Notes
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[1]
Par « régime de téléprésence », nous entendons un ensemble d’outils technologiques qui permettent à une personne d’avoir l’impression d’être présente et/ou de participer à une activité dans un autre endroit que celui où elle se trouve physiquement.
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[2]
Menée entre 2001 et 2007, cette étude s’inscrit dans une recherche doctorale portant sut l’impact des TIC sur les modèles migratoires et communautaires des migrants roumains, les dynamiques transnationales et les formes de participation (politique, économique et sociale) à distance. Cette recherche a mis en évidence que l’analyse des phénomènes migratoires à l’ère du numérique exige une « sensibilité transnationale » des outils de recherche. L’étude des pratiques médiatisées par ordinateur des professionnels roumains a requis une approche multi-sites combinant différentes méthodes qualitatives. Il s’agit en particulier de la « netnographie » – c’est-à-dire l’observation online – de sites web et des forums de discussion des migrants roumains et de l’analyse de contenu de données webographiques, mais aussi d’une enquête par entretiens semi-directifs menés auprès d’une soixantaine de migrants roumains (se trouvant principalement, mais pas uniquement, au Canada) et de l’observation participante de la communauté roumaine de Toronto. Pour de plus amples informations à ce sujet voir Nedelcu (2009).
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[3]
Ces notions pointent, chacune, une dimension différente d’une nouvelle modernité. Elles mettent l’accent sur l’« hybridité », les doubles appartenances et allégeances, la fluidité identitaire, la déterritorialisation des pratiques, l’existence dans un in-between, etc. ; elles mettent également en évidence, d’une part, la transformation des structures sociales en raison d’une mobilité accrue (des personnes, des idées, des pratiques et des formes sociales) et, d’autre part, l’enchevêtrement des échelles territoriales, soulignant les limites de la conceptualisation du local comme part d’une hiérarchie d’échelles emboîtées (local → régional → national → global) construite sur le critère de proximité physique/géographique (Sassen, 2003). Rendant compte de la façon dont la globalisation transforme tant les vies et les identités personnelles que la nature et les formes d’interaction des institutions publiques, ces débats théoriques convergent dans leur appréhension d’un changement paradigmatique qui exige de sortir des cadres binaires de pensée et d’analyse.
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[4]
Certaines approches qui défendent la perte de force heuristique du territoire en tant qu’outil d’analyse sont, elles aussi, fortement critiquées ; pour notre part, nous considérons ici qu’il y a une forte diversification des rapports au territoire plutôt que disparition totale du lien territorial.
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[5]
Levitt et Glick-Schiller proposent la notion de champ social transnational afin d’inclure migrants et non-migrants dans une même sphère de vie sociale englobant « l’expérience des migrants au sein de domaines d’interaction où les individus, sans avoir à se déplacer, maintiennent des relations sociales au-delà des frontières à l’aide de diverses formes de communication » (Levitt & Glick-Schiller, 2003, p. 7). Les champs sociaux transnationaux deviennent alors la scène de vie quotidienne de nombre d’individus qui, sans avoir migré, mènent une existence reliée à d’autres personnes dans des locations éloignées et disparates grâce à une maille dense de relations sociales à cheval sur plusieurs frontières (Glick-Schiller, 2004 ; Levitt & Nyberg-Sorensen, 2004).
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[6]
Sous cet angle, les trajectoires transnationales des migrants nécessitent d’être mises en rapport avec leur « bifocalisation » – bifocality – (Vertovec, 2009), voire pluri-focalisation, c’est-à-dire l’habileté des acteurs à agir en deux ou plusieurs environnements différents. En conceptualisant la société distinctement du politique et en considérant qu’elle est constituée par des ensembles de relations sociales qui croisent et chevauchent différents champs sociaux, dont certains transnationaux, les individus peuvent alors occuper en même temps différentes positions raciales, de classe ou de genre, par rapport à différents États.
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[7]
À titre d’exemple, les archives des forums de discussions hébergés par le site TheBans.com réunissent une multiplicité de récits et de représentations socialement partagés par les migrants roumains. Elles constituent le support d’une mémoire collective (Halbwachs, 1994) qui émerge de l’écheveau d’expériences migratoires individuelles historiquement situées, et sont reliées à des cadres sociaux collectifs. La mémoire du passé récent, l’expérience du communisme et de la transition socioéconomique postcommuniste, les raisons des départs, l’attachement à un espace culturel commun (valeurs, traditions, langue,…) mais aussi un projet migratoire partagé constituent le liant social de ces nouvelles communautés virtuelles des migrants (Nedelcu, 2002, 2009) où se transmettent entre autres des « souvenirs », des « notions », des « enseignements » et des « symboles » (Nedelcu, 1994).
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[8]
Il s’agit d’une pratique très fréquente en Roumanie où plusieurs générations cohabitent souvent sous un même toit. La solidarité intergénérationnelle étant, en effet, très forte dans les familles élargies roumaines, sa transposition à échelle transnationale prouve que la mobilité sert, dans ce cas, à maintenir les mêmes liens à distance.
1 À l’ère de la globalisation et de la révolution numérique, les migrations contemporaines entrent dans une nouvelle dynamique. La mobilité (des personnes, des idées, des connaissances et des objets) est non seulement une caractéristique dominante (Canzler et al., 2008) de la société en réseaux (Castells, 1998), elle devient également le lieu d’une nouvelle différenciation sociale et est érigée en principale clé de lecture d’un nouveau paradigme exigeant de redéfinir le social « au-delà des sociétés » – beyond societies (Urry, 2000). En dévoilant les limites des « préceptes des sciences sociales » fondamentalement « territoriaux » et « sédentaires » (Hannam, Sheller & Urry, 2006, p. 1), ce paradigme donne sens aux nouvelles dynamiques et structurations sociales nées de la mobilité et qui débordent largement le « conteneur national » – national container (Beck, 2006) – des pratiques et des normes sociales.
2 Si le transnationalisme migrant n’est pas un phénomène nouveau dans l’histoire des migrations internationales, il n’en acquiert pas moins, à l’ère du numérique, des formes inédites et qualitativement nouvelles (Nedelcu, 2009). Les technologies d’information et de communication (TIC), devenues largement accessibles, sont à l’origine de dynamiques et d’échanges transnationaux inattendus qui se greffent sur un régime permanent de téléprésence [1]. Avec la pénétration de ces TIC dans toutes les sphères de la vie sociale, la manière dont les individus se situent et perçoivent leur position dans le monde se transforme significativement ainsi que les structures sociales dont ils font partie. De la sorte, Internet facilite la coprésence des acteurs mobiles dans des lieux multiples et crée les prémices de l’émergence d’habitus transnationaux, engendrant de nouveaux modes de mobilisation et de cohésion à distance. En conséquence, la révolution digitale accélère une profonde transformation sociétale et contribue à une sorte de « cosmopolitanisation des sociétés des États-nations » (Beck, 2006). Elle produit également de nouvelles formes d’identification, d’appartenance et de participation qui défient certains modèles et théories migratoires actuels.
