Notes
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Beta, cnrs, Université Nancy 2, 13, place Carnot F-54035 Nancy. Courriel : lydie.ancelot@univ-nancy2.fr
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Id2, Université Paul Verlaine – Metz, ufr Droit, Économie et Administration, Île du Saulcy F-57000 Metz. Courriel : myriam.doriatduban@univ-metz.fr
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[1]
L’instauration de la crpc s’inscrit dans la lignée des procédures pénales dites « accélérées » (comparution immédiate [1983], composition pénale [1999] et ordonnance pénale [2002]) dont le principal objectif est de répondre à l’exigence de célérité du système judiciaire.
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[2]
Au 31 décembre 2005, 25 tribunaux de grande instance sur 181 n’avaient pas encore eu recours à la crpc. De plus, le nombre de crpc varie de 2 pour la juridiction de Bastia à 2 154 pour celle de Rouen (Ministère de la Justice [2005]).
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[3]
Ainsi, pour Papadopoulos [2005], « la référence théorique dominante aux États-Unis pour comprendre le plaider coupable est incontestablement aujourd’hui le mouvement Law and Economics (…) qui tente d’appréhender les institutions juridiques à l’aide de l’analyse économique ».
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[4]
Pour une synthèse de cette littérature, Daughety [1999].
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[5]
De même, Motta et Polo [2003] montrent que le programme de clémence, dont le but est d’inciter les entreprises impliquées dans une entente à dénoncer leurs pratiques illicites par une réduction du montant de l’amende, peut encourager les pratiques collusives parce qu’il réduit le coût attendu de la sanction. La réduction de peine aurait alors un effet contraire à celui souhaité. Ils ajoutent que si les autorités de la concurrence ne sont pas budgétairement contraintes, le programme de clémence devrait alors être abandonné. En revanche, si les ressources des autorités de la concurrence sont limitées, la dénonciation par l’une des firmes participant à l’entente une fois l’enquête ouverte, permet de réduire les coûts d’enquête alors que dans le même temps, les entreprises sont incitées, par la réduction de la sanction, à dénoncer l’entente. Dans ce cas, le programme de clémence doit être maintenu car il améliore le bien-être social.
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[6]
Les principales différences entre ces deux procédures concernent leur champ d’application, restreint aux seuls délits en France, et le rôle du juge.
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[7]
Adelstein [1998] propose une approche différente, axée sur les différences institutionnelles entre les pays. Il distingue les systèmes inquisitoires des pays d’Europe continentale, des systèmes accusatoires anglo-saxons et s’intéresse plus à l’évolution de ces systèmes qu’aux comportements des parties.
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[8]
Pour une présentation synthétique de la littérature consacrée à la négociation dans les conflits civils, consulter Cooter et Rubinfeld [1989]. Dans ce type de modèles, l’asymétrie d’information entre les parties conduit des défendeurs innocents à refuser l’accord amiable proposé par le demandeur non informé (Bebchuk [1984]). Dans le cas du plaider coupable, le problème est différent puisque l’asymétrie d’information peut conduire un innocent à accepter une peine. Dans tous les cas cependant, l’individu innocent supporte le coût de l’asymétrie d’information.
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[9]
Le procureur connaît uniquement la proportion d’accusés coupables dans la population.
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[10]
Ainsi, un accusé dont la probabilité de condamnation au procès est de 0,7 est soit un coupable qui a 30 % de chances d’être acquitté, soit un innocent qui a 70 % de risque d’être condamné au procès.
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[11]
Ainsi, selon Reinganum [1988], la fonction d’utilité du procureur est la différence entre l’utilité sociale de la condamnation d’un coupable et la désutilité sociale de la condamnation d’un innocent, diminuée de la désutilité sociale des coûts de procès (p. 717).
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[12]
Deux situations sont distinguées selon que le produit entre l’utilité de condamner un coupable, la sanction encourue au procès et l’écart entre la robustesse estimée de l’affaire selon que l’accusé est coupable ou innocent est inférieur ou supérieur aux coûts d’un procès pour le procureur. Dans chaque situation, trois intervalles sont définis en fonction des valeurs des variables représentant l’utilité de condamner un coupable, la désutilité de condamner un innocent, la sanction en cas de procès, les estimations des accusés sur la robustesse de l’affaire et les coûts de procès pour le procureur.
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[13]
D’autres études insistent sur l’opportunité d’encadrer les propositions des procureurs par des barèmes (i.e. de grilles de peines). Reinganum [2000] montre que les barèmes auxquels les juges se réfèrent pour contrôler les accords désincitent les procureurs à formuler des offres trop différentes pour des affaires similaires afin d’éviter que l’accord conclu soit contesté. Ce résultat est confirmé par Bar-Gill et Gazal [2006] et Bjerk [2007].
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[14]
On retrouve une situation identique dans la procédure de clémence où une entreprise impliquée dans une entente est incitée à dénoncer ses partenaires en l’échange d’une réduction de la sanction. Kobayashi [1992] explique d’ailleurs que selon l’Antitrust Division of the us Department of Justice, négocier un accord dans lequel la firme la plus coupable reçoit le meilleur traitement est souvent la seule façon d’attaquer un cartel.
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[15]
L’arbre du jeu, construit par nos soins, est présenté en annexe.
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[16]
Cela suppose que la police arrête les accusés uniquement si elle dispose de suffisamment d’éléments de preuves, sans pour autant que la culpabilité de l’accusé soit certaine.
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[17]
Contrairement à Grossman et Katz [1983] pour qui la menace du procureur d’aller au procès en cas de refus de plaider coupable est toujours crédible (de sorte que seuls les innocents vont jusqu’au procès), Baker et Mezzetti [2001] introduisent la possibilité pour le procureur de renoncer à son action en justice. Il est alors possible de mettre en évidence des comportements stratégiques de la part des accusés coupables, consistant à refuser l’offre dans l’espoir que le procureur renonce à son action et n’aille pas jusqu’au procès. Les innocents ne sont alors plus les seuls à aller devant le juge si le procureur décide finalement d’aller au procès, contrairement aux résultats établis par Reinganum [1988].
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[18]
Lorsque les nouvelles preuves collectées tendent à prouver l’innocence de l’accusé, la probabilité de condamnation d’un coupable demeure supérieure à celle d’un innocent . La probabilité de condamnation d’un coupable en l’absence de preuves supplémentaires est supérieure à sa probabilité de condamnation si des preuves supplémentaires tendant à prouver plutôt son innocence sont obtenues ; de même, la probabilité de condamnation d’un innocent en l’absence de preuves supplémentaires est supérieure à sa probabilité de condamnation si des preuves supplémentaires tendant à confirmer son innocence sont obtenues . Enfin, la probabilité de condamnation d’un accusé quel que soit son type est plus élevée lorsque les preuves plaident pour sa culpabilité plutôt que pour son innocence .
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[19]
Il est supposé que le système judiciaire préfère condamner un innocent que relaxer un coupable. Cette hypothèse découle de la fonction objectif du procureur qui consiste à maximiser le nombre de condamnations des coupables.
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[20]
est la sanction pour laquelle la perte supportée par le procureur du fait de la relaxe d’un coupable est juste égale aux coûts de procès. En conséquence, si le procureur n’a pas intérêt à aller devant le juge.
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[21]
Dans cet intervalle, de sorte que la perte supportée par le procureur s’il relaxe un coupable excède ses coûts de procès.
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[22]
. La proportion de coupables se comportant comme des innocents dépend donc des coûts supportés par le procureur (coûts de l’erreur judiciaire et coûts monétaires) lorsque l’affaire est résolue par un procès.
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[23]
Pour une analyse critique de l’approche de Becker [1968], consulter Stigler [1970], Mookherjee et Pn’g [1994], Andreoni [1991] et Garoupa [1997].
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[24]
L’offre de crimes d’un délinquant potentiel est une fonction décroissante du montant estimé de la sanction infligée s’il est condamné et de sa probabilité d’arrestation.
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[25]
et .
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[26]
θ* correspond au type de l’individu indifférent entre commettre ou non un crime, ce qui signifie que le gain de son acte illégal, , correspond juste à la sanction attendue au procès.
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[27]
ce qui signifie que les coûts de procès augmentent avec la sanction, soit en raison d’exigences accrues en termes de preuves, soit en raison d’une augmentation des moyens consacrés par l’accusé à sa défense.
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[28]
Les modèles précédents supposent que le procureur cherche à maximiser les sanctions attendues totales ou le bien-être social (Grossman et Katz [1983], Reinganum [1988]). Or, selon Roberts [2000], cela pourrait inciter le procureur à augmenter le nombre total de crimes, au détriment du bien-être social. Un procureur qui maximise la somme des sanctions attendues moyennes peut en revanche agir soit dans l’intérêt de la société parce qu’il maximise la dissuasion, soit dans son propre intérêt parce qu’il améliore ses perspectives de carrière.
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[29]
Son budget M doit suffire à couvrir les coûts attendus des procès , le coût d’une procédure de plaider coupable étant supposé nul.
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[30]
À l’inverse, si le membre de droite est négatif, une augmentation de la sanction au procès réduit la dissuasion.
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[31]
Cette conclusion est valable parce que Roberts [2000] suppose que la probabilité de condamnation est certaine dès lors que le délinquant est arrêté.
