Couverture de RECO_626

Article de revue

Le dérapage des dettes publiques en questions

Un essai d'inventaire

Pages 981 à 1000

Notes

  • [*]
    leo, Université d’Orléans. Correspondance : rue de Blois, BP 6739, 45067 Orléans cedex 2. Courriel : Jean-Paul.Pollin@univ-orleans.fr
  • [1]
    L’ocde considère que le jeu des stabilisateurs automatiques a induit sur la période 2008-2010 une variation du solde budgétaire trois fois plus forte que celle résultant de l’action budgétaire discrétionnaire.
  • [2]
    Durant la même période, le taux d’endettement des pays émergents est resté stable à 36 % du pib.
  • [3]
    Cf. notamment fmi, World Economics Outlook, septembre, chap. 4, 2009, et D. Furceri et A. Mourougane, « The Effect of Financial Crises on Potential Output : New Empirical Evidence from oecd Countries », Working Paper ocde, 2009.
  • [4]
    Nous reprenons ici le chiffrage du fmi (Fiscal Monitor). Il s’explique notamment par la perte de pib liée à la crise. Si l’on considère que cette perte se situera entre 5 et 10 % de pib, avec un taux de prélèvement de 40 % et en supposant que la croissance des dépenses publiques est restée et restera inchangée, on aboutit à un déficit structurel compris entre 2 et 4 % du pib. Ce qui s’ajoute naturellement au déficit structurel qui existait déjà avant la crise.
    Une baisse du taux de croissance potentielle aboutirait, quant à elle, à une augmentation continue de ce déficit structurel, si l’évolution des dépenses publiques n’est pas corrigée.
  • [5]
    Ce taux correspond à celui qui a été observé durant les quinze dernières années précédant la crise dans les économies développées. Il est aujourd’hui sensiblement plus faible, et même négatif. Mais il devrait augmenter à l’avenir du fait de la normalisation des politiques budgétaires, de l’augmentation perçue des risques souverains et de la réduction des mouvements de capitaux en provenance des pays émergents.
  • [6]
    Ce résultat est très proche des estimations données par le fmi. Cf. notamment Cottarelli et Vinals, « A Strategy for Renormalizing Fiscal and Monetary Policies in Advanced Economies », Staff Position Note, septembre 2009, ou, encore, « Fiscal Exit : From Strategy to Implementation », Fiscal Monitor, novembre 2010.
  • [7]
    Sur les trente dernières années, huit pays développés ont procédé à des ajustements budgétaires supérieurs à 10 % du pib. Cf. fmi, « Strategies for Fiscal Consolidation in the Post Crisis World », février 2010.
  • [8]
    Au demeurant, le surplus budgétaire, atteint au bout de dix ans, serait excessif pour rester au niveau de taux d’endettement retenu. Ce qui plaide pour un ajustement plus long et donc moins brutal.
  • [9]
    De ce point de vue, on observe qu’après avoir baissé au début de la crise la maturité moyenne des dettes publiques des pays développés s’est redressée depuis le début 2009 ; ce qui traduit un certain retour de confiance des investisseurs et la volonté des émetteurs de « prolonger » le bénéfice de taux d’intérêt historiquement bas. Quant à la proportion de ces dettes détenue par les non-résidents, elle est pratiquement inchangée depuis 2007, alors qu’elle avait sensiblement augmenté dans la première moitié de la décennie.
  • [10]
    Cf. R. Barro, « The Determination of the Public Debt », Journal of Political Economy, 87, 1979, p. 940-971, et A. Marcet et A. Scott, « Debt and Deficit Fluctuations and the Structure of Bond Markets », Journal of Economic Theory, 2009.
  • [11]
    Cf. C. Reinhart et K. Rogoff, « Growth in a Time of Debt », American Economic Review, mai, 2010, p. 573-578.
  • [12]
    Le fmi estime qu’une amélioration du solde budgétaire de 1 % réduit le pib de 1 % au bout de deux ans, dans le cas où le taux d’intérêt nominal est nul. Cinq ans après, la perte de pib est encore de 0,5 %. Cf. World Economic Outlook, octobre 2010, chap. 3.
  • [13]
    On remarque cependant une faible augmentation du taux d’endettement public entre la fin 2001 et 2004 en zone euro et aux États-Unis, du fait de la baisse d’activité qui a suivi l’éclatement de la bulle Internet et les événements de septembre 2001. Il est vrai que les pays développés ont connu, durant ces trente dernières années, des déficits persistants de l’ordre de 3 % du pib par an, en moyenne. Mais le calcul montre qu’un tel déficit est compatible avec une stabilité du taux d’endettement public (de 60 %) pour un taux d’intérêt nominal de 4 % et un taux de croissance nominale de 5 %. Or, « les excès d’épargne globale » ont permis la formation de taux d’intérêt historiquement faibles à partir de la fin des années 1990.
  • [14]
    Cet enchaînement n’a d’ailleurs rien d’original. En étudiant les crises financières sur une longue période, Reinhart et Rogoff montrent que les crises de dettes souveraines sont souvent précédées par des crises bancaires et que les dettes privées se transforment en dettes publiques lorsque la crise se manifeste. Cf. C. Reinhart et K. Rogoff, « From Financial Crash to Debt Crisis », Working Paper, nber, n° 15795, 2010.
  • [15]
    On peut aussi penser à la création d’une agence permettant aux pays partenaires d’émettre, en respectant certaines règles, des dettes qui seraient collectivement garanties. Cette solution serait peut être un substitut plus acceptable à l’idée d’un organisme supranational de discipline budgétaire. Mais les mérites et la viabilité d’un tel dispositif restent à étudier. Que se passera-t-il lorsqu’un État sera contraint d’émettre de la dette ne disposant plus de la garantie collective ? Pourra-t-on mieux qu’aujourd’hui le laisser gérer son problème sans intervenir ?
  • [16]
    En fait, on ne saurait oublier que ces tâches d’appréciation des politiques budgétaires sont déjà assurées par un bon nombre d’organismes publics et privés aux niveaux national et international : les Cours des comptes, le fmi, l’ocde, la Commission européenne, les instituts de conjoncture, les services d’études des administrations, entreprises, institutions financières… Les conseils budgétaires indépendants auraient principalement pour fonction d’officialiser, par la reconnaissance qu’on leur prêterait, une expertise du même ordre.
  • [17]
    Cf. T. Davig, E. Leeper et T. Walker, « Inflation and the Fiscal Limit », nber Working Paper n° 16495, 2010, ainsi que E. Leeper et T. Walker, « Fiscal Limits in Advanced Economies », nber Working Paper, n° 16819, 2011.

1Confrontés à la plus grande crise depuis celle de 1929, les dirigeants des pays développés sont intervenus massivement pour secourir le système financier et soutenir l’activité économique en mobilisant tous leurs instruments d’action. Ils ont, en particulier, sollicité la politique budgétaire pour recapitaliser les banques, subventionner certains secteurs, accorder des aides à l’emploi (notamment le travail à temps partiel), engager des investissements... Mais le soutien budgétaire à la conjoncture est surtout venu du jeu des stabilisateurs automatiques, c’est-à-dire de la baisse des recettes fiscales et de l’augmentation des dépenses (allocations chômage, transferts...) induites par la forte récession de l’activité économique [1].

2En définitive, l’addition des actions délibérées et des effets mécaniques a provoqué une importante dégradation des soldes budgétaires et une croissance préoccupante des dettes publiques. On estime que l’endettement public de l’ensemble des pays industrialisés, pris globalement, s’est accru d’environ 24 % de pib entre 2007 et 2010 pour atteindre à peu près 97 %, avec naturellement des différences importantes entre pays dont atteste le tableau suivant [2] :

Dette publique sur pib

tableau im1
2007 2010 Allemagne Espagne États-Unis France Grèce Italie Irlande Japon Royaume-Uni 65 36 62 64 105 104 25 188 44 80 60 92 82 142 119 96 220 77

Dette publique sur pib

Source : fmi, Fiscal Monitor.

