Notes
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Toulouse School of Economics (uti-gremaq) et Institut Universitaire de France. Correspondance : Toulouse School of Economics, cnrs-gremaq, 21 allée de Brienne, 31000 Toulouse. Courriel : michel.lebreton@tse-fr.eu.
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Toulouse School of Economics (cnrs-gremaq). Correspondance : Toulouse School of Economics, cnrs-gremaq, 21 allée de Brienne, 31000 Toulouse. Courriel : karine.van-der-straeten@tse-fr.eu.
Nous remercions les deux arbitres anonymes de leurs critiques et suggestions très constructives. Nous remercions aussi Nonna Mayer de ses commentaires à l’occasion d’une présentation de ce travail devant un public de politologues français. Nous remercions enfin les autres participants à ce workshop de leurs remarques et Jérôme Renault qui a attiré notre attention sur le fait que les jeux considérés dans cet article étaient des jeux régionaux indépendants et non un jeu national dont les trois joueurs (les trois principales formations politiques à gauche de l’échiquier) auraient joué simultanément plusieurs jeux d’alliance et de partage. -
[1]
Notons que le jeu est bien un jeu entre les listes présentes au premier tour, et non entre les individus composant ces listes, puisque les listes ne peuvent pas se morceller en plusieurs sous-listes avec des stratégies différentes.
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[2]
Un jeu coopératif est dit suradditif si le paiement obtenu par une alliance entre deux coalitions disjointes est au moins aussi grand que la somme des paiements des deux coalitions prises séparément.
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[3]
Ce jeu est très proche d’un jeu analysé par Gamson [1960] et construit sur la base de la norme de proportionnalité.
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[4]
En toute rigueur, une liste ayant dépassé le seuil peut aussi se retirer de la compétition et ne pas se maintenir au second tour. On négligera cette possibilité dans la suite et considérera que toutes les listes ayant dépassé ce seuil se maintiennent au second tour (seules ou en fusionnant).
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[5]
On supposera, pour éviter les cas triviaux, que R2 ? 1 : au moins, une liste peut se maintenir au second tour.
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[6]
Dans un travail en cours avec les politologues Nonna Mayer et Nicolas Sauger, nous envisageons des matrices de mobilité plus générales.
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[7]
En présence d’externalités entre coalitions, la fonction caractéristique devient une notion plus problématique (Rosenthal [1972]). Nous discutons dans la version document de travail de cet article (Le Breton et Van der Straeten [2012]) le concept plus général de fonction de partition.
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[8]
À proprement parler, la question de la mise en œuvre pratique de la solution de partage est ignorée ici car nous avons écarté les difficultés attachées à l’incertitude et aux nombres entiers. Pour une analyse des seat allocation functions, voir Dunz [2011].
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[9]
Pour paraphraser Aumann et Drèze [1974], on peut ainsi dire de notre article que :
« If the reader wishes, he may view the analysis here as part of a broader analysis, which would consider simultaneously the process of coalition formation and the bargaining of the payoff… Our analysis has been concerned with this last topic, and should thus be understood as a contribution to partial equilibrium analysis. »
En fait, à part quelques articles ad hoc sur le sujet, la théorie des jeux coopératifs n’a pas développé une approche générale et convaincante. C’est bien entendu dommage, et nous partageons amplement le point de vue exprimé par Maschler [1992] :
« Consider a group of players who face a game. A basic question should be: What coalitions will form and how will their members share the proceeds? In my opinion, no satisfactory answer has so far been given to this important question. The current theory answers a more modest question: how would or should the players share the proceeds, given that a certain coalition structure has formed? » -
[10]
Voir Le Breton, Ortuno-Ortin et Weber [2008].
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[11]
Le lecteur trouvera dans le document de travail Le Breton et Van der Straeten [2012] une présentation plus détaillée de ces deux solutions et de leurs relations avec d’autres solutions comme par exemple le noyau, l’ensemble de marchandage et le cœur. Il y trouvera aussi une discussion informelle de la logique objection/contre-objection à l’œuvre dans ces solutions.
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[12]
On supposera ici que toutes les coalitions sont admissibles.
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[13]
Nucleolus en anglais.
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[14]
Plus généralement, on pourrait considérer n’importe quel sous-ensemble X convexe et compact de Rn comme ensemble des plateformes de négociation concevables.
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[15]
La variable K ne joue aucun rôle dans cette analyse ; par ailleurs, nous négligeons les problèmes de nombres entiers.
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[16]
On abandonne ici la convention selon laquelle les listes sont classées par score de premier tour décroissant.
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[17]
Cette estimation quantitative est une étape essentielle et incontournable dans la construction d’un modèle économétrique dont l’ambition serait d’expliquer comment se fait le partage lorsqu’il est supposé résulter d’un marchandage. Rejeter ou accepter cette hypothèse sur la base des données observées en mettant en place un authentique modèle statistique nécessiterait une modélisation plus complexe qui est discutée en conclusion.
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[18]
Pour plus de lisibilité, dans toute cette sous-section, l’indice des partis est remplacé par leur sigle. Par ailleurs, on abandonne l’exposant 1 qui fait référence au premier tour de l’élection.
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[19]
S’ajoute aussi le cas où même la grande alliance ne permet pas de remporter la prime.
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[20]
Si la loi électorale permettait à deux (ou plus) listes de premier tour ayant toutes un score minimal de 5 % de s’allier pour le second tour lorsque la somme de leurs scores excède 10 %, le jeu serait différent. On pourrait, par exemple, avoir un ps à 15 %, ee et fg à 9 % et l’ump à 16 %. En pareil cas, le pouvoir de ee et de fg est bien entendu renforcé.
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[21]
Là encore s’ajoute aussi le cas où même la grande alliance n’est pas en mesure de remporter la prime.
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[22]
En effet, rappelons qu’on a en outre fait l’hypothèse que ni l’ump, ni aucun parti autre que le ps, ee et le fg, ne peut nouer d’alliance.
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[23]
Dans un travail ultérieur, nous souhaitons examiner de façon plus rigoureuse la question du traitement du risque (marge d’erreur, …). Pour ce faire, il faudra développer un modèle stochastique décrivant les flux d’électeurs entre les deux tours (dans tous les états possibles du système) et, le cas échéant, passer d’un jeu à utilité transférable à un jeu sans utilité transférable.
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[24]
Pays de la Loire est l’unique région où les solutions de négociation attribuent sans ambiguïté moins de sièges au ps que ne le fait Gamson. En effet, dans cette région, les deux formations actives (ps et ee) peuvent se maintenir seules sans nouer d’alliance, les solutions de négociation coïncident donc avec Gamson pour la composante proportionnelle du jeu. Concernant la prime, les solutions de négociation attribuent la moitié de la prime seulement au ps, ce qui est moins que son poids électoral au sein de la coalition de gauche.
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[25]
Ce document de travail a été découvert par les auteurs alors qu’ils préparaient la révision du présent article. L’analyse de Karl Dunz est complémentaire de la nôtre en ce qu’elle effectue un traitement quantitatif plus systématique des régions françaises. En revanche, elle ne comporte pas de modélisation explicite des jeux de négociation, ni de calculs des solutions de marchandage.
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[26]
Même si notre modèle n’est pas économétrique, il se prête tout à fait à un travail appliqué pouvant préparer un travail économétrique plus approfondi. Nous aimerions attirer l’attention sur le fait que notre démarche est identique à celle qui est utilisée dans les travaux évoqués dans l’introduction concernant le partage des portefeuilles ministériels dans les démocraties parlementaires. Le jeu d’alliances considéré par ces auteurs est un cas particulier de notre modèle. Il correspond au cas où , , et où le vecteur de dimension P1 s’interprète comme le vecteur des sièges de députés dans l’assemblée qui élit le gouvernement : est le nombre de députés affiliés au parti m. Dans ce modèle particulier, pour constraster la solution de Gamson et une solution de marchandage, il faut, comme dans notre article, décliner les implications mathématiques de la solution de marchandage. C’est exactement ce que font Laver et Schofield [1998] pour deux solutions de marchandage : le noyau et une autre solution de marchandage due à Schofield [1978]. Ils calculent avec exactitude les implications en matière d’allocations de portefeuilles des différentes solutions et acceptent ou rejettent une solution sur la base de ces calculs.
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[27]
On pourra consulter Myerson [1991], Osborne et Rubinstein [1994], Owen [2001] et Peleg et Sudhölter [2003].
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[28]
On supposera ici que toutes les coalitions sont admissibles.
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[29]
Ce vecteur est appelé le vecteur des excès induit par x.
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[30]
Pour une preuve de l’unicité, on pourra consulter Peleg and Sudhölter [2003].
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[31]
Comme la plupart des solutions, le nucléole vérifie la propriété suivante. Soient V un jeu quelconque et W un jeu additif. Alors, Nu(V + W) = Nu(V) + Nu(W). En revanche, contrairement à la valeur de Shapley, cette formule n’est pas vraie (en général) lorsque W est quelconque.
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[32]
Faute de place, la notion de noyau n’est pas définie ici. Nous renvoyons le lecteur à la version longue de notre article (Le Breton, Van der Straeten [2012].
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[33]
Le jeu est ici un jeu simple (un jeu dont la fonction caractéristique prend exclusivement les valeurs 0 et 1) à trois joueurs. Le calcul du nucléole dans le cas de jeux simples comportant un nombre plus élevé de joueurs a fait l’objet d’une vaste littérature.
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[34]
On ne considère ici que les cas où la grande coalition est gagnante. À ces cas s’ajoutent ceux où la grande alliance (formée de deux ou trois partis selon que le parti 3 puisse se maintenir ou non) n’arrive pas en tête.
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[35]
Les situations où le ps et le Front de gauche ont conclu une alliance pré-électorale et ont présenté une liste commune dès le premier tour s’analysent de manière similaire. Dans les formules qui suivent, il suffit de prendre N3 = 0.
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[36]
Comme noté lors du calcul du nucléole, les situations où le PS et le Front de gauche ont conclu une alliance pré-électorale et ont présenté une liste commune dès le premier tour s’analysent de manière similaire. Dans les formules qui suivent, il suffit de prendre N3 = 0.
« Les meilleures alliances sont celles conclues entre les arrière-pensées. »
Introduction
1Le principal objet de cet article est d’explorer le problème de la formation d’alliances électorales à l’aide de certains outils de la théorie des jeux coopératifs. Le postulat fondamental de cette étude est que les coalitions politiques ont un pouvoir supérieur à la somme des pouvoirs de leurs membres. Comprendre pourquoi et comment se forment des coalitions dans le jeu politique est un sujet qui occupe une place importante dans le champ de la science politique contemporaine. Plusieurs traités fondamentaux ont été consacrés à ces questions, au nombre desquels ceux de De Swann [1973] et de Riker [1962].
2Modéliser le calcul stratégique conduisant à la formation de coalitions n’est pas facile et il y a de multiples façons de procéder. Un point de vue non coopératif va privilégier une description de la négociation cadrée par un jeu sous forme normale (ou extensive) où les actions offertes aux différents joueurs sont décrites avec précision. Par exemple, si l’issue sur laquelle porte la décision est le partage d’un ensemble de portefeuilles ministériels, le protocole décrira qui est habilité à faire des propositions, à quel moment, dans quel ordre (s’ils sont plusieurs), qui peut bloquer une proposition, à quel moment la négociation s’arrête, etc. Le travail consiste ensuite à caractériser les équilibres du jeu ainsi construit. Le point de vue coopératif va préférer une description plus sommaire appelée fonction caractéristique du jeu qui consiste à associer à chaque coalition potentielle l’ensemble des paiements qu’elle peut atteindre, quelles que soient les actions entreprises par les joueurs hors de cette coalition. L’avantage de cette forme plus grossière est que les prévisions d’alliance ne dépendent pas de façon trop sensible des détails du processus de négociation. Dans bien des cas, la forme extensive n’est, en effet, pas une contrainte pesant sur les joueurs mais plutôt la vue du modélisateur sur le déroulement du jeu. Il est donc important que les conclusions soient robustes à des changements artificiels. Les solutions de marchandage examinées par la théorie des jeux coopératifs sont nombreuses. Nous concentrerons notre attention ici sur deux d’entre elles : la valeur de Shapley et le nucléole. Ces deux solutions ont reçu des fondements non coopératifs, c’est-à-dire peuvent être décrites comme les vecteurs de paiements d’équilibre de certains protocoles de négociation. Il n’y a donc pas antagonisme entre les deux approches.
3L’objet de cet article est triple. Tout d’abord, il s’agit d’introduire les concepts et les outils de la théorie des jeux coopératifs pour modéliser le contexte de décision stratégique interactive dans lequel se trouvent des formations politiques au soir d’un premier tour de scrutin et à la veille d’un second tour. Notre analyse est principalement motivée par le jeu d’alliances qui résulte du mode d’élection des conseillers régionaux en France. Il s’agit d’un scrutin de listes à deux tours. L’élection est acquise au premier tour de scrutin si une liste recueille la majorité absolue des suffrages exprimés. Dans le cas contraire, il est procédé à un second tour. Pour qu’une liste puisse se présenter au second tour, elle doit avoir obtenu au premier tour un nombre de voix au moins égal à 10 % du nombre de suffrages exprimés. Toutefois, la composition des listes peut être modifiée par rapport au premier tour en incluant des candidats de listes ayant obtenu au moins 5 % des suffrages exprimés et avec l’accord du candidat tête de la liste sur laquelle ils figuraient au premier tour. Les candidats d’une même liste au premier tour ne peuvent pas figurer sur des listes différentes au second tour. À l’issue de l’élection, il est attribué à la liste qui a obtenu le plus de voix dans la région un nombre de sièges égal au quart des sièges à pourvoir. Les autres sièges sont répartis entre toutes les listes à la représentation proportionnelle suivant la règle de la plus forte moyenne.
4À la fin du premier tour, le jeu d’alliances est relativement sophistiqué, et ce pour de multiples raisons. Certaines listes, ayant obtenu entre 5 et 10 % des voix au premier tour, ne peuvent se maintenir que si elles font alliance avec une ou plusieurs listes dont au moins une dépasse le score de 10 %. Vont-elles faire alliance, et, si oui, à quelles conditions ? Comment vont-elles monnayer les voix d’électeurs qu’elles amènent avec elles dans la corbeille ? Certaines listes peuvent se maintenir sans alliance, mais faire une alliance peut ouvrir la perspective de remporter la prime qui correspond au quart des sièges à pourvoir. Faire alliance augmente les chances de gagner cette prime mais oblige éventuellement à partager celle-ci avec les partenaires.
5Notre première contribution a pour objet la formulation de ce jeu d’alliance comme un jeu coopératif à utilité transférable (tu), c’est-à-dire que les acteurs ne se sentent pas liés a priori par des normes de partage particulières : tout est négociable, et les sièges servent, à cet égard, de « monnaie de compensation ». Tout le travail consiste à écrire la fonction caractéristique du jeu, c’est-à-dire à attribuer à chaque coalition un nombre qui reflète le nombre de sièges que cette coalition peut se garantir [1]. Le mot « garantir » est utilisé, car une coalition, une fois formée, ne peut ignorer ce que vont faire les formations politiques en dehors de la coalition. Plus ce chiffre est grand, plus la coalition est puissante. Si toutes les coalitions étaient politiquement faisables, on dériverait ainsi un jeu suradditif car l’union fait la force [2]. Lorsque certaines coalitions sont politiquement inconcevables, le jeu n’est pas nécessairement suradditif, car l’union de deux coalitions faisables peut ne pas l’être elle-même. En tout état de cause, dans le cas où la suradditivité est à l’œuvre, on voit qu’elle trouve son origine dans deux sources. D’une part, dans l’existence d’un seuil critique en deçà duquel une liste ne peut se maintenir sans alliance (10 % dans le cas des régionales) : une coalition incluant des listes dans l’incapacité de se maintenir seules, en récupérant des voix qui seraient autrement perdues, augmente son score relatif. D’autre part, dans l’existence d’une prime à la formation arrivée en tête (25 % des sièges dans le cas des régionales), car l’accueil de partenaires supplémentaires dans la coalition peut faire passer la coalition ainsi formée en tête des formations. Nous détaillerons ces deux effets en nous appuyant sur un modèle simple décrivant les reports de voix entre les deux tours, modèle qui suppose une captivité des voix par les partis qui les ont reçues au premier tour.
