Notes
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[*]
erasme et eurequa (Université Paris I et cnrs) – Correspondance : erasme, École centrale Paris, Grande Voie des Vignes, 92295 Châtenay-Malabry Cedex. Courriel : gkoleda@ ecp. fr
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[1]
Romer [1990], Grossman et Helpman [1992] et Aghion et Howitt [1992] (les Fondateurs).
-
[2]
Jones [1995], Kortum [1997], Segerstrom [1998] (les Critiques).
-
[3]
Young [1998], Peretto [1998], Dinopoulos et Thompson [1998], Howitt [1999] (les Réconciliateurs).
-
[4]
On suppose ? supérieure à 1 afin de décrire un goût pour la diversité du ménage.
-
[5]
Les préférences des consommateurs ne portent que sur les biens disponibles.
-
[6]
L’ensemble des recherches menées dans le secteur d’innovation verticale fait avancer la frontière technologique que les chercheurs tentent de rattraper. Cependant, le ratio entre taux de croissance de la qualité et fréquence de l’innovation indique la taille de l’innovation de sorte que le paramètre ? apporte également des informations sur l’asymétrie de la distribution des niveaux de qualité entre secteurs.
-
[7]
Voir Amable [1996] pour un modèle de croissance endogène à deux secteurs de R&D décrivant des innovations radicales et incrémentales.
-
[8]
On se reportera à la démonstration de Howitt [1999] ou Segerstrom [2000].
-
[9]
Cette dichotomie de la recherche et développement n’a de justification que par sa facilité de modélisation et la possibilité qu’elle offre de décrire des évolutions à l’intérieur même du secteur de recherche.
-
[10]
On peut exprimer le taux d’obsolescence en fonction des taux de croissance du nombre de variétés en utilisant l’équation d’obsolescence : .
-
[11]
La création d’un bien rapporte moins que son amélioration. On retrouve ici la problématique de l’innovation cumulative : l’innovation basique (horizontale) a peu de valeur mais est cependant indispensable aux développements ultérieurs du produit (voir Scotchmer [1991]).
-
[12]
On se reportera à Eicher et Turnovsky [1999] pour une discussion plus complète des conditions de positivité des taux de croissance dans un modèle de croissance semi-endogène à deux secteurs.
-
[13]
Le cas de la croissance semi-endogène uniquement qualitative (Segerstrom [1998]) est obtenu en posant les contraintes ? v – ? h = ? h – ? v et ? = 0, le cas de la croissance uniquement quantitative (Jones [1995]) en posant ? v = ? h .
-
[14]
Le caractère continu des variables et paramètres peut apparaître difficilement compatible avec la mise en exergue d’une taxinomie en deux régimes technologiques. Si ce caractère continu est requis par la modélisation, nous sommes conscient de la difficulté d’implémenter empiriquement ce modèle. C’est pourquoi, nous avons choisi de caractériser les régimes technologiques en fonction des paramètres ou variables du modèle appréciés de façon binaire (élevé ou faible).
-
[15]
Comme tout modèle de croissance semi-endogène, la dynamique se résume entièrement à l’ajustement vers l’état stationnaire. Le manque de place et l’accent mis sur la description des deux régimes technologiques ne permettent pas de présenter (au moins numériquement) un exemple de cet ajustement à l’état stationnaire. Le lecteur intéressé pourra se reporter à Koléda [2001].
Introduction
1 Il existe plusieurs représentations de l’innovation et du progrès technique sous-jacentes aux modélisations bi-sectorielles du secteur de recherche, adoptées dans les récents modèles de croissance. Deux interprétations principales ressortent. Soit la représentation du progrès technique repose sur la notion de General Purpose Technologies. Le deuxième secteur de recherche s’impose aux modélisateurs en raison du caractère exceptionnel qu’ils entendent conférer aux innovations radicales (Helpman et Trajtenberg [1994], Amable [1996], Aghion et Howitt [1998]). Soit la représentation du progrès technique distingue deux secteurs de recherche comme deux directions pouvant être suivies (horizontale ou verticale) sans forcément que l’une d’elles revête un caractère plus radical que l’autre. Les modélisateurs qui adoptent ce second point de vue superposent les deux modèles canoniques de croissance endogène : le modèle de variété et le modèle d’échelle de qualité, en cherchant ainsi à mieux décrire la réalité plurielle de l’innovation.
