Notes
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[1]
L’ordre de l’interaction est le réseau de règles explicites ou implicites régissant toute interaction humaine, y compris celles existantes entre un narrateur et le destinataire de sa narration (Goffman, 2000). L’interaction a pour condition de possibilité un sens commun partagé par le sociologue et les acteurs sociaux, qui l’organise de manière immanente. L’analyse sociologique, loin de devoir rompre avec ce sens commun, doit au contraire s’efforcer de l’élucider. [ndlr]
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[2]
Pour plus d’informations au sujet de l’oral history, voir (Lewandowska, 2001) et (Fiternicka-Gorzko, 2012).
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[3]
Les Lemkos appartiennent à un groupe ethnolinguistique de langue ruthène. La région d’origine des Lemkos s’étend dans les Carpates, de la rivière Poprad, à l’ouest à la vallée de l’Osława, à l’est. Ils ont été déplacés au lendemain de la Seconde Guerre mondiale vers les territoires occidentaux de la Pologne. [ndlr]
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[4]
Les titres de certaines compositions en témoignent : « De père en fils – une brève histoire d’agriculture dans la famille N. » (no 50) ou encore « De génération en génération – souvenirs » (no 24).
-
[5]
Cette distanciation consciente vis-à-vis de l’Histoire est bien illustrée par le fragment suivant du journal no 4 : « La loi martiale a été imposée deux mois après notre mariage. Nous avons retenu ce jour car nous étions partis pour une escapade d’une journée à Częstochowa. À notre retour à la maison, mon mari a allumé la télévision pour n’y trouver aucun programme, il n’y avait que de la neige à l’écran. Au quotidien, nous devions faire notre boulot à la ferme, ce n’est que qu’en cas de départ que nous avions besoin d’un laissez-passer. […] C’est à cette époque qu’est apparue la possibilité pour les agriculteurs d’acheter, en échange de bétail livré, des produits rares que l’on ne trouvait plus dans les magasins. Nous avons alors pu acheter un lave-linge automatique ».
-
[6]
L’un d’entre eux – le no 40 – est un vaste commentaire qui s’attarde plus spécifiquement sur les événements de la Pologne populaire qui ont laissé une empreinte forte sur l’histoire de la famille.
-
[7]
27 journaux intimes sur 55 au total.
-
[8]
Sigle de Narodnyï Komissariat Vnoutrennykh Del, [Commissariat du peuple aux Affaires intérieures], en charge de la sécurité. [ndlr]
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[9]
(NdT) Une « zemlianka » est une habitation entièrement enterrée ou semi-enterrée, surmontée d’un toit de bois et le plus souvent recouverte de terre ou de glaise. Elle constitue l’un des plus anciens types connus d’habitat construit. Certaines de ses variantes se sont maintenues dans les régions rurales reculées d’Europe centre-orientale et de Russie jusqu’au milieu du xxe siècle.
-
[10]
Le terme désigne le bonnet que devaient porter les juifs.
-
[11]
« La guerre est arrivée, les quotas n’étaient pas élevés en comparaison avec les années staliniennes, il fallait que cela vienne des semailles des champs et ils donnaient l’engrais » (no 26).
-
[12]
(NdT) Jeu de mots associant le nom du Premier secrétaire du Parti ouvrier polonais sous Staline, Bolesław Bierut, et la transcription phonétique de la phrase russe « vsio bierut » qui signifie « ils prennent tout ». Ce rapprochement, associé à la plasticité de la syntaxe slave, créait une ambiguïté de sens volontaire qui semblait proclamer tout à la fois « Nous devons tout à Bierut » et « Sous Bierut, on nous prend tout ».
-
[13]
L’acronyme original polonais de RSP, signifiant « Rolnicza Spółdzielnia Produkcyjna » désigne une coopérative de production agricole.
-
[14]
Samoobrana [Autodéfense] est un syndicat agricole, fondé le 10 janvier 1992. [ndlr]
-
[15]
Dans le journal no 4, cette date apparaît avec l’information : « la laiterie a fait faillite en 2004 ».
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[16]
Stanisław Wyspiański, « Les noces », acte III.
Ce texte est paru en polonais dans une version antérieure : « Meandry pamięci i niepamięć » in Sto lat mojego gospodarstwa. Pamiętniki mieszkańców wsi, Sylwia Michalska, Maria Halamska, Marek Kłodziński (eds), Poznań, Warszawa, 2018, 291 p., Polskie Wydawnictwo Rolnicze, p.49-69.
Reproduit avec l’aimable autorisation des éditeurs
Ils commencent déjà à manquer
Les témoins des événements
Il n’y a plus avec qui pleurer
Il n’y a plus avec qui se souvenir
Ils ne sont plus parmi nous
Ceux qui aux Bonjours des inconnus
Répondaient Gloire à lui
Le village est parti qui disait sur le seuil
À ceux qui s’en allaient
Que Dieu vous garde !
Introduction
1À l’occasion du 100e anniversaire de l’indépendance de la Pologne en 2018, l’Institut du développement rural et de l’agriculture de l’Académie polonaise des sciences a édité un ouvrage consacré à la publication d’un choix de témoignages collectés auprès des agriculteurs et de leurs familles, dans le cadre d’un concours de récits mémoriels, organisé en 2017 avec l’appui d’une maison d’édition de magazines destinés aux agriculteurs. Les journaux intimes ainsi recueillis constituent un matériau précieux permettant d’analyser la manière dont les mémoires paysannes ont conservé et transmis les traces des évènements du siècle écoulé.
1. L’apport de l’histoire orale
2Dans l’esprit des organisateurs du concours « les cent ans de ma ferme », le héros devait en être la ferme familiale et les transformations qu’elle avait connues au cours du centenaire 1918-2018. Néanmoins, de façon assez naturelle, les histoires qu’ils reçurent étaient émaillées de descriptions des familles qui exploitaient ces fermes. On y trouvait de longues rétrospectives des destins des fermes et de leurs familles d’agriculteurs, de leur résistance aux coups du sort comme du bénéfice qu’elles tirèrent de ses bonnes fortunes. Ces sources ont été interprétées à l’aune de leur finalité, comme un objet descriptif, ajoutant ainsi leur brique à l’édifice de l’histoire de l’agriculture familiale en Pologne et à son sort troublé au siècle dernier (Michalska, Halamska, Klodziński, 2018). Cela n’épuise pourtant pas les possibilités d’analyse qu’offrent les sources ainsi rassemblées. En effet, il apparaît comme tout aussi important de procéder à une analyse des acteurs de leur production : leurs auteurs, leur conception du monde, leur rapport aux événements des cent dernières années, leur compréhension du temps et de ses intervalles. Il s’agit là d’analyser l’état d’esprit d’un groupe rédigeant ses mémoires, d’un groupe de personnes liées à une exploitation agricole familiale et à un village, parfois ne serait-ce désormais qu’émotionnellement. C’est une occasion d’analyse de la mémoire sociale, laquelle est « un ensemble de représentations du passé subsistant au sein d’une communauté, toutes les figures et événements de ce passé dont la connaissance est supposée obligatoire et qui sont remémorées de diverses façons, ainsi que les multiples formes qu’adopte cette remémoration » (Szacka, 1985, p. 68). C’est aussi une possibilité d’analyse de la mémoire individuelle des événements historiques, nationaux comme locaux.
