Notes
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[1]
De très nombreux ouvrages y ont été consacrés dans les années 2000. Pour ne mentionner que les plus récents réunissant des contributions de chercheurs européens, citons le numéro spécial de la revue Higher Education, “Transforming Universities in Europe”, publié en 2013 (Vol. 65, n° 1) ainsi que les travaux de Curaj et al., 2012; Neave, 2012; Dobbins, 2011.
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[2]
Le nom officiel du pays est République du Belarus.
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[3]
Si certaines des revues biélorusses spécialisées (Vysšejšaja škola, Narodnaja asveta, Adukacyja i vykhavanne, Nastaùnickaja gazeta) ont reflété une partie de ces débats dans les années 1990, leurs articles sont progressivement devenus de plus en plus descriptifs et prescriptifs, traduisant la position du gouvernement dans les années 2000. À partir de la deuxième moitié des années 2000, ce sont surtout les médias non-officiels (sites d’information Alma Mater, Naviny, Novaja Eùropa et autres), souvent liés à l’opposition politique et soutenus par des financements européens, qui permettent aux experts marginalisés par le système officiel et ayant une vision plus critique de l’enseignement biélorusse de s’exprimer.
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[4]
Président depuis 1994, réélu en 2001, 2006 et 2010, Loukachenko a instauré un régime politique autoritaire. Plusieurs ouvrages de chercheurs y ont été consacrés (Wilson, 2011; Bennett, 2011; Goujon, 2009; Lallemand & Symaniec, 2007).
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[5]
Il convient de préciser que cette perspective est largement dépassée dans l’analyse des politiques publiques des démocraties occidentales où s’est imposée la sociologie de l’action publique (Lascoume & Le Galès, 2012; Hassenteufel, 2011). Celle-ci prend en compte une grande diversité d’acteurs et de formes de mobilisation dans l’élaboration et l’application des politiques publiques. Cette approche pourrait être adoptée ultérieurement dans nos recherches à condition de prendre en compte les contraintes méthodologiques de son utilisation dans le cas des régimes politiques autoritaires (Artigas, 2010).
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[6]
Il s’agit du début d’un nouveau projet de recherche qui porte sur l’analyse comparative des réformes de l’enseignement supérieur dans les pays postsoviétiques. Des entretiens avec les acteurs clefs des réformes sont prévus en 2014-2015, ce qui nous permettra de compléter les sources et, aussi, de tester d’autres approches, notamment l’approche organisationnelle de l’enseignement supérieur développée, par exemple, par la sociologue française Christine Musselin (Musselin, 2005).
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[7]
Les thèses sur la massification puis sur l’universalisation de l’enseignement supérieur ont été initialement avancées par les spécialistes américains, en particulier Martin Trow (Trow, 1974; Trow, 2000).
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[8]
Le modèle « californien » en est le meilleur exemple avec une hiérarchisation en trois niveaux: les community colleges ouverts à tous et destinés à la formation professionnelle, les universités d’État polyvalentes, plus sélectives et aptes à mener des recherches dans un nombre de domaines limité, et les universités de niveau international axées sur la recherche, concentrant la majorité des financements, très sélectives et capables de s’imposer comme des leaders mondiaux (Douglass, 2000).
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[9]
En russe, vysšye učebnye zavedenija (Vuzy).
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[10]
Tous les établissements ne dépendaient pas du ministère de l’Enseignement: en fonction de leur spécialisation, ils étaient rattachés à tel ou tel ministère ou organe administratif (Frumin et al., 2013).
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[11]
Notons que, malgré la rhétorique égalitariste soviétique, le système d’enseignement supérieur était élitiste. Tous les EES organisaient des concours pour sélectionner les meilleurs étudiants; selon les résultats obtenus aux examens de fin d’études secondaires, les candidats devaient passer soit une seule épreuve soit plusieurs.
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[12]
En qualité de haut fonctionnaire du ministère de l’Enseignement, il a activement participé aux différents groupes de travail du début des années 1990 avant d’être nommé vice-ministre de l’Enseignement en 1994 puis recteur de l’Université d’État biélorusse (1996-2003). Après sa démission en 2003, il est devenu très critique à l’égard de la politique menée par le gouvernement.
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[13]
Données recueillies par l’auteur dans différentes publications de l’Agence bié-lorusse de la statistique (Belstat).
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[14]
Les EES privés sont majoritairement spécialisés en SHS. Ce type de formation est à la fois très demandé depuis l’indépendance et plus facile à créer car ne nécessitant pas d’investissements lourds en laboratoires et en équipements.
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[15]
À l’époque de l’Union soviétique, les universités proposaient des formations dans de nombreuses disciplines, tandis que les instituts avaient une spécialisation plus étroite (par exemple, Institut de médecine, Institut pédagogique, etc.).
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[16]
Soit des proportions similaires à celles de la Pologne. Cf. l’introduction de Ioana Cîrstocea, Dorota Dakowska et Carole Sigman à ce dossier thématique.
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[17]
Il existe également une troisième option – les cours du soir – mais elle n’attire que 0,2 % des étudiants.
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[18]
En 2011-2012, près de 2 000 étudiants étaient formés dans le cadre d’un tel contrat.
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[19]
L’Union républicaine biélorusse de la jeunesse (Belorusskij Respublikanskij Sojuz Molodeži, BRSM) a été officiellement créée en 2002 par la fusion de deux organisations de jeunesse, dont l’une fondée par le Président biélorusse en 1997.
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[20]
Ses détracteurs la baptisent « Loukamol » (association de « Loukachenko » et de « Komsomol »).
-
[21]
En effet, plus de la moitié des membres de la chambre basse du Parlement est issue de la « Rus’ blanche», tandis que la majorité des députés n’appartient à aucun parti politique.
-
[22]
Le principe de l’élection des recteurs des établissements publics, introduit par la loi de 1991, a été annulé en 2001 par le Décret présidentiel n° 645 qui comportait la liste des fonctions dirigeantes (kadrovyj reestr) dépendant directement du Président. Le recteur de la BGU n’était déjà plus élu depuis 1996. Quant aux recteurs des universités privées, c’est le 18 janvier 2008 qu’une Ordonnance du Conseil des ministres a chargé le ministère de l’Enseignement de leur nomination.
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[23]
Jusqu’en 2008, les universités organisaient la totalité des examens d’entrée. Depuis lors, il faut tenir compte des résultats du Test obligatoire centralisé, réalisé sous l’égide de l’Institut républicain du contrôle des connaissances (Respublikanskij Institut kontrolja znanij) rattaché au ministère de l’Enseignement. Tous les candi-dats ayant terminé leurs études secondaires générales peuvent passer les tests dans une matière obligatoire (langue russe ou biélorusse) et deux matières au choix (parmi 14 telles que les mathématiques, la physique, l’histoire, etc.) en fonction du profil d’études supérieures choisies. Les résultats de réponses au questionnaire (questions à choix multiples) donnent lieu à la délivrance d’un certificat valable un an. Les universités peuvent recruter les candidats sur les résultats des tests ou leur faire passer en plus l’examen dans la matière de spécialité.
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[24]
S’inspirant de différents travaux de leurs prédécesseurs, ils distinguent trois modèles – ‘‘the market-oriented model’’, “the state centered-model’’ et ‘‘the academic self-rule model’’ – en fonction de la gouvernance de l’enseignement supérieur qui comprend des modes de contrôle, de coordination et d’autonomie de trois niveaux: l’État, les enseignants-chercheurs, l’administration (“university management”) (Dobbins et al., 2011, pp. 669).
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[25]
Selon le sociologue français Ronan Hervouet (Hervouet, 2013), le Président biélorusse définit le modèle économique de son pays comme un « socialisme de marché », où l’État fort doit intervenir dans l’économie pour l’orienter « socialement » et permettre au « peuple travailleur » de bénéficier des richesses produites tout en évitant les dérives du capitalisme et l’enrichissement excessif d’une minorité. Le modèle repose sur l’idée de la reconnaissance simultanée de l’efficacité de la concurrence et de la nécessité d’une intervention permanente de l’État pour réguler tous les processus économiques et sociaux. Ainsi, le secteur privé est très réduit et l’économie est nationalisée à 80 % et administrée via des plans quinquennaux. La généralisation des CDD permet de s’assurer la loyauté de la main-d’œuvre qui, par ailleurs, peut être mobilisée gratuitement par l’État grâce au renouveau de la pratique soviétique des subbotniki (à l’origine une manifestation spontanée de l’enthousiasme des ouvriers communistes prêts à travailler gratuitement le samedi qui a été encouragée par les pouvoirs soviétiques dès 1920, puis s’est transformée progressivement en obligation étendue à l’ensemble des citoyens soviétiques de travailler périodiquement le samedi pour « contribuer à la construction du socialisme »).
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[26]
Par exemple, en 2012, sur les 72 000 diplômés, seuls 21 000 ont été soumis au système d’affectation.
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[27]
Différents exemples sont donnés dans l’étude réalisée en 2012 par le Centre de développement des initiatives étudiantes (Centr razvitija studenčeskikh iniciativ), une organisation indépendante dont les actions s’inspirent et sont soutenues par des associations étudiantes européennes.
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[28]
Selon le ministère du Travail, plus de 80 des postes vacants sont destinés à des ouvriers alors que la majorité écrasante des demandeurs d’emploi sont des diplômés de l’enseignement secondaire spécialisé et du supérieur.
-
[29]
Les mesures annoncées pour corriger le déséquilibre prévoient l’augmentation des places financées par l’État dans certaines spécialités déclarées prioritaires (en particulier les formations d’ingénieurs) et la suppression totale du financement public pour d’autres (droit, économie). Néanmoins, leur portée risque d’être très limitée puisque deux tiers des étudiants payent leurs études.
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[30]
Il s’agit du passage d’un système de production scientifique exclusivement guidé par les intérêts des chercheurs et universitaires vers un système de production de la connaissance cherchant à répondre aux questions posées par la société, conception développée par Gibbons et ses coauteurs (Gibbons et al., 1994).
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[31]
European Higher Education Area ou Espace européen de l’enseignement supérieur dont la création, en mars 2010, était l’un des principaux objectifs du processus de Bologne.
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[32]
Le Bologna Follow-Up Group, organe permanent composé de représentants des pays membres de l’EHEA, de la Commission européenne et d’autres institutions (Conseil de l’Europe, UNESCO/CEPES, EURASHE, etc.), qui assure le suivi du processus de Bologne entre la tenue des conférences ministérielles, s’est réuni les 18-19 janvier 2012 à Copenhague; il a jugé que la Biélorussie ne respectait pas tous les critères de l’EHEA et devait entreprendre des réformes supplémentaires avant de pouvoir déposer une nouvelle demande en vue de la Conférence ministérielle de 2015.