3Un tel dérapage ne peut être accepté pour diverses raisons et notamment parce qu’il est susceptible de s’autoentretenir et d’hypothéquer la croissance future des économies considérées. Pour cette raison, nombre d’observateurs considèrent que la réduction des dettes publiques sera le défi majeur de politique économique auquel auront à faire face les responsables des pays développés dans les cinq ou dix années à venir. Mais en même temps, deux à trois ans après le début de la « Grande Récession », la reprise dans certains pays est loin d’être acquise. Le choc a été si rude que les réponses apportées n’ont peut-être pas été suffisantes et l’on se demande s’il est opportun d’inverser le cours de la stimulation budgétaire.

4Il est vrai que l’appréciation des retournements conjoncturels reste un exercice difficile. Il est vrai aussi que les déséquilibres, qui sont à l’origine de la crise (excroissance du secteur financier, déséquilibres de balances des paiements, désindustrialisation de certains pays, inégalités de revenus…), n’ont pas été traités, ni même ne sont en passe de l’être. Or l’accumulation des dettes publiques est évidemment la conséquence et non la cause de ces déséquilibres. Mais est-ce une raison suffisante pour laisser le dérapage se poursuivre ?

5Les autorités de politique économique se trouvent ainsi placées devant un choix compliqué. D’un côté, elles doivent trouver le moyen de s’opposer au dérapage des finances publiques ; de l’autre, elles doivent éviter de l’aggraver en cherchant trop brutalement à y faire face. Or, la difficulté de la situation incite peut-être à ne rien faire, ou à repousser les décisions, bref à accentuer le biais court termiste de l’action politique, que l’on se plaît à dénoncer.

6Nous nous proposons de recenser et de mettre en perspective les diffé­rentes questions auxquelles renvoie ce dilemme, et que recouvrent très largement les contributions présentées à cette conférence. Pour ce faire, nous traiterons d’abord des évolutions prévues ou projetées des dettes publiques et de l’ampleur des corrections budgétaires qu’elles impliquent. Cela nous amènera à nous interroger sur le niveau et le rythme souhaitable de ces ajustements, avant de revenir sur les déséquilibres qui ont engendré la crise et dont la résolution est peut-être un préalable à la maîtrise de l’endettement public. Enfin, nous évoquerons les dispositions institutionnelles qui pourraient faciliter la prise d’engagements politiques crédibles en ce domaine.

Les ajustements budgétaires à la lumière des projections de dettes publiques

7De nombreuses projections des dettes publiques des pays développés ont été récemment réalisées. Toutes soulignent leur caractère inquiétant, même si elles restent entachées de beaucoup d’incertitudes. Il est acquis que, dans les deux ou trois années qui viennent, les dettes publiques vont encore augmenter, et il faut naturellement éviter que ce mouvement ne se prolonge. Mais les corrections budgétaires nécessaires pour y parvenir font l’objet d’évaluations fragiles et contradictoires.

Les ingrédients incertains d’une dynamique instable

8Cette poursuite annoncée de l’endettement public est due à plusieurs effets qui se cumulent :

  • l’impact persistant de la crise sur les déficits budgétaires. Il est lié à l’étalement dans le temps des mesures de soutien (notamment au secteur financier) et de relance, ainsi qu’au délai de retour à l’équilibre de l’activité économique qui pèse sur les rentrées fiscales ;
  • l’incidence de la crise sur la croissance potentielle. Les expériences historiques autant que l’analyse économique suggèrent que la crise laissera, sans doute, des traces durables sur le taux de croissance d’équilibre des économies développées [3]. Dès lors, si l’on ne recale pas l’évolution des dépenses publiques sur le nouveau rythme de croissance, ou si l’on tarde à le faire, la part de celles-ci dans le pib va naturellement augmenter alors que celle des recettes faiblira ;
  • l’effet « boule de neige » lié à l’accroissement des charges d’intérêt qui entretient la montée de la dette. On sait que l’accroissement du taux d’endettement qui en résulte est égal au produit de l’écart entre taux d’intérêt réel et taux de croissance par le niveau du taux d’endettement atteint. Dans la situation présente, cet effet serait loin d’être négligeable si les taux d’intérêt venaient à se redresser. Ce qui est déjà le cas dans certains pays ;
  • l’augmentation dans les années à venir des dépenses liées au vieillissement de la population, qui se traduira par une augmentation des dépenses de santé et des retraites du secteur public. Cette dérive, naturellement différente d’un pays à l’autre, est d’un ordre de grandeur très significatif dans le cas des Pays-Bas, des États-Unis, de l’Espagne et de l’Allemagne. Elle est plus faible dans le cas de l’Italie, de la France ou du Japon.
Le chiffrage de ces effets combinés repose sur un ensemble d’hypothèses qui rendent les exercices de prévisions aussi discutables qu’incertains. En particulier, le comportement de l’activité économique après la récession (y aura-t-il rattrapage partiel ou total des pertes de pib enregistrées ?) conditionne le niveau d’endettement de sortie de crise. Mais c’est surtout l’estimation du niveau d’activité et du taux de croissance potentiels qui s’avère ici cruciale. D’abord, parce qu’elle détermine l’évaluation du déficit structurel actuel (le niveau de déséquilibre dont on part). Ensuite, parce que cette estimation est centrale à la projection des déficits structurels à venir (donc des ajustements à opérer), en la conjuguant avec des hypothèses sur la sensibilité des recettes et des dépenses budgétaires par rapport au pib. C’est ici que se situe l’origine principale des différences, parfois considérables, que l’on peut observer entre les projections des divers organismes.

9Il faut ajouter que ce ne sont pas seulement les valeurs de ces variables et paramètres qu’il faut définir, ce sont aussi les relations qu’elles entretiennent. Par exemple, les projections devraient, en principe, modéliser les interdépendances entre taux de croissance, taux d’intérêt, niveau d’endettement et déficits. Théoriquement, on ne peut définir aucune de ces variables indépendamment des autres, y compris à long terme ; pourtant, les exercices de simulation ont du mal à prendre en compte ces effets et les négligent souvent. Il n’est pas facile, par exemple, de préciser la relation entre taux d’intérêt et taux d’endettement parce qu’elle dépend de la façon dont le marché apprécie et tarifie le risque souverain, mais aussi de la réaction des Banques centrales soucieuses de défendre leur crédibilité. De même, la relation entre croissance et déficits, constituée à la fois d’effets keynésiens et classiques, est importante lorsqu’il s’agit d’apprécier l’impact des corrections budgétaires. Les choix de modélisation sont ici déterminants, car, si l’on fait l’hypothèse de fortes rigidités nominales, d’imperfections financières et d’anticipations adaptives (un modèle keynésien traditionnel), le multiplicateur de dépense publique est élevé. Au contraire, il sera faible, voire nul, dans un modèle forward looking dans lequel la viscosité des prix et des taux d’intérêt n’est pas trop forte (un modèle dsge conventionnel). Dans ce dernier cas, un ajustement budgétaire apparaîtra peu coûteux.

Chiffrer les ajustements nécessaires

10Dès lors on comprend aisément qu’il soit possible, en jouant sur les hypothèses, de construire des trajectoires de dette très différentes. Par exemple, en supposant un rattrapage intégral du pib perdu (c’est-à-dire une croissance de l’économie supérieure à la croissance potentielle dans les deux ou trois années à venir) et une croissance potentielle inchangée, on stabilise le taux d’endettement sans avoir à engager de politique trop restrictive. En inversant les hypothèses, on engendre, par contre, une trajectoire explosive et l’on fait apparaître un besoin de correction très élevé dont l’efficacité dépend notamment du multiplicateur budgétaire de long terme.

