Notes
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[*]
Université de Toulouse 1 Capitole, Toulouse School of Economics et Institut universitaire de France. Correspondance : Toulouse School of Economics, Manufacture des Tabacs, 21 allée de Brienne, 31000 Toulouse, France. Courriel : michel.lebreton@tse-fr.eu
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[**]
Centre d’économie et de management de l’océan Indien (cemoi), Université de La Réunion. Correspondance : cemoi, Faculté de Droit et d’Économie, 15 avenue René Cassin, BP 7151, 97715 Saint-Denis Messag cedex 9, La Réunion, France. Courriel : dominique.lepelley@univ-reunion.fr
Les auteurs remercient particulièrement Philippe Mongin, dont la lecture attentive et les remarques ont permis d’améliorer significativement la présentation des idées et des résultats de cet article. ils remercient également deux arbitres de lecture de leurs rapports approfondis, P. Edelman d’avoir communiqué certains de ses travaux sur des questions voisines ainsi que les participants à la conférence de l’adres de leurs commentaires et suggestions. ils remercient enfin L. Vidu d’avoir conduit des simulations portant sur l’évaluation du pouvoir où la corrélation des votes des électeurs votant deux fois est prise en compte. elles sont consignées, pour l’essentiel, dans Vidu [2014]. une version sensiblement plus longue de cet article est disponible sur le site Web du premier auteur. -
[1]
Un acteur dépourvu d’influence est appelé dummy en anglais.
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[2]
On trouvera des exposés de ces questions dans Felsenthal et Machover [1998] et dans Owen [2001].
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[3]
Voir Campbell [1958] et Challeton [1891].
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[4]
Sur la Restauration, on pourra consulter de Bertier de Sauvigny [1993] et de Waresquiel et Yvert [2002].
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[5]
Comme l’observe fort à propos Gaudillère [1995], la première apparition du scrutin uninominal date de la période des Cent-Jours. En effet, l’acte additionnel aux constitutions de l’Empire d’avril 1815 est le premier texte à y faire référence. Les électeurs de chaque arrondissement élisent un membre de la Chambre des représentants sans qu’il soit nécessaire de découper le territoire puisque la loi fait référence aux arrondissements administratifs. Certes, ces députés d’arrondissement ne constituent qu’une partie de l’Assemblée (368 membres sur 629) ; se joignent à eux les députés de département désignés au scrutin plurinominal. La législation de juillet 1815 ne retient rien du scrutin uninominal, mais la loi de juin 1820 lui réservera à nouveau une place dans le processus électoral.
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[6]
La Chambre introuvable, selon une expression célèbre de Louis XVIII, est issue de ces élections.
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[7]
Le mode de calcul du cens révèle la conception familialiste du suffrage (Verjus [1996], [2000], [2002]).
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[8]
Rosanvallon ([1992], p. 273) offre une analyse très poussée de la loi Laîné dont le projet, rédigé par Guizot, développe deux principes fondamentaux. Le premier est que l’élection doit être directe, c’est-à-dire que tous les citoyens qui, dans un département, remplissent les conditions exigées par la charte pour être électeur, doivent concourir directement, et par eux-mêmes, à la nomination des députés du département. Le second, c’est que la nomination de chaque député doit être le résultat du concours de tous les électeurs du département, et non l’ouvrage de telle ou telle portion déterminée par ces mêmes électeurs. Rosanvallon propose une étude détaillée de la perception du vote à deux degrés par les libéraux et de la philosophie du vote direct. Il présente également une analyse très pertinente de la rhétorique des ultras au service d’une coalition des extrêmes composée de l’aristocratie et du petit peuple qui, dans le cas du suffrage indirect, continue d’exercer une influence sur le choix des représentants. Nous renvoyons à son chapitre « L’ordre capacitaire », qui contient un examen minutieux des débats et des enjeux politiques qui ont accompagné le choix et les changements de régimes électoraux. La documentation sur laquelle il s’appuie comprend, entre autres choses, de nombreux extraits de débats parlementaires ainsi que des articles d’époque, comme ceux publiés dans Le Conservateur ou le Mercure de France.
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[9]
Cité par Weil [1895].
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[10]
Notons que les deux événements symboliques que furent l’élection de l’abbé Grégoire en 1819 et l’assassinat du duc de Berry en février 1820 contribuèrent, à n’en point douter, au succès de la campagne des ultras.
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[11]
Les arguments présentés ci-dessous sont empruntés à Berger, mais on pourra aussi consulter Newman [1974], Spitzer [1983] et Skuy [2003].
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[12]
Tous les projets (à l’exception de celui amendé par Jordan) ont en commun de proposer deux collèges qui définissent deux classes d’électeurs (sans compter ceux qui, à défaut de passer le seuil censitaire, ne participent pas au processus politique). Seules les conditions d’accès aux deux collèges et les attributions de ceux-ci varient d’un projet à l’autre.
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[13]
Nous n’allons pas exposer tous les détails de la loi de 1820. Il faut cependant savoir qu’il y a des cas spéciaux où la division en deux catégories de collèges n’est pas mise en œuvre. L’article 1 de la loi mentionne que « […] néanmoins, tous les électeurs se réuniront dans un seul collège dans les départements qui n’avaient à l’époque du 5 février 1817 qu’un seul député à nommer, dans ceux où le nombre d’électeurs n’excède pas 300 et dans ceux qui, divisés en cinq arrondissements de sous-préfecture, n’auront pas au-delà de 400 électeurs ». Par ailleurs, certains historiens, comme de Waresquiel et Yvert [2002], ont mal reproduit les proportions attachées aux deux collèges électoraux.
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[14]
Le lecteur lira avec profit le détail de l’argumentaire dans Gaudillère [1995].
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[15]
Le mécanisme n’est pas constant.
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[16]
Le mécanisme F traite équitablement les deux alternatives D et G si et seulement si le jeu W est propre et fort. En effet, soit P un profil tel que F(P) = G. Par conséquent, si S représente la coalition des joueurs votant G, alors S ? W. Considérons le profil P’ où les électeurs de S votent maintenant D et ceux de NS votent G. Puisque S ? W, N S ? W, c’est-à-dire : F(P’) = D. On vérifie réciproquement que si F est neutre, alors W est propre et fort.
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[17]
Dans le cas ic, voir Felsenthal et Machover [1998], théorème 3.2.16.
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[18]
Ce sont les deux modèles les plus populaires. Pour une présentation plus générale de ces deux modèles et des indices qui y sont associés, voir par exemple Felsenthal et Machover [1998] et Straffin [1988].
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[19]
Dans les annexes I et II, nous introduirons cependant deux modèles complémentaires, adaptés à notre contexte électoral et qui s’intercalent entre ic et iac ; cela nous permettra d’éviter quelques-unes des difficultés du modèle iac conventionnel dans le cas des jeux composés.
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[20]
Une définition générale de l’opération de composition classique est donnée dans la section suivante.
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[21]
Dans le cas d’un quota quelconque, l’approximation de Penrose n’est pas valide en général (Lindner et Owen [2007]).
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[22]
Ces conditions ne sont pas remplies dans le cadre de la situation examinée dans l’annexe VIII.
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[23]
On peut ensuite à nouveau utiliser les approximations gaussiennes (Owen [2001]).
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[24]
Le problème de la corrélation entre les votes est étudié de façon abstraite par certains auteurs comme par exemple Kaniovski [2006].
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[25]
Le fait que les grands électeurs soient aussi petits électeurs dans leur arrondissement implique que les résultats électoraux (vus comme les réalisations de A + 1variables aléatoires binaires) ne sont pas indépendants les uns des autres.
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[26]
Dans l’annexe VI de la version longue de cet article, nous offrons quelques éléments de réponse à ces questions.
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[27]
Pour attribuer à la corrélation ce qui lui revient, nous devrions légitimement adopter ce modèle aléatoire dans le cas du dédoublement.
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[28]
Par souci d’économie, nous n’explorons pas ce modèle aléatoire dans notre article. Cependant, l’annexe V de la version longue contient le calcul du pouvoir des deux classes d’électeurs dans le cas où K = 1, A = 2 et D = 1.
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[29]
Autrement dit, nous supposons que nous sommes dans une situation où l’approximation de Penrose est valide, c’est-à-dire que, dans l’Assemblée des députés, poids et pouvoirs coïncident. Cette hypothèse implique bien sûr (entre autres choses) que le nombre de départements soit élevé.
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[30]
Nous supposons ici qu’il y a davantage de petits électeurs que de grands électeurs, i.e. ? < 1/2. Si ? ? 1/2, comme dans Edelman [2004], la formule (4) se réduit à car . Notons que, dans le cas où ? = 1, on doit interpréter le rapport pour ? = ic, iac* et iac** non pas comme un rapport entre les pouvoirs des deux catégories d’électeurs (il y en a une seule ici) mais comme un rapport entre les pouvoirs des deux votes.
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[31]
Cette sous-section est plus développée dans la version longue de notre article.
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[32]
Il faut entendre ici le qualificatif « exacte » dans le contexte de l’hypothèse de dédoublement et sous réserve de négliger le double comptage résultant du fait qu’un grand député peut être simultanément pivot dans deux collèges. Lorsque les votes sont corrélés, au sein de l’Assemblée, les couleurs politiques des députés issus d’un même département sont corrélées comme cela est montré dans les annexes III, IV et V. Cette question est abordée dans Le Breton, Lepelley et Smaoui [2011].
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[33]
Ils considèrent ce programme comme le plus commode en pratique. Précisément, ils écrivent :« It computes the Banzhaf, Penrose and Coleman indices by the method of generating functions. Very fast algorithm that can be applied to voting bodies with any number of members but the the total number of votes it can handle is limited by the storage requirements. Requires quota and weights to be integers. The implementation here is limited to voting bodies with a maximum of 200 members. This is the best option for most applications. »
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[34]
Une remarque identique s’applique à la formule (3).
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[35]
De ce dernier point de vue, ce passage du discours de M. de la Bourdonnaye (reproduit dans Weil [1895], p. 88), est des plus piquants :
« Sans doute, il serait désirable que chaque électeur investi des mêmes droits pût les exercer dans la même proportion. Mais s’il est démontré que ce but ne puisse être atteint dans toute l’étendue de la France, si cette inégalité se trouve même sanctionnée par nos lois, si elles l’ont consacrée dans sept départements, si elle existe déjà de fait de département à département dans une proportion telle que le collège électoral de la Seine, qui ne nomme qu’un député, contient à lui seul autant d’électeurs que quatre ou cinq collèges d’électeurs réunis de quelques départements du Midi qui en envoient à la chambre huit à dix ; si le collège électoral de la Corse qui se compose de 36 votants, élit deux députés, tandis que plusieurs collèges électoraux de départements industrieux qui renferment un nombre vingt fois plus considérable d’électeurs, n’ont droit d’en choisir qu’un seul, il faut bien convenir que l’égalité de nombre dans les électeurs de collèges d’arrondissement d’un même département n’est ni dans l’esprit de la charte, ni le but d’un travail de circonscription parce que la nature des choses y résiste. » -
[36]
Par ailleurs, on peut relever de 1820 à 1823 plus de 300 arrondissements qui n’ont pas 200 électeurs.
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[37]
La version longue contient des calculs décrivant les pouvoirs des deux types d’électeurs lorsque K = 1 sous les hypothèses ic et iac.
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[38]
Notons cependant que Vidu obtient cette valeur dans le cas où L = 45 et donc r = 11. Dans ce cas, notre formule délivre la valeur 9,14 !
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[39]
Notons cependant que la matrice ? est de rang A et que donc le vecteur gaussien prend ses valeurs dans un sous-espace de dimension A.
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[40]
Ces deux formules apparaissent aussi dans Edelman [2004].
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[41]
La différence des comportements asymptotiques de B et Sh est discutée dans Straffin [1994].
Introduction
Préambule
1L’objet de cet article est de revisiter un épisode intéressant de l’histoire électorale française à la lumière des outils modernes de la mesure du pouvoir. La théorie des choix collectifs nous enseigne qu’il n’existe aucune méthode de vote qui puisse être considérée comme universellement supérieure aux autres, chaque méthode présentant des avantages et des inconvénients que les chercheurs de ce domaine ont d’ailleurs soigneusement répertoriés. Le choix définitif d’une méthode plutôt qu’une autre est, en quelque sorte, affaire de goût. La principale vertu du travail des théoriciens est d’avoir formulé le problème du choix entre les méthodes en concurrence comme un problème de choix entre les propriétés que l’on souhaiterait voir vérifier par la méthode ultimement retenue. Nous n’allons pas passer ici en revue l’ensemble de ces propriétés. Parmi celles qui reviennent systématiquement figure la propriété de traitement symétrique des agents participant à la procédure de choix collectif (les électeurs), encore appelée propriété d’anonymat, car en principe aucune caractéristique personnelle de l’agent n’est supposée jouer un quelconque rôle dans le fonctionnement de la procédure. De ce point de vue, toute violation du suffrage universel en matière électorale constitue une violation de la propriété d’anonymat. Par exemple, des caractéristiques personnelles comme le sexe ou encore le montant d’impôts payés (dans le cas du suffrage censitaire) peuvent intervenir pour exclure certaines personnes du droit de vote. Dans ce type de situations, la violation de la symétrie est extrême : on est électeur à part entière ou pas du tout. Dans certains environnements électoraux, comme ceux décrivant des modes d’élections à plusieurs degrés (élections présidentielles aux États-Unis,...) ou encore ceux correspondant au mode de décision de certaines assemblées et grandes organisations internationales (Conseil des ministres de la Commission européenne, onu,...), les asymétries éventuelles sont plus cachées et plus nuancées. Même si, en apparence, les électeurs ou les représentants sont tous dotés d’un même pouvoir de vote, c’est-à-dire d’une capacité à influencer le résultat d’un vote, force est de reconnaître que la réalité de cette influence varie parfois fortement d’un acteur à l’autre. Il y a là, aussi, violation de la propriété de symétrie. Elle est moins tranchée que dans le cas d’une exclusion totale [1] mais elle est bien présente, et la question se pose d’évaluer quantitativement le pouvoir réel alloué aux uns et aux autres par la procédure. La théorie de la mesure du pouvoir, dont les indices les plus célèbres sont dus respectivement à Banzhaf [1965], [1966], [1968] et à Shapley-Shubik [1954], est précisément consacrée à cette question [2]. Cette théorie a été appliquée avec succès à l’analyse de la répartition du pouvoir de vote dans des contextes différents comme, par exemple, le collège électoral américain (quel est le pouvoir d’un électeur californien comparé à celui d’un électeur de l’Ohio ?) ou la Communauté européenne (dans le système retenu par le traité de Nice et les versions ultérieures, quel est le pouvoir du représentant de la Pologne comparé à celui du représentant du Portugal ?). Nous nous proposons d’appliquer ces outils à l’étude d’une loi électorale qui fut utilisée au xixe siècle en France durant une décennie et qui, du point de vue de la théorie du vote, présente l’intéressante particularité de distinguer deux catégories d’électeurs, dont l’une a la possibilité de voter deux fois. L’objet principal de notre analyse est de comparer le pouvoir de vote de chaque catégorie d’électeurs dans le cadre de cette loi. La loi dont il s’agit est la loi du 29 juin 1820 portant sur le mode d’élection des députés de la « Chambre des députés » et qui introduisit d’importants changements par rapport à la loi du 5 février 1817, dite aussi loi Laîné. Sans procéder ici à une analyse complète du contexte historique de ce changement, nous allons cependant, dans une étape préliminaire, en rappeler les principaux éléments [3].