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[32]
Dans le modèle de Mongrain et Roberts [2005], la notation utilisée est . Par souci d’harmonisation avec le modèle de Roberts [2000], est remplacé par θ*.
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[33]
En d’autres termes, implique que
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[34]
Le procureur propose un plaider coupable mélangeant aux accusés contraints avec une probabilité λp.
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[35]
Plus δ est élevé, plus le procureur souhaite condamner les accusés afin d’accroître ses chances de réélection.
Introduction
1En 2004, dans le cadre de la réforme de la justice pénale engagée en France depuis 1998, la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (crpc) est mise en place [1]. Considérée comme plus rapide et moins coûteuse qu’un procès correctionnel classique, elle a pour principal objectif de réguler le flux grandissant des contentieux pénaux dits de « masse » et, pour objectifs secondaires, de réduire le nombre de classements sans suite et d’instaurer un dialogue entre l’accusé et le procureur. Sa mise en œuvre bouleverse les pratiques dans la mesure où l’aveu de l’accusé est le préalable à toute proposition du procureur.
2L’assimilation parfois abusive de la crpc à la procédure américaine de plaider coupable et la crainte d’une « américanisation » de la justice française ont suscité de nombreux débats (notamment sur le traitement équitable des accusés) ainsi qu’une certaine réticence à l’appliquer [2]. Les mêmes débats ont eu lieu aux États-Unis lors de l’instauration de la procédure de plaider coupable, invitant les économistes du droit à s’interroger sur ses effets [3]. La synthèse proposée apporte un éclairage utile au moment où la France réfléchit à l’extension du plaider coupable à l’ensemble des délits (Guinchard [2008]) mais également aux crimes (Léger [2009]), alors que la crpc ne concerne que les délits passibles de moins de cinq ans de prison.
3La littérature économique sur la procédure de plaider coupable a d’abord porté sur le choix des parties entre recourir au plaider coupable (arrangement) ou au procès. Landes [1971], dans un article fondateur, montre que l’optimisme des parties sur le résultat du procès engendre une erreur de perception du surplus coopératif qui les conduit au jugement. Adelstein [1978] introduit une perspective dynamique en supposant que les concessions des parties au cours de la procédure sont affectées par le temps : plus le temps passe, plus le procureur est disposé à faire des concessions en proposant une peine plus réduite afin d’économiser des coûts de détention, et moins l’accusé fait de concessions estimant que le procureur aura davantage de difficultés à établir sa culpabilité (moindre qualité des témoignages). Le moment optimal de l’accord est celui où les concessions des deux parties deviennent compatibles et garantissent l’accord. Easterbrook [1983], prolongeant l’étude de Landes [1971], cherche à déterminer l’impact des coûts des parties sur l’issue de la négociation. Il montre que plus le niveau de richesse de l’accusé est faible, plus la probabilité de parvenir à un plaider coupable est élevée, le procès étant considéré comme plus lent et plus coûteux. Cette conclusion est confirmée par Kobayashi et Lott [1996] : un accusé riche est incité à aller au procès car ses moyens lui permettent de rémunérer son avocat et sa probabilité d’être relaxé n’est pas nulle. Plus récemment, Boari et Fiorentini [2001], comparant la procédure italienne (pattegiamento) et la procédure américaine, concluent que le stock d’affaires en attente désinciterait les accusés à plaider coupable, la probabilité estimée d’acquittement étant plus élevée à mesure que les affaires à résoudre s’accumulent.
4L’identification des variables de choix entre plaider coupable et procès permet de cibler les politiques visant à encourager le recours à cette procédure (réduire le risque d’optimisme par la présence obligatoire d’un avocat, réduire les coûts de négociation, augmenter les coûts de procès). Le problème principal concerne néanmoins l’efficacité de cette procédure qui peut conduire des accusés innocents à accepter de plaider coupable pour échapper au procès. L’aversion pour le risque, combinée à la réduction de peine, conduirait en effet des accusés à accepter de plaider coupable alors qu’en l’absence de cette procédure ils seraient jugés innocents. Adelstein [1981] explique alors que l’efficacité du plaider coupable repose sur la comparaison entre les économies financières réalisées par le système judiciaire et les coûts pour la société résultant de la condamnation d’innocents. Cette source d’inefficacité apparaît bien réelle au regard du pourcentage d’innocents acceptant de plaider coupables aux États-Unis qui, selon Papadopoulos [2005], atteindrait 10 %. Certains juristes américains, notamment Alschuler [1968, 1975, 1976] et Schulhofer [1988], ont d’ailleurs adressé les plus vives critiques à l’encontre de la procédure américaine. Selon ces auteurs, la condamnation d’innocents dans le cadre du plaider coupable s’expliquerait principalement par des raisons financières : devant l’impossibilité de rémunérer convenablement leurs avocats, certains accusés innocents acceptent de plaider coupables, tandis que les avocats cherchent à résoudre rapidement les affaires de clients peu ou pas solvables ; quant au procureur, il serait incité à résoudre les affaires rapidement afin de minimiser les coûts de justice.
5Sous l’angle économique, le risque que des innocents acceptent de plaider coupables suppose l’existence d’asymétries d’information entre le procureur et l’accusé. Les principaux modèles intégrant ces asymétries d’information sont ceux de Grossman et Katz [1983], Reinganum [1988] et Kobayashi [1992] qui développent une argumentation plutôt favorable au plaider coupable, et plus récemment celui de Baker et Mezzetti [2001] qui présente une vision plus critique et plus nuancée.
L’étude de la procédure de plaider coupable en présence d’asymétrie d’information, en insistant sur la révélation d’information, rapproche l’analyse du plaider coupable des modèles de négociations développés en économie des conflits en droit civil [4]. Or, la procédure de plaider coupable relève du droit pénal, domaine d’étude de l’économie du crime. Depuis Becker [1968], l’économie du crime s’intéresse principalement au caractère dissuasif des sanctions mais aussi aux politiques permettant de les mettre en œuvre. Un second pan de la littérature consacrée au plaider coupable examine donc son caractère dissuasif, sachant qu’il repose sur un allégement de peine [5]. Comme le soulignent Polinsky et Shavell [2007], si les individus acceptent de négocier, c’est parce que la désutilité escomptée de la sanction négociée est plus faible que celle attendue au procès. Les peines négociées seraient par conséquent moins dissuasives. Dans le cadre du plaider coupable, les auteurs (Miceli [1996], Roberts [2000], Mongrain et Roberts [2005], Mongrain et Roberts [2009]) s’inspirent des modèles d’analyse économique du crime, en les adaptant aux spécificités du plaider coupable (allégement du montant de la peine, certitude de la sanction). Ils en soulignent les limites en montrant la nécessité de maintenir une peine proche du jugement et d’accorder au procureur un budget suffisant.
L’éclairage apporté par ces travaux s’avère utile pour évaluer les effets à attendre de la procédure de plaider coupable. La crpc, par sa similitude mais aussi ses différences avec la procédure américaine [6], invite à une réflexion spécifique et originale, dont la littérature essentiellement américaine constitue le point de départ. Cette synthèse vise à présenter les principaux résultats de la littérature sous deux angles : la révélation d’information (1) et la dissuasion (2). Elle apporte l’éclairage de l’économie du droit au débat sur les effets prévisibles du plaider coupable et de son éventuelle extension aux crimes. La présentation des travaux est originale en ce sens qu’elle montre que l’analyse économique du plaider coupable mobilise deux pans de la littérature : l’économie des conflits pour ce qui relève de la révélation d’information et l’économie du crime pour la dissuasion [7].
La révélation d’information dans la procédure de plaider coupable
6Toute procédure de plaider coupable, américaine ou française, conduit à une peine certaine, donc à une disparition du risque, contrairement au procès dont l’issue est incertaine. Associé à une réduction de la sanction, le plaider coupable peut conduire des accusés innocents à accepter la proposition du procureur pour échapper au risque du procès et ce d’autant plus que leur aversion pour le risque est grande (Lewisch [1999]). Si innocenter un coupable pose un problème d’efficacité de la justice, inciter un innocent à plaider coupable porte en plus atteinte à la morale. Le problème provient de l’asymétrie d’information entre le procureur qui ignore le type exact de l’accusé (coupable ou innocent) et l’accusé qui connaît son type mais ne peut pas le révéler de manière crédible lorsqu’il est innocent. On retrouve donc un problème classique de négociation en théorie des conflits [8]. Toute la difficulté consiste alors pour le procureur à proposer une offre qui incite les coupables à se révéler, sans inciter les innocents à plaider coupables. La littérature économique consacrée au plaider coupable, en reprenant les outils de la théorie des jeux, permet de déterminer les stratégies des deux parties : elle montre, d’une part, comment cette procédure affecte la décision des accusés d’accepter ou de refuser la proposition du procureur selon qu’il est coupable ou innocent et, d’autre part, comment le procureur peut, par sa proposition, inciter l’accusé à révéler l’information privée qu’il détient. Nous montrerons que les modèles se distinguent par la capacité de la procédure à réduire les erreurs judiciaires, en distinguant les coupables des innocents. Les conclusions obtenues dépendent de manière cruciale des hypothèses posées relatives aux asymétries d’information (Grossman et Katz [1983]), au pouvoir discrétionnaire du procureur (Reinganum [1988]) et à son budget (Baker et Mezzetti [2001]).