11Dans ces conditions, on ne saurait considérer que ce genre d’exercice relève de la prévision. L’incertitude est telle que l’on peut tout juste prétendre dessiner des scénarios plus ou moins vraisemblables. Il est toutefois possible de donner un ordre de grandeur des ajustements requis, en utilisant des hypothèses proches de celles des organisations internationales (fmi, ocde, Commission européenne). En partant d’un taux d’endettement de 97 % du pib, si l’on suppose :

  • que le déficit primaire structurel est de 4 %, étant donné le taux de croissance potentiel que l’on suppose inchangé, et la sensibilité observée des dé­penses et des ressources publiques [4] ;
  • que le déficit conjoncturel primaire est actuellement de 2 % et qu’il se corrige régulièrement (de 1 % par an) ;
  • que le taux d’intérêt réel sur la dette est supérieur de 1 % au taux de croissance potentiel de l’économie [5].
Un calcul simple montre alors que, sans ajustement budgétaire, la dette publique se situerait sur une trajectoire explosive, puisque la condition de stabilisation est donnée par :

12

equation im2

13Ce qui impliquerait pour l’année de départ un surplus de près de 1 % (au lieu d’un déficit actuel de 6 %). Pour les années suivantes, la condition n’étant jamais satisfaite, cela conduirait à une croissance exponentielle du taux d’endettement.

14Par ailleurs, une simulation tout aussi simple montre qu’il faudrait réduire le déficit structurel primaire d’environ 0,9 % de pib par an pendant dix ans pour revenir au taux d’endettement de départ (97 %). Tandis qu’il faudrait un ajustement de 1,3 % par an pendant dix ans pour revenir à un taux de 73 %, soit le niveau d’avant crise [6].

15Si l’on accepte nos hypothèses (et notamment l’absence d’effet de rattrapage susceptible de provoquer une amélioration cyclique du solde budgétaire), l’infléchissement des dépenses publiques et/ou des prélèvements obligatoires devra être sévère. D’autant qu’il faut, en plus, tenir compte de la dérive des dépenses liées au vieillissement. Si l’on chiffre celle-ci à 0,2 % par an, ce qui est plutôt faible, il faudrait réduire chaque année de plus de 1 % de pib les dépenses hors vieillissement pour parvenir seulement à stabiliser en dix ans le taux d’endettement à son niveau actuel. Ou procéder en même temps à une augmentation des recettes budgétaires.

16Il faut souligner que ces projections sur des moyennes masquent des diffé­rences très importantes entre pays. Les États-Unis, par exemple, qui partent d’un taux d’endettement public de 92 %, présentent un déficit structurel primaire de 6 % et conjoncturel de 3 %, devraient procéder à un ajustement de plus de 1,5 % par an de leurs dépenses publiques (hors vieillissement) pour revenir au bout de dix ans à leur taux d’endettement actuel. Tandis que l’Allemagne, avec un taux d’endettement de 80 %, un déficit structurel de 0,3 % et conjoncturel de 0,8 %, pourrait, en dix ans, revenir à son taux d’endettement d’avant crise (65 %), moyennant un ajustement budgétaire de seulement 0,5 % par an.

17Dans la majorité des cas, les ajustements requis seront cependant d’une ampleur très importante, même s’ils ne sont pas sans précédents. L’Irlande (de 78 à 89), le Danemark (de 83 à 86), la Grèce (de 89 à 95), la Suède (de 94 à 2000) ou encore la Finlande (de 78 à 89) ont procédé à des corrections comparables [7]. En revanche, on n’a jamais connu d’expérience d’ajustements de cette ampleur menés en même temps par un ensemble de pays très liés aux niveaux commercial et financier. Et il est vraisemblable que des politiques budgétaires aussi restrictives auraient des conséquences à court et moyen-long terme sur le taux de croissance des économies considérées [8]. Ce qui aggraverait le problème que l’on cherche à résoudre. On est alors conduit à s’interroger sur l’ampleur et le rythme souhaitables de ces ajustements.

Quel objectif d’endettement public et à quel horizon ?

18Il n’est évidemment pas raisonnable de penser que l’on peut maintenir longtemps la dette d’un État sur une trajectoire explosive. En revanche, il n’est pas interdit de s’interroger sur le niveau souhaitable du taux d’endettement à long terme ainsi que sur ses fluctuations tolérables à court terme. Ce qui conditionne naturellement les ajustements budgétaires à opérer.

19Le problème peut être posé de deux points de vue différents : d’une part, existe-t-il une limite à l’endettement possible de l’État ; d’autre part, existe-il un niveau optimal du taux d’endettement public ?

L’impasse de la notion de soutenabilité

20La première question renvoie à la notion de soutenabilité de la dette publique. Malheureusement, les travaux réalisés sur ce point ne sont jamais parvenus à lui donner une expression quantifiable, ni même à donner les termes d’un calcul précisant à partir de quel niveau un taux d’endettement devient insoutenable. De sorte que cette notion est toujours à la recherche d’une définition opérationnelle. Ce qui s’explique d’ailleurs par sa dépendance aux anticipations.

21Théoriquement, la dette d’un État est soutenable si sa valeur n’excède pas la somme actualisée des soldes budgétaires primaires futurs. Mais une telle définition ne présente guère d’intérêt car elle suppose que l’on soit capable d’évaluer la capacité ou la volonté de dégager à l’avenir les surplus nécessaires au remboursement et à la rémunération de la dette. Et cette évaluation comporte une grande marge d’incertitude et/ou d’arbitraire.

22Contrairement à ce que l’on affirme parfois, ce n’est pas la capacité à lever l’impôt pour assurer le service de la dette qui suffit à exclure le risque de défaut d’un État. Car il se peut que le coût du défaut devienne inférieur, sous certaines conditions, au coût du respect des engagements ; l’État trouve alors avantage à faire défaut même s’il a théoriquement la possibilité de l’éviter. Plus pré­cisément, il existe un seuil d’endettement au-delà duquel l’ajustement budgétaire nécessaire à la stabilisation de la dette publique devient improbable, parce que trop coûteux.

23Ce seuil dépend de facteurs économiques et politiques complexes qui le rendent difficile à objectiver. Mais il est certainement fonction du taux d’intérêt sur la dette requis par le marché, qui peut prendre, dans des situations de crise, des valeurs très élevées qui rendent l’emprunt dissuasif si ce n’est impossible. Or, ce taux est lui-même fonction du risque de défaut anticipé par le marché et ces anticipations sont pour une part arbitraires (puisque la décision de défaut ne peut être prévue avec précision) et autoréalisatrices. Il suffit en effet que les créditeurs émettent des doutes sur la capacité ou la volonté d’un État de tenir ses engagements pour que les taux d’intérêt sur sa dette augmentent, ce qui aggrave le déficit budgétaire, accroît le coût de l’ajustement et pousse ainsi au défaut. On sait que c’est précisément ce scénario qui se joue dans la crise grecque et dont les autorités européennes s’efforcent d’infléchir le déroulement.

24En l’occurrence, le mécanisme est formellement analogue à celui d’une panique bancaire. On est en présence d’une situation avec équilibres multiples, les difficultés d’accès au marché (à la liquidité) pouvant engendrer l’insolvabilité sans que les fondamentaux soient nécessairement en cause. Et c’est bien ce qui rend la définition de la soutenabilité de la dette très difficile, sinon impossible.

25Dans ces conditions, la structure de la dette publique et les conditions de sa détention ont une grande importance. L’exposition à des attaques spéculatives est d’autant plus forte que sa maturité est courte, puisque c’est de nature à amplifier et rendre plus rapide l’effet des anticipations sur le niveau des taux d’intérêt. Au contraire, la détention de la dette, par des institutions financières résidentes à horizon long, est susceptible de réduire l’exposition aux crises, comme certains travaux empiriques l’ont montré. Ces observations soulignent le caractère stratégique des politiques de gestion de la dette publique [9].

Endettement public et croissance

26Il n’est donc pas possible de déterminer, même de façon approximative, une valeur limite de la dette publique garantissant sa soutenabilité. Mais l’analyse économique n’offre pas non plus de réponse concluante à la question de savoir s’il existe un niveau optimal (et plus seulement limite) d’endettement. Sous l’hypothèse de marché incomplet pour la dette publique (le gouvernement ne peut émettre de titres contingents), on montre en effet que la dette de l’État doit jouer un rôle d’absorption des chocs affectant les recettes ou les dépenses publiques [10]. La théorie de la taxation optimale justifie un taux d’imposition constant dans le temps, ce qui implique un lissage de l’incidence des aléas conjoncturels. En conséquence, rien ne dit que l’évolution de la dette doit être contrainte et ramenée en un temps donné à un niveau déterminé. Il est normal qu’à la suite de déficits cycliques importants la dette publique reste élevée pendant une longue période. À l’inverse, elle doit se contracter lorsque l’économie est soumise à des chocs favorables.

