Notes
-
[*]
Administrateur de l’INSEE. E-mail : daniele. guillemot@ insee. fr
-
[**]
Administrateur de l’INSEE. E-mail : patrick. petour@ sante. gouv. fr
-
[***]
Université d’E ´ vry et MATISSE-Université Paris I. E-mail : zzajdela@ eco. univ-evry. fr Nous remercions C. Afsa, L. Caillot, P. Concialdi, M. Elbaum, M. Glaude, M. Gurgand, P. Ralle, B. Seys et J. Valentin pour leurs remarques sur des versions précédentes de ce travail. Nous restons seuls responsables des éventuelles erreurs et omissions sub-sistant.
-
[1]
Notre étude adopte la « troisième attitude » décrite par Desrosières [2000] quand il explique que différentes positions épistémologiques sont possibles lorsqu’on interroge les données statistiques : « L’une, sur le modèle des sciences physiques, suppose a priori que des principes généraux de maximisation et d’optimisation orientent les comportements individuels, et en déduit une représentation déterministe (au moins en théorie) de la vie économique. L’autre [...] voit dans les régularités et les corrélations observées les seules « lois » ou « causes » dont le savant peut parler valablement. Dans le premier cas, on peut au mieux mesurer les paramètres d’un modèle théorique supposé vrai a priori. Dans le second, les lois ne peuvent émerger que du foisonnement des données. Une troisième attitude est encore possible, celle de l’épreuve d’une théorie, soumise à la critique, et confirmée ou rejetée au vu des observations. » (P. 371, souligné par nous.)
-
[1]
Rappelons que l’allocation du RMI est calculée par différence entre un plafond garanti et les ressources de l’allocataire.
-
[1]
Il est légitime que le revenu horaire de référence soit le smic puisqu’il joue en France le rôle de « salaire courant » pour les faibles qualifications. Rioux [2001] montre en outre qu’il constitue le salaire de réserve des allocataires du RMI.
-
[2]
Par exemple dans Eyssartier et Paillaud [1998].
-
[3]
Elles n’ont par exemple pas le même sens dans CSERC [1997] ou dans Gautié et Gubian [2000]; CERC [2001] évite le terme de trappe à inactivité. Plus récemment, le terme de trappe lui-même disparaît dans les analyses des transitions sur le marché du travail.
-
[4]
Le « salaire courant » n’est plus le salaire qui équilibre l’offre et la demande de travail, mais un salaire déterminé de manière endogène et qui à l’équilibre engendre du chômage.
-
[5]
La mesure statistique du chômage pose d’autres problèmes. Par exemple, certaines personnes se déclarent spontanément chômeurs, mais, découragées, ne recherchent pas d’emploi.
-
[1]
Ce n’est pas le cas de l’ensemble des inactifs. On a pu constater, par exemple, que l’allocation parentale d’éducation a fortement modifié la participation des femmes mariées (Piketty [1998]).
-
[2]
L’objectif du RMI est en effet l’insertion sociale et professionnelle de tous les allocataires. Il n’est pas de leur fournir ex ante un revenu minimum d’existence (une dotation initiale) qui leur permette d’arbitrer de façon moins contrainte entre loisir (inactivité) et travail. Les allocataires doivent s’engager à une démarche d’insertion. Ils sont ainsi tenus de signer un contrat d’insertion dans les trois mois suivant le paiement de l’allocation, sinon celle-ci est suspendue. Dans la pratique, environ un allocataire sur deux seulement signe un contrat. Certains restent trop peu de temps dans le dispositif. Mais ce sont surtout les allocataires les plus âgés et les moins diplômés qui signent peu de contrats (Zoyem [2001]).
-
[1]
C’est aussi pourquoi nous parlerons de trappe à chômage plutôt que de trappe à inactivité. Si comme nous l’avons souligné, cette distinction n’est pas pertinente en théorie, elle l’est statistiquement, et tout particulièrement pour la population que nous étudions. Quant à « la trappe à pauvreté », elle dépasse le problème des allocataires du RMI, puisqu’elle s’applique aussi aux travailleurs pauvres qui pourraient être désincités à travailler davantage.
-
[2]
Pour un exposé plus détaillé de cette analyse empirique, voir Collin, Guillemot, Pétour et Zajdela [2002].
-
[3]
Nous avons volontairement écarté la question du travail au noir pour au moins trois raisons. Tout d’abord, son étude dépasserait le cadre de notre analyse : le travail au noir existe indépendamment des minima sociaux et ne concerne pas spécifiquement la population que nous étudions. Ensuite, nous ne disposons pas d’informations permettant de repérer les éventuels travailleurs au noir parmi les allocataires du RMI. Enfin, même s’il s’avérait qu’une partie importante des allocataires du RMI travaillait au noir, cela renforcerait les conclusions de notre étude puisque cela étendrait la zone de trappe à chômage, en augmentant leur salaire de réservation.
-
[1]
Afin d’accentuer cet effet, le dispositif d’intéressement a été réformé notamment par l’allongement de la durée de cumul à 100 %.
-
[1]
Ces analyses négligent aussi les évolutions possibles qui peuvent intervenir pendant la période d’intéressement, telles que l’élévation de la qualification, et donc de la probabilité d’obtenir ultérieurement un meilleur emploi. Ces évolutions peuvent pourtant justifier une période temporaire d’intéressement.
-
[2]
On trouvera des éléments pour appuyer cette hypothèse dans Collin et al. [2002].
-
[1]
Le forfait logement est retranché du montant du RMI dans le cas où l’allocataire n’aurait pas à supporter des frais de logement (cas des propriétaires et surtout des hébergés), ou encore lorsqu’il perçoit l’allocation logement.
-
[2]
Ce gain, calculé comme la différence du montant du salaire au montant du RMI, ne prend pas en compte d’éventuels éléments monétaires extra-salariaux. On a fait cependant l’hypothèse que ces coûts et avantages, difficilement mesurables, se compensent en partie à long terme. Il n’est pas non plus nécessaire de tenir compte du montant de l’allocation logement, car les délais de prise en compte des revenus du travail sont tels que, hormis quelques cas particuliers, les personnes qui étaient allocataires du RMI en décembre 1996 ne peuvent être touchées par la révision de leur allocation logement avant juillet 1998. Nous verrons ci-dessous que l’étude des opinions sur la situation financière permet de prendre en compte ces éléments extra-salariaux.
-
[1]
Laroque et Salanié [2000] obtiennent des résultats différents, que nous ne détaillerons pas ici parce que leur étude ne se fonde pas sur les données de l’enquête. Notons néanmoins que leur démarche est différente puisque, outre les effets des gains de revenu, les auteurs étudient également ceux des salaires de réserve. Les deux études ne sont donc pas directement comparables.
-
[2]
L’interprétation de ces réponses et de celles qui suivent sur les résultats de ces démarches doit être prudente : une marge d’erreur importante peut exister (sous ou sur-déclaration, oublis). Il est cependant tout à fait légitime de comparer ces réponses avec celles de l’ensemble des chômeurs, interrogés avec les mêmes questions par l’enquête Emploi. Notons aussi que les déclarations de recherche d’emploi sont utilisées pour la définition du chômage au sens du BIT, dont l’usage est largement répandu.