6La seconde contribution consiste à caractériser les principales solutions de ce jeu coopératif dans le cas où le jeu d’alliances comporte au plus trois joueurs. Notre méthodologie s’étend sans difficulté à un nombre arbitraire de joueurs mais l’application aux élections régionales de mars 2010, qui occupe la dernière partie de l’article, est conduite dans un contexte où seulement trois joueurs au plus sont actifs (les trois partis de gauche : Parti socialiste, Europe Écologie et Front de gauche). Nous introduisons deux solutions très populaires, le nucléole et la valeur de Shapley, qui décrivent deux solutions de négociation dans le cadre de la théorie des jeux coopératifs. Nous contrastons ces solutions à une solution dérivant de l’application mécanique d’une norme de proportionnalité, selon laquelle les membres d’une coalition se partagent l’ensemble des sièges obtenus au prorata de leurs scores de premier tour. Même dans le cas où il n’y a que trois joueurs actifs, l’analyse du jeu global est laborieuse car la combinatoire du problème demande un traitement soigné et spécifique de chacune des configurations pouvant apparaître. La majeure partie des résultats est renvoyée en annexe. Néanmoins, l’analyse théorique nous permet de proposer une taxinomie simple des configurations possibles, reflétant les rapports de force entre les coalitions.
7La troisière contribution est une application de cette méthodologie aux élections régionales qui se sont déroulées en France les 14 et 21 mars 2010. Tout d’abord, sur la base des résultats du premier tour, nous procédons à la construction de la fonction caractéristique d’un jeu à trois joueurs (le Parti socialiste, Europe Écologie et le Front de gauche) pour trois régions particulières : l’Aquitaine, l’Auvergne et la Bretagne. Pour chacune de ces régions, nous calculons les parts résultant de la norme de proportionnalité, du nucléole et de la valeur de Shapley, et nous comparons ces parts avec les parts observées. Puis, nous utilisons la taxinomie développée dans l’analyse théorique pour réaliser une classification des vingt et une régions (hors Corse) de la France métropolitaine. Ces régions métropolitaines offrent une riche base de données mais ne couvrent pas cependant tous les cas permis par la combinatoire du problème.
Relation à la littérature
8La question de la formation de coalitions entre acteurs politiques apparaît dans des contextes divers autres que les environnements électoraux. Dans de nombreuses démocraties, le multipartisme est la norme, et les gouvernements sont presque toujours des gouvernements de coalition. L’étude du jeu décrivant la formation d’un gouvernement au terme d’élections et l’analyse des stratégies d’alliance ont fait l’objet de nombreux travaux empiriques et théoriques. Dans la littérature s’appuyant sur le modèle spatial, il est d’usage de décrire un(e) parti (formation) politique par un vecteur dans un espace euclidien (l’espace idéologique) et un nombre de sièges remportés dans le cadre de l’élection. Une stratégie d’alliance entre partenaires va consister en un programme commun (un point dans l’espace idéologique) et une répartition des portefeuilles ministériels (ou autres postes de responsabilité). L’objet de ces travaux est de comprendre quelle(s) alliance(s) va(vont) se former et quelles stratégies vont être mises en œuvre par les joueurs. Dans le cas où il n’y a aucune capacité d’engagement concernant les alliances avant les élections, les électeurs doivent anticiper les jeux d’alliance possibles (toutes les continuations possibles du jeu après les élections) et voter en conséquence. Bien sûr, on peut imaginer au contraire que certains acteurs puissent s’engager avant les élections. Au nombre des travaux les plus importants portant sur ce thème, on peut citer Austen-Smith et Banks [1988, 1990], Brown et Franklin [1973], Brown et Frendreis [1980], Carroll, Cox et Pochon [2004], Fréchette, Kagel et Morelli [2004], Laver [1998], Laver et Schofield [1998], Laver et Shepsle [1996], Warwick et Druckman [2001].
9L’analyse de la formation et du rôle des coalitions est également menée dans des contextes stratégiques autres que celui de la formation de gouvernements. Par exemple, des coalitions législatives se forment à l’occasion de certains votes et, cette fois, le protocole décrivant les étapes de formation de l’agenda et du vote légitime l’emploi de la théorie des jeux non coopératifs (Baron et Ferejohn [1989], Eraslan [2002]).
10Dans cet article, comme nous l’avons dit précédemment, nous supposons que le jeu est à utilité transférable, c’est-à-dire que les acteurs ne se sentent pas liés a priori par des normes de partage. On peut cependant imaginer un jeu d’alliance de même nature prenant place avant le début du vote. Tout dépend du mode de scrutin considéré et des capacités d’engagement des joueurs. Un exemple remarquable, qui a d’ailleurs fait l’objet d’études poussées (Lee, McKelvey et Rosenthal [1979], Lee et Rosenthal [1976]), est la loi des apparentements, une loi électorale mise en place en France à partir du 7 mai 1951 par les partis de la Troisième Force pour réduire l’influence des communistes et des gaullistes à l’Assemblée nationale. À cette fin, elle introduisait une faculté d’apparentement dans le mode de scrutin. Dans ce mode de scrutin, chaque liste électorale devait comporter autant de candidats qu’il y avait de sièges à pourvoir dans le département. Les listes avaient la possibilité de passer des accords entre elles avant les élections : on dit alors qu’elles « s’apparentaient ». Si l’addition des voix obtenues par des listes apparentées (ou par une liste seule) était égale ou supérieure à 50 % des suffrages exprimés, lesdites listes obtenaient (ladite liste obtenait) la totalité des sièges à pourvoir dans la circonscription. Sinon, les sièges étaient répartis entre les différentes listes selon la méthode de la plus forte moyenne. On remarquera qu’une coalition ayant conclu un accord d’apparentement et remportant une majorité absolue des suffrages recevait une très grosse prime. Le jeu coopératif décrivant cette loi est un jeu sans utilité transférable, car, une fois l’alliance pré-électorale conclue, il n’y a plus rien à négocier [3].
L’environnement électoral
Description du mode de scrutin et notations
11Nous allons à présent définir plus précisément l’environnement électoral dans lequel se trouvent les formations politiques. Considérons un district électoral dans lequel des partis sont en concurrence pour la nomination de K représentants dans une assemblée dont l’aire de compétence est celle du district électoral. L’élection comporte (au plus) deux tours. On note Ntot le nombre d’électeurs inscrits.
12Au premier tour, éventuellement après alliances pré-électorales entre divers partis, P1 listes concourent ; chacune d’elles présente une liste ordonnée de K noms. Pour l’électeur, le panachage n’est pas autorisé : il y a donc P1 bulletins de vote valides au premier tour. Un résultat électoral au premier tour est un vecteur de dimension P1 + 1 où est le nombre d’abstentionnistes et de votes blancs ou nuls et est le nombre d’électeurs ayant voté pour la liste m(m = 1, …, P1). Naturellement : . On supposera, dans la suite, que les listes sont ordonnées par score de premier tour décroissant.
13Si une liste obtient au premier tour une majorité absolue des suffrages exprimés, le scrutin s’arrête. Un nombre ?K de sièges, avec 0 ? ? ? 1, est alloué sur une base proportionnelle entre toutes les listes m dont le score relatif est supérieur à un seuil . Les (1 – ?)K sièges restants sont alloués à titre de prime à la liste arrivée en tête.
14Si aucune liste n’obtient une majorité, il est procédé à un second tour (la semaine suivante dans le cas des régionales françaises). Les options possibles ouvertes aux différentes formations politiques au soir du premier tour sont caractérisées par deux seuils, et , avec . Si le score relatif de la formation politique m est inférieur au premier seuil , elle ne peut pas participer au second tour. Si son score relatif est situé entre les deux seuils, alors elle ne peut pas concourir indépendamment mais peut fusionner avec d’autres listes, dont l’une au moins doit avoir dépassé le plus élevé des deux seuils . Enfin, si son score relatif est supérieur au seuil , elle peut poursuivre la compétition électorale, seule ou en fusionnant [4].
15Notons M2 le nombre de formations politiques ayant atteint le seuil et R2 (R2 ? M2) le nombre de celles qui ne sont pas astreintes à la fusion (c’est-à-dire qui ont atteint le seuil ) [5]. Au soir du premier tour, la situation est résumée par le vecteur N1 et les entiers M2 et R2 qui en découlent. Suite à d’éventuelles alliances entre ces M2 formations, P2 coalitions politiques sont présentes au second tour, chacune d’elles présentant une liste ordonnée de K candidats. Pour figurer sur une liste de second tour, un candidat doit figurer sur la liste de premier tour d’une des formations composant la coalition de second tour, et avoir obtenu l’accord de sa tête de liste de premier tour. Le résultat électoral de ce second tour est alors décrit par un vecteur , où est le nombre d’abstentionnistes et de votes blancs ou nuls au second tour et est le nombre d’électeurs ayant voté pour la liste m.
16Les K sièges sont alors répartis comme suit. Un nombre ?K (0 ? ? ? 1 de sièges est alloué sur une base proportionnelle : les sièges sont attribués sur une base proportionnelle entre toutes les listes m dont le score relatif est supérieur à . Le nombre de sièges restants, (1 – ?)K, est alloué (en bloc) à la liste arrivée en tête, c’est-à-dire la liste m* telle que :
18Si la liste m se voit attribuer k sièges, les k premiers candidats apparaissant sur cette liste sont élus.
19Dans le mode de scrutin des régionales françaises de mars 2010, ? = 75 %, = 5 %, = 10 %.
20Notons que le mode de scrutin n’impose aucune contrainte sur les partenaires d’une coalition politique, ni sur la répartition des sièges obtenus par la coalition entre ses membres (c’est-à-dire sur l’ordre des candidats figurant sur la liste fusionnée). La question principale sur laquelle va porter notre réflexion est la suivante : quels accords vont être passés entre les tours de scrutin ?
Construction de la fonction caractéristique
21Pour y répondre, nous allons introduire une méthodologie basée sur la théorie des jeux coopératifs. Les coalitions potentielles doivent évaluer leur gain global en termes de sièges si elles se forment effectivement.
Hypothèses sur les coalitions admissibles
22On fera l’hypothèse que certaines coalitions sont jugées impossibles par tous les acteurs du jeu, en raison notamment du poids des barrières idéologiques. Il est ainsi possible que les places respectives sur l’échiquier politique de certaines formations rendent impossible toute forme de compromis sur les politiques/projets à mettre en œuvre entre ces formations, rendant irréalisable leur réunion au sein d’une coalition. On peut aussi imaginer que la stratégie de long terme d’un parti lui interdise de nouer des alliances, même si elles pouvaient s’avérer bénéfiques à court terme en termes de sièges.
23On supposera que toutes les listes de premier tour partagent les mêmes croyances concernant les coalitions susceptibles de se former. Pour simplifier, on supposera que le fait qu’une coalition soit jugée admissible ou non est indépendant de ce que font les autres formations politiques. On notera alors ? l’ensemble des coalitions admissibles, c’est-à-dire qui sont perçues par tous les acteurs du jeu comme n’ayant pas une probabilité nulle de se produire. On supposera pour ? une structure particulière : on suppose qu’il existe une partition de {1,?2,?…,?M2} telle qu’une coalition S est admissible si, et seulement si, il existe j ? {1, 2, …, J}, tel que S ? Fj. Cette hypothèse postule qu’il existe un certain nombre J de familles politiques, qu’au sein de chaque famille j toutes les alliances sont possibles, mais que les alliances entre listes de familles différentes sont impossibles. Notons que ? contient les singletons (une liste peut toujours décider de ne pas nouer d’alliance) et que, si une coalition S ? {1,?2,?…,?M2} est dans ?, alors toute coalition incluse dans S est aussi dans ?. Un cas particulier d’ensemble ? vérifiant cette propriété est celui où toutes les alliances sont perçues comme a priori admissibles : et ? est alors l’ensemble de tous les sous-ensembles de {1,?2,?…,?M2}.
Gains d’une coalition
24Considérons S ? ? une coalition admissible. Elle doit évaluer son gain global en termes de sièges si elle se forme effectivement, noté V(S). La fonction V sera appelée fonction caractéristique du jeu.
25La première question qui va se poser à une telle coalition S est de savoir si elle remplit les conditions pour effectivement présenter une liste au second tour. Si tel n’est pas le cas, c’est-à-dire si aucun de ses membres n’a dépassé le seuil des suffrages exprimés au premier tour, elle ne récolte aucun siège au second tour. Formellement, si S ? {1,?2,?…,?R2} = Ø, V(S) = 0.
26Si maintenant la coalition S peut présenter une liste, la seconde question qui se pose à elle est d’anticiper ce que les autres formations politiques sont susceptibles de faire. Une fois cette prévision formulée, il lui faudra prévoir le nombre de sièges qu’elle obtiendra dans les diverses configurations possibles. On notera ?(S) l’ensemble des partitions de {1,?2,?…,?M2}S que S juge possibles. Formellement, une partition de {1,?2,?…,?M2}S sera jugée possible si chacune de ses composantes appartient à ?. Pour chaque partition ? ? ?(S), la coalition S doit maintenant anticiper le nombre de sièges qu’elle va obtenir si cette partition se forme ; on le notera V(S,??).
Le comportement électoral de second tour
27Pour prédire ce nombre de sièges, il faut maintenant faire des hypothèses sur la manière dont les électeurs vont voter au second tour s’ils font face à cette configuration {S,??}. L’hypothèse que nous faisons dans cet article est la suivante. Les abstentionnistes du premier tour s’abstiennent au second tour. De même, les électeurs qui ont voté blanc ou nul au premier tour adoptent le même comportement au second tour. Par ailleurs, les électeurs, dont les listes ne sont pas présentes au second tour, s’abstiennent. Ceux dont les listes sont présentes votent pour la coalition où figure la liste pour laquelle ils ont voté au premier tour. Ces hypothèses décrivent une situation où les citoyens, dont la liste favorite n’est plus en compétition, se désintéressent du vote et où ceux dont la liste est présente suivent les consignes de leurs leaders et votent pour la liste, quelle que soit l’alliance conclue. Bien sûr, loin de nous l’idée de prétendre que les matrices de mobilité électorale décrivant les reports de voix lors du second tour sont toujours de ce type : des électeurs peuvent ne pas suivre les consignes de leurs partis favoris ; des abstentionnistes peuvent aller voter ; des électeurs, dont les favoris sont absents du second tour, peuvent décider de voter pour leur second ou troisième choix. Il est possible de construire la fonction caractéristique dans le cas d’une matrice quelconque, mais les notations deviennent très lourdes [6].
28Par ailleurs, nous supposons ici que le nombre de voix que reçoit une coalition au second tour est une quantité certaine. Nous éliminons donc les questions propres à l’incertitude. Les introduire nous obligerait à considérer des jeux coopératifs stochastiques. L’approximation retenue ici nous paraît satisfaisante à ce stade du travail.
29Sous ces hypothèses comportementales, le nombre de voix reçues au second tour par une coalition ne dépend pas de ce que font les autres formations, mais uniquement des membres qui la constituent. Pour toute coalition S ? ?, le nombre de voix de second tour anticipé par S est :
Calcul explicite de la fonction caractéristique
31Dans un tel scénario, la coalition S peut évaluer le nombre de sièges qu’elle obtiendra si la partition ? = {T1?…,?TL} ? ?(S) se forme : si la coalition S arrive en tête, c’est-à-dire si N(S) > N(Tl) pour tout l = 1,?…,?L, la coalition S remporte la prime ((1 - ?)K sièges) en plus de la partie des sièges qui lui revient de par la composante proportionnelle du mode de scrutin :
33sinon, elle obtient :
35Le gain électoral de la coalition S dépend donc à la fois de la composition de la coalition et de la structuration des formations politiques en dehors de cette coalition. Cette structuration est décrite par ?. Pour poursuivre le raisonnement, nous allons supposer, comme le font traditionnellement les théoriciens de la théorie des jeux coopératifs, que les membres de la coalition S considèrent comme valeur V(S) de référence la plus petite des valeurs possibles de V(S, ?) lorsqu’on considère toutes les situations possibles pour ? [7] :
37Donnons à présent la formule explicite pour V(S).
38Si S ? {1,?2,?…,?R2} = Ø, V(S) = 0.
39Si maintenant S ? {1,?2,?…,?R2} ? Ø, il est immédiat de vérifier que le pire qui puisse arriver à la coalition S est que se forment parmi les autres listes toutes les coalitions maximales. Formellement, si S est une coalition admissible, cela signifie qu’il existe j tel que S ? Fj, et la pire partition possible pour S est la partition {F1?…,?Fj – 1, Fj\ S, Fj + 1?…,?FJ}. En effet, cette partition est celle qui à la fois minimise les chances de S d’arriver en tête, et qui maximise le nombre de votes exprimés, et donc minimise la proportion de suffrages exprimés recueillis par S. Ainsi, on obtient la formule explicite suivante pour V(S) :
Propriétés du jeu
Décomposition du jeu en une composante « proportionnelle » et une composante « prime majoritaire »
41La formule ci-dessus illustre clairement que la fonction caractéristique est la somme de deux fonctions, dont chacune est la fonction caractéristique d’un jeu.