Genèse et contexte historique de la loi du 29 juin 1820
2La loi électorale a connu plusieurs changements notoires durant la période de la Restauration [4] qui commence avec la Charte constitutionnelle du 4 juin 1814. Il est important de rappeler que la Charte constitutionnelle ne fixe pas le détail des élections. Comme le note René Rémond :
« La Charte, faute de temps et par prudence politique, s’est abstenue de fixer les modalités pratiques des élections. Elle s’est bornée à quelques dispositions permanentes qui tiennent en quelques articles. […] Elle concourt, ce faisant, à consacrer en France la tradition qui refuse tout caractère constitutionnel aux régimes électoraux : si le principe électif participe de la nature quasi sacrée du pacte fondamental, les modalités de son application relèvent des lois ordinaires [5]. Elles sont donc à la merci des renversements de majorité : l’histoire des régimes électoraux présente de ce fait une instabilité dont la Restauration donne le premier exemple […]. »
4Ou encore :
« De même que sous la révolution, l’assemblée primaire était l’unité constitutive, le collège électoral est sous la Restauration la cellule de base. […] Outre les conditions pour être électeur, la Charte fixe la répartition des sièges entre les départements, qui demeurera inchangée, et stipule que la Chambre sera renouvelée par cinquième. […] Tout le reste est laissé à l’initiative législative : elle ne se privera pas d’en user. »
6Par exemple, s’agissant des ordonnances de 1815 et de 1816 et des élections de l’été 1815, il note [6] :
« L’élection a lieu à deux degrés les 14 et 21 août 1815. Le rôle des collèges d’arrondissement se borne à dresser une liste des candidats, selon une répartition des tâches qui rappellent le système de l’empire. Sur ces listes, les collèges de département sont tenus de prendre la moitié au moins des députés ; pour l’autre moitié, leur liberté de choix est entière. »
8La Restauration conserve le suffrage censitaire, usuel depuis la convocation des États généraux de 1789 [7]. La loi du 5 février 1817 (dite loi Laîné) introduit pour la première fois en France l’élection directe. Comme le note Weil :
« Il n’y a dans chaque département qu’un seul collège électoral divisé en sections dans les départements où il y a plus de 600 électeurs. Chaque section concourt directement à la nomination de tous les députés que le collège doit élire. Les électeurs votent par bulletins de listes, celles-ci contenant à chaque tour de scrutin autant de noms qu’il y a de nominations à faire. Il y a trois tours de scrutin. Après les deux premiers, le bureau dresse une liste des personnes qui, au deuxième tour, ont obtenu le plus de suffrages. Cette liste contient deux fois autant de noms qu’il y a encore de députés à élire. »
10L’élection se fait alors à la majorité relative. Comme le note Rémond :
« La loi Laîné supprime la hiérarchie des collèges par le canal desquels le choix des représentants s’était jusqu’à présent presque toujours opéré […] elle adopte le collège unique dont font partie tous ceux qui satisfont aux conditions requises. Il n’y a donc plus qu’une seule catégorie d’électeurs, qui se réunissent au chef-lieu de département. »
12Les élections qui suivirent consacrèrent la montée des libéraux au détriment des ultraroyalistes. Ceux-ci s’employaient, par divers moyens, à tout mettre en œuvre pour modifier la loi à leur profit.
13Dès février 1819, sous l’impulsion notamment de l’ancien directeur Barthélémy, une proposition introduite à la Chambre des pairs tend à modifier le cens et à réintroduire le suffrage indirect. Au nombre des arguments mis en avant pour dénoncer la loi de 1817, figurait l’importance du taux d’abstention, évalué globalement à un tiers.
« Dans le département du Nord, disait M. Laîné le 20 mars 1819 à la Chambre des députés, le plus riche et le plus peuplé de France, le nombre des électeurs inscrits ne s’est élevé qu’à 2 103. Dans ce même département, il y a eu deux élections depuis la loi du 5 février. En 1817, sur 2 303 électeurs, il ne s’en est rendu au collège que 439, et en 1818 que 994. Dans les Landes, sur 674 électeurs inscrits, le collège n’a reçu que 336 votants. Dans les Basses-Pyrénées où il y a 321 électeurs, 83 seulement ont paru [9]. »
15La proposition Barthélémy fut rejetée, mais le projet d’amender la loi électorale n’était pas abandonné pour autant. Pour bien comprendre la genèse de la loi électorale de 1820, il est utile de rappeler quelques repères chronologiques [10]. Dans un travail très fouillé, Berger [1903] décrit comment les victoires de la gauche aux différentes élections de renouvellement partiel de la Chambre ont conduit la droite à tout mettre en œuvre pour stopper ce processus [11]. Comme nous venons de le signaler, l’opposition royaliste invoqua les taux d’abstention élevés et la fraude. Comme le note Berger :
« Le ministre de la Justice, de Serres, s’était mis à préparer avec le concours du duc de Broglie un grand projet de réforme constitutionnelle. Dans ce projet qui était un complément à la charte, l’organisation de la Chambre des députés tenait une grande place. Le grand défaut de la loi de 1817 était, selon lui, d’être purement démocratique. Le but de son projet était donc d’introduire dans la loi cet élément aristocratique qui était absent. Pour cela il établissait, dans chaque département, des collèges électoraux d’arrondissement et des collèges supérieurs. Chaque collège d’arrondissement, qui se composait de tous les Français âgés de 30 ans et payant 200 francs de contributions directes, élisait un député. Les collèges supérieurs, qui comprenaient les électeurs âgés de 30 ans et payant 400 francs d’impôts directs, nommaient, de leur côté, un certain nombre de représentants : les membres des collèges de département votaient aussi dans les collèges d’arrondissement. C’était bien distinguer entre les électeurs et faire une place plus grande aux plus forts censitaires. Le nombre des députés était, en outre, porté à 440. Les conditions d’éligibilité étaient rendues plus faciles. Enfin, les députés étaient élus pour sept ans et le renouvellement était intégral. »
17Mais l’accord implicite provoqué par les défaites électorales ne dura pas, car certains membres du ministère espéraient qu’un prochain renouvellement lui laisserait sa majorité. Certains ministres se refusèrent à modifier la loi. Suite à leur démission, le ministère Decazes voit le jour. Le désir de changer la loi électorale n’est cependant nullement amoindri : la session de la Chambre s’ouvrit en novembre 1819 par un discours du roi manifestant son intention de modifier la loi électorale. Le projet de Serres avait cependant peu de chances de réussir en raison de l’opposition de la droite (contre le ministère) et de la gauche même modérée (contre le double vote). Decazes était le maître d’œuvre de ce nouveau projet. Comme le note Weil :
« Son intention était de substituer au projet de Serres un projet plus simple sur lequel un accord pût se faire. Dans l’exposé des motifs, M. Decazes signalait les vices de la législation existante : un scrutin de liste pouvant porter sur un nombre de députés pouvant aller jusqu’à douze et le vote au chef-lieu. »
19En effet, la loi Laîné prévoyait que les collèges électoraux devaient se réunir physiquement au chef-lieu de chaque département. Decazes décrivait le déclin des motivations
« des propriétaires enlevés à leur sol, contraints de faire porter leurs choix sur des noms qui sont nouveaux pour eux et ne peuvent pas exprimer un vote personnel, un suffrage réel. Ils arrivent à se désintéresser de l’élection. Une conséquence inévitable de cet état de choses est d’assurer au chef-lieu toute l’influence électorale. Les trois cinquièmes des arrondissements n’ont pas élu de députés ».
21Comme le fait remarquer Berger :
« Le projet Decazes maintint le système des deux collèges du projet de Serres mais proposa qu’au lieu de nommer séparément leurs députés, ceux-ci les choisissent parmi les candidats qu’ils se seraient mutuellement présentés. »
23Au terme de pourparlers infructueux, le roi ordonna de rédiger un nouveau projet. Le 10 février 1820, celui-ci était rédigé et approuvé par le roi. Ce projet conservait deux collèges. Comme le note Berger :
« Les collèges d’arrondissement devaient nommer 258 députés. Les collèges supérieurs étaient composés de 600 membres au plus et de 100 membres au moins, élus par les collèges d’arrondissement parmi les électeurs payant 1 000 francs de contributions directes, et ils devaient élire 172 députés. On espérait qu’une entente allait pouvoir être obtenue sur cette base. Le projet devait être présenté à la Chambre le 14 février mais, le 13, le duc de Berry était assassiné ! La situation du ministère devenait très difficile (la droite ultra considérait l’orientation du cabinet pendant ces dernières années comme un encouragement aux pires idées révolutionnaires). »
25Finalement, Decazes quitte le pouvoir et laisse la place à Richelieu. Le ministre de l’Intérieur, M. Siméon, présenta, dès avril, un nouveau projet reprenant l’idée de deux classes de collèges électoraux. D’après Berger :
« On avait mis le plus grand soin à ne pas s’écarter des dispositions de la charte. Aucune modification n’est apportée quant aux conditions d’électorat, d’éligibilité ni quant au nombre de députés. Il n’était pas question non plus du mode de renouvellement de la Chambre. Le projet maintenait le système des deux collèges. Il innovait quant à leurs compositions et à leurs attributions. »
27Le projet de loi fut débattu avec ardeur à la Chambre des députés et aboutit à des émeutes dans Paris. Comme le note encore Berger :
« Dans le premier projet [12] présenté à la Chambre, les collèges de département devaient se composer des électeurs les plus imposés du département jusqu’à concurrence du cinquième de la totalité de ces électeurs. Les collèges d’arrondissement ne nommaient plus de députés, mais choisissaient chacun un nombre de candidats égal au nombre des députés du département, et c’est parmi ces candidats que les collèges supérieurs devaient élire les députés. Le projet souleva les protestations de la gauche. »
29La discussion de la loi commenca le 15 mai et devait durer jusqu’au 10 juin. D’après Berger :
« Dans la Chambre, deux partis se trouvaient en présence : d’un côté les défenseurs de la loi du 5 février, de l’autre ses adversaires… Les deux partis en présence étaient à peu près égaux et on en eut bientôt la preuve. Après la clôture de la discussion sur le premier article du projet, deux amendements furent présentés par Delaunay et par Jordan, membres l’un et l’autre du centre gauche. »
31Le rejet des amendements imposa la conciliation et, le 6 juin, un amendement de nature à établir un compromis est introduit par Courvoisier. C’est déjà la loi de 1820, à ceci près que, pour lui, les plus fortement imposés ne devaient voter que dans les collèges supérieurs. Devant l’opposition de la droite, il retire sa motion, et Boin introduit le double vote dans un amendement présenté le 7 juin et voté le 9 juin. L’ensemble de la loi est enfin voté par la Chambre des députés le 12 juin et par la Chambre haute le 28 juin.
32Au nombre des dispositions principales de la loi qui fut définitivement adoptée, il figure un découpage en deux catégories de collèges, découpage qui avait pourtant fait l’objet de discussions animées. Il y a, dans chaque département, un collège électoral de département et des collèges électoraux d’arrondissement. Comme dans la loi du 5 février 1817, sont électeurs dans les collèges d’arrondissement les citoyens de sexe masculin âgés d’au moins 30 ans et payant au moins 300 francs de contributions directes. Les collèges d’arrondissement élisent les 3/5e des députés, soit 258. Les collèges de département, composés du premier quartile des électeurs les plus imposés du département, procèdent à l’élection des 2/5e restants, soit 172 députés. La méthode d’élection est le scrutin uninominal (plurinominal dans le cas des collèges de département élisant plus d’un député) majoritaire à trois tours déjà proposé par la loi du 5 février 1817 [13].
33Sans surprise, les élections de novembre 1820 virent une victoire écrasante des ultra-royalistes, surnommée la « Chambre retrouvée » en référence à la Chambre de 1815 connue sous le nom de « Chambre introuvable ». La loi a été utilisée à plusieurs reprises à l’occasion des renouvellements de la Chambre et aussi de plusieurs dissolutions. Après la dissolution de 1823, les élections de février-mars 1824 conduisent à une domination sans partage des ultras : les libéraux n’ont plus que 19 sièges. Celles de novembre 1827 voient la remontée des libéraux, qui ne cessera de se confirmer jusqu’aux élections de juillet 1830. On connaît la suite : l’attitude intransigeante du roi Charles X, les ordonnances de Juillet, les Trois Glorieuses et le début de la monarchie de Juillet. Une loi électorale du 19 avril 1831 remplace celle du 29 juin 1820, et elle abandonne le collège électoral de département tout en abaissant le cens et l’âge pour être électeur. Le pays est en marche vers le suffrage universel.
34Cet article porte exclusivement sur les pouvoirs des électeurs résultant de la loi électorale du 29 juin 1820, mais il est utile de rappeler que c’est à l’occasion de cette loi qu’a été expérimenté pour la première fois l’ « art » du découpage d’un territoire en circonscriptions (le gerrymandering), une pratique électorale qui a toujours cours aujourd’hui. En effet, la loi du 29 juin 1820 ayant créé 247 collèges d’arrondissement alors que la France comptait 362 arrondissements administratifs, un découpage s’en suivait nécessairement. Comme le souligne Gaudillère [1995], « le Parlement aurait certes pu en débattre en même temps que la loi électorale elle-même : cette procédure logique sera celle de 1831, 1875, 1889 et 1927 ». Mais deux raisons conduisent le pouvoir exécutif à choisir une autre voie. Comme nous l’avons déjà évoqué, les débats parlementaires sur la loi du double vote s’étaient caractérisés par une rare violence et une obstruction farouche des libéraux ; sur ce problème, ils avaient démontré la fragilité et l’exiguïté de la majorité ministérielle. On comprend que le gouvernement ait préféré ne pas s’engager dans un interminable débat de découpage. D’autre part, l’opération n’avait jamais été tentée, ni en France ni ailleurs, ce qui incitait à réfléchir avant toute initiative. Autant le vote de la loi électorale avait été brusqué, autant le découpage devait être « médité ».