-
[3]
La période de référence pour cette question est plus longue que pour celle qui concerne la recherche d’emploi : on ne peut donc malheureusement pas articuler les réponses aux deux questions.
-
[1]
Plusieurs réponses étaient possibles, certaines faisant référence à des raisons très concrètes comme l’éloignement du lieu de travail. D’une manière générale, la proportion d’emplois refusés pour des raisons liées aux incitations financières reste très faible, même en admettant un biais de déclaration important.
-
[2]
Le récent rapport du Conseil national de l’évaluation sur les aides à l’emploi dans le secteur non marchand confirme, tout en le complétant, ce diagnostic, pour les bénéficiaires d’un CES ou CEC qu’ils soient ou non allocataires du RMI : « La grande majorité des personnes n’ont pas pu exercer d’autre choix que celui d’accepter le CES ou de rester au chômage. » (Robineau [2002].)
-
[1]
Pour une approche dynamique de la trappe à chômage, voir Laurent et L’Horty [2000].
-
[2]
L’enquête prévoyait trois réponses possibles : « c’est un vrai travail », « c’est un premier pas vers un vrai travail » et « c’est un travail faute de mieux ».
-
[1]
On peut tout à fait introduire dans la modélisation économique un coût positif à travailler (désutilité négative du travail), ce qui permet de prendre en compte l’hétérogénéité des préférences ; mais les termes eux-mêmes montrent que ce n’est pas a priori naturel dans une conception purement économique du travail. C’est pourquoi des recherches récentes traitent explicitement des interactions entre « coutumes sociales » et comportements économiques (pour une présentation de cette littérature, voir Cahuc et al. [2001]).
-
[1]
Un tel résultat pourrait être obtenu par une modélisation de l’offre de travail dans laquelle il existerait un bien loisir inférieur. Cela aurait l’avantage d’expliquer le comportement de ces agents qui valorisent le travail indépendamment des gains financiers, sans avoir recours à des hypothèses ad hoc.
INTRODUCTION
1Depuis le milieu des années 1990, comme en témoignent les derniers rapports de l’OCDE, la question des liens entre protection sociale et emploi, et plus particulièrement de l’incitation à l’activité des individus les moins qualifiés, est au centre des débats sur le chômage. Avec la création de la prime pour l’emploi en 2001, la France met pour la première fois en œuvre une politique visant explicitement à encourager l’emploi des personnes titulaires de bas salaires, alors que, depuis le milieu des années 1980, les politiques publiques, au premier rang desquelles la baisse des charges sociales sur les bas salaires, intervenaient sur la demande de travail non qualifié. La mise en place de ces nouvelles politiques d’incitation à l’activité s’est largement appuyée sur des analyses en termes de trappe à chômage, selon lesquelles les allocataires de minima sociaux, notamment du revenu minimum d’insertion ( RMI ), pourraient être, pour des raisons financières, désincités à accepter un emploi.
2L’étude qui suit cherche à évaluer la pertinence empirique de ces analyses en termes de trappe à chômage. Pour cela, nous nous appuierons sur des résultats déjà établis, à partir de l’enquête sur le devenir des allocataires du RMI (encadré 1). Pour autant, notre travail ne se réduit pas à une simple synthèse d’études déjà publiées. Partant de la problématique à l’origine du raisonnement en termes de trappe, dont nous expliquons comment elle est avérée en théorie, nous cherchons, à partir des données et des résultats statistiques provenant de l’enquête, à valider ou à invalider un certain nombre d’hypothèses ou de conjectures issues de cette démarche théorique [1].
3Dans cette optique, notre démarche se déroule en trois temps. Un préalable nécessaire pour délimiter l’objet de notre étude consiste à préciser comment et pourquoi la trappe à chômage fonctionne en théorie et à identifier la population des allocataires potentiellement concernés. Une fois ce cadre posé, nous cherchons, selon la méthode décrite plus haut, à étudier la pertinence de l’analyse en termes de trappe à chômage, en tentant d’évaluer la part des allocataires confrontés au risque de désincitation financière et en observant leur comportement d’offre de travail. Enfin, à partir d’une analyse des opinions des allocataires ayant repris un emploi, nous tenterons de comprendre les raisons de leur retour à l’emploi.
L’enquête sur le devenir des personnes sorties du RMI
L’enquête permet ainsi d’observer, treize mois après, la situation des personnes allocataires qui étaient au RMI en décembre 1996 (schéma ci-dessous). La proportion d’entre elles, qui ont un emploi, sont au chômage ou inactives ne représente pas la probabilité pour les allocataires qui entrent au RMI de trouver un emploi au bout d’un an, ou d’être au chômage, ou inactifs. Cette mesure sous-estime la probabilité d’accès à l’emploi au bout d’un an de RMI, car elle sous-estime les passages courts par le RMI, caractéristiques des personnes qui occupent rapidement un emploi. Et la différence est de taille : ainsi, la probabilité de sortie du RMI au bout d’un an peut être estimée à 43 %, alors que la proportion d’anciens allocataires sortis au bout d’un an n’est que de 29 % (Afsa [1999], p. 21). Dans cet article, on étudie donc que les situations d’emploi, de chômage, ou d’inactivité des personnes qui étaient au RMI en décembre 1996. Par rapport à un raisonnement en probabilité d’accès à l’emploi au bout d’un an de RMI, on sous-estime beaucoup l’emploi, on surestime le chômage, et surtout l’inactivité, caractéristique des personnes au RMI depuis longtemps. Il est également probable qu’on sous-estime le niveau des salaires de ceux qui ont un emploi : plus l’ancienneté au RMI est importante, plus la rémunération, dans le cas d’une (re)prise d’emploi est faible (en raison, principalement, d’un effet de structure : les plus jeunes, les plus diplômés, ceux qui ont le plus d’atouts sur le marché du travail sortent plus vite du RMI et obtiennent de meilleures rémunérations). De plus, plus la rémunération est faible, plus on a de risque de rester, ou de revenir, au RMI.
LES TRAPPES EXISTENT EN THÉORIE MAIS NE CONCERNENT PAS L’ENSEMBLE DES ALLOCATAIRES DU RMI
4De manière très générale, le terme de trappe est utilisé pour qualifier un chômage volontaire lié à un problème de désincitation au travail : des individus resteraient au chômage car l’emploi qu’ils pourraient occuper ne leur procurerait pas un gain financier suffisant (par exemple CSERC [1997] et CERC [2001]). Cette problématique repose, au moins implicitement, sur la théorie économique habituelle de l’offre de travail, selon laquelle les individus arbitrent de manière rationnelle entre travail et loisir, en comparant les satisfactions qu’ils retirent de chacun de ces états. Comme le travail ne procure aucune satisfaction directe, c’est essentiellement le revenu qu’il permet d’acquérir, et donc la satisfaction associée à la consommation rendue ainsi possible, qui justifie l’offre de travail. Dans ce cadre, tout revenu que l’individu peut obtenir sans travailler, biaise son choix en faveur du loisir, en augmentant son « salaire de réserve », c’est-à-dire celui qui le rend juste indifférent entre travailler et ne pas travailler. L’individu qui bénéficie d’un revenu alternatif trop important, comparé au salaire auquel il peut accéder, risque de tomber dans une « trappe », n’ayant aucun intérêt à offrir son travail.
