Notes
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[1]
Les trois auteurs appartenaient au département des Études économiques d’ensemble de l’insee lors de la réalisation de cette étude. Auteur correspondant : olivier-a. simon@ insee. fr
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[2]
Les résultats de cette campagne de réestimation font l’objet d’un document de travail de l’Insee à paraître.
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[3]
Notons toutefois que Beffy et al. [2003] incorporaient une équation de consommation des ménages avec deux déterminants principaux : la richesse accumulée et un terme démographique censé capter des effets de type cycle de vie. Dans la présente étude, on préfère utiliser l’équation de consommation issue de la réestimation du modèle sur les séries en prix constants de la base 2000.
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[4]
Les résultats comme la méthodologie des projections utilisées sont détaillées dans Coudin [2007]. Notons toutefois que, dans nos simulations, le taux de croissance de la population active a été lissé en tout début de période.
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[5]
Cf. Bonnet et al. [1999].
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[6]
La dynamique du chômage serait plus rapide dans un modèle où la boucle prix-salaires se propage plus rapidement dans l’économie, par exemple avec le modèle Manège de Carnot [2001].
Introduction
1Même si les nouvelles projections démographiques publiées par l’Insee (Coudin [2007] ; Robert-Bobée [2007]) ont éloigné la perspective d’un retournement de la population active, celle-ci va néanmoins freiner significativement au cours des années à venir, tandis que la croissance de la population retraitée a commencé à s’accélérer. Ces phénomènes ont été anticipés depuis longtemps, et beaucoup d’observateurs en attendent des effets favorables pour le marché du travail. L’idée est que des flux d’entrée plus faibles et des flux de sortie plus importants devraient permettre de résorber le trop-plein de main-d’œuvre inutilisée, par un effet mécanique de remplacement des partants. Cet effet démographique a d’ailleurs commencé à être invoqué pour expliquer une part de notre bonne performance récente en matière de taux de chômage.
2Mais il est également usuel de souligner qu’il s’agit là d’un raisonnement comptable à nombre d’emplois donné dont la validité est au mieux temporaire. Les mécanismes qui interviennent à moyen et long terme sont plus complexes. En principe, ils conduisent à des évolutions parallèles de l’emploi et de l’offre de travail, l’écart à long terme entre ces deux variables correspondant au chômage d’équilibre. La question des effets à long terme de la démographie sur le chômage est celle de ses effets sur ce chômage d’équilibre ; or ces effets sont a priori ambigus. On peut imaginer que le chômage soit durablement plus bas dans le nouveau régime démographique qui est en train de se mettre en place, par exemple parce qu’un renouvellement moins rapide de la population active limite l’ampleur du chômage d’insertion, celui des plus jeunes. Mais il peut aussi être plus élevé, par exemple si l’on pense que la progression de la charge des retraites va pénaliser l’emploi via la hausse du coût du travail.
3Ces différents canaux ont souvent été décrits (Cadiou et al. [2002] ; Blanchet [2001]) mais il existe peu de travaux tentant de les quantifier. Domingues dos Santos [2001] construit un modèle d’appariement décrivant une partie des mécanismes à l’œuvre et tenant compte de l’augmentation des dépenses de retraites. La nature stationnaire de ce type de modèle, qui vise avant tout à caractériser l’équilibre de long terme, ne permet cependant pas de décrire précisément la période de transition. À l’opposé, la maquette bouclée décrite par Blanchet [2001], qui repose sur une courbe de Phillips, capture une partie des effets de court terme mais laisse de côté la question du long terme. Bozio [2007] n’aborde pas directement la question du retournement démographique mais pose une question apparentée, celle des effets sur le chômage des politiques de retrait d’activité des seniors, et utilise une maquette d’équilibre général intégrant les effets du financement de ces départs : il montre que les résultats de long terme sont très sensibles à des paramètres tels que la substituabilité entre classes d’âge ou le ciblage de ces départs anticipés sur les moins qualifiés, mais sa maquette, statique, ne permet pas d’aborder la question des trajectoires de transition vers ces équilibres de long terme. Le travail dont cet article se rapprochera le plus est celui de Château, Guérin et Legros [2002] qui se concentrent sur des effets du processus d’appariement et des prélèvements sociaux, dans un modèle de marché du travail segmenté par groupes d’âges.
4Plus précisément, nous allons nous intéresser à trois questions :
- Quelle peut être l’ampleur de l’effet à court terme du freinage de la population active ?
- Que peut-on attendre de la démographie à long terme ?
- Quel peut être l’impact de la hausse de la pression fiscale, liée aux dépenses associées au vieillissement, sur le chômage ?
- un choc, qualifié de pur, correspondant à la rupture à la baisse du taux de croissance de la population. Ce choc lui-même peut être décomposé en deux parties, l’une relative au taux d’entrée dans la population active et l’autre relative au taux de sortie ;
- un choc supplémentaire de finances publiques, correspondant à la montée des besoins de financement liés au vieillissement de population (retraites, santé, dépendance).
5Ces deux premiers modèles sont cependant des modèles d’offre et, même quand ils spécifient une demande, celle-ci n’est pas structurellement touchée par les chocs démographiques que nous simulons. On essaie de capter ces dimensions supplémentaires au moyen du modèle macroéconométrique Mésange. L’impact sur la demande intérieure de biens est indirect et se manifeste au travers d’effets prix et d’effets revenu. En outre, les contraintes de finances publiques peuvent être entièrement explicitées. Ce modèle repose sur une boucle prix-salaire appréhendée soit sous la forme d’une approche ws-ps, soit sous celle d’une courbe de Phillips. Dans le cas ws-ps, on retrouve les résultats qualitatifs théoriques mis en évidence à l’aide de la maquette simple : une amélioration à court terme et une dégradation à moyen et à long termes du chômage.