3 Basé sur une étude sociologique de l’usage d’Internet par des migrants roumains hautement qualifiés [2], cet article aborde les transformations du lien social, des processus de socialisation et des identités engendrées par les TIC dans le monde des migrants sous l’angle des habitus transnationaux. Tout d’abord, d’un point de vue théorique, nous soulignerons la valeur heuristique de l’approche transnationale qui permet de déconstruire l’équation territoriale entre État, nation et société. Dans l’optique cosmopolitique des migrations internationales que nous adoptons ici, nous faisons du concept d’habitus transnational une clé de lecture de l’émergence de mode de vie connectés, dans lesquels s’enchevêtrent de multiples référents culturels et identitaires, locaux, nationaux et globaux. Ensuite, à partir de plusieurs exemples tirés de nos recherches de terrain, nous montrerons qu’Internet devient, en contexte migratoire, un outil d’innovation sociale avec des finalités dialogiques. D’une part, il contribue à la multiplication des appartenances des migrants, leur permettant de s’approprier des valeurs cosmopolites, de développer des identités et des biographies déterritorialisées. D’autre part, les TIC constituent un nouveau creuset social où se cristallisent de nouvelles façons de « vivre ensemble » et d’agir à distance en temps réel ; elles renforcent ainsi le maintien des liens avec le pays d’origine. En conclusion, nous mettons en évidence une transformation du lien social à distance qui interroge le sens des ancrages territoriaux des pratiques sociales. Nous défendons alors l’idée de l’émergence d’une forme de cosmopolitisme « banal » (Beck, 2006), enraciné dans le quotidien des individus.
1. – Le transnationalisme migrant à l’ère du numérique
4 Au cours des vingt dernières années, l’approche transnationale est devenue un paradigme dominant dans l’étude des migrations internationales (Glick-Schiller et al., 1992 ; Portes et al., 1999 ; Vertovec, 2009). Celui-ci, en reflétant une « disjonction croissante entre territoire, subjectivité et mouvement social collectif » (Appadurai, 1990), permet de capter des pratiques et des dynamiques économiques, culturelles et politiques très variées et complexes qui traversent les frontières étatiques et, ce faisant, dessinent de nouvelles morphologies sociales (telles que les communautés transnationales, les réseaux transnationaux ou les espaces sociaux transnationaux).
5 En même temps, les processus transnationaux, bien qu’ils aient précédé les temps modernes et ne constituent guère une nouveauté du XXe siècle (Schnapper, 2001 ; Vertovec, 1999 ; Portes et al., 1999), entrent dans une phase qualitativement nouvelle avec la révolution numérique (Nedelcu 2009; Vertovec, 2009). Les nouvelles formes du transnationalisme migrant se caractérisent non seulement par une forte intensité des activités et échanges transnationaux mais aussi par la simultanéité rendue possible par les nombreuses technologies de communication qui permettent aux migrants de vivre en prise avec plusieurs univers géographiquement éloignés et culturellement distincts, auxquels ils s’identifient et participent, le plus souvent quotidiennement, voire continuellement (Vertovec, 2009 ; Nedelcu, 2010). Cette possibilité contribue à transformer profondément le sens de l’ancrage territorial de la vie quotidienne des migrants. Ces derniers se meuvent dans des espaces sociaux transnationaux et dessinent de nouvelles configurations sociales en créant de nouvelles géographies du social et du politique. Les migrants online incarnent ainsi un certain nombre de dimensions complexes des processus de cosmopolitanisation des mondes sociaux interconnectés : l’imbrication et l’enchevêtrement de multiples espaces d’appartenance ; un système multipolaire de références, loyautés et identifications ; une complexification des régimes d’appartenances et de citoyenneté ; de modes de vie multi-connectés ; la capacité d’agir à distance en temps quasi-réel (Beck 2006 ; Nedelcu 2009, 2010 ; Georgiou 2010).
1.1. – Repenser le transnationalisme migrant sous un angle cosmopolitique
6 Sensibles à ces transformations, les chercheurs en sciences sociales sont de plus en plus nombreux à défendre la nécessité d’élaborer une « perspective globale » des processus migratoires (Wimmer et Glick-Schiller, 2002 ; Badie et al., 2008). En s’appuyant sur des débats théoriques plus généraux ayant pris de l’ampleur ces dernières années, certains vont encore plus loin en y annonçant un tournant cosmopolitique (Beck, 2006 ; Nedelcu, 2009, 2010). Il s’agirait ainsi de relier les études transnationales à un débat épistémologique en train de forger une nouvelle grammaire des sciences sociales et qui s’articule autour du « cultural turn » (Chivallon, 2006), de la « glocalisation » (Robertson, 1994 ; Roudometof, 2005), de la « dénationalisation » (Sassen, 2003), de la « globalisation interne » (Beck, 2002), du « mobility turn » (Urry, 2008), etc [3]. Ce débat, qui critique les limites du « nationalisme méthodologique » selon lequel l’État-nation est l’unité d’analyse des dynamiques sociales, vise à déconstruire l’équivalence implicite entre État-nation et société dont sont empreints les concepts et les méthodes des sciences sociales (Wimmer & Glick-Schiller, 2002 ; Beck, 2006). Car, si les outils d’analyse sociologique reposent presque sans exception sur l’idée de fixité, de sédentarité et de délimitation territoriale (nationale) des structures sociales (Beck, 2008), la mobilité croissante qui traverse les modes de vie actuels pointe les limites de la territorialité [4] comme catégorie pour penser les identités culturelles plurielles, les pratiques transnationales et les appartenances cosmopolites (Benhabib, 2004 ; Beck, 2006 ; Georgiou, 2010).
7 En réponse à ce défi, Beck (2006) propose une nouvelle approche épistémologique et méthodologique en sciences sociales – « cosmopolitique », « politiquement ambivalente », « réflexive ». S’opposant à l’optique nationale, son « cosmopolitisme méthodologique » remplace le postulat disjonctif « ou…ou » par le principe « à la fois/et » – both/and. Dans cette logique d’« inclusion additive » sont possibles les appartenances plurielles et inclusives et coexistent des réalités et dynamiques apparemment contradictoires : des mouvements nationalistes avec des orientations transnationales, des identifications locales avec des formes d’activisme global, etc. Elle repose sur une « imagination dialogique », c’est-à-dire la capacité des acteurs sociaux de percevoir et incorporer « l’altérité de l’autre » – the other otherness – autorisant une optique cumulative selon laquelle un individu peut être à la fois inclus et exclu, occuper différentes positions sociales en rapport avec différentes sociétés nationales, être engagé à la fois dans des mouvements locaux et globaux (Beck, 2002, 2006).
8 Le point de vue cosmopolitique ouvre une perspective prometteuse pour l’étude des migrations internationales notamment à l’ère du numérique. Il constitue une alternative intéressante tant au « nationalisme ethnocentrique » qu’au « multiculturalisme particulariste » (Vertovec 2001) et, de la sorte, offre une lecture renouvelée des allégeances et actions transnationales des populations migrantes et non-migrantes. Enfin, il contribue également à mieux comprendre les conséquences des processus de « glocalisation » (Robertson, 1994) sur la mobilité des personnes et à mieux saisir les interdépendances multiformes et multi-échelles qui se créent entre les processus migratoires et la globalisation.
9 De surcroît, une telle approche épistémologique permet tant de cerner les transformations profondes et durables de la vie sociale sous l’impact des TIC, de la globalisation et des mobilités, que de comprendre le sens de ces changements en rapport avec une nouvelle « géométrie du pouvoir » (Massey, 1993) modelée par une intensification sans précédent des flux et des mouvements (Castells, 1998). Une telle optique mène également à repenser les significations polymorphes de l’espace et de l’identité à la lumière de l’étalement des relations sociales à l’échelle du monde à l’ère du numérique. Par ailleurs, une sociologie cosmopolitique s’attache à décrypter la nouvelle différenciation sociale que génère la compression temps-espace de la (post)modernité réflexive (Harvey, 1989 ; Beck, 2006). Elle permet également de déchiffrer une nouvelle structuration de l’espace social à travers ce que Giddens (1984) appelle la « distanciation espacetemps », c’est-à-dire une réorganisation du temps et de l’espace dans la vie sociale qui tient compte de la présence et de l’action de l’absent. Cela suppose d’interroger la transformation du sens de la distance géographique et du lien social par la proximité informationnelle dans un régime d’ubiquité numérique. L’on en vient alors à considérer les pratiques transnationales des migrants au regard d’une socialisation au monde de nouvelles générations dont l’imaginaire et les réseaux sociaux ne se limitent plus à un contexte local, voire national.
