Notes
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[*]
Université Paris X-Nanterre, FORUM. jjcartel@ club-internet. fr Carlo Benetti m’a fait bénéficier de ses remarques critiques sur une première version de ce texte qui a été présenté à la Journée d’études consacrée aux modèles de prospection par le GDR Économie monétaire et financière, le 5 mai 1999 à la MSH de Paris. Une version remaniée de ce texte a fait l’objet de débats au cours d’un séminaire d’études organisé par l’Université de Cassino. Que les participants à ces débats, notamment Pascal Bridel et Patrick Villieu, trouvent ici l’expression de mes remerciements. J’ai également contracté une dette vis-à-vis des deux rapporteurs anonymes qui m’ont permis d’améliorer sensiblement le texte final. Les personnes mentionnées ne sont évidemment pas responsables des insuffisances de cette nouvelle version.
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[1]
Voir également Burdett et al. [1995].
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[1]
Rien n’interdit d’introduire explicitement une technique de transaction dans un modèle à générations imbriquées. Dans ce cas, la monnaie peut évidemment être traitée comme un intermédiaire des échanges. Un exemple est le modèle de Maeda [1991].
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[1]
Une formalisation différente est adoptée par Iwai [1988,1996] qui suit la voie ouverte par Jones, Oh et quelques autres, consistant à s’interroger sur les fréquentations à l’équilibre des n ( n ? 1 ) /2 lieux d’échange existant dans une économie à n biens. Les modèles de cette famille présentent un grand intérêt mais leurs propriétés essentielles pour notre propos ne diffèrent pas sensiblement des modèles à la Wright qui semblent fournir actuellement le cadre le plus utilisé. C’est pourquoi il ne sera fait que de brèves allusions à ces modèles.
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[2]
Un horizon fini est néanmoins parfaitement possible (Kulti [1995]).
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[1]
Pour garantir que u ( q ) > c ( q ) pour des valeurs de q positives et inférieures à q0, on pose u ( 0 ) = c ( 0 ) = 0 et u ? ( q ) > c ? ( q ) = 0.
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[1]
Il ne serait pas difficile de trouver nombre de précurseurs de l’idée que la monnaie est spécifiquement un intermédiaire des échanges. Smith, Wicksell, Menger, Schumpeter ou Hawtrey peuvent être tour à tour invoqués. Walras lui-même pourrait être rangé dans cette tradition puisque la spécificité des services d’approvisionnement en monnaie se réfère explicitement à l’organisation monétaire des transactions. Mais, à supposer qu’une telle tradition ait existé, force est de reconnaître qu’elle a été progressivement marginalisée au point que, comme on l’a rappelé plus haut, l’organisation des activités d’échange a été presque totalement exclue de la théorie moderne des prix.
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[1]
Il existe des modèles dans lesquels les fondamentaux interviennent conjointement avec la logique auto-réalisatrice (Trejos et Wright [1999], par exemple).
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[2]
Il convient de signaler toutefois une série de travaux intéressants établissant le rôle des transactions de l’État dans le choix du moyen de transactions. Signalons notamment l’article de Li et Wright [1998] dans lequel les auteurs montrent que l’État peut, s’il est de taille suffisante et s’il en choisit convenablement son attitude en la matière, sélectionner un équilibre monétaire unique, voire une trajectoire dynamique unique vers l’équilibre monétaire. On pourrait dire que le modèle de Li et Wright propose une rationalisation économique du point de vue de Knapp !
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[1]
Une vue d’ensemble sur la question des défauts de coordination est donnée dans Colander [1996].
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[1]
Cette particularité se rencontre également dans une autre catégorie de modèles prenant en considération les coûts de transactions dans la détermination des plans des agents. (Howitt [1985]) en est un exemple remarquable.
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[2]
Ce serait le cas dans un modèle standard d’équilibre général auquel on ajouterait une technique de transaction fondée sur la notion de cash-in-advance, à ceci près que le bien intermédiaire serait a priori indéterminé. Chaque agent choisirait l’intermédiaire qui lui est le plus favorable, selon le critère de l’utilité recherchée en même temps qu’il déterminerait ses demandes excédentaires. Intuitivement, on saisit qu’il n’y a aucune raison que les individus puissent se coordonner sur un intermédiaire commun alors que, toujours intuitivement, pour un intermédiaire désigné au préalable, il existe en général un équilibre.
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[1]
G. Myrdal [1950] écrivait que « l’utilité subjective de la monnaie est directement déterminée par sa valeur d’échange, tandis que pour tous les autres biens, c’est la proposition exactement inverse qui est valable » (p. 29).
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[1]
Sur l’ensemble de cette question, voir Rocheteau [2000].
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[2]
Dans le modèle de base de Kiyotaki et Wright [1993], il faut, pour cela que x soit inférieur à 1/2. De toutes façons, la monnaie est d’autant plus avantageuse à utiliser que x est petit.
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[3]
Les relations entre monnaie interne et monnaie externe sont examinées dans Burdett et al. [1996].
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[1]
Le fait de ne pouvoir raisonner qu’à l’équilibre n’est évidemment pas propre aux modèles de prospection. Cette limite est celle de toute la théorie économique actuelle, en l’absence de résultats robustes en ce qui concerne la stabilité globale de l’équilibre général et du calcul individuel en déséquilibre. Notons d’ailleurs que certains modèles de prospection font apparaître des résultats de stabilité sous certaines hypothèses (Li et Wright [1998]).
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[1]
Ces deux étapes logiques ne correspondent nullement aux points successifs traités dans les modèles de prospection, à savoir, acceptation de la monnaie avec prix exogènes, puis détermination des prix par négociation – et retour sur l’acceptation de la monnaie pour voir si les prix obtenus sont compatibles avec l’acceptation de la monnaie (Trejos et Wright [1995]).
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[2]
L’imposition d’une contrainte cash-in-advance est fort critiquée en raison de son exogénéité. Cette critique serait recevable si l’on pensait que l’adoption de la monnaie a bien été endogénéisée, notamment par les modèles de prospection. Un relatif scepticisme sur ce point, ce qui est la position adoptée dans cet article, commande d’être plus accueillant envers une démarche à la Clower qui a le mérite de déplacer un problème peut-être mal posé (comment fonctionne une économie monétaire ? plutôt que comment se fait-il que l’économie soit monétaire ?).
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[1]
« Aucune théorie de la monnaie n’est offerte ici et l’on suppose que l’économie fonctionne sans l’aide d’un bien servant de moyen d’échange. Ainsi le rôle des prix est le suivant. À chaque marchandise est associé un nombre réel, son prix. Quand un agent économique s’engage à prendre livraison d’une certaine quantité de marchandise, le produit de cette quantité par le prix de la marchandise est un nombre réel inscrit au débit de son compte. (…) Le solde de son compte (…) guide ses décisions. » (p. 32).
INTRODUCTION
1Dans un article faisant le point sur la théorie monétaire, Martin Hellwig [1993] recensait cinq problèmes fondamentaux non résolus :
« Why does fiat money have a positive value in exchange against goods and services even though it is not intrinsically useful ?
Why does « worthless » fiat money have a positive value in exchange against goods and services when there are other assets whose own rates of return in each period exceed the own rate of return on money ?
Why should cash-in-advance constraints be imposed ?