3Les souvenirs rassemblés constituent des documents particuliers. Ce ne sont pas uniquement des journaux intimes, puisque leurs auteurs – souvent des jeunes – n’ont pas pu faire eux-mêmes l’expérience de cent ans d’histoire de la ferme. Ils en ont pris connaissance – de façon plus ou moins complète – par le truchement des récits oraux de leurs grands-parents, de leurs parents ou de membres proches ou lointains de leur famille. Ils font parfois état de la difficulté qu’ils ont rencontrée à reconstituer cette histoire et de la part que prirent d’autres membres de leur famille à cette entreprise (comme on le lit dans les journaux intimes no 35 et no 49), parfois – et plus particulièrement dans le cas des fermes plus grandes – cette histoire est corroborée par des documents ou des photographies. Souvent, un élément de l’histoire de la ferme a été retenu par le ou les narrateurs, parce que « il y aurait encore beaucoup à écrire. Différentes histoires me viennent à l’esprit mais j’ai pensé qu’il me faudrait peut-être en conserver quelques-unes pour un prochain concours » (journal intime no 35). Cela signifie que – consciemment ou inconsciemment – le narrateur exerce un contrôle sur l’histoire transmise, il a le soin de sa narration comme de sa dramaturgie. Si l’on voulait se référer au concept, forgé par Erving Goffman, de l’ordre de l’interaction [1], on pourrait affirmer que les auteurs manipulent nos impressions.
4Il convient à ce stade d’établir la spécificité des documents qui font l’objet de notre analyse.
5Les archives que nous étudions appartiennent à la catégorie plus large des « documents personnels » dans laquelle on a coutume de ranger les journaux intimes, la correspondance et les mémoires. Ces journaux intimes, à la frontière des mémoires, possèdent de nombreux traits de l’oral history, l’histoire orale. Celle-ci relève d’une méthode historique très proche de la sociologie. Elle consiste à collecter de l’information en menant des entretiens libres partout là où les sources écrites viennent à manquer. Elle est fréquemment employée lorsque l’on se livre à l’écriture d’une histoire des classes précarisées, ou comme l’écrit Tomasz Królik : « pour la rédaction d’une histoire des ouvriers, elle s’est également intéressée à l’histoire des femmes, de l’enfance ou de la famille, ainsi qu’à l’histoire de la culture populaire [2] » (Królik, 2005). Les paysans-fermiers ne faisaient pas partie des classes privilégiées. La thématique de « l’entretien libre » – celui de la ferme familiale au cours des cent dernières années – avait été fixée par les organisateurs du concours ; il incombait aux participants de récolter des informations à ce sujet et de les structurer sous une forme écrite. Nous disposons donc de documents d’histoire orale sur lesquels leurs auteurs exercèrent une influence déterminante, que ce soit par la curiosité qu’ils déployèrent comme par la sélection des contenus qu’ils opérèrent lors de leur mise en forme. Dans ce processus de transfert de l’information, un filtre important a pu être le politiquement correct, à savoir « la domination de certaines normes dont il convient de ne pas s’écarter. Bien souvent les répondants présentent leur vécu de façon politiquement correcte, sans rupture avec les normes sociétales actuelles. La sincérité des réponses est par ailleurs assurément déterminée par la crainte que la révélation de détails d’un événement passé ne puisse comporter un risque pour le répondant, voire s’avérer honteux ou douloureux pour lui » (Królik, 2005).
6On a, en outre, souvent relevé, dans la critique de cette méthode, les difficultés posées par le fonctionnement de la mémoire humaine, notamment au regard de l’oubli de nombreux faits et événements par les personnes plus âgées. Des études ont néanmoins démontré que « l’oubli n’est pas un effet de l’éloignement temporel des événements vécus ; nous gardons en mémoire ce qui, pour nous, est essentiel ; ce n’est pas le temps, mais plutôt les émotions liées à l’événement vécu, qui jouent un rôle décisif » (Bertaux, 1985, p. 151). En raison du temps long qui s’est écoulé entre l’événement relaté et la conversation avec l’historien, il paraît néanmoins fort probable que des changements dans les valeurs professées, l’interprétation des événements ou les normes sociales aient pu entraîner des modifications dans leur mise en récit actuelle (Wierling, Brügermeier, 1986, p. 61-81). Par conséquent, il s’avère souvent que ce qui a été dit ne reflète pas les événements ou les sentiments réels. En d’autres termes, les années qui se sont écoulées depuis que des événements ont eu lieu influencent souvent leur appréciation. Ce qui était admis auparavant peut aujourd’hui s’écarter des normes communes, et donc ne pas être acceptable pour la société. On peut en venir, pour ces raisons, à « embellir ses propres opinions et actions passées » (Królik, 2005). Cela concerne de même la mémoire collective, sociale, pas moins régie par des mécanismes sociétaux de mémorisation et d’oubli. Lors de la conduite d’entretiens dans un village des Basses Carpates, Anna Malewska-Szałygin (Malewska-Szałygin, 1990) a relevé qu’en ce qui concerne l’époque de la Seconde Guerre mondiale deux affaires étaient importantes aux yeux des villageois : le manoir dont ils parlaient volontiers et les Juifs qu’ils ne mentionnaient jamais. Le premier phénomène avait été soumis à des mécanismes de mémorisation et de transmission ; le second à des mécanismes d’oubli et de refoulement. Nous pouvons donc affirmer en toute certitude que les images esquissées dans les journaux intimes ont été vécues d’une façon ou d’une autre, nous n’en connaissons néanmoins que ce qui en fut mémorisé et nous devons nous contenter de conjecturer sur ce qui en fut refoulé.
7Tout en gardant cela à l’esprit, je m’efforcerai, lors de l’analyse des documents recueillis dans le cadre de ce concours, de répondre à deux questions. La première porte sur la structuration du temps, c’est à dire sur ce qui constituait, pour les rédacteurs de ces mémoires, la mesure de l’égrènement du temps, les critères qu’ils employèrent pour y distinguer les périodes décrites. Le temps n’est en effet pas tant un trait de l’univers qu’un indicateur de « la façon de concevoir le monde, une méthode propre aux hommes d’ordonnancement de leurs observations et de leurs expériences, […] il est un fait social, une émanation de la vie sociale […] ». (Sztompka, 2003, p. 474). Il est « une construction sociale ». « Le temps, lié à des cultures diverses, recouvre des formes distinctes. Il est déterminé culturellement, et par conséquent historiquement. Des sociétés différentes […] “vivent dans des temps différents”. Au surplus, ce constat s’applique également à de plus petits ensembles présents au sein de ces sociétés – des groupes, des organisations, voire même à certains aspects de la vie sociale – la famille, l’économie, la politique, etc. qui se caractérisent par un ressenti particulier du temps » (idem).
