Notes
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Thema, Université de Cergy-Pontoise, 33 boulevard du Port, 95011 Cergy-Pontoise Cedex. Courriels : fabrice. barthelemy@ u-cergy. fr – mathieu. martin@ u-cergy. fr
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[1]
Pour une présentation détaillée de l’intercommunalité dans le département du Val-d’Oise, voir le site Internet du conseil général http:// www. cg95. fr ; en annexe 3 sont présentées les différentes intercommunalités avec leur population et les répartitions de sièges observées.
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[2]
D’autres distances sont évidemment envisageables mais nous choisissons celles-ci afin d’être en accord avec la littérature sur ce même sujet. Cet argument est valable aussi pour le choix des indices de pouvoir.
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[3]
Désormais, quand nous parlerons de l’indice de Banzhaf, il s’agira de l’indice normalisé.
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[4]
Nous remercions très sincèrement Vincent Merlin pour les précieux conseils qu’il nous a donnés dans l’élaboration de cette section.
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[5]
Pour une version claire, récente et détaillée de cette argumentation, voir Gelman, Katz et Tuerlinckx [2002], et Gelman, Katz et Bafumi [2004].
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[6]
Ce dernier point est exploré dans Feix, Lepelley, Merlin et Rouet [2007].
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[7]
Le logiciel gauss est utilisé.
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[8]
Pour le cas particulier du jeu simple de majorité, voir Bisson, Bonnet et Lepelley [2004].
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[9]
Remarquons dans le tableau de l’annnexe 2 illustre qu’une augmentation du nombre de sièges total n’implique jamais une baisse du nombre de sièges pour une commune : le paradoxe de l’Alabama ne peut pas se produire avec la méthode de Webster.
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[10]
Au 1er janvier 2005.
INTRODUCTION
1En octobre 2004, 82 % de la population française sont regroupés dans des structures intercommunales du type communautés de communes, communautés d’agglomération, communautés urbaines ou encore syndicats d’agglomération nouvelle. Ce regroupement – fruit d’un long processus – provient du double constat qu’une grande majorité des communes françaises sont petites (moins de 2 000 habitants) et que le nombre de communes en France est très important (36 700). L’intercommunalité est alors un remède à l’émiettement communal. Les communes ont eu intérêt à se regrouper pour diverses raisons : assurer certaines prestations comme le ramassage des ordures ménagères ou les transports urbains, élaborer des projets économiques plus ambitieux. En effet, l’alliance de plusieurs communes permet d’établir une fiscalité commune et cohérente en vue de projets économiques et sociaux communs.
2Chaque commune est alors représentée au sein de la structure intercommunale par un certain nombre de conseillers (ou délégués) municipaux. Le nombre total de sièges est fixé par les maires, par accord amiable. Il n’existe pas de règle pour distribuer les sièges à chaque commune, hormis le fait que chacune doit disposer d’au moins un siège et qu’aucune ne peut disposer de plus de la moitié des sièges. Malgré tout, la loi recommande de prendre la population comme référence.
3La règle de vote couramment employée est la règle majoritaire : un groupe de communes peut imposer une décision s’il représente au moins la moitié des sièges plus un. Cette règle est utilisée pour la gestion courante de l’intercommunalité. Cependant, des décisions importantes sont aussi prises à la majorité qualifiée : un groupe de communes peut imposer une décision s’il représente au moins deux tiers de la population totale sachant qu’au moins la moitié des communes doivent appartenir à ce groupe ou s’il représente la moitié de la population sachant que deux tiers des communes appartiennent à ce groupe (nous n’étudierons pas cette majorité qualifiée car le nombre de sièges n’intervient pas directement). Nous insisterons particulièrement sur la règle majoritaire car elle permet de bien appréhender les problèmes de répartition des sièges, mais nous étudierons aussi des cas où plus de la majorité des délégués doivent s’unir afin d’imposer une décision ; par exemple, la majorité des deux tiers des délégués est une règle utilisée dans les communautés d’agglomération.
4Dans cet article, nous analysons le cas du département du Val-d’Oise, avec ses quinze regroupements intercommunaux (onze communautés de communes et quatre communautés d’agglomération). Il va de soi que les résultats que nous présentons ne sont pas propres à ce département et qu’une analyse similaire pourrait être menée dans d’autres départements, le choix s’étant porté sur le lieu de résidence de notre université. Dans le Val-d’Oise, 73 % des communes sont « intercommunalisées » (135 sur 185 au total), elles représentent alors 68 % de la population de ce département (environ 755 000 habitants sur 1 100 000). Les créations des regroupements sont assez récentes dans ce département, moins de dix ans pour la plupart et moins de deux ans pour six d’entre elles. Ce département connaissait un large retard par rapport au reste de la France, mais ce dernier tend à diminuer sensiblement pour se rapprocher de la moyenne nationale [1].
5L’objet de l’article est d’étudier la répartition des sièges au sein de ces regroupements et de montrer que les accords à l’amiable ne conduisent pas nécessairement à une répartition équitable si l’on admet qu’elle doit être en rapport à la population. Épiais-les-Louvres, dans la communauté de communes de Roissy Portes de France, a le même nombre de sièges que Fosses, alors que sa population est 165 fois plus petite !