27Ce n’est donc pas dans cette direction que l’on trouvera des indications sur le niveau et le rythme des ajustements budgétaires requis. On doit cependant souligner que ces résultats sont obtenus en supposant que le niveau d’endettement public est sans effet sur le taux d’intérêt de la dette ou sur les variables macroéconomiques (le pib, l’inflation…). Or cette hypothèse est discutable tant du point de vue théorique qu’empirique. En ce sens, une contribution récente et souvent citée de Reinhart et Rogoff a cherché à confronter les taux de croissance et les taux d’endettement de vingt économies développées sur la période 1946-2007 [11]. Il en ressort que la médiane (et plus encore la moyenne) des taux de croissance, associés à des taux d’endettement égaux ou supérieurs à 90 %, est significativement plus faible. Ce serait donc la preuve qu’à compter de ce taux l’endettement public pénaliserait la performance des économies considérées. Aussi intrigant qu’il soit, ce travail de statistique descriptive n’est guère convaincant. D’abord parce qu’il est étonnant que ce « chiffre magique » de 90 % puisse s’appliquer à toutes les économies en toute circonstance ; d’ailleurs, l’étude montre que pays par pays, sur de plus longues périodes, le résultat ne tient que pour la moitié des économies considérées. Ensuite, il n’est pas exclu que la relation obtenue soit le produit d’une causalité inversée, c’est-à-dire que des économies, subissant, à moment donné, une faible croissance, soient contraintes d’accepter un endettement public élevé. Enfin, on aimerait connaître la nature et l’importance des mécanismes par lesquels passe l’incidence négative de l’endettement public sur la croissance.

28En ce sens on considère généralement trois types d’effets, qu’il est bien plus facile de décrire que de quantifier :

  • d’une part, l’endettement public peut entraîner un effet d’éviction de l’endettement privé. Le recours plus important de l’État aux marchés de capitaux est susceptible de provoquer une augmentation des taux d’intérêt qui rend plus coûteuse l’accumulation du capital public. Il doit en résulter une réduction de la productivité et de la croissance potentielle de l’économie. Il reste, toutefois, à montrer quelle est la portée de ce mécanisme dans un monde de liberté des capitaux et d’excès d’épargne mondiale. Il se peut que cela passe par une transmission du risque souverain (de la prime de risque sur les obligations publiques) aux taux d’emprunts privés. Mais cela reste à vérifier ;
  • d’autre part, l’augmentation du poids du service de la dette implique un accroissement des dépenses publiques et donc des impôts. C’est là une source possible, capable d’induire une mauvaise allocation de ressources, de désinciter à produire et à investir, et donc de peser sur la croissance. Si, de plus, cette dette est financée par recours à des investisseurs extérieurs, elle donnera lieu à une ponction sur le revenu national ;
  • enfin, une dette publique trop élevée peut limiter les marges de manœuvre de politique économique dans le futur. Il est en effet plus difficile de mener une politique budgétaire contra-cyclique lorsque le poids de l’endettement public est élevé. On a d’ailleurs observé, durant la crise présente, que les États les plus endettés avaient mené des politiques de relance plus timides, comme ce fut le cas, par exemple, de l’Italie. Si donc une nouvelle récession venait affecter les économies développées dans les années à venir, leur capacité de réaction serait très amoindrie. Or, au-delà des pertes de pib qu’elle provoque à court terme, une récession peut aussi laisser des traces de plus long terme sur la croissance, par les effets d’hystérèse qu’elle comporte.
Ces différents arguments conduisent à penser qu’un endettement public élevé possède effectivement une incidence négative sur les performances é­conomiques de long terme, même s’il est difficile d’en estimer l’importance. Mais cette proposition ne nous renseigne guère sur l’ampleur et le rythme de l’ajustement à effectuer. Car la réduction de la dette publique peut également avoir des effets négatifs à court et long terme sur l’économie. Ces effets sont les symétriques des précédents :
  • d’une part, la réduction des dépenses publiques se fait le plus souvent en sacrifiant les investissements, parce qu’il est plus difficile de s’attaquer aux dépenses récurrentes. Or, dans une période où l’on souhaite installer l’économie sur une nouvelle trajectoire et faire émerger un nouveau modèle de croissance, cette façon d’agir est certainement dommageable. L’État a sans doute un rôle stratégique à jouer en favorisant l’éducation, la recherche, l’innovation, les investissements structurants… Il est difficile de croire que ces fonctions seront préservées en sacrifiant d’autant plus les autres dépenses. Plus généralement, il est difficile de conduire des réformes, en l’occurrence celle de l’État, dans une situation de pénurie. C’est-à-dire sans permettre aux acteurs de cette réforme d’en tirer avantage ;
  • d’autre part, si l’amélioration du solde budgétaire doit se faire, ne serait-ce que partiellement par augmentation des prélèvements obligatoires, on crée des distorsions néfastes à la croissance, comme il a déjà été dit. Pour cette raison on considère que les ajustements budgétaires seront plus efficaces lorsqu’ils procèdent par réduction des dépenses plutôt que par augmentation des impôts. Ce qui nous ramène au point précédent ;
  • enfin, une politique budgétaire restrictive exerce une incidence négative sur la conjoncture, sauf à croire à la fable de la « neutralité ricardienne ». Et cette incidence sera d’autant plus marquée que les différentes économies prendront ensemble les mêmes orientations budgétaires. Les pertes de production à court terme qui en résulteront auront des conséquences de long terme analogues à celles évoquées précédemment, à travers des effets d’hystérèse.
Au total, cet échange d’arguments ne permet guère de dégager des convictions claires sur la ligne de conduite à tenir. Il nous semble qu’il permet seulement de conclure que, dans les circonstances actuelles, il est préférable de procéder avec prudence (plutôt qu’en employant des « thérapies de choc ») aux corrections indispensables. Dans une situation de sous-emploi des capacités de production, d’inertie à la baisse des taux d’intérêt, de fragilité du système bancaire (de restrictions possibles de l’offre de crédit) et de volonté de désendettement des agents non financiers, le multiplicateur budgétaire est probablement élevé, au moins à court terme [12]. Une réduction forte des dépenses publiques serait donc très coûteuse en termes d’activité avec des gains modestes du point de vue de la réduction des déficits.

29Quoi qu’il en soit, il faut aussi, en parallèle, se demander s’il est souhaitable d’entreprendre une politique d’ajustement sévère avant d’avoir engagé la résolution des déséquilibres qui sont à l’origine de la crise actuelle.

Réduire la dette publique : solution ou contrainte ?

30En ce sens, la dramatisation actuelle du dérapage des dettes publiques a quelque chose d’insolite. Elle donne l’impression que l’on s’intéresse aux symptômes plutôt qu’aux véritables causes du ou des déséquilibres. Car, si l’on observe les évolutions des dettes publiques depuis le début des années 2000 telles que le graphique en annexe les retrace, on note que leur croissance a été modérée dans la quasi-totalité des pays développés jusqu’en 2008, à l’exception du Japon [13]. Dans certains cas, dont l’Espagne, on constate même une diminution conséquente du taux d’endettement.

31Ces évolutions contrastent avec celles de l’endettement des entreprises et des ménages qui semblent les précéder et les causer en bonne partie. Dans nombre de pays (mais pas au Japon ni en Allemagne), on a observé une augmentation sensible du taux d’endettement du secteur privé comme le montrent les graphiques en annexe. À l’évidence, ce fort développement du crédit a stimulé la croissance des économies concernées en épargnant, parfois en améliorant, les soldes budgétaires. Ainsi, en Espagne, l’explosion de l’endettement des ménages (qui passe de 45 à 83 % du pib entre 2000 et 2008) et des entreprises (qui passe de 55 à 114 % durant la même période) a rendu possible une baisse du taux d’endettement des administrations (qui passe de 65 à 45 %). Au Japon, par contre, le désendettement important des entreprises (le taux passant de 120 à 80 % entre 2000 et 2006) a coïncidé avec une montée du taux d’endettement public (qui passe de 120 à 180 % sur la même période).