8La seconde question porte sur les événements notoirement dramatiques qui ont émaillé les cent ans d’indépendance de la Pologne et que l’on retrouve convoqués dans ces mémoires, et tout particulièrement sur la façon dont ils sont mémorisés et interprétés depuis une perspective contemporaine. Il s’agit de donner à voir comment les participants de ce projet de journal intime se sont inscrits dans l’Histoire. Les aléas du sort de ces fermes centenaires sont souvent le reflet du sort de leurs villages, et ceux-ci – le reflet du sort du pays tout entier, bien que s’y superposent les aléas du sort des régions où ces villages étaient situés.
9Un rapide survol du siècle écoulé confine à la reproduction de stéréotypes : en 1918, la Pologne renaît (de la fusion de ses trois partitions), s’ensuit l’entre-deux-guerres, puis l’occupation, la Pologne populaire et enfin la IIIe République. Cela étant, sous la IIe République, les actuelles « Terres Recouvrées » se trouvaient en-dehors des frontières du pays, tandis que d’autres zones, que l’on pourrait qualifier de « Terres Perdues », en faisaient encore partie ; l’occupation ne fut pas seulement allemande (avec des régimes différenciés pour la zone incorporée au Reich et celle placée sous administration du « Generalgouvernement – Gouvernement général – ») mais aussi soviétique. Dans l’histoire plus contemporaine, on retrouve également nombre de trames dramatiques sous la Pologne populaire. L’étude du destin des familles et des villages où habitent (ou habitèrent) les auteurs fait émerger une histoire très diversifiée de la campagne polonaise dont les épisodes dramatiques ne coïncident qu’en partie avec les épisodes dramatiques de la vie du pays. C’est le cas de l’histoire inédite du village de Szonowice/Schőnwitz, dans les environs de Racibórz (voïvodie de Silésie), décrite dans le journal no 10, une région qui ne s’est trouvée en Pologne qu’au sortir de la Seconde Guerre mondiale ; de nombreux journaux (no 35, 29, 9, 4) contiennent des descriptifs des expulsions des villages de Grande Pologne ou de Coujavie ; dans un autre journal (no 25) nous avons affaire à un récit de la reconstruction d’un village (Wabienice, à proximité de Wrocław), où les déportés de la région de Lviv et de Petite Pologne, ainsi que quelques familles de Lemkos [3], vinrent se joindre à quelques Polonais empêtrés dans leur errance d’après-guerre ; les drames de l’époque stalinienne sont, eux, illustrés par l’histoire du village de Brzeźnica de l’ancienne voïvodie de Kielce qui fut vidé de ses habitants et détruit en 1952 (en même temps que 17 autres hameaux) pour faire place à un terrain d’essai militaire qui, en définitive, – suite à la mort de Staline – ne vit jamais le jour (journal no 12).
2. La structuration du temps
10« Tous les phénomènes sociaux s’accomplissent dans le temps : ils se déroulent à un certain moment et possèdent une certaine durée » (Sztompka, 2003, p. 475). Il faut localiser chacun d’entre eux, leur trouver une place dans le temps. La sociologie, lorsqu’elle analyse des phénomènes sociaux dans le temps, distingue le temps quantitatif et externe du temps interne et qualitatif. Actuellement, pour définir le temps externe, on se réfère à des mesures établies du temps : les calendriers et les horloges. [Le journal no 41 s’ouvre avec ces mots : « La ferme du couple NN de O…à côté de Nakło nad Notecią [en Couïavie-Poméranie] a vu le jour en 1917 à la suite de la parcellisation de terres appartenant aux Allemands. […] Mon grand-père les a achetées en 1922. […] En août 2017, une énorme tempête est passée sur Krajna et Paluki qui a touché de nombreux foyers ». L’histoire de cette ferme, tout comme celle de nombreuses autres décrites dans ce recueil de mémoires, est inscrite dans le temps. Parfois, il ne s’agit pas d’un temps déterminé par le calendrier, mais d’un temps déterminé par des événements dont le cadre temporel est communément connu. Les « années de guerre », « l’occupation », « l’ère dorée de Gierek et du ministre de l’Agriculture Wojtecki », la sombre « époque de Balcerowicz » sont autant de positionnements temporels significatifs.
11Néanmoins certains événements, et plus particulièrement ceux ayant des durées plus longues, possèdent leur propre temps interne, un temps compris dans l’intervalle de ces événements. Au nombre des phénomènes possédant leur temps immanent, on trouve l’exploitation agricole familiale ; d’autant plus lorsque l’on analyse son évolution sur une période de 100 ans. Les documents considérés permettent en outre de procéder à une reconstruction de ces « temps internes » et indiquent les événements qui ont pu délimiter ou structurer ces temps. Il s’agit, de la part des diaristes, de décisions tantôt intuitives et tantôt conscientes qui trahissent une certaine réflexion sur la notion de temps. Dans le journal no 49, on peut lire :
« Nous avons appliqué ici une méthode consistant à diviser l’histoire de notre ferme en trois périodes, à savoir la période d’avant-guerre, lorsque Ludwik et Agnieszka étaient les propriétaires des terres évoquées, nous avons ensuite présenté la période difficile de l’après-guerre lorsque la terre est passée aux mains de Jan et Lucyna. Enfin, j’ai présenté les actions entreprises par Kazimierz et Teresa, mes grands-parents, pour moderniser la ferme […]. »
13De façon plus générale, on voit émerger deux types de structuration du « temps de la ferme ».
2.1. Une structuration basée sur la trajectoire de modernisation de la ferme
14L’acquisition de la terre, des machines, la construction de la maison ou celle des dépendances de la ferme – étables, porcheries, granges – constituent les césures scandant les différentes étapes de modernisation. La précision dans les dates de ces entreprises ne cesse de surprendre.
« Grand-père s’est efforcé de moderniser la ferme et il fut l’un des premiers, au début des années 60, à faire l’achat d’un tracteur Ursus C45, ce qui était un grand soulagement dans le travail des chevaux comme des hommes. La ferme fut électrifiée en 1962. On acheta une moissonneuse-batteuse Vistula en 1970, celle-ci fut remplacée dix ans plus tard par une Bizon Z040. Entretemps, on avait fait l’acquisition d’une charrue et d’autres machines indispensables. Grand-père prit sur lui de construire une nouvelle maison. Sa construction débuta en 1983 et, trois ans plus tard, ils y emménageaient. »
16Parfois ces étapes sont illustrées par divers documents officiels, comme des actes notariés ou des extraits des registres fonciers, des documents portant sur l’achat des machines, notamment des tracteurs. Ainsi que par des photographies des nouveaux bâtiments ou des machines. Le ton de la narration témoigne de leur importance, comme lorsqu’elles évoquent les machines à la façon d’êtres proches.