6La question de la répartition des sièges est un problème théorique difficile avec des enjeux pratiques importants. Dès 1880 a été mis en avant le paradoxe de l’Alabama. Des statisticiens ont dû calculer le nombre de représentants des États américains, et ce, pour diverses tailles de chambre envisagées. L’Alabama aurait dû avoir 8 représentants pour une chambre en comportant 299, contre 7 pour une chambre en comportant 300 ! D’autres phénomènes de ce type ayant été observés, il convenait alors d’étudier rigoureusement les diverses règles de répartition des sièges à la proportionnelle. Les études les plus importantes ont été menées par Balinski et Young [1982] ou encore Balinski et Ramirez [1999]. On doit à Balinski et Young [1982] une approche normative approfondie et leurs résultats plaident largement en faveur de la règle de Webster (ou règle de Saint-Laguë). Balinski [2002] donne la conclusion suivante :
« Donc, tous les principes d’équité sont réalisés par une et une seule méthode de répartition, celle de Saint-Laguë : pourquoi en utiliser d’autres ? Pourquoi, dans un esprit de transparence, ne pas l’établir de droit une fois pour toutes ? »
8Nous calculerons alors, étant donné la population, la répartition des sièges avec cette méthode, que l’on qualifiera de théorique, et nous la comparerons avec la répartition observée. À cette fin, nous utiliserons deux indices de pouvoir issus de la théorie des jeux coopératifs, l’indice de Shapley-Shubik [1954] et l’indice de Banzhaf [1965]. Ils proposent une mesure de l’influence d’une commune au sein d’un regroupement intercommunal. Imaginons que deux communes de taille presque équivalente décident de se regrouper. S’il y a 100 sièges, elle pourrait avoir 50 sièges chacune. Pour avoir la majorité, une commune a besoin de l’autre. Supposons maintenant qu’une troisième commune très petite demande à faire partie de ce regroupement mais, ayant bien conscience de sa petite taille, ne réclame pas plus que le siège minimum attribué obligatoirement par la loi. La répartition des sièges pourrait alors être 50 pour la plus grande commune, 49 pour celle de taille légèrement inférieure et un siège pour la petite. La commune avec 49 sièges possède le même pouvoir que la commune ayant un seul siège. En effet, pour obtenir une majorité, la plus grande commune a besoin automatiquement d’une autre commune, peu importe laquelle, et les deux plus petites communes, seules, n’atteignent pas la majorité. Les indices de Shapley-Shubik et de Banzhaf prennent en compte ce genre de considération et mesurent le pouvoir de la façon suivante : plus une commune, de par sa seule absence, empêche les coalitions de communes d’obtenir la majorité, plus son pouvoir est important. Cet exemple nous permet de comprendre pourquoi nous comparons population et pouvoir plutôt que sièges et population. Obtenir un pourcentage élevé de sièges ne semble pas important si le pouvoir qui en découle est insignifiant : il se peut que posséder 1 % ou 49 % des sièges ne modifie pas le pouvoir effectif.
9Nous considérons l’indice de Shapley-Shubik et l’indice de Banzhaf car ils sont les plus utilisés dans la littérature eu égard aux aspects historiques et à leurs qualités normatives (pour une revue de la littérature et une comparaison des indices de pouvoir, voir Laruelle [1998], la monographie de Felsenthal et Machover [1998] ou encore Andjiga, Chantreuil et Lepelley [2003]). La méthode de Webster ainsi que ces deux indices de pouvoir sont présentés en section 2. De plus, des arguments probabilistes seront présentés dans la sous-section 2.3 afin de justifier l’emploi de ces indices dans le cadre que nous fixons. Une fois obtenus les indices avec la répartition de sièges observée et avec la répartition de sièges théorique (obtenue avec la méthode de Webster), nous les comparons avec la part de population des communes à l’aide des deux indicateurs de distance les plus utilisés dans la littérature [2] : la somme des écarts en valeur absolue et la racine carrée de la somme des écarts au carré. Il paraît cohérent en effet qu’une commune avec une population plus importante (et donc un apport fiscal plus important) ait un pouvoir plus important tout en faisant bénéficier les autres communes de sa taille (et de son apport fiscal). Dans le cas contraire, le citoyen de cette commune pourrait se sentir lésé et avoir l’impression de trop participer au développement des autres communes et pas assez à la sienne. La comparaison de la répartition des sièges observé à la répartition théorique est menée à la section 3.
10À partir du nombre de sièges observé, nous appliquons la méthode de Webster puis les indices de pouvoir. Mais on peut aussi s’interroger sur la pertinence du nombre total de sièges observé. Ne peut-on pas le modifier afin que les indices de pouvoir se rapprochent le plus possible de la population de chaque commune ? Cet article se voulant empirique, il va de soi que n’importe quel nombre total de sièges n’est pas envisageable, il doit rester cohérent avec celui déjà en place (que voudrait dire un nombre optimal de sièges de 1 000 au lieu de 20 ?). Nous proposons, de manière absolument arbitraire, d’étudier tous les nombres de sièges compris entre le nombre de sièges minimal (c’est-à-dire le nombre de communes puisque chacune a droit à 1 siège au minimum) et le nombre existant plus 10. Par exemple, dans la communauté de communes du Pays de France comprenant actuellement 24 sièges et 10 communes, nous étudions toutes les situations allant de 10 à 34 sièges et nous proposons celle la plus adaptée à la taille de la population en terme de pouvoir. Comme élément de comparaison, nous présentons aussi le cas où le nombre total de sièges est augmenté de 100.
11La démarche que nous adoptons tout au long de cet article est différente de celle proposée par Bonnet et Lepelley [2001]. Ces auteurs analysent le pouvoir des communes dans les structures intercommunales de Basse-Normandie et montrent certains paradoxes liés au pouvoir (par exemple la loi interdisant une commune de posséder plus de la moitié des sièges n’empêche pas celle-ci de posséder 90 % du pouvoir). En revanche, de la même manière que Bisson, Bonnet et Lepelley [2004], nous nous inspirons des travaux de Leech [2002] lorsque nous cherchons le nombre de sièges optimal à distribuer parmi les communes. Cependant, la différence fondamentale provient du fait que le nombre de sièges optimal est déterminé via la méthode de Webster et non directement à l’aide des indices de pouvoir. La raison est la suivante : à notre connaissance, la supériorité de tel ou tel indice d’un point de vue normatif n’a pas été prouvée à la différence de la supériorité de la méthode de Webster. De plus, le choix de l’indice, comme nous le verrons section 2.3, dépend des hypothèses faites sur le comportement des votants. Nous pourrions, comme l’a fait de Leech [2002], déterminer la répartition des sièges en utilisant uniquement les indices de pouvoir sans utiliser la méthode de Webster. Il suffirait pour cela de déterminer le vecteur de pouvoir qui minimise la distance entre population et pouvoir parmi tous les vecteurs de pouvoir possibles, puis, à partir de ce vecteur, attribuer le nombre de sièges. La limite évidente de cette méthode est que le résultat final, c’est-à-dire la distribution des sièges, va dépendre du choix de l’indice. Dans notre analyse, ce problème ne se pose pas puisque la supériorité normative de la méthode de Webster a été démontrée. Les indices de pouvoir ne nous servent qu’à comparer la situation réelle, ou observée, à la situation théorique obtenue avec la règle de Webster. Le nombre de sièges optimal est analysé en section 4.