1.2. – Habitus social transnational : une clef de lecture cosmopolitique des modes de vie connectés des migrants à l’ère du numérique
10 Les modes de vie imprégnés par les relations sociales à distance, la communication et la mobilité s’étendent aujourd’hui tant dans le monde des migrants que des non-migrants. Par ailleurs, l’approche transnationale pointe ce changement significatif de la vie sociale : le quotidien se transnationalise non seulement pour les migrants, mais aussi pour des populations non-migrantes, qui sont amenées à vivre une expérience équivalente au transnationalisme sans se déplacer (Levitt & Glick-Schiller, 2003 ; Levitt, 2001). Ce constat est d’ailleurs au cœur du projet des études transnationales : reformuler le concept de société autour de l’émergence des champs sociaux transnationaux [5] multi-localisés qui relient des échelles territoriales fortement enchevêtrées et traversent des espaces sociaux à hiérarchies superposées. Dans ce processus, l’apport des TIC est signifiant car ces technologies intensifient et diversifient les façons d’être ensemble et d’appartenir à distance, c’est-à-dire d’une part les relations et les pratiques sociales transnationales dans lesquelles s’engagent les individus et, d’autre part, la mémoire, la nostalgie voire l’imaginaire qui les poussent à se connecter avec d’autres personnes, en fonction de leur origine, mais aussi de leurs intérêts, de leur ouverture au monde et de leur attachement à des cultures et des causes spécifiques. Dès lors, à l’ère du numérique, la notion de champ social transnational renforce sa valeur heuristique par sa capacité à saisir une qualité et une forme de différenciation sociétale historiquement nouvelle. Elle fournit un cadre multifocal [6] d’analyse des identités, des positions sociales et des rapports de pouvoir entre des acteurs qui se différencient selon leur degré d’ouverture vers d’autres mondes et cultures et l’attachement culturel et territorial à des lieux, des traditions et des institutions spécifiques (Levitt & Glick-Schiller, 2003).
11 Des familles qui vivent de manière transnationale, des individus éduqués de sorte à acquérir des compétences sociales et culturelles éclectiques, des enfants qui maîtrisent deux ou plusieurs langues dès leur plus jeune âge, ou encore des non-migrants qui s’approprient, à distance, un sens nouveau de l’altérité dressent les repères ontologiques d’un processus de cosmopolitisation dans lequel l’homme tisse de nouveaux rapports avec le monde et prend conscience de la relativité de sa position et de sa culture au sein d’un espace social global (Beck, 2008). De cette façon, se rapportant constamment à un cadre dual de référence, migrants et non-migrants organisent et ordonnent leur vie sociale sur une base transnationale. Le lien social connaît une mutation d’envergure car une « présence imaginée », voire une coprésence, se développe aujourd’hui indépendamment des relations de face-à-face (Beck, 2002 ; Urry, 2000 ; Appadurai, 1996). Ce constat nous amène à repenser la socialisation – en tant que processus d’apprentissage de la culture d’un groupe, d’intériorisation des fonctions sociales, mais également de « construction d’un monde vécu » (Dubar, 2000) – comme un processus qui se détache peu à peu du lieu de vie de l’individu. Ainsi, le fonctionnement transnational des familles engendre, par exemple, un type nouveau de socialisation ; les échanges, la transmission de valeurs entre générations et l’inculcation d’habitus se déploient de plus en plus en contextes déterritorialisés (Levitt & Glick-Schiller, 2003 ; Nedelcu, 2009a). Comme nous allons le voir plus loin, Internet, et en particulier ses fonctions visiophoniques – Skype, MSN –, y contribuent largement. Ces nouvelles formes de socialisation conduisent également à de nouveaux modes de coordination des actions et de négociation des « mondes » qui se reflètent dans une multiplication des « formes identitaires » (Dubar, 2000) des acteurs sociaux, lesquels s’adaptent différemment à l’inextricable cosmopolitisation de leur univers de vie (Beck, 2008).
12 Dans cette configuration, à chaque champ transnational correspond un habitus imprégné par le caractère transnational de l’espace social qu’il sous-tend. Défini par Bourdieu (1979) comme un système de dispositions «durables et transformables »,qui fonctionnent en tant que principes générant et organisant des pratiques et des représentations, l’habitus exprime la façon dont les premières expériences et l’origine sociales des individus s’impriment dans leur « façon d’être » dans le monde par un processus – le plus souvent inconscient – d’intériorisation de l’extériorité. Ce processus se traduit par la constitution des inclinaisons à penser, à percevoir, à faire d’une certaine manière – dispositions assimilées par l’individu durablement et qui composent son axe d’unité. Par ailleurs, Bourdieu (1979) souligne que l’habitus « n’est pas un destin », il est le produit de la socialisation ; ainsi, il tend à reproduire quand il est confronté à des situations habituelles mais innove face à des situations inédites. C’est cette transformation innovante qui nous intéresse plus particulièrement ici, à savoir comment l’empreinte des modes de vie transnationaux s’incruste dans les processus de socialisation, engendrant des manières de faire et d’agir qui, à long terme, incorporent la dimension transnationale. Dans cette veine, certains chercheurs ont tenté de conceptualiser l’expérience transnationale à travers la notion d’habitus transnational, afin de mieux comprendre comment se forment et se manifestent les orientations duales et par quels mécanismes les migrants gèrent la multiplicité et développent des compétences (émotionnelles, analytiques, créatives, communicatives et fonctionnelles) transnationales et cosmopolites (Vertovec, 2009). Guarnizo (1997) montre d’une part que ce type d’habitus « résulte du processus migratoire même conduisant au déploiement des vies des individus à travers les frontières nationales, et devient une sorte de ‘deuxième nature’ »; d’autre part, il met en évidence la similitude « des habitus transnationaux des migrants appartenant au même groupe social (classe, genre, génération) » ainsi que « l’émergence de pratiques transnationales répondant à des situations spécifiques » (Guarnizo, 1997, p. 311).
13 Dans ce qui suit, à travers l’analyse des pratiques de coprésence découlant de l’usage de TIC grâce auxquelles migrants et non-migrants investissent des champs sociaux transnationaux, nous nous penchons plus particulièrement sur les processus à l’origine des habitus transnationaux. Nous intégrons également à cette analyse une autre notion clé bourdieusienne souvent laissée au second plan (Costey, 2005): l’illusio, « ce rapport enchanté à un jeu qui est le produit d’un rapport de complicité ontologique entre les structures mentales et les structures objectives de l’espace social » (Bourdieu, 1996, p. 151). Il s’agit précisément des mécanismes à travers lesquels l’habitus opère en produisant la réconciliation d’un sens subjectif et d’un sens objectif, ce qui « conduit ceux qui possèdent la maîtrise pratique de cet univers à anticiper de façon correcte les évolutions du jeu » (Costey, 2005, p. 14). Ainsi, l’étude de l’usage d’Internet au sein des familles et des réseaux transnationaux des migrants roumains constituera le point de départ pour comprendre comment se construit au quotidien un univers de vie transnational qui mise sur l’ubiquité, la simultanéité et l’instantanéité des interactions malgré la distance ; ce faisant, nous pourrons expliquer comment émerge ce savoir incorporé en pratique, souvent inconscient car « l’illusio n’est pas de l’ordre des principes explicites, des thèses que l’on pose et que l’on défend, mais de l’action, de la routine, des choses que l’on fait » (Bourdieu, 1997, pp. 122). Nous analyserons de la sorte comment les migrants, et ceux qualifiés en particulier, développent un habitus qui leur est propre ; mélange de référents culturels tant locaux, nationaux que cosmopolites, cet habitus se forme et s’enracine en fonction d’un mode de vie qui se construit dans la mobilité.