« En 1974, nous obtînmes la nouvelle que le tracteur tant rêvé nous avait été alloué. […] Ce fut un superbe tracteur jaune et bleu qui fit son entrée dans notre cour, avec l’inscription « Ursus C360 », sentant la peinture fraîche, son vernis encore luisant et ses phares tout allumés. Le tracteur fonctionnait impeccablement. Son moteur tournait sans accrocs, il faut tout de même reconnaître que mon père se souciait de chaque machine, et tout particulièrement du tracteur. Le “soixante” aura connu deux grandes réparations, de l’embrayage et du moteur […] Après toutes ces péripéties, le tracteur a été réassemblé et là, au premier allumage, il marche ! Notre tracteur bien-aimé a retrouvé toute sa forme, comme une deuxième jeunesse, le voilà prêt à nous accompagner au jour le jour, jusqu’à ce que ces jours ne s’amoncellent pour finalement durer 47 ans. Lorsque nous ne serons plus là, si quelqu’un d’autre l’entoure d’autant de soins et veille sur lui, il servira encore fidèlement et aidera les hommes de son cœur d’acier dans leur dur et éreintant travail de la terre. »
18On retrouve encore le même type de narration dans un récit du journal no 50 :
« Un autre moment décisif, selon mon grand-père, fut son voyage, organisé par le prof. Makosz, dans le Tyrol (dans les environs de Bolzano) en 1982. Mon grand-père y vit pour la première fois des vergers cultivés en méthode intensive, plantés sur la base de greffes M.9. De retour à la maison, il nous dit que “quoiqu’il advienne, il me faut un verger comme celui-là”. »
2.2. Une structuration basée sur le rythme du renouvellement des générations
20La ferme devient la toile de fond de mariages, de naissances et de décès. « L’histoire que je veux présenter concerne deux branches de ma famille […]. Ces deux histoires montrent à quel point mes aïeux étaient déterminés à entretenir la ferme et à en assurer le développement » (no 50). Ce sont le fermier et sa famille, leur sort – très souvent dramatique et au travers duquel les auteurs s’inscrivent dans l’histoire du pays – qui s’imposent au premier plan [4]. Les familles et leurs membres y sont dépeints comme des héros positifs ou alors (ce qui arrive assez souvent) comme des victimes blessées par le destin, par les voisins, par les mauvais gouvernants ou par l’Histoire. Les trajectoires marquées par une ascension sociale y sont relatées avec délectation tandis que le sort moins reluisant des autres membres de la famille est passé sous silence. Quelques documents comportent des arbres généalogiques assez étayés (par exemple le no 40 ou le no 10 où celui-ci remonte jusqu’à la fin du xviiie siècle), d’autres se réfèrent à des époques antérieures ; le plus souvent au xixe siècle, mais aussi au xvie et même – comme dans le cas du journal no 11 – au xiiie siècle. Le sort des familles, le renouvellement des générations, marquent le rythme de l’existence et des évolutions de l’exploitation. Dans ce type de narration, l’histoire de la ferme est déterminée par la succession des générations de ses exploitants. Dans certains journaux, les diverses parties sont d’ailleurs intitulées : la ferme de mes arrière-grands-parents, de mes grands-parents (par exemple dans le no 50), ce qui indique que les générations sont la mesure du temps de la ferme.
21Presque tous les auteurs sont des descendants de paysans dont l’histoire des familles remontait à trois, voire quatre générations. Nous avons ici les preuves d’un intérêt pour sa propre généalogie, la recherche de ses racines, la reconstruction d’arbres généalogiques, lesquels n’appartiennent pourtant pas aux usages de la paysannerie. Certains ont vu dans leur participation au concours « les cent ans de ma ferme » la possibilité de mettre en valeur des histoires ayant déjà fait l’objet d’une réflexion et d’une documentation, mais pour la plupart d’entre eux cette participation a été l’occasion de reconstituer et de transcrire leur histoire « cela a décidé les gens à agir et à consigner une histoire qui aurait fini dans l’oubli avec ses protagonistes » (no 25). « Je veux participer au concours “l’histoire de ma ferme” parce que j’estime que c’est une occasion de la coucher sur le papier, d’en laisser une trace pour les générations futures » (no 26). « Que ce que j’ai décrit persiste dans les mémoires […] » (no 54). Autrefois, l’histoire des lignées était consignée par la noblesse et l’histoire des familles par la bourgeoisie et l’intelligentsia. Aujourd’hui les agriculteurs, descendants des paysans, estiment qu’ils ont quelque chose de légitime à transmettre à autrui : « par respect pour l’histoire, de bonne foi et portée par l’espoir, que dans un futur proche ou lointain ces mémoires soient chers à nos prochains » (no 3).
22De façon générale, ces deux types de structuration temporelle de la narration se superposent mais l’un d’entre eux tend d’ordinaire à dominer l’autre, élevant au rôle de protagoniste principal soit la ferme, soit la famille de ses exploitants et ses générations successives. Les représentants des sciences sociales – les ethnographes, les sociologues, les économistes – savent bien que toute exploitation agricole familiale est intégralement liée à la famille. Il s’agit d’un tout dans lequel la propriété comme le travail appartiennent à la famille. La ferme et la famille semblaient inséparables, ce dont atteste l’ouvrage de Wincenty Styś, Współzależność rozwoju rodziny chłopskiej i jej gospodarstwa [Interdépendance du développement de la famille paysanne et de sa ferme], fondé sur un travail d’observation de plusieurs années (Styś, 1959). Il semble que cette relation perdure bien que les liens qui la fondent soient manifestement plus lâches.
2. (s’) inscrire dans l’Histoire
23On retrouve dans les journaux analysés – qu’il s’agisse de l’histoire des fermes ou de celle des familles – de nombreuses références aux divers événements historiques de la période 1918-2018. Ces références spontanées à l’Histoire sont de deux natures : ce sont des témoignages de la part qu’y prirent certains membres des familles d’exploitants, les anciens comme les actuels, ou alors il s’agit d’événements qui importaient aux narrateurs, au point qu’ils font le choix de les commenter. Dans ce contexte, les événements qui y sont rapportés sont tout aussi significatifs que ceux qui sont passés sous silence et sont par là même condamnés à l’oubli. Il me semble que l’Histoire est présente dans ces journaux de deux façons : à travers la mention des événements qui la composent tout comme par l’absence de référencement de ces derniers, une aHistoricité – comme programmatique –, voire même une antiHistoricité [5].
