Couverture de RECO_615

Article de revue

Étudier le non-recours à l'assurance chômage

Pages 933 à 943

Notes

  • [*]
    Asb, Université d’Aarhus, Department of Economics, Frichshuset Hermodsvej 22, 8230 Aabyhøj, Danemark (crest-insee et eep au moment de la rédaction). Courriel : SylvieB@asb.dk.
  • [**]
    Université de Strasbourg beta-cnrs, iza et lmdg, Institut du Travail de Strasbourg, Université Robert Schuman, 39 avenue de la Forêt Noire, 67000 Strasbourg, France. Courriel : francois.fontaine@urs.u-strasbg.fr.
    Les auteurs remercient Jesper Bagger, Sam Kortum, David Margolis, Dale Mortensen, le rapporteur anonyme et les participants des congrès esem 2008, afse 2008, du lmdg Workshop 2008 et de la conférence finale du rtn Microdata Methods and Practice.
  • [1]
    Les évaluations dépendent notamment des sources statistiques (source administrative ou données d’enquêtes), ainsi que de la finesse d’observation des épisodes de chômage (mois, semaine…).
  • [2]
    Plus précisément, un individu qui a travaillé six mois dans les vingt-deux derniers mois a droit à sept mois d’indemnisation, contre vingt-trois mois pour une durée de travail de quatorze mois dans les vingt-quatre derniers mois. Ce sont les jours d’affiliation à l’assurance chômage qui sont pris en compte, et non pas le nombre d’heures, sauf si la condition sur les jours n’est pas satisfaite. Dans ce dernier cas, nous ne pouvons établir l’éligibilité avec les données dont nous disposons. Le taux de remplacement est compris entre 57 et 75 % selon le salaire.
  • [3]
    Appariement du Fichier Historique des demandeurs d’emploi et des Déclarations Annuelles des Données Sociales.
  • [4]
    Le modèle peut cependant être étendu pour prendre en compte les spécificités institutionnelles des différents systèmes en vigueur.
  • [5]
    Il s’agit d’exclure la possibilité de situations qui ne seraient que l’artefact de la modélisation en temps discret. Un cadre en temps continu avec des taux d’arrivée qui suivent des processus de Poisson pouvait supprimer ce problème d’événements concurrents. La discrétisation du temps est cependant rendue nécessaire du fait des techniques utilisées pour une résolution et estimation éventuelle (itérations sur les fonctions valeur).
  • [6]
    Dans les faits, la durée d’indemnisation n’est pas le résultat d’un processus stochastique. Nous posons cette hypothèse de sorte à avoir des stratégies de recherche optimales constantes dans l’état P. De plus, nous intégrons ainsi de l’incertitude du point de vue de l’individu sur la durée d’indemnisation à laquelle il a droit.
  • [7]
    Pour simplifier, les deux probabilités sont supposées exogènes.
  • [8]
    À notre connaissance, ce type d’effet fut pour la première fois mis en lumière par Mortensen [1977] mais dans un cadre qui ne considère pas la question du recours.

Introduction

1Plusieurs études (Currie [2006], Hernanz et al. [2004]) ont montré qu’une part importante des chômeurs éligibles ne faisait pas valoir ses droits à l’indemnisation. Le taux de recours à l’assurance chômage est estimé aux États-Unis entre 40 et 70 % (Blank et Card [1991] ; Anderson et Meyer [1997] ; McCall [1995]) et entre 60 et 80 % en Grande-Bretagne et au Canada (dwp [2008] ; Storer et Van Audenrode [1995]) [1]. En France, entre 2003 et 2006, plus d’un tiers des chômeurs éligibles à l’assurance chômage ne s’inscriraient pas à l’Agence nationale pour l’emploi (Blasco et Fontaine [2009]).

2Les études théoriques portant sur l’optimalité de l’assurance chômage, ainsi que la mise en œuvre pratique du système, supposent implicitement que tous les éligibles reçoivent effectivement l’allocation (voir Kroft [2008] ; Krueger et Meyer [2002] pour des exceptions). Or, s’il existe une sélection dans l’entrée à l’assurance chômage, une modification des paramètres du système modifie le taux de participation et la composition des inscrits, ce qui a d’importantes conséquences en termes de coûts et d’efficacité. Pour saisir les effets d’un système d’assurance chômage, il apparaît alors essentiel de tenir compte du non-recours. Il importe également de décomposer le processus de recours en vue d’une amélioration des propriétés assurantielles du système (Heckman et Smith [2004]).