2. – L’usage des TIC en migration : l’effet miroir de nouvelles situations migratoires
14 L’étude des migrations des professionnels roumains hautement qualifiés à Toronto a révélé le rôle complexe d’Internet dans la mise en place de nouveaux modèles migratoires. En reprenant certains résultats de nos recherches (Nedelcu, 2002, 2009, 2009a), nous proposons cette fois d’interroger la « fonction miroir » (Allal et al., 1977) de ces nouvelles situations migratoires s’articulant autour de la capacité accrue des migrants, des futurs-migrants et des non-migrants d’être et d’agir ensemble à distance grâce aux TIC. Nous essayons alors de comprendre de quels changements sociaux ces situations sont révélatrices, notamment en termes d’identités, de liens sociaux et d’habitus.
2.1. – Internet – un nouveau catalyseur migratoire et communautaire
15 Si, pendant les années 1990, les pays d’Europe occidentale sont restés difficilement accessibles pour les migrants roumains, y compris hautement qualifiés, le Canada est devenu leur destination privilégiée. En 2002, la Roumanie était le premier pourvoyeur européen de résidents permanents au Canada, en septième position dans le « Top Ten » des pays d’origine de nouveaux-arrivants (après la Chine, l’Inde, les Philippines, le Pakistan, les États-Unis et la Corée du Sud). Néanmoins,le début des années 1990 constitue une étape d’exploration migratoire pour les nouvelles générations de migrants roumains qui jouissent d’un droit à la mobilité inexistant sous le régime communiste. Cette période est faite de tâtonnements, les réseaux migratoires étant encore rares et peu organisés. Dans ce contexte, la création d’un site web (www.thebans.com), en 1996, par une jeune famille de programmeurs roumains émigrés à Toronto a constitué la pierre angulaire d’un nouveau modèle migratoire (Nedelcu, 2002, 2009). Sollicités chaque année par des dizaines d’amis, collègues et connaissances qui venaient au Canada, ces jeunes ont utilisé leurs expériences et connaissances migratoires pour mettre en ligne un guide à l’intention du nouvel arrivant « The Newcomer’s guide to Toronto ». Celui-ci réunissait nombre d’informations pratiques sur l’entretien à l’ambassade canadienne en vue d’obtenir le visa de résidence, les premières démarches administratives à faire à l’arrivée (sécurité sociale, permis de conduire,…), des astuces et tuyaux pour dénicher un premier emploi et acquérir de « l’expérience canadienne », pour trouver un premier logement, etc. Ce site s’est d’abord développé par l’articulation du capital migratoire de ses concepteurs à leurs compétences techniques et professionnelles. Doté de plusieurs forums de discussion, il est ensuite devenu une plateforme d’échanges des « savoir-circuler » entre migrants et le catalyseur d’une identité collective.
16 Si, en 2010, ces pratiques se sont banalisées avec la multiplication de plateformes collaboratives sur Internet, dix ans auparavant ce moyen de transmission et de multiplication des savoirs migratoires constituait une vraie innovation sociale (Nedelcu, 2002). Les réseaux virtuels ont fonctionné comme des réseaux d’échanges de pratiques et de connaissances, environnements d’apprentissage social dans lesquels circule une expertise composée de savoirs explicites et tacites. En outre, l’espace virtuel se profile comme un espace social (Bourdieu, 1979) multifonctionnel. Les informaticiens roumains ont fait d’Internet leur principale ressource migratoire, créant ainsi une mémoire collective [7] de la migration récente au Canada et un espace d’adaptation à distance préparant l’intégration à leur future société d’accueil (Nedelcu, 2002). Par ailleurs, la reproduction de relations sociales ‘online’ constitue une vraie stratégie adoptée par le migrant pour satisfaire un besoin social en termes d’information, de sociabilité, de support émotionnel, culturel, d’opportunité de travail ou autre.
17 Pour la plupart des Roumains arrivés à Toronto au début des années 2000, le processus d’immersion dans la société canadienne avait débuté quelques mois, voire quelques années auparavant. La consultation assidue des sites Internet, les échanges par email avec des collègues déjà installés au Canada et la fréquentation des forums de discussion au sujet de la migration ont contribué à une socialisation transnationale des futurs migrants. Par exemple Claudiu, jeune informaticien arrivé à Toronto depuis quatre mois au moment de l’interview en novembre 2003, avait beaucoup « surfé » sur la Toile avant de partir afin de réunir toute information potentiellement utile pour les premiers jours et semaines après l’arrivée.
« Le jour où je suis arrivé à Toronto, je savais parfaitement quels pas je devais faire au début. J’avais même établi un agenda, jour par jour, pour résoudre très vite les choses administratives. Encore au pays, j’avais cherché des gens, des contacts. J’ai trouvé d’abord un groupe de Roumains de Vancouver et j’ai posé des questions sur cette liste de discussion. Ils m’ont répondu et m’ont envoyé l’adresse du site http://www.thebans.com. Il y avait une section – the newcomer guideline – où on expliquait comment se préparer au départ, qu’apporter dans ses bagages, ce qu’il faut faire en arrivant au Canada, pas à pas, pendant la première semaine. J’ai pratiquement passé les deux derniers mois avant mon départ à surfer sur le site et sur les forums du site, en me documentant au mieux.[…] Sur le forum, je suis entré en contact avec quelqu’un qui était encore en Roumanie et qui partait en même temps que moi à Toronto ; on a cherché ensemble à louer un appartement, il est actuellement mon colocataire ; et pratiquement toutes les personnes que je connais actuellement à Toronto sont des personnes rencontrées sur les forums « thebans », on s’était envoyé des e-mails mais maintenant on se téléphone, parfois on se rencontre, on est resté en contact ». (Claudiu, informaticien, 26 ans)
19 C’est également le cas de Cosmin qui, grâce aux informations et conseils reçus dans les forums de discussions de TheBans, a pu objectivement peser ses atouts migratoires avant de partir et, notamment, par rapport à sa situation professionnelle en Roumanie et ses chances de retrouver dans un laps de temps raisonnable, de deux à trois ans, la même position sociale. Chef du département des technologies d’information dans une chambre de commerce d’une grande ville roumaine, il bénéficiait d’un statut social et matériel privilégié et d’une bonne qualité de vie. Le Canada représentait pour lui un défi, l’attraction d’un marché compétitif qui lui donnait envie de mesurer ses forces dans un environnement professionnel stimulant. Mais Cosmin était en même temps conscient que le défi pouvait être difficile à relever et qu’un échec n’était pas impossible. Il a alors pris des dispositions pour minimiser à la fois les risques et les dégâts d’une telle alternative.