2 Cette dernière direction prise par la recherche portant sur la croissance endogène fondée sur l’innovation a été privilégiée pour la possibilité de réponse qu’elle offre au paradoxe de l’effet d’échelle, mis en lumière par Jones [1995]. La dynamique en trois vagues de la littérature de croissance fondée sur l’innovation a été retracée par Jones [1999] : (i) la croissance endogène avec effet d’échelle de 1990 à 1995 [1], (ii) la croissance semi-endogène sans effet d’échelle de 1995 à 1998 [2], (iii) la croissance endogène sans effet d’échelle (modèles bi-sectoriels de recherche) à partir de 1998 [3].
3 Cependant, la priorité, donnée à des spécifications de fonctions de recherche permettant une croissance endogène sans effet d’échelle, a empêché ces derniers auteurs de s’intéresser aux interactions entre les deux secteurs de recherche. Il n’existe pas d’externalités croisées de connaissances entre eux. Or, Li [2002] a montré que l’accroissement de la dimension du progrès technique, tout comme la formalisation d’externalités croisées de connaissances, renforçait la généralité de la croissance semi-endogène.
4 Notre modèle reprend l’ossature des modèles de Howitt [1999] ou Segerstrom [2000] à deux secteurs d’innovation (verticale et horizontale) mais dans une optique de croissance semi-endogène à la Li [2000]. En plus de la prise en compte des externalités de connaissances entre les deux secteurs d’innovation, nous intégrons également le phénomène d’obsolescence technologique, ce qui nous amène à mettre en avant la notion d’innovation en vigueur et de disponibilité des biens.
5 L’ensemble de ces prolongements portant sur le modèle générique de croissance fondée sur l’innovation permet d’appréhender plus finement les différents types de croissance et de mettre en avant la notion de régime technologique. Nous mettons en avant la possibilité de prendre en compte un changement de régime technologique avec ce modèle de croissance semi-endogène intégrant l’obsolescence technologique et de pouvoir décrire le passage d’une croissance essentiellement quantitative à une croissance plus qualitative.
6 La première section présente notre modèle d’équilibre général et de croissance en mettant en exergue le secteur de la recherche, sa double dimension et la notion d’obsolescence technologique. La deuxième section présente l’équilibre de croissance équilibrée de notre économie et discute les différents types de croissance envisageables. La troisième section définit deux régimes technologiques différenciés en s’appuyant sur des développements de la littérature évolutionniste et institutionnaliste : le régime technologique de destruction créatrice et celui d’accumulation créatrice. La paramétrisation du modèle qui permet de décrire alternativement l’un ou l’autre régime est examinée.
Le modèle
Le comportement des ménages
7
Le ménage représentatif choisit sa dépense totale à chaque période afin de maximiser son utilité intertemporelle
, sous sa contrainte budgétaire intertemporelle :
où rs
est le taux d’intérêt, us
l’utilité instantanée, E
s
sa dépense courante, R
s
son revenu courant à la date s et A
t
la valeur de ses actifs en t. Sa fonction d’utilité instantanée en t est de la forme ces :
Le programme de maximisation de l’utilité instantanée des ménages permet de déterminer la demande de bien de consommation fabriqué par l’industrie i, de qualité Q it , de la part du ménage représentatif :
Le secteur de production des biens de consommation
8
Lorsqu’un bien de consommation est inventé ou amélioré suite à un effort de recherche et développement de la part d’une firme privée, la production d’une unité de ce bien requiert une unité de travail quel que soit son niveau de qualité. Le programme de maximisation du profit par la firme produisant le bien i en position de monopole aboutit à la fixation d’un taux de marge
de sorte que le prix du bien est
. Les bénéfices courants réalisés par cette entreprise sont :
Innovations verticales et horizontales, et obsolescence
9 Nous avons opté pour une partition des innovations résultant des efforts de R&D entre innovations verticales, qui permettent à un bien déjà existant d’intégrer la qualité de pointe de l’économie, et innovations horizontales qui correspondent aux créations d’un certain nombre de biens à chaque instant.
