Notes
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[*]
Université de Bretagne Occidentale et EUREQ ua. E-mail : eduguet@ univ-paris1. fr.
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[**]
EUREQ ua ( CNRS UMR 8594), Université Paris I, 106-112 boulevard de l’Hôpital, 75647 Paris Cedex 13. E-mail : mmonjon@ univ-paris1. fr. Nous remercions T. Brodaty, D. Encaoua et un rapporteur anonyme pour leurs commentaires, ainsi que les participants au Spring Meeting of Young Economists (Copenhague, avril 2001), au séminaire CERAS-EUREQ ua- LEI en microéconomie industrielle (Paris, mai 2001), au workshop CEPR-ECARES ( PMFM, Bruxelles, mai 2001), au congrès annuel de l’EEA (Lausanne, août 2001), au congrès de l’EARIE (Dublin, août 2001) et au 50e colloque annuel de l’AFSE (Paris, septembre 2001).
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[1]
Cette vision duale du processus innovant se retrouve dans les travaux de Joseph Schumpeter. La destruction créatrice est présentée dans la Théorie du développement économique [1912] et l’accumulation créatrice dans Capitalisme, socialisme et démocratie [1942]. Pour une analyse de ces travaux dans cette optique, voir l’article de F. Scherer [1992].
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[1]
Ce type de représentation est parfois appelé « modèle linéaire » dans la littérature théorique. En fait, un modèle peut très bien être interactif et linéaire, ce qui explique pourquoi nous n’utilisons pas cette terminologie.
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[1]
Pour un aperçu des bases de données employées, voir François [1991], Lhuillery [1995] et François et Favre [1998].
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[2]
CIS : Community Innovation Survey (Enquête Communautaire sur l’innovation).
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[3]
La taille est mesurée par le chiffre d’affaires de 1985, obtenu dans l’enquête annuelle d’entreprises.
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[1]
Nous reprenons la terminologie de la méthode de Rubin.
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[2]
La même méthode est utilisée pour évaluer l’effet des autres variables explicatives binaires sur l’innovation.
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[1]
Voir Duguet et Monjon [2001] pour un exposé plus détaillé.
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[2]
Nous utilisons ici une variante par régression, plus satisfaisante sur le plan théorique.
-
[1]
Pour une régression similaire, voir Lhuillery [1996], p. 124.
-
[1]
Pour des statistiques descriptives sur les différentes variables explicatives au sein de chaque classe, voir Duguet et Monjon [2001].
INTRODUCTION
1L’innovation est une source importante de la croissance économique. Mais cette croissance provient-elle du même groupe d’entreprises ou, au contraire, d’un processus de renouvellement perpétuel ? Sur ce point, les fondements microéconomiques qui sous-tendent les modèles de croissance endogène sont différents. Alors que l’innovation provient explicitement d’un processus de destruction créatrice dans les modèles schumpéteriens qui s’inspirent d’Aghion et Howitt [1992], les modèles d’Aghion, Harris et Vickers [1997] ou d’Encaoua et Ulph [2000] suggèrent plutôt une certaine permanence des innovateurs. Quelle est la portée empirique des ces deux visions schumpéteriennes [1] ?
2Relativement peu de travaux empiriques ont étudié le problème de la persistance de l’innovation sur données individuelles. Ils concluent que l’économie serait constituée d’une majorité d’innovateurs occasionnels relevant de la destruction créatrice et d’un cœur innovant comprenant peu d’entreprises. Ces travaux antérieurs soulèvent, toutefois, un certain nombre de questions, dont trois sont à la base de ce travail.
3La première question porte sur les modèles employés. Les études antérieures ne tiennent pas compte des mêmes variables explicatives, de sorte que leurs résultats ne sont pas directement comparables. Cet article propose de resituer les modèles estimés par le passé par rapport à la littérature théorique afin de faciliter l’interprétation de leurs résultats.
4La deuxième question porte sur la mesure de l’innovation. Toutes les études antérieures utilisent des données de brevet ou de succès commercial pour mesurer l’innovation. Les différences qui existent entre un brevet, un succès commercial et une innovation posent donc un problème empirique. Pour mesurer la persistance de l’innovation il semble préférable de séparer l’innovation elle-même de sa réussite commerciale et de la stratégie de l’entreprise en matière de propriété industrielle. Les données des enquêtes sur l’innovation, réalisées en Europe, permettent d’obtenir cette information.