12Enfin, en considérant le nombre de sièges observés, nous faisons varier le quota. En effet, rien n’indique a priori que la règle majoritaire est la règle de vote permettant la meilleure adéquation entre population et pouvoir. Nous répartissons le nombre de sièges observé par la méthode de Webster, cette répartition théorique étant indépendante du quota. Justement, pour cette répartition théorique donnée, nous cherchons le quota optimal qui permet la meilleure adéquation entre population et pouvoir. Une comparaison est faite avec le quota optimal calculée à partir de la répartition observée. Ceci fera l’objet de la section 5.
RÈGLE PROPORTIONNELLE ET INDICES DE POUVOIR
La méthode de Webster
13Le problème de la représentation proportionnelle est une question délicate et il a donné lieu à de nombreux débats quant à la règle à utiliser. Il existe deux grandes familles de méthodes de répartition : les méthodes des restes et les méthodes des diviseurs. Parmi les méthodes des restes se trouve celle de Hamilton (ou des plus forts restes), où l’on calcule pour chaque commune i une quote-part qui est la part de la population de la commune i parmi la population totale de l’intercommunalité multipliée par le nombre de sièges à pourvoir. Il n’y a pas de raison pour que ce nombre soit entier. On donne alors à chaque commune la partie entière de sa quote-part. Les sièges restants sont distribués un à un aux communes qui ont le plus grand écart entre leur quote-part et la partie entière de la quote-part. Par exemple, s’il reste un siège à pourvoir et si une commune i, une fois calculée sa quote-part obtient qi = 3,89, son reste est égal à 0,89 : elle obtient le dernier siège si aucune autre commune a un reste supérieur à 0,89. La méthode de Webster ne fait pas partie de cette catégorie mais appartient aux méthodes des diviseurs. Nous avons alors besoin des notations suivantes.
14Notons pi la population de la commune i, n le nombre de communes au sein de la structure intercommunale wi (wi ??), le nombre de sièges de la commune i et le nombre de sièges total. On a alors
16Notons [x] l’entier le plus proche de x (dans le cas où on obtient x + 1/2 avec x entier, deux solutions sont possibles).
17En reprenant les notations de Balinski et Young [1982], soit fi le nombre de sièges minimal que doit posséder la commune i (fi = 1 dans le cas de l’intercommunalité) et soit ci le nombre maximal de sièges que peut posséder la commune i ( dans notre cas si est pair). Le nombre de sièges pour chaque commune par la méthode de Webster se détermine ainsi :
19où med représente la médiane et xW est un diviseur idéal choisi tel que . Toutes les méthodes des diviseurs ont recours à la notion de diviseur idéal (dans la méthode de Jefferson, la fraction 1/2 n’apparaît pas, ce qui revient à arrondir un nombre rationnel à sa partie entière alors que la méthode de Webster arrondit à l’entier le plus proche). Le diviseur idéal est un réel qui permet à la contrainte de se réaliser. La recherche de ce diviseur idéal est parfois laborieuse et l’utilisation de l’outil informatique s’avère indispensable (un exemple est proposé section 2.4).
20La méthode de Webster est ici choisie car il a été montré, entre autres par Balinski et Young [1982], qu’elle est supérieure aux autres méthodes (des restes et des diviseurs) d’un point de vue normatif. Le paradoxe de l’Alabama présenté dans l’introduction ne peut pas se produire quand on utilise la règle de Webster. De plus, contrairement à d’autres règles, la règle de Webster vérifie presque toujours la quote-part : cela signifie que les sièges attribués sont soit égaux à la partie entière de la quote-part, soit à la partie entière plus un. Autrement dit, si la quote-part d’une commune i est 3,89, alors wi = 3 ou wi = 4. La règle de Webster est la seule qui vérifie la propriété suivante : si une commune donne un siège à une autre commune, il n’est pas possible que les deux se rapprochent de leur quote-part. Enfin, il est démontré que la méthode de Webster ne favorise ni les petites communes, ni les grandes. Ces arguments plaident en faveur du choix de cette méthode dans le contexte de l’intercommunalité (pour une présentation simple de ces règles, voir par exemple Laslier [2004], ou Balinski [2002]).
Les indices de pouvoir
21Pour présenter les indices de pouvoir, il est nécessaire d’avoir recours à une classe particulière de jeux coopératifs, les jeux simples, introduits par Von-Neumann et Morgenstern [1944]. Soit N l’ensemble des communes d’une intercommunalité et W une collection de sous-ensembles de N. Un jeu simple est un couple (N, W) avec
23L’interprétation de la définition ensembliste d’un jeu simple est que W est l’ensemble des coalitions gagnantes, c’est-à-dire l’ensemble des coalitions en mesure d’imposer leurs décisions.
24Dans un jeu simple, on peut associer à chaque coalition S une valeur, notée v(S), 0 ou 1. Si S est une coalition gagnante (S ? W), alors v(S) = 1 et si S est perdante (S ? W), v(S) = 0. Nous noterons S{i} la coalition S à laquelle on ôte la commune i.
25Parmi les jeux simples, les plus couramment utilisés sont les jeux à quota qui correspondent parfaitement aux structures intercommunales. Soit [q; w1, …, wn] un jeu à quota où q est un entier représentant le quota nécessaire pour qu’une coalition soit gagnante et les wi représentent les nombres de représentants de chaque commune. Ce modèle implique une hypothèse importante : les représentants d’une même commune ont les mêmes préférences et on ne peut pas les différencier. Ceci nous permet d’associer une commune à un poids.
26D’un point de vue formel, on a . Le jeu principal que nous allons étudier est le jeu de majorité où si est pair et si est impair.
27L’indice de Shapley-Shubik [1954] tient compte du raisonnement suivant : prenons une commune afin de constituer une coalition et regardons si cette coalition est gagnante. Si ce n’est pas le cas, prenons une seconde commune et regardons maintenant si la coalition des deux est gagnante, puis une troisième et ainsi de suite. La commune rejoignant le groupe qui fait basculer celui-ci de la situation de coalition perdante à celle de coalition gagnante est la commune pivot. L’ordre d’apparition dans la coalition a bien entendu de l’importance, et en supposant que tous les ordres ont la même probabilité d’apparaître, tous les ordres doivent être étudiés. Le nombre de fois où une commune est pivot, divisé par le nombre d’ordres total correspond à l’indice de Shapley-Shubik. On peut alors dire que l’indice de Shapley-Shubik de la commune i est
29On obtient
31avec s le nombre de communes dans S. Puisque v(S) = 0 ou v(S) = 1, [v(S) - v(S{i})] possède une valeur non nulle uniquement si i est pivot dans S.