Les innovations verticales et horizontales
10 L’innovation verticale est une innovation d’approfondissement. Elle correspond à l’intégration à un bien de consommation de la qualité de pointe de l’économie ; Qmaxt = max {Q it ; i ? [0, N vt ]}. Celui-ci évolue sous l’effet des externalités technologiques générées par le secteur de recherche d’innovation verticale :
Les innovations horizontales sont, pour leur part, des innovations d’élargissement au sens où de nouvelles industries se créent pour fabriquer des biens nouveaux. Leurs niveaux de qualité sont tirés de la distribution des qualités des biens de consommation existants. Lorsqu’un nouveau bien de consommation apparaît, il n’intègre pas la qualité de pointe de l’économie à cette date. Sa qualité sera améliorée par des innovations verticales au cours du temps.
Les deux types d’innovation sont ainsi deux facettes du progrès technique et ne répondent à aucun ordonnancement. Les notions d’élargissement et d’approfondissement paraissent plus appropriées à cette représentation du progrès technique que celles d’innovation radicale ou incrémentale [7].
L’obsolescence
12 La durée de vie d’une industrie de biens de consommation est limitée, du fait de l’existence d’un processus d’obsolescence technologique qui aboutit à la destruction d’un certain nombre d’industries à chaque période.
13 Les biens de consommation peuvent devenir obsolètes quel que soit leur niveau de qualité. Le processus d’obsolescence n’est donc pas dirigé vers les biens de moins bonne qualité. Il est d’autant plus important le taux de croissance du niveau de la qualité de pointe est élevé. Le nombre de biens en vigueur en t est :
Il convient de relever la différence entre l’obsolescence technologique, la disparition d’une industrie de bien de consommation, et la destruction créatrice, le remplacement d’un bien par son amélioration à l’intérieur même d’une industrie. Tandis que la destruction créatrice aboutit au remplacement d’un bien par sa version améliorée, ce qui ne peut que satisfaire le goût pour la qualité, l’obsolescence technologique oblige le ménage à consacrer des ressources supplémentaires à la recherche de nouveaux biens pour contrebalancer la perte d’utilité provoquée par la baisse relative du nombre de biens.
La fonction de distribution des qualités relatives
15
Soit
la qualité relative de l’industrie i par rapport à la meilleure qualité dans l’économie à la date t et
la qualité relative entre les meilleures qualités aux dates t
0 et t. On montre [8] que
. Or
, de sorte que la distribution des qualités relatives converge de manière monotone vers la distribution invariante F(.). On fait l’hypothèse que cette distribution relative des qualités est déjà F(.) au temps t = 0, c’est-à-dire que cette équation vaut pour tous les q ? 0. La fonction de densité des qualités relatives est invariante dans le temps :
.
Le paramètre ? indique le degré d’asymétrie de cette distribution des qualités relatives. En utilisant cette fonction de densité, on calcule l’intégrale des qualités pondérées ainsi que la qualité moyenne Qmoyt
des variétés en vigueur de biens de consommation :
Nous allons nous intéresser à la façon dont ces innovations sont mises à jour par les secteurs de recherche verticale et celui de la recherche horizontale [9].
Les secteurs de recherche
16
Les recherches destinées à innover verticalement sont ciblées au sens où une firme choisit le bien dont elle veut développer une version supérieure. Une entreprise de l’industrie i engage la quantité nécessaire de chercheurs pour réaliser son projet de recherche de façon à maximiser son profit. Son objectif est
, où ?