3Nous proposons une modélisation du comportement des demandeurs d’emploi en termes de recherche d’un emploi mais aussi du recours à l’assurance chômage. Nous montrons que ces deux dimensions sont affectées par le montant de l’indemnisation, l’existence de coûts de transaction lors de la demande d’allocation, l’imperfection d’information sur les règles d’éligibilité et l’aide spécifique apportée aux chômeurs indemnisés par l’agence pour l’emploi. Un chômeur qui anticipe un retour rapide à l’emploi a peu d’incitations à demander à être indemnisé, surtout si cela prend du temps ou induit des coûts de transaction élevés. Le cadre que nous proposons prend explicitement en compte la possible corrélation entre la participation à l’assurance chômage, les caractéristiques de ce système et les stratégies de recherche d’emploi des individus.

4Les modèles statistiques de non-recours existants sont des modèles de choix statiques (Blank et Card [1991] ; Anderson et Meyer [1997]). Le chômeur est modélisé comme faisant un choix binaire entre avoir ou non recours aux allocations. Nous montrons qu’il est essentiel de prendre en compte la dimension temporelle, c’est-à-dire le temps entre l’entrée au chômage et l’indemnisation, pour évaluer l’efficacité de l’assurance chômage. Cette durée dépend des frictions du processus de demande d’indemnisation et de l’effort fait par le chômeur pour surmonter ces frictions. Le modèle dynamique que nous proposons prend en compte ces éléments.

5Nous proposons un modèle théorique de recours à l’assurance chômage qui pourra être estimé. Nous montrons dans ce cadre que l’existence de barrières à l’entrée induit une sélection importante entre les chômeurs bien indemnisés, qui ont souvent intérêt à demander l’allocation, et les chômeurs anticipant un montant faible d’indemnisation. En outre, l’effet d’une plus grande générosité du système d’assurance chômage est ici ambigu. Après avoir mis en évidence l’existence de non-recours à l’assurance chômage en France, nous exposons notre cadre théorique et soulignons enfin ses propriétés les plus marquantes.

Évidences empiriques pour la France

6Pour prétendre à l’indemnisation chômage en France, un travailleur privé d’emploi doit satisfaire des critères portant notamment sur son ancienneté au travail et sa disponibilité à rechercher activement un emploi. Par exemple, entre 2003 et 2006, un individu de moins de 50 ans doit avoir travaillé au moins six mois dans les vingt-deux derniers mois pour être éligible [2]. Même pour les individus répondant à ces conditions, le versement de l’allocation n’est pas systématique : dans l’année suivant la perte de l’emploi, l’individu doit s’inscrire auprès de l’Agence nationale pour l’emploi (anpe) et déposer un dossier de demande d’allocations en y joignant les preuves justifiant son éligibilité. Pour être effectivement indemnisé, un chômeur éligible doit donc comprendre et entreprendre différentes formalités administratives.

7En exploitant les enquêtes Emploi de l’Insee pour la période 2003-2006, nous obtenons un échantillon de 1 890 demandeurs d’emploi de moins de 50 ans pour lesquels nous pouvons établir l’éligibilité à l’indemnisation. 39 % de ces individus ne s’inscrivent pas à l’anpe au cours de leur épisode de chômage, s’empêchant ainsi de percevoir l’allocation. Certes, un problème de sous-déclaration pourrait affecter ce chiffre. Néanmoins, un travail que nous menons actuellement sur données administratives issues du fh-dads[3] et non sujettes à ce biais, semble confirmer ce constat (Blasco et Fontaine [2009]). Il faut cependant noter que le fait de ne considérer que les individus pour lesquels nous pouvons garantir l’éligibilité opère une sélection sur les données. Malgré ces réserves, ce non-recours significatif, non spécifique à la France, indique bien que des coûts sont associés à l’indemnisation (coûts de transaction, frictions dans le processus de recours) ou que certains chômeurs se considèrent à tort comme non éligibles.