5Il s’agit d’une approche simplifiée de la théorie économique de l’offre de travail. En effet, le risque de désincitation au travail auquel seraient confrontés les bénéficiaires de minima sociaux résulte de la comparaison de leurs revenus en emploi et en non-emploi, alors que, selon la théorie, l’individu prend en compte la satisfaction associée à chacun de ces états. Ainsi, la zone de trappe est, pour un allocataire du RMI souhaitant reprendre un emploi, la tranche de rémunération où les gains monétaires nets procurés par la reprise d’activité sont négatifs ou nuls en raison de la perte de tout ou partie de l’allocation du RMI [1] ainsi que, en cas de sortie du dispositif, des avantages liés au RMI (calcul favorable de l’allocation logement, suspension des dettes fiscales, droits annexes comme la gratuité des transports et de certains services publics). Il est habituel d’évaluer cette zone à partir de l’étude de cas types : on calcule le revenu disponible auquel pourrait accéder un ménage qui vit avec le RMI (selon diverses configurations familiales) en lui attribuant un revenu mensuel du travail arbitraire (un smic ou un demi-smic [1] ) et on le compare à la situation financière du ménage lorsqu’il bénéficie uniquement du RMI. Dans les études sur cas types effectuées à la fin des années 1990 [2], au moment de l’enquête sur laquelle repose cette étude, et prenant donc en compte la réglementation alors en vigueur, les résultats sont en général clairs : le gain financier à la reprise d’un emploi à mi-temps au smic est le plus souvent nul, alors qu’il est positif (parfois faiblement) lorsque l’emploi, toujours rémunéré au smic, est à plein temps.
Trappe à chômage, trappe à inactivité ou trappe à non-emploi ?
6Les termes de « trappe à chômage », de « trappe à inactivité » et même de « trappe à non-emploi » ont été utilisés de manière confuse [3]. C’est un point important, car chômage et inactivité sont, en revanche, des concepts statistiques bien distincts, cette distinction étant fondée sur la recherche effective d’un emploi. Mais, sur le plan théorique, cette différence pose problème. Tant que l’on se situe dans le cadre idéal de concurrence parfaite dans lequel la théorie de l’offre de travail a initialement été élaborée, il n’y a pas de chômage : le salaire réel équilibre l’offre et la demande de travail et, en ce sens, on aboutit à un « plein emploi », ce qui n’empêche pas une partie de la population d’être inactive. Décider d’être inactif constitue un choix rationnel, celui de ne pas travailler au niveau de salaire d’équilibre.
7Néanmoins, si l’on sort du modèle de base, et que des rigidités engendrent du chômage (volontaire et involontaire), une confusion apparaît au sein de la théorie entre inactivité et chômage volontaire, qui est défini également comme une situation dans laquelle des personnes refusent de travailler au niveau de salaire courant [4]. La théorie de l’offre de travail conduit donc à considérer les inactifs comme des chômeurs volontaires potentiels puisque les deux comportements résultent de la même comparaison entre les gains à travailler et à ne pas travailler. L’inactivité dans son ensemble devient un problème car il ne devient plus possible de distinguer parmi les inactifs ceux qui sont potentiellement des chômeurs volontaires.
8Il y a donc inadéquation entre la distinction statistique chômeurs/inactifs [5] et la théorie qui ne permet pas de différencier inactifs et chômeurs volontaires. Ainsi, les termes « trappe à chômage » et « trappe à inactivité » désignent souvent le même phénomène. On conçoit également que, pour contourner ce problème, il soit plus simple de ne pas distinguer chômeurs et inactifs, et de traiter du « non-emploi ». Mais, dans le cas des allocataires du RMI, la séparation entre chômeurs au sens du BIT et inactifs est particulièrement pertinente.
Qui est potentiellement concerné par les trappes ?
9La population des allocataires du RMI est très hétérogène. Que peut-on en dire à partir de l’enquête sur le devenir des personnes sorties du RMI ? Sur 100 allocataires du RMI en décembre 1996,26 déclaraient travailler en janvier 1998,57 déclaraient être au chômage et 17 être inactifs (cf. encadré 1). Sur les 57 allocataires qui disaient être chômeurs, environ un quart déclarait ne pas avoir réalisé de démarches de recherche d’emploi au cours des quatre derniers mois. Ils sont donc inactifs au sens du BIT.
10Les allocataires inactifs ou chômeurs découragés ont des caractéristiques qui rendent difficile leur retour sur le marché du travail. Une étude sur les trajectoires d’activité de 1996 à 1998 des allocataires du RMI en décembre 1996 (Lhommeau et Rioux [2000a]), à partir des calendriers d’activité des allocataires sur vingt et un mois, montre en effet que les trajectoires « chômage permanent » (0 mois d’activité rémunérée entre janvier 1997 et septembre 1998) et « inactivité » (allocataires du RMI qui se sont déclarés inactifs en janvier ou en septembre 1998) correspondent à un profil spécifique d’allocataires, plus âgés, faiblement diplômés, ayant des difficultés importantes de santé.
11Une autre étude (Afsa [1999b]) met en évidence, à partir d’une typologie des allocataires, deux groupes d’allocataires (sur les quatre distingués) dont les chances de sortie du dispositif, et surtout d’accès à l’emploi, sont particulièrement faibles. Ces allocataires ont en commun des problèmes de santé et d’isolement social, ils sont plutôt âgés et très peu diplômés. Le RMI est pour eux une allocation de subsistance. Beaucoup attendent – parfois longtemps – une autre allocation d’un montant plus élevé qui sanctionnera (ou reconnaîtra) l’impossibilité de leur insertion dans l’emploi. Au total, ces allocataires du RMI sont, dans leur grande majorité, des inactifs involontaires : leurs caractéristiques (âge et santé essentiellement) les ont progressivement conduits à renoncer à s’insérer sur le marché du travail. En théorie, leur productivité serait quasi nulle.
12Ainsi, l’inactivité considérée comme un libre choix ne concerne que marginalement les allocataires du RMI [1]. Ce constat est cohérent avec le principe même du RMI [2]. C’est pourquoi, la suite de notre étude se focalisera sur les allocataires en emploi ou au chômage et à la recherche d’un emploi lors de la première vague de l’enquête [1].
TRAPPE À CHÔMAGE LES ENSEIGNEMENTS DE L’ENQUÊTE SUR LE DEVENIR DES PERSONNES SORTIES DU RMI
13Nous allons à présent tenter d’évaluer la pertinence de l’analyse en termes de trappe à chômage à partir des données de l’enquête suivi du RMI, mais en abordant la question différemment selon que les personnes enquêtées en janvier 1998 sont en emploi ou au chômage [2].