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[33]
L’ancien diplôme d’enseignement supérieur concluant cinq années d’études a été remplacé par celui de « specialist », d’une durée de quatre à cinq ans, qui donne la possibilité de travailler ou de poursuivre ses études pendant un ou deux ans afin d’obtenir le diplôme de « magistr ». En revanche, le troisième niveau garde sa spécificité héritée de l’époque soviétique avec l’école doctorale, « aspirantura », qui permet, après la soutenance, d’accéder au grade de « kandidat nauk ». Il doit être suivi par la soutenance d’une deuxième thèse d’État (l’équivalent d’une habilitation à diriger des recherches en France) pour obtenir le titre de « doktor nauk » considéré comme l’équivalent d’un PhD.
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[34]
Ce document décrit les savoirs et compétences acquis par les titulaires de diplômes de l’enseignement supérieur. Il contribue à une meilleure lisibilité des diplômes de l’enseignement supérieur, particulièrement hors des pays où ils sont délivrés.
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[35]
L’objectif des crédits ECTS est de favoriser la compréhension et la comparaison des programmes d’études des différents pays de l’UE et de faciliter les échanges. Les matières sont regroupées au sein des unités d’enseignement (UE) et à chaque UE correspond un nombre défini d’ESTC. Il faut obtenir 30 ECTS pour valider un semestre et 180 ECTS pour valider une Licence.
-
[36]
La Communauté des États indépendants (CEI) est une organisation de coopération régionale créée le 8 décembre 1991 par onze des quinze anciennes républiques soviétiques visant officiellement à préserver une partie des liens économiques, politiques et culturels qui les unissaient auparavant au sein de l’URSS. La Communauté économique eurasiatique (Evrazijskoe ekonomičeskoe soobščestvo, EvrAzES) est une organisation intergouvernementale de coopération formée en 2000 par la Russie, la Biélorussie, le Kazakhstan, le Tadjikistan et la Kirghizie, dans le cadre de laquelle ont été créés l’Union douanière (2010) et l’Espace économique commun (2012) réunissant la Russie, la Biélorussie et le Kazakhstan; le prolongement logique de ces initiatives serait d’aboutir en 2015 à la création de l’Union économique eurasiatique (Evrazijskij ekonomičeskij sojuz) censée être à terme un modèle concurrent à celui de l’UE.
-
[37]
Dans le secondaire, les effectifs ont déjà significativement chuté: de 1,5 million d’élèves en 2000 à 0,9 million en 2011.
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[38]
En 2011-2012, les Turkmènes représentaient plus de 50 % des étudiants étrangers, suivis par les Chinois (11 %), les Russes (10 %), les Azéris, les Nigériens, les Sri-lankais, les Iraniens et les Libanais (MO, 2013, p. 60).
-
[39]
L’idée de l’hégémonie américaine dans un système mondialisé d’enseignement supérieur est développée dans les travaux de Simon Marginson. Selon lui, ce système est hiérarchisé en fonction de normes et de comparaisons entre universités et pays et se définit en termes de centre/périphérie où les systèmes d’enseignement et de recherche nationaux sont plus au moins éloignés du centre (les États-Unis et le Royaume-Uni). À la semi-périphérie mondiale, se succèdent les systèmes des pays occidentaux développés; plus loin, les systèmes émergents et, à l’extérieur, les pays marginalisés dépourvus de capacités de recherche propres. Le système mondial se caractérise par une dissymétrie persistante des flux car l’essor de la mobilité internationale profite essentiellement au centre qui attire les meilleurs chercheurs et étudiants. Cette hégémonie universitaire vise à garder le contrôle de la production des connaissances et à favoriser le leadership technologique, économique, politique et culturel des États-Unis (Marginson, 2008).
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[40]
Le statut de « leader » est attribué sur la base d’une procédure d’évaluation et en fonction de plusieurs critères qui comportent entre autre le nombre d’étudiants, le nombre de spécialités des diplômes, le taux de professeurs, le nombre d’équipes et de laboratoires de recherches, etc. Il témoigne de l’importance et du prestige de l’établissement et donne lieu à l’obtention de financements publics plus importants. Par exemple, l’un des deux établissements leaders au niveau national, l’Université d’État biélorusse, prépare les programmes et les manuels (obligatoires ou recommandés par le ministère) pour d’autres universités dans de nombreuses disciplines, il mène également des recherches et des expertises pour le compte du gouvernement.
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[41]
Parmi les rares établissements de l’espace postsoviétique à figurer dans les grands classements internationaux, on compte l’Université d’État de Moscou et l’Académie des sciences de Russie.
-
[42]
Polyvalente et dotée d’infrastructures performantes, axée sur la production et la diffusion du savoir ainsi que sur la formation de personnes capables de parvenir au leadership technique et intellectuel, l’université de recherche est considérée comme l’institution fondamentale du XXIe siècle. Si de nombreux pays mettent l’accent sur la création d’universités de ce type (centre d’excellence, université de classe mondiale, etc.), peu de pays peuvent se le permettre car elles nécessitent de lourds investissements et restent en conséquence l’apanage des pays riches. La massification exerce d’énormes pressions pour garantir un accès plus équitable à l’enseignement supérieur, tandis que la création d’universités de recherche suppose des ressources considérables et la reconnaissance de leur rôle spécifique (Altbach, 2007).
-
[43]
La stratégie d’internationalisation partielle fut possible à l’époque soviétique dans le contexte géopolitique particulier de la guerre froide et de l’absence d’échanges avec les pays occidentaux du camp adverse.
1 Si les politiques publiques portant sur l’enseignement supérieur et leurs effets attirent l’attention des chercheurs en sciences humaines et sociales depuis plusieurs décennies dans les pays anglo-saxons, c’est seulement au cours des deux dernières décennies que leur analyse s’est sérieusement développée en Europe (Kehm & Musselin, 2013). Les réformes entreprises dans les pays européens dans le cadre du processus de Bologne à compter de 1999, suivies de la stratégie de Lisbonne, ont largement contribué au regain d’intérêt des chercheurs pour les évolutions du secteur académique [1].
2 Nous tenterons d’analyser ici les politiques de réforme de l’enseignement supérieur à travers l’étude du cas de la Biélorussie [2]. Il convient de noter le faible nombre de recherches consacrées au système d’enseignement biélorusse et à son devenir (Dunaev, 2013; Vetokhin, 2001, 2012; Mackevic et al., 2003) malgré les abondants débats relatifs aux réformes menées ou envisagées dans le pays [3]. La libéralisation du cadre législatif en 1991 a ouvert la voie à une diversification du système d’enseignement supérieur. Le désengagement financier de l’État en situation de crise économique et sociale s’est accompagné d’une certaine autonomisation des établissements publics dans la première moitié des années 1990. Cependant, cette évolution résultait moins d’une stratégie cherchant à mettre en place un nouveau système que d’un processus de transformation partielle de l’ancien système soviétique dans de nouvelles conditions politiques (indépendance du pays, disparition du Parti communiste), économiques (baisse notable des financements publics et introduction des études payantes) et sociales (forte demande pour de nouvelles formations). La nouvelle politique, élaborée après l’arrivée au pouvoir du Président Alexandre Loukachenko en 1994 [4], est d’ailleurs empreinte de profondes contradictions entre l’ambition initiale d’un modèle national préservant l’héritage soviétique et l’incorporation progressive des éléments du discours néolibéral visant la transformation du système d’enseignement supérieur de manière à ce qu’il soit rentable et utile pour l’économie biélorusse, mais ayant également pour but de mieux l’insérer dans le marché international des services éducatifs.
3 Notre travail s’inscrira essentiellement dans une perspective stato-centrée d’analyse des politiques publiques en se focalisant sur les décisions prises au niveau central [5]. Nous mettrons aussi l’accent sur les choix des dirigeants politiques biélorusses ainsi que sur l’évolution du discours officiel qui oriente et légitime leurs positions. Cette approche est tout d’abord motivée par la nature autoritaire du régime politique biélorusse, dans lequel les choix des dirigeants politiques jouent un rôle prépondérant, nonobstant le fait que d’autres types d’acteurs peuvent également avoir une influence sur la conception des politiques publiques. Celle-ci reste cependant difficile à saisir compte tenu de la nature des sources à notre disposition, telles que les documents officiels (lois, décrets, ordonnances, programmes gouvernementaux, rapports), les déclarations et interviews des principaux acteurs (Président, hauts dirigeants du ministère de l’Enseignement, experts nationaux et internationaux) publiées dans la presse, ainsi que les données statistiques [6].
4 Nous évoquerons dans un premier temps les tendances générales de l’évolution des systèmes d’enseignement supérieur, en particulier européens, ainsi que des éléments clefs du modèle soviétique. Puis nous analyserons l’évolution de la législation et du discours des dirigeants politiques biélorusses relatifs à ce secteur. Nous pourrons ainsi mieux comprendre en quoi celui-ci affiche sa continuité avec l’ancien système soviétique et en quoi il n’échappe pas pour autant aux tendances plus globales. Cette démarche revient à examiner les réponses apportées par les dirigeants politiques biélorusses aux deux défis majeurs que sont la massification et l’internationalisation de l’enseignement supérieur dans les conditions du désengagement financier de l’État.
1. – Les tendances internationales versus l’héritage soviétique
5 L’histoire de l’enseignement supérieur des dernières décennies est profondément marquée par sa massification; la Biélorussie connaît la même tendance bien qu’elle l’ait expérimentée tardivement, à la fin des années 1990. En Europe, ce phénomène s’est accéléré dans la deuxième moitié du XXe siècle et s’est traduit par le passage d’un système élitiste comptant peu d’universités – dont l’accès était réservé à une minorité – à des systèmes d’enseignement supérieur où, parallèlement à l’expansion des universités classiques, l’on a assisté à la création d’autres types d’établissements (instituts spécialisés, écoles de management, etc.) et à la généralisation de l’accès à l’enseignement supérieur. La massification répondait aux transformations des économies des pays industrialisés qui avaient besoin d’une main-d’œuvre plus qualifiée. S’y est jointe une redéfinition profonde des missions du système d’enseignement supérieur qui ne sert plus uniquement à la production et la transmission du savoir mais est censé fournir des compétences et des connaissances utiles dans la vie professionnelle, conformément aux mots d’ordre d’une « économie du savoir » et d’un « apprentissage tout au long de la vie » (Garcia, 2007) [7].
6 L’augmentation du nombre des étudiants et la diversification de leurs profils ont conduit à l’apparition de systèmes d’enseignement à géométrie variable, définis par des structures, des missions et des modes de financement hétérogènes. Dans le système américain, c’est la différentiation verticale des établissements qui l’emporte [8] tandis que, dans les pays européens, c’est la différenciation horizontale des divers types d’établissements qui domine, même si ces derniers subissent de plus en plus de pressions en faveur d’une différenciation verticale, notamment sous l’influence des classements internationaux (Teichler, 2002; Erkkilä, 2013). Pour accompagner la massification, plusieurs pays européens ont adopté des politiques similaires qui impliquent la modification du rôle de l’État, celui-ci transférant les compétences et responsabilités aux établissements d’enseignement supérieur afin de les rendre autonomes, la transformation des universités en organisations, le renforcement du rôle des « parties prenantes » (stakeholders) extérieures et internes, la privatisation et, enfin, l’internationalisation (Musselin, 2008, pp. 16-21).