it
est le taux d’arrivée de l’innovation verticale qui suit un processus de Poisson, V
vit
la valeur de l’innovation verticale (la somme actualisée des profits futurs générés par son exploitation), wt
le taux de salaire et LRvit
la quantité de chercheurs employés. La probabilité de réussite à la date t de ce programme de recherche visant à améliorer de Q
it
à Qmaxt
la qualité du bien i est :
Les bénéfices provenant des innovations
17 Étant donné la fonction de distribution des qualités relatives, les bénéfices courants que procure l’exploitation, en position de monopole, d’un brevet portant sur le bien i de qualité Q it sont :
- le phénomène de destruction créatrice : l’arrivée d’une innovation verticale intégrant la qualité de pointe dans une industrie donnée provoque une remise en cause du monopole en place. L’ensemble des consommateurs reporte dans cette industrie leurs consommations sur ce bien amélioré et l’ancien monopole voit l’ensemble de ses rentes disparaître ;
- le phénomène d’obsolescence des biens de consommation : la hausse continue de la qualité de pointe rend obsolète une partie des innovations, ce qui détruit des pans entiers d’industries de biens de consommation. Ce sont là les conséquences de l’évolution du paradigme technologique. Plus la technologie à la base d’une industrie de biens de consommation a été inventée il y a longtemps, moins elle est intégrée dans le paradigme technologique actuel, même si elle a été plusieurs fois améliorée par des innovations verticales. Une raison à ce phénomène peut être qu’une partie des connaissances technologiques à la base de cette industrie sont tacites et peuvent donc disparaître.
Les conditions de non-arbitrage
19
Les bénéfices réalisés par une firme ayant introduit une innovation verticale sont
. En remplaçant la valeur de ces profits dans l’équation (6) et en dérivant par rapport au temps la valeur des innovations verticales issue de la condition de libre entrée, on détermine la condition de non arbitrage s’appliquant aux innovations verticales :
En remplaçant la valeur de ces profits dans l’équation (6) et en dérivant par rapport au temps la valeur des innovations horizontales telle qu’elle ressort de la condition de libre entrée dans le secteur de la recherche, on détermine la condition de non-arbitrage s’appliquant aux innovations horizontales :
Le marché du travail
20
L’équilibre sur le marché du travail complète la description du modèle. Le travail offert par le ménage se répartit entre la production et la recherche d’innovations, soit horizontales soit verticales. La quantité de travail utilisée pour la production des différentes variétés de biens de consommation est
. La quantité de chercheurs visant à la découverte d’innovations horizontales et d’innovations verticales sont
et
. La condition de plein-emploi est :
Équilibre de croissance équilibrée
Résolution du modèle
21 Les équations représentant la condition de non-arbitrage pour une innovation verticale (7), la condition de non-arbitrage pour une innovation horizontale (8) et la condition de plein-emploi (9) permettent la résolution du modèle. Préalablement à l’étude de l’équilibre d’état stationnaire et de la dynamique d’ajustement, nous définissons des variables stationnaires : le niveau de la qualité de pointe par tête ajustée qt , le nombre de variétés de biens mis à jour par tête ajustée ht , les dépenses des ménages normalisées par le taux de salaire dt et le ratio du nombre d’innovations en vigueur au nombre d’innovations mises à jour ? t .
Soit , la part de chercheurs d’innovations verticales. L’équation de plein-emploi s’écrit en utilisant ces variables ajustées :
Les taux de croissance du nombre de variétés et de la qualité de pointe peuvent être exprimés en fonction de ces variables ajustées par leur échelle (proportionnelle à la taille de la population), des dépenses normalisées et de la part de chercheurs d’innovations verticales :
Les variables d’état sont q et h tandis que d, ? et v sont les variables de contrôle. L’expression de v en fonction des quatre autres variables du modèle est obtenue par égalisation des deux conditions d’arbitrage (8) et (7) (voir Annexe B).
L’équilibre d’état stationnaire
23
L’équilibre d’état stationnaire pour les variables q, h, d et ? permet de déterminer le sentier de croissance équilibrée pour les variables N, Qmax et E. L’état stationnaire est caractérisé par
. Les taux de croissance de la qualité de pointe, du nombre de variétés crées et en vigueur, ainsi que la part de variétés en vigueur par rapport aux nombre de variétés créées sont :
Il existe deux cas différents pour lesquels les taux de croissance des deux secteurs d’innovation sont positifs [12] (c’est-à-dire et g N > 0). En effet, deux séries d’inégalités différentes, contraignant les paramètres clés des fonctions de production de connaissance, permettent l’obtention d’un taux de croissance de la qualité de pointe positif :
La figure 1, avec en abscisse le différentiel de difficulté entre les secteurs d’innovations (? v – ? h ) et en ordonnée la différence entre les paramètres de composition des externalités dans les secteurs d’innovation (? v – ? h ), situe ces deux cas. Les deux zones hachurées correspondent à des équilibres à taux de croissance positifs pour les deux secteurs d’innovation.