Le plaider coupable : un filtre parfait contre les erreurs judiciaires
7Les premiers modèles de plaider coupable (Landes [1971], Adelstein [1978]) insistaient sur les économies de coûts permises par l’arrangement, comparativement au procès. Le problème des erreurs judiciaires, qu’il s’agisse de condamner un innocent ou à l’inverse d’innocenter un coupable, n’était pas abordé. Comme pour les modèles de conflits, il faut attendre les années 1980 et le recours systématique à la théorie des jeux pour que soient intégrés les problèmes d’information et leurs conséquences sur la négociation des accords amiables. En ce sens, l’article de Grossman et Katz [1983] ouvre la voie à une nouvelle approche du plaider coupable. Leur argumentation n’est cependant pas critique vis-à-vis d’une procédure qui incite les innocents à plaider coupables ; ils considèrent en effet que des erreurs judiciaires sont également observées devant les tribunaux, erreurs dont le coût social est plus important que dans la procédure de plaider coupable puisque la sanction y est plus élevée. Symétriquement, le plaider coupable, parce qu’il incite les coupables à se dénoncer, permet de punir de manière certaine des individus qui pourraient échapper à toute sanction si le tribunal considérait par erreur qu’ils sont innocents. Par rapport à ces deux risques d’erreur, le plaider coupable agirait comme une assurance (insurance device) à la fois pour les innocents et pour la société.
8Grossman et Katz [1983] ajoutent un second argument en faveur du plaider coupable qui serait un moyen de discriminer les types d’accusés (screening device) en incitant ces derniers à s’autorévéler. Le plaider coupable permettrait ainsi d’éviter les erreurs judiciaires et de garantir à la société que les délinquants seront condamnés. Pour le démontrer, les auteurs développent un modèle de filtrage dans lequel le procureur non informé [9] fait une offre « à prendre ou à laisser » à l’accusé, seul informé de sa culpabilité. L’offre formulée maximise une fonction de bien-être social (le procureur est supposé agir dans le seul intérêt de la société) qui intègre les pertes d’utilité liées à la condamnation d’un innocent mais aussi à la condamnation d’un coupable à une peine ne correspondant pas à la gravité de son acte. Comme dans la procédure française, l’accusé accepte ou refuse cette offre sans qu’aucune renégociation ne soit possible. Toute la difficulté consiste pour le procureur à trouver l’offre séparatrice optimale qui incite les coupables à l’accepter et les innocents à la refuser. Les innocents sont alors contraints d’aller jusqu’au procès pour se distinguer des coupables. La procédure de plaider coupable apparaît finalement comme un filtre efficace qui évite toute erreur judiciaire en supprimant l’incertitude sur la culpabilité de l’accusé. Ce résultat est cependant très dépendant des hypothèses posées. En effet, dans la mesure où il n’y a que deux types d’accusés possibles (innocent ou coupable), l’équilibre obtenu est séparateur et discrimine donc parfaitement les deux types d’accusés ; à l’équilibre, il n’y a donc aucune erreur judiciaire.
La révélation des types d’accusés fonction du pouvoir discrétionnaire des procureurs
9Reinganum [1988], contrairement à Grossman et Katz [1983], ne s’intéresse pas à la désirabilité sociale du plaider coupable mais plutôt à l’organisation de la procédure et en particulier au pouvoir discrétionnaire du procureur et à son impact sur la révélation des types de l’accusé. Elle considère d’abord que le procureur dispose d’une liberté totale de fixation de la sanction, en ce sens que des individus accusés d’infractions de gravités identiques (et donc soumis à des sanctions similaires en cas de jugement) peuvent se voir proposer des offres différentes. Elle envisage ensuite la situation dans laquelle le procureur est contraint de proposer la même offre à des individus accusés d’une infraction de même gravité. L’originalité du modèle réside dans la prise en compte d’une double asymétrie d’information qui, à l’incertitude sur la culpabilité de l’accusé, ajoute l’incertitude sur la qualité des preuves dont dispose le procureur. L’élément clé du modèle n’est alors pas l’innocence ou la culpabilité de l’accusé mais la robustesse de l’affaire (the strength of the case) qui dépend de la probabilité que l’accusé soit jugé coupable, estimée à partir des preuves et des informations disponibles [10].
10Le procureur qui représente les intérêts de la société, a trois préoccupations : infliger au coupable la sanction la plus appropriée au regard de la gravité de l’infraction commise, ne pas condamner un innocent et minimiser les coûts du procès. Ces objectifs sont inclus dans sa fonction d’utilité qui intègre, d’une part, l’utilité sociale attendue de la décision d’un coupable d’accepter ou de refuser l’offre et, d’autre part et de manière symétrique, l’utilité sociale attendue de la réponse d’un innocent à son offre. Plus précisément, lorsque le procureur fait une proposition, celle-ci peut s’adresser soit à un coupable, soit à un innocent puisqu’il ignore le type de l’accusé. Un accusé coupable peut refuser la proposition du procureur ou l’accepter. S’il la refuse, le procureur (et donc la société) supporte une désutilité du fait des coûts de procès mais retire une utilité correspondant à la sanction infligée au procès. Si, à l’inverse, l’accusé accepte l’offre du procureur, ce dernier perçoit l’utilité sociale de l’arrangement. S’il s’agit au contraire d’un accusé innocent, lorsqu’il refuse l’offre, le procureur supporte la désutilité engendrée par les coûts de procès mais aussi la désutilité consécutive à la condamnation d’un innocent s’il est jugé coupable ; si, en revanche, il accepte la proposition du procureur, ce dernier subit une perte d’utilité correspondant à la sanction acceptée par l’accusé innocent [11]. À partir de cette fonction d’utilité sociale qui dépend de la robustesse de l’affaire et du type estimé de l’accusé, le procureur décide du montant de la sanction proposée et formule une offre « à prendre ou à laisser ».
11L’accusé choisit sa stratégie en fonction de son type. Son utilité dépend du montant de la sanction proposée qui détermine ses pertes s’il accepte de plaider coupable mais aussi de ses pertes attendues au procès s’il refuse. Le montant de la proposition permet à l’accusé d’estimer l’information détenue par le procureur. S’inspirant de la définition générale de l’équilibre séquentiel de Kreps et Wilson [1982], Reinganum [1988] définit l’équilibre séquentiel du jeu, où la stratégie d’équilibre de chaque type d’accusés correspond à la probabilité de refus qui maximise son utilité espérée en fonction de ses croyances sur la robustesse de l’affaire, compte tenu de l’offre formulée par le procureur.
12La stratégie d’équilibre du procureur consiste à déterminer l’offre d’arrangement qui maximise son utilité attendue, étant donné les réponses anticipées des deux types d’accusés. Reinganum [1988] montre alors qu’une stratégie optimale pour le procureur peut consister à proposer une sanction nulle (autrement dit à abandonner), si l’affaire ne paraît pas assez robuste, c’est-à-dire si la probabilité de condamnation de l’accusé en cas de jugement est inférieure à une probabilité seuil π0. Si le gain obtenu de la condamnation d’un coupable est équivalent à la perte subie par la condamnation d’un innocent, alors l’affaire est abandonnée si le procureur pense qu’il y a plus d’une chance sur deux que l’accusé soit innocent. Si le coût social de la condamnation d’un innocent excède le gain obtenu de la condamnation d’un coupable, le procureur abandonne même si la probabilité que l’accusé soit coupable est supérieure à la probabilité qu’il soit innocent. Le doute est en effet suffisant pour justifier un abandon de la procédure. En conséquence, quand la probabilité de condamnation de l’accusé au procès π est inférieure à π0, l’équilibre est mélangeant en ce sens que le procureur propose une sentence nulle à des accusés dont la probabilité de condamnation au procès diffère pourtant (on sait seulement qu’elle est inférieure à π0). L’équilibre est en revanche parfaitement séparateur lorsque la robustesse de l’affaire excède ce seuil ; la proposition du procureur diffère alors en fonction de la robustesse de l’affaire.
13C’est sur ce point que Reinganum [1988] fonde sa critique du pouvoir discrétionnaire du procureur. En effet, dans la mesure où l’offre dépend uniquement de la robustesse de l’affaire, le procureur peut proposer une offre différente à des individus qui ont pourtant commis une infraction de gravité identique, simplement parce qu’il dispose de preuves différentes. Plus les preuves sont solides et plus la sanction proposée est élevée. Inversement, plus les preuves semblent fragiles, plus la sanction proposée est faible. La solution consiste à restreindre le pouvoir discrétionnaire du procureur en l’obligeant à proposer une offre identique à des individus accusés d’avoir commis des actes similaires, en vertu d’un principe d’équité horizontale. Cela peut alors conduire à une autosélection des accusés parce que l’estimation de leur probabilité de condamnation au procès (π) diffère ex ante. Face à une telle offre, un accusé innocent va refuser toute proposition supérieure à ses pertes attendues au procès, s0 . Celles-ci correspondent au produit de sa probabilité estimée ex ante de condamnation par la sanction prononcée par le juge, auquel s’ajoute la désutilité du procès. De même, un coupable rejette toute proposition supérieure à ses pertes attendues au procès, s0 . Il en résulte que tout offre s comprise dans l’intervalle est rejetée par les innocents et acceptée par les coupables.