« Conseillé par un ami, j’ai choisi de venir d’abord sans ma famille, pour que les difficultés des débuts – trouver un logement, un bon emploi, gagner un peu de stabilité – soient plus facilement surmontables. […] J’étais préparé à tout scénario, y compris de rentrer en Roumanie. Quand on émigre, il faut en général vendre tous ses biens pour se procurer l’argent nécessaire. Au Canada, après 4-5 ans t’arrives en général à une stabilité économique, tu possèdes une voiture, une maison. Moi, j’avais déjà tous ces biens en Roumanie et je n’ai pas voulu prendre le risque de tout liquider, j’ai voulu tout garder pour voir si je peux aussi réussir au Canada […] Depuis le site http://www.thebans.com et un autre forum ciblé sur les questions migratoires du site www.kappa.ro j’ai sélectionné beaucoup d’informations et j’ai constitué une petite base de données très utile. Je suis venu avec les cartes de la ville, le plan et les horaires de bus imprimés déjà en Roumanie, je connaissais énormément de choses sur la ville, je savais où se trouvent les quartiers à forte densité de Roumains, où sont leurs lieux de rencontre, j’avais même imprimé l’agenda des activités communautaires pour la semaine où j’étais arrivé. Par ailleurs, j’ai apporté mon ordinateur portable, j’avais stocké une grande quantité d’informations, y compris des logiciels, des bases de données avec des contacts, des adresses des firmes canadiennes et roumaines, d’ici et de là-bas […] En plus, je suis en contact permanent avec ma femme et ma famille, on s’écrit tout le temps, plusieurs fois par jour, on se téléphone avec skype, avec la webcam on se voit, c’est ainsi que j’ai pu voir la première dent de ma fille ! » (Cosmin, ingénieur automaticien, IT manager, 43 ans).
21 Sa stratégie lui a donc permis de se familiariser avec l’environnement torontois avant le départ. À travers l’information extraite d’Internet, Cosmin s’est approprié une géographie raisonnée de la ville de Toronto, jalonnée par des repères administratifs et communautaires.
22 Adela et son mari, tous les deux informaticiens, ont trouvé sur le même site web non seulement un réservoir inestimable d’informations utiles pour préparer leur départ, mais aussi la clé leur ouvrant la porte d’entrée au marché du travail canadien.
« En préparant le départ, une connaissance de ma mère qui se trouvait déjà au Canada, nous a donné une piste : un site Internet où il y avait beaucoup d’informations pour les futurs migrants : http://www.thebans.com. J’ai imprimé des dizaines de pages et, pendant les dernières semaines avant notre départ, j’ai tout lu : comment rédiger un CV, comment préparer l’entretien d’entrée, que faire pendant les premiers jours ; ce sont en effet les seules informations précises que nous avons eues. Et qui aurait pensé qu’un jour ce serait moi qui mettrais à jour ces pages web ! Nous avons écrit des e-mails à M., le créateur du site, sans le connaître, avant de venir à Toronto. […] C’est ainsi que mon mari a décroché son premier emploi » (Adela, informaticienne, 39 ans).
24 Ces exemples montrent à quel point le site web http://www.thebans.com était devenu, au début des années 2000, la principale source d’information pour les futurs migrants roumains au Canada, leur offrant dès lors un premier point d’ancrage dans la société d’accueil. En même temps, thebans.com a constitué un réservoir de compétences informatiques et a joué le rôle d’interface entre les employeurs canadiens et les informaticiens roumains, les réseaux virtuels concourant à une intégration plus rapide du marché du travail canadien. Par ailleurs, Internet s’est transformé en nouvel « incubateur » communautaire. Les dynamiques d’échanges dans les forums de discussions ont mené à la création d’un groupe d’accueil de nouveaux migrants, puis d’une association et d’une école roumaine à Toronto. De ce fait, Internet a facilité la mise en réseau de co-nationaux partageant un même endroit de résidence ; les pratiques « virtuelles » et « déterritorialisées » acquièrent dès lors du sens par rapport à un quotidien localement ancré.
25 L’espace virtuel réunit ainsi les caractéristiques d’un espace d’expérimentation sociale dans lequel le migrant s’acclimate plus rapidement à son futur pays d’accueil, en s’appropriant à distance sa géographie, ses politiques et sa réalité sociale ; il se réinvente une identité, en entremêlant des signifiants culturels hérités de ses parcours migratoires (réels ou imaginaires) ; il apprend à surmonter les distances, en continuant de vivre en prise avec son pays d’origine ; participe à la production d’une expertise migratoire et communautaire collective, en faisant valoir ses compétences professionnelles et sociales ; continue à s’identifier à une origine partagée, tout en adoptant une position critique vis-à-vis de son héritage ancestral ; développe un imaginaire cosmopolite et une conscience d’exister dans un quelque part multiple (Nedelcu, 2009). En somme, Internet devient un espace social transnational intermédiaire, une sorte « d’espace liminal caractérisé par un degré de créativité élevé. Cette zone, aux limites multiples, est un avant-poste de la modernité ; y sont expérimentées de nouvelles manières de résoudre les problèmes qui peuvent se poser dans les relations sociales contemporaines » (Karim, 2003, p. 16, cité dans Bernal, 2006, p. 163).
2.2. – Identités multiples, habitus transnationaux et nouveaux modèles du lien social à distance
26 Internet introduit une dimension nouvelle de l’expérience sociale. De manière générale, devant son ordinateur, par écran interposé, l’individu – migrant, futur migrant ou non-migrant – fait l’expérience de l’altérité au quotidien. Il s’imprègne des géographies lointaines et se familiarise avec des univers culturels qui ne lui sont pas propres. Il s’approprie des codes de compréhension et d’appartenance, il s’y projette, il s’y oppose ou il y adhère, il y est (mentalement) sans (encore) y être (physiquement)… De ce fait, en tant que nouvel espace de socialisation à distance à un univers socioculturel méconnu, Internet assure ce que Giddens appelle une forme de « sécurité ontologique » ; c’est-à-dire « un phénomène davantage émotionnel que cognitif », enraciné dans l’inconscient, qui concerne l’ « être au monde » et qui s’applique « à la confiance de la plupart des êtres humains dans la continuité de leur propre identité et dans la constance des environnements d’action sociaux et matériels » (Giddens, 1994, pp. 98-99). Si cette sécurité a comme point de départ la socialisation primaire, elle se construit sur un sentiment de confiance qui se consolide avec l’expérience et qui constitue la base du développement d’une identité (self-identity) durable.
27 Il nous semble d’ailleurs intéressant de noter la fréquence et l’intérêt que les questions liées aux processus de transformation identitaire ont suscité dans les forums de discussion du site http://www.thebans.com. Dans ces débats, des stéréotypes, véhiculés notamment par les futurs migrants résidants en Roumanie, ont été confrontés à des visions plus objectives, résultant de l’expérience vécue des migrants roumains au Canada. À titre d’exemple, en mai 2002, le sujet de la cohabitation multiculturelle et multiraciale au Canada a mobilisé beaucoup d’énergies et suscité de vives réactions dans le forum Romania online. En résumé, ce débat a été polarisé avec l’opposition très nette entre deux camps : d’un côté, les défenseurs de l’enrichissement identitaire facilité par un environnement sociopolitique favorable à la diversité culturelle et un contexte social de grand métissage ; et de l’autre, les partisans d’une supériorité de l’homogénéité culturelle, source de cohésion et d’unité sociales. Les prises de position nombreuses et parfois très vives prouvent que l’apprentissage de l’altérité est un processus qui perturbe les signifiants identitaires. Ce processus peut aboutir à des attitudes de large ouverture sur le monde, donnant lieu ainsi à des perspectives et des modes de vie cosmopolites. Cependant, il peut aussi produire a contrario le renfermement dans une optique étroite, autour d’un « noyau essentialisé » de l’identité (Melucci, 1989) célébrant les vertus d’un entresoi homogénéisant. L’une des personnes interviewées évoque ce débat en le commentant par le biais de son expérience vécue ultérieurement au Canada.