8Un modèle logit de recours à l’indemnisation (tableau 1) permet de mettre en lumière une partie des déterminants du choix. La décision de recourir à l’indemnisation est positivement corrélée avec le salaire passé et donc le montant potentiel des allocations. Elle est aussi liée positivement avec la durée d’emploi passé et donc la durée potentielle de l’indemnisation.

Tableau 1

Probabilité de recours à l’indemnisation pour les chômeurs éligibles

Tableau 1
Estimations Écarts types Constante – 3,06*** (0,87) log (salaire passé)a 0,53*** (0,13) Durée d’emploi passée (réf. : entre 6 et 13 mois) entre 14 et 23 mois 0,20*** (0,11) 24 mois ou plus 0,78*** (0,14) Femme – 0,05*** (0,10) Âge (réf. : < 30 ans) 30-35 ans – 0,30*** (0,14) 35-40 ans – 0,26*** (0,15) 40-45 ans – 0,18*** (0,15) 45-50 ans – 0,51*** (0,17) Éducation (réf. : aucun diplôme) < bac – 0,03*** (0,07) bac – 0,31*** (0,16) > bac – 0,16*** (0,16) Modèle logit – significatif à 1 % : *** ; à 5 % : ** ; à 10 % : *. Échantillon : 1 890 chômeurs de moins de 50 ans au moment de la perte d’emploi ayant travaillé au moins 6 mois dans les 22 mois précédant l’entrée au chômage. a En équivalent euro 2006. Source : Enquêtes Emploi 2003-2007 (Insee).

Probabilité de recours à l’indemnisation pour les chômeurs éligibles

9De manière plus fine, la corrélation entre l’ancienneté au travail et la décision d’inscription révèle un possible effet d’incertitude sur les règles d’éligibilité. Les individus qui ont travaillé plus de deux ans avant l’entrée au chômage ont significativement plus de chances de s’inscrire à l’agence pour l’emploi que ceux qui n’accumulent qu’entre quatorze et vingt-trois mois de travail passé, alors qu’ils peuvent espérer la même durée d’indemnisation. Bien entendu, en l’absence de contrôle supplémentaire, il est difficile de conclure.

10La distribution de la durée écoulée entre la perte d’emploi et l’inscription à l’anpe fait apparaître un phénomène de non-recours temporaire et de possibles frictions. Les demandeurs d’emploi restent en moyenne trois mois au chômage sans être inscrits à l’agence pour l’emploi. Parmi les individus qui renseignent une date d’inscription, la durée moyenne passée au chômage avant l’inscription est d’un peu plus d’un mois. Ce délai est plus important parmi les individus les moins favorisés sur le marché du travail. Ayant des salaires plus faibles et des durées d’emploi passées plus courtes, leurs indemnisations potentielles sont moins généreuses et moins longues. Enfin, 29 % des individus éligibles retournent en emploi sans passer par le chômage indemnisé. Ils ont en moyenne des durées de chômage plus courtes que ceux qui se sont inscrits (quatre mois contre six mois de chômage).

Modèle théorique

11Nous proposons un modèle théorique permettant de rationaliser ces faits stylisés, en particulier le lien existant entre générosité espérée des allocations et taux de recours, et le fait que certains chômeurs restent plusieurs mois au chômage sans être inscrits, révélant l’existence de frictions dans les demandes d’indemnisation.

Cadre général

12Nous considérons un modèle de recherche d’emploi en équilibre partiel et temps discret avec agents à horizon de vie infini. Le système d’assurance chômage considéré présente des caractéristiques semblables à celles de la plupart des systèmes des pays de l’ocde[4] : les allocations chômage sont constantes au cours du temps et la durée d’indemnisation est limitée. En outre, l’éligibilité dépend de la durée d’emploi passée. Pour tenir compte de l’interdépendance entre recherche d’emploi et demande d’allocation, nous distinguons trois types de chômage selon la situation du demandeur d’emploi face au système d’assurance chômage : lorsqu’il perd son emploi, l’individu entre dans le premier état de chômage, noté N. Simultanément à sa recherche d’emploi, il peut s’investir dans le processus de demande des allocations chômage, auquel cas il doit faire un effort pour comprendre le processus administratif, rassembler les pièces et remplir le dossier. Cet effort de demande dépend de ces coûts de transaction mais aussi de sa perception de son éligibilité et des gains associés à l’indemnisation (gains monétaires et aides de l’agence pour l’emploi). Si la demande est acceptée avant qu’il ne retrouve un emploi, l’individu entre en chômage indemnisé, noté P. Enfin, s’il n’a pas retrouvé d’emploi à l’issue de sa période d’indemnisation, le demandeur d’emploi entre dans le dernier état de chômage possible, noté L.