6L’impact du ralentissement démographique sur le chômage via l’augmentation de la fiscalité dépend donc largement des hypothèses faites sur la cible des travailleurs et de leurs représentants dans la négociation. Plus ils négocient près du salaire net, plus l’impact attendu est important. Au contraire, plus leur cible de négociation est proche du coût du travail, moins l’impact se fera sentir.
7Le plan de l’étude est le suivant. La deuxième section analyse les effets de la démographie à court terme dans un modèle bouclé du côté demande et intégrant une courbe de Phillips. La troisième détaille l’impact de long terme des chocs liés à la démographie dans cette maquette simple intégrant une frontière de prix des facteurs (ps) et une courbe de salaire (ws). L’utilisation de la courbe (ws) fait apparaître le rôle des contraintes de financement liées au vieillissement sur le chômage d’équilibre. Leur impact est étudié plus en détail dans la quatrième partie qui présente les enseignements tirés du modèle macroéconométrique Mésange, grâce auquel on tente d’isoler les effets purs des effets liés à l’augmentation des dépenses publiques. Les simulations sont effectuées à autres déterminants du chômage inchangés. Les résultats sont présentés sous deux hypothèses alternatives, selon que le coin fiscalo-social intervient ou non dans la détermination du taux de chômage. La cinquième partie discute les résultats et leur portée et conclut.
Les effets de court terme de la démographie
8À court terme et à emploi fixé, la définition du chômage comme solde entre population active et emploi implique une relation mécanique entre ralentissement démographique et baisse du taux de chômage. Mais cette relation est au mieux temporaire. La baisse du chômage induit une accélération des salaires qui se répercute sur les prix. De là, soit la politique monétaire reste inchangée et la hausse des prix se charge de faire baisser la demande de biens (intérieure et extérieure), soit elle réagit de manière restrictive et le résultat est le même. La baisse de la demande se répercute ensuite sur la demande de travail et, toutes choses égales par ailleurs, le chômage augmente à nouveau. Dans un cadre à la Phillips, le chômage revient à son niveau d’équilibre.
9La maquette qui suit formalise ce raisonnement.
Une maquette avec une courbe de Phillips
10On considère une maquette comportant trois blocs, directement inspirée de Cahuc et Zylberberg [2004].
11– La description des conditions de production aboutit à une courbe de formation des prix (ps). Dans le cas d’un modèle de concurrence monopolistique (cf. par exemple Romer [1990]) avec une fonction de production log-linéaire par rapport au facteur travail, on peut justifier l’existence d’un taux de marge µ et l’on obtient l’équation suivante :
13où pt est le niveau de prix, wt le niveau de salaire (ici équivalent au coût du travail) et at la productivité du travail, tous en logarithme.
14– Le niveau de salaire est décrit par une courbe de Phillips. Les salaires demandés wt évoluent en fonction du niveau du chômage ?t, de l’inflation présente ?pt = ?t et passée et de la croissance de la productivité ?at :
16– La troisième équation est une équation de demande globale (ad), où m est le logarithme de l’offre de monnaie
18On fait une approximation de premier ordre, pour lier le taux de chômage ut aux logarithmes de la population active nt et de l’emploi lt :
20On considère dans la suite que la productivité et la population active croissent à un rythme constant : ?at = ?a, et ?nt = ?n. On va considérer dans un premier temps qu’il en va de même pour l’offre de monnaie, soit ?mt = ?m.
21Le modèle peut alors se résumer en une interaction entre taux de chômage et inflation. Elle se traduit à court terme par deux équations. La première provient de la boucle prix-salaire (courbe de Phillips et courbe (ps)) et s’écrit :
23La deuxième résulte de la confrontation de l’offre (fonction de production) et de la demande de biens (ad), qui permet d’obtenir :
25L’équation (2) traduit une relation négative entre le niveau de chômage et la variation de l’inflation. L’équation (3) montre qu’à niveau d’inflation donné, le chômage réagit à la baisse face à un choc négatif sur le taux de croissance de la population active. Une baisse du chômage se traduit donc par une augmentation de l’inflation, elle-même produisant une hausse du chômage par l’équation (3).
26À long terme, il existe un taux de chômage d’équilibre compatible avec un rythme d’inflation constant. Ce chômage d’équilibre dépend négativement du rythme de croissance de la productivité du travail, dans l’hypothèse où l’indexation des salaires réels à la productivité n’est pas unitaire :
28Le rythme d’inflation de long terme, compatible avec un chômage constant, est donné par :
30On note que le paramètre démographique n’intervient à long terme que sur le niveau de l’inflation. À court terme, à emploi fixé, la démographie joue via la relation comptable entre emploi, chômage et population totale.
L’impact d’un choc démographique
31On va utiliser ce premier modèle pour simuler l’impact du choc démographique pur, sans hausse des dépenses liées au vieillissement. L’absence dans cette maquette de réaction à une augmentation de la pression fiscale rend en effet assez peu intéressante l’analyse de cette dimension. Cette maquette permet davantage de se concentrer sur les mécanismes directs de l’impact du choc, à court et moyen terme. Dans ce modèle, quel que soit le choc autre qu’un choc de progrès technique, le chômage d’équilibre à long terme est inchangé.