Les allocataires ou anciens allocataires qui travaillent [3]
14La distribution des salaires perçus par les allocataires ou anciens allocataires occupant un emploi en janvier 1998 est bimodale (cf. graphique 1). Ainsi, 23 % des allocataires de décembre 1996, qui ont un emploi un an après, gagnent moins de 381 Q(2 500 F) par mois, 55 % moins de 457 Q(3 000 F). Ces faibles niveaux de rémunération proviennent de la conjonction d’un salaire horaire concentré autour du smic, et d’une proportion très importante de travail à temps partiel (59 %), le plus souvent à mi-temps. Le nombre élevé de CES (contrats emploi-solidarité, 35 %), par définition à mi-temps et rémunérés au smic horaire, y contribue majoritairement.
Le cumul du salaire et du RMI : intéressement...
15Il importe de distinguer les cas où les travailleurs cumulent un salaire et le RMI, des cas où l’emploi a permis la sortie du dispositif. En effet, un peu plus de 40 % des allocataires du RMI de décembre 1996 occupant, un an après, un emploi, cumulent celui-ci avec le RMI. Parmi eux, 34 % gagnent moins de 381 Q (2 500 F) par mois, 73 % moins de 457 Q(3 000 F), et ils ne sont que 17 % à percevoir 762 Q(5 000 F) ou plus. Cela s’explique par des durées de travail très faibles : 83 % travaillent à temps partiel, parmi lesquels 92 % souhaiteraient travailler plus. Parmi ces allocataires, les CES, les indépendants et les personnes travaillant chez des particuliers sont sur-représentés. Beaucoup de femmes se trouvent dans cette situation : 54 % contre 46 % parmi les personnes sorties du RMI. En particulier, la quasi-totalité des salariés chez un particulier sont des femmes, mais elles ne sont que 20 % parmi les indépendants.
La distribution des salaires mensuels* en janvier 1998 des allocataires du
La distribution des salaires mensuels* en janvier 1998 des allocataires du
16Il existe deux situations différentes de cumul entre salaire et RMI. La première correspond au cas où l’allocataire bénéficie de l’intéressement : le RMI vient temporairement compléter le revenu du travail. La confrontation des résultats de l’enquête « sortants du RMI » avec les données de la CNAF, permet de chiffrer à environ 60 % la proportion de cumuls dus à l’intéressement (Collin [2000]). Ces allocataires perçoivent momentanément un revenu supérieur à leur salaire et sont ainsi, en travaillant, dans une situation financière meilleure que s’ils ne disposaient que du RMI [1].
17L’intéressement peut donc être considéré comme une mesure visant à limiter le risque de trappe en procurant une incitation immédiate à travailler. Mais l’éventualité d’une désincitation peut apparaître à plus long terme. C’est pourquoi les analyses en termes de trappe à chômage négligent le plus souvent l’intéressement, qui ne ferait que reporter le problème [1].
18Comme mesure temporaire, l’intéressement présente néanmoins l’intérêt d’aider les allocataires à assumer les frais immédiats à la reprise d’emploi. En effet, il existe des coûts liés à la reprise d’emploi : 61,4 % des anciens allocataires qui ont un emploi en janvier 1998 déclarent devoir faire face à des frais. Mais, à l’inverse, 45,2 % déclarent bénéficier d’avantages extra-salariaux dans leur emploi. On peut faire l’hypothèse que, lorsque la période d’intéressement s’achève, certains coûts liés à l’emploi s’atténuent, notamment lorsqu’il s’agit d’un « investissement », comme l’achat de vêtements. Dans ce cas, coûts et avantages pourraient à peu près s’équilibrer sur le moyen terme [2], si bien que l’on peut considérer qu’une fonction importante de l’intéressement est de permettre aux travailleurs de faire face aux nouvelles dépenses pendant la période où les coûts dominent les avantages.
... et travailleurs très pauvres
19Lorsque les revenus du travail sont très faibles, le RMI joue son rôle d’allocation complémentaire permettant d’accéder à un revenu minimum. Cela concerne 40 % des allocataires qui cumulent emploi et RMI, sans bénéficier de l’intéressement, soit parce qu’ils avaient un emploi avant leur entrée au RMI, soit parce que la rémunération de leur emploi n’était pas suffisamment élevée pour leur permettre de sortir du RMI, après la période d’intéressement. Les allocataires qui se trouvent dans cette situation sont plus souvent des parents isolés et des couples sans enfants.
20Manifestement, les comportements empiriques d’offre de travail de ces allocataires diffèrent de ceux attendus selon l’approche en termes de trappe à chômage. En effet, le revenu de ces allocataires serait absolument identique s’ils renonçaient à leur emploi, tout euro gagné par le travail étant intégralement déduit de leur allocation. La seule hypothèse possible est alors que pour ces allocataires, le travail a une valeur en soi, indépendamment du revenu qu’il procure.
21Ces allocataires travaillent presque tous à temps partiel, et souhaitent travailler plus. Ils ne peuvent le faire car les employeurs ne leur proposent pas d’emploi à temps plein. De ce fait, ce type de cumul peut être durable et le RMI permet alors à ces travailleurs très pauvres d’obtenir le revenu que la société considère comme minimum, mais que leur travail ne leur procure pas.
Dans un tiers des cas, l’emploi qui fait sortir du RMI n’apporte aucune amélioration financière
22Pour les allocataires qui ont repris un emploi et sont sortis du dispositif, la trappe à chômage n’a, par définition, pas fonctionné. Certains n’étaient pas concernés, ayant trouvé un emploi leur procurant un gain financier suffisant. Par contre, d’autres ont accepté un emploi sans y trouver de gains financiers significatifs.
23Les salaires des personnes allocataires du RMI en décembre 1996, et ayant un emploi un an plus tard sont très faibles. Les salaires horaires sont concentrés autour du smic, et la distribution des salaires mensuels indique une forte proportion d’emplois à mi-temps : 40 % des anciens allocataires gagnent moins de 457 Q(3 000 F). Occuper un emploi ne signifie donc pas sortir de la pauvreté. Pour évaluer la proportion d’allocataires qui n’obtient pas de gains financiers, il est indispensable de tenir compte de la configuration familiale.
24Les personnes isolées au sens du RMI (sans enfant et sans conjoint) représentent 60 % des allocataires du RMI. En janvier 1998,48 % des personnes isolées sorties du RMI et ayant un emploi gagnent 762 Q(5 000 F) ou plus, 11 % gagnent moins de 381 Q(2 500 F) par mois, et 28 % entre 381 Qet 457 Q(2 500 et 3 000 F). Parmi ces derniers, se trouvent des personnes, qui, étant en CES et n’ayant pas droit à l’intéressement, gagnent la moitié du montant mensuel net du smic, soit environ 428 Q(2 810 F) nets par mois au moment de l’enquête. Le montant mensuel du RMI à taux plein pour une personne isolée étant à l’époque de 370 Q(2 429 F) ou 326 Q(2 138 F) sans forfait logement [1], on peut évaluer à un peu plus de 10 % la part de ceux à qui l’emploi apporte un gain nul et à environ 30 % la proportion de ceux dont le gain monétaire mensuel est inférieur à 76 Q(500 F) [2].