13Dans chacun de ces trois états de chômage, l’individu choisit ses efforts de recherche et salaires de réservation. Les taux d’arrivée des offres d’emploi et les coûts des efforts de recherche sont spécifiques aux états N, P et L. En effet, contrairement à un chômeur non inscrit, un individu en P peut être conseillé dans sa recherche par un agent de l’agence pour l’emploi. Il doit également satisfaire des contraintes administratives, ce qui affecte sa « technologie » de recherche d’emploi. Le contrôle peut notamment amener le demandeur d’emploi à délaisser les méthodes de recherches informelles, non observables par l’agence pour l’emploi, au profit de modes de recherches observables qui peuvent avoir des rendements et des coûts différents (Van Der Berg et Van Der Klaauw [2006]). De même, un chômeur qui a épuisé ses droits a pu, par l’expérience acquise en N et P, modifier ses méthodes de recherche d’emploi et il ne reçoit pas la même attention qu’un chômeur indemnisé, de sorte que les technologies et les coûts de recherche en L peuvent être encore différents. Ainsi dans l’état j = {N,P,L}, le chômeur choisit un effort ej de recherche d’emploi à un coût cj(ej)(cj(ej)? > 0 et c?j(ej) > 0). À chaque période, la probabilité de recevoir une offre est alors ?jej, où ?j représente l’efficacité de la technologie de recherche associée à l’état j. Le salaire associé à une offre d’emploi a une fonction de répartition, notée F, définie sur [winf, wsup].

14La fonction d’utilité instantanée spécifique à l’état j = {N,P,L}, notée u(aj + bjw) dépend du loisir ou de la production domestique, aj, et du salaire passé w. Lorsque le chômeur est indemnisé, ses allocations dépendent du salaire passé. Plus généralement, l’épargne en emploi (non modélisée ici) et l’utilisation de cette épargne de précaution une fois au chômage expliquent ce lien avec le salaire passé, que l’individu soit en N, P ou L (mais les ratios bj sont différents selon le type de chômage).

15Les transitions possibles entre les états sont mutuellement exclusives de sorte qu’un seul événement peut survenir à chaque période. Nous supposons de plus que les coûts d’effort sont suffisamment élevés pour que la probabilité d’avoir au moins une transition reste strictement inférieure à un [5].

Les fonctions valeur

16Pour percevoir l’allocation, un demandeur d’emploi dans l’état N doit déposer une demande. Il effectue ces démarches avec un effort ? au coût c?(?) (c?(?)? ? 0, c?(?)? = 0 et c??(?) > 0) et Sa probabilité à chaque période de recevoir l’allocation et donc de basculer dans l’état P est égale à ??. Le paramètre d’efficacité des efforts de demande, ?, peut représenter la plus ou moins grande difficulté pour un individu à comprendre comment remplir une demande, ou le temps de traitement du dossier par l’administration. Ici nous relâchons l’hypothèse d’information parfaite et autorisons le demandeur d’emploi à n’avoir qu’une connaissance imparfaite de son éligibilité à l’assurance chômage. S’il ne connaît pas exactement les règles d’éligibilité, il sait qu’elles dépendent de sa durée passée en emploi. Formellement, nous supposons qu’il estime que son éligibilité dépend du nombre de périodes de travail consécutives, notées t, avant son entrée au chômage. Sachant t, il pense être éligible avec une probabilité P(t) ? [0, 1] avec P?(t) > 0 et P(0) = 0. Ainsi sa probabilité subjective de recevoir l’allocation à chaque période est P(t)??. Cet effort de demande, choisi de façon optimale, peut être nul si l’individu n’a pas d’incitations suffisantes pour demander l’allocation. Compte tenu de ces hypothèses, l’utilité intertemporelle dans l’état N, notée VN(t, w) pour un travailleur qui a travaillé t périodes avant d’entrer au chômage et dont le dernier salaire fut w, satisfait :