24Tout à ma réflexion sur le rapport qu’entretiennent les narrateurs avec ces événements historiques et en procédant à l’analyse de leurs commentaires spontanés (après des consultations avec mon entourage proche), j’ai établi une liste d’une douzaine d’événements capitaux pour l’histoire de la Pologne entre 1918 et 2018. On retrouve sur cette liste : – la guerre de 1920 avec la Russie soviétique ; – le coup d’État de mai 1926 ; – les grèves paysannes des années 30 du xxe siècle ; – la période de la Seconde Guerre mondiale avec des événements tels que : les expulsions et les déportations, les travaux forcés, l’Holocauste ; – 1956 : le massacre des ouvriers à Poznań et les changements au sein de l’équipe du pouvoir ; 1968 – la crise politique de « mars » en Pologne et l’intervention en Tchécoslovaquie ; – 1970 : les événements de la côte de la Baltique et le remplacement de l’équipe au pouvoir ; – 1980 : les grèves ouvrières et la création de « Solidarité » ; 1981 – l’imposition de la loi martiale ; – 1989 : les élections du 4 juin et la formation subséquente d’un gouvernement non-communiste ; – 2004 : l’accession à l’Union européenne.
25Ces événements apparaissent également dans les journaux Historiques (à l’exception d’un seul) [6]. La période de l’entre-deux-guerres et ses événements cruciaux n’apparaissent que sporadiquement et ce sont le plus souvent des évocations basées sur les récits de personnes plus âgées. Et bien qu’on puisse même trouver des mentions de la Première Guerre mondiale, personne n’évoque la guerre polono-soviétique de 1920. Il est manifeste que les familles des narrateurs se sont vu épargner l’expérience de cette guerre. Le coup d’État de mai – soit le renversement du gouvernement paysan de Witos – n’est mentionné que dans un seul document (le no 6) ; même s’il y est daté par erreur de l’année 1927. On y retrouve également des rappels des partis agrariens et de la pacification des villages des années trente. L’année 1935, année de la mort de Józef Piłsudski, par ailleurs omise dans ma liste, apparaît encore dans un autre journal.
26L’époque de la Seconde Guerre mondiale fait en revanche l’objet de nombreuses descriptions. On retrouve dans celles-ci quelques trames. Ces récits dramatiques sont dominés par ceux portant sur l’expulsion des fermes et le travail forcé en Allemagne, tant en Pologne occupée (incorporée au Reich) qu’en territoire allemand, cela est très certainement dû à la « surreprésentation » des journaux de Grande Pologne, de Coujavie et de Poméranie [7]. Les auteurs y retracent le sort dramatique des membres de leur famille, leur long voyage dans des conditions inhumaines jusqu’à leur lieu de travail forcé, leur labeur de plusieurs années – parfois de quatre à cinq, le plus souvent auprès d’un « bauer » [paysan allemand].
« En revanche, mon beau-père Adam et son frère Stefan ont été affectés à des fermes différentes en Allemagne, quoique pas très éloignées l’une de l’autre. Le père de mon mari s’est retrouvé chez de bonnes gens, il a travaillé chez eux pendant toute la guerre, il recevait une paie, il a même envoyé de l’argent à sa famille à Skulsk [en Grande Pologne]. »
28Un autre élément de ces descriptions est l’attitude des Allemands vis-à-vis Polonais : celle des voisins comme celle des hôtes allemands. Si les descriptions des soldats sont unanimement négatives, l’image des civils est, elle, contrastée. « De nombreux Allemands qui, dans l’entre-deux-guerres, avaient coopéré et coexisté avec la population polonaise révélèrent alors leur véritable visage » (no 3). On trouve néanmoins des récits de « bons Allemands », comme dans le journal cité plus haut (no 29), lorsqu’ils s’avérèrent des voisins « amicalement disposés » (no 10), qu’ils portèrent assistance à un fuyard ou qu’ils sauvèrent une vie en prenant soin d’une personne gravement malade (no 40). La situation était encore différente pour la population autochtone des territoires appartenant au Reich avant 1939. « La guerre fut une période très difficile dans l’histoire des exploitations agricoles et des familles de Szonowice. Il ne se trouva pas une ferme dont la mission de mobilisation ne poussa le portillon. Faire la guerre au sein de la Wermacht n’était pas une question de choix ou d’un quelconque libre arbitre » (no 2). Ainsi en allait-il des histoires situées sur la rive gauche de la Vistule.
29Les événements n’étaient pas les mêmes sur la rive droite mais les destins y étaient pareillement dramatiques : il s’agissait là de l’occupation soviétique et de ses déportations, à laquelle fit suite l’occupation allemande. Et tous les récits n’y sont pas aussi laconiques que celui-ci :
« En 1939 vint la guerre et ils tombèrent à nouveau sur les Russes. En 1941, ils étaient déjà sur la liste des candidats à l’exil lorsque les Allemands firent irruption. [Mon père] travaillait toujours à la scierie. Alors qu’il chargeait des planches à bord d’un bateau, il tomba entre les mains de la résistance biélorusse. C’est comme ça que commença son combat avec les hitlériens. Blessé, il se retrouva à Mińsk, puis dans la deuxième Armée Populaire. Déjà enfant, il aimait les chevaux, là il fut affecté à la reconnaissance équestre. Ils stationnèrent deux semaines sur la Vistule à attendre que l’insurrection ne s’éteigne dans Varsovie. L’armistice surprit mon père aux portes de Prague. Après, ce furent les Bieszczady et la lutte avec les bandes armées… La démobilisation ne vint qu’en 1947, peu après l’action “Wisła”. »
31La déportation, à laquelle échappa l’auteur du fragment ci-dessus, s’effectuait quelquefois en plusieurs étapes et les conditions de vie en Sibérie et au Kazakhstan étaient atroces.