25Les chargés de familles sont pour leur part proportionnellement plus nombreux que les isolés à avoir repris un emploi en janvier 1998. Mais, du fait de leurs caractéristiques individuelles – plus âgés et moins diplômés que les isolés –, ils perçoivent plus fréquemment de bas salaires. Ils sont donc plus nombreux que les isolés à ne pas trouver de gains financiers significatifs à une reprise d’emploi, d’autant plus que les règles d’attribution du RMI sont particulièrement « avantageuses » pour les familles comptant un enfant et dans une moindre mesure, pour celles qui en ont deux.
26On ne peut en déduire pour autant que, dès le premier euro gagné, les personnes concernées considèrent qu’il y a effectivement un gain, et donc se comportent comme tel dans leurs décision d’offre de travail. On peut penser au contraire que certaines personnes considèrent qu’en dessous d’un certain montant de gain net, il n’y a pas eu d’amélioration de leur situation financière. De plus, on ne peut mesurer avec précision l’ensemble des gains et pertes liés à la reprise d’un emploi par un ancien allocataire du RMI, comme les prestations locales.
27En exprimant leur opinion sur le gain financier obtenu de la reprise d’un emploi, les personnes interrogées se réfèrent au contraire à leur situation concrète. Bien entendu, leurs réponses sont subjectives : pour certaines, un revenu supplémentaire de 15 Qsera perçu comme un gain, pour d’autres non. Mais c’est bien ce jugement sur l’évolution de leur situation financière qui détermine le comportement d’activité des individus : il reflète en quelque sorte l’utilité des gains, que l’on ne peut mesurer autrement.
28Un tiers des allocataires, sortis du RMI et ayant pris un emploi, déclare que leur reprise d’emploi ne leur a apporté aucune amélioration sur le plan financier (tableau 1). Près de 12 % constatent même une dégradation.
Opinion des allocataires sortis du RMI et ayant un emploi salarié en janvier
Opinion des allocataires sortis du RMI et ayant un emploi salarié en janvier
29Les opinions exprimées par les allocataires sur leur situation financière concordent assez bien avec la situation objective des personnes (tableau 2). Ainsi, les personnes isolées percevant un salaire net mensuel de moins de 381 Q (2 500 F), correspondant à un gain nul par rapport au RMI, déclarent à plus de 90 % ne pas y gagner. Lorsque la rémunération se situe autour d’un demi-smic (entre 381 et 456 Q), soit un gain maximal de 76 Q(500 F), les réponses sont partagées. Enfin, quand le salaire net mensuel perçu dépasse 457 Qsoit un gain supérieur à 76 Q, alors la proportion de ceux qui se sentent « plus à l’aise financièrement » atteint presque 88 %.
30Au total, lorsqu’on considère l’ensemble des configurations familiales, environ un allocataire sur trois reprend un emploi sans pour autant y trouver un gain financier significatif.
Les allocataires au chômage le restent-ils à cause de la trappe à chômage ?
31Les salaires potentiels que peuvent espérer les allocataires ont été calculés par Gurgand et Margolis [2001] à partir de la distribution (observée dans l’enquête) des salaires de ceux qui ont repris un emploi et qui ont les mêmes caractéristiques individuelles observables. Bien que les salaires observés dans l’enquête soient bas, l’étude montre que les trois quarts des allocataires ont financièrement avantage à occuper un emploi. Cependant, les gains sont parfois très faibles [1]. Quels que soient les gains qu’ils peuvent espérer, la participation des allocataires est importante. Comme on l’a vu, le quart des allocataires au chômage qui déclare ne pas avoir réalisé de démarches de recherche d’emploi au cours des quatre derniers mois s’apparente aux inactifs « involontaires ». Les chômeurs actifs dans leurs recherches déclarent, en moyenne, entre trois et quatre types différents de démarches utilisées. Ils cherchent ainsi un emploi aussi activement que les autres chômeurs (Rioux [2001]) [2]. L’ancienneté dans le RMI ne diminue que peu l’effort de recherche. Le nombre moyen de modes de recherche passe de 3,5 entre un et deux ans d’ancienneté à 2,9 après cinq ans d’ancienneté. Seul le recours aux petites annonces diminue significativement au cours du temps. Les démarches des allocataires chômeurs ne sont guère couronnées de succès : la moitié de ces chômeurs n’ont pas été convoqués et pour ceux qui l’ont été, dans quatre cas sur cinq, leur entretien n’a donné aucun résultat. Si l’on considère maintenant les réponses (refus ou acceptation) des allocataires aux propositions d’emploi qu’ils ont reçues sur l’ensemble de l’année 1997 [3], il apparaît que seulement 10 % des chômeurs allocataires ont refusé un emploi offert.
Opinion des allocataires, sortis du RMI et ayant un emploi salarié en janvier
Opinion des allocataires, sortis du RMI et ayant un emploi salarié en janvier
32À l’examen des raisons déclarées de refus de ces propositions d’emploi, la proportion des allocataires qui seraient restés chômeurs en raison de leur comportement d’offre de travail apparaît plus réduite. En effet, ces refus sont motivés le plus souvent par l’inadéquation du travail proposé à la qualification ou l’expérience du demandeur, ou par l’éloignement trop important du domicile (tableau 3). La faiblesse ou l’incertitude de la rémunération n’intervient que pour 13 % des raisons de refus. Le mode de questionnement [1] peut avoir entraîné une sous-estimation des citations de cet item comme raison principale du refus, mais au total une petite minorité des chômeurs refuse un emploi en raison de la rémunération proposée.
Raison principale du refus de l’emploi proposé en janvier 1998
Raison principale du refus de l’emploi proposé en janvier 1998
33L’ensemble de ces éléments donne à penser que la trappe à chômage ne peut expliquer que très marginalement le chômage des allocataires du RMI. Une étude menée par Dormont et Olmedo [2000] à partir des données de l’enquête confirme cette hypothèse. Bien qu’adoptant une approche restrictive, elle évalue à 50 % le pourcentage de chômeurs contraints, c’est-à-dire d’individus qui ne travaillent pas, ont fait des démarches, sont allés au bout de leurs démarches et n’ont pas été reçus ou bien ont été reçus avec un résultat négatif. Le chômage résulterait ainsi essentiellement d’une insuffisance de la demande de travail [2].
QU’APPORTE ALORS L’EMPLOI ?
34Nous avons mis en évidence qu’une proportion importante d’anciens allocataires occupait des emplois ne leur procurant aucun gain financier significatif. Comment peut-on expliquer leurs comportements ?
35Tout d’abord, l’approche habituelle en termes de trappe à chômage repose sur une conception statique des comportements [1]. Si, comme on le constate, la trappe à chômage fonctionne très peu à court terme, c’est peut-être que les intéressés raisonnent de manière intertemporelle. En effet, un allocataire peut reprendre un emploi sans gain financier immédiat dans l’espoir d’accroître ses chances d’accéder par la suite à un meilleur emploi, mieux rémunéré.