35Gaudillère ajoute :
« À ces deux raisons conjoncturelles s’ajoutait une donnée de fond que l’on retrouvera : le cabinet Richelieu menait une politique de réaction par rapport à ses prédécesseurs. Comme souvent, la loi électorale n’était qu’une arme destinée à établir solidement et durablement la majorité de la Chambre, en l’espèce à droite. Le découpage revêtait dans cette optique une importance bien compréhensible, et le fixer sans débat parlementaire dans le silence des bureaux ministériels était une tentation toute naturelle. D’autres gouvernements, dans des circonstances analogues, feront les mêmes choix en 1852, 1958 et 1986. »
37La loi du 29 juin (art. 2) avait donc renvoyé le découpage à une ordonnance royale, prise après avis des conseils généraux et soumise à l’approbation du Parlement l’année suivante. La consultation des assemblées départementales fut rapidement conduite et l’ordonnance signée le 30 août 1820. Le travail monumental de Gaudillère démontre que de nombreux découpages ont procédé d’un authentique calcul stratégique.
38Le projet de loi destiné à pérenniser le provisoire fut déposé le 5 janvier 1821, vint en discussion le 7 février devant les députés et déboucha sur la loi du 26 mai 1821. Mais la loi électorale et le double vote avaient entre-temps produit les effets escomptés et radicalement changé l’hémicycle : sur 223 sièges pourvus aux élections de novembre 1820, la majorité gouvernementale en avait remporté environ 200. Comme le note Gaudillère :
« Ces débats parlementaires de 1821 sont intéressants à un double titre. Certes, ils n’ont que très peu modifié le découpage de 1820 : 15 départements à peine, souvent pour de simples retouches. Mais ils ont contraint le gouvernement et sa majorité à tenter d’expliquer les méthodes utilisées six mois auparavant. Ils ont aussi fixé pour une très longue période – jusqu’à la fin de la Troisième République – certains traits des débats parlementaires en matière de découpage : large consultation des députations de chaque département, nombre somme toute restreint d’amendements au projet gouvernemental, rôle de la Chambre haute. »
40S’agissant des principes de ces découpages, le ministre de l’Intérieur les énumère dans son exposé des motifs : « la population générale des arrondissements, leur richesse, leur influence, la facilité des communications, le rapprochement des électeurs d’un centre commun, enfin leur nombre qu’il était bon de rendre à peu près égal, autant que les localités le permettaient [14] ».
Objet et plan de l’étude
41La loi électorale du 29 juin 1820, en distinguant deux catégories d’électeurs, ceux qui ne votent que dans le collège d’arrondissement et ceux qui votent dans le collège d’arrondissement et le collège de département, présente une caractéristique tout à fait originale qui en fait un « cas d’école » pour l’analyse du pouvoir de vote. Comme le souligne Rémond [1965], « la minorité fortunée est ainsi deux fois représentée. La loi accentue et porte au carré le caractère foncièrement inégalitaire de l’élection censitaire ».
42Comment peut-on mesurer le degré d’influence de chaque catégorie d’électeurs dans un tel processus électoral ? Les électeurs les plus riches, qui votent deux fois, ont-ils deux fois plus de « pouvoir » que ceux qui ne votent qu’une fois ? L’analyse que nous proposons dans la suite de ce texte s’efforce de répondre à ces questions.
43On notera que le champ de cette étude dépasse le cadre étroit de la loi de 1820 : le double vote peut en effet intervenir également dans le cas de systèmes électoraux hybrides. Dans ces systèmes (utilisés notamment dans les Conseils de certaines structures intercommunales aux États-Unis), le territoire est découpé en districts, et les électeurs de chaque district élisent un représentant qui siégera au Conseil ; à ces représentants élus par district s’ajoutent des représentants élus sur une base globale par la population de l’ensemble du territoire. Des systèmes de ce type ont été récemment étudiés par Edelman [2004]. Nous y reviendrons.
44L’article est structuré de la manière suivante. La première partie présente les fondements théoriques de notre analyse. Nous introduisons tout d’abord, de manière brève, la théorie des indices de pouvoir, dont nous soulignons la nature fondamentalement probabiliste. Nous rappelons ensuite certains résultats utiles pour comprendre les développements ultérieurs ; ces résultats, dus notamment à Owen [2001], concernent l’analyse du pouvoir des électeurs dans les systèmes représentatifs les plus courants, où les différents collèges électoraux sont disjoints (chaque électeur ne vote qu’une fois). Nous présentons enfin l’analyse d’Edelman [2004] qui, le premier, a étudié la situation plus générale où les différents districts électoraux ne sont pas disjoints. À la lumière de ces analyses, nous proposons, dans la seconde partie, un modèle simplifié et approximatif permettant d’évaluer le rapport des pouvoirs de chaque catégorie d’électeurs dans le cadre de la loi de 1820. Le modèle présenté repose (notamment) sur une hypothèse discutable, selon laquelle les votes des électeurs qui votent deux fois sont indépendants. Afin d’évaluer l’impact des hypothèses simplificatrices utilisées, nous présentons, dans la même section, des calculs numériques permettant de qualifier certaines approximations tout en ignorant la corrélation des votes des électeurs qui votent dans deux collèges. Des calculs exacts intégrant la corrélation des votes reproduits dans les annexes III, IV et V complètent l’analyse, que conclut la dernière section.
Fondements théoriques
Choix social binaire
45On considère le cas d’une collectivité N constituée de n membres, devant faire un choix parmi deux options : D ou G, réforme ou statu quo… Chaque membre i de N est décrit par sa préférence Pi. Il y a deux préférences possibles : G ou D. Un mécanisme de choix social (interprété ici comme un mécanisme de vote) est une application F définie sur {G,D}n et à valeurs dans {G,D} : à tout profil P = (P1,?, Pn) ? {G,D}n, il attache une décision F(P) ? {G,D}. Un tel mécanisme F est complètement décrit par la liste F-1(G) des coalitions S ? N telles que F(P) = G. Cette liste W de coalitions définit ce qui est communément appelé un jeu simple dès l’instant où Ø ? W et N ? W [15] et W est monotone (S ? W et S ? T ? T ? W) ; une coalition S dans W sera appelée ici une coalition gagnante. Un jeu simple est dit propre si S,T ? W ? S ? T ? Ø. Il est fort si pour tout S ? N : S ? W ou NS ? W [16].
46Intuitivement, un électeur a du pouvoir dans le mécanisme F (i.e. W) lorsque sa préférence Pi joue un rôle important dans la sélection de l’option collective. Peut-on évaluer ex ante (c’est-à-dire avant la connaissance des préférences des uns et des autres) le pouvoir des différents électeurs ?
47Une telle mesure repose tout d’abord sur un modèle de tirage aléatoire ? du profil P. Plaçons-nous du point de vue de l’électeur i. Si ce qui importe est d’être celui dont la préférence fait la différence, alors il faut évaluer le nombre de profils P ou, de façon équivalente de S = S(P), tels que S ? W et S{i} ? W. La probabilité d’un tel événement est :
49La mesure est clairement sensible à la spécification de ?. Deux cas majeurs ont retenu l’attention. Le premier (connu dans la littérature anglo-saxonne sous le vocable de Impartial Culture (ic)) conduit à l’indice de Banzhaf. Il corres-pond à la situation où les Pi résultent de tirages indépendants et équiprobables. Dans ce cas, pour tout T?N{i}. L’indice de pouvoir de Banzhaf Bi de l’électeur i est donc égal à :
51où ?i(W) désigne le nombre de coalitions T?N{i} telles que T ? W et T ? {i} ? W (dans la littérature, une telle coalition T est souvent appelée un « swing » pour le joueur i). Le second (connu sous le vocable de Impartial Anonymous Culture (iac) Assumption) conduit à l’indice de Shapley-Shubik. Il suppose que, conditionnellement au tirage uniforme du paramètre p dans l’intervalle [0,1], les tirages des préférences individuelles sont indépendants et identiquement distribués comme des Bernoulli de paramètre p. On obtient dans ce cas : ?(T) = pt(1–p)n–1–t où t ? #T. L’indice de pouvoir de Shapley-Shubik Shi de l’électeur i est donc égal à :
53On pourrait songer à bien d’autres modèles probabilistes incluant plus ou moins de corrélation entre les votes. On pourrait, par exemple, supposer que les électeurs sont décrits au départ par des caractéristiques socioéconomiques et géographiques et que deux électeurs ayant des caractéristiques voisines ont plus de chances de voter de façon similaire. S’agissant de l’influence, on pourrait aussi s’intéresser à d’autres événements que celui d’être électeur pivot. On pourrait, par exemple, considérer l’événement « concordance entre le choix social et la préférence de l’électeur i » : le pouvoir de l’électeur i serait mesuré dans ce cas par la probabilité de voir le mécanisme respecter son choix. Cette mesure n’est pas sans relation avec la mesure d’influence considérée ici [17]. Dans la suite de notre travail, nous allons nous limiter à la mesure du pouvoir d’influence attachée au fait d’être pivot et aux deux modèles probabilistes évoqués ci-dessus [18], [19].
54Le calcul de ces indices va dépendre en premier lieu du jeu simple décrivant le mécanisme. Dans ce qui suit, nous nous concentrerons principalement sur les jeux majoritaires pondérés (en particulier les jeux majoritaires ordinaires) et les jeux composés. Un jeu simple (N,W) est un jeu majoritaire pondéré s’il existe un vecteur de poids et un quota q > 0 tels que :
56Le nombre q désigne le quota nécessaire pour valider l’alternative qui est examinée. Suivant le contexte, les poids wi pourront désigner le nombre de représentants de i si i désigne un pays votant dans une organisation internationale ou encore le nombre de députés de i si i désigne un parti votant de façon disciplinée dans une assemblée parlementaire. Si , le jeu W est propre. Lorsque les poids wi sont des entiers, le quota, où [x] désigne le premier entier strictement supérieur à x, désigne le quota majoritaire, et le jeu simple associé est appelé le jeu majoritaire ordinaire. Si est impair, le jeu majoritaire ordinaire W est fort. Lorsque est pair, ce n’est plus nécessairement le cas. Lorsqu’une telle situation se présente, un second jeu est utilisé pour départager les ex aequo ; par exemple, l’un des joueurs peut être utilisé comme tie breaker. Dans le cas où tous les poids sont égaux à 1 et , on obtient le jeu majoritaire symétrique. Si n est impair, le jeu majoritaire symétrique est fort.
Composition classique : les collèges disjoints
57La complexité du problème historique examiné ici trouve son origine dans le fait que les différents collèges qui élisent un ou plusieurs représentants ne sont pas disjoints. Certains électeurs appartiennent à plusieurs collèges et votent donc plusieurs fois. Le cas d’école le plus souvent considéré suppose, en revanche, des représentants élus sur la base d’un découpage électoral de la population. La population totale des électeurs N est partitionnée en K districts électoraux : . Les nk électeurs du district k élisent à la majorité simple wk représentants (les wk représentants du district k sont tous de droite ou tous de gauche). L’Assemblée comprend donc au total représentants. Nous allons déterminer des formules permettant un calcul exact ou approximatif des indices de Banzhaf et de Shapley-Shubik des électeurs suivant le district auquel ils appartiennent dans le cadre du jeu composé [20] qui décrit le processus de décision collective. Ce calcul exploite les propriétés des deux indices par rapport à l’opération de composition. Dans le cas de Banzhaf, l’indice de pouvoir résulte d’une simple multiplication de l’indice de pouvoir de l’électeur dans son district et de l’indice de pouvoir de son représentant dans l’Assemblée. Dans le cas de Shapley-Shubik, les choses sont beaucoup moins simples comme nous le rappelle Owen [2001], et nous y revenons ci-dessous.
58Comme on l’a vu, le calcul de la probabilité de l’événement « l’électeur i du district k est pivot » est assez simple dans son principe : il suffit de dénombrer les profils de vote où cet électeur est pivot. Ce sera le cas si les votes dans le district k se divisent en deux parts égales et si le bloc des wk représentants du district k est pivot dans l’Assemblée. Dans le cas de ic, ce dernier événement est indépendant de ce qui s’est passé dans le district k. Il n’en est pas de même sous l’hypothèse iac. C’est la raison qui motive l’introduction du modèle iac* décrit dans l’annexe I.
59Le bloc des wk représentants du district k est pivot dans l’Assemblée si l’ensemble des districts G ? {1,…,K}{k}qui votent à gauche est tel que :
61Le dénombrement Mk des ensembles G vérifiant l’inégalité ci-dessus n’est pas immédiat en général. Dans le cas du quota majoritaire et sous des conditions non complètement caractérisées, les rapports sont très proches des rapports (Mann et Shapley [1964], Riker et Shapley [1968]). C’est aussi le sens du théorème limite de Penrose [1946] qui affirme que, si le nombre de blocs de représentants est suffisamment grand, alors les deux ratios sont proches pour chaque paire de blocs de représentants. Cette affirmation n’est pas vraie en toute généralité mais l’est sous certaines conditions [21] (Chang, Chua et Machover [2006], Lindner et Machover [2004]). Dans l’annexe VIII, nous étudions dans le détail un exemple où, précisément, cette convergence n’a pas lieu.