42La composante proportionnelle du jeu admet pour fonction caractéristique :
44tandis que la composante prime du jeu vaut pour tout S ? ? :
Suradditivité du jeu
46Nous allons à présent montrer que ce jeu est suradditif, c’est-à-dire que pour toutes coalitions S1, S2 ? ? telles que S1 ? S2 = Ø et S1 ? S2 ? ?, V(S1 ? S2) ? V(S1) + V(S2).
47Soit S1,S2 admissibles telles que S1 ? S2 = Ø et S1 ? S2 ? ?. Puisque S1 ? S2 ? ?, cela implique qu’il existe j tel que S1 ? Fj et S2 ? Fj.
Composante proportionnelle du jeu
48Examinons tout d’abord la fraction des sièges répartis à la proportionnelle. Il s’agit de montrer que :
50Notons que si N(S1) = N(S2) = 0, alors N(S1 ? S2) = 0, et l’inégalité est satisfaite (les deux membres sont égaux à 0).
51Si N(S1) > 0 et N(S2) > 0, alors les dénominateurs des deux fractions du membre de droite sont égaux, et supérieurs ou égaux au dénominateur du membre de gauche. Comme de plus N(S1 ? S2) = N(S1) + N(S2), l’inégalité est satisfaite.
52Reste enfin à examiner le cas où N(S1) > 0 et N(S2) = 0. Deux cas peuvent être distingués.
53Considérons d’abord le cas où N(F\jS1) = 0, c’est-à-dire que, dans Fj, les seuls partis capables de se maintenir seuls appartiennent à S1. Dans ce cas, N(Fj\(S1 ? S2)) = 0 et, puisque N(S1 ? S2) > N(S1), l’inégalité est satisfaite.
54Considérons maintenant le cas où N(Fj\S1) > 0, alors
56et l’inégalité est satisfaite, puisque N(S1 ? S2) > N(S1).
57On retrouve ainsi formellement la première source de suradditivité (stricte) annoncée dans l’introduction : l’existence de seuils critiques de voix pour pouvoir se maintenir seul au second tour.
Composante prime majoritaire du jeu
58Examinons maintenant la fraction des sièges correspondant à la prime attribuée à la liste arrivée en tête.
59Il est immédiat de vérifier que si la coalition S1 est en mesure de se garantir la prime, c’est aussi le cas de la coalition S1 ? S2. En effet, si la liste S1 est en mesure de se garantir la prime, cela signifie que N(S1) > N(Fj\S1) et N(S1) > N(Fl) pour tout l = 1,?…,?J,?l ? j. Mais alors nécessairement N(S1 ? S2) > N(Fj\(S1 ? S2)) et N(S1 ? S2) = N(Fl) pour tout l = 1,?…,?J,?l ? j, ce qui montre le résultat.
60Considérons maintenant le cas où aucune des deux coalitions n’obtient la prime seule : Vprime(S1) = Vprime(S2) = 0. Il est immédiat de vérifier que Vprime(S1 ? S2) ? Vprime(S1) + Vprime(S2), avec égalité stricte lorsque la coalition S1 ? S2 arrive en tête, c’est-à-dire lorsque N(S1 ? S2) > N(Fj\(S1 ? S2)) et .
61On retrouve ainsi formellement la seconde source de suradditivité (stricte) annoncée dans l’introduction : l’existence d’une prime majoritaire.
62Puisque sur chacune des parties du jeu (la partie proportionnelle et la partie prime), la coalition S1 ? S2 se garantit un paiement au moins aussi élevé que la somme des paiements que se garantissent les coalitions S1 et S2 séparément, on a montré que le jeu était suradditif.
Solutions de partage
63Dans la section précédente, nous avons construit un jeu coopératif à utilité transférable décrit par sa fonction caractéristique V sur l’ensemble des joueurs {1,?2,?…,?M2}, où une alliance est possible si, et seulement si, elle appartient à l’ensemble ? des coalitions admissibles. Au terme des discussions/négociations attachées au jeu d’alliance, les formations politiques concluent une ou plusieurs alliances, et au sein de chacune d’elles se mettent d’accord sur le partage des sièges. Cette dernière décision est mise en œuvre par un ordonnancement [8] sophistiqué des membres de chaque liste. Comme nous l’avons indiqué, le travail est fait ici en ignorant (une fois l’alliance formée) les incertitudes sur le vote des électeurs au second tour.
64Sur le plan mathématique, un résultat comporte donc deux parties : une structure de coalitions définie par une partition des joueurs en coalitions (alliances), (Sq)1 ? q ? Q, où Sq ? ? pour tout q, et un partage tels que :
66Dans cette définition conventionnelle en théorie des jeux coopératifs, la prédiction est double : quelles sont les alliances formées et comment les membres de ces alliances se partagent-ils les sièges lorsque le pouvoir de l’alliance S est évalué sur la base de V(S). Nous allons ici faire l’impasse sur la première question et nous concentrer exclusivement sur la seconde, en faisant l’hypothèse que les coalitions maximales se forment.
67Nous avons déjà indiqué que le jeu est suradditif et donc qu’en principe les joueurs n’ont rien à perdre à participer à une alliance totale. Il est cependant abusif de prétendre que la suradditivité à elle seule conduit à la formation des coalitions maximales. En effet, s’il y a un effet de seuil comme dans le cas d’un jeu avec prime seulement, le rendement de joueurs supplémentaires devient nul une fois le seuil passé et l’on doit s’attendre à ce que les solutions de partage ignorent complètement certains joueurs ; en pareil cas, il est naturel de considérer que l’alliance qui s’est formée est celle des joueurs recevant un paiement positif. Dans le cas par exemple où M2 = 3 formations sont sur un pied d’égalité au soir du premier tour et qu’aucune alliance n’est taboue, alors on peut s’attendre à ce que deux s’allient au détriment de la troisième, bien que le jeu soit suradditif. Mais quelle formation restera sur la touche si l’on refuse de fixer un protocole contraignant (c’est-à-dire engageant) du type de celui de Baron-Ferejohn ? Dans ce contexte symétrique, on peut aussi très bien concevoir qu’inquiets d’être la formation isolée les trois joueurs s’entendent solennellement sur la grande coalition et un partage correspondant des sièges. On peut aussi concevoir de façon ad hoc (c’est-à-dire pour des raisons non décrites dans le modèle lui-même) que des « impératifs » politiques extérieurs forcent à la formation de la grande coalition.
68Quoi qu’il en soit, on considère donc dans la suite que se forment les coalitions maximales, c’est-à-dire la partition F [9]. Il reste à expliquer comment va se déterminer le partage des sièges. Contrairement à un jeu non coopératif dans lequel les stratégies des joueurs sont clairement spécifiées, la fonction caractéristique V d’un jeu tu résume simplement le résultat produit par chaque coalition de joueurs. Suivant l’interprétation due à Moulin :
« Insistons sur le fait que l’issue du jeu ne dépend plus du comportement stratégique des joueurs concernés, mais que au contraire le pouvoir de décision est remis, indivisible, entre les mains de la collectivité chargée d’arbitrer souverainement les conflits d’opinions de ses membres. Le point essentiel est l’obligation de coopérer dans la prise de décision : le pouvoir dont disposent les joueurs individuels et les coalitions de joueurs sert seulement de façon indirecte. Les joueurs n’utilisent pas ce pouvoir comme une menace, mais la collectivité en tient compte pour déterminer si tel ou tel partage est injuste envers eux. »
La norme de proportionnalité
70Une première solution, dont le lien avec la théorie des jeux coopératifs exposée ci-dessus n’est pas immédiat, consiste à retenir un partage où la part de chaque formation m dans la grande alliance est proportionnelle à la valeur représentant son score électoral au soir du premier tour. Cette solution n’est pas définie pour un jeu coopératif quelconque mais s’applique directement au jeu coopératif défini dans la section précédente. D’une certaine manière, comme nous le verrons par la suite, cette norme représente la base de discussion proposée par les leaders des trois formations de gauche lors les régionales de 2010 auxquelles nous consacrerons la dernière partie de cet article.
71La définition de cette solution très simple et très naturelle ne nécessite en rien la terminologie de la théorie des jeux. Elle a cependant donné lieu à une série de travaux en théorie des jeux associés au nom du sociologue Gamson [1960] qui s’est posé le premier les questions de la formation des coalitions dans le contexte où les négociateurs ont les mains liées par l’usage d’une norme et de la détermination des partages de surplus en résultant. Le jeu ainsi construit est cependant un jeu sans utilité transférable car les règles de partage du surplus d’une coalition une fois celle-ci formée résultent d’une norme qui est exogène au modèle (comme l’est par exemple cette norme de proportionnalité). Le jeu coopératif de Gamson est donc un jeu où toute l’attention porte sur la question : quelle(s) coalition(s) va(vont) se former ? Gamson et ses successeurs s’efforcent de répondre à cette question et de tester empiriquement ou expérimentalement les prédictions proposées. Parfois, ces prédictions [10] sont clairement définies (unicité) mais souvent elles donnent lieu à de l’indétermination. Par exemple, dans le cas symétrique évoqué dans l’introduction de cette section, les trois structures où un joueur reste sur la touche sont retenues. Ici, l’argument d’instabilité due à une possible trahison ne tient pas : l’accord avec le partenaire ne le met pas en meilleure situation. En revanche, tout écart minime par rapport à la symétrie brise cette multiplicité.
72Ici, notre référence à Gamson est donc un peu abusive, car nous signifions seulement par là le partage des sièges dans la grande coalition résultant de l’application de la norme de proportionnalité. Nous nous conformons ici à un usage terminologique qui s’est répandu en science politique comme l’attestent, par exemple, les travaux sur la répartition des portefeuilles ministériels dans le processus de formation des gouvernements de coalition (Brown et Frendreis [1980], Carroll, Cox et Pochon [2004], Fréchette, Kagel et Morelli [2004], Laver [1998], Laver et Schofield [1998], Laver et Shepsle [1996], Warwick et Druckman [2001]). Bien que dans les cas des élections régionales la norme de proportionnalité ait été maintes fois évoquée par les tutelles nationales des formations politiques, il n’est pas clair qu’elle ait agi comme une contrainte rigide dans les processus de négociation qui se sont déroulés à l’échelon régional.
Le nucléole et la valeur de Shapley
73Les définitions formelles du nucléole et de la valeur de Shapley du point de vue de la théorie des jeux coopératifs apparaissent dans l’annexe I. Le nucléole, comme d’ailleurs la valeur de Shapley, suppose que les négociateurs ne se sentent pas liés à l’avance par des normes ou des pratiques qui limiteraient leurs pouvoirs : le jeu est maintenant un authentique jeu à utilité transférable. Il s’agit de tester la résistance d’une proposition x aux pouvoirs de négociation des joueurs tels qu’ils sont reflétés par les valeurs de la fonction caractéristique V [11].
74Commençons par donner quelques définitions. Soit un jeu coopératif tu arbitraire où avec n ? 2 est un ensemble fini de joueurs et V est une fonction qui associe un nombre réel V(S) à chaque sous-ensemble S de [12]. Il est supposé que V(Ø) = 0.
Nucléole
75Nous noterons l’ensemble des imputations, c’est-à-dire l’ensemble des partages qui sont individuellement rationnels, où un partage est dit rationnel s’il garantit à chaque joueur ce qu’il peut obtenir seul s’il ne noue aucune alliance. Un arrangement x ? XIR est ainsi une répartition des sièges dans la grande coalition qui respecte le pouvoir des joueurs pris isolément. Pour toute imputation x ? XIR on calcule ?(x) le vecteur de dimension 2n dont les coordonnées sont les nombres
77pour , ordonnés des plus grands vers les plus petits, c’est-à-dire tels que ?i(x) ? ?j(x) pour 1 ? i ? j ? 2n.
78Le nombre e(S,?x) est appelé l’excès de la coalition S : plus ce nombre est élevé, plus la coalition S a lieu d’être mécontente du partage reflété par x.
79Le nucléole [13] de est l’unique vecteur Nu(V) = x* ? XIR, tel que ?(x*) est minimal, au sens de l’ordre lexicographique dans l’ensemble {?(y) | y ? XIR} [14].
Valeur de Shapley
80La valeur de Shapley Sh(V) (Shapley [1953]) du jeu V est, quant à elle, le vecteur Sh(V) défini comme suit :
Une illustration des relations entre ces solutions de partage
82Une des questions que l’on peut se poser est de savoir dans quelle mesure le nucléole et la valeur de Shapley diffèrent ou non de facto de la norme de partage proportionnelle de Gamson, dans le jeu d’alliances électorales qui nous intéresse ici.
83Pour comprendre la nature de ces divergences potentielles, considérons l’exemple très simple suivant. Reprenons les notations introduites dans la section consacrée à l’environnement électoral, et considérons le cas où Ntot = 100, K est normalisé à 1 [15], , et N1 ? (0, 30, 36 – x, 8, 26 + x) avec 15 ? x ? 25 [16]. La quatrième formation politique est présente au second tour mais, d’après notre hypothèse sur ?, elle ne peut faire partie d’aucune alliance, i.e. le jeu d’alliance est un jeu à trois joueurs. En choisissant des valeurs différentes du paramètre x dans l’intervalle [15, 25], on couvre une partie des configurations possibles. Par exemple, lorsque x = 25, N1 ? (0, 30, 11, 8, 51) et, dans ce cas, la prime échoit à la formation 4 même en cas de formation de la coalition maximale {1, 2, 3}. Lorsque x = 22, seule la coalition {1, 2, 3} peut se garantir la prime. Enfin, lorsque x = 19, la coalition {1, 2} peut se garantir la prime (le joueur 3 n’est pas indispensable). Nous allons considérer sucessivement ces trois cas.
84Dans le cas où , pour le nucléole, on obtient :
86En revanche, pour la valeur de Shapley, on obtient :
88Bien que différentes, les deux solutions de partage prédisent des parts assez voisines pour le premier joueur. La manne totale est ici de . Exprimés en proportion de cette manne accessible à la grande coalition {1, 2, 3}, les vecteurs de répartition sont égaux à (63,649 % ; 24,873 % ; 11,475 %) pour le nucléole et à (65,169 % ; 26,384 % ; 8,462 %) pour Shapley, alors que la clef de Gamson vaut (61,224 % ; 22,449 % ; 16,327 %). Ici les solutions de marchandage diffèrent de Gamson s’agissant du troisième joueur : elles s’en écartent de 5 points de pourcentage (pour le nucléole) et 8 points de pourcentage (pour Shapley). Dans les solutions de marchandage, le troisième joueur pâtit du fait que, s’il ne noue aucune d’alliance, il n’obtient aucun siège.
89Pour le nucléole, on obtient :
91tandis que pour la valeur de Shapley, on obtient :
93La manne totale de 0,64 est ici partagée selon les proportions (50,486 % ; 31,736 % ; 17,77 %) pour Shapley et (51,302 % ; 32,552 % ; 16,145 %) pour le nucléole. À contraster avec la clef de Gamson qui vaut (57,692 % ; 26,923 % ; 15,385 %). Dans ce cas, les deux solutions de marchandage diffèrent peu de Gamson s’agissant du troisième joueur. La différence est en revanche significative entre les deux premiers joueurs au profit du second qui gagne ici de l’ordre de 5 points de pourcentage. Comment s’expliquent ces différences ? Concernant le joueur 2, il est dans cette configuration indispensable pour obtenir la prime. Ceci lui permet de revendiquer un tiers de la prime (à la fois pour le nucléole et pour Shapley), ce qui est une proportion plus forte que celle représentée par sa part des voix de premier tour dans la coalition. Concernant le troisième joueur, les deux composantes du jeu affectent son pouvoir de négociation de manière contradictoire. Comme le montre l’exemple précédent, la partie proportionnelle du jeu lui est défavorable (par rapport à la norme de proportionnalité) : en effet, sans alliance, il n’obtient aucun siège, ce qui le met en position de faiblesse. En revanche, la partie prime lui est favorable, dans la mesure où, comme le joueur 2, il est nécessaire à l’obtention de la prime. Ces deux effets se compensent, et on obtient des valeurs pour les solutions de marchandage proches de la norme de proportionnalité.
94Pour le nucléole, on obtient :
96tandis que, pour la valeur de Shapley, on obtient :
98La manne totale de 0,6625 est ici partagée selon les proportions (55,111 % ; 40,394 % ; 4,483 %) pour Shapley et (56,251 % ; 41,534 % ; 2,215 %) pour le nucléole. À contraster, à nouveau, avec la clef de Gamson (54,545 % ; 30,909 % ; 14,545 %). Dans ce cas, les deux solutions de marchandage sont aussi très voisines. La part du gros joueur est voisine de sa part de Gamson. En revanche, l’écart entre le marchandage et Gamson est significatif pour les joueurs 2 et 3. En particulier, le joueur 3 pâtit du fait que non seulement il ne peut pas se maintenir seul, mais qu’en plus dans cette configuration, les deux autres joueurs n’ont pas besoin de lui pour se garantir la prime.