32L’équilibre sur le marché des biens est réalisé par l’adéquation entre la demande globale et la production. Lorsque le rythme de croissance démographique baisse, l’équilibre sur le marché du travail est affecté directement par la réduction de l’offre de travail. Dès lors, deux mécanismes se conjuguent via la boucle prix-salaire. D’une part, on fait appel à la réserve de travailleurs que constituent les chômeurs pour maintenir le niveau de production ; d’autre part, ceci génère des tensions inflationnistes qui, par le bouclage macroéconomique, freinent la demande.
33La dynamique est décrite par le mouvement des courbes de la figure 1, représentant les équations (2) et (3) dans un plan (ut, ?t), supposant les variables passées (ut – 1, ?t – 1) fixées.
Mécanisme d’impact de court terme d’un choc démographique dans une maquette à courbe de Phillips
Mécanisme d’impact de court terme d’un choc démographique dans une maquette à courbe de Phillips
34Le graphe (a) de la figure 1 présente la situation avant le choc : le système est supposé à l’équilibre stationnaire. À court terme, pour maintenir leur niveau de production, les entreprises font appel à la réserve de travailleurs et le chômage baisse. Cet effet conjoncturel génère des tensions sur les salaires. Dès la première période, le taux de chômage baisse et l’inflation augmente (graphe (b)). À la période suivante, l’indexation non immédiate des prix joue un rôle pour prolonger la dynamique : en effet, les salaires s’ajustent pour une partie sur l’inflation actuelle et pour une autre sur l’inflation de la période précédente (graphe (c)). Le graphe (d) montre la situation finale, après convergence vers le nouvel équilibre : la dynamique de retour vers l’équilibre est donc principalement celle d’une baisse conjoncturelle transitoire du chômage qui génère des tensions sur les salaires nominaux agissant à leur tour sur les prix, jusqu’à atteindre le nouveau rythme d’inflation de long terme.
35Ces mécanismes ayant été présentés, on peut simuler leur résultante à l’aide d’une maquette calibrée. On part d’un marché du travail à l’équilibre dans lequel on introduit un choc démographique. Le choc que l’on envisage est une baisse d’ 1 % du taux de croissance de la population, qui se traduit par une augmentation d’1 % du taux d’inflation d’équilibre. Les paramètres choisis pour la courbe de Phillips sont les mêmes que chez Cahuc et Zylberberg [2004], soit ?1 = 0,7 et ?2 = 0,5. Bien entendu, des valeurs différentes de ces deux paramètres modifient la pente de l’équation (2) et donc l’ampleur des oscillations. Néanmoins, la fréquence comme l’impact de long terme ne dépendent pas de ?1 et ?2.
36Lorsqu’on baisse de manière permanente d’un point le taux de croissance de la population, la figure 2 (graphe de gauche) montre une diminution transitoire du chômage de l’ordre de 0,3 à 0,4 point, pendant environ deux périodes. Ces effets favorables conjoncturels ont pour contrepartie une accélération de l’inflation (graphe de droite de la figure 2), qui les annule totalement après cinq périodes. Le reste de la dynamique montre une convergence fluctuante, vers le nouvel équilibre stationnaire, caractérisé par un taux de chômage identique à celui prévalant avant le choc et par un niveau d’inflation accru.
Impact d’un choc négatif soudain de la croissance démographique sur le chômage
Impact d’un choc négatif soudain de la croissance démographique sur le chômage
37On peut refaire le même exercice et considérer que la baisse d’un point du taux de croissance démographique, au lieu d’être immédiate, est progressive, au rythme d’une diminution de 0,1 point par période se cumulant pendant dix périodes. C’est ce que représentent les deux graphiques de la figure 3. L’ampleur de l’impact est encore plus faible (de l’ordre de 0,1 point de chômage), mais l’effet est prolongé par la persistance du choc. Au bout de la dixième période, lorsque le choc cesse, il y a retour progressif au nouvel équilibre stationnaire.
Impact d’un choc négatif progressif de la croissance démographique sur le chômage
Impact d’un choc négatif progressif de la croissance démographique sur le chômage
38Rappelons que les résultats obtenus ici sont dépendants de l’hypothèse d’exogénéité du taux de croissance de la masse monétaire qui, pour ajuster la demande à l’offre potentielle, contraint à obtenir un rythme d’inflation plus élevé. On peut imaginer que, dans un modèle plus complet, les autorités monétaires réagiraient en réduisant le taux de croissance de l’offre de monnaie. Dans ce cas, il pourrait ne subsister aucun effet du choc démographique pur, il y aurait simplement un changement d’échelle de l’économie. L’hypothèse d’un ajustement monétaire non immédiat est cruciale, elle aussi, pour générer de la dynamique.
39En résumé, dans un modèle bouclé avec une courbe de Phillips, le retournement démographique n’a (par définition) pas d’impact à long terme sur le taux de chômage. À court terme, l’inertie des comportements de consommation et de production entraîne à la fois une décrue du chômage et des tensions inflationnistes, permettant d’équilibrer la demande et l’offre, potentiellement réduite. À moyen terme, soit les autorités monétaires ajustent les taux d’intérêt pour rétablir l’équilibre sur le marché des biens, ce qui a pour effet de faire remonter le chômage à son niveau d’équilibre, soit l’inflation s’accroît et l’effet est le même. Dans tous les cas, des simulations basées sur une maquette calibrée suggèrent que l’ampleur de la décrue initiale du chômage est faible.