7 Le système soviétique d’enseignement supérieur avait également enregistré une augmentation du nombre d’étudiants, passé de 800 000 dans les années 1950 à plus de 3 millions à la fin des années 1970, avant de subir une baisse au cours des années 1980. Cette croissance des effectifs a eu lieu sans hausse significative du nombre des établissements d’enseignement supérieur (EES) [9] (Frumin et al., 2013; Avrus, 2001). Les transformations du système engagées après la chute de l’URSS par certains États indépendants ont été une réponse tardive à la massification entamée pendant la période antérieure.
8 L’enseignement supérieur soviétique s’est en effet construit dans les années 1920-1930 tant pour répondre aux besoins idéologiques du régime communiste que pour contribuer à l’industrialisation de l’économie (Avis, 1987; Revenko, 1983; Avrus, 2001; Frumin et al., 2013). L’une de ses principales caractéristiques était l’instrumentalisation politique et idéologique de l’enseignement supérieur avec l’absence de libertés académiques (liberté de mener des recherches, de publier et d’enseigner sans restriction), l’impossibilité de toute critique sociale, la place réduite des sciences humaines et sociales subordonnées à l’idéologie marxiste-léniniste. Une autre spécificité résidait dans la séparation entre l’enseignement et la recherche. Cette dernière s’effectuait essentiellement au sein des instituts de l’Académie des sciences de l’URSS et son activité était axée sur les sciences dures et l’ingénierie (Vucinich, 1984). L’objectif principal de l’enseignement consistait à former des cadres dirigeants pour les entreprises et les différentes organisations de l’État soviétique (y compris le Parti communiste) en s’assurant de leur loyauté à l’égard du régime.
9 Il s’agissait d’un système centralisé et vertical où l’ensemble des EES dépendait entièrement de l’État. Il existait différents types d’établissements: en règle générale, les universités, dotées de plusieurs facultés, fournissaient l’essentiel des chercheurs et des enseignants du supérieur tandis que les instituts, souvent de spécialisation plus étroite, formaient les cadres, soit dans un secteur, soit pour une région en lien avec ses besoins socioéconomiques particuliers. Le Comité d’État à la planification (Gosplan) définissait les besoins en spécialistes pour les différents secteurs, lesquels étaient communiqués aux établissements via leurs organes de tutelle [10]. Le système d’affectation obligatoire (raspredelenie) des jeunes diplômés sur leur premier lieu de travail constituait le lien entre les EES et les entreprises d’État. Les établissements n’avaient aucune autonomie: les organes de tutelle, suivant les directives du Gosplan et en accord avec les organes compétents du Parti communiste, nommaient leurs dirigeants, définissaient leur budget, les disciplines à enseigner, les diplômes à délivrer, le contenu et le volume horaire des programmes, l’étendue et les modalités du recrutement des étudiants [11], le montant et les critères de l’attribution des bourses, le nombre d’enseignants, leurs salaires et leurs conditions de promotion, etc. Du fait de la priorité donnée au complexe militaro-industriel, la formation d’ingénieurs était privilégiée (Dobryakova & Froumin, 2010).
10 L’internationalisation du système d’enseignement supérieur soviétique, que l’on pourrait qualifier de « partielle » ou « limitée », était liée au contexte géopolitique de la guerre froide: la mobilité internationale concernait essentiellement des étudiants en provenance des pays alliés du bloc socialiste ou du Tiers monde et entendait contribuer à la formation de leurs élites. Si l’objectif officiel consistait à soutenir leur développement économique et à promouvoir l’idéologie marxiste-léniniste, il s’agissait également pour l’URSS de s’attacher leurs futurs dirigeants.
11 Les EES biélorusses ont été créés à l’époque soviétique en tant qu’établissements périphériques ayant vocation à fournir des cadres conformes aux besoins de la république. Si le ministère de l’Enseignement biélorusse a été l’organe de tutelle de certains d’entre eux, sa fonction principale était d’appliquer les directives des organes centraux de l’URSS qui valaient pour tout le pays. Ainsi, au moment de la disparition de l’URSS, les dirigeants biélorusses ont été confrontés au double défi de créer un système d’enseignement supérieur national et de l’intégrer dans le système international. Ce défi était d’autant plus lourd à relever que l’enseignement supérieur était loin d’être prioritaire pour les dirigeants biélorusses, surtout préoccupés par les politiques économiques et sociales.
12 Si une nouvelle loi sur l’enseignement est adoptée le 29 octobre 1991, soit deux mois après la déclaration d’indépendance, elle ne cherche pas à mettre en place un nouveau système d’enseignement (Zakon, 1991). À l’instar des textes adoptés dans d’autres anciennes républiques soviétiques durant la même période, elle s’inspire des idées élaborées par les réformateurs soviétiques à la fin des années 1980 et a pour but de libéraliser et de démocratiser l’ancien système soviétique. L’adoption de cette loi semble relever davantage du mimétisme que d’un véritable choix politique et le débat sur la nature des réformes à mener ne s’ouvre en Biélorussie qu’à partir de 1992. Parallèlement à la création de l’Institut national de l’éducation (Nacional’nyj institut obrazovanija, NIO) et de l’Institut républicain de l’enseignement supérieur (Respublikanskij institut vysšej školy, RIVS) auprès du ministère de l’Enseignement, chargés de réfléchir à des projets de réforme, d’autres groupes de travail ad hoc sont organisés à l’initiative de différentes personnalités issues des universités biélorusses. Leurs travaux sont régulièrement publiés dans la revue Adukacyja i vykhavanne, fondée en 1992 par le ministère, et débattus dans les médias. Il en ressort le désir de construire le nouveau système national d’enseignement sous l’inspiration européenne, notamment en favorisant l’autonomie des établissements et la participation des différents acteurs de l’éducation, en réduisant l’intervention de l’État, en appuyant les libertés académiques et pédagogiques et l’ouverture internationale. Néanmoins, la synthèse des différents documents réalisée à la demande du nouveau ministre de l’Enseignement, Vasilij Stražev, nommé en 1994, conclut à l’impossibilité de formuler un projet concret de réforme de l’enseignement (Mackevič et al., 1995).
13 Le travail se poursuit, cristallisant progressivement les divisions entre les trois principaux lieux de production des projets de réforme: le ministère et ses instituts (RIVS, NIO), le Centre des problèmes du développement de l’enseignement (Centr problem razvitija obrazovanija), fondé au sein de l’Université d’État biélorusse (Belarusskij gosudarstvennyj universitet, BGU) à l’initiative d’Alexandre Kozulin [12], et l’Agence des technologies en humanités (Agenstvo gumanitarnykh tekhnologij, AGT), dirigée par Vladimir Mackevič et soutenue par la branche biélorusse de la Fondation Soros. Le durcissement politique intervenu à la fin de 1996, avec la dissolution du Parlement et l’adoption de la réforme constitutionnelle destinée à consolider le pouvoir du Président Loukachenko, met fin au débat public sur les réformes de l’enseignement. Désormais, le travail de réflexion se concentre au ministère et dans ses instituts et les acteurs qui y avaient activement participé dans les années 1990 sont écartés et marginalisés.
14 Dans un discours devant les membres du Conseil des recteurs en 2004, le Président biélorusse expose sa vision des réformes du système d’enseignement supérieur entamées à la fin des années 1990: « Naturellement, les EES avaient besoin d’être réformés. Leur perfectionnement supposait à notre sens de conserver tout le meilleur de ce qui avait été accumulé par les EES soviétiques, par l’enseignement soviétique. Il est peu probable qu’il existe dans le monde un système d’enseignement supérieur au système soviétique. De ce fait, en choisissant les réformes, il fallait préserver ce qui a été fait de mieux par notre enseignement supérieur » (Lukachenko, 2004).
15 Pourtant, lors de son arrivée au pouvoir, A. Loukachenko a dû tenir compte des évolutions qu’avait connues le système d’enseignement supérieur biélorusse dans les années 1990 par le truchement du nouveau cadre législatif datant de 1991. Il convient de rappeler que la loi de 1991 a supprimé toutes les références à l’idéologie marxiste-léniniste, contribuant au développement des SHS. Elle a également accordé une plus grande autonomie aux établissements publics dans la gestion de leurs ressources matérielles et financières et autorisé la création d’établissements privés (Zakon, 1991). Elle a encore posé les bases du désengagement financier de l’État en permettant l’introduction des études payantes dans les établissements publics et l’apparition du secteur privé. Elle a contribué à diversifier le système en acceptant la création de nouvelles formations, facultés et même établissements privés.
2. – La massification de l’enseignement supérieur et le désengagement financier de l’État
16 Dans les pays occidentaux, l’un des problèmes majeurs posés par la massification de l’enseignement supérieur est celui de son financement car le niveau des dotations publiques s’avère souvent insuffisant face à l’accroissement des besoins. En outre, la perception de l’enseignement supérieur des dirigeants politiques occidentaux a changé depuis les années 1980: précédemment appréhendé comme un bien public, il l’est de plus en plus comme un bien privé. D’après Philip Altbach, spécialiste américain de l’enseignement supérieur, ce sont les théories portées par les organisations internationales à l’origine du « consensus économique néolibéral » et, en particulier, par la Banque mondiale qui influencent ce changement; en effet, elles mettent en avant la logique selon laquelle il revient aux individus d’assumer la part la plus élevée du coût de l’enseignement supérieur puisqu’ils en sont les premiers bénéficiaires (Altbach, 2007, p. 133).
17 À l’époque soviétique, l’enseignement supérieur était considéré comme un bien public par excellence et l’État assumait entièrement son financement, même si l’accès en était en principe limité aux meilleurs candidats, c’est-à-dire à ceux qui avaient réussi le concours d’entrée. La situation s’est radicalement modifiée à partir des années 1990, entre autres parce que les nouveaux États indépendants n’ont pas eu de moyens suffisants pour financer leur système d’enseignement supérieur.