62Une approche générale et remarquable des questions qui précèdent a été développée par Owen [1972], [1975], [2001]. Elle est basée sur le concept d’extension multilinéaire d’un jeu coopératif à utilité transférable. Dans le cas où l’ensemble des joueurs est {1,…,K}, un tel jeu est décrit par une fonction d’ensemble telle que V(Ø) = 0. Son extension multilinéaire est la fonction f = fv définie sur [0,1]K comme suit :
64Le vecteur (x1,x2,…,x3) ? [0,1]K peut être interprété comme le vecteur des probabilités décrivant la formation d’une coalition aléatoire sous réserve que les appartenances des membres soient le résultat de tirages aléatoires indépendants. Dans ce cas, f(x1,x2,…,xK) correspond à l’espérance mathématique de la fonction V, i.e. . La propriété la plus remarquable est attachée à la formule suivante :
66Dans cette formule, Shk(V) désigne la valeur de Shapley du joueur k dans le jeu V, c’est-à-dire :
68On obtient facilement :
70Dans cette expression, le coefficient peut s’interpréter comme la probabilité que . D’où l’on déduit que :
72Dans le cas où V est un jeu simple, i.e. V(S) ? {0,1} pour tout S ? {1,…,K} on obtient :
74Lorsque W est un jeu majoritaire pondéré décrit par le vecteur de poids (w1,w2,…,wn) et le quota q, on obtient :
76où Y est la variable aléatoire est la variable aléatoire égale à wj avec la probabilité xj et 0 sinon. Puisque E(Zj) = xjwj et ?2(Zj) = xj(1 – xj)w2j, on déduit du fait que les variables Zj sont indépendantes :
78Sous réserve d’être dans les conditions d’application d’une version du théorème de la limite centrale [22], on en déduit que Y est approximativement égale à une loi normale ? de moyenne E(Y) et variance ?2(Y). Dans le cas où (x1,x2,…,xK) = (t,t,…,t), la variable aléatoire notée ?t vérifie :
80On en déduit que :
82où :
84On peut utiliser cette approximation pour obtenir une approximation de l’indice de pouvoir du joueur k dans le jeu majoritaire pondéré en substituant et en procédant à une intégration numérique (Owen [1975]). Similairement, l’indice de pouvoir du joueur k dans le jeu majoritaire pondéré est approximativement égal à :
86On peut de nouveau utiliser l’approximation gaussienne pour procéder à une évaluation numérique de Bk. S’agissant de la formule d’approximation de Penrose [1952], c’est-à-dire de la proportionnalité de ces indices aux poids, il faut se montrer plus prudent. Les variables aléatoires Zj sont à valeurs entières dès l’instant où les poids wj le sont. Pour offrir des formules approximatives de Bk, on a besoin de versions locales du théorème de la limite centrale (Davis et McDonald [1995], McDonald [1979], Mukhin [1991], Petrov [1975]) pour des variables à valeurs entières. Des versions du résultat de Penrose ont été démontrées en appliquant ces versions locales (Lindner et Machover [2004]). Il est clair que la relation de Penrose n’a de sens que dans un contexte asymptotique convenablement défini (Lindner et Owen [2007]).
87Dans le cas particulier où K est un nombre impair, et wk = 1 pour tout k = 1,…, K on déduit directement de la formule de Stirling que l’indice Bk est proportionnel à . Par ailleurs, on déduit immédiatement de la propriété de symétrie de la valeur de Shapley que l’indice Shk est égal à .
88Sous réserve d’être dans un cas de validité de l’approximation de Penrose, on en déduit que la probabilité de l’événement « l’électeur i du district k est pivot », i.e. l’indice de Banzhaf d’un électeur générique du district k est proportionnel à :
90On dispose donc d’une formule multiplicative très compacte de la mesure du pouvoir au sens de Banzhaf d’un électeur en fonction de la taille de son district et du nombre de représentants que son district envoie à l’Assemblée.
91Dans le cas de la mesure de Shapley-Shubik classique, c’est-à-dire dans le cadre du modèle iac classique, le calcul est plus compliqué. On peut, à la suite d’Owen [2001], exploiter le fait que l’extension multilinéaire d’un jeu composé est la composition de l’extension multilinéaire du jeu global et des extensions multilinéaires des jeux locaux. En notant f l’extension multilinéaire du jeu majoritaire pondéré décrivant l’Assemblée et gk l’extension multilinéaire du jeu majoritaire décrivant l’élection des représentants du district k, nous disposons de la formule générale [23] (Owen [2001]) :
93où :
95Si l’on fait l’hypothèse que les votes dans les différents districts sont indépendants, la formule se simplifie et prend une forme multiplicative. Le modèle iac*, présenté dans l’annexe I, repose précisément sur cette hypothèse. Dans ce cas, on peut démontrer, sous réserve d’être dans un cas de validité de Penrose, que l’indice de Shapley-Shubik modifié d’un électeur générique du district k est alors proportionnel à :
Composition généralisée : les collèges emboîtés et les votes multiples
97Edelman [2004] a développé une généralisation de l’opération de composition où les K districts électoraux Nk ne sont plus nécessairement disjoints et où les électeurs ont autant de votes que de collèges auxquels ils appartiennent. Si l’électeur i appartient à k(i) collèges, il votera k(i) fois, et il est possible techniquement de voter parfois en faveur de G et parfois en faveur de D. À proprement parler, comme le note Edelman, les contextes de composition où les électorats ne sont pas disjoints sont déjà discutés dans la littérature abstraite sur l’algèbre des jeux simples (Felsenthal et Machover [1998], Taylor et Zwicker [1999]). Par exemple, le Congrès des États-Unis est modélisé comme la réunion de deux jeux simples comportant 537 joueurs et dont les joueurs sont identiques. De même, le processus de décision du Conseil des ministres de l’Union européenne, telle que définie par les différents traités, est modélisé comme l’intersection de trois jeux simples dont les joueurs (ici au nombre de 27) sont identiques. L’union et l’intersection sont des cas particuliers de l’opération de composition. Dans ces modèles, chaque joueur ne dispose que d’un seul pouvoir de vote.
98On continuera de noter N la population de l’ensemble des électeurs, i.e. . Un jeu simple généralisé est une famille W de K-tuples d’ensembles (S1,S2,..,SK) où Sk est un sous-ensemble de Nk pour tout k = 1,…, K, vérifiant :
- (N1,N2,…,NK) ? W
- (Ø,Ø,…,Ø) ? W
- Si (S1,S2,…,SK) ? W et Sk ? Tk pour tout k = 1,…,K, alors :
100Les coalitions (S1,S2,…,SK) ? W sont appelées coalitions gagnantes globales, alors que les composantes sont appelées coalitions locales. Dans ce contexte généralisé, Edelman définit un nouvel indice de pouvoir de type Banzhaf de la manière suivante. Étant donné un électeur i et une coalition gagnante globale (S1,S2,…,SK), on dit que i est pivot en S dans la composante k si i ? Sk et (S1,…,Sk{i},…,SK) ? W. Soit
102On note le nombre de fois où i est pivot pour une coalition globale dans une composante donnée, i.e. :
104Edelman définit l’indice de pouvoir comme suit :
106Il est important de souligner que cette mesure diffère de l’indice de pouvoir de Banzhaf habituel (Bi).
107Le jeu simple généralisé qui retient le plus l’attention d’Edelman est celui que nous avons discuté plus haut, à l’exception de l’hypothèse que les ensembles Nk étaient disjoints. Étant donné un jeu majoritaire pondéré [q ;w1,…,wK] sur l’ensemble {1,2,…,K} et K jeux simples (Nk,Wk), (S1,S2,…,SK) ? W ssi :
109Cette opération de composition généralisée diffère de l’opération de composition classique car rien, dans la définition, ne force à considérer qu’un électeur est dans toutes les coalitions ou dans aucune : il peut être comptabilisé dans certains Si et non dans certains autres. C’est un peu comme si un électeur avait autant de sosies (doubles, jumeaux,…) que de collèges dans lesquels il est présent. Un jeu composé est défini à partir de K jeux simples et d’un jeu additionnel sur l’ensemble {1,2,…,K}. La composition classique suppose qu’une coalition est gagnante si . La composition généralisée est définie par un jeu généralisé W où (S1,S2,…,SK) ? W si et seulement si
110Edelman utilise ces notions pour étudier l’application suivante : un territoire est constitué de différents districts et chaque district élit un représentant au « Conseil » du territoire. Aux représentants élus dans chaque district s’ajoutent des représentants « territoriaux » élus par l’ensemble du territoire : chaque électeur vote donc deux fois, une fois pour élire son représentant de district et une fois pour choisir les représentants territoriaux. La question qu’il explore est la suivante : quel est, dans ce jeu composé, le nombre de représentants territoriaux qui permet de maximiser le pouvoir de vote (mesuré par ) d’un électeur du territoire ? Edelman montre qu’il doit être égal à la racine carrée du nombre total de représentants au Conseil.
111Edelman avance plusieurs arguments en faveur de sa définition de l’indice de pouvoir . Les questions qu’il soulève sont discutées dans son article. La première est celle du double comptage qui tient au fait qu’un électeur peut être pivot pour une même coalition globale dans plusieurs composantes. Il est possible de montrer que le problème n’est pas trop sérieux lorsque la taille de l’électorat est suffisamment grande. La seconde question est plus sérieuse. La mesure de pouvoir suppose que les votes d’un même électeur sont indépendants les uns des autres [24]. Edelman montre, à l’aide de certains exemples, que les indices Bi et peuvent être très différents.
Application à une représentation simplifiée de la loi du « double vote »
Notation et hypothèses principales
112Pour appliquer la théorie classique de la mesure du pouvoir, nous allons passer sous silence certaines difficultés et nous concentrer sur un cadre simplifié qui, selon nous, ne déforme pas l’essentiel du mode de scrutin instauré par la loi du « double vote ».
113• Nous supposons qu’il n’y a que deux types de candidats : des candidats de gauche et des candidats de droite. Ce modèle binaire est le cadre habituel d’application de la théorie des indices et nous oblige à ignorer toute autre considération. L’avantage fondamental du modèle binaire est l’équivalence entre vote sincère et vote stratégique, équivalence qui cesse d’être vraie en présence de trois options ou plus. Du point de vue des préférences, il y aura donc deux types d’électeurs : les électeurs de gauche et les électeurs de droite.
114• Nous supposons que la population totale des électeurs est divisée en K départements de taille identique, eux-mêmes subdivisés en A arrondisssements de taille identique notée L. La taille des départements est donc égale à AL et la taille de l’électorat total est égale à ALK.
115• Dans ce contexte symétrique, il y a deux classes d’électeurs : ceux qui ne votent qu’une seule fois (les « petits » électeurs) et ceux qui votent deux fois (les « grands » électeurs). Nous voulons calculer les indices de Banzhaf et de Shapley-Shubik révisé des deux types d’électeurs. Pour continuer à maintenir la symétrie à son maximum, nous allons supposer que le nombre de grands électeurs est le même dans chaque département et qu’il se répartit en parts égales dans chaque arrondissement. Le nombre de grands électeurs d’un arrondissement est ainsi noté M (avec M ? L) et représente la fraction de grands électeurs par arrondissement (et par département, compte tenu de nos hypothèses).
116• Le scrutin de chaque arrondissement est uninominal (en accord avec la loi). En revanche, nous supposerons, pour simplifier, que chaque collège départemental élit le même nombre D de députés (D ? 1). Le nombre de députés à la Chambre est ainsi égal à K(D + A).
117En prenant K = 86 départements, A = 3 arrondissements par département, D = 2 députés élus par les grands électeurs de chaque département et , on retrouve les principaux éléments caractéristiques de la loi électorale de 1820 : la Chambre des députés compte 86 × (2 + 3) = 430 membres ; 258 (soit 3/5e) sont élus par tous les électeurs et 172 (soit 2/5e) sont élus par les électeurs les plus riches qui constituent le quart de l’électorat. L’environnement électoral considéré par Edelman [2004] dans son application mentionnée plus haut est un cas particulier de notre modèle dans lequel tous les électeurs votent deux fois. On a dans cette application K = 1 et .
118• Enfin, comme Edelman, nous allons dériver des formules approximatives de calcul du pouvoir de chaque classe d’électeurs en négligeant les problèmes de corrélation résultant du fait que les grands électeurs votent plusieurs fois. Nous supposons ainsi que le vote d’un grand électeur dans le collège d’arrondissement est indépendant de son vote dans le collège départemental.
119Clairement, la connaissance des votes du collège de département influence [25] la prévision du vote des collèges d’arrondissement. Au niveau de l’Assemblée, la probabilité d’être pivot pour un député est donc plus subtile à calculer que dans le cas indépendant et équiprobable. Ce problème de corrélation est abordé dans Le Breton, Lepelley et Smaoui [2011] et est évalué lorsque le nombre de départements K est suffisamment grand. Lorsque K est petit, la probabilité d’être pivot peut cependant parfois être factorisée simplement. Par exemple, dans le cas où K = D = 1 et A = 2, la probabilité d’être pivot pour un petit électeur est deux fois la probabilité de l’intersection de trois événements : le petit électeur est pivot dans son arrondissement, l’autre arrondissement vote à gauche et le département vote à droite. Cette probabilité est le produit de la probabilité du premier et de la probabilité conditionnelle (au premier) de l’intersection des deux autres [26].
120Dans le cas du modèle aléatoire iac, plusieurs options pour amender la version classique en allant vers plus d’indépendance s’offrent à nous. Si le district de référence était le département, nous pourrions appliquer iac département par département (et non uniformément à l’ensemble de tous les électeurs). Cette version, déjà mentionnée, notée iac* et présentée dans l’annexe I, permet d’évacuer la question du calcul délicat de l’indice de Shapley-Shubik dans les jeux composés. Ici, le département est divisé en plusieurs collèges électoraux, et certains électeurs votent deux fois. On peut appliquer iac à l’ensemble des électeurs du département mais plusieurs autres voies sont possibles.
121Dans le même esprit qu’Edelman, nous allons dédoubler les grands électeurs et faire comme si une moitié des grands électeurs votait uniquement dans le collège départemental et une autre moitié votait uniquement dans les collèges d’arrondissement. Les deux versions que nous avons retenues supposent toutes les deux une application séparée d’iac au sein de chaque district (les A districts d’arrondissement et le district de département). S’agissant du district de département, nous appliquons iac à l’ensemble du collège. S’agissant des districts d’arrondissement, le choix résiduel est binaire. On peut appliquer iac uniformément au sein du district ou on peut l’appliquer séparément pour les deux sous-populations. Le premier modèle sera noté iac* et le second modèle sera noté iac**. Dans le cadre de l’iac*, la probabilité qu’un électeur soit pivot dans son district est inversement proportionnelle au nombre d’électeurs dans le district. La question est sensiblement plus complexe dans le cas de la version iac**, qui fait l’objet de l’annexe II. Nous y démontrons que la probabilité d’être pivot évolue comme l’inverse de la taille de la sous-population la plus grande. Dans le cas où les votes des grands électeurs sont corrélés, il suffit de définir le modèle aléatoire précisant le vote des électeurs dans leurs districts d’arrondissement. Notons alors que le vote des grands électeurs dans le collège de département ne consiste pas en une application uniforme d’iac mais en A applications indépendantes d’iac (une par arrondissement) [27]. Ceci suggère, au passage, un autre modèle aléatoire dans le cas de dédoublement qui consisterait, pour le vote des électeurs dans leur collège de département, à appliquer iac arrondissement par arrondissement [28].