« Dans la nuit du 10 février 1940 nous fûmes réveillés par des cris et des coups terribles à la porte et aux fenêtres. Un instant plus tard, un soldat du NKVD [8] tenait mon père en joue tandis qu’on ordonnait à ma mère de nous habiller et de faire nos valises. Terrifiés, nous pleurions, et les NKVD-istes hurlaient à ma mère : “paskarej, paskarej”, ce qui veut dire “plus vite”, ou encore “nienada, nielzia” – “pas besoin” – quand elle faisait mine d’emporter quelques objets de valeur. […] Nous fûmes conduits à la gare de Bubno et chargés dans des wagons à bestiaux. […] il faisait froid et sombre dans le wagon fermé. La crasse et la peur nous éreintaient […] On nous fit enfin débarquer à … Arkhangelsk, de là nous prîmes la route pour la gare de Sutchan d’où on nous achemina en luges jusqu’à un camp dans la localité de Ioujnaïa. […] L’été 1941 touchait à sa fin lorsqu’au cours d’un contrôle du NKVD on nous fit réunir sur la place pour nous annoncer que nous avions l’autorisation de quitter la Sibérie. Nous reprîmes espoir, nous tenions notre chance de survivre. Nous décidâmes de partir pour la région de la Volga, dans l’arrondissement de Marshtat au sein de l’oblast de Saratov. Nous nous installâmes dans le kolkhoze Tchapaïev – à la ferme de Sadaïk. Nous emménageâmes dans la chaumière d’Allemands déportés. En comparaison avec la Sibérie, c’était le luxe ici. […] Mais une année ne s’était pas écoulée que l’on nous ordonnait à nouveau de quitter les lieux, cette fois-ci pour l’oblast d’Alma Ata au Kazakhstan, dans l’arrondissement de Taldykourgan. On nous alloua une “zemlianka [9]” misérable dans la localité de Kalinin, c’est là que commença notre indescriptible chemin de croix. »
33Une autre trame que l’on voit s’esquisser est celle portant sur le sort des Juifs. On retrouve déjà des souvenirs les concernant à l’époque de l’entre-deux-guerres, au gré des scènes de la vie quotidienne du village. Les Juifs sont présentés avec sympathie dans le journal mis en vers :
« De village en village, le juif marchait / Avec, dans sa besace, tout un marché / Lorsque la faim se faisait sentir / On le voyait sébile sortir / […] Le juif affermait quelques arbres / Dont il remisait les maigres pommes / Dans un sac dont il faisait la somme / Il avait plusieurs marmots / Toujours affamés et malades / Le vêtement sale, krymka [10] et sarrau / Ils aidaient leur père sans hâte. »
35Ils apparaissent pourtant ici dans des circonstances particulières : dans le contexte de l’Holocauste.
« Les Juifs furent les premiers à disparaître de Gniewkowo. Les gens voyaient des camions sous escorte prendre la direction de Zajeziorze. On y découvrit plus tard les fosses communes de l’intelligentsia de cette partie de Coujavie. » […] « Le village (Maciejowice, en Mazovie) vivait de ce qui poussait dans les champs et de la dissimulation des Juifs. Je me rappelle de bribes de souvenirs de mon oncle Kazio et de ma tante Krysia au sujet des fermiers du coin qui cachaient des Juifs dans leur cave. »
37Dans un autre journal, cette question – celle des Juifs, de l’Holocauste et de l’attitude des Polonais – réapparaît en de nombreux endroits.
« Mon grand-père nous parlait beaucoup des Juifs. Certaines histoires étaient drôles, d’autres terribles, car pendant la guerre les hommes, les Allemands, tuaient. […] Les Juifs étaient très pauvres. Un Juif, une connaissance de mon grand-père, lui rendait souvent visite au début de la guerre. Il y trouvait toujours, dans un coin, une marmite avec des pommes de terre cuites en chemise. Il les prenait, les pelait et les mangeait. Avec les pelures. Un autre Juif avait proposé à mon grand-père qu’il conserve ses machines à coudre. Si ce Juif devait ne pas survivre à la guerre, les machines reviendraient à mon grand-père. Mon grand-père a refusé par crainte pour la sécurité de sa famille. Ce Juif aurait très certainement voulu vérifier à tout propos si ces machines étaient toujours bien là. Si les Allemands venaient à apprendre qu’un Juif leur avait dissimulé des machines, ils auraient tué et le Juif et mon grand-père. » […] « J’ai entendu raconter plus d’histoires sur les Juifs que je n’en ai consigné dans ce journal. De nombreuses histoires drôles mais aussi des histoires dont, selon le code moral contemporain, les Polonais n’auraient guère de quoi être fiers. […] Malgré ces comportements peu louables, les Polonais aidèrent les Juifs en les cachant pendant la guerre. Nombre d’entre eux le payèrent de leur vie, leurs noms figurent aujourd’hui dans le musée de Markowa dans les Basses Carpates. Mon grand-père avait véhiculé des Juifs avant la guerre, par chance il ne dût pas les conduire à la gare de Rzeszów lorsque les Allemands liquidèrent le ghetto de la bourgade voisine. C’était un triste travail, hélas certains cochers n’avaient pas le choix. »
39On trouve encore une autre narration dans un journal de la Pologne orientale.
« La guerre, en apparence lointaine (journal des environs de Dąbrowa Białostocka), n’avait de cesse de se rappeler à nous et de nous affliger. Il se disait que les hitlériens avaient été vaincus par l’armée russe et que c’était pour cela qu’ils tuaient les Juifs de Dąbrowa. »
41Et dans un journal de Grande-Pologne où l’Holocauste n’est mentionné qu’en passant.
« En 1933, un fermier “capota” (fit faillite). Mon grand-père reprit sa dette auprès des Juifs, en échange de quoi il reçut 45 morgen (11 hectares), il travaillait honnêtement et remboursait toujours ses dettes auprès de tout le monde. Il parvint même à rembourser les Juifs avant que “la guerre ne les dévore”. »
43Je consacre beaucoup d’attention à cette question car son exemple illustre les problèmes méthodologiques que pose l’exploitation du contenu des documents d’oral history. Les trames juives de ces récits sont assurément le résultat d’un « retravail » de cette question au cours des diverses époques de la IIIe République, en commençant par Jedwabne et en finissant sur les « batailles » qui entourèrent la loi sur l’Institut de la mémoire nationale (en 2017 et 2018). Nos narrateurs se sentent en devoir de se positionner vis-à-vis de ce problème, comme s’il leur incombait d’expliquer les attitudes de la population rurale vis-à-vis des Juifs pendant l’occupation. Pourrait-on supposer que le problème alors refoulé fasse son retour dans la mémoire collective ? Il est certain que la prudence de cette narration a été dictée par les canons du politiquement correct. Remarquons également que les exemples d’assistance aux Juifs sont toujours des récits rapportés, il n’y a nulle part de description d’assistance qui aurait été directement apportée par l’une de ces familles.
44La période d’après-guerre de la Pologne populaire s’ouvre par des descriptions des événements de la fin du conflit et de l’entrée des troupes soviétiques sur le territoire polonais. Bien qu’on trouve dans les journaux des mentions assez brèves de la joie de cette libération, ce sont surtout les descriptions des viols commis par les Russes qui retiennent l’attention. Sur les Allemandes autochtones, sur les civiles.
« Les soldats qui arrivaient réclamaient de l’or, des jeunes filles et de la vodka » (no 2), « Des bandes de Russes rôdaient partout, armées et sûres de leur impunité » (no 31). « […] Le soir les Soviétiques s’adonnaient à la boisson, ils faisaient alors le tour des maisons à la recherche d’Allemands et de femmes à violer. Il y avait là une Allemande, elle s’appelait Willing et avait deux filles, Erna et Gusta. Mon père les prit à la maison comme domestiques et les protégea ainsi des Russes. »
46Il y avait également les déportations dans les profondeurs de l’URSS.