18 Si le Président biélorusse se réclame du modèle soviétique, un de ses éléments fondamentaux, à savoir la gratuité des études supérieures, n’a pas réellement été préservé. Certes, l’article 49 de la Constitution biélorusse garantit le droit à l’enseignement supérieur en accord avec les mérites de chacun: « toute personne peut, sur la base d’un concours, obtenir gratuitement une formation de son choix dans un établissement public », principe inscrit dans tous les actes législatifs relatifs à l’enseignement supérieur. Certes également, la loi sur l’enseignement (art. 37 de la rédaction de 1991, art. 53 de la rédaction de 2002) prévoit l’affectation par l’État de 10 % du PIB à l’enseignement, disposition n’ayant disparu qu’avec l’adoption du Code de l’enseignement de 2011 qui ne fait plus aucune mention d’un engagement financier chiffré de l’État. Cependant, à rebours de ces engagements, la part des dépenses publiques consacrée à l’enseignement n’a fait que diminuer jusqu’à ne plus représenter que 2 % du PIB % à la fin des années 2000. Ainsi, les dépenses moyennes par an et par étudiant représentent actuellement 1 957 dollars en Biélorussie, ce qui est très faible au regard de la moyenne de 13 728 dollars des pays de l’OCDE (Dunaev, 2013, pp. 11-12). Néanmoins, cette différence correspond globalement à celle qui sépare le salaire annuel moyen en Biélorussie (environ 7 200 dollars selon les données de l’Agence biélorusse de la statistique – Belstat) et dans les pays de l’OCDE (43 523 dollars en 2012).
19 La baisse du financement public s’est produite dans le contexte d’une hausse des effectifs. Le nombre d’étudiants a progressé lentement et il a même enregistré une légère diminution au milieu des années 1990 par rapport aux 189 000 étudiants inscrits en 1990-1991 avant de remonter à 224 500 en 1998-1999. La massification de l’enseignement supérieur biélorusse a débuté dans les années 2000 quand le nombre d’étudiants a explosé, s’élevant de 282 000 en 2000-2001 à 448 000 en 2011-2012 [13].
20 En revanche, le nombre d’EES, qui s’était accru rapidement au cours des années 1990, passant de 33 en 1990-1991 à 57 en 2000 (dont 45 publics), s’est stabilisé dans les années 2000. Il est même retombé à 54 en 2012 à la suite de la fermeture de trois universités privées. Dans les années 1990, la création d’EES privés [14] s’est conjuguée avec la transformation du statut des établissements publics: dans cette compétition, les anciens instituts ont cherché à rehausser leur statut et à se transformer en universités [15]. De nouveaux établissements publics ont également été créés sous la forme d’académies et de grandes écoles.
21 La vraie massification de l’enseignement supérieur biélorusse est en grande partie devenue possible grâce au transfert de la charge du financement sur les familles: à la diminution des places financées par l’État et à l’augmentation proportionnelle des places payantes, s’est ajoutée la hausse du prix des études (Sysoev, 2010, pp. 111-112). À l’heure actuelle, la majorité des étudiants biélorusses sont dans l’obligation de les payer, la part de ceux pour qui elles sont gratuites n’atteignant que 35 % à la fin des années 2000. En 2011-2012, sur 80 000 admis dans l’enseignement supérieur, seuls 40 % ont bénéficié de la gratuité qui ne se pratique que dans les établissements publics (MO, 2013, p. 61) [16]. Notons qu’en Biélorussie, la massification est encore imputable à un autre facteur, la généralisation de la formation à distance (zaočnoe obučenie) [17]: la proportion des étudiants ayant retenu cette formule est de 50 % et même de 80 % dans le secteur de l’enseignement privé (MO, 2013, p. 68).
22 Dans les pays européens, le retrait de l’État est allé de pair avec la modification de son rôle à l’égard des universités et la recherche de « parties prenantes » dans l’optique d’une plus grande autonomie des établissements en association avec des partenaires issus d’autre milieux (Musselin, 2008, p. 18). Dans ce discours, la fonction desdits partenaires ne se réduit pas à celle de nouvelles sources de financement mais s’étend également à celle de contributeur aux choix stratégiques de l’université afin de renforcer les liens avec le monde socioéconomique (Musselin, 2009, p. 77).
23 En Biélorussie, la loi sur l’enseignement de 1991 a introduit le principe de la gestion socioétatique (gosudarstvenno-obščestvennoe upravlenie) qui supposait la participation de l’ensemble des acteurs sociaux à la gestion des EES; ce qui, d’une certaine manière, ressemblait à l’intégration des « parties prenantes » telle que conçue par les pays occidentaux. La notion de gestion socioétatique a été reprise dans le Code de l’enseignement sans toutefois connaître de concrétisation, à l’exception de la possibilité, mentionnée dans l’article 208, de créer des « conseils de tutelle » (popečitel’skij sovet) au sein des EES dont ni la composition ni les modes de fonctionnement ne sont précisés (Kodeks, 2011). De fait, les interactions légales avec des partenaires extérieurs se limitent à la possibilité de conclure un « contrat de préparation de spécialiste » entre, d’une part, une entreprise qui s’engage à contribuer à la formation d’un étudiant (notamment en l’accueillant en stage) et, de l’autre, un étudiant qui, en retour, s’engage à travailler dans l’entreprise une fois ses études terminées [18]. Les EES sont également incités à nouer des liens plus étroits avec les entreprises par le biais de la création de centres de recherche communs en vue d’attirer des financements supplémentaires pour acquérir de nouveaux équipements. Cependant, dans le cas biélorusse, les autres acteurs socioéconomiques, qu’il s’agisse des autorités locales ou des grands acteurs économiques publics, ne sont pas réellement autonomes par rapport à l’État et ne possèdent qu’une marge de manœuvre réduite pour définir leurs besoins et formuler leurs propres stratégies. De surcroît, l’appel à diversifier les sources de financement n’a pas pour pendant l’octroi d’une autonomie élargie aux établissements.
3. – L’héritage soviétique et son instrumentalisation politique
24 La première version de la loi biélorusse sur l’enseignement de 1991 a marqué une rupture symbolique avec l’héritage soviétique en supprimant toute mention à l’idéologie parmi les principes de la politique d’État dans ce domaine (art. 3). Au nombre des objectifs poursuivis par l’enseignement, elle fixait en outre celui de favoriser le respect de la démocratie (art. 4). Par ailleurs, l’article 12 sur « l’enseignement et l’activité politique » interdisait expressément l’intervention au sein du système d’enseignement de partis politiques et de toute organisation ayant des desseins politiques, y compris les associations de jeunesse affiliées aux partis (Zakon, 1991).
25 Néanmoins, à la fin des années 1990, le nouveau Président, A. Loukachenko, s’est clairement fixé pour but de rétablir le contrôle politique sur tout le système d’enseignement. En témoigne notamment l’Ordonnance du Conseil des ministres n° 500 du 12 mars 1999 « Sur les principales orientations du développement du système national d’enseignement » qui tire un trait sur la période des réformes des années 1990 et cible « la préservation et le développement des meilleurs éléments du système créé à l’époque soviétique ». Lors de sa rencontre avec les membres du Conseil national des recteurs le 19 mars 2004, le Président définit l’enseignement comme « l’instrument prioritaire de réalisation de la politique de l’État ». Il précise que la finalité de l’université n’est pas seulement de former à un métier mais encore de former une personnalité « socialement mature », d’où la nécessité de l’éducation idéologique. D’ailleurs, à ses yeux, il ne peut exister, d’un côté, des établissements publics (gosudarstvennyj) et, de l’autre, des établissements privés (negosudarstvennyj) car en dépit des formes différentes de propriété, ils sont tous des établissements de l’État, ont les mêmes droits, délivrent des diplômes d’État et doivent respecter les normes définies par l’État, y compris en matière de travail idéologique (Lukachenko, 2004).
26 Cette tentative de reprise en main idéologique de l’enseignement, qu’on peut dater de 2002, s’inscrit dans un projet plus vaste censé imposer une idéologie nationale d’État à l’ensemble de la société. D’après Alexandra Goujon, ce projet indique une nouvelle phase de développement de l’autoritarisme en Biélorussie et s’explique par la volonté de canaliser toute forme de contestation potentielle de la politique présidentielle (Goujon, 2003). Pour Vladimir Dunaev, les raisons de ce qu’il appelle la « resoviétisation » de l’enseignement résident également dans la prise de conscience par Loukachenko de la menace que représenterait la mobilisation du milieu étudiant pour la stabilité du régime (Dunaev, 2012). Cette appréhension que lui inspirent les étudiants n’a fait que se renforcer après les révolutions de couleur durant lesquelles leurs organisations ont joué un rôle éminent. Le Président Loukachenko confirme cette interprétation lorsqu’il déclare que le système d’enseignement est « une composante vitale de l’organisme social, dont dépend la santé sociale. Il doit être très réactif aux défis du temps et prévenir les tendances négatives au sein de la jeunesse (…) La lutte pour l’influence sur les jeunes générations a, de tout temps, été l’objectif politique essentiel. Celui qui entraîne derrière lui la jeunesse tient l’avenir entre ses mains » (Lukachenko, 2011).
27 C’est dans ce but que l’enseignement de l’idéologie nationale, sous la forme d’un cours obligatoire de première année intitulé « Les fondements de l’idéologie biélorusse d’État », est instauré à partir de l’année universitaire 2003-2004. Sont promues simultanément des associations de jeunesse fidèles au régime, telle la BRSM [19] fondée à l’image de la jeunesse communiste soviétique [20], dont la mission principale consiste officiellement à diffuser le patriotisme au sein de la jeunesse biélorusse mais qui est surtout un outil de propagande du gouvernement. Les antennes locales de la BRSM s’implantent progressivement dans la majorité des EES publics. A contrario, la participation aux manifestations de l’opposition devient un motif courant d’exclusion des étudiants. Cette instrumentalisation politique de l’enseignement sert à anticiper toute mobilisation protestataire du milieu étudiant et représente l’un des moyens de consolider le régime politique en place.
28 Pour leur part, les enseignants n’échappent pas non plus à l’emprise idéologique. L’analyse de leur rôle par Vladimir Ŝerba, chef du comité de l’enseignement de la mairie de Minsk (Mingorispolkom), est assez révélatrice à ce sujet: « la particularité du travail idéologique dans l’en-seignement est de ne pas avoir de frontière: il se réalise au travers des cours, des travaux pratiques et des événements à but éducatif (vospitatel’nye meroprijatija), au travers du mode même de la vie universitaire. Au centre, se trouve la personnalité de l’enseignant qui est le principal promoteur (provodnik) de l’idéologie d’État » (Ŝerba, 2011). Ces dernières années, les enseignants ont également été fortement encouragés à adhérer à l’organisation la « Rus’ blanche » (Belaja Rus’) qui semble avoir pour vocation de devenir un parti politique progouvernemental biélorusse (à l’exemple de Russie Unie en Russie) [21] et dont on recense officiellement des antennes dans une vingtaine d’universités. Leur implantation est facilitée par le fait que l’organisation est dirigée par Aleksandr Rad’kov, ancien ministre de l’Enseignement (2003-2010) qui occupe actuellement le poste d’adjoint du chef de l’Administration du Président.