À long terme, des effets directs faibles et des effets indirects défavorables
40Si l’on veut faire apparaître des effets de long terme de la démographie sur le chômage d’équilibre, il faut sortir du cadre de la relation de Phillips. On va ici s’appuyer sur un modèle ws-ps avec formalisation du processus d’appariement entre les salariés et leurs postes. Introduire le processus d’appariement permet de traduire les effets à long terme de la confrontation entre des flux d’entrée, les flux de sortie et les stocks. À long terme, on peut retrouver un effet mécanique favorable sur le chômage d’une décrue démographique, si celle-ci se traduit par une baisse du rythme des entrées sur le marché du travail. En revanche, si, comme c’est le cas actuellement, le ralentissement démographique consiste surtout en une hausse des sorties, l’effet sur le chômage sera négligeable.
41Combiner ce mécanisme d’appariement avec une approche ws-ps donne par ailleurs le moyen de modéliser les effets sur le marché du travail des prélèvements destinés à financer les dépenses liées au vieillissement. La version de base du modèle ws-ps suppose que la variable salariale sur laquelle salariés et employeurs négocient n’est pas la même. Pour les employeurs, seul compte le coût du travail W. Les salariés valorisent en revanche le salaire net, défini comme le coût du travail auquel on ôte impôts et prélèvements sociaux, , où Cfs sera notre mesure du coin fiscalo-social. Cet indice mesure le coût pour l’employeur d’une augmentation d’un euro du salaire net du salarié. Il sera donc supérieur à un. L’un des effets indirects du vieillissement est d’alourdir les dépenses de retraite et de santé. Pour financer ces dépenses, on peut s’attendre à terme à une augmentation des prélèvements, partiellement ou totalement répercutée dans le coin fiscalo-social. Ceci se traduira par une augmentation du chômage. Mais cet impact de la fiscalité sur le chômage dépendra de la validité de l’hypothèse de base selon laquelle les salariés négocient sur leurs salaires nets. Dans une situation où les salariés internalisent les contreparties des prélèvements et les voient donc plutôt comme un revenu différé, leur effet sur le chômage tendra à se modérer, voire à devenir négligeable.
42Dans cette partie, nous formalisons ces raisonnements puis calibrons une maquette basée sur le cadre ws-ps pour obtenir un chiffrage pour le long terme des effets directs et indirects du ralentissement démographique.
Description du modèle
43Nous rappelons ici les principales hypothèses du modèle – voir Layard, Nickell et Jackman [1991] et Cahuc et Zylberberg [1999] –, puis nous donnerons directement les équations principales du modèle. Pour les détails des calculs, le lecteur peut se reporter à l’annexe A de Ouvrard et Rathelot [2006].
44La boucle prix-salaire est constituée d’une courbe de fixation des prix (ps) et d’une courbe de salaire (ws). La courbe (ps) rend compte des contraintes de production : il s’agira de l’équation (1) déjà présentée plus haut. Dans une petite économie ouverte à rendements d’échelle constants où le coût réel du capital est exogène, cette courbe détermine le niveau du salaire réel efficace.
45La courbe (ws) rend compte du mode de fixation des salaires en formalisant la négociation salariale entre entreprises et syndicats. Cette négociation décrit le partage du surplus résultant de l’association productive entre un employé et une entreprise. Ce surplus dépend des conditions immédiates de production (salaire, productivité), des perspectives futures de maintien de cet appariement entre le salarié et l’entreprise (probabilité de rupture q) et des points de repli des différents agents, c’est-à-dire les gains qu’ils peuvent espérer s’ils ne s’associent pas ou si l’emploi est détruit plus tard. Pour les salariés, ce point de repli dépend du niveau des allocations perçues et des perspectives d’accès à l’emploi depuis le chômage. On se tient à ce stade à l’hypothèse de référence selon laquelle les salariés négocient sur le salaire net.
46Chaque employé réalise, par rapport à la situation de repli constituée par le chômage, un surplus qui est une fraction du profit réel par travailleur. Cette fraction dépend positivement de son pouvoir de négociation ? et de la probabilité de trouver un poste pour un demandeur d’emploi. En effet, si les perspectives sur le marché du travail sont bonnes, les employés sont d’autant plus en situation d’exiger une part importante du profit par poste.
47Finalement, on obtient une relation univoque entre taux de sortie du chômage et salaire. Ce n’est pas le taux de chômage en tant que tel qui influe sur les perspectives des travailleurs mais bien la probabilité d’y rester plus ou moins longtemps.
48Pour compléter la maquette, on ajoute les équations de flux d’entrée et de sortie, qui expriment la probabilité de sortie du chômage en fonction des taux de chômage passé et contemporain et des taux d’entrée ne et de sortie ns dans la population active.
49En passant à l’équilibre stationnaire, la frontière de prix des facteurs (ps) fixe le rythme de croissance des salaires réels au taux g de croissance du progrès technique. On suppose qu’il n’y a pas de retards d’ajustement entre prix de consommation et prix de valeur ajoutée, que les flux sur le marché du travail sont stationnaires, de sorte que taux de chômage passé et contemporain sont égaux et que le coin fiscalo-social est constant dans le temps. Sous ces hypothèses, la courbe de fixation des salaires (ws) se réduit à une relation décroissante entre niveau du salaire et taux de chômage.
51où Z est le revenu de remplacement, ? est la part des salaires dans la valeur ajoutée et où u est le taux de chômage.
52L’équilibre entre la courbe (ps) et la courbe (ws) (4) peut être décrit dans un plan (chômage, salaire) (figure 4). L’équilibre entre ces deux courbes définit le taux de chômage d’équilibre (stationnaire) de la boucle ws-ps.