« La Seconde Guerre mondiale éclate et, en raison de son grand âge, il ne reçoit pas d’avis de mobilisation pour le front, en revanche après la guerre il reçoit un mandat et est envoyé en Russie pour reconstruire les terrains ravagés par le conflit. Il est transporté, avec de nombreux autres hommes, dans des wagons à bétail et acheminé pendant 2 semaines jusque dans les profondeurs de la Russie. Sur place, il échoue dans un kolkhoze. Il y passera 2,5 années de sa vie. »
48Ainsi que les quelques retours des autochtones qui marquèrent le début de la grande errance d’après-guerre des peuples.
« En janvier 1945, lors de la “grande retraite”, les habitants de ce qui était alors Mielenz quittèrent leur village en laissant tout derrière eux. La fin de la guerre amena du changement. Très peu d’autochtones revinrent (mon père fut l’un d’eux). Ils revinrent à Miłoradz [en Poméranie] … et non plus à Mielenz. Des colons s’installèrent sur les terres recouvrées, entre autres mon grand-père Jan N., arrivé de Petite Pologne avec toute sa famille (y compris ma mère). »
50La première moitié des années cinquante est illustrée par des descriptions de la violence « étatique ». C’est l’époque des jeux avec la collectivisation forcée et les livraisons obligatoires (qui étaient pires que les quotas allemands) [11]. Ainsi que celle des répressions qui tombaient sur ceux qui ne s’en acquittaient pas (« des plans »).
« Il paraît qu’il gela si dur en mai 1953 que le seigle, haut d’un demi-mètre, vira au blanc. Les récoltes étaient maigres […] il n’était pas possible de s’acquitter du plan. Après quelques recours auprès du conseil de district – comme de nombreux autres fermiers d’ailleurs – mon père refusa de s’acquitter du reste du plan […] parce qu’il ne lui resterait alors plus assez pour le bétail. – (l’adage voulait que „Bierut – vsio bierut [12]”). Pour cela, ils l’envoyèrent en prison à l’automne, affecté aux travaux pénibles dans une carrière. Beaucoup d’agriculteurs faisaient alors de la prison (de 18 à 70 de notre village), plusieurs furent emmenés dès l’été pour les plus grands travaux dans les champs. »
52Elles cessèrent à la moitié des années cinquante.
53L’année 1956 est, elle aussi, remémorée au travers du prisme des expériences personnelles et familiales.
« En 1956, une excursion à la foire de Poznań et au zoo fut organisée sous l’égide de la RSP [13]. C’est à cette époque que commencèrent les troubles de Poznań. La population locale attaqua la Maison du Parti et la préfecture de police. Mon grand-père qui visitait le zoo avec ma grand-mère entendit les balles qui venaient se ficher dans les arbres. Ces troubles étaient dus à la pénurie de nourriture dans les villes. À la suite de ces incidents, Władysław Gomułka prit le pouvoir et ordonna la dissolution des coopératives agricoles. »
55Mais il est aussi évoqué en d’autres termes : « Je ne sais plus si c’était avant ou après le Juin Sanglant de 1956 à Poznań, mais les nouvelles de ce qui se passait là-bas commencèrent à nous parvenir à tous, y compris à mon grand-père Kazimierz », qui décida alors de s’enfuir – sans succès – de Pologne, ce qui lui valut un passage en prison. « D’autres événements familiaux cruciaux eurent aussi lieu en 1956 » (no 40).
56Les événements importants, ceux de l’histoire de la Pologne populaire et de la IIIe République, constituent – semblerait-il – une époque « non-retravaillée » où il n’y eut guère de grands événements dans lesquels les habitants des villages eussent été directement engagés. C’est aussi pourquoi leurs jugements au sujet de l’Histoire de cette époque sont très souvent une reproduction des clichés propagandistes. Les années soixante-dix sont « l’ère dorée de Gierek et du ministre de l’agriculture Wojtecki » (no 3), bien qu’on ne trouve aucune mention de l’année sanglante 1970 à Gdansk qui la précéda ; il semble bien que rien de spécifique ne distinguât cette année dans les mémoires. L’année 1968 apparaît, elle, dans ce genre de contexte. « On nous installa l’électricité en 1968 » (no 51), ce qui constituait évidemment un événement de première importance pour la vie du village du narrateur. On s’en souvient également pour les événements qui advinrent en Tchécoslovaquie : « les troubles commencèrent en Tchécoslovaquie en août 1968. Nos soldats surveillaient les frontières, un des jeunes soldats de la troupe – venant de prêter serment – était Józef N., mon mari. Józef stationna en Tchécoslovaquie jusqu’en décembre 1968 » (no 10). Cette reconstruction des événements, qui est un cliché de la propagande de l’époque, ne laisse de surprendre.
57En poursuivant : il n’y a qu’un seul document qui évoque avec une certaine amertume la création de « Solidarność ».
« Lorsque SOLIDARNOŚĆ vit le jour, les feux des projecteurs n’étaient pas uniquement braqués sur son meneur ouvrier, mais aussi sur les autorités intellectuelles qui lui apportaient leur soutien. Des charrettes de paysans se relayaient aux portes du chantier naval pour approvisionner les grévistes. Mais il ne se trouva pas de journalistes pour en parler. On fonda enfin “Solidarność”. Lech Wałęsa était entouré par un cortège de plumes de premier plan, les meilleures du pays, le rang d’un écrivain d’opposition ou d’un journaliste était déterminé par la fréquence de ses rencontres avec Lech Wałęsa. Quelque part en marge de ce grand carnaval naquit un “Solidarność” vert, peu affriolant pour les intellectuels, comme qui dirait paysan et bien maigrement pourvu en imaginaire chevaleresque. »
59Un autre des narrateurs écrit : « en 1981, j’ai rejoint Solidarność Rural » (no 41). Il semble néanmoins, au vu de ses déclarations suivantes, qu’il ait été plus proche des idées populistes du futur mouvement « Samoobrona [14] ». Les interprétations économiques consacrées à cette époque mentionnent une crise économique qui serait aux fondements de la révolte paysanne. Cette crise a été repérée par un narrateur qui en pointe les causes : « Les grèves fréquentes des années soixante-dix eurent pour conséquence d’amorcer la crise dans le pays » (no 3). Les recherches sociologiques (« Polonais’80 », « Polonais’81 ») ont démontré le faible niveau de soutien des campagnes pour le mouvement de l’année 1980, tout comme leur relatif désintérêt pour sa branche agricole et paysanne. Les campagnes accueillirent l’imposition de la loi martiale avec une certaine indifférence, sinon avec soulagement :
« L’an 1981 – 13 décembre, imposition de la loi martiale, je suis dans le service militaire actif. Nous campons, avec nos armes, quelque part dans les forêts près de Bydgoszcz. Je ne comprends pas grand-chose à tout ça, j’ai été élevé avec l’idée que pour vivre, il faut travailler plus et mieux. Dans les usines, les exploitations agricoles d’État, personne ne voulait rien faire mais gagner beaucoup d’argent. Dans l’esprit du dicton “Qu’on somme ou qu’on veille, on a tous droit à sa paie”. Les étalages vides c’était le résultat d’un travail trop peu efficace ? Plutôt des rémunérations exorbitantes. Et des exportations trop importantes vers l’URSS, mais ça c’était pour le carburant et le gaz. Nous, les soldats de la régulière, nous aurions aimé avoir des conditions pareilles à celles des détenus. Bien sûr, on leur a fait du tort, après tout on les a privés de leurs sachets plastiques bourrés de dollars et de marks de l’Occident. Les voilà nos futurs grands combattants pour la démocratie. »
61Ce n’est qu’un commentaire au sujet de la loi martiale mais je doute que ce soit une appréciation isolée. D’autres remarques l’indiquent assez, à la façon de celles portant sur le rôle de l’opposition démocratique.