29 Cette instrumentalisation politique conduit à un renforcement du contrôle de l’État sur la gestion du système d’enseignement. Si ce dernier n’a jamais été véritablement décentralisé, les établissements ont néanmoins bénéficié d’une certaine autonomie dans les années 1990. Selon les termes de la loi sur l’enseignement de 1991, l’État n’avait pas à intervenir dans leur gestion, sauf en cas d’infraction à la législation. L’article 45 énumérait les nombreuses compétences attribuées à l’établissement du point de vue de l’organisation du processus d’enseignement et de la gestion des ressources financières et administratives (Zakon, 1991).
30 Si le Code de l’enseignement de 2011 a repris à son compte la notion de gestion à « caractère socioétatique » (gosudarstvenno-obščestvennyj) de l’enseignement (art. 2, 1.9) introduit par la loi de 1991, le rôle de l’État et de ses différents organes a été très largement accentué, au détriment de la participation des autres acteurs. Ainsi, plusieurs articles (105-111) détaillent les compétences du Président, du gouvernement, du ministère de l’Enseignement et des autres structures de l’État dans ce domaine. À l’opposé, la participation des autres catégories d’acteurs de l’enseignement reste floue: le Conseil des recteurs, dont la composition est arrêtée par le Président, a une fonction consultative; d’autres types de conseils, constitués de fonctionnaires d’État, de représentants d’EES et d’organisations sociales, peuvent être créés par le ministère de l’Enseignement ou par le gouvernement, sans plus de précision sur leurs attributions (art. 116).
31 Quant à l’article 208 du Code de 2011 sur la gestion des EES, il établit indubitablement une verticale du pouvoir: le Président nomme les recteurs [22] qui, à leur tour, nomment les doyens des facultés, ces derniers nommant les directeurs de département. Chacun d’entre eux est désigné pour diriger un conseil du niveau correspondant. Si les conseils sont effectivement définis comme des organes d’« autogestion » (organy samoupravlenija), rien n’indique les règles de leur formation. Dans les faits, ce sont respectivement le recteur, le doyen et le directeur du département qui déterminent leur composition. D’autres types d’organes de gestion peuvent être créés, mais uniquement avec l’autorisation du Président.
32 Les libertés pédagogiques inscrites dans la loi sur l’enseignement de 1991 avaient totalement disparu de celle de 2007, laquelle dispose que c’est le ministère de l’Enseignement qui élabore et propose les programmes types très détaillés devant servir de modèles aux établissements (art. 23) alors que, précédemment, ceux-ci soumettaient leurs propres programmes de formation, le ministère ayant pour seule compétence de les valider. La réglementation de l’État s’applique en effet depuis 2007 aux moindres détails, à commencer par le choix parmi quinze mentions (profili) qui se déclinent en 400 spécialités (specialnosti) et 1000 parcours, avec des matières obligatoires qui leur sont assignées, jusqu’à la taille des groupes (20 à 30 personnes). L’État fixe annuellement la note moyenne minimale au concours d’entrée et le nombre de places (y compris payantes) mises au concours [23].
33 À l’inverse du modèle soviétique, les dirigeants biélorusses ont toutefois dû trouver les moyens d’entraver le secteur privé d’enseignement supérieur. Le refus de délivrer la licence obligatoire pour les activités d’enseignement par le ministère du même nom, la fréquence des contrôles financiers, la difficulté de louer des bâtiments ne sont que quelques uns des modes de pression utilisés à l’encontre des établissements privés dont le nombre a été réduit de vingt (1996-1997) à neuf (2012-2013). Ainsi, l’enseignement supérieur se trouve désormais entièrement intégré dans l’appareil d’État et les divers acteurs sociaux (enseignants, étudiants, parents, acteurs économiques) n’ont pratiquement plus aucune possibilité d’influer sur le processus d’enseignement. Une fois encore, l’on voit bien que la volonté politique est l’une des principales raisons de la préservation de l’héritage soviétique dans l’enseignement supérieur car la mainmise sur ce secteur clef contribue à assurer la stabilité du régime politique actuel et diminue les risques de contestation.
34 Le système d’enseignement supérieur biélorusse incarne ainsi parfaitement l’idéal type de ce que Michael Dobbins et ses collègues qualifient de modèle « stato-centré » [24], caractérisé par l’omnipotence et l’omniprésence de l’État (Dobbins et al., 2011, pp. 670). En Biélorussie, le renforcement de la hiérarchie interne et de la subordination verticale sont utilisés pour limiter toute autonomie des établissements. L’État prétend mettre en place les différentes procédures d’évaluation tout en étant le producteur des règles: il fixe des objectifs, décide de la façon dont ils doivent être atteints et vérifie leur exécution.
4. – L’enseignement supérieur, outil du développement socioéconomique
35 La mission de l’enseignement supérieur dans un modèle « stato-centré » consiste à satisfaire les objectifs socioéconomiques fixés par l’État (Dobbins et al., 2011, pp. 674). Pour les dirigeants biélorusses, outre ses fins idéologiques et politiques, l’enseignement supérieur doit également former les cadres pour « l’économie sociale de marché » [25]. De ce point de vue, il affiche à la fois une certaine continuité avec le modèle soviétique et correspond à l’esprit des réformes néolibérales qui incitent les universités à proposer des formations répondant aux besoins immédiats du marché du travail.
36 Dans le cas biélorusse, il semble d’autant plus facile de réguler l’offre de formation en fonction des besoins de l’économie que le système soviétique d’affectation obligatoire (raspredelenie) n’a jamais entièrement disparu. Il a cependant décliné avec l’introduction des études payantes car il ne concerne que les étudiants bénéficiant des places financées par le budget de l’État, c’est-à-dire moins d’un tiers des diplômés [26]. En contrepartie de la gratuité, ces derniers ont l’obligation de travailler pendant deux ans au poste où ils seront affectés d’office après la fin de leur cursus. S’ils refusent, il leur incombe de rembourser leurs années d’études, dont le montant n’est jamais connu à l’avance. Le Code de l’enseignement de 2011 (art. 86) a introduit la notion de deuxième affectation (pereraspredelenie) qui prévoit que les personnes exerçant certains métiers pourront être réaffectées d’office par l’État dans d’autres organisations ou entreprises publiques pour une durée supplémentaire de deux ans (Kodeks, 2011).
37 Le maintien de l’affectation obligatoire est officiellement justifié pour deux raisons: d’une part, il garantit un premier emploi aux jeunes diplômés et leur évite ainsi le risque de chômage; d’autre part, il aide l’État à optimiser la gestion de l’économie nationale en affectant les jeunes diplômés aux postes (régions ou secteurs économiques) pâtissant d’une pénurie de spécialistes. En réalité, selon la sociologue biélorusse Anna Morgunova, ce système permet de masquer partiellement le chômage des jeunes et d’atténuer provisoirement les conséquences sociales négatives des transformations économiques. L’État peut ainsi assurer l’égalité d’accès aux services d’intérêt général sur l’ensemble du territoire et parer à la désertification des zones rurales en contraignant les jeunes spécialistes (médecins, enseignants, ingénieurs, fonctionnaires, etc.) à y travailler (Morgunova, 2010).
38 Parallèlement à l’affectation obligatoire, une autre pratique soviétique dite du « recrutement ciblé » (celevoj priem) a survécu en Biélorussie. Elle s’est même développée en réponse au manque de main-d’œuvre dans certains secteurs de l’économie et, notamment, dans l’agriculture, la sylviculture, les chemins des fers, la médecine et l’éducation. Il s’agit d’offrir aux habitants des zones rurales des conditions privilégiées d’accès à l’enseignement supérieur (sans condition de niveau) en échange de l’obligation de retourner dans leur région d’origine après la fin de leurs études et de travailler deux ans à un poste d’affectation obligatoire, puis au moins trois ans dans le cadre d’un contrat conclu avec l’institution ou l’entreprise qui a financé leur formation. Un autre élément repris du système soviétique est l’emploi des étudiants en tant que main-d’œuvre gratuite pour divers travaux non qualifiés, en particulier dans l’agriculture. En URSS, la rentrée universitaire de septembre était souvent retardée de quelques semaines pendant lesquelles les étudiants ainsi que les élèves du secondaire étaient envoyés à la campagne pour participer aux récoltes, gratuitement ou contre une rémunération symbolique. Cette pratique est devenue moins systématique et elle dépend des établissements. Une autre consiste à affecter les étudiants à des travaux présentés comme des stages mais n’ayant, de fait, aucun lien avec leur formation [27]. Ces différentes méthodes héritées ou inspirées par la période soviétique persistent en Biélorussie car elles s’accordent avec un modèle économique lui-même largement soviétisé et contribuent à son maintien.
39 Néanmoins, malgré la préservation de certains mécanismes de type soviétique pour lier l’enseignement supérieur et l’économie, celui-ci paraît de moins en moins efficace. Le système d’enseignement supérieur biélorusse a, en effet, été initialement conçu pour former les cadres d’une économie fondée sur l’industrie soviétique. Or la libéralisation partielle de l’enseignement dans les années 1990 s’est faite en décalage avec l’évolution générale de l’économie biélorusse dont la structure et le fonctionnement n’ont pas été radicalement modifiés. Progressivement, le secteur de l’enseignement supérieur est devenu surdimensionné, le nombre de diplômés n’ayant cessé de croître dans les années 2000, passant de 38 700 en 2000-2001 à 75 800 en 2011-2012. Si l’augmentation du nombre d’étudiants et, par conséquent, de diplômés a été interprétée comme un phénomène positif du point de vue politique, témoignant entre autres de l’élargissement de l’accès de la population à l’enseignement supérieur et de l’élévation de son niveau d’éducation (25 % de la population active a fait des études supérieures), elle a entraîné un sérieux problème structurel. L’économie biélorusse est incapable d’absorber autant de diplômés car il lui faut surtout de la main-d’œuvre peu qualifiée [28]. L’enseignement supérieur était également décalé par rapport aux besoins d’une économie reposant sur l’industrie lourde et l’agriculture, les formations d’ingénieurs étant délaissées au profit des sciences humaines et sociales. Lors de la massification, les étudiants ont afflué vers un nombre limité de spécialités (économie, gestion, droit) (MO, 2013, p. 72), ce qui, selon le ministère de l’Enseignement, a créé des distorsions dans l’offre de formation, impliquant des tensions sur le marché de travail [29].