5La troisième question porte sur les méthodes d’estimation. Dans l’idéal, ce que nous souhaiterions évaluer est la différence entre la probabilité d’innover d’une entreprise à une date donnée sachant qu’elle a innové par le passé et la probabilité d’innover qu’elle aurait eue à cette même date si elle n’avait pas innové par le passé. Nous traitons ce problème en utilisant la méthode d’appariement sélectif introduite par Rubin [1974].
6La section 2 présente les fondements théoriques de l’article et les relie aux principaux résultats de la littérature empirique. Les données et la méthodologie employées sont présentées dans la section 3 et les résultats sont discutés dans la section 4.
DES FONDEMENTS THÉORIQUES AUX PROPOSITIONS EMPIRIQUEMENT VÉRIFIABLES
7Le modèle séquentiel d’innovation établit une relation simple entre l’innovation et la recherche et développement (Cohen et Klepper [1996]). Les entreprises qui peuvent faire face au coût fixe irrécouvrable de recherche et développement font des découvertes qui leur permettent de mettre au point des produits et des procédés nouveaux. Dans cette optique, les innovations ne sont pas directement reliées entre elles mais la continuité des dépenses de recherche et développement permet de justifier un flux régulier d’innovations [1]. Plus précisément, cette théorie implique qu’à dépenses de recherche constantes il ne devrait pas y avoir de différence d’innovation entre les entreprises. On peut donc tester cette hypothèse en régressant une mesure d’innovation sur l’innovation passée et sur une mesure de recherche. Si la recherche est significative et que l’innovation ne l’est pas, l’hypothèse est validée, sinon d’autres modélisations doivent être avancées.
8Un premier développement de ce modèle de base consiste à mieux prendre en compte les contraintes financières associées à la recherche (Nelson et Winter [1982]). En raison des difficultés à financer un investissement immatériel, les succès passés de l’entreprise constituent un bon moyen de faire face aux coûts fixes de l’innovation. Un premier succès en produit ou en procédé permet de générer des bénéfices qui seront réinvestis en recherche. Cet autofinancement est d’autant plus probable que les marchés financiers sont imparfaits. Le succès engendre donc le succès, au sens où une innovation réussie devient la condition nécessaire au financement des projets de recherche ultérieurs. Sur le plan empirique, la corrélation entre l’innovation et la recherche s’affaiblit car seul son résultat, l’innovation passée, permet de financer l’innovation courante. Dans les cas extrêmes, il n’y a pas d’innovation courante sans innovation passée, de sorte que seule la relation entre l’innovation courante et passée demeure. On peut concevoir deux manières de tester cette théorie. La première méthode consiste à examiner directement le lien entre l’innovation courante, l’innovation passée et la recherche. Seule la relation entre l’innovation courante et les innovations passées devrait ressortir. La seconde méthode consiste à éliminer les différences de contraintes financières entre les entreprises avant d’examiner la relation entre innovation et recherche. Ce contrôle peut être effectué avec une variable de taille. Si les différences de taille entre entreprises sont contrôlées, on devrait voir sortir l’effet de la recherche et non de l’innovation passée.
9Une seconde extension repose sur l’idée que, lorsque l’innovation est cumulative, la mise au point des nouveaux produits ou procédés requiert un savoir fortement dépendant de celui utilisé par le passé. L’innovation résulte alors de l’accumulation de compétences dans un domaine technologique donné (Malerba et al. [1997]; Foray [1997]). On résume cette situation sous l’appellation d’effets d’apprentissage dans la production d’innovations. Sur le plan empirique, on peut tester cette hypothèse, en examinant si l’innovation passée a toujours un effet significatif sur l’innovation présente, une fois contrôlées les différences de recherche et de taille des entreprises. Tenir compte des différences de taille permet de tester ce modèle contre celui de Nelson et Winter. Inclure la recherche dans les variables de contrôle permet de tester ce modèle contre celui de Cohen et Klepper. Plus précisément, ce modèle prédit que, si l’on tient compte des différences de taille et de recherche, il doit rester un effet significatif de l’innovation passée sur l’innovation courante. C’est une conclusion différente des deux modèles précédents car, d’une part, un tel effet n’existe pas dans le modèle de Cohen et Klepper et, d’autre part, le lien entre les innovations provient des contraintes financières dans le modèle de Nelson et Winter.