What is the relation between stocks and flows in a monetary economy ?
How can the theory of the transactions demand for money be integrated into an analysis of market equilibrium ? »
2L’application de l’approche de la prospection à la théorie de la monnaie – non évoquée par Martin Hellwig – permet-elle de résoudre l’un ou l’autre de ces problèmes ? Une appréciation optimiste conduit à répondre positivement pour quatre des cinq questions soulevées, la relation entre flux et stocks faisant seule exception.
3Il est en effet possible de montrer l’existence d’équilibres avec utilisation d’une monnaie purement fiduciaire dans les transactions (Iwai [1988,1996]; Kiyotaki et Wright [1991,1993]) avec détermination endogène des prix (Trejos et Wright [1995]) même en présence d’actifs ayant un rendement positif (Shi [1996]). L’introduction d’une information privée sur la qualité des biens conduit à endogénéiser, au moins dans certains cas, une condition de cash-in-advance (Williamson et Wright [1994]) [1]. Dans tous ces modèles, la monnaie est acceptée ou a un prix positif – et est donc réserve de valeur – parce qu’elle est un intermédiaire dans les échanges.
4L’origine commune de ces résultats nouveaux est la suivante : les modèles de prospection rompent avec la fâcheuse tradition de ne pas considérer la façon dont s’effectuent les transactions. La plupart des modèles d’équilibre général font abstraction des activités d’échange, ce qui est paradoxal pour une théorie censée s’appliquer à des économies de marché. La dichotomie entre, d’une part, la détermination des prix par annulation simultanée des demandes excédentaires de marché et, d’autre part, la réalisation des transactions rend impossible toute intégration de la monnaie dans la théorie moderne de la valeur, représentée par le modèle Arrow-Debreu. Dans les cas particuliers où des équilibres monétaires sont obtenus – dans les modèles à générations imbriquées [1] ou dans des modèles d’équilibre temporaire – la monnaie est considérée comme une simple réserve de valeur et non comme un intermédiaire des échanges, d’où la difficulté non résolue de sa disparition face à tout actif ayant un rendement certain positif. En un mot, les modèles de prospection permettent d’obtenir des résultats nouveaux importants en théorie de la monnaie parce qu’ils tiennent compte explicitement de la façon dont les transactions sont organisées, dont les agents se rencontrent et négocient les prix, le cas échéant. À ce titre, ces modèles marquent une avancée significative de la théorie des économies de marché. Ils étendent à la monnaie la méthode fondamentale de la théorie de l’équilibre général, à savoir rendre compte des prix et des allocations de marché en termes de compatibilité mutuelle des actions individuelles désirées. L’utilisation de la monnaie y relève de la même problématique générale que le choix des biens à produire et à consommer ou de la technique de production la mieux appropriée : dans tous les cas, il s’agit d’en faire la conséquence d’actions individuelles coordonnées à l’équilibre. Les modèles de prospection, à partir d’hypothèses précises sur l’organisation des transactions, déterminent les conditions sous lesquelles la monnaie, qui en est un des modes possibles, est choisie à l’équilibre.
5Pour pouvoir poser le problème en ces termes, il faut introduire des hypothèses explicites sur la réalisation des transactions et les intégrer dans le calcul économique des individus. Dans les modèles de prospection à la Wright, par exemple, le calcul individuel est tel que chaque agent peut comparer la valeur actuelle des flux d’utilité espérée sur l’ensemble de sa vie selon qu’il se trouve détenteur d’un bien à échanger ou de monnaie ou, plus généralement, selon qu’il adopte telle ou telle stratégie d’échange. La condition pour qu’une monnaie soit adoptée est que, pour tous les individus, il soit préférable (ou, à la limite, indifférent) d’être détenteur de cette monnaie plutôt que d’un bien, le passage par la production étant, par ailleurs, rendu obligatoire par l’hypothèse selon laquelle aucun agent ne peut consommer sa propre production.
6Cet article n’a pas pour objet de fournir une vue d’ensemble raisonnée de l’ensemble de la littérature. Il ne s’agit pas d’un survey des modèles de prospection appliqués à la monnaie. L’objectif poursuivi est autre : il est de s’interroger sur la portée véritable de ces nouveaux résultats et interprétations, en se concentrant sur quelques modèles de base, c’est-à-dire ceux qui sont responsables des résultats les plus fondamentaux. Si les modèles de prospection ont ouvert de nouvelles perspectives, ils ont également fait apparaître de nouvelles interrogations.
7L’idée générale défendue dans ce texte est que les modèles de prospection appliqués à la monnaie, en résolvant les questions traditionnelles de la théorie monétaire, font en même temps naître un doute sur le bien-fondé de ces questions. Le choix de l’intermédiaire des échanges est-il véritablement de même nature que celui d’une technique de production ou d’un panier de consommation ? Ne se trompe-t-on pas de problème et de méthode ? Vouloir rendre endogène l’organisation générale des marchés ne revient-il pas à vouloir déterminer simultanément les règles du jeu et les meilleures façons de les utiliser ? Est-il satisfaisant de conclure que la monnaie existe à l’équilibre mais de ne pouvoir décider si les calculs individuels en déséquilibre s’effectuent dans une économie avec ou sans monnaie ? L’examen critique des modèles de prospection est intéressant en lui-même mais, au-delà, il peut être une étape utile dans l’élaboration d’une théorie de l’économie de marché alternative à celle proposée par l’approche de l’équilibre général. En faisant apparaître de nouvelles impasses, les modèles de prospection sont peut-être porteurs d’enseignements sur la voie à suivre.
8Avant de présenter un certain nombre de réflexions en ce sens, il est nécessaire de rappeler quelques caractéristiques de ces modèles et d’indiquer comment les résultats les plus significatifs sont obtenus. Il ne s’agit évidemment pas de résumer une littérature en expansion rapide mais de donner quelques indications générales à partir d’un ou deux modèles de base.
BREF APERÇU SUR LES MODÈLES DE PROSPECTION
9Dans les modèles à la Wright [1] l’économie est supposée formée d’un très grand nombre d’agents de masse unitaire vivant indéfiniment [2]. Les biens sont également en très grand nombre, de masse unitaire. Les préférences et la spécialisation dans la production sont décrites par un seul paramètre, x, proportion des biens qui peuvent être consommés ou produits par un agent quelconque (et, par symétrie, proportion des agents qui peuvent consommer ou produire un bien quelconque). La production s’effectue selon un processus stochastique. Aucun agent ne peut consommer le bien qu’il produit et doit donc passer par le marché. Chaque individu a une capacité de stockage limitée à une unité de monnaie ou une unité de bien. Initialement, une fraction M des individus est dotée d’une unité de monnaie, c’est-à-dire d’un bien non susceptible d’être produit et ne procurant aucune utilité directe. On suppose, pour simplifier, que la monnaie est indivisible.