17

equation im2

18avec VP(w) la valeur espérée du chômage indemnisé définie ci-dessous et J(0, x) la valeur intertemporelle espérée d’un nouvel emploi rémunéré au salaire x. Le premier argument de J correspond à la durée passée en emploi. Nous faisons l’hypothèse que, lorsqu’un chômeur retrouve un emploi, les périodes travaillées auparavant ne sont plus prises en compte : il recommence à accumuler des journées travaillées avec t = 0. Rappelons que le travailleur pense ne pas être éligible avec une probabilité 1 – P(t). Ne pas être éligible est équivalent à avoir une durée d’emploi nulle.

19En P, le demandeur d’emploi est indemnisé. L’indemnisation étant limitée dans sa durée, nous supposons qu’à chaque période l’individu épuise ses droits avec une probabilité constante exogène ? [6]. Il bascule alors de l’état P à l’état L. Dans ce dernier état, il n’est plus indemnisé et peut toujours rechercher un emploi. Ainsi pour un individu qui a travaillé t périodes rémunérées au salaire w avant d’entrer au chômage, les utilités espérées en cas d’indemnisation et une fois les droits épuisés, notées respectivement VP(w) et VL(w) satisfont :

20

equation im3

21Une particularité de notre modèle est que l’éligibilité de l’individu à l’assurance chômage dépend de sa durée en emploi. De plus, chaque nouvelle période travaillée change sa perception de son éligibilité. Nous définissons donc enfin la valeur d’être en emploi. Un travailleur employé peut changer d’emploi avec une probabilité ?J ou perdre son emploi avec une probabilité q[7]. L’utilité intertemporelle d’un travailleur avec une ancienneté en emploi t et un salaire w, notée J(t, w), est donc :

22

equation im4

Les efforts optimaux

23Le travailleur choisit ses niveaux d’effort de sorte à ce que le coût marginal égalise le gain marginal. Les conditions du premier ordre pour les efforts de recherche et de demande d’allocation satisfont donc :

equation im5
avec Rj le salaire de réserve en j, soit le salaire pour lequel l’individu est indifférent entre rester au chômage et accepter l’offre.

Effets du système d’assurance chômage sur le taux de recours et la sortie du chômage

24Dans notre modèle, les effets d’un changement du montant des allocations ou de la durée d’indemnisation ne sont pas standard. Une plus grande rigueur du système visant à limiter son impact désincitatif peut diminuer les taux de sortie du chômage de certains individus. En outre, en baissant le taux de recours à l’assurance chômage, elle affaiblit ses effets assurantiels au niveau agrégé. Par ailleurs, nous montrons que la simplicité du processus d’inscription affecte à la fois le taux de recours mais aussi les comportements de recherche d’emploi. L’évaluation des systèmes existants devrait donc prendre en compte ces éléments.

Impacts d’une plus grande rigueur du système

25Nous considérons ici les effets d’une baisse du montant de l’allocation (dbP < 0) et d’un raccourcissement de la durée d’indemnisation (d? > 0). On suppose pour simplifier que cv(x) = cvx2, pour v = {N,P,L,?}. Nous présentons, dans un premier temps, deux cas limites qui permettent de mettre en lumière les mécanismes à l’œuvre.

L’effet de substitution

26Étudions le cas d’un individu qui est en N (au chômage mais non indemnisé) et qui est éligible ou qui pense l’être (P(t) > 0). Supposons, dans un premier temps, qu’il estime que, s’il retrouve un emploi, celui-ci ne pourra pas être détruit (q = 0). Sachant (1), (2) et les fonctions valeurs, on obtient :

equation im6
En outre, on montre aisément que ?RN/?bP > 0 et ?RN/?? < 0. Dès lors que le travailleur pense qu’il ne perdra pas son emploi après sa sortie du chômage, une baisse du ratio de remplacement ou de la durée d’indemnisation n’affecte pas la valeur anticipée d’être en emploi. On a alors une hausse du taux de sortie du chômage du fait de la baisse de l’utilité au chômage. En outre, le demandeur d’emploi limite ses efforts de demande d’allocations et le taux de recours diminue. Ces effets sont proches des effets classiques d’une baisse des allocations chômage. Cependant, la baisse du taux de recours invite à considérer avec prudence ces effets sur le bien-être.