10Pour identifier les déterminants de cette persistance, il faut donc être attentif à toute la liste des variables explicatives présentes dans une régression car c’est le tout qui détermine la signification des résultats. Nous utilisons ici un modèle empirique dans lequel l’innovation présente s’explique par l’innovation passée, la recherche et la taille de l’entreprise. On peut donc interpréter l’effet de l’innovation passée comme un effet d’apprentissage, l’effet de la recherche traduit un modèle séquentiel et la taille résume l’effet des contraintes financières. Le signe de ces trois variables doit être positif ou nul.
11Considérés globalement, ces trois modèles suggèrent que la persistance de l’innovation devrait être significative. En effet, selon le premier modèle, une absence de persistance signifierait que les entreprises n’investiraient pas continûment en recherche, ce qui tend à contredire les enquêtes effectuées dans ce domaine. Selon le second modèle, une faible persistance proviendrait soit d’une faible disponibilité des financements soit d’une absence de réinvestissement des entreprises innovantes. Or, d’une part, les industries les plus innovantes bénéficient de forts financements privés (capital-risque) et de politiques de soutien à l’innovation (crédits d’impôt, subventions) et, d’autre part, l’objet de la concurrence dans ces industries est précisément l’innovation. Selon le troisième modèle, une faible persistance serait le reflet d’une dépréciation très rapide des savoir-faire, ce qui contredirait nombre d’études de cas.
12Dans un premier temps, les études empiriques ont cependant conclu à une faible persistance de l’innovation. Ainsi, Malerba et Orsenigo [1999] trouvent que la persistance de « l’innovation » n’apparaît que dans un petit nombre d’entreprises. Ce résultat, obtenu sur données de brevets, est surprenant car il semble opposé à la littérature théorique. Il appelle donc un commentaire.
13Deux explications de ce résultat, qui tiennent à la nature des données employées, peuvent être avancées. La première explication tient au fait que, dans certaines activités, relativement peu d’entreprises brevettent leurs innovations (Cohen et al. [1997]; Duguet et Kabla [1998]). La faible persistance serait alors le reflet empirique de la faible utilisation des brevets dans certains secteurs. La deuxième explication tient au fait que les données de brevet supposent l’antériorité du déposant. Ainsi, c’est l’antériorité qui ne serait pas persistante. Les données de brevet, de par leur nature, sous-estimeraient la persistance de l’innovation.
14Geroski, Van Reenen et Walters [1997] utilisent, d’une part, des données de brevet et, d’autre part, des données d’innovations ayant connu un succès commercial. Dans les deux cas, les auteurs concluent à une faible persistance de l’innovation. Les données de succès commercial ne posent pas le problème précédent de sous-représentation de certaines activités ; par conséquent, leur résultat militerait plutôt en faveur du modèle séquentiel puisque leur analyse tient compte des différences de taille.
15Crépon et Duguet [1997] utilisent des données de brevets européens mais tiennent compte à la fois des investissements en recherche et d’un effet fixe individuel (données de panel). Ils trouvent, au contraire, que l’innovation est fortement persistante, ce qui va dans le sens des effets d’apprentissage. Toute-fois, cette étude porte également sur des données de brevet et un échantillon de grandes entreprises. Il nous faut donc vérifier la robustesse de ce résultat sur des données qui ne souffrent pas de ces critiques.