40 Si les dirigeants biélorusses déplorent le « surdimensionnement » de l’enseignement supérieur, cela ne les empêche pas, attitude qui peut paraître contradictoire, de souhaiter l’essor de nouveaux secteurs d’activité économique exigeant une main-d’œuvre hautement qualifiée. Ils ne résistent pas à l’attrait exercé sur les décideurs du monde entier par les théories de la « société de la connaissance » qui ont largement inspiré les réformes menées depuis les années 1990 [30]. Celles-ci aspirent à faire des universités des outils et des ressources utilisables dans le cadre de la compétition économique internationale (Kogan et al., 2000). Comme le note Christine Musselin, « Le développement de la rhétorique de l’économie de la connaissance, c’est-à-dire la valorisation du lien qui unit progrès économique, innovation et recherche, a placé les universités au cœur des préoccupations gouvernementales et suscite de nombreuses mesures: il s’agit pour chaque pays de s’assurer que ses établissements d’enseignement supérieur sont en situation de former des personnels hautement qualifiés, susceptibles de devenir les travailleurs de la connaissance que requiert la nouvelle économie, et qu’ils sont capables d’assurer et de faciliter le passage de la recherche à l’innovation » (Musselin 2008, p. 14). Ce discours occidental s’accorde, paradoxalement, avec le discours néosoviétique du Président Loukachenko.
41 Selon ce dernier, les programmes des EES « doivent être orientés davantage vers la pratique. Il faut aboutir à une intégration maximale de l’enseignement, de la science et de l’économie. La préparation des spécialistes ne peut pas être complète sans des stages de longue durée dans les entreprises » (Lukachenko, 2011). D’après Alexandre Žuk, vice-ministre de l’Enseignement depuis 2001, le choix stratégique opé-ré par les dirigeants biélorusses est celui d’un développement du pays fondé sur l’innovation (innovacionnyj put’ razvitija), ce qui confère une place particulière au potentiel intellectuel. « Ainsi, nous faisons tout le nécessaire pour que le système d’enseignement en général, et celui de l’enseignement supérieur en particulier, progressent de manière dynamique en tenant compte des tendances innovatrices des différents secteurs de l’économie ainsi que de l’expérience mondiale » (Žuk, 2011). Ces déclarations reflètent les éléments du discours des organisations internationales valorisant l’innovation et le « triangle du savoir », lequel s’avère compatible avec le discours officiel des dirigeants biélorusses.
42 Le Programme de développement de l’enseignement supérieur pour 2011-2015 a pour objectif premier de mener à bien « la préparation de spécialistes hautement qualifiés sur la base des dernières découvertes scientifiques et à la pointe du progrès technologique afin de répondre aux besoins de l’État et de faire coïncider le niveau de préparation des spécialistes diplômés de l’enseignement supérieur et les exigences du niveau actuel des innovations dans les différents secteurs de l’économie et de la société » (GPRVO, 2011, p. 1). Son adoption a été officiellement motivée par la nécessité de résoudre les problèmes de l’enseignement supérieur dont le principal est « le niveau insuffisant d’innovation ainsi qu’une faible interaction de l’enseignement supérieur avec les différents secteurs de l’économie et la commercialisation des résultats de la recherche » (GPRVO, 2011, p. 3).
43 Si l’exigence de critique intellectuelle des universités occidentales est remise en question par « la pression des effectifs et la volonté des pouvoirs publics d’atteindre certains objectifs utilitaires » (Kogan, 2004, p. 18), notons qu’elle était ignorée dans l’enseignement supérieur soviétique et qu’elle le demeure dans le nouveau système biélorusse – les deux systèmes ayant en commun leur tendance générale à privilégier les objectifs utilitaires. Ceci explique la facilité des dirigeants biélorusses à reprendre des éléments de discours néolibéral, qui ne sont nullement contradictoires avec la référence récurrente au système soviétique d’enseignement supérieur.
5. – Une internationalisation proclamée et partielle
44 Le Programme biélorusse de développement de l’enseignement supérieur pour 2011-2015 insiste encore sur la nécessité d’internationaliser l’enseignement supérieur et, plus particulièrement, de renforcer la coopération avec des établissements étrangers, de faire entrer les EES dans les classements mondiaux et d’exporter les services éducatifs biélorusses (GPRVO, 2011, pp. 9-10). On peut y voir une illustration de l’influence exercée par ces classements.
45 Selon le Président Loukachenko, il faut « poursuivre l’insertion de l’enseignement supérieur dans les systèmes européens et internationaux » (Lukachenko, 2004). Pour lui, néanmoins, « l’enseignement supérieur biélorusse a acquis une reconnaissance internationale et certains EES font déjà partie de classements internationaux prestigieux. Il convient d’utiliser pleinement ce potentiel en amplifiant l’exportation des services éducatifs. En même temps, les étudiants et les jeunes diplômés biélorusses doivent s’approprier de manière plus active l’expérience étrangère, notamment par le biais de stages et d’études dans les meilleurs établissements étrangers, ainsi que dans des organisations et entreprises leaders sur le marché international. Toutefois, les stages sont plus utiles aux enseignants qu’aux étudiants de sorte que l’envoi d’un grand nombre d’étudiants à l’étranger ne sera pas nécessaire » (Lukachenko, 2011). Le premier programme gouvernemental de mobilité n’a été mis en place qu’en 2011, prévoyant l’attribution de 50 bourses pour financer la formation d’étudiants biélorusses en dehors de leur pays.
46 À l’occasion du dépôt de la demande biélorusse d’adhésion à l’EHEA [31], en novembre 2011 [32], les dirigeants biélorusses ont souli-gné les mesures prises au cours des années 2000 pour rapprocher leur système d’enseignement supérieur de ceux des autres pays européens. Ils se réfèrent à la ratification par la Biélorussie de la Convention sur la reconnaissance des qualifications relatives à l’enseignement supérieure – dite Convention de Lisbonne –, élaborée en 1997 sous l’égide du Conseil de l’Europe et de l’UNESCO, et au passage à un système d’enseignement supérieur à deux niveaux de diplôme [33] en 2002. Le ministère de l’Enseignement a également préparé, en 2007, un nouveau supplément au diplôme [34] conforme au modèle des deux organisations précitées. En outre, de nouveaux standards éducatifs fondés sur l’approche par compétences, prévoyant la possibilité de leur conversion en ECTS (European Credits Transfer System) [35], ont été adoptés en 2008, de même que le système de gestion de la qualité ISO 9001. Ces initiatives font suite à l’adhésion au processus de Bologne de nombreux partenaires que compte la Biélorussie dans le cadre des projets de coopération régionale au sein de l’espace postsoviétique (l’État unifié de la Russie et de la Biélorussie, la CEI, l’EvrAzES [36]). Ces partenaires, qui ont réformé leurs systèmes d’enseignement supérieur sous l’influence des pays européens, poussent à leur tour la Biélorussie à introduire un certain nombre de réformes afin de poursuivre les coopérations dans le domaine de l’enseignement supérieur. En outre, les dirigeants biélorusses admettent qu’il serait difficile de développer l’exportation des services d’enseignement sans garantir la lisibilité internationale de l’offre de formation et en l’absence de reconnaissance internationale des diplômes (Žuk, 2009; Demčuk, 2011, 2012).
47 Il convient de préciser que les difficultés du régime biélorusse à financer un système d’enseignement supérieur surdimensionné jouent un rôle notable dans l’affichage officiel d’une ambition d’exportation des services en matière d’éducation tertiaire, telle qu’elle se manifeste depuis la fin des années 2000. Le pouvoir voit dans la possibilité d’attirer des étudiants étrangers un moyen de trouver des sources supplémentaires de financement, mais aussi d’assurer la survie de nombreuses formations menacées de fermeture faute d’étudiants biélorusses dont le nombre diminue en raison de la crise démographique qui frappe le pays, intensifiée par l’émigration [37]. Il s’agirait d’une mobilité maîtrisée qui ne présente pas de menace politique car la faible attractivité internationale de l’enseignement supérieur biélorusse limite aux pays partenaires du régime la provenance des candidats potentiels [38]. Le nombre d’étudiants étrangers accueillis en Biélorussie a effectivement commencé à progresser à partir de 2006. Il a doublé en six ans pour atteindre 14 000 (3 % du total des étudiants) en 2012-2013. Si le coût annuel des places gratuites allouées par l’État aux Biélorusses ne dépasse pas 1 800 par personne, les étudiants étrangers paient en moyenne entre 2 430 et 3 555 . Le programme de développement de l’enseignement supérieur pour 2011-2015 se fixe pour objectif d’accroître le nombre d’étudiants étrangers d’ici 2015 de manière à pouvoir encaisser 187 millions de dollars de recettes (GPRVO, 2011, p. 4).
48 Les étudiants étrangers ne font pas concurrence aux candidats biélorusses car ils sont admis sur des quotas spécifiques et réservés. Ils doivent suivre le cursus dans son intégralité et étudient au sein de groupes spéciaux selon leur niveau de maîtrise de la langue russe. Ce modèle d’exportation des services d’enseignement est donc bien différent des principes de mobilité appliqués dans l’espace européen. Il traduit la conception très particulière qu’ont les dirigeants biélorusses de l’internationalisation et révèle toute l’ambiguïté de leur position entre l’influence diffuse d’idées extérieures, que l’on perçoit dans le discours politique et dans certaines des mesures mises en œuvre, et la persistance de l’héritage soviétique.
49 De fait, la Biélorussie a peu de chances de s’insérer dans le cadre d’un enseignement supérieur mondialisé marqué par l’hégémonie américaine [39] et surtout d’en tirer profit. Si l’insuffisante fiabilité des données statistiques ne permet pas de mesurer l’ampleur de la mobilité sortante, plusieurs spécialistes considèrent qu’elle est largement supérieure à la mobilité entrante puisque beaucoup de Biélorusses partent étudier en Russie, en Lituanie, en Allemagne ou en Pologne (Dunaev, 2013, p. 13). D’autres auteurs soulignent que de nombreux jeunes chercheurs et enseignants biélorusses quittent le pays (Evel’kin et al., 2008, pp. 125-147). Ainsi, l’attractivité du système d’enseignement biélorusse paraît extrêmement faible aux yeux de ses propres étudiants mais également à l’étranger car il n’attire que des étudiants situés « en dehors » de l’espace mondialisé d’enseignement supérieur.
50 Ce défaut d’intégration est renforcé par la question de la recherche universitaire en tant qu’élément potentiel d’internationalisation. La massification, qui a conduit à une différenciation du système d’enseignement, pousse à la séparation entre l’enseignement et la recherche ou, du moins, à la concentration de la recherche dans un nombre limité d’universités (Kogan, 2004). Cette différenciation verticale au sein du système d’enseignement supérieur biélorusse s’est amplifiée par rapport à la période soviétique. L’article 207 du Code de l’enseignement a consacré une distinction entre quatre types d’établissements selon les critères du nombre et des niveaux de formation proposés. Ainsi, si l’université classique (klassičeskij universitet) offre plusieurs formations disciplinaires dans les trois cycles, dans l’université spécialisée (profil’nyj universitet), le nombre de disciplines est plus limité. Quant à l’institut (institut) et au collège supérieur (vysšij kolledž), ils sont centrés, pour l’institut, sur une seule discipline au niveau des premier et deuxième cycles et uniquement du premier cycle pour le collège supérieur. De plus, l’article 209 prévoit le statut d’établissement « leader » (veduščee učreždenie) [40] ainsi que celui de « leader dans un secteur » (veduščee otraslevoe učreždenie) qui peut aussi être attribué à un établissement (Kodeks, 2011).