10La technique de transaction vient s’ajouter aux fondamentaux habituels que sont les préférences ( x ), la technique de production ( x et le processus de Poisson indiquant les occasions de production offertes) et les dotations initiales (M). Elle est figurée par un processus stochastique de rencontres bilatérales entre les individus (complété éventuellement par des marchés, Kulti [1994]). Chacun d’entre eux, connaissant les paramètres de ce processus, est en mesure de calculer l’utilité attendue actuelle – c’est-à-dire la valeur actuelle des flux d’utilité future attendue – correspondant à chaque situation : détention d’un bien ou de monnaie. C’est en comparant ces valeurs que chaque individu détermine sa stratégie dans l’échange, décide d’accepter ou de ne pas accepter la monnaie. Pour obtenir le résultat le plus simple d’acceptation de la monnaie dans l’échange – ce qui est le problème posé autrefois par Menger –, il suffit de raisonner dans un modèle à prix exogènes. Les biens sont alors supposés eux aussi indivisibles de telle sorte que les rapports d’échange sont nécessairement de un pour un. Dans Kiyotaki et Wright [1993], les conditions respectives d’existence des trois équilibres possibles – monétaire, troc et mixte – sont déterminées de façon précise. L’intuition est la suivante : un individu venant de produire et cherchant à obtenir un bien consommable par lui, décide d’accepter ou de refuser la monnaie en échange de son bien en comparant les coûts du troc et de l’échange monétaire. Dans le modèle de Kiyotaki et Wright, ce coût est lié au temps de prospection nécessaire pour obtenir le bien final, tous les agents étant supposés avoir le même taux de dépréciation du futur, r. Si ? est la probabilité moyenne (paramétrique) d’acceptation de la monnaie, un individu donné acceptera la monnaie avec la probabilité π = 0 si Π < x et π = 1 si Π > x. Chaque individu, étant par hypothèse obligé d’échanger pour pouvoir consommer, choisit le bien intermédiaire lui permettant d’obtenir le plus vite un bien utile pour lui, c’est-à-dire l’intermédiaire qui a le plus de chances d’être accepté par autrui. Le calcul fait intervenir de façon décisive une comparaison entre la probabilité x2 de pouvoir troquer et la probabilité Πx de pouvoir acheter ou vendre. La décision de chaque individu est de choisir π la probabilité d’acceptation de la monnaie qui maximise la valeur actuelle de l’utilité attendue. L’équilibre exige que π = Π. L’équilibre monétaire est obtenu pour π = Π = 1, tandis que l’équilibre de troc est défini par π = Π = 0. Un équilibre mixte existe pour π = Π = x, ce qui signifie que chaque individu accepte la monnaie avec une probabilité x. L’équilibre monétaire existe donc pour π > x. Si les individus savent que la monnaie est plus facilement acceptée que n’importe quel bien, ils privilégient tous une stratégie d’échange monétaire et l’équilibre obtenu est monétaire…
11Un résultat plus avancé est celui d’existence d’un équilibre monétaire avec prix endogènes (Trejos et Wright [1995]). Les biens sont, maintenant, supposés divisibles. L’utilité qu’ils procurent, identique pour tous les biens de la fraction x, est u ( q ), où q est la quantité du bien et u' > 0, u < 0. Leur production est instantanée et se fait selon une fonction de coût c ( q ) telle que c' > 0 et c > 0. Il existe, en outre, une valeur maximale q0 telle que u ( q0 ) = c ( q0 ) et une valeur q * telle que u' ( q * ) = c' ( q * ) [1]. Le troc est écarté par définition (cette hypothèse peut être relâchée sans dommage et elle simplifie la démonstration). Le raisonnement est le suivant. À la première étape, on recherche à quelle condition la monnaie est acceptée en prenant la quantité q de bien qui s’échange contre une unité de monnaie comme paramètre (le prix de la monnaie en bien est donc q et le prix monétaire d’un bien 1/ q ). En d’autres termes, on cherche à déterminer l’ensemble des prix positifs de la monnaie pour lesquels elle est acceptée.
12Dans le cas stationnaire (seul évoqué ici) où q ( t ) = q quel que soit ( t ), les
valeurs Vs et Vm représentant respectivement la valeur d’un détenteur de bien
(position vendeur) et celle d’un détenteur de monnaie (position acheteur) sont
respectivement :
L’expression Vm – Vs – c ( q ) représente l’avantage du vendeur : il devient acheteur mais a subi un coût de production pour pouvoir vendre. Les vendeurs acceptent la monnaie si Vm – c ( q ) – Vs > 0, c’est-à-dire si ( 1 – M ) u ( q ) > ( 1 + r – M ) c ( q ).
13Cette condition étant supposée satisfaite, on recherche à quel niveau s’établit le prix de la monnaie en recourant à une négociation bilatérale se tenant lors de chaque rencontre. La solution est celle d’un bargaining à la Nash. L’avantage de l’acheteur est Vs + u ( q ) – Vm – l’acheteur devient vendeur à son tour mais gagne l’utilité du bien consommé – où Vm et Vs sont respectivement les valeurs attribuées à la détention de monnaie (position acheteur) ou de bien (position vendeur). Vm et Vs sont des fonctions de q. La solution de Nash de cette négociation est q tel que q = argmax { Vm – c ( Q ) } { Vs + u ( Q ) } à condition que le vendeur et l’acheteur aient un avantage non négatif. Q désigne ici la valeur de q correspondant aux valeurs Vm et Vs qui servent de paramètres au problème de bargaining. En d’autres termes, pour une certaine valeur de Q, Vm et Vs sont tels que la solution de la négociation est q.
14La dernière étape du raisonnement consiste à vérifier la compatibilité mutuelle des deux étapes précédentes : le résultat de la négociation bilatérale, non contrainte par l’acceptation de la monnaie, est-il compatible avec le caractère monétaire de l’économie. Un équilibre existe si Q, paramètre du bargaining de Nash, est tel que q = Q. On montre qu’un tel équilibre monétaire existe avec un prix endogène ^ q, compris entre 0 et q < q0. Ce prix satisfait simultanément la condition du bargaining et celle d’acceptation de la monnaie.
15En introduisant la possibilité de transactions à crédit, on offre aux agents la faculté de détenir des créances rapportant un intérêt positif tout en effectuant leurs transactions désirées. On peut montrer (Shi [1996]) qu’il existe alors un équilibre avec coexistence de la monnaie et du crédit, ce qui résout le problème de concurrence entre monnaie et actifs rentables – appelé parfois problème de Hicks.
16Enfin, contrairement à ce que pourrait faire croire la condition ? > x posée plus haut, la présence de la monnaie à l’équilibre n’est pas toujours une réponse à un problème de double coïncidence des besoins. Elle peut se justifier également comme remède à l’existence d’une information privée sur la qualité des biens. Dans une économie où l’on peut produire des biens selon deux qualités différentes (et à des coûts différents) que les autres ne peuvent reconnaître qu’avec une probabilité inférieure à 1, la monnaie, parce qu’elle est reconnue par tout le monde pour ce qu’elle est, peut se révéler être le moyen de transaction préféré à l’équilibre (Williamson et Wright [1994]). Il apparaît alors que l’obtention de monnaie est une condition préalable pour opérer sur les marchés, ce qui rappelle la condition de cash-in-advance proposée par Clower qui se trouverait ainsi endogénéisée.
17Ainsi, les modèles de prospection donnent des réponses précises aux questions laissées sans réponse par les modèles traditionnels d’équilibre général, qu’ils soient de type Arrow-Debreu ou à générations imbriquées. Ceci constitue l’apport le plus évident de cette approche. Jusqu’à quel point cet apport est-il décisif ?
