS(r, λ)) / λ, on a et , et les variations des dates d’investissement en fonction du niveau d’accès sont données par les signes de –∂δS / ∂λ et –∂δF / ∂λ, car Z–1 est décroissante. On trouve que ∂δS / ∂r = (∂πS / ∂r) / (1 – λ) < 0 et que ∂δF / ∂r = –(∂πS / ∂r) / λ > 0, ce qui montre que et . Par ailleurs, on a
70Rappelons qu’il existe une phase de concurrence par les services si et seulement si δF < δS. Si –∂πS / ∂λ < δF < δS, on a et , comme dans la deuxième section. Si δF < –∂πS / ∂λ < δS, et . Enfin, si δF < δS < –∂πS / ∂λ, et . ■
71Comme dans la deuxième section, l’investissement est affecté par le tarif d’accès, à travers un effet coût d’opportunité, et par le niveau d’accès, à travers un effet coût d’investissement. Cependant, l’effet coût d’investissement est maintenant contrebalancé par un effet de différenciation. Lorsque le niveau d’accès augmente, le coût d’entrée par les services baisse mais le degré de différenciation, et donc les flux de profit, baissent également. De la même manière, le coût de déploiement du second tronçon de réseau augmente avec le niveau d’accès, mais l’effet de remplacement baisse du fait de l’effet de différenciation. L’impact net d’une augmentation du niveau d’accès dépend donc de l’intensité de l’effet de différenciation. Dans le cas particulier où celui-ci est d’un niveau intermédiaire, une hausse du niveau d’accès peut accélérer à la fois l’entrée par les services et la concurrence par les infrastructures. Ce n’est jamais le cas pour une baisse du tarif d’accès, qui conduit toujours à une entrée par les services plus précoce et à un développement plus tardif de la concurrence par les infrastructures.
72Proposition 5. Si l’effet de différenciation est d’intensité moyenne, l’entrée par les services et le développement de la concurrence par les infrastructures sont tous deux soit plus précoces, soit plus tardifs que l’entrée directe par les infrastructures. Si l’effet de différenciation est de faible ou de forte intensité, alors comme dans le modèle initial.
73Preuve. Il existe une phase de concurrence par les services si et seulement si . Or, on a si et seulement si
75Comme πS(r, λ) ≤ πF par hypothèse, 1 – πS(r, λ) / πF ∊ [0,1] et l’équation (9) a toujours au moins une solution. Dans le cas où et , en partant d’un niveau d’accès minimum qui satisfait (9), toute augmentation de λ implique que . Dans le cas où et , le niveau d’accès défini par (9) est un niveau d’accès maximum et toute réduction du niveau d’accès implique que . Enfin, dans le cas où et , une hausse de λ conduit à ce que et une baisse à ce que .
76En supposant qu’un développement rapide des services de télécommunications soit socialement profitable, la régulation peut sembler aisée dans le cas où une hausse du niveau d’accès accélère à la fois l’entrée par les services et la concurrence par les infrastructures. Il conviendrait alors simplement de fixer le niveau d’accès le plus élevé compatible avec une entrée par les services. Cette intuition est trompeuse : par rapport à une entrée directe par les infrastructures, l’existence d’une phase de concurrence par les services peut retarder à la fois l’entrée et le développement de la concurrence par les infrastructures. Dans ce cas, la régulation la plus propice à l’essor des services de télécommunications consiste à ne pas introduire d’obligation d’accès.
Conclusion
77Dans cet article, nous étudions la stratégie d’entrée d’un opérateur alternatif dans l’industrie des télécommunications, en prenant en compte deux caractéristiques importantes du processus d’entrée : (i) la présence d’une phase d’apprentissage ; (ii) l’impact du niveau d’accès sur la différenciation de l’entrant. Nos résultats montrent que, dans certains cas, l’accès tiers aux réseaux peut faciliter l’émergence de la concurrence par les infrastructures, comme le soutient l’approche de l’échelle de l’investissement et en contradiction avec la littérature économique antérieure. Notre recherche met également en évidence l’impact du niveau d’accès sur l’entrée par les services et par les infrastructures, et montre que cet impact dépend du lien entre niveau d’accès et degré de différenciation des services.