99Ces trois cas sont loin d’épuiser toutes les configurations. Ils ont pour vocation d’illustrer le principe de construction de la fonction caractéristique, du calcul des deux solutions de marchandage et de la comparaison avec Gamson. Les calculs reflètent naturellement les implications qualitatives d’une évolution des forces respectives des trois joueurs dans le calcul des solutions de marchandage. Le joueur 3 a une position de marchandage assez faible car il doit compter sur au moins l’un des deux autres pour rester au second tour. Du point de vue de la partie proportionnelle, cette faiblesse lui coûte beaucoup par comparaison avec Gamson. En revanche, quand l’obtention de la prime devient un enjeu, alors il peut très bien tirer son épingle du jeu si sa participation est essentielle (exemple 2). Dans cette composante du jeu, ce ne sont pas les scores électoraux du premier tour, en tant que tels, qui comptent, mais plutôt la structure des coalitions gagnantes. Dans l’exemple 2, le joueur 3 récupère un pouvoir de négociation significatif qu’il perd à nouveau dans l’exemple 3.
Introduction d’une typologie des configurations électorales
100Les exemples illustratifs proposés ci-dessus mettent bien en évidence l’importance des deux sources de suradditivité du jeu, identifiées dans la section consacrée aux propriétés du jeu (1re partie « L’environnement électoral »). Cette suradditivité provient, d’une part, de la composante proportionnelle du jeu (quelles sont les listes qui ont besoin d’une alliance pour pouvoir se maintenir au second tour ?) et, d’autre part, de la composante prime majoritaire du jeu (quelles sont les coalitions qui peuvent se garantir l’obtention de la prime ?).
101Les détails pratiques des calculs des solutions de marchandage (relégués dans les annexes II pour le nucléole et III pour la valeur de Shapley), ainsi que les écarts des solutions de marchandage par rapport au partage de Gamson, vont dépendre du croisement de ces deux critères (« quelles sont les listes qui ont besoin d’une alliance pour pouvoir se maintenir au second tour ? » d’une part, et « quelles sont les coalitions qui peuvent se garantir l’obtention de la prime ? » d’autre part).
102Dans la section suivante consacrée aux élections régionales de mars 2010, nous détaillerons la typologie des configurations résultant du croisement de ces deux critères, et nous classerons les régions métropolitaines en fonction de cette typologie.
Application aux élections régionales de mars 2010
103Au soir du premier tour des élections régionales, le dimanche 14 mars 2010, les différentes formations politiques découvrent leurs scores, région par région. Au nombre des formations politiques susceptibles (ex ante) de se maintenir seules au second tour dans au moins une région (c’est-à-dire les formations m, telles que dans au moins une région) figurent les listes constituées autour du Parti socialiste (ps), de l’Union pour la majorité présidentielle (ump), du Mouvement pour la démocratie (MoDem), d’Europe Écologie (ee), du Front de gauche (fg) et du Front national (fn). Seuls le ps et l’ump ont dépassé ce seuil des 10 % dans toutes les régions. Au nombre des formations politiques susceptibles de pouvoir s’allier dans certaines régions (c’est-à-dire les formations m telles que dans au moins une région) figurent, en plus, le Nouveau Parti Anticapitaliste (npa).
104À quels jeux d’alliance allons-nous consacrer notre attention ? Pour l’heure, nous laissons de côté la Corse et les trois régions d’Outre-Mer qui sont plus complexes à étudier, car le jeu d’alliances n’est pas aussi simple que celui retenu pour formaliser l’environnement électoral des vingt et une régions métropolitaines. Pour celles-ci, si aucune alliance n’était « interdite » (jugée stratégiquement ou idéologiquement non souhaitable, politiquement incorrecte ou diabolisée), l’ump, le MoDem et le Front national seraient des joueurs à part entière. Dans plusieurs régions, le MoDem dépasse le seuil des 5 % et, dans une région, il dépasse celui des 10 %. Le fn dépasse le seuil des 5 % dans toutes les régions et dépasse très souvent le seuil des 10 %. En supposant qu’une alliance du MoDem avec l’ump ou avec le ps ou encore avec ee ou qu’une alliance du fn avec l’ump soient dans le champ des possibles, on obtiendrait un jeu d’alliances à cinq joueurs. Nous avons au contraire retenu ici les hypothèses suivantes sur les alliances admissibles. Nous écartons (en conformité avec le contexte politique de ces élections) la participation du fn et du MoDem à une quelconque alliance. L’ump (ou plus exactement la pré-alliance majorité présidentielle) devient donc complètement isolée. Il ne reste alors que trois joueurs potentiels, à savoir les trois principales formations de gauche : le ps, Europe Écologie et le Front de gauche. Dans dix-sept régions, ces trois partis ont présenté des listes séparées au premier tour. Parmi ces dix-sept régions, dans douze d’entres elles, les trois partis dépassent le seuil des 5 % de suffrages exprimés au premier tour, ce qui fait que le jeu d’alliances d’entre deux tours est un jeu à trois joueurs. Dans cinq d’entre elles, seuls le ps et ee dépassent ce seuil, ce qui fait que le jeu se réduit en fait à un jeu à deux joueurs. Dans les quatre régions métropolitaines (hors Corse) restantes (Basse-Normandie, Bourgogne, Champagne, Lorraine), il y a eu une pré-alliance électorale (avant le premier tour) entre le ps et le fg, et Europe Écologie dépasse le seuil des 5 % ; le jeu d’alliances est donc là encore un jeu à deux joueurs, cette fois-ci entre la liste d’union ps-fg et la liste ee.
105Avant de procéder à un examen combinatoire de l’ensemble des configurations concevables (selon le croisement des critères définis dans la sous-section « Introduction d’une typologie des configurations électorales ») et à un recensement plus pratique du sous-ensemble pertinent dans le cas des données régionales dont nous diposons, nous allons étudier plus en détail trois régions et calculer pour celles-ci les parts allouées à chacun des partenaires de l’alliance. À chaque fois, nous reporterons les parts observées, les parts résultant des deux modèles de négociation envisagés ici (nucléole et valeur de Shapley) et enfin les parts découlant d’une norme a priori comme le principe de proportionnalité. L’intérêt des calculs est de quantifier les écarts éventuels entre les solutions de marchandage, et entre celles-ci et la solution de Gamson [17].
106Précisément, nous considérons en détail les cas de l’Aquitaine, de l’Auvergne et de la Bretagne. Les deux régions Aquitaine et Auvergne sont choisies en raison du fait qu’elles représentent, parmi les régions où le Front de gauche est en position de se maintenir au second tour, deux cas polaires relativement à la force du ps dans les négociations avec ses alliés potentiels. En Aquitaine, le ps est extrêmement fort, dans la mesure où ses deux alliés potentiels ont besoin de lui pour se maintenir au second tour, et qu’il n’a pas besoin d’alliance pour remporter la prime majoritaire. En Auvergne, au contraire, Europe Écologie et le Front de gauche peuvent se maintenir seuls, et le ps a besoin d’une alliance avec un de ces deux partenaires pour l’emporter au second tour. Les résultats obtenus pour la valeur de Shapley et le nucléole dans ces deux régions constituent donc les bornes extrêmes de ce qu’on peut s’attendre à observer ailleurs dans les autres régions (cf. infra la typologie des régions, dans « Analyse systématique des régions métropolitaines »). Le cas de la Bretagne est également intéressant à considérer, puisque c’est un des rares exemples où les négociations d’entre deux tours entre le ps et Europe Écologie ont échoué, et où les deux listes se sont présentées séparément au second tour.
Aquitaine
107L’Aquitaine est une région dans laquelle le Parti socialiste est en position de force lors des négociations d’entre deux tours face à ses alliés potentiels. En effet, les écologistes et le Front de gauche sont dans l’incapacité de se maintenir au second tour sans alliance avec le ps. De plus, le ps dispose d’une avance suffisamment importante sur l’ump pour être assuré de remporter l’élection même s’il ne noue aucune alliance.
Résultats de l’élection
108Dans cette région, K = 85 sièges sont à pourvoir. Les résultats détaillés de l’élection sont rapportés dans le tableau A1 de l’annexe IV (données obtenues sur le site Internet du ministère de l’Intérieur).
Premier tour
109Au premier tour de l’élection le 14 mars 2010, P1 = 11 listes sont en lice et Ntot = 2 280 634 électeurs sont inscrits. Le nombre d’abstentionnistes est de 1 150 523 (nombre d’inscrits moins nombre de votants). Le nombre de bulletins blancs ou nuls est de 48 912. La somme des abstentionnistes et des bulletins blancs ou nuls est donc .
110En classant les listes par score de premier tour décroissant, la liste socialiste obtient un nombre de voix , la liste ump , …, jusqu’à la liste menée par X.-P. Larralde qui obtient voix.
Second tour
111Ici, R2 = 3 listes ont dépassé le seuil de 10 % et sont en état de se maintenir seules ; il s’agit des listes ps (37,6 % des s.e. au premier tour), ump (22,05 %) et MoDem (10,4 %). Trois listes ont obtenu un pourcentage de suffrages exprimés compris entre 5 et 10 % et sont aurorisées à fusionner avec une des trois premières listes : ce sont les listes Europe Écologie (9,75 %), fn (8,3 %) et Front de gauche (5,95 %). Les cinq listes restantes ne peuvent pas participer au second tour. On a donc ici M2 = 6 listes pouvant potentiellement participer au second tour.
112Dans cette région, P2 = 3 coalitions sont effectivement présentes au second tour : la liste ump et MoDem se maintiennent telles qu’au premier tour, et une liste Union de la gauche réunit les socialistes, les écologistes et le Front de gauche. Le fn n’a fusionné avec aucune liste.
113La liste d’union de gauche obtient voix au second tour (ce qui correspond à 56,33 % des s.e. au second tour), la liste ump, voix (28,01 %), et la liste MoDem, voix (15,65 %).
114Le partage des sièges entre ces trois coalitions se fait alors comme suit. La liste de gauche obtient la prime à la liste arrivée en tête, qui correspond à une fraction 1 – ? = 25 % des sièges. Les sièges restants (en proportion ? = 0,75) sont attribués de manière proportionnelle aux scores de second tour. Ce qui donne au total pour la liste de gauche un pourcentage théorique de sièges égal à 0,25 + (0,75 * 0,5633) = 67,25 %, pour la liste ump 0,75 * 0,2801 = 21,01 %, et pour la liste MoDem 0,75 * 0,1565 = 11,74 % des sièges. Le nombre de sièges à pourvoir étant de K = 85, ceci fait donc un nombre théorique de sièges égal à 57,17 pour la gauche, 17,86 pour l’ump et 9,98 pour le MoDem. La règle d’arrondis à des nombres entiers donne en fait le partage suivant : 58 sièges pour la gauche, 17 pour l’ump et 10 pour le MoDem.
Partage des sièges au sein de la liste de gauche
115Discutons, à présent, la répartition des 58 sièges au sein de la coalition de gauche.
116Pour simplifier l’interprétation des calculs, on désigne respectivement par NPS, NUMP, NMoDem, NEE et NFG le nombre de voix de premier tour de, respectivement, le ps, l’ump, le MoDem, Europe Écologie et le Front de gauche [18]. On note N = NPS + NUMP + NMoDem + NEE + NFG la somme de ces voix.
Partage observé
117On observe que la répartition suivante a été effectuée : le ps a obtenu 45 sièges, les écologistes 10, et le Front de gauche 3. Exprimés en pourcentage des sièges que la coalition avait à partager, on obtient les nombres rapportés dans la colonne « Observé » du tableau 1.
Partage des sièges de la liste d’union de la gauche en Aquitaine (i) observé, et prédit par (ii) Gamson, (iii) Shapley, (iv) le nucléole
Partage des sièges de la liste d’union de la gauche en Aquitaine (i) observé, et prédit par (ii) Gamson, (iii) Shapley, (iv) le nucléole
118Notre objectif est maintenant de comparer cette répartition à une règle de partage à la Gamson, à la valeur de Shapley et au nucléole.
Règle de partage de Gamson
119La règle de partage de Gamson stipule que le partage des sièges obtenus par la coalition se fait de manière proportionnelle au poids électoral de chacun des membres de cette coalition. En admettant que le poids électoral de chaque parti dans la coalition est lui-même proportionnel à son score de premier tour, on voit que, dans cette coalition, le ps a un poids électoral de , les écologistes de 18,3 % et le Front de gauche de 11,2 %. Ces nombres sont reportés dans la colonne « Gamson » du tableau 1.
Fonction caractéristique
120La fonction caractéristique du jeu décrivant le gain électoral de chacune des coalitions possibles au sein de la gauche est le suivant (en pourcentage des sièges à pourvoir dans la région) :
Valeur de Shapley
121À titre illustratif, on détaille ici le calcul de la valeur de Shapley. Disposant de la fonction caractéristique du jeu, on peut à présent calculer la contribution marginale de chacun des trois partis ps, ee et fg à la grande coalition, selon son ordre de formation. Cette contribution est exprimée en pourcentage des sièges à pourvoir dans la région. La valeur de Shapley est la moyenne de ces contributions marginales, elle est calculée dans la dernière ligne du tableau.
122On voit, dans le tableau, que la valeur de Shapley attribue au ps l’intégralité des sièges associés à la prime.
123Regardons maintenant la part des sièges attribués au ps au titre de la composante proportionnelle du jeu. On voit que, dans tous les cas, la contribution marginale du ps est supérieure à . Ceci est la conjonction de deux effets, que nous baptiserons « effet maintien » et « effet dilution ». L’effet maintien correspond au fait qu’en nouant une alliance avec des partis qui n’ont pas passé le seuil des 10 %, le ps leur permet de se maintenir, et donc autorise la captation des voix des électeurs de premier tour de ces partis. Il est visible dans les lignes correspondant à l’ordre de formation ee-ps-fg où le ps permet à ee de se maintenir, dans la ligne fg-ps-ee où le ps permet à fg de se maintenir, et enfin dans les lignes ee-fg-ps et fg-ee-ps où il permet à la fois à ee et à fg de se maintenir. Le second effet, appelé « effet dilution », provient du fait que si le ps ne noue pas d’alliance (ou ne noue pas toutes les alliances possibles), il est en mesure d’exclure certaines formations du second tour. Ces formations absentes, à nombre de voix donné pour le ps, les voix ps de premier tour représentent un pourcentage plus important des suffrages de second tour. Cet effet est, par exemple, visible dans les ordres de formation ps-ee-fg ou ps-fg-ee où la part des suffrages reçus par le ps vaut , ce qui est supérieur à . Il est également à l’œuvre quand le ps rejoint ee seul ou fg seul.
124Ayant calculé les valeurs de Shapley exprimées en pourcentage de sièges dans la région, on peut maintenant calculer comment les sièges obtenus par la gauche auraient été partagés si le partage s’était fait proportionnellement aux valeurs de Shapley. Le ps aurait remporté 95,7 % des sièges, les écologistes, 2,7 %, et le Front de gauche, 1,6 %. Ces chiffres sont donnés dans la colonne « Shapley » du tableau 1.
Le nucléole
125Sous l’hypothèse retenue ici que le ps peut se garantir la prime sans alliance, le calcul du nucléole relève du cas 3.A. dans la typologie définie plus loin et reprise dans les annexes, et donc en utilisant les formules de l’annexe II, on trouve pour le nucléole :
127c’est-à-dire ici :
129Ayant calculé le nucléole en pourcentage de sièges dans la région, on peut maintenant calculer comment les sièges obtenus par la gauche auraient été partagés si le partage s’était fait proportionnellement aux valeurs attribuées à chacun des joueurs par le nucléole. Le ps aurait remporté 96,2 % des sièges, les écologistes, 2,5 %, et le Front de gauche, 1,5 %. Ces chiffres sont donnés dans la colonne « Nucléole » du tableau 1.
130La configuration de l’Aquitaine est un cas extrême où le ps domine ses deux partenaires potentiels sur les deux tableaux : il n’a pas besoin d’eux pour la prime et ils ont besoin de lui pour exister au second tour. Sans surprise, les logiques de négociation, que ce soit Shapley ou le nucléole, conduisent à lui attribuer la part du lion. On est loin des résultats observés où la part du ps s’élève à 77,6 %. Cette valeur est plus proche de la logique de Gamson.
131Comme nous le verrons dans la dernière sous-section consacrée à une analyse systématique des régions métropolitaines, les configurations de Haute-Normandie et du Languedoc sont qualitativement similaires à celle de l’Aquitaine.
Auvergne
132L’Auvergne est une région où, au contraire, le ps est en position assez défavorable. En effet, les écologistes et le Front de gauche peuvent se maintenir sans nouer d’alliance. De plus, le ps a besoin d’au moins un allié pour remporter la prime de 25 % des sièges accordée au parti arrivé en tête, et on ne peut pas même exclure qu’une alliance entre les écologistes et le Front de gauche arrive en tête si le ps fait cavalier seul.