Le dérapage de la dette publique : une conséquence de l’exubérance financière

32Ce n’est donc qu’à partir de la fin 2008 que l’on assiste, dans tous les pays développés, à une explosion de l’endettement public, associée à une baisse ou à une stabilisation de la dette des ménages et des entreprises. La dette publique se substitue alors à la dette privée de façon mécanique, c’est-à-dire par réduction des rentrées fiscales et accroissement des dépenses en basse conjoncture. Il est clair que c’est la volonté de désendettement des agents privés, alliée aux difficultés du système bancaire (la contraction de l’offre de crédit), qui a provoqué la soudaine expansion de l’endettement public [14].

33Dans l’histoire des dix dernières années, les déséquilibres macroé­conomiques n’ont donc pas été le résultat d’un quelconque laxisme budgétaire. C’est bien évidemment le développement excessif de l’endettement privé qui apparaît comme le facteur déstabilisant. Il se peut qu’il ait éventuellement favorisé une certaine « insouciance » budgétaire en stimulant artificiellement la croissance économique. Mais, dans l’ensemble, cette insouciance n’a eu qu’une responsabilité secondaire dans la montée des déséquilibres. L’essentiel du problème tient aux conséquences de l’éclatement d’une bulle de crédit qui s’était nourrie des dysfonctionnements du système bancaire.

34Plus précisément, sans vouloir minimiser le rôle des extravagances financières, il est préférable de dire que ces dysfonctionnements ont accompagné et servi à masquer des déséquilibres de diverses natures : croissance des inégalités de répartition, insuffisance de productivité et de compétitivité… Ainsi, parmi les explications les plus courantes de la crise actuelle, on a fait valoir que le creusement des inégalités de revenus a provoqué une fuite dans l’endettement, ce qui a permis de contrebalancer la pression sur les bas salaires. Face à des écarts croissants de revenus, le recours à l’endettement aurait permis de limiter l’aggravation des inégalités de consommation.

35Par ailleurs, il est intéressant de noter que cette montée de l’endettement du secteur privé s’est le plus souvent accompagnée d’une détérioration des balances courantes. De fait, on observe une corrélation entre les soldes de ces balances et l’évolution des taux d’endettement des ménages et des entreprises, c’est-à-dire que les pays qui ont connu les déficits extérieurs les plus élevés sont aussi ceux dont l’endettement du secteur privé a été le plus marqué. Ce qui se comprend aisément par l’égalité comptable entre le solde des comptes courants et la somme des épargnes nettes des investissements des secteurs institutionnels.

36Mais, derrière les équilibres comptables, l’explication de cette corrélation tient à des problèmes de compétitivité qui n’ont pu être corrigés, entre autres, par des ajustements de parités. Parce que certains pays choisissent de sous-évaluer leur devise dans une stratégie de croissance tirée par les exportations. Parce que d’autres appartiennent à des zones monétaires, ce qui exclut par définition des ajustements de change. Ou encore parce que le fonctionnement du marché des changes maintient durablement les parités éloignées de leurs « fondamentaux ». En toute hypothèse, ces problèmes de compétitivité se sont traduits par des déficits de balances courantes qui ont engendré un endettement extérieur. Et celui-ci a eu pour contrepartie un déficit d’épargne par rapport à l’investissement, dans les pays concernés, c’est-à-dire un excès de demande globale par rapport à la production potentielle (à compétitivité donnée) de l’économie. Sans oublier que ces déséquilibres ont été rendus possibles parce que les pays excédentaires les ont volontiers financés avec l’aide des institutions et des marchés financiers qui ont, pour la circonstance, multiplié les innovations que l’on sait.

37Dans ce cas, comme dans les précédents, la dette publique n’a eu qu’une faible responsabilité, ne serait-ce que parce que sa croissance a été modérée ; et parce que l’on n’observe généralement pas de relation dans le passé récent, entre son évolution et celle des déficits extérieurs (sauf dans le cas de quelques pays, comme la Grèce). En revanche, la dette externe, qui pose des problèmes de soutenabilité formellement analogues à ceux de la dette publique, aurait mérité plus d’attention. Car son accumulation était indicatrice de dysfonctionnements et contestable en elle-même. On ne voit pas notamment quelles justifications des économies développées et vieillissantes peuvent donner d’un recours au financement extérieur. Bien plus que dans le cas de l’endettement public, il y a là une mise à contribution peu acceptable des générations futures. En d’autres termes, il aurait été plus important, au cours des dix dernières années, de surveiller et de tenter de maîtriser la dette extérieure dans nombre de pays développés. Les cas de l’Espagne et de l’Irlande, qui ont accumulé pendant cette période des surplus budgétaires et des déficits de balance commerciale, en sont une parfaite illustration.

La réduction de la dette publique : une solution à la crise ?

38Reste alors à savoir si la stabilisation ou la réduction des dettes publiques, à un horizon proche, est susceptible de résoudre les problèmes que l’on vient d’évoquer. On peut en douter car on ne voit pas bien comment cette correction pourrait affecter les phénomènes d’allocation et de distribution qui sont à la source des déséquilibres macroéconomiques. Dès lors, les ajustements budgétaires vont modifier la traduction ou l’apparence de ces déséquilibres, sans que la situation d’ensemble s’en trouve améliorée.

39Plaçons-nous du seul point de vue des équilibres extérieurs et considérons d’abord le cas des pays qui ont enregistré un endettement incontrôlé du secteur privé en même temps que des déficits commerciaux. Il est très probable que ces pays vont connaître (ils connaissent d’ailleurs déjà) un fort désendettement des ménages et des entreprises. La réduction de la dette et des déficits publics exercera un effet de même sens, c’est-à-dire qu’elle va accroître l’épargne (nette de l’investissement), donc diminuer les déficits commerciaux et discipliner l’évolution de la dette externe. Mais il reste à voir comment s’opérera cet ajustement purement comptable. Se fera-t-il par une amélioration de la compétitivité (des gains de parts de marchés) ou par un affaissement du niveau d’activité. Dans ce cas, la réduction des déficits (et de la dette externe) se fera au prix d’une aggravation de la récession. Il n’est pas certain que ce soit la meilleure façon de créer les conditions d’un retour sur une trajectoire de croissance satisfaisante.

40Quant aux pays qui ont à la fois évité les dérapages financiers et connu des excédents commerciaux, ils disposent d’une plus grande marge de manœuvre pour soutenir leur conjoncture en sortie de crise. C’est pourquoi on considère souvent qu’ils devraient en profiter pour soutenir leur demande intérieure, ce qui aiderait les pays en situation plus difficile. Pour ce faire, on leur suggère notamment de favoriser les hausses de salaires, c’est-à-dire de renoncer en partie à leur avantage concurrentiel. Mais du point de vue des uns et des autres, n’est-il pas préférable de retarder ou d’assouplir les restrictions budgétaires prévues ? D’autant que dans ces pays le retour à la croissance devrait suffire à rétablir assez vite l’équilibre des comptes publics.

41En définitive, la meilleure façon de régler la question de la dette publique est évidemment de retrouver un taux de croissance potentielle assez élevé. Or rien ne démontre que l’on y parviendra par une réduction des dépenses publiques ou une augmentation des prélèvements obligatoires. De sorte que la réduction de la dette publique est sans doute une contrainte incontournable de politique économique, mais ce n’est pas une solution aux déséquilibres qui ont causé son dérapage. Elle ne devrait donc pas être engagée sans que soient menées, en même temps, des politiques capables d’en atténuer l’ampleur et le coût.

Quelles règles et institutions pour des engagements budgétaires crédibles ?