DONNÉES ET MÉTHODOLOGIE
16Nous utilisons trois bases de données qui nous permettent de travailler avec une mesure globale d’innovation. Cette mesure inclut les produits et les procédés nouveaux (amélioration, adoption ou nouveauté). Les données utilisées nous informent également des activités de recherche des entreprises. Nous utilisons tout d’abord l’enquête Innovation du SESSI réalisée en 1991, qui couvre la période 1986-1990 [1]. Cette enquête nous permet de distinguer les activités de recherche formelle (R&D) et informelle (études techniques). En second lieu, nous employons les enquêtes CIS 1 [1993] et CIS 2 [1997] qui couvrent chacune une période de trois ans, de 1990 à 1992 pour la première, et de 1994 à 1996 pour la seconde [2]. La fusion de ces enquêtes nous permet d’obtenir un échantillon de 808 entreprises industrielles de 20 salariés ou plus. L’année 1993 est manquante, car aucune enquête ne contient d’information relative à cette date. Il est important de noter ici que seules les deux dernières enquêtes peuvent être employées pour mesurer la persistance de l’innovation, car les deux premières enquêtes ont une année commune (en 1990). Ainsi nous étudions la persistance de l’innovation entre 1990-1992 et 1994-1996 [3].
17Un premier examen des données révèle une persistance prononcée de l’innovation au niveau individuel (tableau 1), ce qui est conforme aux prédictions de la théorie. En effet, lorsque nous examinons les dynamiques innovantes des entreprises, nous remarquons que les entreprises qui ont innové à deux périodes différentes (profil (1,1)) représentent toujours près de la moitié de notre échantillon, quelles que soient les enquêtes considérées. Les entreprises qui n’innovent pas durant plusieurs périodes (profil (0,0)) sont également nombreuses : elles représentent de 17 à 25 % de notre échantillon selon les périodes.
18Un simple examen descriptif ne permet cependant pas d’identifier l’origine
de cette persistance. Pour y parvenir, il faut évaluer le degré de persistance du
comportement d’innovation des entreprises en estimant l’écart entre la performance innovante d’une entreprise ayant déjà innové par le passé et la performance qu’elle aurait eue si elle n’avait pas innové par le passé. Notons yli et y0i
les deux variables binaires qui désignent respectivement la performance innovante de l’entreprise i entre 1994 et 1996 (ici, le fait qu’elle ait innové ou non)
selon qu’elle a innové entre 1990 et 1992 (état 1 : ti = 1), ou non (état 0 : ti = 0).
La persistance se mesure alors par l’effet causal moyen [1] :
Persistance de l’innovation
Persistance de l’innovation
19Pour corriger ce biais, nous avons fait appel aux méthodes d’estimations développées par Heckman, Ichimura et Todd [1997], qui reposent sur un appariement des entreprises. Cette méthode permet d’évaluer la variation des performances innovantes des entreprises qui peut être attribuée exclusivement au fait d’avoir innové par le passé. Cette méthode consiste à regrouper les entreprises qui ont innové par le passé avec des entreprises qui n’ont pas innové par le passé mais qui ont les mêmes caractéristiques Xi. On évalue ensuite l’effet causal à partir de l’écart des performances des entreprises appariées. Toutefois, du fait du nombre élevé de caractéristiques à prendre en compte, cette procédure est généralement difficile à mettre en œuvre. Elle peut néanmoins être ramenée à un problème unidimensionnel. Rosenbaum et Rubin [1983] ont démontré qu’il est possible d’utiliser le score canonique Pr ( t = 1(X ) ou propensity score pour apparier les entreprises. L’intuition de la méthode est la suivante : si une entreprise a innové par le passé et qu’une autre entreprise ne l’a pas fait, mais que ces deux entreprises ont la même probabilité d’avoir innové par le passé, alors l’affectation de l’innovation passée entre ces deux entreprises peut être attribuée au hasard. On se retrouve donc dans le cas où on peut estimer l’effet causal par la différence des moyennes arithmétiques, après avoir regroupé des entreprises qui ont la même probabilité d’innover [1].
20Nous utilisons deux méthodes d’appariement différentes. La première
consiste à regrouper les entreprises dans des classes de probabilité ( i.e., de score
canonique Pr ( t = 1(X ) ) homogènes. L’effet causal s’obtient alors par la différence entre la moyenne arithmétique des performances des entreprises qui ont
innové dans le passé et celle des entreprises qui n’ont pas innové par le passé [2].