36Pourtant, les prévisions des anciens allocataires sur l’évolution de leur emploi ou de leur rémunération sont au contraire plutôt pessimistes. Environ 50 % de ceux qui ne se sentent pas plus à l’aise financièrement pensent que leur emploi est un travail « faute de mieux [2] ». Par ailleurs, un quart seulement de l’ensemble des personnes occupant un emploi pense que leur revenu va augmenter au cours de l’année 1998; ce sont surtout celles qui ont déjà un meilleur emploi qui ont aussi les meilleures perspectives de progression (tableau 4). Enfin, une proportion faible pense pouvoir obtenir un contrat stable (19 % parmi ceux qui ne sont pas en CDI ), ou un meilleur poste (17 %).
Opinion sur l’évolution du salaire selon la situation financière ressentie :
Opinion sur l’évolution du salaire selon la situation financière ressentie :
37Mais le raisonnement intertemporel peut, a contrario, conduire des allocataires à refuser un emploi, bien qu’il leur procure un gain immédiat. C’est le cas s’ils anticipent la précarité de cet emploi et appréhendent les délais de retour au RMI.
38Les emplois occupés par les anciens allocataires sont effectivement souvent précaires. Les emplois aidés ? principalement des CES ? représentent, en janvier 1998, plus du tiers des emplois occupés. Environ un quart des anciens allocataires occupent des CDD (intérim inclus), 15 % sont indépendants ou n’ont pas de contrat de travail, et seulement un sur quatre a un CDI. L’enquête montre aussi que 45 % des allocataires ou anciens allocataires qui ont un emploi l’auront perdu dans un délai de six mois. Les anciens allocataires en sont largement conscients : 29 % de ceux qui travaillent pensent perdre leur emploi dans l’année.
39Tous ces éléments semblent indiquer que la prise en compte d’un raisonnement intertemporel ne peut que faiblement expliquer les comportements des allocataires qui acceptent des emplois sans gain financier. D’autres considérations motivent donc les comportements d’offre de travail des allocataires du RMI. Avoir un emploi est moins vécu comme une privation de loisir (auquel les allocataires du RMI ont peu accès) que comme la possibilité de sortir d’un statut jugé dévalorisant. À cet égard, les allocataires ayant un emploi ont été questionnés sur leur « bien-être général » depuis qu’ils sont en emploi. Une proportion très importante (presque 84 %) d’entre eux déclarent se sentir mieux depuis qu’ils travaillent. En particulier, parmi ceux qui déclarent y perdre financièrement (tableau 1), huit sur dix affirment se sentir néanmoins mieux (tableau 5). On constate également que 73 % se sentent plus optimistes (c’est le cas de 60 % de ceux qui y perdent financièrement), 69 % sont plus à l’aise et plus disponibles avec leur entourage. Ainsi, la grande majorité des anciens allocataires considère que l’emploi leur procure un bien-être en soi, et ce, indépendamment de gains financiers éventuels.
Opinion des allocataires ayant un emploi salarié en janvier 1998, selon qu’ils
Opinion des allocataires ayant un emploi salarié en janvier 1998, selon qu’ils
40On peut donc faire l’hypothèse que les allocataires du RMI ont, dans leur grande majorité, intériorisé les valeurs liées au travail qui considèrent celui-ci comme la voie principale de socialisation. Pour les allocataires du RMI, avoir un emploi serait, par le sentiment qu’il procure, source de dignité, d’autonomie, de sentiment d’utilité sociale.
41Ainsi l’analyse des comportements d’offre de travail ne peut être fondée sur la seule prise en compte des gains financiers immédiats. Le fait de travailler est important en soi [1]. Une approche qui considérerait le travail uniquement comme un vecteur d’intégration sociale aurait toutefois le défaut inverse de négliger les considérations financières, qui restent, en tout état de cause, à prendre en compte. Le comportement d’offre de travail effectif des individus se situe certainement entre ces deux extrêmes, selon la situation concrète dans laquelle ils se trouvent. En ce qui concerne les allocataires du RMI, qui vivent mal leur statut d’assistés, il semble que la recherche d’intégration sociale l’emporte souvent puisqu’un grand nombre d’entre eux cherchent et acceptent un emploi même sans gain financier. Dans leur cas, l’arbitrage n’est pas « avoir plus de loisir ou plus de revenu » mais plutôt « rester assisté ou être socialement inséré ».
CONCLUSION
42Si la trappe à chômage fonctionne peu dans le cas des allocataires du RMI, les rémunérations de ceux qui reprennent un emploi restent globalement très faibles. Le danger, pour les allocataires du RMI, est donc moins la trappe à chômage que le risque de pauvreté, parce qu’ils restent très souvent confinés dans un secteur secondaire composé de « mauvais emplois », sans grande possibilité de transition vers un secteur primaire composé des « bons emplois ».
43La multiplication des emplois partiels, conférant aux salariés un revenu mensuel du travail inférieur au smic, a déplacé la référence salariale pour l’analyse en termes de trappe à chômage : on compare désormais les gains mensuels apportés par le RMI, non plus à un smic, mais à un demi-smic. L’existence éventuelle d’une trappe à chômage se pose de manière plus patente.
44Le développement de ces emplois a en outre favorisé l’émergence d’une nouvelle catégorie de personnes en difficulté, les travailleurs pauvres, parmi lesquels les allocataires ou anciens allocataires du RMI sont sur-représentés. Ces travailleurs sont majoritairement en situation de temps partiel contraint. Ainsi, ils se trouvent plutôt dans une « trappe à pauvreté » : ils ne peuvent sortir de ces mauvais emplois alors qu’ils le désirent. En particulier, ils souhaitent massivement travailler davantage. Ce n’est donc pas du côté de l’offre de travail mais du côté de la demande que fonctionne cette trappe.
45Nous avons souligné que, dans le choix entre « être assisté » ou « occuper un emploi », la comparaison des gains financiers joue un rôle faible. Cependant, lorsque la question se pose de travailler davantage, il est indiscutable que le choix des agents n’est pas indépendant du gain financier que cette option leur apporte. Il y aurait ainsi une discontinuité dans l’offre de travail. Quand on n’a pas d’emploi et que l’on est, comme les allocataires du RMI, stigmatisé et éloigné du marché du travail, l’offre de travail serait quasiment inélastique au salaire. En revanche, dès qu’on est déjà en emploi, elle deviendrait de plus en plus élastique au fur et à mesure que les rémunérations espérées augmentent [1].
46Si l’on considère ainsi l’offre de travail, on peut craindre que des mesures financières incitatives, prises dans le but de lutter contre la trappe à chômage qui fonctionne peu, ne renforcent la trappe à pauvreté, cette fois du côté de l’offre. En effet, pour éviter que les allocataires du RMI ne soient victimes de la trappe à chômage, des mesures visant à « rendre le travail payant » pourraient décourager des travailleurs à passer d’un emploi à temps partiel à un emploi à temps plein. Pour éviter un tel « piège », un profilage précis de telles mesures est nécessaire. Mais, quoi qu’il en soit, elles perdent, dans notre perspective, leur principale justification.