« Je me rappelle que j’avais suivi attentivement les polémiques nées autour de la présence massive de migrants indiens, pakistanais et chinois au Canada. J’étais encore à Bucarest, et c’est vrai qu’on a réfléchi pendant quelques jours à ce que ça nous ferait de vivre parmi ces gens là ! On a éprouvé un sentiment contradictoire car cela mettait en question nos représentations du Canada, symbole de civilisation et de qualité de vie. Il était difficile d’imaginer que la qualité de vie et la diversité culturelle vont de pair ! […] Je ne me rendais pas compte à l’époque, mais l’image créée à travers ce débat était fortement connotée ; avec le recul, je peux dire qu’elle était indubitablement raciste ! On occultait par ailleurs que ces « exotiques » étaient aussi des gens éduqués, des professionnels et des informaticiens comme nous. » (Amina, informaticienne, 32 ans)
29 Ce récit soulève la question d’un nécessaire travail sur soi auquel le migrant ne peut pas échapper. La migration implique immanquablement un ajustement des représentations de soi et d’autrui. Ici Internet joue un rôle crucial car l’exposition à la réalité de la société d’accueil, à l’altérité et à la diversité culturelle précède le départ ; ces dynamiques enclenchent un processus de remaniement des valeurs autour de cette nouvelle réalité.
« Grâce aux forums de discussions nous avons appris ce qu’est la diversité culturelle et on s’est préparé en quelque sorte à notre future vie à Toronto. En Roumanie, c’était inimaginable d’accepter que des gens des pays dont tu n’as pas idée d’où ils se trouvent sur la carte viennent travailler… nous avons vécu dans une société exclusive d’un point de vue culturel. Or, au Canada c’est tout le contraire. Je disais à un collègue que je ne suis pas canadienne et il m’a répondu : « Tu ne l’es pas encore car tu es arrivée il y a un an seulement, mais tu le seras dans deux ou trois ans ». Si tu vis ici, t’es canadien ! » (Carmen, informaticienne, 28 ans)
31 Acteurs de leur propre (re)configuration identitaire, les individus négocient les frontières de leurs identités et apprennent à vivre avec un sens multiple de « soi ». Ils sont amenés à faire constamment des choix, à apprendre de nouveaux langages et codes sociaux qui leur permettent de revendiquer leur autonomie et de redéfinir leur identité « mosaïque » (Melucci, 1989). Les forums de discussion constituent par ailleurs un environnement sécurisé d’apprentissage social. Les migrants roumains apprennent ainsi à être « d’ici et de là-bas », similaire et différent à la fois, en admettant que le métissage culturel, loin d’être le signe d’un affaiblissement identitaire, leur permet de mieux se situer dans un monde fait d’interdépendances globales et leur fournit des outils pour mieux négocier leurs intérêts en fonction d’une société ou de l’autre.
32 On assiste de la sorte à l’émergence d’un type d’acteur qui s’identifiera moins à une culture et à un groupe qu’à un mode de vie nouveau, cosmopolite, à l’intérieur duquel il faut faire un effort permanent d’adaptation à une réalité dynamique, fragmentée, faite de contrastes. Plus généralement, les informaticiens migrants inscrivent leur parcours de vie dans une culture de la mobilité (professionnelle et géographique) qui les rend particulièrement aptes à développer des visions et des trajectoires cosmopolites. Leur rapport privilégié aux TIC a permis de transformer ces dernières en outils indispensables à un savoir-vivre détaché des contraintes spatiales et temporelles, comme le prouve le récit suivant :
« Pour nous, le monde est devenu petit. Nous sommes partout « chez nous », nous allons là où on est bien, nous habitons le monde en quelque sorte. […] L’avantage de notre époque est que tu peux être n’importe où et paraître présent là où il faut. Par exemple, nos clients canadiens ne savaient pas que nous étions en Chine, car notre entreprise a continué de fonctionner malgré notre absence. Nous répondions aux emails professionnels d’un hôtel en Chine, de la plage au Brésil, ce matin de chez nos amis de Bâle ; seulement deux-trois collaborateurs très proches se trouvant à Toronto connaissent notre localisation et nous contactent en cas de besoin. Mais nous faisons un métier qui ne nécessite pas une présence physique, en tout cas pas tous les jours. » (Cristian, programmeur, 36 ans)
34 Ce trait de la modernité, conjugué à l’accélération des transformations technologiques et la généralisation de l’accès aux TIC pendant les dernières années, permet d’envisager le migrant – et le migrant qualifié en particulier – comme un individu capable de produire à lui seul le sens de sa mobilité, de construire son monde dans une distance et une tension continues avec la société et les espaces sociaux parcourus. Le migrant online maîtrise ainsi les mécanismes de « désencastrement » – disembedding – de ses relations sociales par rapport à des contextes locaux d’interaction et de transformation des perceptions spatiotemporelles du lien social (Giddens, 1994).
35 À l’autre bout de ce processus, on assiste également à un ajustement des attitudes, des valeurs et des mentalités dans la société d’origine. Il se met en place, de ce fait, une sorte de cohabitation à distance qui enrichit l’imaginaire de l’altérité. Le récit de Martin, architecte vivant à Bucarest et père d’un informaticien roumain résident à Toronto, en est éloquent :
« À force d’avoir des nouvelles de mon fils par e-mail presque quotidiennement, je me suis beaucoup intéressé à son cadre de vie, à ce qui lui plaît dans son nouvel environnement, à ce qui le dérange… Il m’a raconté ces premiers pas et expériences, il m’a renvoyé des liens vers des sites web qui expliquent bien ce qu’il vit tous les jours… j’ai fini par comprendre qu’être canadien se traduit par savoir vivre tous ensemble, en acceptant les différences, les valeurs et les apports de chacun ! Cela a changé ma vision. En Roumanie, je ne m’étonne plus de voir aujourd’hui des Turcs et des Chinois qui s’y installent… ou plutôt, cela ne m’agace plus ! » (Martin, architecte, 66 ans)
37 Maria, grand-mère sexagénaire vivant à cheval sur les deux pays depuis plus de deux ans depuis qu’elle a pris sa retraite et qu’elle s’occupe de son petit-fils, exprime, elle aussi, le bouleversement qu’ont connu ses valeurs et repères avec son nouveau mode de vie :
« Quand je suis arrivée à Toronto la première fois, j’ai ressenti un sentiment contradictoire. D’un côté je me trouvais dans un environnement familier chez ma fille ; avant d’y venir, on était en contact quotidien par e-mail. Ils m’avaient envoyé des photos et de petits films, je connaissais non seulement leur appartement, mais aussi leurs voisins et leur quartier. On se parlait par MSN deux-trois fois par semaine, je connaissais leur vie au jour le jour. De l’autre côté, la première fois que j’ai pris le métro à Toronto, je me croyais à une assemblée des Nations unies… je ne pouvais pas imaginer ce qu’une « société multiculturelle » voulait dire ! Cela m’a fait un coup ! […] J’ai beaucoup appris de mon petit-fils. Né ici, il a grandi dans un esprit différent. Il a 13 ans maintenant… il n’est pas complètement roumain, comme il n’est pas seulement canadien non plus… il passe son temps sur Internet, il s’intéresse à ce qui se passe dans le monde […] l’année passée il nous a dit qu’il irait vivre en Asie quand il sera grand, car l’Europe et l’Amérique, il connaît déjà… et c’est la Chine qui va conduire le monde… Cela m’a fait beaucoup réfléchir, en fait il y a quinze ans je n’aurais même pas pu me projeter en dehors de la Roumanie communiste… et maintenant je comprends très bien ma fille qui a vécu à Berlin, à Dublin et maintenant à Toronto… avec son mari, ils ont d’autres valeurs que celles de notre génération, ils ont beaucoup plus d’options dans la vie, ils sont moins attachés aux lieux, même s’ils tiennent beaucoup à leurs origines roumaines (Maria, 63 ans, enseignante à la retraite)
39 Les grands-parents sont d’ailleurs nombreux à s’installer dans une mobilité inédite, engendrée par la délégation du travail domestique et de l’éducation des petits-enfants [8] (Nedelcu,2009a). Au prix de réinventer leur vie au quotidien, ils apportent une solution de continuité du lien familial avec des conséquences contrastées. Ils constituent des racines mobiles, leur présence au Canada assurant un confort robuste de stabilité pour leurs enfants. Leur présence dans les foyers canadiens de leurs enfants augmente l’intérêt et influence le degré d’attachement de jeunes professionnels au pays d’origine :
« Quand nos parents viennent chez nous, nous nous intéressons plus à ce qui se passe en Roumanie car ils écoutent les radios roumaines, ils lisent les journaux roumains online ; depuis peu, on peut enregistrer depuis le web des émissions de la chaîne de la télévision nationale, tvr1[…]. Ma femme et moi, on s’est donc surpris à redécouvrir cet univers des médias roumains. » (Cristian, informaticien, 32 ans).