51 En dépit de cette différenciation, la fonction principale des établissements reste l’enseignement et non la recherche. Les dirigeants biélorusses ont choisi de maintenir la tradition soviétique de séparation entre la recherche, menée essentiellement dans des instituts rattachés à l’Académie des sciences, et l’enseignement. De surcroît, pendant la période soviétique, les établissements biélorusses se situaient à la périphérie du système d’enseignement supérieur, les ressources intellectuelles et matérielles étant essentiellement concentrées en Russie et, en particulier, à Moscou [41].
52 Dans ces conditions, il n’est guère surprenant qu’aucun établissement biélorusse ne puisse être véritablement qualifié d’université de recherche [42]. Les composantes du système d’enseignement supérieur n’ont pas les ressources suffisantes pour être actives sur le plan international et aucune institution ne figure dans les grands classements internationaux. L’absence de tradition d’autonomie, héritée de l’époque soviétique, et le fait que les libertés académiques ne sont protégées ni par une législation spécifique ni par une tradition étatique sont des entraves supplémentaires à une éventuelle internationalisation de l’enseignement. Sans oublier l’instrumentalisation politique et idéologique propre aux dirigeants biélorusses qui constitue un obstacle de plus.
Conclusion
53 Le système d’enseignement supérieur biélorusse n’échappe pas entièrement aux grandes tendances internationales. Il en est ainsi de sa massification et de la réduction concomitante des financements publics, de même que du report consécutif d’une part considérable des dépenses sur les étudiants et leurs familles. Ce recours aux sources privées de financement constitue une rupture majeure avec le système soviétique. En revanche si, dans les pays européens, le désengagement financier de l’État mène à un changement profond des relations entre l’État et les universités, notamment parce qu’il favorise leur autonomie, en Biélorussie, il n’a pas entraîné de révision majeure du modèle soviétique. Au contraire, les modes de gouvernance hérités du passé se sont renforcés dans les années 2000, après une relative libéralisation au début des années 1990.
54 L’instrumentalisation politique et idéologique de l’enseignement supérieur s’inscrit dans le projet politique autoritaire du Président biélorusse et conditionne le contrôle absolu de ce système fortement centralisé et hiérarchisé. La gouvernance verticale est facile à aménager dans un système sans tradition de liberté académique. Pour autant, conserver l’essence du modèle soviétique n’empêche pas l’introduction de certains éléments formels promus par le processus de Bologne tels que les nouvelles formations, le supplément au diplôme, les procédures d’assurance pour la qualité, etc. De plus, les éléments du discours néolibéral qui insistent sur la nécessité pour les systèmes d’enseignement supérieur de satisfaire les besoins du développement socioéconomique sont aisément repris à leur compte par les dirigeants biélorusses car ils s’intègrent parfaitement dans la tradition soviétique de formation des cadres pour l’économie et l’appareil d’État.
55 La différence majeure réside néanmoins dans le fait que, si les dirigeants biélorusses conçoivent toujours le système d’enseignement supérieur comme un outil de propagande et de consolidation du régime politique, ils ne souhaitent plus assumer entièrement son financement. Il s’agit pour eux d’un secteur économique à part entière, ce qui implique une logique de recherche de rentabilité et les amène à inciter les établissements à diversifier leurs sources de financement pour compenser la faiblesse des dotations publiques (maintien des études payantes dans les établissements publics, partenariats avec les entreprises, exportation de services éducatifs). Cette hybridation entre volonté d’instrumentalisation politique et de libéralisation économique soulève de nombreuses questions à propos de la viabilité du modèle. À titre d’exemple, comment envisager une participation financière importante d’acteurs extérieurs en l’absence de toute possibilité d’intervenir dans la gestion des établissements puisque ces derniers sont privés d’autonomie pour des raisons politiques ? Quant à la relative internationalisation entreprise par la Biélorussie, on peut se demander combien de temps elle pourra se limiter à la seule formation de ressortissants de pays faiblement développés, dépourvus de systèmes d’enseignement supérieur propres et manquant de moyens pour partir étudier dans d’autres pays [43]. La prise de mesures en faveur d’une véritable internationalisation risque, en revanche, de provoquer la remise en cause de l’instrumentalisation politique de l’enseignement supérieur biélorusse.
56 En somme, le choix de l’hybridation conjoncturelle effectué par les dirigeants biélorusses qui, tout en préservant l’instrumentalisation politique héritée du modèle soviétique, assignent des objectifs de rentabilité économique d’inspiration néolibérale au système d’enseignement supérieur, semble profondément contradictoire malgré les convergences discursives relevées plus haut. Ce cas spécifique de transformation de l’ancien système soviétique mériterait une analyse plus fine, tant par une comparaison avec les stratégies d’autres États postsoviétiques que dans une perspective sociologique, afin de comprendre comment les acteurs concernés (enseignants, personnel administratif, étudiants) s’adaptent à la politique imposée par les dirigeants biélorusses.
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Mots-clés éditeurs : Biélorussie, héritage soviétique, réforme universitaire, enseignement supérieur
Mise en ligne 01/11/2017
https://doi.org/10.3917/receo.451.0055Notes
-
[1]
De très nombreux ouvrages y ont été consacrés dans les années 2000. Pour ne mentionner que les plus récents réunissant des contributions de chercheurs européens, citons le numéro spécial de la revue Higher Education, “Transforming Universities in Europe”, publié en 2013 (Vol. 65, n° 1) ainsi que les travaux de Curaj et al., 2012; Neave, 2012; Dobbins, 2011.
-
[2]
Le nom officiel du pays est République du Belarus.
-
[3]
Si certaines des revues biélorusses spécialisées (Vysšejšaja škola, Narodnaja asveta, Adukacyja i vykhavanne, Nastaùnickaja gazeta) ont reflété une partie de ces débats dans les années 1990, leurs articles sont progressivement devenus de plus en plus descriptifs et prescriptifs, traduisant la position du gouvernement dans les années 2000. À partir de la deuxième moitié des années 2000, ce sont surtout les médias non-officiels (sites d’information Alma Mater, Naviny, Novaja Eùropa et autres), souvent liés à l’opposition politique et soutenus par des financements européens, qui permettent aux experts marginalisés par le système officiel et ayant une vision plus critique de l’enseignement biélorusse de s’exprimer.
-
[4]
Président depuis 1994, réélu en 2001, 2006 et 2010, Loukachenko a instauré un régime politique autoritaire. Plusieurs ouvrages de chercheurs y ont été consacrés (Wilson, 2011; Bennett, 2011; Goujon, 2009; Lallemand & Symaniec, 2007).
-
[5]
Il convient de préciser que cette perspective est largement dépassée dans l’analyse des politiques publiques des démocraties occidentales où s’est imposée la sociologie de l’action publique (Lascoume & Le Galès, 2012; Hassenteufel, 2011). Celle-ci prend en compte une grande diversité d’acteurs et de formes de mobilisation dans l’élaboration et l’application des politiques publiques. Cette approche pourrait être adoptée ultérieurement dans nos recherches à condition de prendre en compte les contraintes méthodologiques de son utilisation dans le cas des régimes politiques autoritaires (Artigas, 2010).
-
[6]
Il s’agit du début d’un nouveau projet de recherche qui porte sur l’analyse comparative des réformes de l’enseignement supérieur dans les pays postsoviétiques. Des entretiens avec les acteurs clefs des réformes sont prévus en 2014-2015, ce qui nous permettra de compléter les sources et, aussi, de tester d’autres approches, notamment l’approche organisationnelle de l’enseignement supérieur développée, par exemple, par la sociologue française Christine Musselin (Musselin, 2005).
-
[7]
Les thèses sur la massification puis sur l’universalisation de l’enseignement supérieur ont été initialement avancées par les spécialistes américains, en particulier Martin Trow (Trow, 1974; Trow, 2000).
-
[8]
Le modèle « californien » en est le meilleur exemple avec une hiérarchisation en trois niveaux: les community colleges ouverts à tous et destinés à la formation professionnelle, les universités d’État polyvalentes, plus sélectives et aptes à mener des recherches dans un nombre de domaines limité, et les universités de niveau international axées sur la recherche, concentrant la majorité des financements, très sélectives et capables de s’imposer comme des leaders mondiaux (Douglass, 2000).
-
[9]
En russe, vysšye učebnye zavedenija (Vuzy).
-
[10]
Tous les établissements ne dépendaient pas du ministère de l’Enseignement: en fonction de leur spécialisation, ils étaient rattachés à tel ou tel ministère ou organe administratif (Frumin et al., 2013).
-
[11]
Notons que, malgré la rhétorique égalitariste soviétique, le système d’enseignement supérieur était élitiste. Tous les EES organisaient des concours pour sélectionner les meilleurs étudiants; selon les résultats obtenus aux examens de fin d’études secondaires, les candidats devaient passer soit une seule épreuve soit plusieurs.
-
[12]
En qualité de haut fonctionnaire du ministère de l’Enseignement, il a activement participé aux différents groupes de travail du début des années 1990 avant d’être nommé vice-ministre de l’Enseignement en 1994 puis recteur de l’Université d’État biélorusse (1996-2003). Après sa démission en 2003, il est devenu très critique à l’égard de la politique menée par le gouvernement.
-
[13]
Données recueillies par l’auteur dans différentes publications de l’Agence bié-lorusse de la statistique (Belstat).
-
[14]
Les EES privés sont majoritairement spécialisés en SHS. Ce type de formation est à la fois très demandé depuis l’indépendance et plus facile à créer car ne nécessitant pas d’investissements lourds en laboratoires et en équipements.
-
[15]
À l’époque de l’Union soviétique, les universités proposaient des formations dans de nombreuses disciplines, tandis que les instituts avaient une spécialisation plus étroite (par exemple, Institut de médecine, Institut pédagogique, etc.).
-
[16]
Soit des proportions similaires à celles de la Pologne. Cf. l’introduction de Ioana Cîrstocea, Dorota Dakowska et Carole Sigman à ce dossier thématique.
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[17]
Il existe également une troisième option – les cours du soir – mais elle n’attire que 0,2 % des étudiants.
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[18]
En 2011-2012, près de 2 000 étudiants étaient formés dans le cadre d’un tel contrat.
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[19]
L’Union républicaine biélorusse de la jeunesse (Belorusskij Respublikanskij Sojuz Molodeži, BRSM) a été officiellement créée en 2002 par la fusion de deux organisations de jeunesse, dont l’une fondée par le Président biélorusse en 1997.