Bibliographie
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
- AFSA C. [1999a], « L’insertion professionnelle des bénéficiaires du revenu minimum d’insertion », INSEE, Document de travail F9901.
- AFSA C. [1999b], « État de santé et insertion professionnelle des bénéficiaires du RMI », DREES, Études et résultats, 7, février.
- AFSA C. [1999c], « Les allocataires du RMI : une population hétérogène », INSEE, France, Portrait social, p. 99-118.
- BLANPAIN N. [2000], « Les allocataires du RMI inscrits durablement dans le dispositif », CNAF, Recherches et prévisions, 61, novembre, p. 75-83.
- BOURGUIGNON F. [2001], « Revenu minimum et redistribution optimale des revenus : fondements théoriques », INSEE Économie et statistique, 346-347, p. 187-204.
- CAHUC P., KEMPF H. et VERDIER T. [2001], « Interactions sociales et comportements économiques », Annales d’économie et de statistique, 63-64, p. 1-10.
- COLLIN C. [2000], « Les ressources des allocataires du RMI : le rôle majeur des prestations sociales », DREES, Études et résultats, 62, mai.
- COLLIN C., GUILLEMOT D., PÉTOUR P. et ZAJDELA H. [2002], « Le retour à l’emploi des allocataires du RMI : les enseignements de l’enquête sur le devenir des personnes sorties du RMI », DREES, Dossiers solidarité et santé, 1, janvier-mars 2002, p. 85-101.
- COMMISSARIAT GÉNÉRAL du PLAN [2000], Minima sociaux et revenus d’activités, Rapport du groupe présidé par Jean-Michel Bélorgey, Paris, La Documentation française.
- CONSEIL de l’EMPLOI, des REVENUS et de la COHÉSION sociale [2001], Accès à l’emploi et protection sociale, rapport no 1.
- CONSEIL SUPÉRIEUR de l’EMPLOI, des REVENUS et des COÛTS [1997], Minima sociaux : entre protection et insertion.
- DEMAILLY D. [1999], « Les sorties du RMI : des motifs souvent multiples et imbriqués », DREES, Études et résultats, 16, mai.
- DESROSIÈRES A. [2000], La politique des grands nombres. Histoire de la raison statistique, Paris, La Découverte.
- DORMONT B. et OLMEDO A. [2000], « Les contraintes de l’offre de travail des RMI stes, conséquences pour l’évaluation des politiques de type ACR », dans THEMA, Des minima sociaux sous la forme de prestations dégressives : évaluation d’une réforme, Rapport pour le Commissariat général du plan, novembre.
- E ´NEAU D. et GUILLEMOT D. [1999], « L’enquête sur le devenir des personnes sorties du RMI, une présentation de son déroulement », Document de travail Méthodologie statistique, 0003, INSEE.
- EYSSARTIER D. et PAILLAUD S. [1998], « Paris, un outil d’évaluation dynamique du système fiscalo-social », INSEE, Économie et statistique, 318, p. 41-64.
- GAUTIÉ J. et GUBIAN A. [2000], « Réforme du RMI et marché du travail », Droit social, 7/8, juillet-août, p. 699-707.
- GURGAND M. et MARGOLIS D. [2001], « RMI et revenus du travail : une évaluation des gains financiers à l’emploi », INSEE, Économie et statistique, 346-347, p. 103-122.
- LAROQUE G. et SALANIÉ B. [2000], « Une décomposition du non-emploi en France », INSEE, Économie et statistique, 331, p. 47-66.
- LAURENT T. et L’HORTY Y. [2000], « Réforme du RMI et incitations à l’emploi, une mise en perspective », Document de travail, Centre d’études des politiques économiques ( EPEE ), Université d’E ´ vry, mai.
- LHOMMEAU B. et RIOUX L. [2000a], « Les trajectoires d’activité des allocataires du RMI de 1996 à 1998 », DREES, Études et résultats, 84, octobre.
- LHOMMEAU B. et RIOUX L. [2000b], « L’insertion professionnelle des allocataires du RMI : des débouchés difficiles après un emploi public aidé », DREES, Solidarité et santé, 4, p. 105-116.
- PIKETTY T. [1998], « L’impact des incitations financières au travail sur les comportements individuels : une estimation pour le cas français », Économie et prévision, 132-133, p. 1-35.
- RIOUX L. [2001], « Recherche d’emploi et insertion professionnelle des allocataires du RMI », INSEE, Économie et statistique, 346-347, p. 13-32.
- ROBINEAU Y. [2002], Rapport pour le Conseil national de l’évaluation (à paraître).
- ZOYEM J. P. [2001], « Contrats d’insertion et sortie du RMI », INSEE, Économie et statistique, 346-347, p. 75-102.
Notes
-
[*]
Administrateur de l’INSEE. E-mail : daniele. guillemot@ insee. fr
-
[**]
Administrateur de l’INSEE. E-mail : patrick. petour@ sante. gouv. fr
-
[***]
Université d’E ´ vry et MATISSE-Université Paris I. E-mail : zzajdela@ eco. univ-evry. fr Nous remercions C. Afsa, L. Caillot, P. Concialdi, M. Elbaum, M. Glaude, M. Gurgand, P. Ralle, B. Seys et J. Valentin pour leurs remarques sur des versions précédentes de ce travail. Nous restons seuls responsables des éventuelles erreurs et omissions sub-sistant.
-
[1]
Notre étude adopte la « troisième attitude » décrite par Desrosières [2000] quand il explique que différentes positions épistémologiques sont possibles lorsqu’on interroge les données statistiques : « L’une, sur le modèle des sciences physiques, suppose a priori que des principes généraux de maximisation et d’optimisation orientent les comportements individuels, et en déduit une représentation déterministe (au moins en théorie) de la vie économique. L’autre [...] voit dans les régularités et les corrélations observées les seules « lois » ou « causes » dont le savant peut parler valablement. Dans le premier cas, on peut au mieux mesurer les paramètres d’un modèle théorique supposé vrai a priori. Dans le second, les lois ne peuvent émerger que du foisonnement des données. Une troisième attitude est encore possible, celle de l’épreuve d’une théorie, soumise à la critique, et confirmée ou rejetée au vu des observations. » (P. 371, souligné par nous.)
-
[1]
Rappelons que l’allocation du RMI est calculée par différence entre un plafond garanti et les ressources de l’allocataire.
-
[1]
Il est légitime que le revenu horaire de référence soit le smic puisqu’il joue en France le rôle de « salaire courant » pour les faibles qualifications. Rioux [2001] montre en outre qu’il constitue le salaire de réserve des allocataires du RMI.
-
[2]
Par exemple dans Eyssartier et Paillaud [1998].