32Dans le calcul de l’indice de Banzhaf [1965], il n’y a pas la notion d’ordre que l’on vient de rencontrer et il est de ce fait plus simple à déterminer. Il s’agit de repérer le nombre de fois où une commune est pivot parmi les 2n - 1 coalitions non vides possibles. On peut ensuite diviser ce nombre de deux manières différentes. Soit on divise par le nombre de coalitions contenant cette commune (soit 2n - 1 coalitions), soit on divise par le nombre total de pivots. Dans le premier cas, nous obtenons l’indice de Banzhaf non normalisé et dans le second nous obtenons l’indice de Banzhaf normalisé. C’est ce dernier qui retiendra toute notre intention puisqu’il nous permettra d’effectuer des comparaisons avec l’indice de Shapley-Shubik, lui-même normalisé par construction. L’indice de Banzhaf? [3] de la commune i est alors
34On peut l’écrire de la manière suivante
Fondements théoriques de l’utilisation des indices [4]
36Le pouvoir d’un joueur (une commune, un citoyen) peut être interprété comme la probabilité que celui-ci soit pivot a priori. L’indice de Banzhaf correspond alors à l’hypothèse probabiliste d’indépendance : chaque joueur vote a priori pour l’option A ou l’option B (par exemple approuver ou non un projet) indépendamment des choix des autres avec une probabilité de 1/2. De fait, cette hypothèse modélise des situations électorales dans lesquelles tous les joueurs sont indécis, et pour lesquelles la probabilité de résultats serrés est très élevée (cette probabilité est d’autant plus forte que le nombre de joueurs est élevé, par application du théorème central limite). L’indice de Shapley-Shubik correspond à une hypothèse d’homogénéité : au lieu de voter pour A ou B avec une probabilité de 1/2, les joueurs tirent la probabilité pi de voter pour A dans une loi uniforme sur [0, 1]. Ainsi, un vote donné peut impliquer un résultat très clair, par exemple si pi = 0.8, loin d’une répartition 50 % des joueurs en faveur de A contre 50 % en faveur de B. Mais en moyenne, aucune option n’est favorisée avec l’indice de Shapley-Shubik. Sur l’interprétation probabiliste des indices de pouvoir, on peut se référer à Straffin [1977] ou à Berg [1999]. Par la suite, nous examinerons l’adéquation entre population et pouvoir à l’aide des notions de distances. Avant de présenter celles-ci, nous nous devons d’insister sur un point théorique.
37Il faut distinguer dans l’étude le pouvoir d’un citoyen du pouvoir d’une commune. En effet, le pouvoir d’un citoyen est le produit de la probabilité qu’il soit pivot dans sa commune et de la probabilité que sa commune soit pivot dans l’intercommunalité. Selon que l’on applique une hypothèse probabiliste (donc un indice) sur les votes des citoyens ou des communes, la recherche d’une répartition juste du pouvoir prend un sens différent.
38Chercher la meilleure adéquation entre pouvoir et population est équivalent à vouloir que tous les individus, dans une même structure intercommunale, aient le même pouvoir. Autrement dit, chaque individu doit avoir la même probabilité d’être pivot (c’est-à-dire d’être pivot dans sa commune, celle-ci étant aussi pivot au sein de la structure intercommunale : le jeu ainsi décrit est un jeu à deux étages).
39Le tableau 1 synthétise les résultats théoriques sur le comportement des communes et la recommandation théorique quant à la façon d’attribuer les sièges en fonction de l’hypothèse retenue sur le vote des citoyens. Examinons les résultats de ce tableau ligne à ligne (B’ signifie Banzhaf non normalisé alors que B signifie Banzhaf normalisé).
Une présentation synthétique des résultats théoriques
Une présentation synthétique des résultats théoriques
40Penrose [1946, 1952] précise le nombre de sièges à attribuer à chaque commune lorsque le comportement des citoyens est modélisé par l’hypothèse d’indépendance de Straffin. Dans chaque commune, il montre que le pouvoir d’un individu mesuré par l’indice de Banzhaf non normalisé est alors proportionnel à l’inverse de la racine carrée de la population de la commune. Chaque commune a alors une probabilité 1/2 de voter pour A ou B, et son comportement obéit aussi à l’hypothèse d’indépendance ; son pouvoir dans l’intercommunalité est mesuré par l’indice de Banzhaf. Dans cette intercommunalité, son pouvoir dépend alors du nombre de ses mandats, wi, ainsi que du quota utilisé pour prendre des décisions. Penrose remarque que si le nombre de joueurs est grand, et que leurs poids sont répartis de manière aléatoire sans qu’aucun ne domine les autres, alors, en appliquant la loi des grands nombres, on peut affirmer que le pouvoir de Banzhaf d’un joueur est proportionnel au nombre de mandats qu’il détient [5]. Dès lors, le pouvoir des individus de communes différentes est égalisé pour une répartition des sièges proportionnellement à la racine carrée de la population. C’est la loi de la racine carrée de Penrose, qui reste valable même si le quota utilisé au niveau de l’intercommunalité est largement supérieur à 50 % [6].
41Bien que très souvent mise en avant dans la littérature, cette loi suppose l’indépendance au niveau des votes entre les habitants d’une même commune, ce qui implique au second niveau l’hypothèse d’indépendance entre les différentes communes de l’intercommunalité. Mais des travaux récents tendent à montrer que cette hypothèse n’est pas vérifiée empiriquement, lorsqu’on la confronte à des résultats électoraux sur grande période (voir Gelman, Katz et Tuerlinckx [2002] pour le cas des élections américaines – présidentielle, sénatoriales, gouverneurs – depuis les années 1950). Son intérêt pratique est donc limité.
42De fait, la loi de la proportionnalité peut se défendre (contre la loi de la racine carrée) si on admet que les individus votent selon l’hypothèse d’homogénéité au niveau local. Le pouvoir d’un individu dans une commune (mesuré par l’indice de Shapley-Shubik) est alors proportionnel à l’inverse de la population de la commune, et comme le comportement d’une commune est toujours gouverné par l’hypothèse d’indépendance, un nombre de sièges proportionnel à la population s’impose comme recommandation théorique.