Résultats de l’élection
Premier tour
133K = 47 sièges sont à pourvoir. Les résultats détaillés de l’élection sont rapportés dans le tableau A2 de l’annexe IV.
134Au premier tour de l’élection, P1 = 8 listes sont en lice et Ntot = 994 160 électeurs sont inscrits.
135En classant les listes par score de premier tour décroissant, la liste ump obtient un nombre de voix , la liste ps , la liste Front de gauche et la liste écologiste …
Second tour
136En Auvergne, R2 = 4 listes ont dépassé le seuil de 10 % et sont en état de se maintenir seules : il s’agit des listes ump, ps, Front de gauche et écologiste. Le fn obtient 8,4 % des suffrages et ne peut se maintenir sans alliance. Les trois listes restantes ne peuvent pas participer au second tour. On a donc ici M2 = 5 listes pouvant potentiellement participer au second tour.
137Dans cette région, P2 = 2 coalitions sont effectivement présentes au second tour : la liste ump se maintient telle qu’au premier tour, et une liste Union de la gauche réunit les socialistes, les écologistes et le Front de gauche. Le fn n’a fusionné avec aucune liste.
138Au second tour, la liste Union de gauche arrive en tête avec 59,68 % des suffrages exprimés. Elle obtient 33 sièges, contre 14 à la liste ump.
Partage des sièges au sein de la liste de gauche
139Discutons à présent la répartition des sièges au sein de la coalition de gauche. On désigne par NPS, NUMP, NMoDem, NEE et NFG les nombres de voix de premier tour respectifs du ps, de l’ump, du MoDem, d’ee et de fg. On note N = NPS + NUMP + NMoDem + NEE + NFG la somme de ces voix.
Partage observé
140On observe que la répartition suivante a été effectuée : le ps a obtenu 17 sièges, le Front de gauche, 9, et les écologistes, 7. Exprimés en pourcentage des sièges que la coalition avait à partager, on obtient les nombres rapportés dans la colonne « Observé » du tableau 2 ci dessous.
Partage des sièges de la liste d’Union de la gauche en Auvergne observé, et prédit par (ii) Gamson, (iii) Shapley (deux variantes), (iv) le nucléole (deux variantes)
Partage des sièges de la liste d’Union de la gauche en Auvergne observé, et prédit par (ii) Gamson, (iii) Shapley (deux variantes), (iv) le nucléole (deux variantes)
Règle de partage de Gamson
141La règle de partage de Gamson stipule que le partage des sièges obtenus par la coalition se fait de manière proportionnelle aux scores de premier tour. Cette règle implique un pourcentage de sièges de pour le ps, de 26,9 % pour le Front de gauche et de 20,2 % pour les écologistes, rappelés dans la colonne « Gamson » du tableau 2.
Fonction caractéristique
142Que peuvent espérer les écologistes et le Front de gauche s’ils forment entre eux une coalition excluant le ps ? Au vu de leurs scores, le plus probable est qu’une telle alliance ne puisse remporter la région, et que l’ump l’emporte (on appellera cette hypothèse variante 1). Cependant, l’écart avec l’ump de cette coalition est de moins de 4 points de pourcentage des suffrages exprimés au premier tour, et il n’est pas complètement impossible que cette coalition puisse être victorieuse (on appelle variante 2 l’hypothèse selon laquelle une coalition de gauche excluant le ps peut l’emporter au second tour). On étudie successivement ces deux variantes.
143Dans la variante 1, le gain électoral de chacune des coalitions possibles au sein de la gauche est le suivant (en pourcentage des sièges à pourvoir dans la région) :
145Notons que la seule différence entre les variantes 1 et 2 réside dans le gain électoral que peut se garantir la coalition formée des écologistes et du Front de gauche. Dans la variante 2, on a :
Valeur de Shapley
147On peut, à présent, calculer la contribution marginale de chacun des trois partis ps, ee et fg à la grande coalition, selon son ordre de formation. Cette contribution est exprimée en pourcentage des sièges à pourvoir dans la région. La valeur de Shapley est la moyenne de ces contributions marginales ; elle est calculée dans la dernière ligne de chaque tableau :
148On voit, dans ces tableaux, que, dans la variante 1, le ps remporte les deux tiers de la prime accordée à la liste arrivée en tête, et seulement un tiers dans la variante 2. Ayant calculé les valeurs de Shapley exprimées en pourcentage de sièges dans la région, on peut maintenant calculer comment les sièges obtenus par la gauche auraient été partagés si le partage s’était fait selon Shapley. Ces chiffres sont présentés dans les colonnes « Shapley (V1) » et « Shapley (V2) » du tableau 2.
Le nucléole
149Dans la variante 1, on obtient pour le nucléole :
151c’est-à-dire ici :
153Ramenés en pourcentage des sièges conquis par la gauche, ces chiffres sont donnés dans la cinquième colonne du tableau 2.
154Dans le cas de la variante 2, on obtient pour le nucléole :
156qui coïncide avec la valeur de Shapley dans ce cas.
157Ces chiffres sont présentés dans les colonnes « Nucléole (V1) » et « Nucléole (V2) » du tableau 2.
158La comparaison de la logique des deux variantes est très instructive. Dans les deux cas, les deux composantes du jeu peuvent être séparées. Pour la première composante proportionnelle, les partis récupèrent leurs parts respectives. Pour la seconde composante, le calcul dépend de la variante retenue. Dans le cas de la variante 1, le nucléole donne au ps l’intégralité de la prime. Cela résulte du fait que le ps occupe une situation privilégiée s’agissant de la prime. Les deux autres formations sont nécessaires mais parfaitement substituables et « font donc les frais » de leur mise en concurrence par rapport à la prime. Dans le cas de la variante 2, les trois formations jouent un rôle symétrique et récupèrent donc chacune un tiers du bénéfice de la prime.
159On voit aussi que, dans le cas de la variante 2, le nucléole et la valeur de Shapley coïncident, alors qu’elles ne coïncident pas dans le cas de la variante 1. Dans le cas de la variante 1, la valeur de Shapley alloue en fait un sixième du bénéfice à chacune des deux formations les plus petites.
160Dans le cas de l’Auvergne, la logique Gamson semble l’avoir emporté sur une logique de négociation si l’on privilégie la variante 1, qui semble la plus plausible.
Bretagne
161La région Bretagne est un cas intéressant à étudier, dans la mesure où elle fait partie des rares régions où les négociations d’entre deux tours entre les partis de gauche ont échoué, et où il n’y a pas eu de fusion des listes avant le second tour. Comprendre les rapports de force au lendemain du premier tour aidera à saisir les raisons de cet échec.
Résultats de l’élection
Premier tour
162K = 83 sièges sont à pourvoir. Les résultats détaillés de l’élection sont rapportés dans le tableau A3 de l’annexe IV.
163Au premier tour de l’élection, P1 = 11 listes sont en lice et le nombre d’électeurs inscrits est Ntot = 2 332 945.
164En classant les listes par scores de premier tour décroissants, la liste ps menée par Jean-Yves Le Drian obtient un nombre de voix , la liste ump menée par Bernadette Malgorn , la liste Europe Écologie menée par Guy Hascoët …
Second tour
165En Bretagne, R2 = 3 listes ont dépassé le seuil de 10 % et sont en état de se maintenir seules : il s’agit des listes ps (37,2 %), ump (23,7 %), et ee (12,2 %). Le fn obtient 6,2 % des suffrages, le MoDem, 5,4 % ; ces deux listes ne peuvent se maintenir sans alliance. Les autres listes ne peuvent pas participer au second tour (en particulier, le Front de gauche n’est pas en position de se maintenir, même avec alliance). On a donc ici M2 = 5 listes pouvant potentiellement participer au second tour.
166Dans cette région, P2 = 3 coalitions sont effectivement présentes au second tour : les listes ps, ump, et Europe Écologie se maintiennent telles qu’au premier tour, le fn et le MoDem n’ont fusionné avec aucune liste.
167Les résultats du second tour sont tels que la liste ps arrive en tête avec 50,27 % des suffrages exprimés. Elle obtient 52 sièges, contre 20 à la liste ump et 11 à la liste Europe Écologie.
Partage théorique des sièges au sein des listes de gauche
168Discutons à présent la répartition des sièges au sein des deux formations de gauche présentes au second tour. Ici encore on désigne respectivement par NPS, NUMP et NEE le nombre de voix de premier tour du ps, de l’ump, et d’ee, respectivement. On note N = NPS + NUMP + NEE la somme de ces voix.
Partage observé
169Au total, les deux listes de gauche (ps et ee) ont obtenu 52 + 11 = 63 sièges. Le ps a obtenu 52 sièges, soit 82,5 % des sièges détenus par un parti de gauche, et Europe Écologie, 11, soit 17,5 % des sièges des listes de gauche. Ces pourcentages sont rapportés dans la deuxième colonne du tableau 3 ci-dessous.
Partage des sièges des listes de gauche en Bretagne (i) observé, et prédit par (ii) Gamson, (iii) Shapley, (iv) le nucléole
Partage des sièges des listes de gauche en Bretagne (i) observé, et prédit par (ii) Gamson, (iii) Shapley, (iv) le nucléole
Règle de partage de Gamson
170La règle de partage de Gamson stipule que le partage des sièges obtenus par la coalition se fait de manière proportionnelle au poids électoral de chacun des membres de cette coalition. En admettant que le poids électoral de chaque parti dans la coalition est lui-même proportionnel à son score de premier tour, on voit que, dans cette coalition, le ps a un poids électoral de , et les écologistes de 24,7 %.
Fonction caractéristique
171Dans le cas breton, le ps dispose de 14 points de pourcentage d’avance sur l’ump, et est donc en position de remporter seul la prime à la liste arrivée en tête.
172Le gain électoral de chacune des coalitions possibles au sein de la gauche est donc le suivant (en pourcentage des sièges à pourvoir dans la région) :
Valeur de Shapley et nucléole
174Dans ce cas, la valeur de Shapley et le nucléole coïncident et attribuent à chaque joueur le paiement qu’il se garantit seul. On obtient :
Discussions d’entre deux tours entre les listes de gauche
175Ces considérations théoriques éclairent les discussions qui ont eu lieu entre les deux tours entre Guy Hascouët, leader d’Europe Écologie, et Jean-Yves Le Drian, leader du ps dans la région Bretagne.
176Au matin du 15 mars, G. Hascouët écrit à J.-Y. Le Drian :
« Nous vous avons confirmé ce matin notre souhait d’un rassemblement sur la base du respect des scores exprimés par le suffrage universel : l’application de la règle d’Hondt (12,21 % / 37,19 %) nous donnerait donc quatorze sièges. Or, si en 2004, vous avez appliqué la règle d’Hondt, si partout ailleurs en France, cette règle est appliquée, nous sommes désolés de constater que six heures après notre première rencontre, votre proposition est en retrait par rapport à la proposition initiale de ce matin. Alors que vos amis socialistes réclament ailleurs notre solidarité, vous niez le résultat du vote exprimé par les Bretons et Bretonnes. Nous vous réitérons donc notre proposition : respecter le suffrage universel par l’application de la règle d’Hondt… »
178J.-Y. Le Drian lui répond par courrier :
« Suite à nos différents échanges, je tenais à vous faire part de notre deuxième proposition qui reste dans la même volonté : celle de trouver les voies et les moyens d’un accord de fusion dès aujourd’hui. Je vous propose dix places éligibles, ce qui correspond à plus de 12 % des sièges du conseil régional (score réalisé par votre liste) ainsi que trois postes de responsabilité significative, soit 13,6 % du total de l’exécutif. »
180L’accord ne s’est pas fait. Dans un article intitulé « À chacun son interprétation de la rupture », le quotidien régional Le Télégramme s’interroge, dans son édition du 17 mars 2010, sur les raisons de cet échec et reproduit des déclarations qui apportent des éclairages utiles : Qui a tort, qui a raison ? À qui revient la responsabilité de la rupture ? Qui est le plus respectueux du vote des Bretons ? Qui a choisi la bonne formule arithmétique ? Guy Hascoët (GH) et Jean-Yves Le Drian (JYLD), évidemment, se renvoient la balle. Griefs croisés.
GH. – Nous avons été humiliés par l’arrogance du président, qui nous proposait dix sièges pas plus, alors que la règle de la proportionnelle devait nous en valoir quatorze, voire quinze. C’est un bras d’honneur à la démocratie.
JYLD. – Nous nous sommes heurtés à l’intransigeance d’Europe Écologie. Avec 12 % des voix, ils devaient avoir neuf sièges. Nous en avons proposé dix, nous sommes allés jusqu’à onze et même à douze… un peu à mon insu. Mais ils en sont restés à une exigence de quatorze. Je ne suis pas irrité mais désolé.
GH. – Quatorze élus pour nous, une cinquantaine pour eux, c’était la bonne répartition en fonction des résultats obtenus par nos deux listes au premier tour. La règle retenue entre nos deux formations (Verts et ps) prévoit un partage équitable de l’ensemble des sièges, y compris ceux de la prime au premier.
JYLD. – Neuf sièges pour eeb, c’est le résultat après l’attribution de la prime de 25 % des sièges à la liste en tête c’est-à-dire la nôtre. Non, il n’est pas question de partager la prime. Dans les courses cyclistes, le vainqueur d’étape partage la prime avec ses coéquipiers, pas avec les équipiers du second.
GH. – Jean-Yves Le Drian n’a pas respecté les principes de répartition établis par son parti au plan national. C’est la seule région de France où les choses se sont passées ainsi.
JYLD. – Je n’ai jamais pris mes ordres à Paris. La Bretagne est la seule région de France où une liste rassemblait déjà ps, pc et écologistes au premier tour.
JYLD. – Lors des négociations, nous avons passé un petit quart d’heure sur notre projet et ils l’ont jugé compatible tel quel. La seule question, c’étaient les places, les places et encore les places !
182On voit que la seconde composante du jeu, la prime au premier, a été l’enjeu majeur de la dispute entre la liste ps et la liste Europe Écologie. Que montrent les analyses théoriques précédentes ? En supposant que le fn et le MoDem sont définitivement écartés des alliances, le jeu ne comporte que trois joueurs (ps, ump, ee). Nous venons de voir ci-dessus qu’à partir de nos hypothèses de comportement, la liste ps est majoritaire et n’a donc aucun besoin de prendre en compte le risque ump. Comme le remarque Christian Guyonvarc’h, vice-président udb (Union démocratique bretonne) du conseil régional sortant : « Non, nous n’envisageons pas que la droite puisse l’emporter à la faveur d’une triangulaire. Il n’y a pas de risque Bernadette Malgorn. » En admettant qu’une large fraction de la partie des électeurs des six formations politiques écartées du second tour qui ne se sont pas abstenus ait rejoint la liste ps, on voit que les risques résiduels (abstentionnistes du premier tour ou électeurs du fn et du MoDem rejoignant la liste ump) restent très limités. Par ailleurs, étant donné la barrière idéologique interdisant une alliance entre l’ump et Europe Écologie, il est clair que la valeur de Shapley et le nucléole prédisent une confiscation totale de la prime par la liste ps. Pas (contrairement à ce que dit J.-Y. Le Drian) parce que sa liste est arrivée en tête au premier tour mais parce que le jeu simple dérivé des alliances possibles à la veille du second tour est un jeu simple dictatorial.
Analyse systématique des régions métropolitaines
183L’analyse des trois régions Aquitaine, Auvergne et Bretagne a mis en évidence des rapports de force différents entre listes de gauche entre les régions. Afin d’avoir une vision plus synthétique de ce qui en est dans l’ensemble des régions françaises, on se propose ici de classer les régions en fonction de ces rapports de force. L’analyse théorique de la section consacrée aux solutions de partage nous enseigne que ces rapports de force dépendent de deux éléments essentiels :
- Les listes Europe Écologie et Front de gauche sont-elles en mesure de se maintenir au second tour sans avoir à nouer d’alliance ?
- Quelles sont les coalitions des listes de gauche qui peuvent remporter la victoire ?
Une typologie des rapports de force entre listes de gauche
184Dans cette partie, suivant ce qui a été annoncé dans la sous-section consacrée à l’introduction d’une typologie des configurations électorales, nous nous proposons de détailler ces diverses configurations et de classer les régions métropolitaines suivant la typologie explicitée.