La seconde méthode, dite du plus proche voisin, consiste à apparier chaque
entreprise innovante avec l’entreprise non innovante qui possède le score canonique le plus proche et à calculer la différence de leurs performances innovantes
(Rubin [1977]). On obtient alors une estimation de l’effet causal sur les seules
entreprises qui ont innové par le passé, c’est-à-dire :
RÉSULTATS
21Dans un premier temps, nous estimons un modèle probit dans lequel nous expliquons l’innovation présente (1994-1996) des entreprises par leurs innovations passées, en contrôlant la taille des entreprises, l’importance de leur activité de recherche, leur appartenance sectorielle et le degré d’opportunités technologiques (tableau 2) [1]. Dans un second temps, nous évaluons l’effet causal de l’innovation passée sur l’innovation présente par la méthode de Rubin (tableau 3).
La probabilité d’innover sur 1994-1996
La probabilité d’innover sur 1994-1996
22Le modèle 1 révèle une forte persistance de l’innovation au niveau individuel. Toutes les innovations passées ont un impact positif significatif sur l’innovation présente. De plus, les coefficients des innovations passées sont décroissants, indiquant un impact environ deux fois plus important de l’innovation 1990-1992 par rapport à l’innovation 1986-1990. Ces résultats sont robustes à l’introduction de la taille, de l’industrie et d’une variable binaire indiquant si l’activité dans laquelle est engagée l’entreprise est fortement innovante ou non. Les variables d’innovations passées ne captent donc pas des effets dus à des différences entre industries ou à des différences de taille des entreprises.
23Le modèle 2 vise à identifier l’origine de la persistance de l’innovation. Le principal résultat est que l’innovation 1986-1990 cesse d’être significative une fois que l’on prend en compte les activités de recherche de la même période. Une partie de la persistance identifiée dans le modèle précédent vient donc de la recherche formelle passée des entreprises. Les innovations plus récentes, mises en œuvre entre 1990 et 1992, continuent en revanche à être importantes pour générer de nouvelles innovations. Les entreprises qui ont innové dans le passé semblent par conséquent bénéficier d’avantages qui ne proviennent pas seulement des activités formelles de recherche, ce qui suggère un rôle important d’activités plus informelles non prises en compte par les indicateurs à notre disposition, telles que l’existence de savoir-faire spécifiques ou encore une organisation tournée vers le changement technologique. Un second résultat intéressant est que la R&D formelle menée entre 1986 et 1990 a un impact important sur l’innovation de 1994-1996. En revanche, les études techniques et de méthodes conduites au cours de la même période n’ont pas d’effet significatif. Ceci suggère que la recherche informelle ne compte que dans la mesure où elle réussit à produire une innovation intermédiaire, contrairement à la recherche formelle. Globalement, les variables retenues par la théorie sont significatives avec le signe attendu. La taille sort positivement, ce qui suggère qu’il subsiste des problèmes de financement. La significativité de la recherche va dans le sens du modèle séquentiel et celle de l’innovation passée va dans le sens de l’existence d’effets d’apprentissage. Le calcul des effets moyens nous permet de comparer les poids respectifs de ces déterminants. Nous constatons que le fait d’avoir innové par le passé est aussi important qu’une forte recherche formelle : la probabilité d’innover augmente de 19 %. Ce résultat global cache toutefois un effet de composition, révélé par le tableau 3.
Effet causal de l’innovation 1990-1992 sur l’innovation 1994-1996
Effet causal de l’innovation 1990-1992 sur l’innovation 1994-1996
24L’appariement par classe fait apparaître des contrastes importants entre les entreprises. La classe 1 correspond à des entreprises de petite taille pour lesquelles la R&D est peu importante [1]. Or, c’est au sein de cette classe que l’effet causal est le plus important, environ 40 %. Ce résultat ne signifie pas que la persistance de l’innovation est la plus forte dans les entreprises de cette classe mais que les entreprises qui ont innové auparavant ont une probabilité future d’innover très supérieure à celles qui n’ont pas innové. Ceci suggère l’existence d’effets d’apprentissage importants parmi les petites entreprises.