41 Les grands-parents modifient aussi la façon dont ils s’imaginent (dans) le monde. Il en résulte une nouvelle optique, enrichie de pratiques et de représentations véhiculées dans les foyers de leurs enfants, qui se perpétuent pendant les périodes de séparation grâce à un mode nouveau de fonctionnement quotidien de la ‘famille transnationale’ (Bryceson & Vuorela, 2002). Car, de fait, avec l’entrée dans l’âge digital de la communication, les liens familiaux à distance ne s’affaiblissent guère. Les pratiques de continuité du lien social prennent des formes complexes. Par ailleurs, les avancées récentes des télécommunications numériques, associant Internet et téléphonie mobile et conjuguant plusieurs formes d’expression (écrite, vocale et visuelle), permettent des communications comparables au face-à-face. L’email, les chats, la visio-téléphonie en ligne, grâce à des programmes comme MSN ou Skype, assurent une forme nouvelle de coprésence, souvent synchronique et instantanée. Pour Lucian, par exemple, chaque jour commence par un contact rituel avec ses parents et amis.
« Je commence chaque journée en écrivant un e-mail à mes parents. On s’est toujours raconté nos journées, ainsi mes parents connaissaient déjà bien notre vie à Toronto avant qu’ils viennent voir eux-mêmes. […]Une fois par semaine on se parle et on se voit avec la webcam ; l’image apporte certainement un plus de matérialité à notre lien […] Je garde aussi les liens avec des collègues et des amis, par MSN, chaque matin.» (Lucian, électronicien, programmeur, 29 ans)
43 Ce type d’échanges permet non seulement de maintenir un contact permanent au moindre coût, mais également d’améliorer la qualité du lien affectif à distance et d’inventer de nouvelles formes « de vivre ensemble » pour une famille dispersée. L’exemple du père qui surveille ses enfants par caméra web depuis son appartement de Toronto se trouvant à des milliers de kilomètres de la maison de Bucarest où sa femme et ses fils passent quelques mois de vacances est, à cet égard, très significatif.
«Ce soir je dois faire du baby-sitting. Quand elle est seule à la maison et qu’elle doit par exemple faire à manger, ma femme fixe la caméra sur les enfants et descend à la cuisine pour s’occuper du repas. Moi je les surveille et s’il y en a un qui commence à pleurer je l’avertis par sms. » (Andy, informaticien, 43 ans).
45 Ce type de situation témoigne d’un bouleversement des rapports à l’espace et de l’incorporation d’un sens de la proximité qui transgresse les limites physiques de l’interaction. Un tel changement est de plus en plus prégnant dans nos sociétés, étant donné l’importance grandissante que les TIC revêtent dans la vie de nouvelles générations. Alors que les processus de socialisation sont en train de se doter d’une dimension nouvelle, la famille transnationale constitue le lieu d’apprentissage de nouvelles normes et valeurs qui mettent en exergue la mobilité, la dispersion et la communication à distance. Elle représente le creuset social dans lequel se forgent des orientations duales, ainsi que de nouvelles manières d’être et d’agir ensemble à distance. Des conversations audio-visuelles par Skype réunissent, par exemple, hebdomadairement une famille élargie dispersée au Canada, en Roumanie, aux Etats-Unis et en Suisse. De cette façon, les membres de cette famille décident collectivement de la gestion transnationale de leurs affaires, de la prise en charge de certains problèmes concernant des parents vieillissants, de la nécessité de se déplacer ou non pour résoudre ces problèmes.
46 L’exemple suivant illustre encore plus finement la manière dont se crée une routine à travers laquelle s’opère imperceptiblement une transformation de l’habitus, c’est-à-dire de la « grammaire génératrice des pratiques » (Bourdieu, 1972):
« Ma belle-mère vit avec nous à Toronto. Mais quand elle va en Roumanie et que ma fille de 13 ans ne peut pas l’accompagner, elles ont trouvé une modalité ingénieuse pour passer du temps ensemble. Chaque matin elles branchent leurs webcams sur Internet et elles se parlent environ deux heures par skype. Par ailleurs, ma belle-mère surveille ainsi les devoirs scolaires d’Alicia. […] [Elle] incite ma fille à continuer à parler le roumain, elle lui parle souvent de sa vie à Bucarest, lui rappelle les traditions roumaines. Mais ça va aussi dans l’autre sens : ma fille n’arrête pas de raconter à sa grand-mère ses expériences et ce qu’elle apprend de sa meilleure amie qui est vietnamienne » (Carmen, informaticienne roumaine à Toronto, 35 ans).
48 Dans ces cas, ces nouvelles formes de « présence connectée » de qualité (Licoppe, 2004 ; Wilding, 2006) représentent des vecteurs inédits de socialisation transnationale. En effet, les transmissions intergénérationnelles acquièrent une dimension extraterritoriale nouvelle. Grâce aux TIC, les nouvelles générations de migrants évoluent dans un univers de vie déterritorialisé et développent des habitus transnationaux ;c’est-à-dire,en mettant au profit les multiples possibilités technologiques d’une communication instantanée à distance, ils incorporent inconsciemment des manières de penser et de faire qui expriment des orientations duales, transnationales, voire cosmopolites. Autrement dit,grâce à la transformation des conditions et des contraintes objectives de la communication à distance, de nouveaux savoirs sont créés et intégrés à la pratique. Cela déclenche des mécanismes grâce auxquels les migrants (mais aussi les non-migrants) peuvent développer des compétences émotionnelles et fonctionnelles encore inédites qui orienteront leurs décisions ainsi que l’action à distance.