122Notre approche, basée sur un « dédoublement » artificiel des grands électeurs, est destinée à simplifier les calculs. Cette simplification est naturellement discutable du point de vue de l’analyse des conséquences du double vote. La dérivation de formules analytiques exactes et générales semble hors d’atteinte car la prise en compte des corrélations soulève des difficultés combinatoires assez délicates. Dans les annexes III, IV et V, nous offrons une analyse de l’environnement électoral avec corrélation dans trois cas particuliers afin d’apprécier les écarts par rapport au cas de dédoublement. La question qui se pose est de savoir si ces écarts restent significatifs lorsque les principaux paramètres prennent des valeurs élevées.
Calcul des indices de pouvoir
123Nous nous proposons donc de mesurer, à l’aide des indices de Banzhaf et de Shapley-Shubik révisé, le pouvoir de vote de chaque catégorie d’électeurs. Considérons, dans un arrondissement donné d’un département donné, un petit électeur et un grand électeur. Le petit électeur est pivot s’il est pivot dans l’arrondissement et si de plus le représentant élu de cet arrondissement est lui-même pivot à la Chambre des députés. Quant au grand électeur, il est pivot s’il est pivot dans son collège d’arrondissement et si le représentant élu de l’arrondissement est pivot à la Chambre ou s’il est pivot dans son collège de département et si l’élu (ou les élus) de ce département est (sont) pivot(s) à la Chambre (le « ou » est ici inclusif). Introduisons alors les sous-ensembles de E (où E désigne l’ensemble des profils de préférences possibles) associés aux événements suivants :
- P : « le petit électeur est décisif » ;
- G : « le grand électeur est décisif » ;
- Ra : « le député d’arrondissement est décisif » ;
- Rd : « le ou les députés de département sont décisifs » ;
- Pa : « le petit électeur est décisif dans son collège d’arrondissement » ;
- Ga : « le grand électeur est décisif dans son collège d’arrondissement » ;
- Gd : « le grand électeur est décisif dans son collège de département ».
124Nous avons :
126et
128Notons ??(X) la probabilité de l’événement x lorsque l’ensemble E des profils de préférences possibles est muni de la mesure de probabilité ?. Le pouvoir de vote d’un petit électeur est donné par ??(P) et celui d’un grand électeur par ??(G). Nous obtenons l’indice de Banzhaf en prenant ? = ic et les indices de Shapley-Shubik révisés introduits ci-dessus en prenant ? = iac* et ? = iac**.
129L’opération de dédoublement et les révisions du modèle iac auxquelles nous avons procédé conduisent alors, pour les trois ? considérés, aux égalités suivantes :
131et
133Dans l’expression de ??(G), nous pouvons, au moins en première analyse, négliger le troisième terme car ce terme est du second ordre par rapport aux deux premiers : on néglige donc les profils de préférences dans lesquelles le grand électeur est à la fois décisif dans le collège d’arrondissement et dans le collège départemental, obtenant ainsi :
135Nous allons enfin poser que
137Nous considérons donc qu’un député de département a autant de chances d’être décisif qu’un député d’arrondissement et que D députés de département ont D fois plus de chances d’être décisif qu’un seul [29]. Il en résulte que le rapport entre le pouvoir d’un grand électeur et celui d’un petit s’écrit :
139Nous sommes alors en mesure de proposer des formules de calcul simples en précisant le modèle probabiliste sous-jacent. Si l’on utilise la mesure du pouvoir préconisée par Banzhaf (qui suppose implicitement ? = ic), on sait que le pouvoir d’un électeur dans un collège donné est proportionnel à l’inverse de la racine carrée du nombre d’électeurs (supposé élevé) dans le collège. Précisément, l’on a puisqu’il y a L électeurs dans un arrondissement et puisqu’il y a MA grands électeurs dans un département. La relation (1) donne ainsi, en posant ? = M/L :
141Si l’on applique maintenant le modèle de Shapley-Shubik révisé iac*, le pouvoir d’un électeur dans un collège donné est inversement proportionnel au nombre d’électeurs du collège. Nous obtenons donc , ce qui donne :
143Enfin, si l’on applique le modèle de Shapley-Shubik révisé iac*, le pouvoir d’un électeur dans un arrondissement donné est inversement proportionnel au nombre de petits électeurs de l’arrondissement (voir l’annexe II pour une preuve de ce résultat). Nous obtenons dans ce cas et , ce qui donne [30] :
145Le rapport des pouvoirs entre un grand et un petit électeur dépend donc, dans notre modélisation simplifiée, de trois paramètres : le nombre d’arrondissements par département (A), le nombre de députés élus dans le collège départemental (D) et la proportion ? de grands électeurs ; il est par ailleurs indépendant du nombre K de départements. En prenant A= 3, D = 2 et ? = 1/4, afin de se rapprocher, autant que faire se peut, de l’environnement électoral de 1820, nous obtenons grâce aux relations (2), (3) et (4) et : le pouvoir d’un grand électeur apparaît ainsi comme étant entre trois et quatre fois plus élevé que celui d’un petit électeur ! Les relations (2), (3) et (4) indiquent en outre que, conformément à l’intuition, le rapport de pouvoir entre les deux catégories d’électeurs augmente avec D (plus le nombre de députés élus par un collège départemental est élevé, plus le pouvoir relatif d’un grand électeur est important) et diminue si le législateur élève les valeurs de A et/ou de ? (une augmentation de A ou de ? « dilue » le pouvoir d’un grand électeur puisqu’alors la taille MA du collège départemental s’élève). Les tableaux 1, 2 et 3 précisent l’impact de ces différents paramètres.
Rapport des pouvoirs en fonction de A (D = 2, , L grand)
Rapport des pouvoirs en fonction de A (D = 2, , L grand)
Rapport des pouvoirs en fonction de D (A = 3, , L grand)
Rapport des pouvoirs en fonction de D (A = 3, , L grand)
Rapport des pouvoirs en fonction de ? (A = 3, D = 2, L grand)
Rapport des pouvoirs en fonction de ? (A = 3, D = 2, L grand)
Validité de l’approximation de Penrose dans le cas du dédoublement
146Les résultats que nous venons de présenter reposent sur diverses hypothèses simplificatrices dont la plus discutable est certainement celle du dédoublement des grands électeurs, qui votent de manière indépendante dans le collège d’arrondissement et dans le collège de département. Mais nous ne saurions passer sous silence notre hypothèse selon laquelle le pouvoir d’un député de département est D fois supérieur à celui d’un député d’arrondissement au sein du Parlement. L’objet principal de la présente sous-section est d’examiner dans quelle direction changer les formules d’approximation dans le cas où les conditions d’application de l’approximation de Penrose ne sont pas vérifiées. Ces calculs numériques complètent les simulations de type Monte Carlo réalisées par Vidu [2014].
147Contrairement à nos formules analytiques qui expriment des valeurs asymptotiques, les calculs numériques effectués par Vidu considèrent un nombre fini d’électeurs. Il fixe les valeurs des paramètres de la manière suivante. Étant donné M un entier impair et Q un entier strictement supérieur à 1, il suppose qu’il y a dans l’arrondissement type M grands électeurs et un total de L = (Q + 1)M + 1 électeurs si Q + 1 est pair ((Q + 1)M si Q + 1 est impair). Ainsi, si Q = 9, les grands électeurs représentent le dixième de l’électorat.
148Nous avons étudié analytiquement trois cas particuliers en annexe :
– annexe III | Q = 3 | A = 1 | D = 1 | K = 1. |
– annexe IV | Q = 3 | A = 2 | D = 1 | K = 1. |
– annexe V | Q = 3 | A = 3 | D = 2 | K = 1. |
149Ce sont les difficultés rencontrées dans l’étude de ces cas stylisés qui nous ont convaincus de la nécessité de faire appel à des méthodes de simulations, car l’étude du cas général semble pour le moment hors de portée. Pour pouvoir identifier le degré de validité des formules théoriques, il est cependant important de séparer les conséquences de l’hypothèse de dédoublement de celles attachées à l’approximation de Penrose. Les simulations de Vidu examinent aussi cette décomposition. Le reste de cette brève [31] sous-section est consacré à l’étude théorique de la validité de l’approximation de Penrose dans le cas de l’hypothèse de dédoublement pour les valeurs L = 45, M = 11, soit ? ? 1/4, A = 3 et K = 5.
150Notons que, dans ce cas, la Chambre est composée de 15 + 5D députés mais les 5D derniers peuvent être regroupés en 5 paquets de taille D où, au sein de chaque paquet, les votes sont parfaitement corrélés. Il est donc plus commode de regarder ce jeu comme le jeu majoritaire pondéré fort avec 20 joueurs : 15 ayant un poids égal à 1 et 5 ayant un poids égal à D. Le quota majoritaire (si D est pair, ce que nous supposons dans ce qui suit) vaut alors . À l’aide du programme ipdirect de D. et R. Leech mis au point à Warwick, on peut calculer la valeur exacte [32] des pouvoirs des deux types de députés dans l’Assemblée. Notons R(D) le rapport exact du pouvoir des joueurs de poids D et du pouvoir des joueurs de poids 1 dans l’Assemblée. Les résultats des calculs sont consignés dans le tableau 4 :
Valeurs de R(D) (L = 45, M = 11, K = 5, A = 3)
Valeurs de R(D) (L = 45, M = 11, K = 5, A = 3)
151On constate que l’approximation de Penrose doit être considérée avec précaution dans le cas où la taille de la Chambre (ici 20) n’est pas très élevée. Comme nous l’avons déjà fait remarquer, l’approximation de Penrose est (sous réserve de quelques qualifications) valide lorsque le nombre K de départements est suffisamment grand. Cette sous-section montre cependant que l’extension des formules théoriques (2), (3) et (4) au cas général (c’est-à-dire pour une valeur de K quelconque, le cas échéant petite) ne pose aucun problème dès l’instant où l’on sait calculer R(D, K, A), le rapport du pouvoir des deux types de députés dans le jeu majoritaire fort à KA + K joueurs où KA joueurs ont un poids de 1 et K joueurs ont un poids de D. Nous avons calculé ici R(D) = R (D, 5, 3). Nos calculs doivent être comparés aux simulations effectuées par Vidu. Dans l’ensemble, ils coïncident à quelques exceptions près qu’il faudrait mieux comprendre : arrondis, erreurs d’échantillonnage… Lorsque K = 11 et A = 3 on obtient une Chambre composée de 33 + 11D députés analysée comme un jeu à 44 joueurs. Le tableau 5 reproduit le calcul de R(D, 11, 3) pour quelques valeurs de D. Ces calculs ont été effectués à l’aide du programme ipgenf également mis au point par D. et R. Leech [33]. On constate que l’approximation de Penrose est plutôt satisfaisante, même si elle est loin d’être acceptable lorsque D devient grand.
Rapport des pouvoirs en fonction de D (A = 3 et K = 11)
Rapport des pouvoirs en fonction de D (A = 3 et K = 11)
152Comme nous l’avons déjà expliqué, dans le cas de votes corrélés, le modèle d’électorat aléatoire décrivant le collège des grands électeurs n’est pas le modèle iac conventionnel appliqué à ce collège. En effet, ce collège comprend en fait A groupes homogènes, et iac est appliqué de façon indépendante à chacun de ces groupes. L’annexe II décrit le calcul de la probabilité d’être pivot dans le cas où A = 2 et le calcul général est exposé dans Le Breton, Lepelley et Smaoui [2011]. Si n est la taille du collège, il faut multiplier la valeur habituelle par un coefficient cA qu’ils ont calculé. Un échantillon de valeurs de cA apparaît dans l’annexe IV. Plus A est élevé, plus l’approximation pose problème car cA s’éloigne de 1. Une conséquence de cette observation est que, par exemple, dans le cas de la formule (4) [34] décrivant iac*, devrait être remplacé par et (4) deviendrait :
154En résumé, les formules (2), (3) et (4) que nous avons proposées doivent être recadrées si K n’est pas très élevé et (ou) si A est élevé dans le cas des modèles iac* et iac**. Néanmoins, sous réserve de qualifications, elles peuvent être considérées comme fiables – dans le cadre de notre modèle symétrique – si l’on a de bonnes raisons de penser que les votes des grands électeurs ne sont pas corrélés et que, dans le modèle iac, les préférences dans le vote départemental procèdent d’un tirage à l’échelle du collège départemental. Si l’on pense en revanche que ces votes sont parfaitement corrélés, alors la précision dépend de l’hypothèse probabiliste utilisée. Les simulations conduites par Vidu [2014] suggèrent que la formule (2) demeure valide, alors que les formules (3) et (4), fondées sur les modèles iac* et iac**, sous-estiment le pouvoir des grands électeurs par rapport à celui des petits. L’ignorance du coefficient cA est certainement l’(l’une des) explication(s) de cet écart.
Conclusion
155Dans ce travail, nous avons procédé à une analyse du pouvoir des deux classes d’électeurs introduites par la loi du 20 juin 1820. Cette analyse nous a conduits à proposer un modèle simplifié du mode de scrutin instauré par cette loi. Ce modèle présente, en tant que tel, un intérêt théorique puisqu’il étend l’analyse d’Edelman [2004] dans deux directions : d’une part, nous avons introduit deux classes d’électeurs et, d’autre part, nous ne nous sommes pas limités à des calculs probabilistes sous l’hypothèse ic (indice de Banzhaf) puisque nous avons également considéré l’hypothèse iac (indice de Shapley-Shubik), que nous avons revisitée pour l’occasion en y introduisant davantage d’indépendance.
156D’un point de vue appliqué, nous avons vu que dans le cas où K = 86, A = 3 et D = 2, notre modèle se rapprochait, à certains égards, de l’environnement électoral qui prévalait en 1820. Les résultats obtenus avec ce jeu de paramètres indiquent que le pouvoir des grands électeurs, qui votent deux fois, est trois à cinq fois plus élevé que celui des petits électeurs. Cette conclusion illustre, s’il en était besoin, l’intérêt que peut présenter l’usage des outils de la théorie des jeux coopératifs pour l’analyse d’une loi électorale. Nos résultats semblent, par ailleurs, relativement robustes : les simulations réalisées par Vidu [2014] suggèrent que l’impact d’un vote corrélé des grands électeurs est assez limité et que l’hypothèse d’indépendance qui fonde les formules analytiques que nous avons proposées tend plutôt à sous-estimer le pouvoir relatif des grands électeurs.