Modèles de croissance semi-endogène en fonction des paramètres clés
Modèles de croissance semi-endogène en fonction des paramètres clés
La description de régimes technologiques différenciés
24 Dans notre entreprise de discernement de différents régimes technologiques dans ce modèle de croissance fondée sur l’innovation, deux approches étudiant le rôle de l’innovation dans l’économie et pour la croissance vont nous être utiles. L’une privilégie l’étude de la dimension temporelle et des déterminants de l’évolution du système technologico-économique : c’est l’approche évolutionniste, à la suite de Nelson et Winter, qui a notamment mis en avant la notion de régime technologique (voir par exemple Breschi, Malerba, Orsenigo [2000]). L’autre adopte une approche institutionnelle et s’intéresse aux facteurs organisationnels les plus favorables à la croissance et l’innovation : c’est la littérature traitant des systèmes nationaux d’innovation (voir Amable, Barré, Boyer [1997] par exemple) suivant les travaux de Freeman, Nelson ou Lundvall. Ces approches appréhendent de manière fine de nombreuses questions essentielles à une juste perception du phénomène d’innovation, et ce avec en arrière-plan la volonté de replacer dans son contexte l’émergence actuelle d’une économie fondée sur la connaissance et facilitée par les nouvelles technologies de l’innovation et de la communication.
25 Ces approches, le plus souvent descriptives, gagneraient à être confrontées, voire intégrées, au corpus théorique de la croissance endogène fondée sur l’innovation, plus axiomatique, pour enrichir la représentation parfois fruste de celle-ci.
26 Soete et Ter Weel [1999a][1999b] mettent ainsi l’accent sur le fait que la possibilité de décrire plusieurs régimes technologiques est un élément primordial pour appréhender finement la mutation vers une économie fondée sur la connaissance. Ces auteurs relèvent l’importance croissante de la connaissance dans l’économie du fait de l’essor des ntic qui permettent une codification plus facile et font évoluer le processus d’innovation : « La capacité d’innovation est moins vue en terme de capacité à découvrir de nouveaux principes techniques et plus en termes d’habileté à exploiter systématiquement les effets produits par de nouvelles combinaisons et utilisations de parties déjà existantes du stock de connaissances. »
27 La recherche, telle que modélisée par le secteur d’innovation verticale de notre modèle (captation de la qualité de pointe et intégration à un bien déjà existant), prendrait-elle le pas sur la recherche telle que modélisée par le secteur d’innovation horizontale (création de nouveaux biens, augmentation de la variété) ?
28 Cette évolution de la perception de la connaissance et de sa relation avec l’économie ramène au premier plan l’importance de la distinction, réalisée par l’approche évolutionniste, entre deux régimes technologiques à travers lesquels le processus d’innovation induit, voire accélère, la croissance économique : le régime Schumpeter type I de destruction créatrice et le régime Schumpeter type II d’accumulation créatrice.
29 Malerba et Orsenigo [1993] ont décrit les différences entre ces deux régimes à travers la combinaison de quatre facteurs :
30 • Les conditions d’opportunité dépendent de la façon dont un secteur peut puiser dans le stock des connaissances.
31 • Les conditions d’appropriabilité reflètent les possibilités de protéger l’innovation et donc de s’en approprier les profits.
32 • Les conditions de cumulativité se réfèrent à la façon dont les succès d’une firme individuelle sont corrélés, à la nature du processus d’apprentissage.
33 • Les propriétés de la connaissance de base dont Dosi, Freeman et Nelson [1988] ont distingué trois aspects : (i) son niveau de spécificité, (ii) son caractère tacite et (iii) sa disponibilité publique.