43Ce dernier modèle (indépendance des votes entre les communes mais homogénéité des comportements dans les communes) est le plus à même de soutenir théoriquement l’application d’une règle de proportionnalité et donc une répartition des sièges selon la méthode de Webster. Comparer le pouvoir de Banzhaf d’une commune à laquelle on a attribué un nombre de sièges selon la méthode de Webster à la population de celle-ci est donc justifiée ; notre étude va vérifier la pertinence de cette approche (qui n’est qu’une règle asymptotique et peut être mise en défaut pour des cas particuliers) dans le cadre des structures intercommunales du Val-d’Oise. Nous tenterons ainsi de mettre en évidence l’intérêt de la méthode Webster en opposition aux arbitraires distributions existantes de sièges.
44Un dernier cas à traiter serait celui dans lequel il y aurait corrélation entre les votes des différentes communes. À notre connaissance, aucun modèle théorique du comportement des votants ne justifie cette hypothèse, bien que l’affirmation soit plausible : la sociologie électorale d’une commune est rarement déconnectée de celle de ces voisines. Une façon arbitraire d’aborder la question est de supposer que le vote des communes obéit à l’hypothèse d’homogénéité. Une adéquation correcte entre le pouvoir de Shapley-Shubik mesuré à partir d’une répartition des sièges selon Webster et la population permettra d’étendre (ou non) les conclusions obtenues avec l’indice de Banzhaf.
L’étude d’un exemple : le cas de 3 communes et 17 sièges
45Nous calculons ici la répartition de sièges obtenue à l’aide de la méthode de Webster puis les indices de Shapley-Shubik et Banzhaf à partir d’une intercommunalité fictive (présentée dans le tableau 2).
Intercommunalité fictive avec 17 sièges
Intercommunalité fictive avec 17 sièges
46(i) Méthode de Webster : il faut trouver xW tel que . Avec xW = 2200 (voir l’annexe 1 pour un complément sur la détermination de ce diviseur idéal), cette condition est remplie et l’on obtient alors w1 = 5, w2 = 5 et w3 = 7. Le jeu simple de majorité associé à cette structure intercommunale est alors [9; 5; 5; 7].
47(ii) Indice de Shapley-Shubik : considérons tous les ordres et soulignons les pivots : 123, 132, 213, 231, 312, 321. L’indice de Shapley-Shubik est alors le même pour les trois communes, c’est-à-dire 1/3.
48(iii) Indice de Banzhaf : considérons les sept coalitions (2n - 1) et soulignons les pivots : {1}, {2}, {3}, {1 2}, {1 3}, {2 3}, {123}. L’indice de Banzhaf est donc le même pour les trois communes, 1/3, et nous avons un cas particulier où les deux indices correspondent. L’aspect intéressant ici est que, malgré une population 1,5 fois plus grande, la commune 3 n’a pas un pouvoir supérieur à la commune 1.
49La détermination de la répartition selon la méthode de Webster et le calcul des indices de pouvoir peuvent s’avérer extrêmement laborieux lorsque le nombre de communes augmente : l’automatisation est alors indispensable [7].
MÉTHODE DE WEBSTER ET ÉCART ENTRE POPULATION ET POUVOIR DANS LE VAL-D’OISE
50Dans cette section, nous présentons les distances utilisées afin de comparer les indices de pouvoir et la population. Ces dernières sont calculées pour les intercommunalités du département du Val-d’Oise, regroupées dans un tableau de synthèse puis analysées au cas par cas, en fonction des similitudes et différences des résultats.
Les distances
51Dans cette section, nous présentons la répartition des sièges observée dans chaque intercommunalité ainsi que celle donnée par la méthode Webster. Nous déterminons ensuite les indices de pouvoir dans chacun des cas. Enfin, un écart entre le pourcentage de population d’une commune et les indices de pouvoir est calculé. Deux types d’écarts sont utilisés : l’écart en valeur absolue et l’écart au carré.
52Les écarts en tant que tels, s’ils sont informatifs au niveau d’une commune, ne le sont pas forcément au niveau de l’intercommunalité. Pour cela, une distance sera calculée entre le pourcentage de la population et les indices de pouvoir. Notons d1(x, y) la somme des écarts en valeur absolue entre deux vecteurs (dans notre cas, un indice de pouvoir et la population), ce qui s’écrit
54Notons d2(x, y) la racine carrée de la somme des écarts au carré entre deux vecteurs, ce qui s’écrit
56Les notations suivantes sont employées : pour les vecteurs on note O la répartition observée, W la répartition selon la méthode de Webster et pop la population en pourcentage. En exposant, B ou SS feront référence à l’indice de pouvoir utilisé (B pour Banzhaf et SS pour Shapley-Shubik). Par exemple, dB1(pop, W) correspond à la somme des écarts en valeur absolue entre l’indice de Banzhaf obtenu avec la répartition provenant de la méthode de Webster et la population en pourcentage. Pour simplifier les notations, puisque nous comparons toujours le pouvoir sur O ou W à la population, seul le vecteur susceptible de varier dans le calcul de distance sera mentionné. Dans notre exemple, la distance s’écrit alors dB1(W).
57Rappelons que nous avons retenu les distances les plus utilisées dans la littérature (par exemple, voir Leech [2002]). Le tableau 3 synthétise les distances (calculées sur les vecteurs exprimés en pourcentage) obtenues pour chaque intercommunalité. Pour des raisons pratiques, le nom des intercommunalités est parfois raccourci dans les différents tableaux (cf. l’annexe 3 pour l’écriture complète).
Synthèse des distances entre population et indices de pouvoir
Synthèse des distances entre population et indices de pouvoir
58On observe trois situations différentes lorsqu’on compare répartition des sièges théorique et observée :
- la communauté d’agglomération du Val de France est un cas où la répartition théorique est égale à la répartition observée ;
- l’intercommunalité de la Vallée de l’Oise et des 3 Forêts est le seul cas où la méthode de Webster fixe une répartition des sièges nous éloignant de la population du point de vue du pouvoir ;
- mis à part pour les deux cas précédents, la méthode de Webster permet toujours une meilleure adéquation entre population et pouvoir.
Le cas de la communauté d’agglomération du Val de France
59Dans le tableau 4, l’abréviation « Pop. » représente la population, B(O) l’indice de Banzhaf sur la répartition observée, B(W) l’indice de Banzhaf sur la répartition théorique obtenue avec la méthode de Webster, SS(O) l’indice de Shapley-Shubik sur la répartition observée et SS(W) l’indice de Shapley-Shubik sur la répartition théorique. Le nom des communes est parfois raccourci (cf. l’annexe 3 pour l’écriture complète).