157Reste cependant une ombre au tableau : l’hypothèse de symétrie entre les départements d’une part, et au sein des arrondissements d’autre part, que nous avons introduite dans la totalité de l’étude. En réalité, la situation est beaucoup moins symétrique que celle retenue dans cette modélisation, et le pouvoir d’un petit ou grand électeur varie certainement d’un département à l’autre. En tout état de cause, la recherche d’une division en circonscriptions électorales de manière à assurer une représentation équitable n’a pas été un souci majeur du législateur. La loi du 10 mai 1821, qui détermine la circonscription de chaque arrondissement électoral, offrait les inégalités les plus choquantes, que le rapporteur du projet à la Chambre des députés essayait de justifier en rappelant d’autres inégalités non moins choquantes, mais nécessaires selon lui, qui existaient dans la loi électorale [35]. Les électeurs se répartissent entre les départements suivant des chiffres qui varient entre 9 414 pour le département de la Seine et 41 pour la Corse. La Seine-Inférieure arrive immédiatement après la Seine avec un chiffre de 3 902. Viennent ensuite quatre autres départements qui ont plus de 2 000 électeurs ; trente en ont plus de 1 000. En queue de liste figurent huit départements qui ont moins de 400 électeurs [36].
158La prochaine étape de notre projet consistera à s’affranchir, autant que faire se peut, de cette hypothèse de symétrie. Pour ce faire, nous comptons nous appuyer sur l’Atlas historique des circonscriptions électorales françaises établi par Gaudillère [1995]. Notons tout d’abord que sept départements n’ont qu’un collège de département. Pour tous les autres départements, on constate une certaine hétérogénéité. Le rapport 3/5 est de loin le plus fréquent. Parfois, il est plus haut : il prend la valeur 2/3 (par exemple, A = 2 et D = 1 pour le Cantal et la Creuse, A = 4 et D = 2 pour le Morbihan et A = 8 et D = 4 pour le Nord et la Seine). Parfois, il est plus bas : il prend la valeur 4/7 (par exemple, A = 4 et D = 3 pour la Haute-Garonne et l’Île-et-Vilaine) et même 1/2 (par exemple, A = D = 2 pour le Cher et la Meuse). Il faudra également tenir compte de la taille de l’électorat de chaque collège pour apprécier l’effet pur résultant d’un écart par rapport à une représentation proportionnelle des électorats.
I – Un nouveau modèle aléatoire pour les jeux composés
159La population totale des électeurs N est partitionnée en K districts électoraux : . Les nk électeurs du district k élisent sur la base d’un jeu simple Wk, wk représentants (les wk représentants du district k sont tous de droite ou tous de gauche). L’Assemblée comprendra donc au total représentants. La loi conjointe ? décrivant le tirage du profil P est supposée résulter de K tirages uniformes indépendants, i.e. on procède à K tirages indépendants où pk est tiré uniformément dans [0,1]. On notera iac* ce modèle aléatoire. Dans le cas où le vecteur tiré est le vecteur (p1,…,pk), la mesure du pouvoir d’un électeur i ? Nk est égale à :
161où :
163La mesure moyenne du pouvoir d’un électeur i ? Nk est donc égale à :
165où :
167ou de façon plus compacte :
169où Yk est la variable aléatoire et Zj est la variable aléatoire égale à wj avec la probabilité et 0 sinon. Dans le cas où le jeu Wk est le jeu à la majorité simple, pour tout k = 1,…,K. Sous réserve que l’approximation de Penrose est valide, on déduit que la mesure du pouvoir d’un électeur i ? Nk est voisine de :
II – Un nouveau modèle aléatoire pour les districts avec deux classes d’électeurs
171On notera ici n1 le nombre de petits électeurs dans l’arrondissement et n2 < n1 le nombre de grands électeurs de ce même arrondissement. Le nombre total d’électeurs est n = n1 + n2 Notons x1 le nombre de petits électeurs dans l’arrondissement votant à gauche et x2 le nombre de grands électeurs de ce même arrondissement votant à gauche. On appellera type de l’électorat la statistique anonyme (x1, x2) : on notera qu’il y a (bien sûr) plusieurs profils de préférences individuelles générant le même type d’électorat. On notera x = x1 + x2. La loi conjointe ? décrivant le tirage du profil P dans le district est supposée résulter de deux tirages uniformes indépendants, i.e. on procède à deux tirages indépendants où les probabilités de voter à gauche p1 et p2 sont tirées uniformément dans [0,1]. Dans ce cas, la probabilité d’une configuration particulière de type (x1, x2) est :
173On notera iac** ce modèle aléatoire. Ce modèle est différent du modèle attaché à décrire une corrélation parfaite. Dans ce cas, le vecteur aléatoire (p1, p2) suit une loi uniforme sur la diagonale du carré unité [0,1]2 et la probabilité d’une configuration particulière de type (x1, x2) est :
175Plusieurs modèles hybrides peuvent être, bien entendu, envisagés. Par exemple, le modèle où le vecteur aléatoire (p1, p2) suit une loi uniforme sur le triangle supérieur du carré unité [0,1]2 décrit une corrélation forte à la hausse. Dans ce cas, la probabilité d’une configuration particulière de type (x1, x2) est :
177Dans le cas du modèle iac**, la probabilité ?1 pour un petit électeur d’être pivot dans son arrondissement est :
179En utilisant la formule :
181on obtient après simplifications :
183La probabilité ?2 pour un grand électeur d’être pivot dans son arrondissement est :
185Après simplifications, on obtient :
187Les probabilités d’être pivot sont donc presque similaires ; elles évoluent comme l’inverse de taille de la sous-population la plus grande.
III – Un département composé d’un arrondissement
188Le résultat électoral sous l’hypothèse IC [37]
189Afin d’illustrer, dans le cas le plus simple qui soit, la nature des calculs combinatoires à conduire dans le cas de collèges emboîtés, considérons le cas d’un collège composé de N = 4r + 1 électeurs, où r désigne un entier impair. Le collège des grands électeurs est composé des r premiers électeurs de ce collège. Les électeurs dont le numéro va de r + 1 à 4r + 1 seront appelés petits électeurs. Il y a 3r + 1 petits électeurs. Chaque collège élit un député. On suppose que les votes des électeurs sont indépendants et équidistribués : ils votent avec une probabilité égale à pour le candidat de droite D ou le candidat de gauche G. Il y a donc quatre résultats électoraux possibles : (G,G), (D,D), (G,D) et (D,G) où la première lettre correspond au résultat du collège composé de tous les électeurs.
190Quelle est la probabilité du premier scénario ? Notons qu’il se produit lorsque grands électeurs du grand collège votent à gauche et que petits électeurs votent à gauche. La probabilité de cet événement est donc égale à :
192Dans le cas où r = 1, il y a 1 grand électeur et 4 petits électeurs. L’expression ci-dessus est égale à :
194Les calculs numériques reportés ci-dessous montre qu’elle s’écarte de la valeur et suggère une convergence vers 0,3333. Nous revenons sur cette question dans l’annexe VI.
Calculs sous l’hypothèse iac
196L’hypothèse iac présente l’avantage, dans un cas élémentaire comme celui que nous considérons dans cette annexe, de conduire à des formules analytiques exprimant les probabilités recherchées de manière simple et élégante. La difficulté réside dans la formulation de l’hypothèse iac elle-même dans le contexte étudié, qui implique des groupes de votants distincts. Plusieurs approches sont envisageables ; la plus simple, celle que nous adopterons, consiste à définir une « configuration de vote » comme un vecteur (x1, x2), où x1 désigne le nombre de petits électeurs votant à gauche et x2 le nombre de grands électeurs votant à gauche, et à considérer que toutes les configurations possibles ont la même probabilité d’occurrence. On notera que cette façon de procéder coïncide avec le modèle iac** présenté dans l’annexe II.
197Dans la formulation adoptée, il y a (r + 1)(3r + 2) configurations possibles puisque nous avons
199Calculons la probabilité d’obtenir un résultat électoral de type (G,G). Un tel résultat survient si et seulement si l’on a :
201Il n’est pas difficile d’établir que le nombre de configurations vérifiant ces conditions s’exprime par le polynôme suivant :
203Il en résulte que la probabilité du résultat électoral (G,G) est égale à :
205Lorsque r ? ?, cette probabilité tend donc vers :
IV – Un département composé de deux arrondissements avec une légère asymétrie
Le résultat électoral
207Cette fois, on considère le cas d’un district (département) composé de N = 8r + 2 électeurs, où r désigne un entier impair, divisé en deux collèges d’arrondissement comprenant chacun 4r + 1 électeurs. Le collège des grands électeurs (collège de département) comprend 2r + 1 électeurs ; il est composé des r premiers électeurs du premier collège d’arrondissement et des r + 1 premiers du second. Chaque collège d’arrondissement élit un député. Le collège de département élit également un député. On suppose, comme précédemment, que les votes des électeurs sont indépendants et équidistribués : ils votent avec une probabilité égale à pour le candidat de droite D ou le candidat de gauche G. Il y a donc, cette fois, huit résultats électoraux possibles : (G,G ;G), (G,D ;G), (D,G ;G) et (D,D ;G), (G,G ;D), (G,D ;D), (D,G ;D), (D,D ;D) où les deux premières lettres correspondent aux résultats des deux collèges d’arrondissement et la dernière au résultat du collège de département. Dans chaque district l, il y a donc trois votes. Le résultat final est décrit par la réalisation du vecteur aléatoire (X1l, X2l, X3l)où X3l désigne le résultat du vote dans le collège de département. Les trois variables aléatoires ne sont pas indépendantes et l’étude des covariances n’est pas immédiate. Par exemple, la probabilité P13 que conjointement X1r = G et X3r = G est donnée par l’expression :
209Il serait intéressant de voir de combien cette valeur s’écarte de la valeur . Il serait également utile de calculer les probabilités d’être pivot des grands et des petits électeurs en notant K le nombre de départements. On peut voir la Chambre comme comprenant 3K députés ayant tous un vote. Nous nous limiterons ici à quelques indications numériques dans le cas où r = 3. Le numérateur de l’expression ci-dessus est la somme des quatre termes suivants :
211On obtient donc que :
213De facon analogue, la probabilité P23 que conjointement X2l = G et X3l = G est donnée par l’expression :
215Dans le cas où r = 3, le numérateur de l’expression ci-dessus est la somme des quatre termes suivants :
218On obtient donc que :
220Par ailleurs :
222Nous revenons sur l’évolution de ces covariances quand r tend vers l’infini dans l’annexe VI.
Calculs sous l’hypothèse IAC
223La version du modèle iac considérée ici est à nouveau iac**. On désigne par x11 (respectivement x21) le nombre de petits électeurs du premier (deuxième) arrondissement qui votent à gauche et par x12 (respectivement x22) le nombre de grands électeurs du premier (deuxième) arrondissement qui votent à gauche, avec :
225Intéressons-nous, tout d’abord, aux résultats électoraux possibles. Dans la mesure où les collèges ne sont pas disjoints, les huit résultats possibles n’ont pas tous la même probabilité d’occurrence. Calculons la probabilité du résultat (G,G ;G). Un tel résultat survient si l’on a :
227Le nombre de configurations associées est égal à :
229On en déduit que la probabilité du résultat (G,G ;G) est donnée par :
231Lorsque r tend vers l’infini, la probabilité de ce résultat tend vers 11/72 et diffère donc de 1/8.
232Supposons r grand afin de pouvoir négliger la légère asymétrie qui caractérise la situation étudiée. On peut observer que les résultats pour lesquels les deux élections d’arrondissement donnent un député de droite et un député de gauche ont une probabilité égale à 1/8. Des arguments de symétrie permettent alors d’obtenir les probabilités limites (i.e. obtenues pour r tendant vers l’infini) de chacun des huit résultats possibles :
233Considérons maintenant le rapport des pouvoirs dans le cas où K = 1. Un petit électeur de l’arrondissement 1 est pivot s’il est pivot dans son arrondissement (x11 + x12 = 2r) et si les députés élus par l’autre arrondissement et par le département ne sont pas du même bord ((x21 + x22 ? 2r + 1 et x12 + x22 ? r) ou (x21 + x22 ? 2r et x12 + x22 ? r + 1)). Dans ce calcul, x11 désigne désormais le nombre de petits électeurs du premier arrondissement, autre que celui que l’on considère, qui votent à gauche. Donc : 0 ? x11 ? 3r En calculant le nombre de configurations associées puis en divisant par le nombre total de configurations possibles, nous obtenons le pouvoir du petit électeur :
235Pour calculer le pouvoir d’un grand électeur (supposé issu de l’arrondissement 1), trois cas doivent être considérés. Dans ce qui suit, x12 désigne désormais le nombre de grands électeurs du premier arrondissement, autre que celui que l’on considère, qui votent à gauche ; donc 0 ? x12 ? r - 1
236Cas 1. Le grand électeur est pivot dans son arrondissement (mais pas dans le département), le deuxième arrondissement vote à gauche (respectivement à droite) et le département à droite (à gauche). Autrement dit :
238Le nombre de configurations de ce type est égal à :
240Cas 2. Le grand électeur est pivot dans l’élection du député de département (mais pas dans son arrondissement), l’arrondissement 1 vote à gauche (droite) et l’arrondissement 2 vote à droite (gauche), soit :
242Le nombre de configurations associées est :
244Cas 3. Le grand électeur est pivot dans son arrondissement et au département, i.e. :
246ce qui correspond à r(3r + 1) configurations.
247Nous obtenons ainsi un total de r(r + 1)(6r + 1) configurations dans lesquelles le grand électeur est pivot. On en déduit que son pouvoir de vote est égal à :
249et le rapport des pouvoirs est donné par :
251Lorsque r tend vers l’infini, ce rapport tend vers 9/2 = 4,5. On peut noter que ce résultat est nettement différent de celui qui est obtenu en appliquant la formule théorique, qui donne 2,5 pour D = 1, A = 2 et ? = 1/4. L’hypothèse de « dédoublement » (qui fonde cette formule théorique) tend donc, dans le cas considéré, à réduire de manière importante le rapport des pouvoirs entre les deux catégories d’électeurs. Nous commençons par le vérifier, avant de dériver la formule exacte iac** dans le cas d’un vote corrélé des grands électeurs.