14La stratégie du procureur consiste à déterminer la proposition qui maximise son utilité attendue. En fonction de la proportion q de coupables dans la population d’accusés arrêtés [12], la proposition optimale peut être soit nulle (i.e. abandon de la procédure), soit égale à s0 et dans ce cas tous les accusés acceptent de plaider coupables, soit égale à s0 et, dans ce cas, les coupables acceptent de plaider coupables, tandis que les innocents vont au procès. La procédure aboutit ainsi à un plaider coupable uniquement si la proportion de coupables parmi les accusés dépasse un certain seuil, sinon la procédure est abandonnée. En outre, la procédure permet de discriminer les types d’accusés uniquement au-delà d’une certaine proportion de coupables parmi les personnes arrêtées ; en dessous de ce seuil, la proposition reste mélangeante.
Reinganum [1988] conclut en montrant qu’il est préférable de maintenir le pouvoir discrétionnaire du procureur lorsque la proportion de coupables dans la population des accusés est faible. À l’inverse, quand cette proportion est élevée, il est préférable d’imposer au procureur de formuler des offres identiques à des accusés suspectés d’avoir commis le même acte répréhensible. En effet, comme les innocents sont peu nombreux, le coût des procès, dans un système où l’offre du procureur est contrainte, est relativement faible et peut s’avérer inférieur à la désutilité d’inciter des innocents à plaider coupables dans un système où le procureur est totalement libre de fixer son offre.
En définitive, le modèle de Reinganum [1988] est plutôt favorable au plaider coupable pour ce qui concerne l’absence de condamnation des innocents. En effet, lorsque les preuves sont minces, le procureur est incité à abandonner. Le problème provient du fait que le pouvoir discrétionnaire du procureur protège les accusés contre lesquels il dispose de preuves fragiles, indépendamment du fait qu’ils soient coupables ou innocents. Encadrer le pouvoir discrétionnaire du procureur peut limiter les inconvénients du plaider coupable, en particulier lorsque la proportion de coupables parmi les accusés est élevée. Les innocents peuvent en effet se distinguer des coupables en refusant l’arrangement. Le procès est alors le coût à payer pour établir leur innocence de manière crédible. En ce sens, le modèle de Reinganum [1988] se rapproche de celui de Grossman et Katz [1983] [13].
L’incitation à dénoncer ses complices
15Dans les modèles précédents, le procureur négociait avec un seul accusé. Kobayashi [1992] envisage des affaires impliquant plusieurs accusés qui se distinguent par leur degré de culpabilité. Il montre que l’offre optimale du procureur envers chacun des accusés impliqués dépend de deux facteurs : la probabilité de condamnation estimée ex ante par l’accusé comme dans le modèle de Reinganum [1988] et la capacité de l’accusé d’augmenter la probabilité de condamnation de son co-accusé. En supposant que l’information est positivement corrélée à la culpabilité (mesurée à partir de la probabilité ex ante d’être condamné en cas de procès), Kobayashi [1992] montre que le procureur, s’efforçant de maximiser la somme des sanctions attendues pour l’ensemble des accusés impliqués dans l’affaire, choisit d’acheter l’information au leader. Ce faisant, il augmente les sanctions infligées au « suiveur » proportionnellement plus qu’il ne réduit celles du leader. L’auteur donne ainsi une explication au constat selon lequel, aux États-Unis tout au moins, les sanctions les plus lourdes sont infligées aux accusés contre lesquels les charges sont les plus faibles. La procédure de plaider coupable serait un moyen, pour le procureur, d’acheter de l’information, lui permettant de condamner davantage de coupables [14].
16Dans ce modèle, tous les accusés sont supposés coupables, et l’asymétrie d’information porte seulement sur la qualité de l’information permettant au procureur d’estimer l’implication réelle de chaque individu dans l’affaire. Par rapport au modèle de Reinganum [1988], l’information transmise par le leader améliore la qualité des preuves du procureur (donc la robustesse de l’affaire), ce qui lui permet d’imposer des sanctions plus élevées aux accusés les moins impliqués. L’efficacité du plaider coupable est ainsi renforcée puisque davantage de coupables sont condamnés à une sanction mais au détriment de l’équité, puisque le leader vend ses informations en échange d’une réduction de la sanction et que les moins coupables sont les plus sanctionnés. Un moyen, selon Kobayashi [1992], de limiter cette source d’iniquité consiste à limiter le pouvoir de négociation du procureur et en particulier la réduction de peine accordée au leader.
Globalement, les modèles précédents sont assez favorables à la procédure de plaider coupable en ce sens qu’elle protégerait les innocents, même si ces derniers sont contraints d’aller jusqu’au procès pour le prouver. Aucun de ces modèles ne prend cependant en considération la possibilité pour certains accusés d’adopter des comportements stratégiques consistant à se comporter comme s’ils étaient innocents. C’est l’objet de l’article de Baker et Mezzetti [2001] qui montrent que certains coupables refusent la proposition du procureur, espérant être relaxés lors du procès. Ils montrent alors l’importance du budget dont dispose le procureur pour mener ses négociations et rendre la menace de procès crédible.
Le budget du procureur : un élément essentiel pour l’identification des coupables
17Landes [1971] avait déjà étudié le plaider coupable en considérant que le procureur était soumis à une contrainte budgétaire, mais dans un modèle sans asymétrie d’information, où tous les accusés étaient coupables. Prolongeant l’analyse, Baker et Mezzetti [2001] développent un modèle avec asymétrie d’information dans lequel l’identification des coupables par le procureur est contrainte par son budget. Face à un procureur non informé, les accusés coupables sont susceptibles d’adopter des comportements stratégiques afin de se faire passer pour innocents. Plus la culpabilité de l’accusé est difficile à prouver, plus un coupable a intérêt à refuser la proposition du procureur parce que sa menace d’aller au procès n’est pas suffisamment crédible. Une augmentation des ressources du procureur, en lui permettant d’acquérir des preuves supplémentaires, permet de contrer ces comportements stratégiques.
18Pour le montrer [15], Baker et Mezzetti [2001] envisagent un individu arrêté pour une infraction de gravité , supposée continue. L’accusé est de type t avec selon qu’il est coupable ou innocent. Le procureur ignore cette information. En se fondant sur les preuves obtenues par la police lors de l’arrestation de l’accusé, il estime avec une probabilité p que l’accusé est coupable et avec la probabilité complémentaire qu’il est innocent. Le procureur pense en outre qu’il y a plus de chances que l’accusé soit coupable qu’innocent [16]. Il propose alors une peine q à l’accusé en échange de la reconnaissance des faits dont il est accusé. Ce dernier choisit d’accepter l’arrangement ou de le refuser. S’il l’accepte, l’accusé est condamné à la sanction q ; s’il refuse, le procureur décide, avec une probabilité , de consacrer des ressources à la recherche de nouvelles preuves, où M représente son budget. Les preuves ainsi obtenues sont soient , indiquant que l’accusé est coupable, soient , indiquant qu’il est innocent. Sur la base de ces preuves, le procureur opte pour le classement sans suite ou le procès [17]. Il ne formule jamais de nouvelle proposition de plaider coupable. La probabilité que l’affaire soit résolue par un procès est notée ; l’accusé est condamné avec une probabilité [18] à une sanction x à laquelle s’ajoutent les coûts de procès k. Les croyances révisées du procureur, sur le type t de l’accusé, après refus par ce dernier de sa proposition q et après perception du signal s sont . Si l’affaire va au procès, le procureur subit une perte λx (avec ) si le coupable est relaxé et gagne x si le coupable est condamné. Si un innocent est condamné au procès, le procureur perd x, tandis que son gain est nul s’il est relaxé [19]. Les coûts de procès du procureur sont notés c.
Sous ces hypothèses, Baker et Mezzetti [2001] montrent que plusieurs équilibres peuvent être obtenus selon la gravité de l’infraction commise. Ainsi, si la gravité de l’infraction, x, est mineure (i.e. comprise dans l’intervalle ), le plaider coupable conduit soit à un équilibre mélangeant, soit à un équilibre séparateur. À l’équilibre mélangeant, tous les accusés, coupables ou innocents, refusent la proposition du procureur. Ce dernier, compte tenu de la faible gravité de l’infraction, ne va jamais au procès et classe l’affaire [20]. À l’équilibre séparateur, tous les coupables acceptent la proposition et tous les innocents la refusent. Cet équilibre est obtenu dans le cas particulier où le procureur propose une sanction nulle, c’est-à-dire qu’il choisit de ne pas aller au procès après refus de l’accusé, sachant, avec certitude qu’il sera déclaré innocent.