L’« effet éligibilité »

27La générosité du système d’assurance affecte la valeur de l’emploi des individus éligibles. Cet effet est essentiel pour comprendre les conséquences d’un changement des paramètres du système sur les taux de sortie du chômage. On se replace dans un cadre où q > 0. Quels sont maintenant les effets d’une baisse de bP ou d’une hausse de ? sur un demandeur d’emploi qui estime ne pas être actuellement éligible (P(t) = P(0) = 0) ou qui a épuisé ses droits ? Les conditions d’optimalité impliquent :

equation im7
Il n’y a pas d’effet direct de la baisse du taux de remplacement bp ou de la hausse de la probabilité de perdre les allocations, puisque l’individu pense ne pas être éligible ou ne touche pas d’allocation. Cependant, s’il retrouve un emploi et le conserve suffisamment longtemps, l’individu peut (re)devenir éligible. Il est donc bien affecté, au travers de ses anticipations, par les changements du système d’indemnisation [8]. Or, ces modifications accroissent la perte d’utilité anticipée liée aux épisodes de chômage futurs. L’emploi devient donc moins attractif. Dans ce cas, l’individu va diminuer ses efforts de recherche et augmenter son salaire de réservation en N : son taux de sortie du chômage diminue.

Des effets ambigus sur les taux de recours et de sortie du chômage

28C’est la combinaison de l’effet substitution et de l’effet éligibilité qui détermine l’impact de la modification du système sur les taux de sortie du chômage. Dans le cas général, l’effet global d’une baisse de bp ou d’une hausse de ? devient ambiguë. En particulier, il dépend des anticipations du demandeur d’emploi quant à son éligibilité et ses chances de se retrouver à nouveau au chômage. Si l’individu pense n’être éligible qu’avec une faible probabilité, un changement de la générosité du système d’assurance chômage n’a que peu d’effet direct. Les conséquences d’une telle modification sont principalement dues à la baisse de la valeur des emplois, les épisodes de chômage futurs devenant plus douloureux. La rigueur du système d’assurance chômage peut alors à la fois diminuer le taux de sortie du chômage et diminuer le taux de recours. Si le demandeur d’emploi estime avoir une forte probabilité d’être éligible, un montant d’allocation plus faible, ou une durée d’indemnisation plus courte, augmentent le taux de sortie du chômage en N car ils affectent fortement la valeur de l’épisode actuel de chômage. Cependant, ils diminuent le recours à l’assurance chômage. Au niveau agrégé, l’effet sur les taux de sortie et sur le bien-être dépendra donc de la composition des demandeurs d’emploi et des risques sur le marché du travail.

Impact des barrières administratives

29Que se passe-t-il enfin si le processus de demande d’allocation devient plus lent ou complexe (d? < 0) ? Dans ce cas, l’utilité intertemporelle dans l’état N diminue. Le rendement de l’effort de recours à l’assurance étant plus faible, les individus font un effort plus faible (puisque ??*/?? > 0). Par contre, pour les mêmes raisons que précédemment, l’effet sur le taux de sortie du chômage est ambigu. En effet, si le chômeur estime avoir une faible chance d’être éligible, il n’est directement que peu affecté. Par contre, les difficultés pratiques pour bénéficier de l’assurance chômage diminuent la valeur des emplois, car tout épisode de chômage futur devient plus coûteux, le système d’assurance chômage étant moins effectif.

Conclusion

30Le recours à l’assurance chômage et les comportements de recherche d’emploi sont intimement liés. Il est nécessaire de le prendre en compte pour comprendre le non-recours à l’assurance chômage et les effets d’une modification des systèmes existants. Notre modèle saisit à la fois le lien entre recherche d’emploi et non-recours et la manière dont les coûts de transaction, l’imperfection de l’information et les incitations financières affectent les comportements. En cela, il peut constituer une base pour une estimation structurelle du non-recours à l’assurance chômage et l’étude de l’optimalité des systèmes d’indemnisation existants (Blasco et Fontaine [2009]).