18Deux séries d’interrogations sont appelées par cette avancée théorique incontestable :
- l’obtention d’équilibres monétaires dans les modèles de prospection a-t-elle permis une meilleure interprétation de la monnaie, de ce qu’elle est et des raisons de son existence ?
- les questions auxquelles la théorie de la prospection apportent des réponses sont-elles les bonnes questions, c’est-à-dire celles dont la solution éclairerait le rôle de la monnaie dans une économie de marché, de la façon dont elle intervient dans la formation des prix et, plus généralement, dans la coordination des actions individuelles ?
19Les développements qui suivent tentent de répondre à ces deux types d’interrogations.
PROSPECTION ET THÉORIE DE LA MONNAIE
20Ce qui explique la capacité des modèles de prospection à produire des équilibres monétaires sous diverses hypothèses est moins la technique de modélisation adoptée – horizon infini, équations de Bellman, etc. – que le fait de considérer la monnaie avant tout comme un intermédiaire des échanges et non comme une réserve de valeur. Contrairement aux espoirs nés de l’application à la monnaie des modèles à générations imbriquées dans les années 1980, le fait que la monnaie puisse être réserve de valeur ne nous apprend rien sur son rôle spécifique dans les échanges et donc sur son rôle dans la détermination des prix. En modélisant la monnaie comme une technique de réalisation des transactions, l’approche de prospection oriente la recherche dans une direction nouvelle [1]. Cette orientation conduit-elle véritablement à un renouvellement de la théorie de la monnaie ? On peut en douter à considérer le résultat le mieux établi de l’approche de la prospection, à savoir que l’existence de la monnaie repose sur un bootstrap effect. Ce résultat apparaît aussi bien chez Iwai [1988,1996] – chacun des biens est susceptible d’être retenu comme intermédiaire exclusif à l’équilibre selon une logique de prophétie auto-réalisatrice – que dans les modèles à la Wright : la monnaie est acceptée parce que l’on pense que les autres vont l’accepter. Que les attentes des agents soient fondées sur les propriétés intrinsèques d’une marchandise particulière (fongibilité, transportabilité, inaltérabilité) invoquées depuis Aristote au moins, et la théorie « réaliste » de la monnaie s’en trouve justifiée. Que ces attentes, au contraire, s’appuient sur l’existence d’un pouvoir juridique ou politique, et c’est la théorie « nominaliste » qui s’en trouve confortée [1]. Dans les deux cas, ce sont des éléments extrinsèques qui sont décisifs pour la compréhension de la monnaie. Si la monnaie relève bien d’un bootstrap effect, la théorie économique laisse alors en dehors d’elle l’essentiel, à savoir la ou les raisons pour lesquelles un objet a été choisi comme intermédiaire exclusif des échanges. Ne demeure que l’argument formel : à l’équilibre, chacun choisit la monnaie parce que tous les autres l’ont choisie. En d’autres termes, l’avènement des modèles de prospection ne met pas fin à la querelle séculaire entre les deux grandes conceptions opposées de la monnaie (Goodhart [1998]) [2].
21Un point de vue optimiste serait de soutenir que là réside précisément l’avancée réalisée. En dépassant des conceptions anciennes et insuffisamment élaborées, l’approche par la prospection permettrait de mettre l’accent sur l’essence même de la monnaie, à savoir son caractère conventionnel, au sens où Keynes l’entend à propos du niveau du taux de l’intérêt : « its actual value is largely governed by the prevailing view as to what its value is expected to be » ( General Theory, p. 203). Une autre façon de dire la même chose serait de remarquer que le bootstrap effect est spécifique à la monnaie à cause de la causalité circulaire qu’il implique : l’intermédiaire des échanges est tel parce qu’il permet un coût de transaction inférieur à tout autre moyen et il a un coût de transaction inférieur parce qu’il est l’intermédiaire des échanges. Cet argument est intéressant dans la mesure où il viendrait justifier l’idée de la monnaie réalité purement sociale (non directement liée aux fondamentaux) par différence avec les biens dont les prix dépendraient, eux, de ces fondamentaux. Toutefois, il ne semble pas que cet argument soit recevable. Plus exactement, tout en faisant apparaître que l’information nécessaire au choix de l’organisation des échanges, monétaire ou non, diffère radicalement de celle requise pour la détermination du prix des biens, il détourne du point essentiel, à savoir que le choix entre troc et monnaie ne peut être élucidé dans le cadre des modèles concurrentiels de coordination à l’équilibre, ce que montre bien la multiplicité d’équilibres ordonnables en termes de bien-être.
22Voyons d’abord la question de la prophétie auto-réalisatrice. Dans tout modèle avec anticipations, que l’économie soit monétaire ou non, le full equilibrium requiert que les anticipations soient confirmées. Il n’y a rien là de spécifique à la monnaie. Lorsque la monnaie est présente à l’équilibre, l’anticipation des individus est nécessairement que la monnaie est acceptée de la même façon que le vecteur de l’allocation de n’importe quel individu doit être, à l’équilibre, celui qui a été anticipé. Dire que la monnaie est acceptée parce que les agents pensent qu’elle va l’être n’est qu’une façon figurée d’énoncer qu’il existe un équilibre monétaire. En ce sens, la monnaie n’est pas davantage une pure réalité sociale que n’importe quelle caractéristique de l’économie, les prix, par exemple.
23Insistons maintenant sur la multiplicité. L’équilibre monétaire, dans les modèles de base de Iwai [1988] ou Kiyotaki et Wright [1993], n’est que l’un des équilibres possibles : troc, mixte et monétaire. Ces équilibres sont ordonnés en termes de bien-être. Kiyotaki et Wright le rappellent : « Thus, given the initial endowment of money and real commodities, all agents are at least weakly better off if money is acceptable than if it is not, and all agents are strictly better off if money is universally acceptable than if it is only partially acceptable. » ([1993], p. 69.) Un problème de sélection se pose. Plus précisément, la difficulté est du type défaut de coordination et non défaut de coopération. Quand l’équilibre obtenu est inférieur à la situation qu’un planificateur bienveillant et omnipotent permettrait d’atteindre – cas des biens collectifs –, le théoricien peut trouver un moyen de remédier à ce qui est un défaut de coopération – en mettant en place une procédure politique de production des biens publics. On pourrait suggérer de même, au cas où l’équilibre unique de troc ne serait pas optimal, qu’une monnaie soit instituée par l’autorité bienveillante de telle sorte que l’équilibre monétaire, désormais le seul possible, soit optimal. Ce n’est pas ce problème que soulèvent les modèles de prospection. Ici, ce n’est pas la sous-optimalité d’un équilibre unique de marché qui est un problème mais plutôt la difficulté de l’économie à se coordonner sur l’un ou l’autre de ses équilibres multiples. Le modèle ne contient en lui-même aucun élément susceptible de déterminer quel est celui des équilibres qui va prévaloir. L’équilibre obtenu dépend seulement des grandeurs paramétriques (les fréquentations attendues des divers lieux d’échange chez Iwai ou la probabilité d’acceptation de la monnaie chez Kiyotaki et Wright). Or, ces grandeurs sont parfaitement arbitraires : si ? est égal à 1, l’équilibre sera monétaire, mixte si ? vaut x et de troc si ? est égal à 0. Le fait que ces équilibres soient hiérarchisés ne fait que rendre la question plus cruciale.