19Si la gravité de l’affaire est comprise dans l’intervalle [21] , il n’existe aucun équilibre mélangeant et l’équilibre obtenu est semi-séparateur : tous les innocents rejettent l’offre du procureur ainsi qu’une partie des coupables, les autres acceptant de plaider coupables. Cet équilibre atteint, on observe que :
- une proportion de coupables refuse la proposition parce que la sanction proposée est supérieure à la sanction maximale attendue au procès (si le pro-cureur observe ) augmentée des coûts de procès ( avec ) ;
- une proportion γ de coupables accepte l’arrangement du procureur parce que la sanction proposée est inférieure à la sanction maximale qu’ils sont disposés à accepter [22] ;
- les innocents refusent toujours de plaider coupable, quel que soit le montant de la sanction ;
- si le procureur reçoit un signal d’innocence , il révise ses croyances et ne va jamais au procès ;
- si le procureur observe le signal de culpabilité , ses croyances d’équilibre sont si et
; - la probabilité optimale que le procureur décide de résoudre l’affaire par un procès après refus de l’accusé est si la sanction proposée est inférieure à la sanction maximale que les coupables sont disposés à accepter ; cette probabilité est égale à 1 dans le cas inverse.
L’une des principales critiques adressées à la procédure de plaider coupable est qu’elle conduirait des innocents à être condamnés à tort, la réduction et la certitude de la peine pouvant les inciter à renoncer au procès. Ce problème survient en raison d’une asymétrie d’information entre le procureur et l’accusé. Les premiers modèles économiques de plaider coupable ont plutôt cherché à établir que cette procédure pouvait supprimer l’incertitude sur la culpabilité de l’accusé : les innocents sont contraints d’aller jusque devant le juge pour prouver leur innocence et se différencier des coupables. Le problème se pose lorsque la menace du procureur d’aller au procès n’est pas crédible. Une façon d’accroître l’efficacité du plaider coupable en tant que mécanisme de révélation d’information consiste alors à limiter le pouvoir discrétionnaire du procureur mais aussi à augmenter son budget afin qu’il puisse rechercher les preuves nécessaires pour confondre les coupables.
La première partie était consacrée à la procédure de plaider coupable comme mécanisme de révélation d’information sur la culpabilité des accusés. L’accent a été mis sur la négociation entre le procureur et l’accusé et donc sur l’impact ex post du plaider coupable, une fois l’acte répréhensible commis. Il convient désormais de s’intéresser à son influence ex ante, sur la dissuasion, conformément à l’économie du crime (Becker [1968], Polinsky et Shavell [2000 ; 2007]) [23]. Lorsqu’on intègre les spécificités du plaider coupable, deux paradoxes apparaissent : d’abord, la sanction infligée est plus efficace lorsqu’elle est élevée et contrainte par des barèmes de peines (ce qui contredit les principes d’allégement et d’individualisation de la peine) ; ensuite, la peine prononcée réduit le nombre d’infractions commises uniquement si le budget du procureur est élevé, rendant sa menace de procès crédible. L’apport principal de ces études est de mettre en évidence les effets indésirables d’un recours massif et généralisé au plaider coupable, en particulier un moindre effet dissuasif et une aggravation des infractions commises.
La dissuasion des activités illégales par la procédure de plaider coupable
21Selon Becker [1968], les individus rationnels s’engagent dans une activité illicite si l’utilité espérée de cette activité excède celle d’une activité licite. Toute mesure permettant d’accroître la sanction attendue (par une augmentation de la probabilité de détection et/ou de la sanction) a pour effet de réduire l’incitation à commettre des actes répréhensibles. Inversement, toute mesure conduisant à réduire la sanction attendue encourage les activités illicites. La réduction de peine accordée à l’accusé qui reconnaît sa culpabilité pourrait donc aller à l’encontre de l’effet dissuasif désiré. Kaplow et Shavell [1994] ont montré, dans le cadre général de l’autodénonciation que, si la sanction est choisie de manière optimale, l’autodénonciation est socialement bénéfique puisqu’elle permet à la justice de faire des économies, notamment sur la recherche de preuves, mais également à l’accusé d’échapper au risque du procès. Se pose alors le problème des innocents, incités à plaider coupables. Miceli [1996] montre alors que l’objectif de dissuasion peut entrer en contradiction avec l’objectif de condamnation, en particulier lorsque la société se soucie peu du sort des innocents.
Kaplow et Shavell [1994] ajoutent que l’impact dissuasif de la sanction est préservé si la sanction infligée est égale (ou juste inférieure) à l’équivalent certain de la sanction attendue au procès si l’accusé ne s’était pas dénoncé. En d’autres termes, la sanction doit être telle que l’accusé soit indifférent entre se dénoncer ou pas. La littérature économique consacrée au caractère dissuasif du plaider coupable parvient à une conclusion similaire. En particulier, selon Roberts [2000], la dissuasion est préservée si l’écart de peine entre le plaider coupable et le procès est faible ; une généralisation du plaider coupable associée à une réduction de la peine pourrait alors conduire à une aggravation des crimes commis. Mongrain et Roberts [2005] insistent de surcroît sur le budget dont doit disposer le procureur pour mener sa négociation et rendre sa menace de procès crédible.
Dissuasion et condamnation : des objectifs potentiellement contradictoires
22La réduction de peine supposée inciter l’accusé à plaider coupable contraint le procureur à renoncer, au moins partiellement, à l’effet dissuasif de la sanction. Un individu peut en effet être davantage incité à commettre un acte répréhensible s’il sait qu’en plaidant coupable, sa peine sera réduite. En contrepartie, le procureur garantit à la société qu’une sanction est appliquée, à un coût inférieur à celui du procès. L’objectif de dissuasion du législateur et l’objectif de condamnation du procureur apparaissent alors antagonistes. Miceli [1996] est le premier à analyser cette contradiction apparente, en supposant qu’un procureur non informé de la culpabilité réelle de l’accusé (innocent ou coupable), propose à ce dernier une offre « à prendre ou à laisser ». L’offre formulée maximise sa fonction d’utilité, qui consiste à maximiser l’écart entre le gain d’utilité attendu de la condamnation d’un coupable et la perte d’utilité consécutive à la condamnation d’un innocent, auquel il faut retrancher les coûts de procès. En cas de refus de cette proposition, l’affaire est portée devant un juge. L’accusé connaît la sanction s qui lui sera imposée en cas de jugement ; il accepte donc toute proposition inférieure à ses pertes attendues au procès (sanction attendue et coûts de procès). Ainsi, si l’offre excède les pertes attendues au procès d’un coupable, ag, tous les accusés la rejettent et tous vont au procès (proposition mélangeante optimale si elle est comprise entre les pertes attendues au procès d’un innocent ai et celles d’un coupable ag, elle est acceptée par les coupables et refusée par les innocents (proposition séparatrice optimale a telle que enfin, si la proposition est inférieure aux pertes attendues au procès d’un innocent, ai, tous les accusés l’acceptent (proposition mélangeante ). Le choix de la proposition par le procureur détermine l’impact dissuasif du plaider coupable : plus la sanction est élevée, plus elle est dissuasive. Son choix conditionne également les chances que sa proposition soit acceptée. Miceli [1996] distingue alors deux situations selon que le coût de condamnation d’un innocent pour la société (représentée par le procureur) est inférieur ou supérieur au gain qu’il retire de la condamnation d’un coupable.
23Dans le premier cas, le procureur a le choix entre proposer l’offre mélangeante la plus élevée (donc optimale) ai et en retirer une utilité ou l’offre séparatrice la plus élevée ag et en retirer une utilité . Il détermine alors une sanction seuil, notée , telle que si alors , de sorte que le procureur choisit la proposition mélangeante ai. Inversement, si , alors et le procureur choisit la proposition séparatrice optimale ag. En reliant l’offre de crimes à la sanction imposée, Miceli [1996] montre que la courbe d’offre de crimes [24] décroît quand la sanction augmente, mais surtout que la courbe connaît une cassure au niveau de la sanction l’offre de crimes décroissant alors fortement lorsqu’on passe de l’offre mélangeante ai à l’offre séparatrice ag. Dans la mesure où l’offre de crimes est toujours décroissante, les objectifs de dissuasion (du législateur) et de condamnation (du procureur) ne sont pas antagonistes.
24Dans le deuxième cas, le procureur a le choix entre la proposition mélangeante nulle qui garantit qu’aucun innocent n’accepte de plaider coupable (toute offre est acceptée par les deux types d’individus) et la proposition séparatrice ag qui garantit que les coupables acceptent de reconnaître leur culpabilité mais conduit les innocents devant le juge. À nouveau, Miceli [1996] détermine une sanction seuil telle que si , le procureur abandonne l’affaire et si , le procureur choisit la proposition séparatrice ag. L’offre de crimes est alors stable jusqu’en (toutes les affaires étant abandonnées, il n’y a aucun effet dissuasif), puis, à partir de ce niveau de sanction, l’offre de crimes décroît. En conséquence, tant que la sanction n’a pas atteint un certain seuil , l’objectif de condamnation est incompatible avec l’objectif de dissuasion, le procureur préférant abandonner l’affaire plutôt que de prendre le risque de condamner un innocent. Au-delà de ce seuil, les deux objectifs deviennent compatibles.
En définitive, l’analyse de Miceli [1996] montre que la satisfaction de l’objectif dissuasif du plaider coupable dépend de la valeur que la société, représentée par le procureur, accorde à la protection des innocents. Si le coût social de la condamnation d’un innocent est faible comparativement au gain de la condamnation d’un coupable, alors l’objectif de dissuasion l’emporte sur l’objectif de condamnation de sorte que les innocents sont contraints d’aller au procès pour prouver leur innocence.