Équilibre sur le marché du travail : équations ws et ps et taux de chômage d’équilibre
Équilibre sur le marché du travail : équations ws et ps et taux de chômage d’équilibre
Les effets de la démographie dans la maquette ws-ps
53On analyse ici le déplacement de l’équilibre stationnaire, suite à une rupture à la baisse du taux de croissance de la population active : celle-ci peut résulter ou bien d’une réduction du taux d’entrée ou bien d’une intensification des sorties. En nous appuyant sur le cadre statique formé par les deux équations (ps) et (ws), nous verrons que l’un ou l’autre des deux mécanismes n’ont pas le même impact sur le taux de chômage.
54Une réduction du taux d’entrée dans la population active induit une réduction du taux de chômage d’équilibre
55Côté offre, la courbe (ps) n’est pas affectée par la démographie et pour ce salaire donné la courbe (ws) fixe le taux de sortie du chômage. In fine, tout passe par l’équation de flux. Mécaniquement, lorsque le taux d’entrée dans la population active diminue, le flux d’entrée de nouveaux demandeurs d’emplois baisse. La courbe (ws) est donc déplacée vers la gauche et, à salaire fixé, le retournement démographique induit une baisse du chômage.
56Une augmentation du taux de sortie de la population induit une augmentation du taux de chômage d’équilibre
57Là encore, la courbe (ps) n’est pas affectée par la démographie et, à salaire donné, la courbe (ws) fixe le taux de sortie du chômage. Tout passe à nouveau par l’équation de flux. L’effet, moins intuitif, repose sur le fait que les nouveaux entrants, qui continuent d’entrer au même taux, arrivent dans la population active en situation de recherche d’emploi tandis que les partants sont beaucoup plus souvent en emploi. Le flux de chercheurs d’emploi basculant dans l’emploi est insuffisant à compenser les sorties de l’emploi dues à l’augmentation du taux de sortie de la population active. Une preuve formelle est donnée en annexe A de Ouvrard et Rathelot [2006].
58La figure 5 montre dans le plan (chômage, salaire), le déplacement de la courbe (ws) suite à une diminution du taux d’entrée de la population active, à taux de sortie fixé.
Impact qualitatif de long terme d’un ralentissement du taux d’entrée de la population active
Impact qualitatif de long terme d’un ralentissement du taux d’entrée de la population active
59Les contraintes de financement liées au vieillissement pourraient peser sur le taux de chômage d’équilibre
60La modélisation ws-ps fait dépendre le chômage d’équilibre d’un terme de coin fiscalo-social avec une indexation plus ou moins forte. Indépendamment du degré de cette indexation (tant qu’elle est strictement positive), une hausse du coin fiscalo-social déplace la courbe (ws) vers le haut dans le plan (chômage-salaire). La courbe (ps) étant inchangée, il en résulte une hausse du chômage d’équilibre, ainsi que l’illustre la figure 6.
Impact qualitatif de long terme d’une augmentation du coin fiscalo-social
Impact qualitatif de long terme d’une augmentation du coin fiscalo-social
Chiffrage des effets attendus à long terme
61Analytiquement, l’effet cumulé sur le taux de chômage d’équilibre des deux chocs démographiques possibles et de la contrainte de finances publiques est ambigu. Pour le quantifier, on calibre le modèle constitué des équations (1) et (4). Nous supposons le coin fiscalo-social et l’indexation des prestations chômage au salaire constants. Le chômage d’équilibre s’écrit alors :
Paramètres de la maquette ws-ps
Paramètres de la maquette ws-ps
Chocs démographiques purs
62Au cours des années 1980-1990, la croissance moyenne de la population active en France a été voisine de 0,5 % par an. Les projections de l’Insee donnent un rythme stabilisé au voisinage de 0,1 % par an après 2020. En revanche, les taux d’entrée et de sortie dans la population active ne sont pas disponibles directement dans ces projections. En nous appuyant sur l’enquête Emploi, nous estimons ces taux autour de 5 % en 2005. Notre maquette suggère (tableau 2) qu’un choc sur le taux de croissance de la population, qu’il soit dû à une réduction des entrées ou à une accélération des sorties, a un impact faible sur le taux de chômage d’équilibre. Néanmoins, la maquette suggère aussi que l’impact du taux d’entrée est tout de même plus marqué : une réduction d’un point du taux d’entrée réduit le chômage d’équilibre de 0,3 point, tandis qu’une augmentation d’un point du taux de sortie, qui mène in fine au même choc sur le taux de croissance de la population active, augmente le taux de chômage d’équilibre de manière négligeable.
Impact des chocs démographiques sur le taux de chômage d’équilibre
Impact des chocs démographiques sur le taux de chômage d’équilibre
63Le retournement démographique à venir en France passera principalement par le passage à la retraite des générations du baby-boom tandis que les flux migratoires et la natalité devraient rester relativement constants : dans notre modélisation, ne reste constant et ns augmente, ce qui a un effet défavorable, mais négligeable sur le chômage d’équilibre.
Choc démographique en présence d’une contrainte de financement
64On constate sur l’équation (5) que la relation entre le taux de chômage et le coin fiscalo-social dépend de la valeur-même du coin fiscalo-social. L’élasticité du taux de chômage d’équilibre au niveau du coin fiscalo-social est présentée dans la figure 7, en conservant le même calibrage que précédemment, pour un taux de croissance démographique nul. On figure en abscisse un écart de coin fiscalo-social par rapport à une situation de référence, en pourcentage (par exemple, l’abscisse 10 % décrit une situation où le coin fiscalo-social passe de 1,80 à 1,98). En ordonnée, on trace l’impact de cette modification du coin fiscalo-social sur le niveau du taux de chômage d’équilibre, toutes choses égales par ailleurs.