24La présence d’un défaut de coordination [1] dans un modèle d’économie monétaire suggère au moins deux remarques : (i) il est nécessaire de faire appel à un élément extrinsèque, relatif aux paramètres du modèle, pour justifier que l’équilibre monétaire soit sélectionné; on retrouve alors l’opposition entre « réalistes » et « nominalistes » et l’importance des arguments autres que purement formels qui ne semblent pouvoir être exclus ; (ii) il semble un peu paradoxal que l’intégration de la monnaie, dont on pourrait penser qu’elle éclaire la façon dont se coordonnent les individus au marché, aboutisse à faire apparaître un défaut de coordination dans le choix même de la façon dont les agents se coordonnent ! Ce point suggère que la question de la monnaie n’est pas traitée sur le même plan que la détermination des prix des biens et que, sans doute, elle ne peut pas l’être.
25Résumons. L’existence d’un équilibre avec monnaie comme intermédiaire des échanges est un résultat remarquable. Mais l’obtention de ce résultat laisse intacte la question de la « nature de la monnaie », c’est-à-dire des circonstances qui expliquent pourquoi les individus acceptent d’utiliser un moyen d’échange impropre à toute activité de consommation ou de production. En outre, en dépit de la solution obtenue à la question posée, la façon dont les individus sont censés se coordonner au marché demeure non élucidée, alors même que la monnaie est considérée ici comme une forme possible de l’organisation des transactions. On doit alors se demander si, plus que la réponse, ce n’est pas la question elle-même qui est insatisfaisante. La question de la monnaie ne paraît pas pouvoir être réduite à celle de savoir si un bien dépourvu d’usage de consommation ou de production peut avoir un prix positif à l’équilibre concurrentiel grâce à son utilisation comme intermédiaire dans les échanges.
26Il est utile de noter ici que la logique adoptée par les modèles de prospection diffère sensiblement de celle des modèles standard en concurrence parfaite. Dans les modèles de prospection, les quantités paramétriques à partir desquelles les individus font leurs calculs concernent les comportements d’autrui (fréquentation des n ( n ? 1 ) /2 marchés chez Iwai [1988] ou probabilité ? d’acceptation de la monnaie chez Kiyotaki et Wright [1993] et non les prix affichés au marché. En d’autres termes, les modèles attribuent aux agents une information de nature très différente de celle qui est couramment admise en équilibre général concurrentiel [1].
27À l’origine de cette situation est la particularité bien connue de la monnaie dans la problématique de l’équilibre général. Son prix ne joue pas le même rôle que le prix des biens. Dans le cas des biens, les prix déterminent dans quelle mesure ils sont demandés et utilisés. Dans le cas de la monnaie, c’est le choix de son utilisation qui lui confère un prix positif. Si le prix de la monnaie est nul, elle ne peut servir ni d’expression des prix, ni d’intermédiaire des échanges, ni de réserve de valeur : en conséquence, sa demande excédentaire est négative. Là est l’origine des difficultés de mise en évidence d’équilibres monétaires (Hahn [1965]). En montrant que dans une économie monétaire (au sens où la monnaie est susceptible d’avoir un prix positif) il existe toujours un équilibre de troc (dans le cas où la monnaie a un prix nul), F. Hahn ne fait pas autre chose qu’affirmer la nécessaire multiplicité des équilibres d’une économie dans laquelle la technique de transaction est susceptible d’un choix. La spécificité du problème que pose le choix du mode d’organisation des transactions apparaît dans la multiplicité des équilibres. Il existe plusieurs organisations susceptibles d’être soutenues par un équilibre. Cela est vrai pour les modèles de prospection comme pour d’autres approches [2]. La raison profonde pour cela est que la technique de transaction n’est pas véritablement l’objet d’un choix individuel mais d’un choix collectif. Alors qu’il n’est pas déraisonnable de supposer qu’un individu puisse déterminer son allocation préférée sur la base de la connaissance des seuls prix paramétriques sans s’inquiéter de ce que font les autres individus – c’est la définition même de la concurrence parfaite – il paraît sans objet de supposer qu’un individu puisse choisir un mode particulier d’organisation des transactions sans se préoccuper des actions d’autrui. Le choix entre monnaie et troc, à supposer qu’il existe, ne peut être que collectif. Le prix paramétrique de la monnaie (ou sa probabilité d’acceptation, ce qui revient au même) n’est pas sur le même plan que les prix paramétriques des biens. Il véhicule une information sur ce que fait autrui, à la différence des seconds.
28Telle est, semble-t-il, la signification la plus claire de la différence remarquée depuis longtemps entre les rôles respectifs du prix de la monnaie et de celui des biens [1].
29Il se confirme donc que la monnaie ne relève pas de la problématique construite pour les biens et que ce n’est sans doute pas une bonne stratégie de recherche que de tenter d’étendre à la monnaie les raisonnements élaborés pour les marchandises. Avant le développement des modèles de prospection, il était possible de penser que les impasses de la théorie monétaire tenaient à une élaboration insuffisante de l’analyse et que les progrès à venir permettraient de surmonter les difficultés. Grâce aux modèles de prospection, il est possible de comprendre que c’est la stratégie de recherche elle-même qui est à revoir.
30Un dernier point doit encore être évoqué à propos de la « nature de la monnaie », celui de sa quantité. Il est d’un usage commun de considérer cette quantité comme exogène. Ceci n’est d’ailleurs possible qu’en excluant que la monnaie puisse être produite de façon privée, ce que font les modèles de prospection. La neutralité de la monnaie, résultat usuel des modèles standard, rend de toute façon secondaires les débats concernant sa quantité, à ce niveau d’abstraction.
31Une telle position ne peut être soutenue dans les modèles de prospection, notamment ceux utilisant un formalisme à la Wright. La monnaie y est à la fois exogène et non neutre. Il ne s’agit d’ailleurs pas de monnaie nominale à proprement parler. En raison de leurs hypothèses sur les capacités limitées de stockage des agents, faire varier la quantité de monnaie, c’est-à-dire la proportion d’individus détenant une unité de monnaie, c’est faire varier les quantités des biens susceptibles d’être produites et les capacités d’achat d’une fraction des agents. C’est d’ailleurs ce qui explique qu’une quantité optimale de monnaie puisse être déterminée [1]. Pour de faibles montants de monnaie, un accroissement de sa quantité améliore le bien-être (somme des valeurs des individus), car l’effet négatif lié à la moindre quantité de biens est plus que compensé par l’efficacité accrue des transactions. Pour des montants plus importants les deux effets changent d’importance relative et le bien-être décroît avec l’augmentation de M. Il existe donc une quantité optimale M* pour laquelle le bien-être est maximal [2]. À défaut de pouvoir envisager une procédure pour déterminer M de façon endogène, il faut soit se résigner à accepter que la monnaie « tombe du ciel » et ne peut faire l’objet d’une décision quelconque, soit introduire un agent spécial chargé de fixer la quantité de monnaie à sa valeur optimale. Dans le premier cas, les modèles laissent complètement de côté les questions de politique monétaire, ce qui est sans doute peu acceptable. Dans le second, on ne peut éviter de rattacher la monnaie à une instance régulatrice dont l’expression la plus immédiate est l’État ou la Banque centrale, ce qui nous ramène aux éléments extrinsèques dont la théorie devrait idéalement nous affranchir pour faire de la monnaie le résultat d’une pure logique de choix privés [3].