25L’effet causal au sein de la classe 2 est à peu près deux fois plus faible que celui de la classe 1, entre 22 % et 26 %. Une part de la persistance du comportement d’innovation au sein des entreprises de la classe 2 s’explique par leur taille plus importante ou leurs activités de recherche. L’innovation passée demeure néanmoins importante. La persistance dans ce groupe vient donc à la fois d’une activité de R&D et de processus plus informels liés à l’existence d’effets d’apprentissage dans la production des innovations.
26L’effet causal de l’innovation passée n’est, en revanche, pas significatif dans la classe 3, composée d’entreprises de grande taille pour lesquelles les activités de recherche formelle sont importantes. Ceci signifie que l’information contenue dans la variable d’innovation passée n’est pas pertinente pour expliquer l’innovation courante. Dans ces entreprises, la persistance vient des activités de recherche formelle, comme dans le modèle séquentiel.
27Enfin, si l’on regroupe toutes ces entreprises, les estimations à la Rubin sont compatibles avec celles de la régression probit. On trouve, avec les deux méthodes, un effet causal moyen de 18 à 19 %. L’estimation traditionnelle ne semble donc pas souffrir de biais de sélection mais dissimule un effet de composition intéressant.
CONCLUSION
28Les résultats économétriques que nous obtenons à partir des enquêtes communautaires sur l’innovation s’opposent en partie aux études antérieures sur les brevets et se concilient plus facilement avec la littérature théorique.
29Tout d’abord, nous trouvons que la persistance de l’innovation est forte puisque, toutes choses égales par ailleurs, une entreprise qui a déjà innové par le passé a une probabilité d’innover aujourd’hui de 20 % plus élevée. Cette persistance admet plusieurs origines. Tout d’abord, nous trouvons que les entreprises de grande taille ont une plus grande probabilité d’innover, même à effort de recherche identique, ce qui suggère l’existence de contraintes financières pesant sur la production d’innovations.
30Mais nous trouvons surtout que l’origine de la persistance de l’innovation dépend de la taille de l’entreprise. Alors que le modèle d’apprentissage semble jouer un rôle prépondérant pour les petites entreprises, sa pertinence décroît progressivement avec la taille de l’entreprise. Dans les entreprises les plus grandes, nous trouvons qu’il n’y a pas d’effet significatif de l’innovation passée sur l’innovation présente : la persistance de l’innovation trouve donc son origine dans la recherche formelle.
31Cela implique que les explications par l’apprentissage et par le modèle séquentiel ne sont pas concurrentes mais complémentaires. Ce résultat mériterait sûrement d’être approfondi en prenant en compte l’innovation organisationnelle. On pourrait examiner notamment s’il existe une complémentarité entre les changements organisationnels et la persistance de l’innovation dans les entreprises.
Bibliographie
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Notes
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[*]
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[1]
Cette vision duale du processus innovant se retrouve dans les travaux de Joseph Schumpeter. La destruction créatrice est présentée dans la Théorie du développement économique [1912] et l’accumulation créatrice dans Capitalisme, socialisme et démocratie [1942]. Pour une analyse de ces travaux dans cette optique, voir l’article de F. Scherer [1992].
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[1]
Ce type de représentation est parfois appelé « modèle linéaire » dans la littérature théorique. En fait, un modèle peut très bien être interactif et linéaire, ce qui explique pourquoi nous n’utilisons pas cette terminologie.
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[1]
Pour un aperçu des bases de données employées, voir François [1991], Lhuillery [1995] et François et Favre [1998].
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[2]
CIS : Community Innovation Survey (Enquête Communautaire sur l’innovation).
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[3]
La taille est mesurée par le chiffre d’affaires de 1985, obtenu dans l’enquête annuelle d’entreprises.
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Nous reprenons la terminologie de la méthode de Rubin.
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[2]
La même méthode est utilisée pour évaluer l’effet des autres variables explicatives binaires sur l’innovation.
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Voir Duguet et Monjon [2001] pour un exposé plus détaillé.
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[2]
Nous utilisons ici une variante par régression, plus satisfaisante sur le plan théorique.
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Pour une régression similaire, voir Lhuillery [1996], p. 124.
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Pour des statistiques descriptives sur les différentes variables explicatives au sein de chaque classe, voir Duguet et Monjon [2001].