Une offre de plaider coupable proche du jugement
25Roberts [2000] prolonge l’analyse de Miceli [1996] et aboutit à une conclusion similaire mais en supposant que l’accusé n’a pas le choix entre accepter ou refuser la proposition du procureur. La probabilité que l’affaire soit résolue par un plaider coupable ou par un procès dépend en effet uniquement de la décision du procureur de recourir ou non à la négociation. L’objectif de Roberts [2000] consiste alors à déterminer comment l’allégement de la peine, inhérente au plaider coupable, affecte la décision des délinquants potentiels de commettre un acte répréhensible.
26Dans ce modèle, les individus se distinguent par leur aptitude à commettre un crime, θ, uniformément distribuée sur l’intervalle . La sanction attendue d’une activité criminelle est une fonction croissante de θ [25]. Les individus se répartissent en deux groupes : d’un côté, ceux dont le type θ est inférieur au type limite θ* et qui ne commettent pas de crime [26] ; de l’autre côté, ceux dont le type θ est supérieur au type limite θ* et qui commettent un crime. Le nombre total de délinquants au sein de la population correspond donc à . La probabilité d’arrestation de l’individu ayant commis un crime, ρ, est indépendante de la gravité du crime et il est supposé qu’aucun innocent n’est arrêté. La probabilité de condamnation au procès est donc unitaire et il n’y a aucun risque d’erreur judiciaire dans ce modèle, ce qui permet d’écarter les problèmes liés à l’identification des coupables pour se consacrer uniquement à l’effet dissuasif.
27Le procureur ignore le type exact de l’accusé, θ, de sorte qu’il ne peut pas aligner sa proposition d’arrangement sur l’aptitude criminelle de l’accusé. En cas de procès, l’accusé est condamné à une sanction qui conditionne les coûts du procès [27]. Avec une probabilité Ψ, le procureur préfère proposer un plaider coupable et fait une offre à l’accusé. L’objectif du procureur consiste à maximiser les sanctions attendues moyennes sous contrainte de budget [28] :
30Le gain retiré par le procureur de la condamnation des accusés est décroissant avec la proportion de plaider coupable proposé (puisque la sanction négociée est toujours inférieure à la sanction imposée) et croissant avec la sanction prononcée lors du procès. À l’équilibre, le procureur cherche donc à minimiser le nombre de plaider coupable proposé afin d’accroître la sanction attendue pour chaque criminel arrêté.
31La contrainte budgétaire du procureur permet de déduire la proportion d’affaires résolues par un procès :
33La sanction attendue de l’activité criminelle, pour l’accusé de type limite θ*, est égale à la somme des sanctions selon que l’affaire est résolue par un plaider coupable ou par un procès :
35En remplaçant par l’expression , la sanction attendue par le criminel se réécrit :
37La sanction attendue apparaît ainsi directement affectée par le budget dont dispose le procureur , par le coût du procès ainsi que par l’écart entre le jugement et la sanction négociée .
38Deux cas sont alors envisagés pour déterminer l’effet du plaider coupable sur la dissuasion. Dans le premier cas, toute hausse de la sanction au procès entraîne une augmentation identique de la sanction du plaider coupable , soit . L’effet, sur la dissuasion, d’un accroissement de la sanction au procès s’écrit alors :
40L’effet dissuasif de la sanction au procès dépend du rapport entre le budget du procureur et le coût du procès (l’écart entre les peines négociée et imposée étant constant). Plus le coût du procès est important par rapport au budget du procureur et plus il est probable que le membre de droite de cette égalité soit positif. Dans ce cas, une augmentation de la sanction au procès sT entraîne une augmentation du type limite de sorte qu’elle a un effet positif sur la dissuasion [30].
41Dans le second cas, la hausse de la sanction infligée au procès n’influe pas sur le montant de la sanction relative au plaider coupable, soit . L’impact sur la décision du délinquant potentiel est alors donné par :
43Lorsque la sanction infligée au procès augmente, comme la sanction négociée ne varie pas, l’écart entre les sanctions imposée et négociée s’accroît et peut compenser l’augmentation des coûts de procès. Le membre de droite a donc plus de chances d’être négatif, de sorte que l’élévation de la sanction imposée au procès a effet négatif sur la dissuasion.
44Conformément aux modèles d’économie du crime où les politiques pénales de dissuasion portent sur la sanction et/ou la probabilité d’arrestation, Roberts [2000] étudie ensuite l’impact d’une augmentation de la probabilité d’arrestation sur le nombre de crimes commis :
En définitive, les effets sur la dissuasion d’une sanction plus élevée au procès et d’une augmentation de la probabilité d’arrestation sont contraires lorsque la sanction de plaider coupable n’est pas alignée sur la sanction au procès. Contrairement au modèle de Becker [1968], il n’y donc pas de substitution possible entre ces deux politiques pénales, à moins d’aligner l’offre de plaider coupable sur le jugement. Le recours au plaider coupable, fondé sur une réduction de la peine, est alors justifié lorsqu’une hausse de la probabilité d’arrestation est plus dissuasive qu’une hausse de la sanction, en raison de la certitude de la peine (même si elle est plus faible que le jugement correspondant) [31]. Par ailleurs, Roberts [2000] montre qu’une meilleure dissuasion implique d’accroître le budget du procureur afin d’accroître son pouvoir de négociation pour lui permettre de formuler des propositions de peines plus élevées. Assigner un objectif dissuasif au plaider coupable est alors en contradiction avec les fondements mêmes de la procédure : réduire les coûts du système judiciaire et garantir la sanction au prix d’un allégement de peine.
Aggravation des crimes commis en cas de recours massif au plaider coupable
46Les résultats précédents ont été établis en supposant que le plaider coupable concernait un seul type de délits. Dans la suite de son article, Roberts [2000] montre que si le relâchement de la contrainte budgétaire du procureur permet de réduire le nombre d’infractions, un recours généralisé à cette procédure pour l’ensemble des crimes commis provoquerait parallèlement un accroissement de la gravité des infractions commises. Pour le démontrer, l’auteur envisage deux types de crimes qui diffèrent par leur degré de gravité : élevée ou faible. La gravité du crime est représentée par l’indice α, sachant que , H et L représentant respectivement les crimes de gravité élevée et faible. La sanction estimée par l’individu lorsqu’il décide de commettre un crime Esα, correspond à la somme des sanctions infligées en cas de procès et de plaider coupable :
48où Ψα est la probabilité que le procureur opte pour le plaider coupable.
49La sanction infligée au procès ainsi que celle proposée dans le cadre du plaider coupable sont supposées croissantes avec la gravité du crime. En outre, la proposition du procureur est supposée correspondre à la sanction du procès diminuée de la moitié des coûts évités du jugement : . Comme précédemment, le procureur cherche à maximiser les sanctions attendues moyennes :
51sous la contrainte de budget :
53La probabilité d’arrestation du délinquant, ρ, est supposée constante quelle que soit la gravité du crime ; θ2 est l’aptitude d’un individu à commettre un crime de gravité élevée et θ1 celle à commettre un crime de gravité faible. Le coût du procès supporté par le procureur dépend de la gravité du crime et peut donc prendre deux formes : ou selon que le crime commis est de gravité élevée ou faible. Le coût du procès est croissant avec la sanction infligée au procès, ce qui diminue le budget du procureur et l’incite à recourir davantage au plaider coupable. Comme le coût de procès augmente avec la gravité du crime, le procureur a davantage recours au plaider coupable à mesure que la gravité du crime s’accroît. L’accroissement du montant de la sanction mène à une augmentation de la gravité du crime si :
Le rôle central des contraintes budgétaires
54L’article de Mongrain et Roberts [2005] prolonge celui de Roberts [2000] en supposant que la décision du procureur de résoudre l’affaire par un plaider coupable dépend de son niveau d’effort, fonction de son budget. Ce modèle montre que si les délinquants potentiels anticipent une sanction faible, le nombre de crimes qu’ils sont disposés à commettre augmente. Les auteurs montrent également que le recours au plaider coupable, comme unique mode de résolution d’une affaire, provoque un accroissement du nombre de crimes commis à mesure que l’écart entre la sanction estimée du procès et celle du plaider coupable augmente.
55Comme précédemment, les individus sont répartis en deux groupes, en fonction de leur aptitude à commettre un crime, mesurée à partir du paiement attendu du crime : d’un côté, ceux dont le type θ est inférieur au type limite θ* et qui ne commettent pas de crime [32] ; de l’autre côté, ceux dont le type θ est supérieur au type limite θ* et qui commettent un crime. Le nombre total de délinquants au sein de la population correspond donc à . Le délinquant est arrêté avec une probabilité μ. Contrairement à Roberts [2000], Mongrain et Roberts [2005] supposent que la probabilité de condamnation au procès n’est pas certaine. Cette probabilité, notée , dépend des niveaux d’effort exercés respectivement par le procureur et par le délinquant L’effort de chaque partie correspond à ses coûts de procès.
56Le procureur, avec une probabilité λ, choisit de recourir au plaider coupable et de proposer une sanction B. Inversement, avec une probabilité , le procureur va au procès et le délinquant est condamné avec une probabilité à une sanction S (avec .