185Considérons tout d’abord le cas où, au soir du premier tour, les trois partis de gauche sont présents séparément (c’est-à-dire n’ont pas noué d’alliance pré-électorale) et sont tous en mesure de se maintenir (éventuellement en nouant des alliances d’entre deux tours). Notons que dans toutes les régions qui seront étudiées, le ps arrive en tête des listes de gauche présentes au premier tour. Du point de vue de la composante proportionnelle du jeu, trois cas de figure sont possibles : les trois listes peuvent se maintenir seules (cas 1) ; seuls le ps et la liste la plus forte après lui peuvent se maintenir sans alliance (cas 2) ; seul le ps est en position de se maintenir seul (cas 3). Du point de vue des rapports de force générés par l’obtention de la prime, cinq cas de figure sont possibles : le ps n’a besoin de personne (cas A) ; le ps a besoin d’un seul allié et les deux autres formations ne peuvent pas se garantir la prime (ces situations se divisent elles-mêmes en deux cas : le ps n’a besoin que de la liste la plus faible (cas B), le ps a besoin de la liste la plus forte (cas C)) ; le ps a besoin des deux alliés et les deux autres formations ne peuvent pas se garantir la prime (cas D) ; les deux autres formations peuvent se garantir la prime sans le ps (cas E) [19]. On obtient donc au total 15 = 3 x 5 configurations a priori logiquement possibles. En fait, une de ces configurations ne peut se produire. Il s’agit de celle où ee et fg ne peuvent se maintenir sans alliance avec le ps pour le second tour mais où la somme de leurs scores est telle que, s’ils pouvaient s’allier (sans le ps) au second tour, ils seraient en mesure de remporter la prime [20].
186À ces configurations à trois joueurs, il faut ajouter les situations où seules deux formations participent au jeu d’alliance. Ce peut être parce que les trois formations ont présenté au premier tour des listes séparées, mais que l’une d’entre elles ne dépasse pas au premier tour le seuil des 5 % nécessaires pour se maintenir. Ce peut être aussi parce que deux partis ont noué des alliances pré-électorales et ont présenté une liste commune dès le premier tour. Le jeu d’alliance est alors un jeu à deux joueurs et non un jeu à trois joueurs. Du point de vue du maintien, deux cas sont possibles : les deux listes peuvent se maintenir seules (cas 1’) ou seul le ps est en position de se maintenir seul (cas 2’). Du point de vue de l’importance du ps dans la garantie de la prime, deux cas également sont possibles : le ps n’a besoin de personne (cas A’) ; le ps a besoin de son allié (cas D’) [21]. Il y a donc non seulement quatre configurations de ce type, mais, au total, dix-huit configurations théoriquement possibles.
Classement des régions métropolitaines
187Disposant de cette typologie, nous pouvons à présent classer les régions françaises. Pour l’instant, nous laissons de côté les régions d’Outre-Mer et de Corse qui sont plus complexes à étudier, car le jeu d’alliances n’est pas aussi simple que le jeu à deux ou à trois joueurs qui a été retenu pour formaliser l’environnement électoral des vingt et une régions métropolitaines. Nous reviendrons sur ces régions dans la conclusion.
188Ainsi que nous l’avons expliqué plus haut, la typologie résulte du croisement de deux critères : possibilités de maintien au second tour, coalitions de gauche capables de se garantir la prime. Concernant le premier critère (possibilités de maintien au second tour), il est très simple de déterminer dans quel cas de figure se trouvent les listes d’une région donnée : il suffit d’observer les scores de premier tour réalisés par les différentes listes et de les comparer aux seuils critiques pour le maintien (5 % et 10 %). Concernant le second critère, il est nécessaire de faire des hypothèses sur la manière dont les électeurs vont se comporter au second tour. Nous conserverons ici l’essentiel des hypothèses sur le report des voix faites dans la sous-section consacrée à la construction de la fonction caractéristique, en les nuançant néanmoins légèrement. Sous ces hypothèses, il est très simple de déterminer si une coalition de gauche l’emporte ou non au second tour : il suffit de comparer la somme de ses scores de premier tour au score de premier tour du principal concurrent, c’est-à-dire en pratique dans tous les cas au score de l’ump [22]. Dans cette partie, pour classer les régions en fonction des gains des différentes coalitions de gauche, on va nuancer ces hypothèses et supposer que les partis de gauche n’effectuent pas de manière aussi abrupte cette comparaison entre les scores de premier tour. Plus précisément, on va supposer, comme nous l’avons fait dans notre examen de l’Auvergne, qu’ils utilisent une « marge d’erreur » quand ils évaluent leurs chances de gagner. De manière quelque peu arbitraire, on va fixer cette marge d’erreur à 3 points de pourcentage : une liste de gauche estime qu’elle va remporter au second tour la victoire face à l’ump si, et seulement si, la somme de ses scores de premier tour excède de 3 points de pourcentage le score de premier tour de l’ump. Ceci est destiné à capturer l’incertitude [23] qui règne sur le comportement exact des électeurs (par exemple, imaginons une situation où le Front national n’est pas en situation de se maintenir au second tour. Contrairement à ce qui été supposé jusqu’ici, il peut être considéré comme plausible que certains de ses électeurs de premier tour votent au second tour pour la liste ump) et/ou à incorporer une certaine aversion au risque de la part des partis.
189Sous ces nouvelles hypothèses, on peut calculer, à partir des scores de premier tour, la configuration dans laquelle se trouvent les partis de gauche. Le tableau 4 présente les scores de premier tour des trois partis de gauche et de l’ump dans chacune des régions métropolitaines (hors Corse).
Scores de premier tour des trois partis de gauche et de l’ump
Scores de premier tour des trois partis de gauche et de l’ump
190Qu’en est-il alors en pratique dans les régions françaises ? Les tableaux 5a, 5b et 5c classent les régions en fonction de la configuration dans laquelle elles se trouvent.
Classification des configurations à la veille du second tour
Trois partis de gauche (ps, ee et fg) présents séparément au premier tour, et tous en position de se maintenir
Trois partis de gauche (ps, ee et fg) présents séparément au premier tour, et tous en position de se maintenir
Trois partis de gauche (ps, ee et fg) présents séparément au premier tour, et fg n’est pas en position de se maintenir
Trois partis de gauche (ps, ee et fg) présents séparément au premier tour, et fg n’est pas en position de se maintenir
Alliance pré-électorale (avant le premier tour) entre le ps et le Front de gauche
Alliance pré-électorale (avant le premier tour) entre le ps et le Front de gauche
Classification des configurations à la veille du second tour
191Considérons tout d’abord les douze régions où les trois formations sont actives au soir du premier tour (tableau 5a). Dans deux régions, les trois partis de gauche peuvent se maintenir sans alliance au second tour (sont dans ce cas 1 l’Auvergne et le Nord-Pas-de-Calais). Dans six régions, seuls le ps et Europe Écologie ou le Front de gauche sont en mesure de se maintenir sans alliance (cas 2). Enfin, dans quatre régions, seul le ps peut se maintenir sans alliance (cas 3). S’agissant des possibilités de remporter la prime à la victoire, nous avons distingué ci-dessus cinq configurations théoriquement possibles. En pratique, seules deux se produisent. En effet dans tous les cas, le ps est incontournable ; de plus, soit il peut remporter la victoire seul (cas A), soit une alliance avec le plus petit de ses alliés potentiels est suffisante pour assurer la victoire (cas B). En couplant ces deux modalités (maintien au second tour et prime au vainqueur), nous obtenons donc 3 x 2 = 6 configurations, sur les quatorze théoriquement possibles ; ce sont les six cellules du tableau 5a. On voit que ces cellules sont non vides.
192Dans les situations à deux joueurs (tableaux 5b et 5c), les quatre situations sont couvertes. Nous sommes dans le cas 1’D’ dans une région (Pays de la Loire), dans le cas 1’A’ dans trois régions (Basse-Normandie, Bretagne, Poitou-Charente), dans le cas 2’D’ dans deux régions (Champagne, Franche-Comté) et dans le cas 2’A’ dans deux régions (Bourgogne, Lorraine). L’Alsace est la seule région de France où la grande coalition de gauche ne peut remporter la prime.
193Que peut-on dire sur les prédictions des solutions de partage dans toutes ces régions ?
194Les considérations théoriques des annexes II et III nous apprennent que, dans toutes les situations rencontrées en pratique, la valeur de Shapley comme le nucléole sont la somme des solutions pour chacune des deux composantes du jeu (ce qui n’est pas vrai pour le nucléole en général). On peut donc analyser le jeu composante par composante.
195Regardons tout d’abord la prime. Dans tous les cas où les trois joueurs sont actifs, le nucléole prédit que le ps remporte l’intégralité de la prime. Shapley lui en attribue l’intégralité dans les situations de type A, et les deux tiers dans les autres cas (type B). Dans toutes les régions donc, les solutions de négociation prédisent que le ps remporte une part considérable (sinon l’intégralité de la prime). Qu’en est-il dans les régions où seuls deux joueurs sont actifs ? Les prédictions du nucléole et de Shapley coïncident dans ce cas : le ps remporte l’intégralité de la prime dans les situations de type A’, et la moitié dans les autres cas (type D’ : Pays de la Loire, Franche-Comté, Champagne).
196Regardons maintenant la partie proportionnelle du jeu. Dans les cas où tous les alliés potentiels du ps peuvent se maintenir, la valeur de Shapley et le nucléole coïncident avec Gamson. Dans tous les autres cas, le ps doit remporter plus que ce que ne préconise la norme proportionnelle, à cause des deux effets de maintien et de dilution qui ont été exposés précédemment (cf. la discussion de la valeur de Shapley lors de la présentation de l’exemple détaillé de la région Aquitaine).
197Au final, cette analyse des régions métropolitaines nous enseigne qu’appliquer la norme de proportionnalité au partage des sièges remportés par la gauche est le plus souvent détrimental [24] pour le ps par rapport à ce que préconisent des solutions de partage telles que la valeur de Shapley ou le nucléole, parfois dans des proportions très importantes comme le montre le cas extrême de la région Aquitaine (où ces solutions attribuent au ps plus de 95 % des sièges de la gauche).
Conclusion
198Dans cet article, nous avons développé une méthode générale ayant pour objet l’analyse stratégique de la formation des alliances à la veille du second tour d’une élection où les listes en concurrence sont autorisées (sous certaines conditions) à poursuivre avec ou sans alliance avec d’autres listes. Nous avons concentré notre attention sur deux solutions populaires de la théorie des jeux coopératifs : le nucléole et la valeur de Shapley. La méthodologie a été appliquée aux élections régionales de mars 2010 en France métropolitaine (à l’exception de la Corse).
199Nous avons montré que la position de force du Parti socialiste vis-à-vis de ses alliés potentiels que sont Europe Écologie et le Front de gauche lors de ces élections implique que des solutions de marchandage telles que la valeur de Shapley ou le nucléole préconisent pour le ps une part des sièges bien supérieure à celle découlant de l’application d’une norme de proportionnalité (selon laquelle le partage des sièges au sein des partis de gauche se fait au prorata de leurs scores de premier tour). L’analyse quantitative détaillée de la région Aquitaine montre que les solutions de marchandage peuvent aller jusqu’à attribuer au ps plus de 95 % des sièges de la gauche.
200Or, la norme proportionnelle a été privilégiée par les états-majors au niveau national, ainsi qu’en témoignent les échanges entre les dirigeants du ps et de ee en Bretagne. En pratique, il semble que cette norme ait été effectivement assez largement appliquée dans les régions. Notre étude des cas aquitain et auvergnat révèle que le partage observé est plus proche de Gamson que des prédictions des solutions de marchandage. Plus généralement, dans un document de travail récent, Dunz [2011] montre que des régressions simples ne rejettent pas l’hypothèse selon laquelle la norme de proportionnalité a été appliquée par les partis de gauche [25]. Il semble donc que la logique de marchandage n’ait pas été dominante lors des élections régionales de mars 2010. Néanmoins, il serait intéressant d’étudier si, lorsque des écarts à la norme de proportionnalité sont observés, c’est ou non dans le sens prédit par les solutions de marchandage. La région Bretagne est extrême dans ce cas, puisque l’application de la logique de marchandage dans cette région a abouti à l’échec de la formation d’une coalition à gauche (et les listes ps et ee ont obtenu en Bretagne un nombre de sièges très proche des solutions de marchandage). Dans le cas de la région Aquitaine, on voit que le ps obtient plus de sièges que ne le prédit Gamson, au détriment du Front de gauche ; ces écarts allant dans la direction prédite par la valeur de Shapley et le nucléole. D’autres analyses seraient nécessaires pour déterminer si cela est également vérifié dans les autres régions métropolitaines.
Cas de la Corse et des régions d’Outre-Mer
201Dans le cas des régions de France métropolitaine (à l’exception de la Corse), le jeu d’alliances était un jeu à deux ou à trois joueurs (suivant les régions).
202Dans le cas de la région Corse, le jeu est nettement plus compliqué, car la composante politique régionaliste/indépendantiste est très significative. Au premier tour, l’ump vire en tête avec 21,34 %, suivi de près par la liste pnc menée par Gilles Simeoni. Le ps n’arrive qu’en troisième position avec 15,50 %. Derrière, viennent quatre autres listes qui peuvent se présenter au second tour sans alliance car le seuil est abaissé de 10 à 7 % en Corse. Ces listes (fg, prg, csd, cl) ont des scores très honorables. Au soir du premier tour, il y a donc (en laissant l’ump de côté) un jeu à six joueurs. En fait, quatre listes se sont présentées au second tour.
203Les régions d’Outre-Mer présentent aussi des spécificités qu’il convient de prendre en compte. De ce point de vue, le cas de La Réunion est un cas d’école. La droite s’est présentée divisée au premier tour. Précisément, quatre listes de droite se sont présentées dont trois (disons d1, d2 et d3) sont conduites par des membres de l’ump. La quatrième (notée d4) a en plus une dimension autonomiste. À gauche, trois listes importantes sont présentes : le pc, le ps et ee. Trois listes peuvent se maintenir au second tour sans alliance (pc, ps, D1). Le pc vire en tête avec 30,2 %, suivi de d1 avec 26,4 % et du ps avec 13,1 %. À ces trois formations viennent s’ajouter trois autres formations qui peuvent se maintenir sous réserve d’alliance : d2 avec 6,7 %, d3 avec 5,4 % et d4 avec 5,9 %. Le pc ne s’est pas allié avec le ps mais avec d3 ! Le ps est resté seul. d2 est resté sur la touche. Enfin, d1 s’est allié avec d4. La liste de droite a remporté largement le second tour avec un score de 45,5 % contre 35,5 % à la principale liste de gauche. En sus de la subtilité du jeu d’alliances, les chiffres montrent également que notre modèle de reports de voix doit être reconsidéré dans le cas de cette élection.
204Notre méthodologie s’applique sans difficulté aux environnements électoraux où le nombre de joueurs participant au jeu d’alliance est supérieur ou égal à quatre. C’est important car qui peut prédire ce que sera le paysage politique de la France de demain et le jeu d’alliances si des formations comme le MoDem ou le Front national participent activement à ce processus ? Les difficultés d’extension ne sont pas conceptuelles mais de nature calculatoire. Cependant, il existe des algorithmes efficaces de calcul du nucléole qui pourraient être utilisés pour des jeux réels. En revanche, une caractérisation complète du nucléole pour toutes les configurations concevables telle que celle réalisée ici semble hors de portée.
Extensions et travaux ultérieurs
205Nous souhaitons, dans des travaux ultérieurs, examiner plus attentivement le processus de report des voix entre les deux tours de l’élection. Nous avons fait ici des hypothèses simples, mais certainement inadaptées dans de nombreux cas (nous venons de l’évoquer avec la Réunion). Un modèle stochastique intéressant pourrait consister à faire la liste des états possibles du système au second tour (abstention + listes présentes) et d’écrire les matrices de mobilité électorale pour toutes les configurations d’alliances permises pour le second tour. À l’aide d’un tel modèle, on pourrait exprimer le score stochastique de chaque liste au second tour et celui de l’abstention et donc calculer la probabilité qu’une liste empoche la prime au vainqueur. Il ne resterait plus ensuite qu’à ajuster la fonction caractéristique en considérant les espérances mathématiques. Si l’attitude à l’égard du risque devait être prise en compte, alors il faudrait envisager d’écrire la fonction caractéristique d’un jeu ntu. En effet, si dans le cas bilatéral, l’extension de la théorie du marchandage au cas de joueurs ayant de l’aversion au risque ne soulève pas de difficultés majeures, dans le cas multilatéral (trois joueurs au moins comme dans l’essentiel de notre article) cette extension transformerait notre jeu en un jeu coopératif à utilité non transférable avec son cortège de difficultés.
206Cette première étape serait nécessaire à la réalisation d’un véritable test économétrique du modèle de marchandage proposé ici. L’écriture d’une version économétrique du modèle général de marchandage pose néanmoins de nombreuses questions.