Sensibilité du chômage d’équilibre au coin fiscalo-social
Sensibilité du chômage d’équilibre au coin fiscalo-social
65On constate que, sous cette hypothèse de négociation sur le salaire net, l’impact du coin fiscalo-social sur le chômage d’équilibre est loin d’être négligeable. Quand le coin fiscalo-social augmente de 6 %, le taux de chômage augmente d’environ 0,9 point. À titre indicatif, on a reporté en pointillé la courbe équivalente découlant de la spécification ws-ps figurant dans le modèle Mésange qui va être utilisé à la section suivante : les deux effets sont très proches.
66In fine, la modélisation de la boucle prix-salaire sous la forme d’une ws-ps suggère que :
- le ralentissement démographique a des effets ambigus mais limités sur le chômage d’équilibre ;
- les contraintes de financement liées au vieillissement induisent au contraire une hausse du chômage d’équilibre. Ce deuxième effet serait dominant dans l’hypothèse où les salariés négocient exclusivement sur leur salaire net.
Le modèle Mésange
67Dans des maquettes usuelles simples, le ralentissement démographique a peu d’impact sur l’équilibre du marché du travail. Toutefois, ces maquettes sont essentiellement des modèles d’offre et la demande, quand elle est spécifiée, n’est pas touchée par les changements démographiques. Pour essayer de mieux dégager les effets de bouclage, on utilise le modèle macroéconométrique Mésange.
68Bien entendu, l’utilisation de modèles macroéconométriques, en particulier pour réaliser des projections de long terme, se heurte à de nombreuses critiques et en particulier à la critique de Lucas : les coefficients estimés dans les différentes équations ne sont pas structurels et leur stabilité, à long terme ou dans un environnement modifié, n’est pas assurée. Pour autant, l’utilisation de Mésange va nous permettre de dégager quelques principaux mécanismes à l’œuvre.
69Une première sous-section va préciser les hypothèses de modélisation. La deuxième détaillera la dynamique à court et à long termes selon les différentes approches retenues de l’équation de salaires : courbe ws-ps ou courbe de Phillips. En particulier, on décomposera, dans l’approche ws-ps, les divers effets de la démographie. Enfin, la troisième sous-partie discutera de la portée des résultats.
Hypothèses de projection
70Le modèle Mésange est un modèle macroéconométrique de l’économie française (Allard-Prigent et al. [2002]), de périodicité trimestrielle. La dynamique du modèle obéit à un esprit néo-keynésien : à court terme, les comportements de demande sont dominants, tandis qu’à moyen et long terme l’ajustement s’effectue par les prix et l’équilibre est réalisé par l’offre. Les relations de long terme du modèle sont issues d’un cadre théorique sous-jacent de maximisation du profit par des producteurs placés en concurrence monopolistique. La version du modèle utilisée dans cette étude est issue de la campagne de réestimation effectuée sur les séries longues en prix constants de la base 2000 des comptes nationaux trimestriels [2].
71Le modèle est un modèle à deux secteurs qui distingue le secteur manufacturier et le secteur marchand non manufacturier et il distingue les équations de salaire de ces deux secteurs. La modélisation par défaut est de type (ws) pour ces deux secteurs. Toutefois, il est aussi possible d’utiliser des courbes de Phillips : dans la suite, les deux types de modélisation seront envisagés. L’équation de salaire de type (ws) s’écrit comme un processus à correction d’erreur dans lequel la courbe (ws) de négociation salariale proprement dite constitue la relation de long terme.
72Beffy et al. [2003] donnent un exemple d’utilisation de Mésange pour réaliser des projections de long terme [3]. Dans cette étude, nous reprenons globalement les mêmes hypothèses. En particulier, la démographie est présente à différents niveaux dans le modèle :
- La population active est celle des dernières projections de l’Insee, parues en 2006 (figure 8), prenant en compte l’impact de la réforme 2003 des retraites [4]. On lui ajoute un effet de flexion conjoncturelle supplémentaire, fonction du taux de chômage endogène en projection dans le modèle.
- Les effectifs de retraités et les pensions par tête sont fournis par le modèle de micro-simulation Destinie [5] et prennent en compte les effets de la réforme des retraites de 2003.
- Pour la modélisation du bloc extérieur, on suppose que l’intensification des échanges extérieurs ne se poursuit pas au rythme observé sur les années récentes et que le vieillissement de la population touche aussi nos principaux partenaires, réduisant leur potentiel de croissance. On fait notamment l’hypothèse d’une demande mondiale adressée à la France en ralentissement.
Évolution de la population active, en historique et en projection, entre 1970 et 2050, selon la dernière projection de l’Insee (en millions de personnes)
Évolution de la population active, en historique et en projection, entre 1970 et 2050, selon la dernière projection de l’Insee (en millions de personnes)
73Quelques hypothèses macroéconomiques supplémentaires sont nécessaires. Les prix étrangers forment l’ancrage nominal du modèle. On suppose qu’ils évoluent à un rythme annuel de 2 %. Le rythme de la productivité du travail en France s’est infléchi au début des années 1990, en particulier dans les branches de services (Baron et al. [2003]). On suppose que cet infléchissement est principalement la conséquence des politiques d’enrichissement de la croissance en emplois et non une baisse intrinsèque de la tendance de productivité. Ainsi, on fait l’hypothèse que le rythme tendanciel de productivité est voisin en projection du rythme observé au cours des années 1980.