57L’individu limite est celui dont l’aptitude criminelle θ* est juste égale à la sanction attendue (s’il est arrêté et que l’affaire soit résolue par un plaider coupable ou un procès) :
59Pour chaque affaire, le procureur, qui dispose d’un budget limité , cherche à maximiser la sanction attendue moyenne nette du coût de son effort en cas de procès :
61sous la contrainte budgétaire .
62En saturant la contrainte budgétaire, la probabilité que l’affaire soit résolue par un plaider coupable s’écrit :
64λ dépend donc directement du budget dont dispose le procureur et de son effort au procès.
Sous ces conditions, deux cas sont envisagés par Mongrain et Roberts [2005] selon que le budget du procureur et de l’accusé sont limités ou illimités.
Le budget du procureur est limité, celui du délinquant illimité
65Lorsque le budget du procureur est limité mais pas celui de l’accusé, ce dernier dispose d’un certain pouvoir de négociation α qui lui permet de peser sur l’offre du procureur. La proposition optimale du procureur, c’est-à-dire le montant maximal de la peine qu’est disposé à accepter le délinquant plutôt que d’aller au procès B*, est :
67où d* et e* sont les efforts optimaux exercés respectivement par le délinquant et le procureur. La valeur seuil θ*, se réécrit comme suit :
69Les auteurs étudient alors l’impact d’une politique pénale plus dissuasive consistant à augmente la sanction au procès. Une augmentation de la sanction au procès a un effet positif sur la dissuasion si . Inversement, cette politique a un effet indésirable sur la dissuasion si . L’effet d’une augmentation de S est a priori indéterminé car elle provoque trois effets (un effet direct et deux effets indirects) qui peuvent jouer en sens inverse. Pour un individu de type limite qui a été arrêté :
71L’effet direct montre que l’augmentation de S a un impact positif sur la dissuasion puisqu’elle augmente θ* d’un facteur . Le premier effet indirect a également un impact positif sur la dissuasion puisque l’augmentation de S induit une augmentation de B* d’un facteur . En revanche, le second effet indirect a un impact négatif sur la dissuasion dans la mesure où l’augmentation de S induit une augmentation de l’effort e* du procureur qui va davantage contraindre son budget. Cela va inciter le procureur à proposer davantage de plaider coupable. Comme l’offre négociée est inférieure à la sanction au procès, la dissuasion est réduite. En conséquence, l’effet total d’une politique pénale visant à augmenter la sanction au procès est indéterminé. Elle a d’autant plus de chances d’échouer que l’écart entre la sanction imposée et la sanction négociée est élevé. Or, plus le pouvoir de négociation α de l’accusé est élevé, plus cet écart est important.
Le budget du procureur est illimité, celui du délinquant est limité ou non
72Le budget du procureur est illimité ; celui des délinquants peut être ou non limité, mais le procureur ignore cette information. De surcroît, le procureur est supposé formuler une offre « à prendre ou à laisser », de sorte que l’accusé perd tout pouvoir de négociation (i.e. ).
73Si le procureur estime que la richesse du délinquant est limitée (et donc qu’il fournira l’effort dc), il lui propose une sanction de plaider coupable :
75On en déduit la valeur « seuil » au-delà de laquelle le délinquant commet un crime :
77À l’inverse, si le procureur considère que le budget du délinquant n’est pas limité, c’est-à-dire que ce dernier exercera son niveau d’effort optimal d *, la sanction proposée est :
79Le type limite à partir duquel l’individu commet un crime, θ*, est :
81Les auteurs estiment que supposant implicitement que l’impact sur la sanction attendue du fait d’être budgétairement contraint excède l’impact sur les coûts de procès [33]. L’offre Bc est séparatrice puisque B* est l’offre maximale acceptée par les accusés non budgétairement contraints. Si le procureur fait la proposition mélangeante B*, les accusés contraints retirent un surplus par rapport à la proposition Bc.
82Ce surplus équivaut à :
84Comme et quand la sanction au procès augmente, le surplus des accusés contraints augmente. L’impact, sur la dissuasion, d’une hausse de S est indéterminé. En effet :
86Une augmentation de S accroît les pertes totales estimées du procès mais également le surplus retiré du plaider coupable [34] Δ.
Dans un article récent, Mongrain et Roberts [2009] modifient le cadre d’analyse en supposant que le procureur attribue un poids à la condamnation des délinquants dans sa fonction d’utilité [35] et que la décision du délinquant de commettre ou non un crime ne dépend plus de son niveau d’effort lors du procès. Les auteurs montrent alors que le procureur recourt d’autant plus au plaider coupable qu’il attribue un poids important à la condamnation des délinquants pour deux raisons. Premièrement, le recours accru au plaider coupable contribue à relâcher la contrainte budgétaire du procureur, ce qui lui permet de consacrer davantage de ressources pour les affaires qui vont au procès et augmente ainsi sa probabilité de victoire lors du jugement. Deuxièmement, le recours au plaider coupable garantit la condamnation. La recherche d’un taux de condamnation élevé de la part du procureur peut néanmoins conduire à un effet négatif sur la dissuasion. En effet, un procureur attribuant un poids élevé à la condamnation des délinquants propose davantage de plaider coupable (afin de s’assurer un taux élevé de condamnation) qu’un procureur bienveillant, plus sensible à la protection des innocents. Les délinquants sont alors d’autant plus incités à commettre des crimes puisque la sanction estimée est faible.
Conclusion
87L’efficacité du plaider coupable a été envisagée sous deux angles : la révélation d’information et la dissuasion du crime. Concernant sa dimension informative, l’efficacité du plaider coupable est améliorée si le pouvoir discrétionnaire du procureur est limité (Reinganum [1988] et Kobayashi [1992]) et si le procureur n’est pas budgétairement contraint (Baker et Mezzetti [2001]). Concernant sa dimension dissuasive, les études mettent en évidence un effet pervers du recours massif et généralisé à toutes les infractions (Roberts [2000], Mongrain et Roberts [2005], Mongrain et Roberts [2009]). L’utilisation massive pourrait certes générer une meilleure dissuasion (à condition d’aligner la sanction négociée sur la sanction imposée) mais aussi une aggravation des infractions commises. Deux paradoxes apparaissent finalement. D’abord, la sanction infligée est plus efficace si elle est élevée et contrainte par des barèmes de peines (ce qui contredit les principes d’allégement et d’individualisation de la peine). Ensuite, la peine prononcée réduirait le nombre d’infractions commises uniquement si le budget du procureur est élevé.
88La littérature économique du plaider coupable s’avère également utile concernant les effets attendus de la crpc. Néanmoins, les conclusions établies dans le cadre américain ne peuvent pas être transposées directement en raison de trois différences fondamentales entre les deux procédures : le champ d’application (délits versus ensemble des affaires pénales), le déroulement de la procédure (dans le cas d’une extension aux crimes, le procureur seul ou le jury d’assises) et le rôle du juge (contrôle versus absence de contrôle). Par ailleurs, en considérant uniquement le prévenu et le procureur, la littérature néglige deux agents qui influent pourtant sur le déroulement et l’issue du plaider coupable (Garoupa et Stephen [2006 ; 2008]) : le juge dont le rôle d’homologation est fondamental dans la crpc et l’avocat dont la présence est obligatoire à tous les stades de la procédure. L’influence de l’avocat (et de son mode de rémunération), notamment sur la levée des asymétries d’information, a été néanmoins examinée très récemment. Fazio, Stephen et Tata [2008] étudient empiriquement l’impact du système d’honoraires de l’avocat sur la décision de recourir au plaider coupable et le moment de l’accord. Ils montrent que si le client a des ressources faibles, il est plus probable que l’affaire soit résolue par un plaider coupable et rapidement. Ancelot et Delacote [2009a ; 2009b ; 2009c] déterminent, pour leur part, l’impact du système de rémunération de l’avocat (horaire ou forfaitaire) sur le montant de la peine infligée en considérant non seulement que l’avocat peut être de deux types, altruiste ou égoïste, mais aussi que le procureur possède ou non l’information sur le type de l’avocat. Ils identifient le type de l’avocat et le système de rémunération qui permet à l’accusé de bénéficier de la peine la plus faible. Ils montrent que le procureur fournit un effort plus élevé lorsqu’il est face à un avocat altruiste mais aussi que, sous certaines conditions, un avocat altruiste serait disposé à faire accepter une peine d’un montant plus élevé qu’un avocat égoïste. Les travaux futurs sur le plaider coupable semblent s’orienter sur le rôle de ces deux acteurs.
Représentation du jeu de Baker et Mezzetti [2001]
Bibliographie
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Notes
-
[*]
Beta, cnrs, Université Nancy 2, 13, place Carnot F-54035 Nancy. Courriel : lydie.ancelot@univ-nancy2.fr
-
[**]
Id2, Université Paul Verlaine – Metz, ufr Droit, Économie et Administration, Île du Saulcy F-57000 Metz. Courriel : myriam.doriatduban@univ-metz.fr
-
[1]
L’instauration de la crpc s’inscrit dans la lignée des procédures pénales dites « accélérées » (comparution immédiate [1983], composition pénale [1999] et ordonnance pénale [2002]) dont le principal objectif est de répondre à l’exigence de célérité du système judiciaire.