42Quelle que soit la façon dont on envisage ces ajustements, il reste à déterminer comment, d’un point de vue institutionnel, il est possible de s’engager à les conduire de façon crédible. Car l’importance de la rectification de trajectoire des budgets et des dettes risque d’être politiquement coûteuse, ce qui peut inciter à des dénis de réalité ou à des atermoiements. Dans ce cas, les marchés pourraient être amenés à douter et donc à faire payer, par des primes de risque accrues, le prix de ces hésitations. À l’inverse, le fait d’annoncer des plans crédibles de réduction des déficits publics est de nature à réduire le taux d’intérêt requis sur la dette et donc à limiter le coût de l’ajustement. Il est donc important de définir des règles et des institutions capables de rendre durablement compatibles les politiques budgétaires avec une évolution raisonnable sinon optimale des dettes publiques.

Faut-il réduire le pouvoir discrétionnaire de la politique budgétaire ?

43La question ainsi posée est analogue à celle qui a été très (trop ?) largement développée à propos de la crédibilité de la politique monétaire. Il s’agit de résoudre le biais court termiste et la tendance à l’incohérence temporelle que l’on prête aux décisions de politique économique. La solution que l’on est tenté d’y apporter est donc aussi du même ordre : il faut façonner des règles limitant le caractère discrétionnaire des décisions budgétaires ou alors instaurer des agences ou des conseils indépendants chargés de faire respecter des engagements de moyen-long terme sur l’évolution des soldes budgétaires. Les deux solutions (règles ou agences) ne sont d’ailleurs pas exclusives l’une de l’autre et peuvent se conforter. On retrouve ici le principe qui a inspiré les multiples solutions imaginées à propos de la politique monétaire : fixation d’objectifs clairs, indépendance des agences, contrats liant le sort de leurs responsables aux résultats obtenus…

44Il n’empêche qu’il est certainement plus facile pour le politique d’accepter de déléguer la gestion de la monnaie et du crédit. D’abord parce qu’il est plus compliqué de définir un ou des objectifs de stabilité budgétaire pour les inscrire dans des règles ou pour en confier la surveillance à des experts. Ensuite, parce que les choix budgétaires comportent toujours des conséquences plus ou moins importantes en termes de répartition, alors que de ce point de vue la régulation monétaire est considérée (sans doute à tort) comme plus neutre. C’est pourquoi les décisions budgétaires sont l’expression par excellence de choix politiques, y compris pour ce qui concerne la fixation des grands équilibres des lois de finances. De sorte que toute délégation en ce domaine peut être vue comme une aliénation contestable de la responsabilité des élus.

45Pourtant, un bon nombre de pays développés (vingt et un selon l’ocde) disposent déjà, depuis le début des années 2000, de règles censées garantir les équilibres budgétaires à moyen terme. Mais ces règles ont des statuts divers : certaines ont un fondement constitutionnel ; alors que d’autres ne sont que des accords de législature. Elles ont aussi des contenus assez différents : certaines portent sur l’évolution de la dette, d’autres concernent le solde budgétaire ajusté ou non ; d’autres encore limitent l’évolution des dépenses, en y incluant ou non l’investissement public… Par le fait même, elles sont plus ou moins contraignantes et plus ou moins manipulables : par exemple, le calcul d’un solde structurel est toujours discutable, de même que la définition de l’investissement public. De sorte que l’on a jamais pu vraiment démontrer qu’elles avaient contribué à discipliner les politiques budgétaires.

46En tout état de cause, ces règles n’ont pas résisté au choc de la crise financière, et la question est aujourd’hui de savoir s’il faut les reformuler en les rendant plus strictes pour donner plus de force et de crédibilité aux ajustements nécessaires. Les arguments développés précédemment suggèrent d’agir avec souplesse et sans précipitation. Au demeurant, ces dispositifs d’encadrement des choix budgé­taires posent au moins deux grandes difficultés qui revêtent dans les circonstances actuelles une acuité particulière.

47– La première concerne la coordination théoriquement souhaitable entre politiques monétaire et budgétaire. On sait qu’un jeu non coopératif entre l’une et l’autre peut engendrer des dynamiques instables : une politique budgétaire exagérément laxiste contraint, si elle se prolonge, la politique monétaire à renoncer à ses objectifs (l’« arithmétique déplaisante » de Sargent et Wallace). Inversement, une politique monétaire trop rigoureuse oblige la politique budgétaire à compenser cette orientation par des déficits et donc une augmentation de la dette publique : l’expérience française du début des années 1990 en fournit une bonne illustration.

48Dans la situation présente, la coordination entre ces deux dimensions de la politique macroéconomique est particulièrement importante. Car les expériences réussies de rétablissement de l’équilibre budgétaire (notamment au Danemark, en Suède et au Canada) ont été accompagnées par des politiques monétaires accommodantes et des dépréciations de parités. C’est sans doute ce qui a fait leur succès, bien plus que l’improbable effet de « neutralité ricardienne ».

49Or, il n’est pas sûr que la fixation de règles budgétaires ou l’instauration d’agences indépendantes favorise une coopération avec les autorités moné­taires, elles-mêmes indépendantes. Il est difficile de concevoir des règles assez riches ou des mandats de délégation assez précis pour laisser place à une telle coordination ; et c’est pourquoi les règles ou les mandats donnés aux agences concernent souvent le seul déficit structurel. Mais on se trouve alors ramené au problème compliqué de mesure de cette variable, ainsi que la question de savoir quelle peut-être la marge de manœuvre (de négociation) laissée à la discrétion du politique, le délai convenu pour le retour à l’équilibre… Et ces différents points n’ont pas reçu jusqu’ici de réponses définitives.

50– La seconde difficulté que pose la limitation du pouvoir discrétionnaire des politiques budgétaires concerne leur coordination au niveau international, ou du moins entre économies assez fortement liées aux plans commercial et financier. Ici aussi l’interdépendance crée une situation de jeu qui rend théoriquement souhaitable une coopération : en principe, une relance est moins coûteuse en termes de dette publique et de solde commercial pour chaque pays lorsqu’elle est pratiquée de façon concertée. À l’inverse, si, en l’absence de coordination, les différents pays mettent en place des politiques restrictives, le coût de l’ajustement risque d’être extrêmement élevé. Et c’est bien là le risque auquel les économies développées se trouvent aujourd’hui exposées.

51Or, l’adoption de règles de discipline budgétaire et/ou le fait de confier à des agences indépendantes le pouvoir de fixer ou de contraindre les équilibres budgétaires n’est pas très favorable à une coordination internationale. Car il est peu probable que le contenu des règles et mandats d’agences (quand ils existent ou s’ils doivent exister) soit homogène entre les pays. Dès lors, il sera difficile de coopérer si le retour à l’équilibre est plus ou moins strict d’un pays à l’autre. On doit ajouter que la négociation sur les politiques budgétaires est logiquement indissociable des autres dimensions de la coopération internationale (les restrictions au commerce et aux mouvements de capitaux, les parités, les déséquilibres de balance des paiements…). De sorte qu’il n’est pas forcément souhaitable, du point de vue de la résolution des déséquilibres globaux, de rendre plus contraignante l’une de ces dimensions.

Le cas de la zone euro

52Avant même sa constitution, la zone euro s’était dotée, par l’adoption du Pacte de stabilité, d’une règle destinée à protéger la crédibilité de la politique monétaire contre d’éventuelles dérives budgétaires des États membres. Mais ce Pacte est vite apparu inadapté dans son esprit et dans sa lettre. Il n’a pas conduit les États membres à concevoir et à respecter des engagements d’équilibre de leurs finances publiques à moyen/long terme. En particulier, il ne les a pas incités à capitaliser, en période de bonne conjoncture, des marges de manœuvre budgétaires pour faire face à des chocs défavorables. En définitive, il n’a joué qu’un rôle ponctuel de contrainte à court terme. Et lorsque cette contrainte s’est révélée trop gênante pour les grandes économies de la zone, on s’est empressé de la réviser ou d’en suspendre l’application.

53Cet échec rend désormais incontournable la reconstruction du Pacte, et celle-ci peut emprunter des voies bien différentes. La première, qui semble avoir la préférence des États jusqu’ici les plus vertueux, consisterait à durcir le contenu de la règle et à rendre plus stricte l’application des sanctions qu’elle prévoit. Ce serait sans doute la solution la moins appropriée. D’abord parce qu’il n’est pas certain qu’en étant plus rigoureuse la règle serait plus crédible. Un dispositif trop contraignant peut s’avérer plus fragile ; et le fait de surtaxer les États en difficulté peut être contreproductif. Ensuite, parce que ce serait tourner le dos à la nécessaire coordination des politiques nationales.