74On contraint enfin le déficit public à ne pas dépasser 3 % du pib à moyen terme : la contrainte est progressive entre 2006 et 2010 et devient effectivement stricte à partir de 2011. Les éventuels excès de déficit sont financés par une hausse de la csg. Ce type de financement est préféré à une hausse des cotisations employeurs, ce pour plusieurs raisons. D’une part, les cotisations employeurs jouent sur le coût du travail, alors que la csg touche le revenu disponible des ménages : les mécanismes de transmission ne sont donc pas les mêmes à court terme, même si les effets sur le coin fiscalo-social sont similaires à long terme. D’autre part, l’assiette de la csg est plus large que celle des cotisations employeurs. Un financement par la csg est donc moins néfaste a priori qu’une hausse des cotisations employeurs.
Projection du modèle suivant les différentes formulations de l’équation de salaires
75On effectue une projection du modèle en utilisant successivement une équation de salaire de la forme ws-ps puis en considérant une courbe de Phillips.
76Dans le cas de la spécification ws-ps, on essaye par ailleurs d’isoler l’effet spécifique de l’accroissement des dépenses liées au vieillissement sur le taux de chômage via la négociation salariale. On distinguera donc une simulation de référence intégrant la hausse de la csg nécessaire à financer l’accroissement des retraites et une variante dans laquelle cette hausse est neutralisée.
77Dans tous les cas, il ne s’agit que de projections très indicatives. Ce sont des projections à autres déterminants du chômage inchangés. Elles peuvent donc diverger dès le démarrage de la trajectoire du chômage réel. Il s’agit uniquement de donner un ordre de grandeur de la réponse possible du chômage au changement de régime démographique.
78Avec la formulation ws-ps et dans le scénario de référence, on assiste à une baisse du chômage à court terme correspondant à la fois à un impact du fléchissement démographique et au fait de se rapprocher d’un chômage d’équilibre plus faible que le chômage initial. La baisse se poursuit jusqu’en 2012 où le chômage s’établit à 7,1 % (figure 9). À partir de cette date, la contrainte de maîtrise du déficit public, n’étant que progressive entre 2006 et 2010, devient pleinement active et se cumule avec la hausse du besoin de financement du système de retraite, qu’on a simulé en suivant les dernières hypothèses du Conseil d’orientation des Retraites, soit 1,8 point de pib de besoin de financement à l’horizon 2050. L’équilibre global des finances publiques s’effectue alors au moyen d’une hausse des prélèvements de csg de + 4,2 points de csg entre 2012 et 2030, qui pousse à la hausse le taux de chômage. À l’horizon 2030, le chômage s’établit aux alentours de 8,6 %.
Évolution du taux de chômage selon la formulation ws-ps (scénario de référence et choc démographique pur) et la formulation Phillips
Évolution du taux de chômage selon la formulation ws-ps (scénario de référence et choc démographique pur) et la formulation Phillips
79La variante ws-ps sans hausse du poids des retraites conserve une hausse de la csg mais moindre : elle ne sert plus qu’à stabiliser les finances publiques car on neutralise la part de la hausse correspondant à l’accroissement de la charge des retraites. On débouche sur un chômage tendanciellement plus faible, d’environ 0,6 point à long terme. Cet ordre de grandeur est cohérent avec le type d’élasticité du chômage au coin fiscalo-social qui était donnée sur la figure 7.
80Le troisième scénario utilise une courbe de Phillips estimée sur la période 1978-2005. Selon cette spécification, le taux de croissance des salaires à chaque période dépend du taux de chômage, de l’évolution des prix à la consommation et d’un terme de l’échange intérieur. Même si, du point de vue formel, une courbe (ws) dynamique (ou de façon équivalente une cible de long terme statique incluse dans une équation à correction d’erreur comme dans Mésange) et une courbe de Phillips présentent des similitudes, la différence principale réside dans le fait que, dans une courbe de Phillips, le coin fiscalo-social n’est plus un déterminant du chômage d’équilibre du modèle.
81À court terme, le ralentissement de la population active se traduit par une diminution du chômage à partir de 2009. À partir de 2011, le taux de prélèvements augmente progressivement pour maintenir l’équilibre des finances publiques. Les premiers effets demande se font sentir à partir de 2012 : l’augmentation du poids de la fiscalité induit une baisse du revenu disponible brut des ménages et la demande intérieure marque le pas. Avec une courbe de Phillips, le coin fiscalo-social n’impacte pas cependant directement les salaires négociés et ne se transmet donc pas intégralement à la boucle prix-salaire. C’est la diminution progressive de la demande intérieure à emploi inchangé qui provoque une hausse du chômage, se transmettant ensuite au bloc des prix. Il s’ensuit la mise en place de la boucle prix-salaire et la poursuite de la hausse du chômage [6] jusqu’en 2015.
82La suite de la simulation du modèle avec une courbe de Phillips montre une convergence vers un niveau d’équilibre du chômage qui n’est pas affecté par les variations de coin fiscalo-social. Le niveau du chômage à l’horizon 2030 est donc nettement inférieur dans la formulation Phillips que dans la formulation ws-ps, ce quel que soit le scénario envisagé, avec ou sans financement du surcoût des retraites.
Une spécification de la courbe de salaire peut-elle être préférée à l’autre ?