Écarts dans la communauté d’agglomération du Val de France
Écarts dans la communauté d’agglomération du Val de France
60La répartition observée des sièges est différente de celle donnée par la méthode de Webster. La répartition obtenue par la méthode de Webster fera office de répartition de référence. De ce point de vue, Arnouville-lès-Gonnesse a un représentant en trop et devrait le laisser à Sarcelles. Cependant, cela n’a aucune incidence en terme de pouvoir qui est le même avec la répartition théorique et celle observée. Ceci est un cas particulier lié à la construction même des indices de pouvoir. À partir du moment où la commune ayant le plus grand nombre de représentants en possède moins que le quota, et, qu’associée à la commune ayant le plus petit nombre de représentants elles atteignent le quota, la seule distribution de pouvoir possible est 50 % pour la plus représentée et 16,67 % pour les autres (dans le cas de quatre communes).
61Dans ce cas, pour Banzhaf? [8], considérons le jeu simple [q; w1, w2, w3, w4] avec les wi classés dans l’ordre décroissant. Si w1 + w4 ? q alors w2 + w3 < q. De plus, comme w1 ? q, les coalitions gagnantes sont donc {1, 2, 3, 4}, {1, 2, 3}, {1, 2, 4}, {1, 3, 4}, {2, 3,4}, {1, 2}, {1, 3}, et {1, 4}. Le joueur 1 est pivot dans toutes les coalitions auxquelles il appartient sauf dans la grande coalition {1, 2, 3, 4}. Les joueurs 2, 3 et 4 sont uniquement pivots dans les coalitions à deux joueurs et dans la coalition {2, 3, 4}. Il y a alors 12 pivots au total, 6 pour le joueur 1 et 2 pour les 3 autres joueurs.
62Pour Shapley-Shubik, il suffit de considérer les 24 ordres possibles et de remarquer que le joueur 1 est toujours pivot lorsqu’il arrive en deuxième ou troisième position dans la coalition. Son indice est donc 12/24. Quand le joueur 1 est en premier dans la coalition, comme le second est toujours pivot, chaque joueur autre que le premier est pivot 2 fois sur 6. Quand le joueur 1 arrive en dernier dans la coalition, c’est toujours le joueur arrivant en troisième qui est pivot, la distribution des pivots est alors symétrique ; chaque joueur autre que le premier est à nouveau pivot 2 fois sur 6. Au total, les joueurs 2, 3 et 4 sont pivots 4 fois sur 24. On retombe sur la distribution de pouvoir de l’indice de Banzhaf.
63La commune d’Arnouville-lès-Gonesse, bénéficie d’un siège de plus que ce qu’elle aurait dû avoir avec la règle de Webster, mais son gain en terme de pouvoir est nul, du moins dans le cas du jeu majoritaire. En effet, si le quota passe de 21 à 24, le siège en plus pour Arnouville-lès-Gonnesse change sensiblement la répartition de pouvoir car sans celui-ci, son pouvoir devient nul (on parle généralement de dummy player). Par contre, si on admet la règle où on se situe à nouveau dans le cas particulier du jeu majoritaire où la perte d’un siège pour Sarcelles ne modifie pas le pouvoir des communes.
Le cas de la communauté de communes de la Vallée de l’Oise et des 3 Forêts
64L’analyse des distances s’avère ici pertinente. En effet, nous sommes en présence du seul cas du Val-d’Oise où la méthode de Webster fixe une répartition des sièges nous éloignant de la population du point de vue du pouvoir. En effet, nous obtenons d’après le tableau 3 :
Écarts de la communauté de communes de la Vallée de l’Oise et des 3 Forêts
Écarts de la communauté de communes de la Vallée de l’Oise et des 3 Forêts
65On peut alors énoncer le résultat théorique suivant : l’utilisation de la méthode de Webster ne rapproche pas nécessairement les indices de pouvoir de la population.
Le cas des autres intercommunalités
66Mis à part pour les deux cas précédents, la méthode de Webster permet toujours un rapprochement entre population et pouvoir. Cette méthode possède de bonnes propriétés d’un point de vue normatif, elle permet de plus ce rapprochement dans de nombreux cas. Bien sûr, ce rapprochement sera plus ou moins important et il pourra largement varier d’une intercommunalité à une autre, cela dépendant de la volonté ou non de la part des décideurs de répartir les sièges en fonction de la population. Par exemple, le rapprochement dans la communauté de communes de Roissy Portes de France est plus spectaculaire que celui de la communauté de communes du Val de Viosne où la règle de répartition des sièges dépend de la population : une commune avec moins de 401 habitants a un siège, une commune possédant entre 401 et 1 000 habitants en a deux, une autre possédant entre 1 001 et 2 000 habitants en a trois et enfin une dernière possédant au moins 2 001 habitants en a quatre.
67Notons qu’aucune intercommunalité ne présente la même répartition de sièges que celle préconisée par la méthode de Webster.
68Le tableau 3 sur les distances est instructif mais des précisions doivent être apportées. En particulier, il faut remarquer que, quand une distance diminue, cela ne signifie pas que le pouvoir de chaque commune se rapproche de sa population. Par exemple, une analyse approfondie dans la communauté de communes de la Vallée de l’Oise et des impressionnistes montrerait que l’écart entre pouvoir (mesuré par l’indice de Banzhaf) et population augmente pour la commune d’Auvers-sur-Oise alors qu’il diminue pour la commune de Mériel.
69Il n’est pas surprenant que la distance ne soit jamais nulle, ceci étant dû à plusieurs éléments. Tout d’abord, certaines communes bénéficient du siège minimal imposé par la loi et de ce fait le rapprochement entre pouvoir et population semble difficile. De plus, le fait que le nombre de sièges par commune ne soit pas divisible ne favorise pas l’adéquation entre pouvoir et population ; on pourrait en effet rencontrer des situations où, avec x sièges, une commune n’a pas assez de pouvoir et avec, x + 1 siège, elle en a finalement trop. Enfin, le nombre de communes est en général réduit dans les intercommunalités, et on sait que les indices de pouvoir ne peuvent pas prendre toutes les valeurs entre 0 et 1, le nombre de valeurs possibles étant croissant avec le nombre de communes (le détail est indiqué pour le cas à quatre communes supra, p. 411). Malgré tout, si le nombre de communes est important (par exemple 15), il reste des valeurs non admissibles pour les indices de pouvoir et de ce fait, des différences entre pouvoir et population sont compréhensibles.