32Au terme de cette première série de réflexions, il semble bien que, en dépit (ou à cause) des réponses positives à la plupart des défis évoqués par Martin Hellwig, l’approche en termes de prospection n’ait pas réussi à élucider les questions essentielles soulevées par la monnaie, à savoir sa présence dans une économie concurrentielle et son rôle dans la détermination des prix. Ce qu’elle a permis d’obtenir est plutôt les conditions de son acceptation dans une économie où les individus ont une information mutuelle complète sur leurs comportements respectifs et où les prix se déterminent par des négociations bilatérales. Or, ces conditions, au demeurant insuffisantes comme on a vu pour comprendre comment les agents choisissent d’organiser leurs transactions sous forme monétaire, semblent fort éloignées de celles, typiques, d’une économie de marché décentralisée.
MODÈLES MONÉTAIRES DE PROSPECTION ET THÉORIE DE L’ÉCONOMIE DE MARCHÉ
33L’apport des modèles de prospection tient à ce qu’ils intègrent la technique de transaction parmi les fondamentaux de l’économie. Les hypothèses adoptées ont toutefois fait l’objet des critiques les plus vives de théoriciens qui, eux aussi, se sont montrés sensibles à cette lacune grave de la théorie standard de l’équilibre général. Clower et Howitt [1997], par exemple, considèrent notamment que : « The most fundamental defect of the search-theoric account (…) is the assumption of random pair matching » (p. 193). Ce qui revient à passer sous silence que dans les économies du monde réel les transactions sont organisées « by a network of markets that are created and operated by business firms : wholesalers, retailers, brokers, jobbers, manufacturers, accountants, doctors, interior decorators, shopping malls, jewellers, banks, commodity exchanges, auction-houses, employment agencies, mail-order business, newspapers publishers and so forth, that find it profitable to organize markets in such a way as to make trading relatively convenient and inexpensive for others » (p. 194). Pour intéressante que soit cette critique, ce n’est pas elle qui sera privilégiée ici. La critique essentielle qu’appellent les modèles de prospection est, en effet, moins un manque de réalisme qu’un défaut de logique. Si la technique de transaction retenue parmi l’ensemble des possibles – cet ensemble étant ici le troc ou la monnaie – ne peut être déterminée qu’à l’équilibre, on devrait se demander selon quel mode de coordination s’effectue le choix de la technique de coordination. Dans les modèles de prospection, monnaie et troc sont pensés comme deux états plutôt que comme deux modes de coordination. Monnaie et troc y représentent deux équilibres distincts et non pas deux processus différents d’atteinte d’un équilibre. C’est cette façon de poser la question de la monnaie qui est insatisfaisante et qui rend si illusoire sa solution [1].
34Il faut bien reconnaître que la question de la monnaie diffère de celle de la détermination des prix en ce que la première – qui est relative aux règles du jeu – est logiquement antérieure à la seconde – qui est relative aux résultats du jeu. Le choix d’un moyen ou d’une organisation des transactions revient à adopter certaines règles que les individus doivent suivre pour exprimer leurs demandes excédentaires ou leurs transactions désirées. Les fonctions de demandes excédentaires individuelles ne sont pas identiques dans une économie soumise à une contrainte d’encaisses préalables et dans une économie walrassienne. Il ne paraît ni raisonnable ni souhaitable de prétendre déterminer simultanément les demandes excédentaires et les conditions sous lesquelles elles se calculent. C’est parce que les modèles de prospection ont plus ou moins implicitement cette ambition qu’ils rencontrent les difficultés mentionnées précédemment. C’est un petit peu comme si on se demandait si le choix entre économie de marché et économie planifiée devait se faire à travers une procédure centralisée ou décentralisée. Le fait que l’équilibre de l’économie de marché soit, par exemple, supérieur en termes de bien-être à celui de l’économie planifiée ne constitue pas une explication des modalités par lesquelles l’économie considérée est devenue une économie de marché. On retrouve ici la question du défaut de coordination.
35On ne peut choisir démocratiquement de vivre en démocratie. Le faire reviendrait simplement à constater que l’on est déjà en démocratie. On peut, en revanche, choisir démocratiquement selon quelles règles seront organisées les diverses institutions d’un régime démocratique. De même, le choix d’un instrument de paiement ou d’une organisation particulière des transactions ne peut être formulé que si ont été précisées au préalable les formes dans lesquelles ce choix est possible. Dès lors, le problème que doit résoudre la théorie de la monnaie n’est pas de montrer que la monnaie est une propriété possible d’une économie se coordonnant à l’équilibre mais plutôt de s’interroger sur l’existence, l’unicité et la stabilité de l’équilibre général dans une économie organisée de façon monétaire. Cela revient à distinguer soigneusement les deux étapes logiques qui sont amalgamées à tort dans les modèles de prospection : (i) l’établissement de règles générales de coordination entre les individus, (ii) le fonctionnement effectif d’une économie fonctionnant selon ces règles [1]. L’établissement de règles générales de coordination – l’étape (i) – ne relève pas de la même procédure que l’étape (ii) – détermination des prix – qui suppose ces règles déjà établies.
36La définition usuelle des individus dans la théorie économique moderne (à savoir, dotation initiale et préférences, toutes deux présupposant l’espace des biens) ne dit rien sur la façon dont ils se coordonnent. Les échecs relatifs en matière de théorie de la monnaie suggèrent fortement que cette définition ne permet pas de faire apparaître la monnaie comme un résultat des décisions individuelles, pas plus d’ailleurs que n’importe quel autre mode de coordination. C’est pourquoi, dans la théorie standard de l’équilibre général, on ajoute aux individus deux hypothèses institutionnelles : l’affichage des prix paramétriques et la loi de l’offre et de la demande (tâches accomplies par le secrétaire de marché). Les deux résultats majeurs de cette théorie – l’existence et d’un équilibre général et son caractère optimal – sont obtenus sans que référence soit faite à la monnaie. Mais c’est également l’absence de la monnaie qui est responsable des limites intrinsèques de cette théorie dans sa capacité à représenter une économie de marché décentralisé.
37Le choix de la monnaie – à cause de sa dimension collective – ne se laisse pas modéliser dans le cadre standard. La présence de la monnaie, comme la loi de l’offre et de la demande dans la théorie standard, relève d’une hypothèse institutionnelle. En un sens, elle est alternative à cette dernière (Benetti et Cartelier [2000]). Comme cette dernière, elle précise un mode d’organisation particulier des individus dont il serait contradictoire qu’il puisse être l’objet d’un choix délibéré des individus. La possibilité et les modalités mêmes des choix individuels reposent sur un type d’organisation collective. Les choix individuels ne se font pas selon les mêmes procédures dans une économie monétaire et dans une économie de troc. Clower [1967] et Tsiang [1966] semblent en vain avoir attiré notre attention sur ce point [2]. Une autre façon de dire la même chose est de reconnaître que la théorie standard de l’équilibre général, parce qu’elle n’explicite pas les relations d’échange, doit nécessairement être complétée. Elle peut l’être de différentes manières : la tenue centralisée de comptes individuels évoquée mais non formalisée par Debreu [1966] [1], des procédures plus ou moins décentralisées de rencontres et d’échange étudiées par Ostroy et Starr [1974], une contrainte cash-in-advance à la Clower [1967], etc. Dire que le modèle Arrow-Debreu doit être complété signifie clairement que ce qui lui manque ne peut être obtenu de façon endogène et doit faire l’objet d’une hypothèse supplémentaire. Le troc comme la monnaie sont, de ce point de vue, deux hypothèses concurrentes et mutuellement exclusives. Ce ne sont pas deux équilibres possibles d’un modèle unique.