83Finalement, l’impact de long terme du retournement démographique dépend principalement du choix entre la boucle prix-salaires ws-ps et une approche Phillips-ps. La principale différence entre ces deux approches concerne la dépendance du taux de chômage de long terme à la fiscalité du travail. Plus fondamentalement, cette connexion est liée à la cible des agents lors de la négociation salariale.
84On sait que cette question a fait l’objet de beaucoup de débats. Certains auteurs font valoir que cette dépendance du chômage au coin fiscalo-social serait particulièrement marquée dans des pays à centralisation intermédiaire de la négociation salariale. Daveri et Tabellini [2000] examinent cette question à la suite de Tyrvaïnen [1995] et de Alesina et Perotti [1997]. Ils construisent trois groupes de pays homogènes par les institutions de leur marché du travail. Les pays d’« Europe continentale », dont la France fait partie, sont caractérisés par des négociations à un niveau moyennement décentralisé. Ils se distinguent d’un groupe « anglo-saxon » où la décentralisation est plus forte encore. Enfin, le groupe « nordique » est celui où les négociations sont les plus centralisées. Dans chacun des groupes, ils comparent l’impact des variations de la fiscalité touchant les revenus du travail sur le chômage et sur le coût du travail. Les résultats sont les suivants. Ils montrent que la hausse de la fiscalité n’a pas d’impact sur le chômage dans les pays nordiques, qu’elle a un impact défavorable et significatif dans les pays anglo-saxons, et un impact défavorable significatif plus important encore en Europe continentale. Le coût du travail n’est significativement affecté par la taxation que pour les pays d’Europe continentale. Dans ces pays, une hausse de la taxation augmente mécaniquement le coût du travail.
85De tels résultats plaideraient en faveur de l’approche ws-ps stricte dans un pays tel que la France. Mais il convient d’être beaucoup plus prudent. Outre les critiques économétriques dont les approches sur données internationales sont l’objet (endogénéité, hétérogénéité des pays au sein d’un même groupe…), la question se pose de savoir si la négociation salariale est affectée de la même manière par des prélèvements généraux finançant des dépenses collectives ou non contributives ou des prélèvements de type « salaire-différé » comme le sont majoritairement les contributions au système de retraite. Disney [2004] est un exemple de discussion de ce partage entre les deux composantes des prélèvements pour les différents pays développés. Son optique est plutôt celui de l’impact de ces prélèvements sur l’offre de travail mais ses résultats peuvent-être transposés aux effets des mêmes prélèvements pour la négociation salariale.
86En bref, dans la mesure où l’on ne peut pas déterminer exactement où se trouve exactement la cible de négociation des agents entre salaire net et salaire super-brut, on est réduit à considérer que la réalité doit se trouver quelque part entre les deux approches, entre le modèle ws-ps et celui à courbe de Phillips, d’où l’intérêt d’avoir envisagé les deux modèles.
Conclusion
87Ce texte a cherché à voir si les modèles macroéconomiques peuvent être utiles à une meilleure compréhension des conséquences des changements démographiques pour l’équilibre du marché du travail. Le modèle Mésange capte les effets de premier ordre et fournit une analyse dynamique de la manière dont les changements démographiques vont agir sur le marché du travail. Comme nous le soulignons dans cette étude, ces changements sont susceptibles d’exercer divers effets, dont l’importance et le calendrier dépendent des hypothèses de départ.
88Nous tirons deux conclusions de cette étude.
- À court et moyen terme (pendant une quinzaine d’années), le chômage serait tiré à la baisse par le ralentissement démographique. En pratique, néan moins, il est possible que cet effet, qui est d’ampleur faible, soit masqué par des phénomènes conjoncturels. De plus, et quelle que soit l’approche adoptée, le gain attendu de la démographie est temporaire.
- À long terme, l’augmentation du nombre de retraités par actif va nécessairement finir par entraîner une hausse de la fiscalité. L’impact que ce surcroît fiscal aura ensuite sur la situation du marché du travail dépend crucialement de la manière dont les salaires sont fixés et en particulier de la cible de salaire des salariés. Plus ceux-ci internalisent la fiscalité comme un revenu différé, plus ils rapprochent leur cible du coût du travail et moins l’effet de la fiscalité sera important. S’ils ne considèrent pas qu’une fiscalité plus lourde se traduit par davantage de revenus, ils valorisent alors le salaire net et la fiscalité a alors un impact défavorable sur le chômage. Enfin, il faut rappeler que ces différents effets ont lieu à autres déterminants structurels du chômage inchangés.
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Notes
-
[1]
Les trois auteurs appartenaient au département des Études économiques d’ensemble de l’insee lors de la réalisation de cette étude. Auteur correspondant : olivier-a. simon@ insee. fr
-
[2]
Les résultats de cette campagne de réestimation font l’objet d’un document de travail de l’Insee à paraître.
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[3]
Notons toutefois que Beffy et al. [2003] incorporaient une équation de consommation des ménages avec deux déterminants principaux : la richesse accumulée et un terme démographique censé capter des effets de type cycle de vie. Dans la présente étude, on préfère utiliser l’équation de consommation issue de la réestimation du modèle sur les séries en prix constants de la base 2000.
-
[4]
Les résultats comme la méthodologie des projections utilisées sont détaillées dans Coudin [2007]. Notons toutefois que, dans nos simulations, le taux de croissance de la population active a été lissé en tout début de période.
-
[5]
Cf. Bonnet et al. [1999].
-
[6]
La dynamique du chômage serait plus rapide dans un modèle où la boucle prix-salaires se propage plus rapidement dans l’économie, par exemple avec le modèle Manège de Carnot [2001].