252Pour prendre en compte l’indépendance des votes des grands électeurs selon qu’ils élisent leur député d’arrondissement ou le député de département, nous introduisons une variable supplémentaire, x3, qui désigne le nombre de grands électeurs qui votent à gauche dans l’élection du collège départemental (avec 0 ?x3 ? 2r + 1). On suppose alors, implicitement, que le vote des grands électeurs au collège de département ne dépend pas de leur appartenance à un arrondissement donné, conformément à l’approche qui sous-tend la formule (4). Pour obtenir les probabilités d’être pivot pour chaque catégorie d’électeurs, il faut reprendre les systèmes d’équations et d’inéquations précédents en remplaçant, à chaque fois qu’elle intervient, la somme x12 + x22 par x3. Nous obtenons un rapport des pouvoirs qui est le suivant :
254Sans surprise, lorsque r tend vers l’infini, le rapport est maintenant égal à 5/2, soit exactement ce que l’on obtient avec la formule théorique .
255Nous concluons cette annexe en expliquant l’origine de l’importante différence avec le cas où les grands électeurs votent de façon identique dans leurs deux collèges. Dans ce cas, la formule « exacte » est en réalité la suivante :
257où le coefficient cA est introduit et étudié lorsque l’entier A est impair (voir table ci-dessous) dans Le Breton, Lepelley et Smaoui [2011], est la probabilité pour que le député de département soit pivot dans l’Assemblée de A + 1 députés, et est la probabilité pour qu’un député d’arrondissement soit pivot dans l’Assemblée.
258On pourrait introduire cA aussi pour des valeurs paires de A modulo une légère asymétrie entre les arrondissements. On obtiendrait cA = 2. Dans le cas où A = 2 (et ), on déduit du tableau précédent : . En utilisant la formule ci-dessus, on obtient un rapport des pouvoirs égal à :
260Pourquoi trouve-t-on 4,375 au lieu de 4,5 ? La raison tient au fait que la formule ignore le conditionnement. En réalité, la probabilité que le député de département soit pivot dans l’Assemblée sachant que le vote est équilibré dans le collège de département n’est pas mais . La valeur dérive facilement du calcul effectué dans le cas 2 ci-dessus. Dans la formule de rapport des pouvoirs, on doit donc remplacer par .
261On obtient le rapport :
263Ce calcul est instructif car il montre que l’événement être pivot dans un collège peut vraiment être informatif sur un autre événement.
V – Un département composé de trois arrondissements
Le résultat électoral
264Cette fois, on considère le cas d’un district (département) composé de N = 12r + 3 électeurs, où r désigne un entier impair, divisé en trois collèges d’arrondissement comprenant chacun 4r + 1 électeurs. Le collège des grands électeurs (collège de département) comprend 3r électeurs ; il est composé des r premiers électeurs de chaque collège d’arrondissement. Chaque collège d’arrondissement élit un député. Le collège de département élit deux députés au scrutin de liste sans panachage. On suppose, comme précédemment, que les votes des électeurs sont indépendants et équidistribués : ils votent avec une probabilité égale à pour le candidat de droite D ou le candidat de gauche G. Il y a donc cette fois huit (seize si l’on regarde collège par collège) résultats électoraux possibles : (3G ;G), (2G,D ;G), (G,2D ;G) et (3D ;G), (3G ;D), (2G,D ;D), (1G,2D ;D), (3D ;D) où les deux premières lettres correspondent aux résultats des collèges d’arrondissement. Dans chaque district l, il y a quatre votes. Le résultat final est décrit par la réalisation du vecteur aléatoire (X1l, X2l, X3l, X4l) où X4l désigne le résultat du vote dans le collège de département. Par exemple, la probabilité que, conjointement, X1l = G et X4l = G est donnée par l’expression :
266Il serait intéressant de voir de combien cette valeur s’écarte de la valeur . Il serait également utile de calculer les probabilités d’être pivot des grands et des petits électeurs en notant K le nombre de districts. Nous nous limiterons ici à quelques indications numériques dans le cas où r = 3. Le numérateur de l’expression ci-dessus est la somme des quatre termes suivants :
268On en déduit que la probabilité PGG (r)vaut :
270qui diffère significativement de . On peut regarder ce déplacement du vote à gauche dans le petit collège sous un autre angle.
271Sachant que l’on vote à gauche dans le grand collège, la probabilité qu’aucun des trois grands électeurs du petit collège de treize électeurs ne vote à gauche n’est plus égale à . Elle vaut exactement :
273qui diffère de . La probabilité qu’un grand électeur seulement vote à gauche vaut :
275qui diffère de . La probabilité que deux grands électeurs exactement votent à gauche vaut :
277qui diffère aussi de . Finalement, la probabilité que les trois grands électeurs votent à gauche vaut :
279qui diffère de . On constate que, conditionnellement à l’événement, « le collège des neuf grands électeurs vote majoritairement à gauche », les probabilités qui étaient uniformes avant le conditionnement sont désormais biaisées en direction d’un vote plus à gauche. Le nombre moyen de grands électeurs de cet arrondissement qui votent à gauche passe de .
280Calculons maintenant la probabilité pour un petit électeur d’être pivot, sachant que le grand collège a voté majoritairement G. Cette probabilité vaut où le numérateur Num est la somme des quatre termes suivants :
282La probabilité d’être pivot vaut donc : qui coïncide (sans surprise) avec , c’est-à-dire avec le calcul non conditionnel.
Calculs sous l’hypothèse iac
283Analysons maintenant le rapport des pouvoirs à la lumière de l’hypothèse iac qui, nous l’avons vu, est susceptible de rendre les calculs plus aisés. Nous présentons ici encore l’approche associée à la version iac**, la plus simple du point de vue calculatoire. Elle consiste à définir une configuration comme un vecteur (x11, x12, x21, x22, x31, x32), xi1 désignant le nombre de petits électeurs de gauche dans l’arrondissement i et xi2 le nombre de grands électeurs de gauche dans l’arrondissement i, i = 1,2,3.
284Adoptons le point de vue d’un petit électeur, que nous supposerons sans perte de généralité issu de l’arrondissement 1. L’ensemble des configurations possibles est défini par :
286Le nombre de ces configurations s’exprime donc en fonction de r de la manière suivante :
288Le petit électeur considéré est décisif s’il est pivot dans son arrondissement (ce qui implique x11 + x12 = 2r) et si la Chambre comporte deux députés de droite et deux députés de gauche ; tel sera le cas si le collège de département vote à gauche (respectivement à droite) et les collèges d’arrondissement 2 et 3 à droite (à gauche). Autrement dit, nous devons avoir :
290ou
292Après évaluation et addition du cardinal de chacun de ces deux sous-ensembles, nous obtenons :
294Il en résulte que le pouvoir du petit électeur s’écrit :
296Considérons ensuite le cas d’un grand électeur, supposé issu de l’arrondissement 1. Une fois écarté cet électeur, nous avons 0 ? x12 ?r - 1 et le nombre total de configurations possibles est légèrement différent de ce qu’il était lorsqu’on adoptait le point de vue du petit électeur, puisqu’il est égal à :
298Pour évaluer le nombre de configurations dans lesquelles le grand électeur est décisif, nous distinguerons trois cas.
299Cas 1. Le grand électeur est pivot dans le collège départemental (et dans ce collège seulement) et les collèges d’arrondissement envoient un ou deux députés de gauche à la Chambre. Ce sera le cas si :
301ou
303Après calcul, il apparaît que le nombre total de configurations associées au cas 1 est donné par :
305Cas 2. Le grand électeur est pivot dans son collège d’arrondissement (et dans ce collège seulement) et le collège départemental vote à gauche (respectivement, à droite) et les collèges des arrondissements 2 et 3 à droite (à gauche). Il faut donc :
307ou
309Le nombre de configurations correspondant s’écrit :
311Cas 3. Le grand électeur est pivot dans le collège départemental et dans son collège d’arrondissement, i.e.
313Le nombre de configurations associées est égal à :
315En sommant ces trois types de configurations et en divisant par le nombre total de configurations, nous obtenons le pouvoir de vote du grand électeur :
317Le rapport des pouvoirs est alors donné par l’expression suivante :
319Lorsque r ? ?, ce rapport tend vers . Autrement dit, dans la situation considérée, le pouvoir d’un grand électeur est plus de neuf fois supérieur à celui d’un petit électeur et est voisin du résultat de 9,13 dérivé par Vidu à l’aide de simulations [38] ! Ce résultat est nettement différent de celui que l’on obtient avec le modèle approximatif révisé de la section 3 (formule (5)), qui donne pour A = 3, D = 2 et ? = 1/4 un rapport des pouvoirs de . Cet écart important peut provenir du nombre très réduit de députés ici égal à 5 dans le cas étudié : les pouvoirs des députés sont alors différents de leurs poids, contrairement à ce que l’on a supposé dans notre modèle approximatif. Le tableau 10 de Vidu [2014] suggère, en effet, que le ratio prend la valeur 5,51 lorsque K = 85.
320Le résultat diffère aussi de celui obtenu sur la base de l’hypothèse de « dédoublement » des grands électeurs, sur laquelle est basée la formule (4) ; elle ignore cA. Nous avons calculé le rapport des pouvoirs en prenant en compte explicitement cette hypothèse. Il faut, pour y parvenir, introduire une variable supplémentaire, indépendante de x11, x12, x21, x22, x31, x32 et désignant le nombre de grands électeurs votant à gauche dans le département ; soit x42 cette variable. Il suffit alors de reprendre l’analyse qui précède en remplaçant x12 + x22 + x32 par x42 pour obtenir un vote non corrélé des grands électeurs. En procédant de cette manière, nous obtenons un rapport des pouvoirs dont l’expression est nettement plus simple :
322Lorsque r tend vers l’infini, ce rapport tend vers . Le résultat n’est maintenant plus très éloigné de celui que donne notre formule. En fait, on retrouve la formule exacte car, dans ce petit Parlement, le rapport de pouvoir des députés est égal à 3 et non à 2 comme nous l’avons supposé dans la formule théorique (4).
VI – Probabilités gaussiennes d’orthant
323Dans cette annexe, on propose une justification asymptotique des résultats trouvés dans les annexes III, IV et V sous l’hypothèse ic. On considère le cas général d’un département composé de A arrondissements de même taille 4r + 1, où A et r sont des entiers impairs. Le collège de département est composé des r premiers électeurs des arrondissements : les Ar électeurs de ce collège élisent D députés au scrutin de liste bloqué où D est un entier pair.
324Pour chaque arrondissement j = 1,…,A, on considère la variable aléatoire :
326où la variable aléatoire Xij code le vote de l’électeur i du jième arrondissement sous la forme
328Srj désigne donc le nombre d’électeurs de l’arrondissement j qui ont voté à gauche. Par ailleurs, on note Srd la variable aléatoire :
330Srd désigne donc le nombre d’électeurs du collège de département qui ont voté à gauche. On considère enfin le vecteur aléatoire Sr = (Sr1, Sr2,…,SrA,Srd) de dimension A + 1. Pour étudier le comportement de ce vecteur, considérons tout d’abord le vecteur de taille 2A :
332En vertu du théorème central limite, ce vecteur se comporte, lorsque r est suffisamment grand, comme un vecteur aléatoire gaussien multidimensionnel (de dimension 2A) où :
334On vérifie facilement que où ? est la matrice (A+1) × 2A définie comme suit :
336Par conséquent, Sr se comporte comme un vecteur gaussien où ? est un vecteur de dimension A + 1 et ? (la matrice de variances covariances) est une matrice carrée symétrique et définie positive de dimension (A + 1) × (A + 1). Il est immédiat de voir que :
338S’agissant de ?, il suffit de calculer la covariance entre, disons (elles sont toutes identiques), Sr1 et Srd. On obtient :
340Par ailleurs :
342En résumé, on obtient donc :
344On constate que la matrice est presque diagonale [39]. Les covariances sont situées sur la dernière ligne et donc colonne. On constate que le coefficient de corrélation ? sur cette dernière ligne est égal à :
346On pourrait, après normalisation, écrire la matrice sous la forme compacte :
348En quoi cela est-il utile ? Principalement pour connaître les probabilités des différents profils des votes dans chaque département. Ce profil est décrit par un vecteur de dimension A + 1 où les A premières coordonnées décrivent les votes des collèges d’arrondissement et la dernière décrit le vote dans le collège de département.
349Soit J et K deux sous-ensembles disjoints de {1, 2, …, A}. Quelle est, par exemple, la probabilité PJ+d,K de l’événement « les collèges d’arrondissement dont le numéro est dans le sous-ensemble J ont voté à gauche, les collèges d’arrondissement dont le numéro est dans le sous-ensemble K ont voté à droite et le collège de département a voté à gauche ». En considérant le vecteur centré , on voit que :
351En considérant l’approximation gaussienne, il s’agit donc de calculer la probabilité qu’un vecteur aléatoire gaussien de dimension |J| + |K| + 1 centré de matrice de variances-covariances ?|J| + |K| + 1 (où ?|J| + |K| + 1 est la sous-matrice de ? correspondant aux indices dans J ? K et au dernier indice) appartienne à l’orthant .
352Par exemple dans le cas où A=1, on a un vecteur gaussien bivarié de matrice . La probabilité que les deux collèges votent à gauche est la probabilité P de l’orthant . Une importante littérature statistique est consacrée au calcul exact ou approché de probabilités d’orthant dans le cas de vecteurs gaussiens (Divgi [1979], Gupta [1963a,b], Owen [1956], Plackett [1965], Wang [1987]). Considérons ici une gaussienne bivariée normalisée de matrice c’est-à-dire décrite par la densité :
354La probabilité P s’exprime comme suit :
356Stieltjes (Gupta [1963b]) a démontré que :
358Dans le cas de l’annexe III, et on obtient P = 0,3333. Dans le cas de l’annexe V, , et on trouve cette fois P = 0,29661 ! Dans le cas de l’annexe IV, ; on en déduit : P = 0,30751. On retrouve donc à la limite des valeurs proches des valeurs calculées dans les annexes III, IV et V.