54Dans une zone monétaire qui reste très hétérogène, la Banque centrale ne peut réagir qu’aux chocs macroéconomiques communs à l’ensemble (ou à la majorité) des économies et elle doit laisser aux politiques budgétaires nationales le soin de compenser les chocs idiosyncratiques. Il faut donc que ces politiques disposent d’une liberté suffisante. Mais cela implique, en contrepartie, qu’existe entre elles une forte coordination qui doit aller bien au-delà des termes de l’actuel Pacte de stabilité et de croissance. En un sens, le fait d’imposer à tous les partenaires de l’Union de maintenir leurs déficits en dessous d’une certaine limite ne peut être considéré comme de la coordination. Celle-ci doit avoir pour objectif à la fois de s’assurer collectivement de la soutenabilité des situations individuelles (donc de la crédibilité de l’union monétaire) et de faciliter les ajustements aux chocs idiosyncratiques. Cela suppose que l’on s’entende sur la constellation des soldes budgétaires, certains pays menant une politique plus restrictive que la moyenne, pendant que d’autres adoptent la position inverse. De façon à ce que la stabilisation des différents chocs (communs ou idiosyncratiques) soit prise en charge de façon collective. Cela suppose aussi que l’origine des déséquilibres soit identifiée et que leur traitement soit défini en conséquence. Ce qui oblige à aller au-delà des équilibres budgétaires pour parler de la compétitivité des économies partenaires, de leur modèle de croissance, du renforcement de leur intégration…

55De ce point de vue, la constitution de l’Eurogroupe semblait a priori une bonne solution. Ce devait être le lieu de coordination des politiques économiques, et notamment des politiques budgétaires, en liaison directe avec la Banque centrale européenne. Mais force est de reconnaître que ses missions n’ont jamais été définies précisément et qu’il ne pouvait, du fait de sa composition, jouer le rôle que l’on avait imaginé. C’est en effet une instance trop politique, trop encline aux marchandages pour pouvoir imposer une discipline claire, objective et constante, tout en assurant la cohérence des politiques nationales.

56Pour éviter ce travers, on peut alors penser confier à une instance, indépendante des États, la mission d’apprécier l’équilibre des politique nationales ainsi que leur compatibilité (du point de vue notamment de l’endettement global de la zone). Cette agence émettrait des avis et préconiserait des actions correctrices sans être prisonnière de considérations politiques court termistes. Ce serait donc une façon de restaurer une discipline budgétaire d’ensemble sans avoir à subir la rigidité excessive des contraintes du Pacte de stabilité. Théoriquement, ce serait la solution la plus satisfaisante, mais, dans l’état actuel des choses, il est très peu probable qu’elle suscite l’adhésion des États. Car les critiques qui se sont exprimées à propos de la procédure du « semestre européen » montrent bien que les membres de l’Union ne sont pas actuellement disposés à déléguer une trop grande partie de leur pouvoir budgétaire à une instance supranationale dont la légitimité serait vite contestée [15].

57Dès lors, la démarche qui semblerait la plus réaliste consisterait à demander aux pays partenaires de se doter de règles communes (ou assez proches) d’équilibre des finances publiques, ainsi que d’agences budgétaires ayant des mandats et des pratiques semblables. Mieux encore, ces conseils pourraient être représentés dans une instance européenne (à l’instar de ce qui devrait se mettre en place pour la régulation du système financier), qui aurait un rôle de concertation et de surveillance collective. Mais est clair que la compétence d’un tel organisme serait fatalement limitée et ne pourrait aller jusqu’à organiser une véritable coordination des politiques économiques, entendue au sens large. Au demeurant, les déclarations et les initiatives récentes des pays partenaires de l’Union ne semblent pas témoigner d’une grande volonté de progrès en ce domaine.

Conclusion

58En rassemblant et en articulant les réflexions que l’on vient de présenter, essayons pour conclure d’ébaucher une réponse d’ensemble aux défis posés par l’accumulation des dettes publiques au cours de ces trois dernières années dans les pays développés.

591. Pour cela convenons tout d’abord que, si l’on veut à l’avenir éviter un nouveau dérapage de l’endettement public, la première précaution à prendre est de maîtriser autant que possible les excentricités du système financier. C’est bien l’effondrement de bulles de crédit, qui s’étaient développées dans plusieurs économies développées, qui a été à l’origine du creusement des déficits budgétaires et de la montée des dettes publiques au cours de ces trois dernières années. Et si, dans un futur proche, le même phénomène devait se reproduire, les États n’auraient sans doute plus les moyens d’y faire face. Ce qui justifie une régulation et une supervision rigoureuses des activités financières.

602. Cela dit, la forte expansion de l’endettement privé durant les dix années précédant la crise n’était pas le seul produit des dysfonctionnements du secteur financier. Elle a été aussi alimentée par les déséquilibres de diverses natures (conflits de répartition, déséquilibres extérieurs, mauvaise allocation du capital…) qui ont affecté nombre d’économies développées sur une longue période. De sorte que si ces déséquilibres ne sont pas réglés au préalable, la correction des soldes budgétaires n’interviendra qu’au prix d’une dépression du niveau et de la croissance de l’activité économique. Ou pour le dire autrement, de façon plus positive, la meilleure façon de sortir de la crise actuelle des finances publiques est de retrouver un taux de croissance potentielle plus élevé qui réduirait spontanément les déficits structurels. Cette proposition est cependant plus facile à formuler qu’à mettre en œuvre, et il n’est pas ici question de discuter des voies et des moyens qu’il faudrait utiliser. On se bornera seulement à faire deux remarques. D’une part, il n’est pas évident que la réduction des dépenses publiques, que l’on semble vouloir privilégier, soit favorable à une stimulation de la croissance ; on a, au contraire, de bonnes raisons de penser que l’investissement public dans la recherche, la formation, les infrastructures est un facteur essentiel pour trouver le chemin d’un nouveau modèle de développement. D’autre part, le retour à une croissance équilibrée dans les pays développés suppose une coordination internationale qui est aujourd’hui plus que déficiente.

613. Il n’empêche que la crise va laisser des traces profondes et durables sur les finances publiques, qui ne vont pas disparaître d’elles-mêmes à court-moyen terme. On peut donc raisonnablement penser qu’en attendant le retour hypothétique d’une croissance plus soutenue, il faudra procéder à des ajustements budgétaires significatifs. Mais dans les circonstances actuelles (capacités inemployées, fragilité de l’offre de crédit, faible possibilité de jeu sur les taux d’intérêt réels et les taux de change…) une telle politique risque d’impacter fortement l’activité économique. C’est pourquoi il serait préférable de la mener de façon mesurée en l’étalant sur une assez longue période ; ce qui pose le problème de sa crédibilité. Car si l’on veut éviter des crises de dettes souveraines ou simplement une augmentation du coût de l’endettement public, il faut convaincre les investisseurs de la volonté des États de maintenir durablement le cap d’une réduction des déficits. En d’autres termes, la crédibilité du processus de consolidation des finances publiques est un élément important de son efficacité et de son coût.

62En ce sens, l’instauration, au niveau de chaque pays, de règles garantissant l’équilibre des finances publiques sur une base pluri-annuelle serait de nature à fonder ou à renforcer cette crédibilité. La mise en place de conseils d’évaluation budgétaire indépendants pourrait également y contribuer. Sans se substituer au politique, ils seraient chargés de réaliser des projections, de faire la transparence sur l’élaboration et l’exécution des lois de finances, de vérifier le respect des engagements pris [16]. Ce type de solution offrirait à la politique budgétaire d’autant plus de flexibilité à court terme qu’il serait capable de la discipliner à plus long terme.