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[20]
Ses détracteurs la baptisent « Loukamol » (association de « Loukachenko » et de « Komsomol »).
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[21]
En effet, plus de la moitié des membres de la chambre basse du Parlement est issue de la « Rus’ blanche», tandis que la majorité des députés n’appartient à aucun parti politique.
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[22]
Le principe de l’élection des recteurs des établissements publics, introduit par la loi de 1991, a été annulé en 2001 par le Décret présidentiel n° 645 qui comportait la liste des fonctions dirigeantes (kadrovyj reestr) dépendant directement du Président. Le recteur de la BGU n’était déjà plus élu depuis 1996. Quant aux recteurs des universités privées, c’est le 18 janvier 2008 qu’une Ordonnance du Conseil des ministres a chargé le ministère de l’Enseignement de leur nomination.
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[23]
Jusqu’en 2008, les universités organisaient la totalité des examens d’entrée. Depuis lors, il faut tenir compte des résultats du Test obligatoire centralisé, réalisé sous l’égide de l’Institut républicain du contrôle des connaissances (Respublikanskij Institut kontrolja znanij) rattaché au ministère de l’Enseignement. Tous les candi-dats ayant terminé leurs études secondaires générales peuvent passer les tests dans une matière obligatoire (langue russe ou biélorusse) et deux matières au choix (parmi 14 telles que les mathématiques, la physique, l’histoire, etc.) en fonction du profil d’études supérieures choisies. Les résultats de réponses au questionnaire (questions à choix multiples) donnent lieu à la délivrance d’un certificat valable un an. Les universités peuvent recruter les candidats sur les résultats des tests ou leur faire passer en plus l’examen dans la matière de spécialité.
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[24]
S’inspirant de différents travaux de leurs prédécesseurs, ils distinguent trois modèles – ‘‘the market-oriented model’’, “the state centered-model’’ et ‘‘the academic self-rule model’’ – en fonction de la gouvernance de l’enseignement supérieur qui comprend des modes de contrôle, de coordination et d’autonomie de trois niveaux: l’État, les enseignants-chercheurs, l’administration (“university management”) (Dobbins et al., 2011, pp. 669).
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[25]
Selon le sociologue français Ronan Hervouet (Hervouet, 2013), le Président biélorusse définit le modèle économique de son pays comme un « socialisme de marché », où l’État fort doit intervenir dans l’économie pour l’orienter « socialement » et permettre au « peuple travailleur » de bénéficier des richesses produites tout en évitant les dérives du capitalisme et l’enrichissement excessif d’une minorité. Le modèle repose sur l’idée de la reconnaissance simultanée de l’efficacité de la concurrence et de la nécessité d’une intervention permanente de l’État pour réguler tous les processus économiques et sociaux. Ainsi, le secteur privé est très réduit et l’économie est nationalisée à 80 % et administrée via des plans quinquennaux. La généralisation des CDD permet de s’assurer la loyauté de la main-d’œuvre qui, par ailleurs, peut être mobilisée gratuitement par l’État grâce au renouveau de la pratique soviétique des subbotniki (à l’origine une manifestation spontanée de l’enthousiasme des ouvriers communistes prêts à travailler gratuitement le samedi qui a été encouragée par les pouvoirs soviétiques dès 1920, puis s’est transformée progressivement en obligation étendue à l’ensemble des citoyens soviétiques de travailler périodiquement le samedi pour « contribuer à la construction du socialisme »).
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[26]
Par exemple, en 2012, sur les 72 000 diplômés, seuls 21 000 ont été soumis au système d’affectation.
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[27]
Différents exemples sont donnés dans l’étude réalisée en 2012 par le Centre de développement des initiatives étudiantes (Centr razvitija studenčeskikh iniciativ), une organisation indépendante dont les actions s’inspirent et sont soutenues par des associations étudiantes européennes.
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[28]
Selon le ministère du Travail, plus de 80 des postes vacants sont destinés à des ouvriers alors que la majorité écrasante des demandeurs d’emploi sont des diplômés de l’enseignement secondaire spécialisé et du supérieur.
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[29]
Les mesures annoncées pour corriger le déséquilibre prévoient l’augmentation des places financées par l’État dans certaines spécialités déclarées prioritaires (en particulier les formations d’ingénieurs) et la suppression totale du financement public pour d’autres (droit, économie). Néanmoins, leur portée risque d’être très limitée puisque deux tiers des étudiants payent leurs études.
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[30]
Il s’agit du passage d’un système de production scientifique exclusivement guidé par les intérêts des chercheurs et universitaires vers un système de production de la connaissance cherchant à répondre aux questions posées par la société, conception développée par Gibbons et ses coauteurs (Gibbons et al., 1994).
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[31]
European Higher Education Area ou Espace européen de l’enseignement supérieur dont la création, en mars 2010, était l’un des principaux objectifs du processus de Bologne.
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[32]
Le Bologna Follow-Up Group, organe permanent composé de représentants des pays membres de l’EHEA, de la Commission européenne et d’autres institutions (Conseil de l’Europe, UNESCO/CEPES, EURASHE, etc.), qui assure le suivi du processus de Bologne entre la tenue des conférences ministérielles, s’est réuni les 18-19 janvier 2012 à Copenhague; il a jugé que la Biélorussie ne respectait pas tous les critères de l’EHEA et devait entreprendre des réformes supplémentaires avant de pouvoir déposer une nouvelle demande en vue de la Conférence ministérielle de 2015.
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[33]
L’ancien diplôme d’enseignement supérieur concluant cinq années d’études a été remplacé par celui de « specialist », d’une durée de quatre à cinq ans, qui donne la possibilité de travailler ou de poursuivre ses études pendant un ou deux ans afin d’obtenir le diplôme de « magistr ». En revanche, le troisième niveau garde sa spécificité héritée de l’époque soviétique avec l’école doctorale, « aspirantura », qui permet, après la soutenance, d’accéder au grade de « kandidat nauk ». Il doit être suivi par la soutenance d’une deuxième thèse d’État (l’équivalent d’une habilitation à diriger des recherches en France) pour obtenir le titre de « doktor nauk » considéré comme l’équivalent d’un PhD.
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[34]
Ce document décrit les savoirs et compétences acquis par les titulaires de diplômes de l’enseignement supérieur. Il contribue à une meilleure lisibilité des diplômes de l’enseignement supérieur, particulièrement hors des pays où ils sont délivrés.
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[35]
L’objectif des crédits ECTS est de favoriser la compréhension et la comparaison des programmes d’études des différents pays de l’UE et de faciliter les échanges. Les matières sont regroupées au sein des unités d’enseignement (UE) et à chaque UE correspond un nombre défini d’ESTC. Il faut obtenir 30 ECTS pour valider un semestre et 180 ECTS pour valider une Licence.
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[36]
La Communauté des États indépendants (CEI) est une organisation de coopération régionale créée le 8 décembre 1991 par onze des quinze anciennes républiques soviétiques visant officiellement à préserver une partie des liens économiques, politiques et culturels qui les unissaient auparavant au sein de l’URSS. La Communauté économique eurasiatique (Evrazijskoe ekonomičeskoe soobščestvo, EvrAzES) est une organisation intergouvernementale de coopération formée en 2000 par la Russie, la Biélorussie, le Kazakhstan, le Tadjikistan et la Kirghizie, dans le cadre de laquelle ont été créés l’Union douanière (2010) et l’Espace économique commun (2012) réunissant la Russie, la Biélorussie et le Kazakhstan; le prolongement logique de ces initiatives serait d’aboutir en 2015 à la création de l’Union économique eurasiatique (Evrazijskij ekonomičeskij sojuz) censée être à terme un modèle concurrent à celui de l’UE.
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[37]
Dans le secondaire, les effectifs ont déjà significativement chuté: de 1,5 million d’élèves en 2000 à 0,9 million en 2011.
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[38]
En 2011-2012, les Turkmènes représentaient plus de 50 % des étudiants étrangers, suivis par les Chinois (11 %), les Russes (10 %), les Azéris, les Nigériens, les Sri-lankais, les Iraniens et les Libanais (MO, 2013, p. 60).
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[39]
L’idée de l’hégémonie américaine dans un système mondialisé d’enseignement supérieur est développée dans les travaux de Simon Marginson. Selon lui, ce système est hiérarchisé en fonction de normes et de comparaisons entre universités et pays et se définit en termes de centre/périphérie où les systèmes d’enseignement et de recherche nationaux sont plus au moins éloignés du centre (les États-Unis et le Royaume-Uni). À la semi-périphérie mondiale, se succèdent les systèmes des pays occidentaux développés; plus loin, les systèmes émergents et, à l’extérieur, les pays marginalisés dépourvus de capacités de recherche propres. Le système mondial se caractérise par une dissymétrie persistante des flux car l’essor de la mobilité internationale profite essentiellement au centre qui attire les meilleurs chercheurs et étudiants. Cette hégémonie universitaire vise à garder le contrôle de la production des connaissances et à favoriser le leadership technologique, économique, politique et culturel des États-Unis (Marginson, 2008).
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[40]
Le statut de « leader » est attribué sur la base d’une procédure d’évaluation et en fonction de plusieurs critères qui comportent entre autre le nombre d’étudiants, le nombre de spécialités des diplômes, le taux de professeurs, le nombre d’équipes et de laboratoires de recherches, etc. Il témoigne de l’importance et du prestige de l’établissement et donne lieu à l’obtention de financements publics plus importants. Par exemple, l’un des deux établissements leaders au niveau national, l’Université d’État biélorusse, prépare les programmes et les manuels (obligatoires ou recommandés par le ministère) pour d’autres universités dans de nombreuses disciplines, il mène également des recherches et des expertises pour le compte du gouvernement.
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[41]
Parmi les rares établissements de l’espace postsoviétique à figurer dans les grands classements internationaux, on compte l’Université d’État de Moscou et l’Académie des sciences de Russie.
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Polyvalente et dotée d’infrastructures performantes, axée sur la production et la diffusion du savoir ainsi que sur la formation de personnes capables de parvenir au leadership technique et intellectuel, l’université de recherche est considérée comme l’institution fondamentale du XXIe siècle. Si de nombreux pays mettent l’accent sur la création d’universités de ce type (centre d’excellence, université de classe mondiale, etc.), peu de pays peuvent se le permettre car elles nécessitent de lourds investissements et restent en conséquence l’apanage des pays riches. La massification exerce d’énormes pressions pour garantir un accès plus équitable à l’enseignement supérieur, tandis que la création d’universités de recherche suppose des ressources considérables et la reconnaissance de leur rôle spécifique (Altbach, 2007).
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La stratégie d’internationalisation partielle fut possible à l’époque soviétique dans le contexte géopolitique particulier de la guerre froide et de l’absence d’échanges avec les pays occidentaux du camp adverse.