En guise de conclusion
49 Nous nous sommes attachés, dans notre analyse, à une lecture de la transformation du lien social et des processus identitaires à l’ère du numérique sous l’angle des habitus transnationaux. Nous aimerions, au terme de cette étude, revenir sur la « fonction miroir » (Allal et al., 1977) de cette nouvelle facette des dynamiques migratoires.
50 Tout d’abord, si l’individu reste « le lieu où s’articule l’acteur et le système, l’action et les faits sociaux, la subjectivité et l’objectivité, la construction de la société et l’imposition de la société aux acteurs » (Dubet, 2005, p. 3), il nous semble que le migrant online incarne un « individu dialogique » (Dubet, 2005) qui traverse et fréquente des espaces-matrices de socialisation différents et hétérogènes et apprend à puiser sa force dans une culture nouvelle de la différence et de l’altérité. Ensuite, cette réalité participe plus généralement de la genèse d’un sens commun cosmopolitique (Beck, 2006), c’est-à-dire de l’émergence d’une conscience d’appartenir à un monde global, fait de réseaux et d’interdépendances. Or, dans le cas des migrants roumains cette conscience s’enracine dans ce qu’on peut appeler une illusio transnationale, voire cosmopolitique, acquise en partie par un type nouveau de socialisation médiatisée par les TIC. Par ailleurs, cette étude a plus particulièrement montré comment les migrants online combinent des référents culturels hétérogènes, hérités de leurs parcours et trajectoires migratoires et enracinés dans différentes régions géographiques. Ce processus mène à l’émergence d’habitus transnationaux, expression de l’acquisition de nouvelles formes de capital culturel dans un contexte transnational.
51 Pour conclure, si la théorie de l’habitus de Bourdieu est essentiellement une théorie de la reproduction sociale, la dynamique mise en évidence dans notre recherche signale une transformation significative de sa dimension territoriale. La transnationalisation de l’habitus reflète une transnationalisation de la structure sociale. Elle témoigne d’un processus fin de « désencastrement » de la société et du fonctionnement social par rapport à son « conteneur national » (Beck, 2006). D’où l’intérêt, d’une part, de revisiter l’approche bourdieusienne sous un angle cosmopolitique et, d’autre part, de s’intéresser davantage au rôle des TIC et des non-migrants dans l’étude des dynamiques migratoires transnationales.
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- Wimmer Andreas & Glick-Schiller Nina (2002), « Methodological Nationalism and Beyond: Nation-State Building, Migration and the Social Sciences », Global Networks, Vol. 2, n° 4, pp. 301–334.
Mots-clés éditeurs : habitus transnational, cosmopolitisme méthodologique, migrant online, transnationalisme, TIC et migrations
Mise en ligne 01/11/2017
https://doi.org/10.3917/receo.414.0049Notes
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Par « régime de téléprésence », nous entendons un ensemble d’outils technologiques qui permettent à une personne d’avoir l’impression d’être présente et/ou de participer à une activité dans un autre endroit que celui où elle se trouve physiquement.
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Menée entre 2001 et 2007, cette étude s’inscrit dans une recherche doctorale portant sut l’impact des TIC sur les modèles migratoires et communautaires des migrants roumains, les dynamiques transnationales et les formes de participation (politique, économique et sociale) à distance. Cette recherche a mis en évidence que l’analyse des phénomènes migratoires à l’ère du numérique exige une « sensibilité transnationale » des outils de recherche. L’étude des pratiques médiatisées par ordinateur des professionnels roumains a requis une approche multi-sites combinant différentes méthodes qualitatives. Il s’agit en particulier de la « netnographie » – c’est-à-dire l’observation online – de sites web et des forums de discussion des migrants roumains et de l’analyse de contenu de données webographiques, mais aussi d’une enquête par entretiens semi-directifs menés auprès d’une soixantaine de migrants roumains (se trouvant principalement, mais pas uniquement, au Canada) et de l’observation participante de la communauté roumaine de Toronto. Pour de plus amples informations à ce sujet voir Nedelcu (2009).
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Ces notions pointent, chacune, une dimension différente d’une nouvelle modernité. Elles mettent l’accent sur l’« hybridité », les doubles appartenances et allégeances, la fluidité identitaire, la déterritorialisation des pratiques, l’existence dans un in-between, etc. ; elles mettent également en évidence, d’une part, la transformation des structures sociales en raison d’une mobilité accrue (des personnes, des idées, des pratiques et des formes sociales) et, d’autre part, l’enchevêtrement des échelles territoriales, soulignant les limites de la conceptualisation du local comme part d’une hiérarchie d’échelles emboîtées (local → régional → national → global) construite sur le critère de proximité physique/géographique (Sassen, 2003). Rendant compte de la façon dont la globalisation transforme tant les vies et les identités personnelles que la nature et les formes d’interaction des institutions publiques, ces débats théoriques convergent dans leur appréhension d’un changement paradigmatique qui exige de sortir des cadres binaires de pensée et d’analyse.
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Certaines approches qui défendent la perte de force heuristique du territoire en tant qu’outil d’analyse sont, elles aussi, fortement critiquées ; pour notre part, nous considérons ici qu’il y a une forte diversification des rapports au territoire plutôt que disparition totale du lien territorial.
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Levitt et Glick-Schiller proposent la notion de champ social transnational afin d’inclure migrants et non-migrants dans une même sphère de vie sociale englobant « l’expérience des migrants au sein de domaines d’interaction où les individus, sans avoir à se déplacer, maintiennent des relations sociales au-delà des frontières à l’aide de diverses formes de communication » (Levitt & Glick-Schiller, 2003, p. 7). Les champs sociaux transnationaux deviennent alors la scène de vie quotidienne de nombre d’individus qui, sans avoir migré, mènent une existence reliée à d’autres personnes dans des locations éloignées et disparates grâce à une maille dense de relations sociales à cheval sur plusieurs frontières (Glick-Schiller, 2004 ; Levitt & Nyberg-Sorensen, 2004).
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Sous cet angle, les trajectoires transnationales des migrants nécessitent d’être mises en rapport avec leur « bifocalisation » – bifocality – (Vertovec, 2009), voire pluri-focalisation, c’est-à-dire l’habileté des acteurs à agir en deux ou plusieurs environnements différents. En conceptualisant la société distinctement du politique et en considérant qu’elle est constituée par des ensembles de relations sociales qui croisent et chevauchent différents champs sociaux, dont certains transnationaux, les individus peuvent alors occuper en même temps différentes positions raciales, de classe ou de genre, par rapport à différents États.
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À titre d’exemple, les archives des forums de discussions hébergés par le site TheBans.com réunissent une multiplicité de récits et de représentations socialement partagés par les migrants roumains. Elles constituent le support d’une mémoire collective (Halbwachs, 1994) qui émerge de l’écheveau d’expériences migratoires individuelles historiquement situées, et sont reliées à des cadres sociaux collectifs. La mémoire du passé récent, l’expérience du communisme et de la transition socioéconomique postcommuniste, les raisons des départs, l’attachement à un espace culturel commun (valeurs, traditions, langue,…) mais aussi un projet migratoire partagé constituent le liant social de ces nouvelles communautés virtuelles des migrants (Nedelcu, 2002, 2009) où se transmettent entre autres des « souvenirs », des « notions », des « enseignements » et des « symboles » (Nedelcu, 1994).
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Il s’agit d’une pratique très fréquente en Roumanie où plusieurs générations cohabitent souvent sous un même toit. La solidarité intergénérationnelle étant, en effet, très forte dans les familles élargies roumaines, sa transposition à échelle transnationale prouve que la mobilité sert, dans ce cas, à maintenir les mêmes liens à distance.