207Tout d’abord, un tel modèle est-il testable ? Peut-on déterminer à partir des données observées (chez nous, il s’agirait principalement des partages de sièges) les implications comportementales d’un tel modèle ? En pareil cas, il serait alors possible d’accepter ou de rejeter l’hypothèse du marchandage comme explication du partage des sièges observés. Dans cet article, c’est la démarche que nous suivons, en couplant cependant les hypothèses de marchandage avec des hypothèses précises sur les utilités en cas d’accord et en cas de désaccord, et en ignorant la composante stochastique. Nous obtenons des formules précises de partage des sièges que nous pouvons comparer aux partages observés. À ce stade, nous voyons notre travail comme une étape vers un modèle économétrique des négociations électorales au soir d’un premier tour de scrutin de listes [26]. Nos calculs liminaires sont utiles car ils donnent les ordres de grandeur de deux solutions de marchandage. La comparaison avec les valeurs observées conduit au rejet d’un modèle de marchandage dans le cas où les négociateurs ont des utilités linéaires et où leurs valeurs de réservation pour toutes les configurations d’alliances sont basées sur les matrices de mobilité postulées dans notre article. Le rejet est donc à proprement parler le rejet de ce paquet de trois hypothèses.
208Il conviendrait de se demander ensuite si le modèle est identifiable, à savoir s’il est possible, à partir des données, d’identifier les principaux paramètres du modèle. Encore une fois, cette question n’est pas traitée dans notre article car il faudrait pour cela décliner une version paramétrique et stochastique de notre modèle. Nous ne connaissons pas de travaux économétriques portant sur le marchandage multilatéral. Dans le cas où le marchandage est bilatéral, la situation se simplifie un peu : la solution coopérative de marchandage est en fait la solution de marchandage de Nash. On peut définir cette solution pour des fonctions d’utilité d’accord et de désaccord quelconques. Les implications de la solution de Nash dans l’étude des données observées ont été très peu étudiées. Pour tout dire, la seule référence que nous avons trouvée est très récente (Chiappori, Doni et Komunjer [2012]). Ils énoncent des théorèmes de testabilité et d’identifiabilité. Au nombre des hypothèses limitant la classe d’environnements de marchandages considérés, ils supposent que l’utilité en cas de désaccord ne dépend pas de la taille du gâteau à partager en cas d’accord. Clairement, cette hypothèse n’est pas appropriée dans notre contexte. Il reste donc du chemin à parcourir pour décliner une version économétrique complète de notre modèle.
I – Jeux coopératifs [27], nucléole et valeur de Shapley
Jeux coopératifs
209Un jeu coopératif à utilité transférable (TU) est une paire où avec n ? 2 est un ensemble fini de joueurs et V est une fonction qui associe un nombre réel V(S) à chaque sous-ensemble S de [28]. Il est supposé que V(Ø) = 0.
210Il est normalisé si V({i}) = 0 pour tout .
211Il est additif si V(S ? T) = V(S) + V(T) pour tout tels que S ? T = Ø.
212Il est suradditif si V(S ? T) ? V(S) + V(T) pour tout tels que S ? T = Ø.
213Nous noterons l’ensemble des imputations, c’est-à-dire l’ensemble des partages réalisables qui sont individuellement rationnels.
Nucléole
Définitions
214Soit X un sous-ensemble compact et convexe de ?n et soit x ? X. On note ?(x) le vecteur de dimension 2n dont les coordonnées sont les nombres pour , ordonnés des plus grands vers les plus petits, c’est-à-dire ?i(x) ? ?j(x) pour 1 ? i ? j ? 2n [29]. Le nucléole de (N, V) par rapport à X est l’unique [30] vecteur tel que ?(x*) est minimal, au sens de l’ordre lexicographique dans l’ensemble {?(y) | y ? X}. Le nucléole de par rapport à XIR sera appelé ici le nucléole ; il s’agit du nucléole tel qu’il a été défini originellement par Schmeidler [1969].
Calcul du nucléole
215Le nucléole est une solution compliquée du point de vue du calcul. Dans le cas où , Legros [1981] a montré qu’il y avait cinq régimes possibles. Pour ce faire, il considère un jeu V qui a été au préalable normalisé [31] et tel que (après permutation des joueurs, si nécessaire) V({1, 2, 3}) ? V({1, 2}) ? V({1, 3}) ? V({2, 3}). Les cinq classes et les nucléoles attachés à ces classes sont les suivants :
216Classe 1 :
218Classe 2 :
220Classe 3 :
222Classe 4 :
224Classe 5 :
226Davis and Maschler [1965] ont démontré que dans le cas où , le noyau [32] contient un unique partage qui coïncide donc nécessairement avec le nucléole. Ils développent aussi une formule de calcul du noyau en distinguant les différents cas de figure identifiés ci-dessus. Leur résultat est donc en tout point identique à celui établi ultérieurement par Legros.
Valeur de Shapley
227La valeur de Shapley (Shapley [1953]) du jeu est l’imputation définie comme suit :
229Les propriétés de la valeur de Shapley sont bien connues ainsi que ses multiples interprétations et variantes. On notera en particulier pour la suite que cette solution est linéaire, c’est-à-dire que si et sont deux jeux coopératifs avec le même ensemble de joueurs et si ? ? [0, 1]:
II – Calcul du Nucléole
231Bien que certains calculs soient redondants, il est utile de les décomposer en calculs simples et de rappeler, à cet effet, que le jeu est la somme (pondérée) de deux jeux coopératifs.
Le cas d’une prime majoritaire « pure » [33]
232Nous isolons ici la composante prime majoritaire dans le calcul du nombre de conseillers. On présente d’abord le cas où les trois joueurs susceptibles de nouer ensemble des alliances sont présents, puis ceux où seuls deux partis sont susceptibles de se partager la prime. Les joueurs sont supposés ordonnés par scores de premier tour décroissants. On utilise ici la typologie des configurations électorales détaillée dans la dernière sous-section consacrée à l’Analyse systématique des régions métropolitaines. La combinatoire du problème est particulièrement simple ici puisqu’il n’y a que cinq configurations possibles quand il y a trois joueurs (cas A à E), et deux configurations quand il n’y a que deux joueurs (cas A’ et D’) [34].
Cas A. Il y a trois joueurs, le joueur 1 est incontournable et n’a pas besoin d’alliance pour gagner
233La fonction caractéristique s’écrit :
Cas B. Il y a trois joueurs, le joueur 1 est incontournable et une alliance avec 3 lui suffit pour gagner
234La fonction caractéristique s’écrit :
Cas C. Il y a trois joueurs, le joueur 1 est incontournable et une alliance avec 2 est nécessaire pour gagner
235La fonction caractéristique s’écrit :
Cas D. Il y a trois joueurs, et seule la grande coalition est gagnante
236La fonction caractéristique s’écrit :
Cas E. Il y a trois joueurs, et toutes les alliances composées de deux partis sont gagnantes
237La fonction caractéristique s’écrit :
239On vérifie que ce cas entre dans la classe 5 de Legros, qui prédit que les trois joueurs se partagent égalitairement la prime.
240Envisageons à présent les deux cas où seuls les partis 1 et 2 sont présents.
Cas A’. Il y a deux joueurs, le joueur 1 est incontournable et n’a pas besoin d’alliance pour gagner
241La fonction caractéristique s’écrit :
Cas D’. Il y a deux joueurs, et seule la grande coalition est gagnante
242La fonction caractéristique s’écrit :
Le cas d’un scrutin proportionnel « pur »
243Nous isolons ici la composante proportionnelle dans le calcul du nombre de conseillers. Ce calcul séparé, plus simple que le calcul général qui suit, permet de comprendre la logique à l’œuvre dans le cas où l’effet prime est absent. Notons Ni le nombre d’électeurs du parti i pour i = 1, 2, 3 (les partis 1, 2, 3 sont classés par nombres d’électeurs décroissants) et N4 le nombre total d’électeurs des partis (autres que les partis 1, 2 et 3) pouvant se maintenir seuls au second tour (nous avons supposé qu’aucune alliance n’était possible entre les listes autres que 1, 2, 3). Nous noterons . Nous commençons par supposer que les trois partis ont un score les autorisant à participer à une alliance (cas 1, 2, 3), puis envisageons les cas où le parti 3 ne peut pas se maintenir (cas 1’et 2’).
Cas 1. Les partis 1, 2 et 3 peuvent se maintenir seuls au second tour
244Dans ce cas, le jeu est additif et le nucléole prédit (sans surprise) que chaque parti reçoit une part proportionnelle au nombre de ses électeurs.
Cas 2. Seuls les partis 1 et 2 peuvent se maintenir sans alliance, le parti 3 a besoin d’une alliance
245Dans ce cas, la fonction caractéristique s’écrit :
247Notons que la coalition {1, 2} fait mieux que la somme de ses membres, puisqu’en se formant, elle exclut le joueur 3. Le joueur 3 ne pouvant se maintenir, les voix de 1 et 2 sont moins diluées, et à nombres de voix constants, ils remportent plus de sièges.
248Après normalisation, on obtient :
250Dans ce cas, . En notant 1? = 3, 2? = 2 et 3? = 1, on peut appliquer Legros aux joueurs 1?, 2?, 3?. On a et nous sommes dans la cinquième classe répertoriée par Legros.
251Nous en déduisons :
253et donc :
Cas 3. Seul le parti 1 peut se maintenir sans alliance, les partis 2 et 3 ont besoin d’une alliance
255Dans ce cas, la fonction caractéristique s’écrit :
257c’est-à-dire après normalisation :
259Dans ce cas, . Puisque :
261nous sommes dans la troisième classe répertoriée par Legros. Nous en déduisons :
263et donc :
265Il reste à considérer le cas où le parti 3 ne peut pas « jouer ». Le parti 3 obtient 0 sièges.
Cas 1’. Les partis 1 et 2 peuvent se maintenir seuls au second tour, 3 ne peut pas se maintenir, même avec alliance [35]
266Les seuls joueurs actifs sont donc les joueurs 1 et 2. Si le parti 2 peut se maintenir seul, le jeu est additif et le nucléole est proportionnel au vecteur des scores :
Cas 2’. Seul le parti 1 peut se maintenir sans alliance, 2 a besoin d’une alliance pour se maintenir, et même avec alliance 3 ne peut pas se maintenir
268Dans ce cas, la fonction caractéristique s’écrit :
270c’est-à-dire après normalisation :
272d’où l’on déduit :
274Naturellement, si le parti 2 est trop faible pour participer à une alliance, le jeu disparaît complètement.
Le cas mixte
275Considérons tout d’abord le cas où les trois partis peuvent participer à des jeux d’alliance. En couplant les deux composantes du jeu, nous avons quatorze configurations possibles. En effet, d’après la typologie établie plus haut, il y a trois cas de figure pour la composante proportionnelle (cas 1 à 3), et cinq cas de figure pour la composante prime (cas A à E). Toutes les combinaisons sont logiquement possibles à l’exception de la combinaison 3.E. où 3 requiert que seul le parti 1 peut se maintenir sans alliance et où E requiert que la coalition {2, 3} est en mesure de remporter la prime. Cela fait donc au total (3 * 5) - 1 = 14 cas possibles.
276Quand maintenant seuls deux partis peuvent participer aux jeux d’alliance, nous avons quatre configurations possibles. En effet, il y a deux cas de figure pour la composante proportionnelle (cas 1’et 2’) et deux cas de figure pour la composante prime (cas A’ et B’).
Cas 1. Les trois partis peuvent se maintenir
277Dans ce cas, le premier jeu est additif et le nucléole n’est rien d’autre que la somme des nucléoles des deux jeux.
Cas 2. Seuls les partis 1 et 2 peuvent se maintenir sans alliance
Cas 2.A. Le parti 1 peut se garantir la prime sans alliance
278Dans ce cas, la fonction caractéristique s’écrit :
280c’est-à-dire après normalisation :
282Dans ce cas, le jeu normalisé est réduit à un jeu sans prime. Il est identique au cas 2 de la composante proportionnelle étudiée dans l’annexe III (infra). Et le nucléole est là encore la somme des nucléoles des deux jeux. Nous obtenons donc :
Cas 2.B. Le parti 1 a besoin de s’allier avec le parti 2 ou le parti 3 pour garantir la prime
284Dans ce cas, la fonction caractéristique s’écrit :
286c’est-à-dire après normalisation :
288Puisque , nous sommes dans la classe 4 ou la classe 5 de Legros. On vérifie facilement que seule la classe 5 subsiste. On obtient donc :
290Là encore, le nucléole est la somme des nucléoles des deux jeux. En particulier, on obtient le même partage que dans le cas 2.A.
Cas 2.C. Le parti 1 a besoin de s’allier nécessairement avec le parti 2 pour garantir la prime
291Dans ce cas, la fonction caractéristique s’écrit :
293c’est-à-dire après normalisation :
295Nous avons : .
296Si , c’est-à-dire lorsque :
298nous sommes nécessairement dans la classe 5. Par conséquent :
300Si en revanche :
302nous pouvons être dans la classe 4 ou la classe 5. Nous serons dans la classe 4 lorsque :
304Notons que :
306Par conséquent, quand :
308nous sommes dans la classe 4 et :
310Dans le cas contraire où :
312nous sommes dans la classe 5 et :
Conclusion
314Si
316le nucléole vaut :
318Sinon, il vaut :
320Notons que, dans tous les cas, les partis 1 et 2 obtiennent davantage que la somme des nucléoles des deux composantes.
Cas 2.D. Les trois partis sont nécessaires pour la prime
321Dans ce cas, la fonction caractéristique s’écrit :
323c’est-à-dire après normalisation :
325On remarque que : . Nous sommes dans la classe 1 de Legros lorsque :
327c’est-à-dire lorsque :
329Dans ce cas :
331Notons que, dans ce cas-là, les partis 1 et 2 reçoivent plus que la somme des nucléoles dans les deux composantes du jeux.
332Si nous ne sommes pas dans la classe 1, nous ne pouvons être dans la classe 2. Nous sommes dans la classe 3 lorsque :
334Dans ce cas :
336Si nous ne sommes pas dans la classe 3, nous ne pouvons être dans la classe 4. Nous sommes dans la classe 5 lorsque :
338Dans ce cas :
340et on remarque que le nucléole est la somme des nucléoles des deux jeux.
Cas 2.E. En s’alliant, les partis 2 et 3 peuvent se garantir la prime
341Dans ce cas, la fonction caractéristique s’écrit :
343c’est-à-dire après normalisation :
345Ici . On vérifie facilement que nous sommes dans la classe 5. Par conséquent :
347et on remarque que le nucléole est la somme des nucléoles des deux composantes du jeu.
Cas 3. Seul le parti 1 peut se maintenir sans nouer d’alliance
Cas 3.A. Le parti 1 peut se garantir la prime sans alliance
348Dans ce cas, la fonction caractéristique s’écrit :
350Nous sommes ramenés au calcul sans prime. Nous en déduisons :
Cas 3.B. Le parti 1 a besoin de s’allier avec le parti 2 ou le parti 3 pour garantir la prime
352Dans ce cas, la fonction caractéristique s’écrit :
354c’est-à-dire après normalisation :
356Encore une fois, puisque , seules les trois premières classes sont à considérer. Nous serons dans la classe 1 lorsque :
358ce qui est impossible. Il reste donc à examiner les classes 2 et 3. On vérifie aussi que la classe 2 est impossible. Il reste donc exclusivement la classe 3. On en déduit :
360et on remarque que le nucléole est la somme des nucléoles des deux composantes du jeu.
Cas 3.C. Le parti 1 a besoin de s’allier nécessairement avec le parti 2 pour garantir la prime
361Dans ce cas, la fonction caractéristique s’écrit :
363Comme dans les deux cas précédents, les classes 4 et 5 peuvent être éliminées. Un raisonnement identique à celui du cas précédent permet aussi d’éliminer les classes 1 et 2. Il ne subsiste que la classe 3. Par conséquent :
365et on remarque que le nucléole est la somme des nucléoles des deux composantes du jeu.
Cas 3.D. Les trois partis sont nécessaires pour la prime
366Dans ce cas, la fonction caractéristique s’écrit :
368c’est-à-dire après normalisation :
370Puisque , seules les trois premières classes sont à considérer. Nous serons dans la classe 1 lorsque :
372c’est-à-dire :
374Dans ce cas :
376Nous serons dans la classe 2 lorsque :
378et dans ce cas :
380Enfin, nous serons dans la classe 3 lorsque :
382Dans ce cas :
384Les partis 2 et 3 obtiennent dans ce cas plus que la somme des nucléoles des deux composantes.
Cas 1’. Les partis 1 et 2 peuvent se maintenir seuls, le parti 3 ne peut pas faire alliance
385Dans ce cas, nous avons un jeu à deux joueurs : les partis 1 et 2.