-
[2]
Au 31 décembre 2005, 25 tribunaux de grande instance sur 181 n’avaient pas encore eu recours à la crpc. De plus, le nombre de crpc varie de 2 pour la juridiction de Bastia à 2 154 pour celle de Rouen (Ministère de la Justice [2005]).
-
[3]
Ainsi, pour Papadopoulos [2005], « la référence théorique dominante aux États-Unis pour comprendre le plaider coupable est incontestablement aujourd’hui le mouvement Law and Economics (…) qui tente d’appréhender les institutions juridiques à l’aide de l’analyse économique ».
-
[4]
Pour une synthèse de cette littérature, Daughety [1999].
-
[5]
De même, Motta et Polo [2003] montrent que le programme de clémence, dont le but est d’inciter les entreprises impliquées dans une entente à dénoncer leurs pratiques illicites par une réduction du montant de l’amende, peut encourager les pratiques collusives parce qu’il réduit le coût attendu de la sanction. La réduction de peine aurait alors un effet contraire à celui souhaité. Ils ajoutent que si les autorités de la concurrence ne sont pas budgétairement contraintes, le programme de clémence devrait alors être abandonné. En revanche, si les ressources des autorités de la concurrence sont limitées, la dénonciation par l’une des firmes participant à l’entente une fois l’enquête ouverte, permet de réduire les coûts d’enquête alors que dans le même temps, les entreprises sont incitées, par la réduction de la sanction, à dénoncer l’entente. Dans ce cas, le programme de clémence doit être maintenu car il améliore le bien-être social.
-
[6]
Les principales différences entre ces deux procédures concernent leur champ d’application, restreint aux seuls délits en France, et le rôle du juge.
-
[7]
Adelstein [1998] propose une approche différente, axée sur les différences institutionnelles entre les pays. Il distingue les systèmes inquisitoires des pays d’Europe continentale, des systèmes accusatoires anglo-saxons et s’intéresse plus à l’évolution de ces systèmes qu’aux comportements des parties.
-
[8]
Pour une présentation synthétique de la littérature consacrée à la négociation dans les conflits civils, consulter Cooter et Rubinfeld [1989]. Dans ce type de modèles, l’asymétrie d’information entre les parties conduit des défendeurs innocents à refuser l’accord amiable proposé par le demandeur non informé (Bebchuk [1984]). Dans le cas du plaider coupable, le problème est différent puisque l’asymétrie d’information peut conduire un innocent à accepter une peine. Dans tous les cas cependant, l’individu innocent supporte le coût de l’asymétrie d’information.
-
[9]
Le procureur connaît uniquement la proportion d’accusés coupables dans la population.
-
[10]
Ainsi, un accusé dont la probabilité de condamnation au procès est de 0,7 est soit un coupable qui a 30 % de chances d’être acquitté, soit un innocent qui a 70 % de risque d’être condamné au procès.
-
[11]
Ainsi, selon Reinganum [1988], la fonction d’utilité du procureur est la différence entre l’utilité sociale de la condamnation d’un coupable et la désutilité sociale de la condamnation d’un innocent, diminuée de la désutilité sociale des coûts de procès (p. 717).
-
[12]
Deux situations sont distinguées selon que le produit entre l’utilité de condamner un coupable, la sanction encourue au procès et l’écart entre la robustesse estimée de l’affaire selon que l’accusé est coupable ou innocent est inférieur ou supérieur aux coûts d’un procès pour le procureur. Dans chaque situation, trois intervalles sont définis en fonction des valeurs des variables représentant l’utilité de condamner un coupable, la désutilité de condamner un innocent, la sanction en cas de procès, les estimations des accusés sur la robustesse de l’affaire et les coûts de procès pour le procureur.
-
[13]
D’autres études insistent sur l’opportunité d’encadrer les propositions des procureurs par des barèmes (i.e. de grilles de peines). Reinganum [2000] montre que les barèmes auxquels les juges se réfèrent pour contrôler les accords désincitent les procureurs à formuler des offres trop différentes pour des affaires similaires afin d’éviter que l’accord conclu soit contesté. Ce résultat est confirmé par Bar-Gill et Gazal [2006] et Bjerk [2007].
-
[14]
On retrouve une situation identique dans la procédure de clémence où une entreprise impliquée dans une entente est incitée à dénoncer ses partenaires en l’échange d’une réduction de la sanction. Kobayashi [1992] explique d’ailleurs que selon l’Antitrust Division of the us Department of Justice, négocier un accord dans lequel la firme la plus coupable reçoit le meilleur traitement est souvent la seule façon d’attaquer un cartel.
-
[15]
L’arbre du jeu, construit par nos soins, est présenté en annexe.
-
[16]
Cela suppose que la police arrête les accusés uniquement si elle dispose de suffisamment d’éléments de preuves, sans pour autant que la culpabilité de l’accusé soit certaine.
-
[17]
Contrairement à Grossman et Katz [1983] pour qui la menace du procureur d’aller au procès en cas de refus de plaider coupable est toujours crédible (de sorte que seuls les innocents vont jusqu’au procès), Baker et Mezzetti [2001] introduisent la possibilité pour le procureur de renoncer à son action en justice. Il est alors possible de mettre en évidence des comportements stratégiques de la part des accusés coupables, consistant à refuser l’offre dans l’espoir que le procureur renonce à son action et n’aille pas jusqu’au procès. Les innocents ne sont alors plus les seuls à aller devant le juge si le procureur décide finalement d’aller au procès, contrairement aux résultats établis par Reinganum [1988].
-
[18]
Lorsque les nouvelles preuves collectées tendent à prouver l’innocence de l’accusé, la probabilité de condamnation d’un coupable demeure supérieure à celle d’un innocent . La probabilité de condamnation d’un coupable en l’absence de preuves supplémentaires est supérieure à sa probabilité de condamnation si des preuves supplémentaires tendant à prouver plutôt son innocence sont obtenues ; de même, la probabilité de condamnation d’un innocent en l’absence de preuves supplémentaires est supérieure à sa probabilité de condamnation si des preuves supplémentaires tendant à confirmer son innocence sont obtenues . Enfin, la probabilité de condamnation d’un accusé quel que soit son type est plus élevée lorsque les preuves plaident pour sa culpabilité plutôt que pour son innocence .
-
[19]
Il est supposé que le système judiciaire préfère condamner un innocent que relaxer un coupable. Cette hypothèse découle de la fonction objectif du procureur qui consiste à maximiser le nombre de condamnations des coupables.
-
[20]
est la sanction pour laquelle la perte supportée par le procureur du fait de la relaxe d’un coupable est juste égale aux coûts de procès. En conséquence, si le procureur n’a pas intérêt à aller devant le juge.
-
[21]
Dans cet intervalle, de sorte que la perte supportée par le procureur s’il relaxe un coupable excède ses coûts de procès.
-
[22]
. La proportion de coupables se comportant comme des innocents dépend donc des coûts supportés par le procureur (coûts de l’erreur judiciaire et coûts monétaires) lorsque l’affaire est résolue par un procès.
-
[23]
Pour une analyse critique de l’approche de Becker [1968], consulter Stigler [1970], Mookherjee et Pn’g [1994], Andreoni [1991] et Garoupa [1997].
-
[24]
L’offre de crimes d’un délinquant potentiel est une fonction décroissante du montant estimé de la sanction infligée s’il est condamné et de sa probabilité d’arrestation.
-
[25]
et .
-
[26]
θ* correspond au type de l’individu indifférent entre commettre ou non un crime, ce qui signifie que le gain de son acte illégal, , correspond juste à la sanction attendue au procès.
-
[27]
ce qui signifie que les coûts de procès augmentent avec la sanction, soit en raison d’exigences accrues en termes de preuves, soit en raison d’une augmentation des moyens consacrés par l’accusé à sa défense.
-
[28]
Les modèles précédents supposent que le procureur cherche à maximiser les sanctions attendues totales ou le bien-être social (Grossman et Katz [1983], Reinganum [1988]). Or, selon Roberts [2000], cela pourrait inciter le procureur à augmenter le nombre total de crimes, au détriment du bien-être social. Un procureur qui maximise la somme des sanctions attendues moyennes peut en revanche agir soit dans l’intérêt de la société parce qu’il maximise la dissuasion, soit dans son propre intérêt parce qu’il améliore ses perspectives de carrière.
-
[29]
Son budget M doit suffire à couvrir les coûts attendus des procès , le coût d’une procédure de plaider coupable étant supposé nul.
-
[30]
À l’inverse, si le membre de droite est négatif, une augmentation de la sanction au procès réduit la dissuasion.
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[31]
Cette conclusion est valable parce que Roberts [2000] suppose que la probabilité de condamnation est certaine dès lors que le délinquant est arrêté.
-
[32]
Dans le modèle de Mongrain et Roberts [2005], la notation utilisée est . Par souci d’harmonisation avec le modèle de Roberts [2000], est remplacé par θ*.
-
[33]
En d’autres termes, implique que
-
[34]
Le procureur propose un plaider coupable mélangeant aux accusés contraints avec une probabilité λp.
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[35]
Plus δ est élevé, plus le procureur souhaite condamner les accusés afin d’accroître ses chances de réélection.