634. Enfin, nous n’avons pas jusqu’ici évoqué la question des risques ou des opportunités inflationnistes. Ce n’est pas que l’on pense, conformément au discours convenu, que l’inflation ne soit pas un moyen de réduire les dettes publiques. Car, même si sa résurgence devait induire une augmentation des taux nominaux, il est clair qu’elle est susceptible de rogner, de façon significative dans certains cas, le taux d’endettement. Théoriquement, lorsque le taux d’endettement public a atteint ses limites et qu’il n’existe plus de marge d’ajustement budgétaire, la politique monétaire devient « passive [17] ». C’est-à-dire qu’elle n’est plus en mesure de faire respecter son objectif d’inflation, sauf à contraindre l’État à restructurer sa dette.

64Mais, dans la quasi-totalité des économies développées, on est encore bien loin de cette situation ; l’inertie des anticipations d’inflation en témoigne. D’ailleurs, les études empiriques montrent que les épisodes de forte croissance des dettes publiques s’accompagnent rarement de poussées inflationnistes, contrairement à une idée reçue. Si l’inflation devait repartir dans un futur proche, ce serait sans doute sous l’influence d’une augmentation des matières premières ou d’une dépréciation de certaines parités. Ce choc n’allégerait pas a priori le poids des dettes publiques, sauf s’il entraînait une hausse des prix et des revenus par un phénomène d’indexation. Les Banques centrales devraient alors doser avec prudence la vigueur de leur réponse : c’est peut-être beaucoup leur demander.


Annexe

Taux d’endettement en valeur de marché des administrations publiques

tableau im3

Taux d’endettement en valeur de marché des administrations publiques

Source : Banque de France.

Taux d’endettement des sociétés non financières

tableau im4

Taux d’endettement des sociétés non financières

Source : Banque de France.

Taux d’endettement des ménages

tableau im5

Taux d’endettement des ménages

Source : Banque de France.

Date de mise en ligne : 14/12/2011

https://doi.org/10.3917/reco.626.0981

Notes

  • [*]
    leo, Université d’Orléans. Correspondance : rue de Blois, BP 6739, 45067 Orléans cedex 2. Courriel : Jean-Paul.Pollin@univ-orleans.fr
  • [1]
    L’ocde considère que le jeu des stabilisateurs automatiques a induit sur la période 2008-2010 une variation du solde budgétaire trois fois plus forte que celle résultant de l’action budgétaire discrétionnaire.
  • [2]
    Durant la même période, le taux d’endettement des pays émergents est resté stable à 36 % du pib.
  • [3]
    Cf. notamment fmi, World Economics Outlook, septembre, chap. 4, 2009, et D. Furceri et A. Mourougane, « The Effect of Financial Crises on Potential Output : New Empirical Evidence from oecd Countries », Working Paper ocde, 2009.
  • [4]
    Nous reprenons ici le chiffrage du fmi (Fiscal Monitor). Il s’explique notamment par la perte de pib liée à la crise. Si l’on considère que cette perte se situera entre 5 et 10 % de pib, avec un taux de prélèvement de 40 % et en supposant que la croissance des dépenses publiques est restée et restera inchangée, on aboutit à un déficit structurel compris entre 2 et 4 % du pib. Ce qui s’ajoute naturellement au déficit structurel qui existait déjà avant la crise.
    Une baisse du taux de croissance potentielle aboutirait, quant à elle, à une augmentation continue de ce déficit structurel, si l’évolution des dépenses publiques n’est pas corrigée.
  • [5]
    Ce taux correspond à celui qui a été observé durant les quinze dernières années précédant la crise dans les économies développées. Il est aujourd’hui sensiblement plus faible, et même négatif. Mais il devrait augmenter à l’avenir du fait de la normalisation des politiques budgétaires, de l’augmentation perçue des risques souverains et de la réduction des mouvements de capitaux en provenance des pays émergents.
  • [6]
    Ce résultat est très proche des estimations données par le fmi. Cf. notamment Cottarelli et Vinals, « A Strategy for Renormalizing Fiscal and Monetary Policies in Advanced Economies », Staff Position Note, septembre 2009, ou, encore, « Fiscal Exit : From Strategy to Implementation », Fiscal Monitor, novembre 2010.
  • [7]
    Sur les trente dernières années, huit pays développés ont procédé à des ajustements budgétaires supérieurs à 10 % du pib. Cf. fmi, « Strategies for Fiscal Consolidation in the Post Crisis World », février 2010.
  • [8]
    Au demeurant, le surplus budgétaire, atteint au bout de dix ans, serait excessif pour rester au niveau de taux d’endettement retenu. Ce qui plaide pour un ajustement plus long et donc moins brutal.
  • [9]
    De ce point de vue, on observe qu’après avoir baissé au début de la crise la maturité moyenne des dettes publiques des pays développés s’est redressée depuis le début 2009 ; ce qui traduit un certain retour de confiance des investisseurs et la volonté des émetteurs de « prolonger » le bénéfice de taux d’intérêt historiquement bas. Quant à la proportion de ces dettes détenue par les non-résidents, elle est pratiquement inchangée depuis 2007, alors qu’elle avait sensiblement augmenté dans la première moitié de la décennie.
  • [10]
    Cf. R. Barro, « The Determination of the Public Debt », Journal of Political Economy, 87, 1979, p. 940-971, et A. Marcet et A. Scott, « Debt and Deficit Fluctuations and the Structure of Bond Markets », Journal of Economic Theory, 2009.
  • [11]
    Cf. C. Reinhart et K. Rogoff, « Growth in a Time of Debt », American Economic Review, mai, 2010, p. 573-578.
  • [12]
    Le fmi estime qu’une amélioration du solde budgétaire de 1 % réduit le pib de 1 % au bout de deux ans, dans le cas où le taux d’intérêt nominal est nul. Cinq ans après, la perte de pib est encore de 0,5 %. Cf. World Economic Outlook, octobre 2010, chap. 3.
  • [13]
    On remarque cependant une faible augmentation du taux d’endettement public entre la fin 2001 et 2004 en zone euro et aux États-Unis, du fait de la baisse d’activité qui a suivi l’éclatement de la bulle Internet et les événements de septembre 2001. Il est vrai que les pays développés ont connu, durant ces trente dernières années, des déficits persistants de l’ordre de 3 % du pib par an, en moyenne. Mais le calcul montre qu’un tel déficit est compatible avec une stabilité du taux d’endettement public (de 60 %) pour un taux d’intérêt nominal de 4 % et un taux de croissance nominale de 5 %. Or, « les excès d’épargne globale » ont permis la formation de taux d’intérêt historiquement faibles à partir de la fin des années 1990.
  • [14]
    Cet enchaînement n’a d’ailleurs rien d’original. En étudiant les crises financières sur une longue période, Reinhart et Rogoff montrent que les crises de dettes souveraines sont souvent précédées par des crises bancaires et que les dettes privées se transforment en dettes publiques lorsque la crise se manifeste. Cf. C. Reinhart et K. Rogoff, « From Financial Crash to Debt Crisis », Working Paper, nber, n° 15795, 2010.
  • [15]
    On peut aussi penser à la création d’une agence permettant aux pays partenaires d’émettre, en respectant certaines règles, des dettes qui seraient collectivement garanties. Cette solution serait peut être un substitut plus acceptable à l’idée d’un organisme supranational de discipline budgétaire. Mais les mérites et la viabilité d’un tel dispositif restent à étudier. Que se passera-t-il lorsqu’un État sera contraint d’émettre de la dette ne disposant plus de la garantie collective ? Pourra-t-on mieux qu’aujourd’hui le laisser gérer son problème sans intervenir ?
  • [16]
    En fait, on ne saurait oublier que ces tâches d’appréciation des politiques budgétaires sont déjà assurées par un bon nombre d’organismes publics et privés aux niveaux national et international : les Cours des comptes, le fmi, l’ocde, la Commission européenne, les instituts de conjoncture, les services d’études des administrations, entreprises, institutions financières… Les conseils budgétaires indépendants auraient principalement pour fonction d’officialiser, par la reconnaissance qu’on leur prêterait, une expertise du même ordre.
  • [17]
    Cf. T. Davig, E. Leeper et T. Walker, « Inflation and the Fiscal Limit », nber Working Paper n° 16495, 2010, ainsi que E. Leeper et T. Walker, « Fiscal Limits in Advanced Economies », nber Working Paper, n° 16819, 2011.

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