78Nos résultats indiquent que l’approche de l’échelle de l’investissement peut s’avérer efficace lorsqu’il existe des effets d’apprentissage ou que le niveau d’accès affecte le degré de différenciation des services. En effet, l’entrée par les services peut alors accélérer le développement de la concurrence par les infrastructures. Dans le contexte du déploiement des nouveaux réseaux de télécommunications par fibre optique, les pouvoirs publics doivent néanmoins tenir compte de l’impact des conditions d’accès non seulement sur l’entrée d’opérateurs tiers, mais également sur les incitations à déployer ces nouvelles infrastructures. Bien que cette dimension soit absente de notre modèle, il paraît logique qu’une politique accélérant à la fois l’entrée et la concurrence par les infrastructures aura un impact négatif sur la rentabilité des investissements dans les premiers réseaux en fibre optique. Ainsi, même si l’approche de l’échelle de l’investissement peut s’avérer efficace pour stimuler la concurrence, d’autres travaux seront nécessaires pour déterminer si elle est souhaitable dans le contexte spécifique du déploiement des réseaux en fibre optique.
Bibliographie
Références bibliographiques
- Avenali A., Matteucci G. et Reverberi P. [2010], « Dynamic Access Pricing and Investment in Alternative Infrastructures », International Journal of Industrial Organization, 28 (2), p. 167-175.
- Bourreau M. et Dogan P. [2012], « Level of Access and Competition in Broadband Markets », Review of Network Economics, 11 (1), p. 1-33.
- Bourreau M., Dogan P. et Lestage R. [2014], « Level of Access and Infrastructure Investment in Network Industries », Journal of Regulatory Economics, 46 (3), p. 237-260.
- Bourreau M. et Drouard J. [2014], « Progressive Entry and the Incentives to Invest in Alternative Infrastructures », Journal of Regulatory Economics, 45 (3), p. 329-351.
- Cave M. [2006], « Encouraging Infrastructure Competition via the Ladder of Investment », Telecommunications Policy, 30 (3-4), p. 223-237.
- Cave M. [2010], « Snakes and Ladders : Unbundling in a Next Generation World », Telecommunications Policy, 34 (1-2), p. 80-85.
- Cave M. et Vogelsang I. [2003], « How Access Pricing and Entry Interact », Telecommunications Policy, 27 (10-11), p. 717-727.
- European Regulators Group [2005], Broadband Market Competition Report, rapport technique ERG (05) 23.
Notes
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[*]
Télécom ParisTech, Département de sciences économiques et sociales, et CREST-LEI. Correspondance : Télécom ParisTech, 46 rue Barrault, 75634 Paris Cedex 13. Courriel : marc.bourreau@telecom-paristech.fr
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[**]
John F. Kennedy School of Government et invité à l’Institute for Advanced Study, Princeton (N.J.) (2013-2015). Correspondance : John F. Kennedy School of Government, 79 John F. Kennedy Street, Cambridge, MA 02138, États-Unis. Courriel : pinar_dogan@hks.harvard.edu
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Central University of Finance and Economics, School of Management and Engineering. Correspondance : Central University of Finance and Economics, 39 South College Road, Haidian District, Beijing, P.R. China 100081. Courriel : romain.lestage@cufe.edu.cn
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Les effets d’apprentissage et la relation entre niveau d’accès et différenciation des services sont discutés dans Bourreau, Dogan et Lestage [2014], mais de façon informelle et incomplète.
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Par exemple, dans les télécoms, le dégroupage de la boucle locale correspond à un niveau d’accès λ bas, tandis que l’accès « au débit » (ou bitstream access) correspond à un niveau d’accès λ plus élevé.
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Notre modélisation se concentre sur la stratégie d’investissement de l’entrant et ignore les réactions possibles de l’opérateur historique.
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Pour ce modèle de base comme pour les extensions développées dans les sections suivantes, nos hypothèses sur la fonction de coût d’investissement assurent que les conditions du second ordre sont satisfaites. Les dates optimales d’investissement sont donc obtenues à partir des conditions du premier ordre.
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C’est un des motifs pour lesquels les autorités de régulation nationales cherchent généralement à promouvoir le dégroupage de la boucle locale, qui correspond à un niveau d’accès bas.
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Bourreau et Dogan [2012] proposent un modèle dans lequel le degré de différenciation entre opérateurs dépend du niveau d’accès, mais ils n’étudient pas la décision d’investissement de l’entrant.