34 Les différences entre les deux régimes sont principalement liées aux conditions d’appropriabilité, de cumulativité et aux moyens d’accès à la connaissance. Le régime de type Schumpeter I est caractérisé par de faibles conditions d’appropriabilité et de cumulativité (voir les modèles d’échelle de qualité). La connaissance y est principalement spécifique, codifiée et simple. Dans le régime de type Schumpeter II, ces conditions sont renversées. Les conditions d’appropriabilité et de cumulativité sont fortes. La connaissance y est principalement générique, tacite et complexe. On associe généralement à ces deux régimes des entreprises représentatives : la petite structure naissante pour le régime Schumpeter I (la start-up), la large structure établie pour le régime Schumpeter II.
35 Comment intégrer ces deux archétypes de régime technologique dans un modèle de croissance semi-endogène fondée sur l’innovation ? La tâche n’est pas aisée tant la schématisation requise par ce type de modèle empêche la modélisation précise et bien distincte des conditions précédemment décrites. Notre modèle intègre cependant des raffinements dans la description des processus d’innovation et d’obsolescence qui vont nous aider à appréhender les deux régimes technologiques schumpétériens.
36 La démarche adoptée consiste à résumer dans des paramètres les conditions d’opportunité, de cumulativité, d’appropriabilité ainsi que les propriétés de la connaissance. Elle permet de raffiner la représentation de l’innovation et de la connaissance dans un modèle de croissance endogène fondée sur l’innovation, même si on demeure loin de la richesse de l’approche descriptive des littératures abordées dans cette section.
37 Les conditions de cumulativité décrivent la possibilité pour une firme de rester en place et de construire de futures innovations à partir des expériences passées. La cumulativité de l’innovation peut aussi s’entendre à un niveau plus macroéconomique et renvoie à la notion de durée de vie d’un secteur économique. Dans un régime technologique où la cumulativité de l’innovation est forte, les industries seront relativement moins détruites, à mesure de l’élévation du niveau de la qualité de pointe, que dans un régime technologique où la cumulativité est faible (ainsi ?SII < ?SI).
38 Le meilleur niveau d’appropriabilité qu’on relève dans un régime de type Schumpeter II, relativement au régime de type Schumpeter I, peut être associé à une propriété intellectuelle plus forte. Il correspond à des brevets à la fois plus longs (durée de vie plus longue des innovations), plus larges (moins de concurrence entre secteurs) et plus hauts (plus faible destruction créatrice). Les implications sur les paramètres ou variables du modèle sont : ?SII > ?SI, ?SII < ?SI et ?SII < ?SI(?SII < ?SI).
39 Les conditions d’opportunité peuvent s’interpréter au niveau des deux fonctions d’innovation qui incorporent des externalités croisées de connaissances. Les compositions des stocks de connaissances des secteurs de R&D ont des implications sur le type de croissance à l’œuvre dans l’économie (plutôt quantitative ou qualitative) puisque, dans le cadre de la croissance semi-endogène, les taux de croissance de long terme dépendent des paramètres de composition ? h et ? v .
40 Par ailleurs, au niveau des propriétés de la connaissance et de la forme des processus d’innovation, on peut également prendre en compte le niveau de la difficulté de la recherche qu’engendre la spécificité des connaissances : un fort niveau de complexité révèle l’importance des connaissances tacites dans le processus d’innovation (? h et ? v élevés). Une moindre codification des connaissances accroît la difficulté d’innover puisqu’elle nécessite une intervention humaine supplémentaire.
41 Le tableau 1 résume les caractéristiques des deux régimes technologiques en fonction des valeurs des paramètres (ou variables) de notre modèle [14] :
Description des régimes technologiques par notre modèle
Description des régimes technologiques par notre modèle
42 Les évolutions économiques et technologiques récentes dont il semble ressortir une croissance plus qualitative pourraient s’interpréter comme un changement de régime technologique (de Schumpeter II à Schumpeter I).
43 Dans le cadre de la croissance semi-endogène retenu pour notre modèle, un rapprochement peut être effectué entre régime technologique de type Schumpeter I et croissance qualitative, régime technologique de type Schumpeter II et croissance quantitative. Il est intéressant de remarquer que la description d’un changement de régime définitif, et pas seulement transitoire, peut être appréhender par ce modèle de croissance semi-endogène. D’une part, parce que les paramètres clés des fonctions d’innovation (? h , ? v , ? h et ? v ) qui déterminent entièrement les taux de croissance de long terme (cf. fig. 1) sont les paramètres qui conditionnent l’opportunité et décrivent les propriété de la connaissance de base (cf. tableau 1). Une évolution des conditions d’opportunité et de la propriété de la connaissance a donc des effets structurels puisque les taux de croissance de long terme vont évoluer.