38Si ce qui précède est correct, les modèles de prospection apparaissent être un compromis insuffisant entre, d’une part, le modèle standard vide de toute hypothèse sur l’organisation des échanges et, d’autre part, un modèle qui expliciterait complètement le fonctionnement d’une économie monétaire. En ajoutant les techniques alternatives de transaction au modèle de base, les modèles de prospection permettent bien de répondre à des questions intelligibles dans ce modèle – qui sont pour l’essentiel les questions non résolues évoquées par Martin Hellwig – mais ne parviennent pas à surmonter la faille logique consistant à soumettre à une procédure de marché – réduite en fait à l’équilibre – le choix entre deux procédures de marché.
39L’examen critique des modèles de prospection débouche sur la reconnaissance de ce que les modalités des transactions et des rencontres entre agents font partie des hypothèses du modèle et non de leurs conclusions. À cet égard, l’hypothèse de cash-in-advance est parfaitement légitime dans son principe et on ne saurait lui opposer valablement le fait qu’elle n’est pas déduite d’un modèle et que la monnaie n’y est pas endogène. La question est plutôt de savoir en quoi une telle hypothèse est fructueuse, en quoi elle aide à comprendre le fonctionnement d’une économie de marché.
LE PARADOXE DES MODÈLES DE PROSPECTION
40Une des limites les plus inacceptables de la théorie standard de l’équilibre général est apparue relativement récemment, à savoir l’incapacité de rendre compte des situations de déséquilibre. Les seules actions individuelles effectives susceptibles d’être décrites sont celles qui sont soumises à l’existence d’un accord unanime. Une telle propriété paraît incompatible avec l’idée que tout un chacun se fait de l’économie de marché. Les modèles de prospection n’échappent pas à cette limitation. Par construction, ces modèles peuvent établir la possibilité d’existence de la monnaie – ce qui est en soi un remarquable résultat – mais en excluant une propriété essentielle de la monnaie, à savoir rendre concevables les situations en dehors de l’équilibre. Au paradoxe de la théorie de l’équilibre général standard qui prétend décrire une économie de marché mais qui évacue les échanges effectifs de son domaine, les modèles de prospection substituent un autre paradoxe, celui de rendre compte de la monnaie en s’interdisant de l’utiliser pour décrire la situation spontanée la plus naturelle d’une économie de marché, le déséquilibre. La monnaie, au lieu d’être considérée pour ce qu’elle est, à savoir un mode de coordination décentralisée s’opposant à la coordination centralisée par l’équilibre, y est réduite à n’être qu’une propriété de l’un des multiples équilibres possibles de l’économie.
41La démarche visant à donner toute sa place à l’activité d’échange, qui fait tout l’intérêt des modèles de prospection, est stérilisée par l’intérêt exclusif porté aux situations d’équilibre. Le souci de déterminer les grandeurs d’équilibre est certes légitime puisqu’une telle situation a des propriétés particulières (aucun individu n’a intérêt à modifier son comportement si personne d’autre ne le fait) qui en font un point de référence. Mais une telle préoccupation ne devrait pas interdire de considérer que l’équilibre est le résultat d’un mode de coordination et non la coordination elle-même. Mettre fin à la dichotomie entre détermination des prix et réalisation des transactions requiert d’aller un peu plus loin que les modèles de prospection.
EN GUISE DE CONCLUSION
42L’organisation des confrontations entre les diverses actions des individus peut prendre différentes formes, dont deux retiennent généralement l’attention : la rencontre bilatérale et le marché. La première semble impliquer une négociation ( bargaining ), tandis que la seconde requiert une centralisation de l’information : agrégation des plans individuels, fixation d’un prix selon une règle préétablie, etc. Le marché est, par construction, associé à un moyen de paiement, à la différence de la rencontre bilatérale. Le marché d’un bien i centralise l’ensemble des opérations concernant le bien i contre le moyen de transaction accepté. Ce peut être le bien j, auquel cas le marché du bien j contre le bien i ne se distingue pas du marché du bien i contre le bien j. Ce peut être également le marché du bien i contre la monnaie. Ce n’est que dans ce dernier cas que toutes les opérations concernant le bien i sont traitées sur un seul marché. Il en résulte que ce n’est que dans ce type d’économie de marché que les prix peuvent être cohérents en dépit de la décentralisation des décisions individuelles. Autrement, rien ne garantit que le prix du bien i en bien j, le prix du bien j en bien k et le prix du bien k en bien i sont cohérents, sauf à considérer, à l’instar de la théorie standard de l’équilibre général, qu’une institution centralisatrice affiche les prix et coordonne les transactions.
43L’idée même du marché contient celle de centralisation partielle et d’agrégation des actions individuelles portant sur un bien particulier. Elle s’accompagne de l’affirmation d’une décentralisation par marchés. Chaque marché a un fonctionnement indépendant des autres. L’interdépendance concerne essentiellement les actions qu’y exécute chaque individu rationnel qui prend en compte la situation de l’ensemble des marchés. Ces actions sont-elles révocables ou irrévocables ? En d’autres termes, les agents ont-ils la possibilité de réviser leurs actions avant que les grandeurs de marché soient déterminées ? Dans l’affirmative, le marché devient un lieu de négociation. Dans le cas de rencontres bilatérales, ceci est assez naturel, l’image de l’économie de marché est celle qu’en donne le modèle de Feldman [1973]. La monnaie ne peut y être choisie de façon endogène mais, si elle existe, elle assure que toutes les transactions mutuellement avantageuses finissent par être réalisées. Une telle interprétation s’étend difficilement au cas de marchés organisés. Elle conduirait rapidement à une nécessaire centralisation de la règle de l’offre et de la demande (Benetti et Cartelier [2000]).
44C’est donc plutôt l’hypothèse d’irrévocabilité qui est en accord avec l’idée commune de l’économie de marché. Elle est d’ailleurs fortement suggérée par le fait que les actions individuelles prennent la forme d’une dépense effective de moyen de paiement et non une simple intention de demande notionnelle. L’introduction de l’hypothèse monétaire semble conforme à l’idée commune d’économie de marché mais elle conduit à des changements importants dans la représentation proposée par la théorie standard. L’introduction de la réalisation des transactions, et donc des moyens de paiement, dans la théorie des prix la bouleverse plus profondément que ne le laissent croire les modèles de prospection. Dans ce cas, en effet, restreindre l’analyse aux seules situations d’équilibre est un non-sens. L’existence même de la monnaie, qui permet d’envisager le fonctionnement des marchés à partir de décisions irrévocables, conduit assez naturellement à choisir pour mode de détermination des prix la vénérable règle qui dit que, sur les marchés, « les prix s’y fixent par la proportion des denrées qu’on y expose en vente et de l’argent qu’on y offre pour les acheter », pour reprendre les termes de Cantillon ([1755], p. 7). Cette règle qui s’applique à l’équilibre comme hors de l’équilibre, c’est-à-dire quelles que soient les actions individuelles, est aujourd’hui utilisée par la théorie des jeux stratégiques de marché (Shubik [1990], Dubey [1994]). Elle permet également d’envisager autrement la relation entre monnaie et théorie des prix (Benetti et Cartelier [2000]).