Bibliographie

Références bibliographiques

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  • Blasco S., Fontaine F. [2009], « A Structural Model of the Unemployment Insurance Take-up », Mimeo.
  • Currie J. [2006], « The Take-up of Social Benefits », dans Auerbach A., Card D., Quigley J. (eds.), Public Policy and the Income Distribution, New York, Russell Sage, p. 80-148.
  • Dwp [2008], « Income Related Benefits Estimates of Take-up in 2006-2007 », Londres, Department for Work and Pensions.
  • Heckman J., Smith J. [2004], « The Determinants of Participation in a Social Program: Evidence from a Prototypical Job Training Program », Journal of Labor Economics, 22 (4), p. 243-298.
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  • Krueger A.B., Meyer B.D. [2002], « Labour Supply Effects of Social Insurance », nber Working Paper n° 9014.
  • McCall B.P. [1995], « The Impact of Unemployment Insurance Benefit Levels on Recipiency », Journal of Business and Economics Statistics, 13 (2), p. 189-198.
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  • Storer P., Van Audenrode M.A. [1995], « Unemployment Insurance Take-up Rates in Canada, Determinants and Implication », Canadian Journal of Economics, 28 (4), p. 822-835.
  • Van Den Berg G.J., Van Der Klaauw B. [2006], « Counseling and Monitoring of Unemployed Workers: Theory and Evidence From a Controlled Social Experiment », International Economic Review, 47, p. 895-936.

Notes

  • [*]
    Asb, Université d’Aarhus, Department of Economics, Frichshuset Hermodsvej 22, 8230 Aabyhøj, Danemark (crest-insee et eep au moment de la rédaction). Courriel : SylvieB@asb.dk.
  • [**]
    Université de Strasbourg beta-cnrs, iza et lmdg, Institut du Travail de Strasbourg, Université Robert Schuman, 39 avenue de la Forêt Noire, 67000 Strasbourg, France. Courriel : francois.fontaine@urs.u-strasbg.fr.
    Les auteurs remercient Jesper Bagger, Sam Kortum, David Margolis, Dale Mortensen, le rapporteur anonyme et les participants des congrès esem 2008, afse 2008, du lmdg Workshop 2008 et de la conférence finale du rtn Microdata Methods and Practice.
  • [1]
    Les évaluations dépendent notamment des sources statistiques (source administrative ou données d’enquêtes), ainsi que de la finesse d’observation des épisodes de chômage (mois, semaine…).
  • [2]
    Plus précisément, un individu qui a travaillé six mois dans les vingt-deux derniers mois a droit à sept mois d’indemnisation, contre vingt-trois mois pour une durée de travail de quatorze mois dans les vingt-quatre derniers mois. Ce sont les jours d’affiliation à l’assurance chômage qui sont pris en compte, et non pas le nombre d’heures, sauf si la condition sur les jours n’est pas satisfaite. Dans ce dernier cas, nous ne pouvons établir l’éligibilité avec les données dont nous disposons. Le taux de remplacement est compris entre 57 et 75 % selon le salaire.
  • [3]
    Appariement du Fichier Historique des demandeurs d’emploi et des Déclarations Annuelles des Données Sociales.
  • [4]
    Le modèle peut cependant être étendu pour prendre en compte les spécificités institutionnelles des différents systèmes en vigueur.
  • [5]
    Il s’agit d’exclure la possibilité de situations qui ne seraient que l’artefact de la modélisation en temps discret. Un cadre en temps continu avec des taux d’arrivée qui suivent des processus de Poisson pouvait supprimer ce problème d’événements concurrents. La discrétisation du temps est cependant rendue nécessaire du fait des techniques utilisées pour une résolution et estimation éventuelle (itérations sur les fonctions valeur).
  • [6]
    Dans les faits, la durée d’indemnisation n’est pas le résultat d’un processus stochastique. Nous posons cette hypothèse de sorte à avoir des stratégies de recherche optimales constantes dans l’état P. De plus, nous intégrons ainsi de l’incertitude du point de vue de l’individu sur la durée d’indemnisation à laquelle il a droit.
  • [7]
    Pour simplifier, les deux probabilités sont supposées exogènes.
  • [8]
    À notre connaissance, ce type d’effet fut pour la première fois mis en lumière par Mortensen [1977] mais dans un cadre qui ne considère pas la question du recours.
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