44 Il ne faut cependant pas conclure que les conditions de cumulativité et d’appropriabilité (cf. tableau 1) n’ont pas d’influence sur le long terme de l’économie et n’ont d’effet que sur la dynamique d’ajustement vers l’état stationnaire [15]. En effet les conditions de cumulativité et d’appropriabilité dépendent en partie de l’obsolescence technologique que nous avons spécifiquement introduite dans notre modèle (paramètres ? et ?). La seule prise en compte des taux de croissance ne suffit pas à décrire l’état stationnaire puisque l’allocation des ressources nécessaires à l’obtention de ces taux de croissance façonne également le type de régime technologique de l’économie. Or l’allocation des ressources à l’équilibre dépend du niveau de l’obsolescence technologique et donc de l’appropriabilité et de la cumulativité de la connaissance.
45 Ainsi, si deux principaux régimes technologiques peuvent être mis en avant et rapprocher des deux composantes de la croissance de notre modèle (qualitative et quantitative) sur la base des conditions d’opportunité et de la propriété de la connaissance (paramètres ? et ?), il n’en demeure pas moins que les conditions de cumulativité et d’appropriabilité (appréhendées par les paramètres ?, ? et ?) vont influencer les conditions d’obtention de cette croissance à travers des évolutions des parts de travail consacré à chacune des activités.
Conclusion
46 Nous avons déterminé deux aspects de la croissance de l’utilité des ménages dans un cadre de croissance semi-endogène plus général que celui de croissance endogène : un aspect quantitatif et un aspect qualitatif. Cette prise en compte de la composante qualitative de la croissance, et de ses déterminants, nous paraît nécessaire à une meilleure appréhension des mutations actuelles des économies développées (dématérialisation de l’économie, effets des ntic sur l’utilité des ménages qui passent davantage par une amélioration des services que par l’apparition de nouveaux services).
47 Le paradoxe européen mis en avant par le Livre Vert sur l’Innovation (« L’Europe présente des atouts au niveau de la recherche scientifique, mais est médiocre au niveau du développement technologique »), peut s’interpréter à l’aide de notre modèle, comme un avantage comparatif du Système d’innovation européen dans la recherche horizontale, et une faiblesse relative au niveau de ses capacités d’innovation verticale. Cela implique que le régime technologique qui caractérise le mieux l’Europe est le régime de type Schumpeter II d’accumulation créatrice. Des transformations sont nécessaires à l’intérieur du secteur de recherche pour accompagner la mutation des économies européennes vers un régime technologique de type Schumpeter I, plus en phase avec les nouveaux développements technologiques. Ces transformations seront nécessaire à l’accomplissement des objectifs européens de Lisbonne et Barcelone (« Devenir l’économie fondée sur la connaissance la plus compétitive au niveau mondial », et pour cela parvenir à investir 3 % du pib en R&D). Ces objectifs ne pourront en effet être réalisés qu’à la condition d’une intervention forte de l’Union européenne, d’une part en matière de définition d’un brevet unique et efficace pour la zone, et d’autre part en matière de promotion et de définition de certaines technologies clés pour le futur régime technologique.
A – Détermination des valeurs d’état stationnaire
48
On peut tout d’abord exprimer q(v, d) et h(v, d, ?) à l’état stationnaire (puisque
) :
B – Le système dynamique du modèle
49 Le système dynamique de notre économie à deux secteurs d’innovation et obsolescence des technologies est le suivant :
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- Schumpeter J. [1942], Capitalism, socialism and democracy, Harper, New York, traduction française parue à la Bibliothèque historique Payot, Édition 1990.
- Scotchmer S. [1991], « Standing on the Shoulder’s Giants: Cumulative Research and the Patent Law », Journal of Economic Perspectives, 5 (1), p. 29-41.