VII – Le cas d’Edelman
359Edelman s’intéresse au cas où il n’y a qu’un seul département, c’est-à-dire K = 1 et où il n’y a qu’une seule classe d’électeurs, c’est-à-dire ? = 1. Sa motivation est bien sûr différente de la nôtre. Il s’intéresse à un Parlement dont une partie (A dans nos notations) des membres est élue sur une base uninominale à l’échelle d’un district (comme dans le cas de nos arrondissements) et la partie résiduelle (D dans nos notations) est élue par l’ensemble des électeurs. Il faut donc aussi remplacer la fraction par la fraction 1. Remarquons d’emblée que les calculs que nous venons de développer s’ajustent sans difficultés. On notera ici r (au lieu de 4r + 1) le nombre d’électeurs par arrondissement. Le vecteur gaussien est :
361ou sous forme normalisée :
363avec :
VIII – Le pouvoir de Shapley-Shubik dans un parlement avec deux classes de députés
365On considère un Parlement composé de deux types de députés. Les premiers (appelés petits députés) sont au nombre de K A (où K et A sont des nombres entiers) et ont un poids égal à 1. Les seconds (appelés grands députés) sont au nombre de K et ont un poids égal à D (où D est un nombre entier). On suppose que les entiers K et A + D sont impairs. Cette hypothèse implique que le jeu majoritaire pondéré W décrivant ce Parlement est fort. Le quota q vaut exactement :
367Considérons un petit député. Il est pivot lorsque la coalition des députés votant à gauche (ou par symétrie à droite car W est fort) a un poids égal à . Dénombrer les permutations où un petit électeur fixé est pivot est fondamentalement équivalent à dénombrer les combinaisons de petits et grands députés dont le poids total vaut (fondamentalement, car tous les réarrangements de ces combinaisons doivent, bien entendu, être comptabilisés).
368Dans le cas où K = 1, c’est-à-dire dans le contexte parlementaire retenu par Edelman [2004], on obtient que le pouvoir de Shapley-Shubik Sh d’un petit député est égal à :
370et donc :
372À titre d’illustration, on obtient par exemple :
374On constate que le ratio prend successivement les valeurs 8,3335 et 24,516 alors que les ratios des poids prennent les valeurs 5 et 19. On obtient par ailleurs :
376On conjecture que, lorsque le rapport est égal à 20 %, converge vers 25 % lorque N tend vers + ?. Ceci est confirmé par le calcul. On remarque en effet que :
378Supposons que A = ?N où N ? A + D avec . On obtient que la part agrégée ASh des petits vaut :
380À titre d’illustration :
382Le fossé entre et ? est non négligeable lorsque ? est proche de et tend vers 0 lorsque ? tend vers 1. Dans le cas de Banzhaf, les pouvoirs des petits et grands députés sont respectivement [40] :
384À titre d’illustration numérique :
386et
388On constate que le ratio prend successivement les valeurs 12,667 et 106,22 alors que les ratios des poids prennent les valeurs 5 et 19. On est parfois loin de la formule d’approximation de Penrose ! On notera que le théorème de la limite centrale ne s’applique pas ici car la variance de la variable aléatoire attachée au grand député occupe toujours une part non négligeable de la variance totale. On peut démontrer, par ailleurs, que lorsque A = ?N où N ? A + D avec , à la différence de Sh, la part agrégée AB des petits tend vers 0 et tend vers 1 lorsque N tend vers ? [41].
Bibliographie
Références bibliographiques
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Notes
-
[*]
Université de Toulouse 1 Capitole, Toulouse School of Economics et Institut universitaire de France. Correspondance : Toulouse School of Economics, Manufacture des Tabacs, 21 allée de Brienne, 31000 Toulouse, France. Courriel : michel.lebreton@tse-fr.eu
-
[**]
Centre d’économie et de management de l’océan Indien (cemoi), Université de La Réunion. Correspondance : cemoi, Faculté de Droit et d’Économie, 15 avenue René Cassin, BP 7151, 97715 Saint-Denis Messag cedex 9, La Réunion, France. Courriel : dominique.lepelley@univ-reunion.fr
Les auteurs remercient particulièrement Philippe Mongin, dont la lecture attentive et les remarques ont permis d’améliorer significativement la présentation des idées et des résultats de cet article. ils remercient également deux arbitres de lecture de leurs rapports approfondis, P. Edelman d’avoir communiqué certains de ses travaux sur des questions voisines ainsi que les participants à la conférence de l’adres de leurs commentaires et suggestions. ils remercient enfin L. Vidu d’avoir conduit des simulations portant sur l’évaluation du pouvoir où la corrélation des votes des électeurs votant deux fois est prise en compte. elles sont consignées, pour l’essentiel, dans Vidu [2014]. une version sensiblement plus longue de cet article est disponible sur le site Web du premier auteur. -
[1]
Un acteur dépourvu d’influence est appelé dummy en anglais.
-
[2]
On trouvera des exposés de ces questions dans Felsenthal et Machover [1998] et dans Owen [2001].
-
[3]
Voir Campbell [1958] et Challeton [1891].
-
[4]
Sur la Restauration, on pourra consulter de Bertier de Sauvigny [1993] et de Waresquiel et Yvert [2002].
-
[5]
Comme l’observe fort à propos Gaudillère [1995], la première apparition du scrutin uninominal date de la période des Cent-Jours. En effet, l’acte additionnel aux constitutions de l’Empire d’avril 1815 est le premier texte à y faire référence. Les électeurs de chaque arrondissement élisent un membre de la Chambre des représentants sans qu’il soit nécessaire de découper le territoire puisque la loi fait référence aux arrondissements administratifs. Certes, ces députés d’arrondissement ne constituent qu’une partie de l’Assemblée (368 membres sur 629) ; se joignent à eux les députés de département désignés au scrutin plurinominal. La législation de juillet 1815 ne retient rien du scrutin uninominal, mais la loi de juin 1820 lui réservera à nouveau une place dans le processus électoral.
-
[6]
La Chambre introuvable, selon une expression célèbre de Louis XVIII, est issue de ces élections.
-
[7]
Le mode de calcul du cens révèle la conception familialiste du suffrage (Verjus [1996], [2000], [2002]).
-
[8]
Rosanvallon ([1992], p. 273) offre une analyse très poussée de la loi Laîné dont le projet, rédigé par Guizot, développe deux principes fondamentaux. Le premier est que l’élection doit être directe, c’est-à-dire que tous les citoyens qui, dans un département, remplissent les conditions exigées par la charte pour être électeur, doivent concourir directement, et par eux-mêmes, à la nomination des députés du département. Le second, c’est que la nomination de chaque député doit être le résultat du concours de tous les électeurs du département, et non l’ouvrage de telle ou telle portion déterminée par ces mêmes électeurs. Rosanvallon propose une étude détaillée de la perception du vote à deux degrés par les libéraux et de la philosophie du vote direct. Il présente également une analyse très pertinente de la rhétorique des ultras au service d’une coalition des extrêmes composée de l’aristocratie et du petit peuple qui, dans le cas du suffrage indirect, continue d’exercer une influence sur le choix des représentants. Nous renvoyons à son chapitre « L’ordre capacitaire », qui contient un examen minutieux des débats et des enjeux politiques qui ont accompagné le choix et les changements de régimes électoraux. La documentation sur laquelle il s’appuie comprend, entre autres choses, de nombreux extraits de débats parlementaires ainsi que des articles d’époque, comme ceux publiés dans Le Conservateur ou le Mercure de France.
-
[9]
Cité par Weil [1895].
-
[10]
Notons que les deux événements symboliques que furent l’élection de l’abbé Grégoire en 1819 et l’assassinat du duc de Berry en février 1820 contribuèrent, à n’en point douter, au succès de la campagne des ultras.
-
[11]
Les arguments présentés ci-dessous sont empruntés à Berger, mais on pourra aussi consulter Newman [1974], Spitzer [1983] et Skuy [2003].
-
[12]
Tous les projets (à l’exception de celui amendé par Jordan) ont en commun de proposer deux collèges qui définissent deux classes d’électeurs (sans compter ceux qui, à défaut de passer le seuil censitaire, ne participent pas au processus politique). Seules les conditions d’accès aux deux collèges et les attributions de ceux-ci varient d’un projet à l’autre.
-
[13]
Nous n’allons pas exposer tous les détails de la loi de 1820. Il faut cependant savoir qu’il y a des cas spéciaux où la division en deux catégories de collèges n’est pas mise en œuvre. L’article 1 de la loi mentionne que « […] néanmoins, tous les électeurs se réuniront dans un seul collège dans les départements qui n’avaient à l’époque du 5 février 1817 qu’un seul député à nommer, dans ceux où le nombre d’électeurs n’excède pas 300 et dans ceux qui, divisés en cinq arrondissements de sous-préfecture, n’auront pas au-delà de 400 électeurs ». Par ailleurs, certains historiens, comme de Waresquiel et Yvert [2002], ont mal reproduit les proportions attachées aux deux collèges électoraux.
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[14]
Le lecteur lira avec profit le détail de l’argumentaire dans Gaudillère [1995].
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[15]
Le mécanisme n’est pas constant.
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[16]
Le mécanisme F traite équitablement les deux alternatives D et G si et seulement si le jeu W est propre et fort. En effet, soit P un profil tel que F(P) = G. Par conséquent, si S représente la coalition des joueurs votant G, alors S ? W. Considérons le profil P’ où les électeurs de S votent maintenant D et ceux de NS votent G. Puisque S ? W, N S ? W, c’est-à-dire : F(P’) = D. On vérifie réciproquement que si F est neutre, alors W est propre et fort.
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[17]
Dans le cas ic, voir Felsenthal et Machover [1998], théorème 3.2.16.
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[18]
Ce sont les deux modèles les plus populaires. Pour une présentation plus générale de ces deux modèles et des indices qui y sont associés, voir par exemple Felsenthal et Machover [1998] et Straffin [1988].
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[19]
Dans les annexes I et II, nous introduirons cependant deux modèles complémentaires, adaptés à notre contexte électoral et qui s’intercalent entre ic et iac ; cela nous permettra d’éviter quelques-unes des difficultés du modèle iac conventionnel dans le cas des jeux composés.
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[20]
Une définition générale de l’opération de composition classique est donnée dans la section suivante.
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[21]
Dans le cas d’un quota quelconque, l’approximation de Penrose n’est pas valide en général (Lindner et Owen [2007]).
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[22]
Ces conditions ne sont pas remplies dans le cadre de la situation examinée dans l’annexe VIII.
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[23]
On peut ensuite à nouveau utiliser les approximations gaussiennes (Owen [2001]).
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[24]
Le problème de la corrélation entre les votes est étudié de façon abstraite par certains auteurs comme par exemple Kaniovski [2006].
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[25]
Le fait que les grands électeurs soient aussi petits électeurs dans leur arrondissement implique que les résultats électoraux (vus comme les réalisations de A + 1variables aléatoires binaires) ne sont pas indépendants les uns des autres.
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[26]
Dans l’annexe VI de la version longue de cet article, nous offrons quelques éléments de réponse à ces questions.
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[27]
Pour attribuer à la corrélation ce qui lui revient, nous devrions légitimement adopter ce modèle aléatoire dans le cas du dédoublement.
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[28]
Par souci d’économie, nous n’explorons pas ce modèle aléatoire dans notre article. Cependant, l’annexe V de la version longue contient le calcul du pouvoir des deux classes d’électeurs dans le cas où K = 1, A = 2 et D = 1.
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[29]
Autrement dit, nous supposons que nous sommes dans une situation où l’approximation de Penrose est valide, c’est-à-dire que, dans l’Assemblée des députés, poids et pouvoirs coïncident. Cette hypothèse implique bien sûr (entre autres choses) que le nombre de départements soit élevé.
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[30]
Nous supposons ici qu’il y a davantage de petits électeurs que de grands électeurs, i.e. ? < 1/2. Si ? ? 1/2, comme dans Edelman [2004], la formule (4) se réduit à car . Notons que, dans le cas où ? = 1, on doit interpréter le rapport pour ? = ic, iac* et iac** non pas comme un rapport entre les pouvoirs des deux catégories d’électeurs (il y en a une seule ici) mais comme un rapport entre les pouvoirs des deux votes.
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[31]
Cette sous-section est plus développée dans la version longue de notre article.
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[32]
Il faut entendre ici le qualificatif « exacte » dans le contexte de l’hypothèse de dédoublement et sous réserve de négliger le double comptage résultant du fait qu’un grand député peut être simultanément pivot dans deux collèges. Lorsque les votes sont corrélés, au sein de l’Assemblée, les couleurs politiques des députés issus d’un même département sont corrélées comme cela est montré dans les annexes III, IV et V. Cette question est abordée dans Le Breton, Lepelley et Smaoui [2011].
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[33]
Ils considèrent ce programme comme le plus commode en pratique. Précisément, ils écrivent :« It computes the Banzhaf, Penrose and Coleman indices by the method of generating functions. Very fast algorithm that can be applied to voting bodies with any number of members but the the total number of votes it can handle is limited by the storage requirements. Requires quota and weights to be integers. The implementation here is limited to voting bodies with a maximum of 200 members. This is the best option for most applications. »
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[34]
Une remarque identique s’applique à la formule (3).
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[35]
De ce dernier point de vue, ce passage du discours de M. de la Bourdonnaye (reproduit dans Weil [1895], p. 88), est des plus piquants :
« Sans doute, il serait désirable que chaque électeur investi des mêmes droits pût les exercer dans la même proportion. Mais s’il est démontré que ce but ne puisse être atteint dans toute l’étendue de la France, si cette inégalité se trouve même sanctionnée par nos lois, si elles l’ont consacrée dans sept départements, si elle existe déjà de fait de département à département dans une proportion telle que le collège électoral de la Seine, qui ne nomme qu’un député, contient à lui seul autant d’électeurs que quatre ou cinq collèges d’électeurs réunis de quelques départements du Midi qui en envoient à la chambre huit à dix ; si le collège électoral de la Corse qui se compose de 36 votants, élit deux députés, tandis que plusieurs collèges électoraux de départements industrieux qui renferment un nombre vingt fois plus considérable d’électeurs, n’ont droit d’en choisir qu’un seul, il faut bien convenir que l’égalité de nombre dans les électeurs de collèges d’arrondissement d’un même département n’est ni dans l’esprit de la charte, ni le but d’un travail de circonscription parce que la nature des choses y résiste. » -
[36]
Par ailleurs, on peut relever de 1820 à 1823 plus de 300 arrondissements qui n’ont pas 200 électeurs.
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[37]
La version longue contient des calculs décrivant les pouvoirs des deux types d’électeurs lorsque K = 1 sous les hypothèses ic et iac.
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[38]
Notons cependant que Vidu obtient cette valeur dans le cas où L = 45 et donc r = 11. Dans ce cas, notre formule délivre la valeur 9,14 !
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[39]
Notons cependant que la matrice ? est de rang A et que donc le vecteur gaussien prend ses valeurs dans un sous-espace de dimension A.
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[40]
Ces deux formules apparaissent aussi dans Edelman [2004].
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[41]
La différence des comportements asymptotiques de B et Sh est discutée dans Straffin [1994].