Cas 1’.A’. Le parti 1 n’a pas besoin du parti 2 pour se garantir la prime
Cas 1’.D’. Le parti 1 a besoin du parti 2 pour garantir la prime
Cas 2’. Le parti 1 peut se maintenir seul, 2 a besoin d’une alliance, 3 ne peut pas se maintenir même avec alliance
Cas 2’.A’. Le parti 1 n’a pas besoin du parti 2 pour garantir la prime
389c’est-à-dire après normalisation :
391On en déduit :
Cas 2’.D’. Le parti 1 a besoin du parti 2 pour garantir la prime
394c’est-à-dire après normalisation :
396On en déduit :
Conclusion sur le cas mixte
398Les seuls cas où le nucléole peut différer de la somme des nucléoles des deux composantes du jeu sont les suivants : 2C, 2D et 3D. Dans les quinze autres cas logiquement possibles, le nucléole est la somme des nucléoles des deux composantes. Comme le montrent les tableaux 5a, 5b, 5c, dans tous les cas rencontrés en pratique dans les régions françaises étudiées, le nucléole est la somme des nucléoles des deux composantes.
III – Calcul de la valeur de Shapley
399La valeur de Shapley est une solution additive. Nous pouvons donc étudier séparément les deux composantes du jeu. Nous le faisons d’abord dans le cas où trois joueurs sont présents dans chaque composante.
Le cas d’une prime majoritaire « pure »
400Reprenons les cas distingués lorsqu’a été calculé le nucléole dans le cas d’une prime majoritaire « pure » dans l’annexe II.
401Cas A : les contributions marginales des joueurs 2 et 3 sont toujours nulles, et le parti 1 obtient toute la prime.
402Cas B : la contribution marginale du joueur 2 ou 3 est non nulle seulement dans le cas où ce joueur rejoint le parti 1 seul. Chacun de ces deux joueurs obtient donc 1/6e de la prime, le parti 1 recevant les deux tiers restants.
403Cas C : la contribution marginale du joueur 3 est toujours nulle, tandis que les joueurs 1 et 2 sont dans des situations symétriques : ces deux joueurs se partagent donc égalitairement la prime.
404Cas D et E : les trois joueurs sont dans des situations rigoureusement symétriques : ils se partagent donc égalitairement la prime.
405Cas A’ : la contribution marginale du joueur 2 est toujours nulle, le joueur 1 remporte toute la prime.
406Cas D’ : les deux joueurs sont dans des situations symétriques : ils se partagent donc égalitairement la prime.
407Remarque. La prédiction de la valeur de Shapley coïncide avec celle du nucléole dans tous les cas, sauf le cas B où le nucléole attribue l’intégralité de la prime au joueur 1.
Le cas d’un scrutin proportionnel « pur »
Cas 1. Les partis 1, 2 et 3 peuvent se maintenir seuls
408Dans ce cas, chaque parti reçoit une part des sièges proportionnelle à son nombre d’électeurs :
Cas 2. Seuls les partis 1 et 2 peuvent se maintenir sans alliance, le parti 3 a besoin d’une alliance
409Dans ce cas, la fonction caractéristique est donnée par (1), et on peut calculer la contribution marginale de chaque joueur, selon la coalition qu’il rejoint.
410Le tableau se lit de la manière suivante. Dans chaque ligne, on indique l’ordre de formation de la coalition ; par exemple, dans la ligne 123, on considère l’ordre suivant : 1 est d’abord seul, rejoint par 2, et ensuite 3 rejoint la coalition {1, 2}. Dans chaque colonne, on lit alors la contribution marginale de chaque joueur pour cet ordre de formation. Lorsque le joueur 1 est seul, il apporte la contribution , lorsque 2 rejoint 1, il apporte la contribution marginale , et enfin lorsque 3 rejoint la coalition {1, 2}, il apporte la contribution marginale .
411La valeur de Shapley attribue au joueur 1 la moyenne de ses contributions marginales pour les six ordres de formation possibles de la grande coalition. Examinons ces différentes contributions marginales. Quand le joueur 1 rejoint le joueur 2 seul (ligne 213), sa contribution marginale est supérieure à à cause de l’« effet dilution ». En effet, la coalition {1, 2} fait mieux que la somme de ses membres, puisqu’en se formant, elle exclut le joueur 3. Le joueur 3 ne pouvant se maintenir, les voix de 1 et 2 sont moins diluées, et à nombres de voix constants, ils remportent plus de sièges. Quand le joueur 1 rejoint le joueur 3 seul (ordre 312), il permet au joueur 3 de se maintenir, et le gain marginal est donc . Là encore, sa contribution marginale est supérieure à sa valeur de Gamson, à cause de cet « effet maintien » : il permet au joueur 3 de poursuivre au second tour. S’il rejoint la coalition {2, 3}, la contribution marginale est exactement égale à puisque le joueur 3 pouvait déjà se maintenir grâce à la présence du joueur 2.
412On raisonne de la même manière pour les joueurs 2 et 3. On en déduit les valeurs de Shapley :
414Dans ce cas, le joueur 3 obtient moins que sa valeur de Gamson (à cause de l’effet maintien et de l’effet dilution). La différence est répartie également entre 1 et 2.
415Remarque. Shapley rémunère plus les listes 1 et 2 que ne le fait le nucléole.
Cas 3. Seul le parti 1 peut se maintenir sans alliance, les partis 2 et 3 ont besoin d’une alliance
416Dans ce cas, la fonction caractéristique est donnée par (2), et on peut calculer la contribution marginale de chaque joueur, selon la coalition qu’il rejoint.
417On en déduit des valeurs de Shapley :
418Remarque. Shapley rémunère moins la liste 1 que ne le fait le nucléole.
419Considérons à présent les cas où seuls deux joueurs sont actifs.
Cas 1’. Les partis 1 et 2 peuvent se maintenir seuls au second tour, même avec alliance le parti 3 ne peut pas se maintenir [36]
420Les seuls joueurs actifs sont donc les joueurs 1 et 2. Si le parti 2 peut se maintenir seul, le jeu est additif et la valeur de Shapley, tout comme le nucléole, est proportionnelle au vecteur des scores :
Cas 2’. Seul le parti 1 peut se maintenir sans alliance, le parti 2 a besoin d’une alliance pour se maintenir, et même avec alliance le parti 3 ne peut pas se maintenir
422En utilisant la fonction caractéristique donnée en (3), on peut calculer la contribution marginale de chacun des deux partis à la coalition, selon son ordre de formation :
423D’où les valeurs de Shapley :
IV – Résultats électoraux détaillés par région
424Cette annexe présente les résultats détaillés pour les régions Aquitaine, Auvergne et Bretagne. Les données ont été obtenues sur le site du ministère de l’Intérieur : http://www.interieur.gouv.fr/sections/a_votre_service/elections/actualites/regionales-2010
Résultats détaillés région Aquitaine, élections régionales des 14 et 21 mars 2010
Résultats détaillés région Aquitaine, élections régionales des 14 et 21 mars 2010
Bibliographie
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Notes
-
[*]
Toulouse School of Economics (uti-gremaq) et Institut Universitaire de France. Correspondance : Toulouse School of Economics, cnrs-gremaq, 21 allée de Brienne, 31000 Toulouse. Courriel : michel.lebreton@tse-fr.eu.
-
[**]
Toulouse School of Economics (cnrs-gremaq). Correspondance : Toulouse School of Economics, cnrs-gremaq, 21 allée de Brienne, 31000 Toulouse. Courriel : karine.van-der-straeten@tse-fr.eu.
Nous remercions les deux arbitres anonymes de leurs critiques et suggestions très constructives. Nous remercions aussi Nonna Mayer de ses commentaires à l’occasion d’une présentation de ce travail devant un public de politologues français. Nous remercions enfin les autres participants à ce workshop de leurs remarques et Jérôme Renault qui a attiré notre attention sur le fait que les jeux considérés dans cet article étaient des jeux régionaux indépendants et non un jeu national dont les trois joueurs (les trois principales formations politiques à gauche de l’échiquier) auraient joué simultanément plusieurs jeux d’alliance et de partage. -
[1]
Notons que le jeu est bien un jeu entre les listes présentes au premier tour, et non entre les individus composant ces listes, puisque les listes ne peuvent pas se morceller en plusieurs sous-listes avec des stratégies différentes.
-
[2]
Un jeu coopératif est dit suradditif si le paiement obtenu par une alliance entre deux coalitions disjointes est au moins aussi grand que la somme des paiements des deux coalitions prises séparément.
-
[3]
Ce jeu est très proche d’un jeu analysé par Gamson [1960] et construit sur la base de la norme de proportionnalité.
-
[4]
En toute rigueur, une liste ayant dépassé le seuil peut aussi se retirer de la compétition et ne pas se maintenir au second tour. On négligera cette possibilité dans la suite et considérera que toutes les listes ayant dépassé ce seuil se maintiennent au second tour (seules ou en fusionnant).
-
[5]
On supposera, pour éviter les cas triviaux, que R2 ? 1 : au moins, une liste peut se maintenir au second tour.
-
[6]
Dans un travail en cours avec les politologues Nonna Mayer et Nicolas Sauger, nous envisageons des matrices de mobilité plus générales.
-
[7]
En présence d’externalités entre coalitions, la fonction caractéristique devient une notion plus problématique (Rosenthal [1972]). Nous discutons dans la version document de travail de cet article (Le Breton et Van der Straeten [2012]) le concept plus général de fonction de partition.
-
[8]
À proprement parler, la question de la mise en œuvre pratique de la solution de partage est ignorée ici car nous avons écarté les difficultés attachées à l’incertitude et aux nombres entiers. Pour une analyse des seat allocation functions, voir Dunz [2011].
-
[9]
Pour paraphraser Aumann et Drèze [1974], on peut ainsi dire de notre article que :
« If the reader wishes, he may view the analysis here as part of a broader analysis, which would consider simultaneously the process of coalition formation and the bargaining of the payoff… Our analysis has been concerned with this last topic, and should thus be understood as a contribution to partial equilibrium analysis. »
En fait, à part quelques articles ad hoc sur le sujet, la théorie des jeux coopératifs n’a pas développé une approche générale et convaincante. C’est bien entendu dommage, et nous partageons amplement le point de vue exprimé par Maschler [1992] :
« Consider a group of players who face a game. A basic question should be: What coalitions will form and how will their members share the proceeds? In my opinion, no satisfactory answer has so far been given to this important question. The current theory answers a more modest question: how would or should the players share the proceeds, given that a certain coalition structure has formed? » -
[10]
Voir Le Breton, Ortuno-Ortin et Weber [2008].
-
[11]
Le lecteur trouvera dans le document de travail Le Breton et Van der Straeten [2012] une présentation plus détaillée de ces deux solutions et de leurs relations avec d’autres solutions comme par exemple le noyau, l’ensemble de marchandage et le cœur. Il y trouvera aussi une discussion informelle de la logique objection/contre-objection à l’œuvre dans ces solutions.
-
[12]
On supposera ici que toutes les coalitions sont admissibles.
-
[13]
Nucleolus en anglais.
-
[14]
Plus généralement, on pourrait considérer n’importe quel sous-ensemble X convexe et compact de Rn comme ensemble des plateformes de négociation concevables.
-
[15]
La variable K ne joue aucun rôle dans cette analyse ; par ailleurs, nous négligeons les problèmes de nombres entiers.
-
[16]
On abandonne ici la convention selon laquelle les listes sont classées par score de premier tour décroissant.
-
[17]
Cette estimation quantitative est une étape essentielle et incontournable dans la construction d’un modèle économétrique dont l’ambition serait d’expliquer comment se fait le partage lorsqu’il est supposé résulter d’un marchandage. Rejeter ou accepter cette hypothèse sur la base des données observées en mettant en place un authentique modèle statistique nécessiterait une modélisation plus complexe qui est discutée en conclusion.
-
[18]
Pour plus de lisibilité, dans toute cette sous-section, l’indice des partis est remplacé par leur sigle. Par ailleurs, on abandonne l’exposant 1 qui fait référence au premier tour de l’élection.
-
[19]
S’ajoute aussi le cas où même la grande alliance ne permet pas de remporter la prime.
-
[20]
Si la loi électorale permettait à deux (ou plus) listes de premier tour ayant toutes un score minimal de 5 % de s’allier pour le second tour lorsque la somme de leurs scores excède 10 %, le jeu serait différent. On pourrait, par exemple, avoir un ps à 15 %, ee et fg à 9 % et l’ump à 16 %. En pareil cas, le pouvoir de ee et de fg est bien entendu renforcé.
-
[21]
Là encore s’ajoute aussi le cas où même la grande alliance n’est pas en mesure de remporter la prime.
-
[22]
En effet, rappelons qu’on a en outre fait l’hypothèse que ni l’ump, ni aucun parti autre que le ps, ee et le fg, ne peut nouer d’alliance.
-
[23]
Dans un travail ultérieur, nous souhaitons examiner de façon plus rigoureuse la question du traitement du risque (marge d’erreur, …). Pour ce faire, il faudra développer un modèle stochastique décrivant les flux d’électeurs entre les deux tours (dans tous les états possibles du système) et, le cas échéant, passer d’un jeu à utilité transférable à un jeu sans utilité transférable.
-
[24]
Pays de la Loire est l’unique région où les solutions de négociation attribuent sans ambiguïté moins de sièges au ps que ne le fait Gamson. En effet, dans cette région, les deux formations actives (ps et ee) peuvent se maintenir seules sans nouer d’alliance, les solutions de négociation coïncident donc avec Gamson pour la composante proportionnelle du jeu. Concernant la prime, les solutions de négociation attribuent la moitié de la prime seulement au ps, ce qui est moins que son poids électoral au sein de la coalition de gauche.
-
[25]
Ce document de travail a été découvert par les auteurs alors qu’ils préparaient la révision du présent article. L’analyse de Karl Dunz est complémentaire de la nôtre en ce qu’elle effectue un traitement quantitatif plus systématique des régions françaises. En revanche, elle ne comporte pas de modélisation explicite des jeux de négociation, ni de calculs des solutions de marchandage.
-
[26]
Même si notre modèle n’est pas économétrique, il se prête tout à fait à un travail appliqué pouvant préparer un travail économétrique plus approfondi. Nous aimerions attirer l’attention sur le fait que notre démarche est identique à celle qui est utilisée dans les travaux évoqués dans l’introduction concernant le partage des portefeuilles ministériels dans les démocraties parlementaires. Le jeu d’alliances considéré par ces auteurs est un cas particulier de notre modèle. Il correspond au cas où , , et où le vecteur de dimension P1 s’interprète comme le vecteur des sièges de députés dans l’assemblée qui élit le gouvernement : est le nombre de députés affiliés au parti m. Dans ce modèle particulier, pour constraster la solution de Gamson et une solution de marchandage, il faut, comme dans notre article, décliner les implications mathématiques de la solution de marchandage. C’est exactement ce que font Laver et Schofield [1998] pour deux solutions de marchandage : le noyau et une autre solution de marchandage due à Schofield [1978]. Ils calculent avec exactitude les implications en matière d’allocations de portefeuilles des différentes solutions et acceptent ou rejettent une solution sur la base de ces calculs.
-
[27]
On pourra consulter Myerson [1991], Osborne et Rubinstein [1994], Owen [2001] et Peleg et Sudhölter [2003].
-
[28]
On supposera ici que toutes les coalitions sont admissibles.
-
[29]
Ce vecteur est appelé le vecteur des excès induit par x.
-
[30]
Pour une preuve de l’unicité, on pourra consulter Peleg and Sudhölter [2003].
-
[31]
Comme la plupart des solutions, le nucléole vérifie la propriété suivante. Soient V un jeu quelconque et W un jeu additif. Alors, Nu(V + W) = Nu(V) + Nu(W). En revanche, contrairement à la valeur de Shapley, cette formule n’est pas vraie (en général) lorsque W est quelconque.
-
[32]
Faute de place, la notion de noyau n’est pas définie ici. Nous renvoyons le lecteur à la version longue de notre article (Le Breton, Van der Straeten [2012].
-
[33]
Le jeu est ici un jeu simple (un jeu dont la fonction caractéristique prend exclusivement les valeurs 0 et 1) à trois joueurs. Le calcul du nucléole dans le cas de jeux simples comportant un nombre plus élevé de joueurs a fait l’objet d’une vaste littérature.
-
[34]
On ne considère ici que les cas où la grande coalition est gagnante. À ces cas s’ajoutent ceux où la grande alliance (formée de deux ou trois partis selon que le parti 3 puisse se maintenir ou non) n’arrive pas en tête.
-
[35]
Les situations où le ps et le Front de gauche ont conclu une alliance pré-électorale et ont présenté une liste commune dès le premier tour s’analysent de manière similaire. Dans les formules qui suivent, il suffit de prendre N3 = 0.
-
[36]
Comme noté lors du calcul du nucléole, les situations où le PS et le Front de gauche ont conclu une alliance pré-électorale et ont présenté une liste commune dès le premier tour s’analysent de manière similaire. Dans les formules qui suivent, il suffit de prendre N3 = 0.