- Segerstrom P. [1998], « Endogenous Growth Without Scale Effects », American Economic Review, 88 (5), p. 1290-1310.
- Segerstrom P. [2000], « The long-Run Growth Effects of R&D Subsidies », Journal of Economic Growth, 5 (3), p. 277-305.
- Soete L., Ter Weel B. [1999a], « Schumpeter and the Knowledge-Based Economy: On Technology and Competition Policy », dans Competition, Cooperation and Innovativeness, Ministère des Affaires économiques, La Hague (été 1999).
- Soete L., ter Weel B. [1999b], « Innovation, knowledge creation and technology policy in Europe », De Economist, 147 (3), p. 293-310.
- Young A. [1998], « Growth without Scale Effects », Journal of Political Economy, 106 (1), p. 41-63.
Notes
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[*]
erasme et eurequa (Université Paris I et cnrs) – Correspondance : erasme, École centrale Paris, Grande Voie des Vignes, 92295 Châtenay-Malabry Cedex. Courriel : gkoleda@ ecp. fr
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[1]
Romer [1990], Grossman et Helpman [1992] et Aghion et Howitt [1992] (les Fondateurs).
-
[2]
Jones [1995], Kortum [1997], Segerstrom [1998] (les Critiques).
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[3]
Young [1998], Peretto [1998], Dinopoulos et Thompson [1998], Howitt [1999] (les Réconciliateurs).
-
[4]
On suppose ? supérieure à 1 afin de décrire un goût pour la diversité du ménage.
-
[5]
Les préférences des consommateurs ne portent que sur les biens disponibles.
-
[6]
L’ensemble des recherches menées dans le secteur d’innovation verticale fait avancer la frontière technologique que les chercheurs tentent de rattraper. Cependant, le ratio entre taux de croissance de la qualité et fréquence de l’innovation indique la taille de l’innovation de sorte que le paramètre ? apporte également des informations sur l’asymétrie de la distribution des niveaux de qualité entre secteurs.
-
[7]
Voir Amable [1996] pour un modèle de croissance endogène à deux secteurs de R&D décrivant des innovations radicales et incrémentales.
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[8]
On se reportera à la démonstration de Howitt [1999] ou Segerstrom [2000].
-
[9]
Cette dichotomie de la recherche et développement n’a de justification que par sa facilité de modélisation et la possibilité qu’elle offre de décrire des évolutions à l’intérieur même du secteur de recherche.
-
[10]
On peut exprimer le taux d’obsolescence en fonction des taux de croissance du nombre de variétés en utilisant l’équation d’obsolescence : .
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[11]
La création d’un bien rapporte moins que son amélioration. On retrouve ici la problématique de l’innovation cumulative : l’innovation basique (horizontale) a peu de valeur mais est cependant indispensable aux développements ultérieurs du produit (voir Scotchmer [1991]).
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[12]
On se reportera à Eicher et Turnovsky [1999] pour une discussion plus complète des conditions de positivité des taux de croissance dans un modèle de croissance semi-endogène à deux secteurs.
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[13]
Le cas de la croissance semi-endogène uniquement qualitative (Segerstrom [1998]) est obtenu en posant les contraintes ? v – ? h = ? h – ? v et ? = 0, le cas de la croissance uniquement quantitative (Jones [1995]) en posant ? v = ? h .
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[14]
Le caractère continu des variables et paramètres peut apparaître difficilement compatible avec la mise en exergue d’une taxinomie en deux régimes technologiques. Si ce caractère continu est requis par la modélisation, nous sommes conscient de la difficulté d’implémenter empiriquement ce modèle. C’est pourquoi, nous avons choisi de caractériser les régimes technologiques en fonction des paramètres ou variables du modèle appréciés de façon binaire (élevé ou faible).
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[15]
Comme tout modèle de croissance semi-endogène, la dynamique se résume entièrement à l’ajustement vers l’état stationnaire. Le manque de place et l’accent mis sur la description des deux régimes technologiques ne permettent pas de présenter (au moins numériquement) un exemple de cet ajustement à l’état stationnaire. Le lecteur intéressé pourra se reporter à Koléda [2001].