-
[3]
Elles n’ont par exemple pas le même sens dans CSERC [1997] ou dans Gautié et Gubian [2000]; CERC [2001] évite le terme de trappe à inactivité. Plus récemment, le terme de trappe lui-même disparaît dans les analyses des transitions sur le marché du travail.
-
[4]
Le « salaire courant » n’est plus le salaire qui équilibre l’offre et la demande de travail, mais un salaire déterminé de manière endogène et qui à l’équilibre engendre du chômage.
-
[5]
La mesure statistique du chômage pose d’autres problèmes. Par exemple, certaines personnes se déclarent spontanément chômeurs, mais, découragées, ne recherchent pas d’emploi.
-
[1]
Ce n’est pas le cas de l’ensemble des inactifs. On a pu constater, par exemple, que l’allocation parentale d’éducation a fortement modifié la participation des femmes mariées (Piketty [1998]).
-
[2]
L’objectif du RMI est en effet l’insertion sociale et professionnelle de tous les allocataires. Il n’est pas de leur fournir ex ante un revenu minimum d’existence (une dotation initiale) qui leur permette d’arbitrer de façon moins contrainte entre loisir (inactivité) et travail. Les allocataires doivent s’engager à une démarche d’insertion. Ils sont ainsi tenus de signer un contrat d’insertion dans les trois mois suivant le paiement de l’allocation, sinon celle-ci est suspendue. Dans la pratique, environ un allocataire sur deux seulement signe un contrat. Certains restent trop peu de temps dans le dispositif. Mais ce sont surtout les allocataires les plus âgés et les moins diplômés qui signent peu de contrats (Zoyem [2001]).
-
[1]
C’est aussi pourquoi nous parlerons de trappe à chômage plutôt que de trappe à inactivité. Si comme nous l’avons souligné, cette distinction n’est pas pertinente en théorie, elle l’est statistiquement, et tout particulièrement pour la population que nous étudions. Quant à « la trappe à pauvreté », elle dépasse le problème des allocataires du RMI, puisqu’elle s’applique aussi aux travailleurs pauvres qui pourraient être désincités à travailler davantage.
-
[2]
Pour un exposé plus détaillé de cette analyse empirique, voir Collin, Guillemot, Pétour et Zajdela [2002].
-
[3]
Nous avons volontairement écarté la question du travail au noir pour au moins trois raisons. Tout d’abord, son étude dépasserait le cadre de notre analyse : le travail au noir existe indépendamment des minima sociaux et ne concerne pas spécifiquement la population que nous étudions. Ensuite, nous ne disposons pas d’informations permettant de repérer les éventuels travailleurs au noir parmi les allocataires du RMI. Enfin, même s’il s’avérait qu’une partie importante des allocataires du RMI travaillait au noir, cela renforcerait les conclusions de notre étude puisque cela étendrait la zone de trappe à chômage, en augmentant leur salaire de réservation.
-
[1]
Afin d’accentuer cet effet, le dispositif d’intéressement a été réformé notamment par l’allongement de la durée de cumul à 100 %.
-
[1]
Ces analyses négligent aussi les évolutions possibles qui peuvent intervenir pendant la période d’intéressement, telles que l’élévation de la qualification, et donc de la probabilité d’obtenir ultérieurement un meilleur emploi. Ces évolutions peuvent pourtant justifier une période temporaire d’intéressement.
-
[2]
On trouvera des éléments pour appuyer cette hypothèse dans Collin et al. [2002].
-
[1]
Le forfait logement est retranché du montant du RMI dans le cas où l’allocataire n’aurait pas à supporter des frais de logement (cas des propriétaires et surtout des hébergés), ou encore lorsqu’il perçoit l’allocation logement.
-
[2]
Ce gain, calculé comme la différence du montant du salaire au montant du RMI, ne prend pas en compte d’éventuels éléments monétaires extra-salariaux. On a fait cependant l’hypothèse que ces coûts et avantages, difficilement mesurables, se compensent en partie à long terme. Il n’est pas non plus nécessaire de tenir compte du montant de l’allocation logement, car les délais de prise en compte des revenus du travail sont tels que, hormis quelques cas particuliers, les personnes qui étaient allocataires du RMI en décembre 1996 ne peuvent être touchées par la révision de leur allocation logement avant juillet 1998. Nous verrons ci-dessous que l’étude des opinions sur la situation financière permet de prendre en compte ces éléments extra-salariaux.
-
[1]
Laroque et Salanié [2000] obtiennent des résultats différents, que nous ne détaillerons pas ici parce que leur étude ne se fonde pas sur les données de l’enquête. Notons néanmoins que leur démarche est différente puisque, outre les effets des gains de revenu, les auteurs étudient également ceux des salaires de réserve. Les deux études ne sont donc pas directement comparables.
-
[2]
L’interprétation de ces réponses et de celles qui suivent sur les résultats de ces démarches doit être prudente : une marge d’erreur importante peut exister (sous ou sur-déclaration, oublis). Il est cependant tout à fait légitime de comparer ces réponses avec celles de l’ensemble des chômeurs, interrogés avec les mêmes questions par l’enquête Emploi. Notons aussi que les déclarations de recherche d’emploi sont utilisées pour la définition du chômage au sens du BIT, dont l’usage est largement répandu.
-
[3]
La période de référence pour cette question est plus longue que pour celle qui concerne la recherche d’emploi : on ne peut donc malheureusement pas articuler les réponses aux deux questions.
-
[1]
Plusieurs réponses étaient possibles, certaines faisant référence à des raisons très concrètes comme l’éloignement du lieu de travail. D’une manière générale, la proportion d’emplois refusés pour des raisons liées aux incitations financières reste très faible, même en admettant un biais de déclaration important.
-
[2]
Le récent rapport du Conseil national de l’évaluation sur les aides à l’emploi dans le secteur non marchand confirme, tout en le complétant, ce diagnostic, pour les bénéficiaires d’un CES ou CEC qu’ils soient ou non allocataires du RMI : « La grande majorité des personnes n’ont pas pu exercer d’autre choix que celui d’accepter le CES ou de rester au chômage. » (Robineau [2002].)
-
[1]
Pour une approche dynamique de la trappe à chômage, voir Laurent et L’Horty [2000].
-
[2]
L’enquête prévoyait trois réponses possibles : « c’est un vrai travail », « c’est un premier pas vers un vrai travail » et « c’est un travail faute de mieux ».
-
[1]
On peut tout à fait introduire dans la modélisation économique un coût positif à travailler (désutilité négative du travail), ce qui permet de prendre en compte l’hétérogénéité des préférences ; mais les termes eux-mêmes montrent que ce n’est pas a priori naturel dans une conception purement économique du travail. C’est pourquoi des recherches récentes traitent explicitement des interactions entre « coutumes sociales » et comportements économiques (pour une présentation de cette littérature, voir Cahuc et al. [2001]).
-
[1]
Un tel résultat pourrait être obtenu par une modélisation de l’offre de travail dans laquelle il existerait un bien loisir inférieur. Cela aurait l’avantage d’expliquer le comportement de ces agents qui valorisent le travail indépendamment des gains financiers, sans avoir recours à des hypothèses ad hoc.