NOMBRE DE SIÈGES OPTIMAL
70Le nombre de sièges total est fixé de manière arbitraire par les maires des différentes communes. Nous avons jusque-là supposé que ce nombre était fixe, l’intérêt étant de montrer qu’utiliser la méthode de Webster améliorait dans la plupart des cas l’adéquation entre pouvoir et population. Cependant, il est des cas où ce rapprochement n’a pas eu lieu. L’objet de cette section est de supposer que le nombre de sièges peut varier et de chercher celui qui minimise les distances calculées dans la section précédente. Nous avons choisi d’étudier toutes les situations entre le nombre de sièges minimal (donné par le nombre de communes puisque la loi donne un siège à chaque commune, quelle que soit la taille de sa population) et dix sièges de plus que le nombre de sièges observé. En effet, il nous semble que trouver dix nouveaux représentants n’est pas forcément tâche aisée et c’est pour cela que nous avons fixé cette limite. Le niveau de cette limite est totalement arbitraire ; il va de soi qu’en agrandissant la fourchette, nous pourrions trouver un nombre optimal de sièges, et donc une répartition, différent. Nous ne considérons ici que des jeux simples de majorité.
71Notons que l’objet ici n’est pas de chercher la répartition de sièges qui permet de minimiser l’écart entre pouvoir et population, à nombre de sièges donné ou pas (comme on peut le voir dans Leech [2002] ou Bisson, Bonnet et Lepelley [2004]), mais à chaque fois d’utiliser la méthode de Webster puis de déterminer le nombre de sièges total qui minimise l’écart entre pouvoir et population. Cela signifie que la répartition et le nombre de sièges total que nous proposons ne correspondent pas nécessairement à ceux que l’on obtiendrait si l’on tentait uniquement de minimiser cet écart. La distinction est loin d’être anodine dans le sens où, à la différence des indices de pouvoir, il a été montré que la méthode de Webster est la meilleure méthode de répartition d’un point de vue normatif (voir Balinski et Young [1982]). Bien entendu, les résultats que nous obtenons n’ont aucune raison de coïncider : le nombre de sièges optimal peut varier en fonction des indices et des distances utilisés.
Nombre optimal de sièges et jeu majoritaire (+ 10)
Nombre optimal de sièges et jeu majoritaire (+ 10)
72Dans 5 cas sur 15 (en gras dans le tableau 6), le nombre optimal de sièges est identique quels que soient les indices de pouvoir et les distances. Il existe quelques cas où le nombre de sièges optimal est sensiblement différent d’un indice ou d’une distance à l’autre. Le plus spectaculaire est celui de la communauté d’agglomération de Cergy-Pontoise où l’on passe de 35 sièges à 61. Ce changement semble radical mais l’analyse du tableau en annexe 2 (ou sur la figure 1 ci-dessous) nous permet de comprendre que les distances pour 35 et 61 sièges sont relativement proches (en gras dans le tableau de l’annexe 2) [9]. La répartition des sièges est donnée dans l’ordre des communes indiquées dans l’annexe. Ce type de résultat se produit pour les intercommunalités où il n’y a pas un relatif consensus. Autrement dit, à une différence minime près sur les distances, le consensus est envisageable.
73La limite que nous nous sommes fixée (+ 10) joue bien entendu un rôle. Augmenter cette limite nous donnerait des résultats différents comme le montre le tableau 7 avec une limite de 100 sièges en plus du nombre de sièges existant. Par exemple, dans la communauté d’agglomération de Cergy-Pontoise, si le nombre de sièges optimal est inférieur à celui observé quand on se fixe une limite de + 10, il devient supérieur dans le cas de la limite de + 100. Mais si cela paraît envisageable de fixer le nombre de représentants à 78 dans la communauté d’agglomération de Cergy-Pontoise, cela devient irréaliste de le fixer à 110 dans la communauté de communes de la Vallée du Sausseron.
74De par leur structure, les indices de pouvoir ne peuvent prendre qu’un nombre fini de valeurs, ce nombre augmentant de manière exponentielle quand le nombre de communes augmente (voir Bisson, Bonnet et Lepelley [2004]). Nous avons vu qu’en présence de quatre communes et w1 + w4 ? q (avec les wi classés dans l’ordre décroissant), la distribution de pouvoir est 50 % pour la commune 1 et 16,67 % pour les trois autres, quel que soit l’indice.
Distances minimales et nombre de sièges total pour Cergy-Pontoise
Distances minimales et nombre de sièges total pour Cergy-Pontoise
75Il est alors tout à fait possible qu’une intercommunalité possède plusieurs nombres de sièges optimaux. Bien entendu, la probabilité que ce phénomène se produise est d’autant plus forte que le nombre de communes est petit. Par exemple, dans la communauté d’agglomération du Val de France, plusieurs valeurs sont admissibles : 8, 24, 30. Dans le tableau 7, une seule valeur est indiquée dans ce cas.
Nombre optimal de sièges et jeu majoritaire (+ 100)
Nombre optimal de sièges et jeu majoritaire (+ 100)
QUOTA OPTIMAL
76Dans les sections précédentes, nous avons particulièrement étudié le jeu simple de majorité. Il convient désormais de savoir s’il n’est pas possible de rapprocher pouvoir et population en faisant varier le quota et de déterminer lequel permet de minimiser les distances retenues. Dans cette section, le nombre de sièges total n’est pas modifié par rapport à celui observé. Les résultats pour les 15 intercommunalités sont présentés dans le tableau 8.
77Concernant les répartitions obtenues avec la méthode de Webster, le quota optimal est le même avec les deux distances dans 12 intercommunalités sur 15 pour Banzhaf et dans 14 cas sur 15 pour Shapley-Shubik. De plus, sur les trois cas de désaccords, seul un est vraiment prononcé, celui de la communauté de communes de la Vallée de l’Oise et des Impressionnistes pour Banzhaf (quota optimal de 15 ou 22 ; en gras dans le tableau 8).
78L’utilisation de l’indice de Shapley-Shubik a tendance à augmenter le quota pour minimiser la distance, même si, dans 3 cas sur 15, les quotas donnés par les deux indices de pouvoir sont identiques. Il n’y a en effet que deux cas où l’indice de Banzhaf nous livre des quotas plus élevés (communauté d’agglomération de la Vallée de Montmorency et communauté d’agglomération Val et Forêt). De plus, les écarts de quotas entre les indices de Banzhaf et de Shapley-Shubik peuvent être conséquents puisque dans la communauté d’agglomération de Cergy-Pontoise nous observons une différence de 10. Notons enfin qu’une seule fois la majorité minimise les distances, c’est le cas de la communauté de commune du Val de Viosne et uniquement pour l’indice de Banzhaf. De ce point de vue, on ne peut que recommander d’éviter l’utilisation du jeu simple de majorité, du moins si l’objectif est de rapprocher pouvoir et population.