Bibliographie
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Notes
-
[*]
Université Paris X-Nanterre, FORUM. jjcartel@ club-internet. fr Carlo Benetti m’a fait bénéficier de ses remarques critiques sur une première version de ce texte qui a été présenté à la Journée d’études consacrée aux modèles de prospection par le GDR Économie monétaire et financière, le 5 mai 1999 à la MSH de Paris. Une version remaniée de ce texte a fait l’objet de débats au cours d’un séminaire d’études organisé par l’Université de Cassino. Que les participants à ces débats, notamment Pascal Bridel et Patrick Villieu, trouvent ici l’expression de mes remerciements. J’ai également contracté une dette vis-à-vis des deux rapporteurs anonymes qui m’ont permis d’améliorer sensiblement le texte final. Les personnes mentionnées ne sont évidemment pas responsables des insuffisances de cette nouvelle version.
-
[1]
Voir également Burdett et al. [1995].
-
[1]
Rien n’interdit d’introduire explicitement une technique de transaction dans un modèle à générations imbriquées. Dans ce cas, la monnaie peut évidemment être traitée comme un intermédiaire des échanges. Un exemple est le modèle de Maeda [1991].
-
[1]
Une formalisation différente est adoptée par Iwai [1988,1996] qui suit la voie ouverte par Jones, Oh et quelques autres, consistant à s’interroger sur les fréquentations à l’équilibre des n ( n ? 1 ) /2 lieux d’échange existant dans une économie à n biens. Les modèles de cette famille présentent un grand intérêt mais leurs propriétés essentielles pour notre propos ne diffèrent pas sensiblement des modèles à la Wright qui semblent fournir actuellement le cadre le plus utilisé. C’est pourquoi il ne sera fait que de brèves allusions à ces modèles.
-
[2]
Un horizon fini est néanmoins parfaitement possible (Kulti [1995]).
-
[1]
Pour garantir que u ( q ) > c ( q ) pour des valeurs de q positives et inférieures à q0, on pose u ( 0 ) = c ( 0 ) = 0 et u ? ( q ) > c ? ( q ) = 0.
-
[1]
Il ne serait pas difficile de trouver nombre de précurseurs de l’idée que la monnaie est spécifiquement un intermédiaire des échanges. Smith, Wicksell, Menger, Schumpeter ou Hawtrey peuvent être tour à tour invoqués. Walras lui-même pourrait être rangé dans cette tradition puisque la spécificité des services d’approvisionnement en monnaie se réfère explicitement à l’organisation monétaire des transactions. Mais, à supposer qu’une telle tradition ait existé, force est de reconnaître qu’elle a été progressivement marginalisée au point que, comme on l’a rappelé plus haut, l’organisation des activités d’échange a été presque totalement exclue de la théorie moderne des prix.
-
[1]
Il existe des modèles dans lesquels les fondamentaux interviennent conjointement avec la logique auto-réalisatrice (Trejos et Wright [1999], par exemple).
-
[2]
Il convient de signaler toutefois une série de travaux intéressants établissant le rôle des transactions de l’État dans le choix du moyen de transactions. Signalons notamment l’article de Li et Wright [1998] dans lequel les auteurs montrent que l’État peut, s’il est de taille suffisante et s’il en choisit convenablement son attitude en la matière, sélectionner un équilibre monétaire unique, voire une trajectoire dynamique unique vers l’équilibre monétaire. On pourrait dire que le modèle de Li et Wright propose une rationalisation économique du point de vue de Knapp !
-
[1]
Une vue d’ensemble sur la question des défauts de coordination est donnée dans Colander [1996].
-
[1]
Cette particularité se rencontre également dans une autre catégorie de modèles prenant en considération les coûts de transactions dans la détermination des plans des agents. (Howitt [1985]) en est un exemple remarquable.
-
[2]
Ce serait le cas dans un modèle standard d’équilibre général auquel on ajouterait une technique de transaction fondée sur la notion de cash-in-advance, à ceci près que le bien intermédiaire serait a priori indéterminé. Chaque agent choisirait l’intermédiaire qui lui est le plus favorable, selon le critère de l’utilité recherchée en même temps qu’il déterminerait ses demandes excédentaires. Intuitivement, on saisit qu’il n’y a aucune raison que les individus puissent se coordonner sur un intermédiaire commun alors que, toujours intuitivement, pour un intermédiaire désigné au préalable, il existe en général un équilibre.
-
[1]
G. Myrdal [1950] écrivait que « l’utilité subjective de la monnaie est directement déterminée par sa valeur d’échange, tandis que pour tous les autres biens, c’est la proposition exactement inverse qui est valable » (p. 29).
-
[1]
Sur l’ensemble de cette question, voir Rocheteau [2000].
-
[2]
Dans le modèle de base de Kiyotaki et Wright [1993], il faut, pour cela que x soit inférieur à 1/2. De toutes façons, la monnaie est d’autant plus avantageuse à utiliser que x est petit.
-
[3]
Les relations entre monnaie interne et monnaie externe sont examinées dans Burdett et al. [1996].
-
[1]
Le fait de ne pouvoir raisonner qu’à l’équilibre n’est évidemment pas propre aux modèles de prospection. Cette limite est celle de toute la théorie économique actuelle, en l’absence de résultats robustes en ce qui concerne la stabilité globale de l’équilibre général et du calcul individuel en déséquilibre. Notons d’ailleurs que certains modèles de prospection font apparaître des résultats de stabilité sous certaines hypothèses (Li et Wright [1998]).
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[1]
Ces deux étapes logiques ne correspondent nullement aux points successifs traités dans les modèles de prospection, à savoir, acceptation de la monnaie avec prix exogènes, puis détermination des prix par négociation – et retour sur l’acceptation de la monnaie pour voir si les prix obtenus sont compatibles avec l’acceptation de la monnaie (Trejos et Wright [1995]).
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[2]
L’imposition d’une contrainte cash-in-advance est fort critiquée en raison de son exogénéité. Cette critique serait recevable si l’on pensait que l’adoption de la monnaie a bien été endogénéisée, notamment par les modèles de prospection. Un relatif scepticisme sur ce point, ce qui est la position adoptée dans cet article, commande d’être plus accueillant envers une démarche à la Clower qui a le mérite de déplacer un problème peut-être mal posé (comment fonctionne une économie monétaire ? plutôt que comment se fait-il que l’économie soit monétaire ?).
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[1]
« Aucune théorie de la monnaie n’est offerte ici et l’on suppose que l’économie fonctionne sans l’aide d’un bien servant de moyen d’échange. Ainsi le rôle des prix est le suivant. À chaque marchandise est associé un nombre réel, son prix. Quand un agent économique s’engage à prendre livraison d’une certaine quantité de marchandise, le produit de cette quantité par le prix de la marchandise est un nombre réel inscrit au débit de son compte. (…) Le solde de son compte (…) guide ses décisions. » (p. 32).