Répartition du nombre de sièges observé par la méthode de Webster et quota optimal
Répartition du nombre de sièges observé par la méthode de Webster et quota optimal
79Si l’on cherche le quota optimal dans le cas des données observées, il nous faut déjà retirer tous les cas où le nombre de sièges est le même pour toutes les communes. En effet, le pouvoir est alors 1/n quel que soit l’indice de pouvoir et quel que soit le quota. Ainsi, dans le tableau 9, seules les valeurs associées aux intercommunalités possédant des nombres de sièges différents sont présentées.
80Sur les huit intercommunalités restantes, seule la communauté de communes de la Vallée de l’Oise et des Impressionnistes admet un même quota quelle que soit la formule retenue (distance ou pouvoir ; en gras dans le tableau 9). Comme dans le cas théorique, l’utilisation de l’indice de Shapley-Shubik incite à préconiser un quota plus élevé avec des différences parfois importantes (35 contre 54 dans la communauté d’agglomération de Cergy-Pontoise). Le relatif consensus obtenu dans la variation du nombre de sièges est loin d’être atteint dans le cas de la variation du quota. Si le choix d’une distance plutôt qu’une autre entraîne peu de variation du quota optimal, le choix de l’indice n’est quant à lui pas sans importance. Comme nous l’avons vu dans la section 2.3, le choix de l’indice dépend de l’hypothèse probabiliste retenue, indépendance des votes au niveau intercommunal ou homogénéité.
Répartition des sièges observée et quota optimal
Répartition des sièges observée et quota optimal
CONCLUSION
81Même si la loi recommande une adéquation entre le nombre de sièges par commune et le nombre d’habitants de ces communes au sein d’une structure intercommunale, force est de reconnaître que ces recommandations ne sont que rarement suivies et que l’utilisation de méthodes proportionnelles permettrait d’augmenter cette adéquation. La règle de proportionnelle que nous utilisons à cette fin est la règle de Webster retenue pour ses qualités normatives. Notre but n’est cependant pas d’augmenter l’adéquation entre nombres de sièges et population mais plutôt entre pouvoir et population. En effet, le nombre de sièges en lui-même ne signifie rien, il nous semble que la notion de pouvoir est beaucoup plus intéressante. En ce sens, nous utilisons des indices de pouvoir usuels dans la littérature.
82Nous montrons qu’utiliser la méthode de Webster permet d’augmenter l’adéquation entre population et pouvoir dans la plupart des cas. En effet, cette amélioration de l’adéquation n’a pas lieu uniquement dans la communauté de communes de la Vallée de l’Oise et des 3 Forêts. De plus, nous montrons que le nombre de sièges total par intercommunalité est souvent sous-optimal et nous proposons des nombres de sièges totaux améliorant l’adéquation entre population et pouvoir. Enfin, si ce nombre de siège total est figé, nous montrons que le quota utilisé le plus souvent, la majorité, ne permet pas la meilleure adéquation entre population et pouvoir. il faut noter qu’en règle générale, le choix de la distance n’a que peu d’influence sur le résultat. De plus, si le choix de l’indice semble important, il faut remarquer que bien souvent, un certain consensus se dégage.
83Il paraît évident, et cette remarque n’est bien entendue pas propre au cas du département du Val-d’Oise, que l’utilisation de la méthode de Webster permettrait des répartitions de sièges moins sujettes à critiques. Cela ne permettrait pas d’éviter totalement les débats quant au choix du nombre de sièges et du quota, mais nous savons désormais que ces problèmes peuvent être résolus malgré le choix difficile des indices de pouvoir et des distances.
Exemple de diviseur idéal
84En utilisant les notations de la section 2.1, soit la fonction
Détail du calcul du nombre optimal de sièges
Distances et répartitions des sièges dans la communauté d’agglomération de Cergy-Pontoise en fonction du nombre total de sièges
Distances et répartitions des sièges dans la communauté d’agglomération de Cergy-Pontoise en fonction du nombre total de sièges
Structures intercommunales du val d’Oise [10]
Bibliographie
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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- Leech D. [2002], « Designing the voting system for the Council of the European Union », Public Choice, 113, p. 437-464.
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- Penrose L.S. [1952], On the objective study of crowd behaviour, Londres, H.K. Lewis.
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- von Neumann J., Morgenstern O. [1944], Game theory and economic behavior, Princeton, Princeton University Press.
Notes
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[*]
Thema, Université de Cergy-Pontoise, 33 boulevard du Port, 95011 Cergy-Pontoise Cedex. Courriels : fabrice. barthelemy@ u-cergy. fr – mathieu. martin@ u-cergy. fr
-
[1]
Pour une présentation détaillée de l’intercommunalité dans le département du Val-d’Oise, voir le site Internet du conseil général http:// www. cg95. fr ; en annexe 3 sont présentées les différentes intercommunalités avec leur population et les répartitions de sièges observées.
-
[2]
D’autres distances sont évidemment envisageables mais nous choisissons celles-ci afin d’être en accord avec la littérature sur ce même sujet. Cet argument est valable aussi pour le choix des indices de pouvoir.
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[3]
Désormais, quand nous parlerons de l’indice de Banzhaf, il s’agira de l’indice normalisé.
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[4]
Nous remercions très sincèrement Vincent Merlin pour les précieux conseils qu’il nous a donnés dans l’élaboration de cette section.
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[5]
Pour une version claire, récente et détaillée de cette argumentation, voir Gelman, Katz et Tuerlinckx [2002], et Gelman, Katz et Bafumi [2004].
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[6]
Ce dernier point est exploré dans Feix, Lepelley, Merlin et Rouet [2007].
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[7]
Le logiciel gauss est utilisé.
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[8]
Pour le cas particulier du jeu simple de majorité, voir Bisson, Bonnet et Lepelley [2004].
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[9]
Remarquons dans le tableau de l’annnexe 2 illustre qu’une augmentation du nombre de sièges total n’implique jamais une baisse du nombre de sièges pour une commune : le paradoxe de l’Alabama ne peut pas se produire avec la méthode de Webster.
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[10]
Au 1er janvier 2005.