« Qui étaient les pères des grands opposants du communisme ? S’ils avaient été des gens simples, leurs fils auraient eu toutes les peines du monde à terminer des études à l’étranger […] Papa communiste et fiston dissident, parce que le communisme ne lui avait pas fourni d’appartement. »
63L’année charnière 1989, qui a marqué la naissance de la IIIe République de Pologne, n’a été consignée expresis verbis que dans un seul document, tout comme l’année 2004 et l’adhésion de la Pologne à l’Union européenne (no 5) [15]. Les conséquences de ces événements ne sont évoquées qu’au travers du prisme des expériences individuelles. « Le socialisme s’effondra au printemps 1990 et en avril 1991 le magasin fut repris à la Coopérative Communale » (no 24). On retrouve plus volontiers les conséquences de la lutte contre l’inflation, une inflation dont l’existence n’est d’ailleurs évoquée par personne : « Les années 1991-1993 furent dramatiques pour l’agriculture paysanne à cause des mesures du gouvernement de Balcerowicz et du président Lech Wałęsa » (no 41). Ceux-ci n’ont pas bonne presse dans les campagnes car, à une époque difficile,
« combien d’agriculteurs se sont pendus, ont vendu leur terre pour presque rien, perdu leur famille, fini à dormir sous les ponts, à sombrer dans l’alcoolisme. À ce jour, personne n’a mené d’étude là-dessus. En revanche, le “grand Wałęsa” a reçu le Nobel, et Balcerowicz est devenu un “grand professeur” d’économie. »
4. Résumé, ou ce qu’il en ressort
65L’analyse de ces deux trames temporelles nécessite d’être résumée. Aucune d’entre elles n’est apparue ici par hasard, elles sont liées à une observation faite dans les années trente du xxe siècle, et donc à l’époque où débutent les descriptions de nos diaristes. Stefan Czarnowski affirmait alors que
« […] la culture paysanne est hors du temps. Le paysan dans son traditionalisme est antihistorique. Cela, en soi, suffit à le distinguer, en tant que type psychique, des types représentatifs des autres classes sociales. Sans même mentionner la noblesse, éprise par nature de l’histoire de son état et de sa gloire, on retrouve un très haut degré de compréhension pour l’histoire de son état au sein de l’ancienne bourgeoisie comme au sein de la bourgeoisie moderne ; on retrouve ce même intérêt – évidemment adressé à une certaine problématique de l’histoire – dans la plus jeune des classes, au visage résolument tourné vers le futur, le prolétariat. […] En revanche, la classe paysanne revit constamment le passé dans le présent, fusionnant les deux en un tout indifférencié. »
67Il s’agit d’une classe que caractérise la « pauvreté de sa perspective historique, à savoir les limitations de sa connaissance aux seuls faits transmis par voie de tradition orale et liés à l’environnement immédiat de la communauté paysanne (oral history) » (Gorlach, 1998). L’analyse de ces journaux contredit ces thèses autant qu’elle les confirme. Elle les contredit dans la mesure où on retrouve dans de nombreux journaux des références à des documents administratifs ou à des photographies, de même que certains d’entre eux sont les réceptacles d’une transcription des souvenirs familiaux qui vise à ce que soit gardée une trace écrite de l’histoire de la famille, de la ferme ou du village. C’étaient là encore l’intention de certains de nos diaristes, laisser une trace de soi. Nous trouvons néanmoins aussi une confirmation de la thèse selon laquelle les descendants des paysans d’autrefois auraient cultivé une perception spécifique de l’histoire, sa manifestation la plus évidente en est la perception locale et située des événements. Ceux-ci sont le plus souvent associés à des événements personnels ou familiaux, une pratique que l’on observe toutefois chez les représentants d’autres classes sociales.
68J’observe encore une constante dans cette façon de s’inscrire dans l’Histoire. Il y a une sorte de division entre deux histoires : l’histoire historique, plus lointaine, déjà « retravaillée » par la narration familiale. Il s’agit là d’une zone sûre d’évocations des événements (souvent dramatiques), lorsque notre narrateur répète, avec plus ou moins d’exactitude, un récit entendu. Ce temps sûr s’achève vers la moitié des années cinquante du xxe siècle. Commence alors l’histoire politique, plus proche, puisque déjà expérimentée par les narrateurs ou par ses parents. C’est une période de tournants fréquents dans l’histoire qui ont redéfini la signification des événements historiques et en ont modifié les interprétations. Leur simple évocation laisse transparaître la relation que le narrateur ou ses proches entretiennent vis-à-vis de ces événements. Les paysans se tiennent « depuis toujours » à distance de la politique, car comme l’écrivait le Poète « que la guerre soit même mondiale, pourvu que la campagne polonaise soit paisible, pourvu que la campagne polonaise soit au calme » [16]. La raison de ces maigres informations sur les événements de l’histoire récente, la raison de l’oubli de « Solidarność », de l’oubli de la rupture de l’année 1989 ou encore de l’accession à l’Union européenne, n’est-elle pas le tournant de l’année 2015 et la redéfinition encore à l’œuvre de la signification de ces événements ?
Bibliographie
Références bibliographiques
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Mots-clés éditeurs : histoires de vie, récits mémoriels, témoignages, exploitation familiale, paysannerie, campagne polonaise
Date de mise en ligne : 10/04/2020.
https://doi.org/10.3917/receo1.511.0161Notes
-
[1]
L’ordre de l’interaction est le réseau de règles explicites ou implicites régissant toute interaction humaine, y compris celles existantes entre un narrateur et le destinataire de sa narration (Goffman, 2000). L’interaction a pour condition de possibilité un sens commun partagé par le sociologue et les acteurs sociaux, qui l’organise de manière immanente. L’analyse sociologique, loin de devoir rompre avec ce sens commun, doit au contraire s’efforcer de l’élucider. [ndlr]
-
[2]
Pour plus d’informations au sujet de l’oral history, voir (Lewandowska, 2001) et (Fiternicka-Gorzko, 2012).
-
[3]
Les Lemkos appartiennent à un groupe ethnolinguistique de langue ruthène. La région d’origine des Lemkos s’étend dans les Carpates, de la rivière Poprad, à l’ouest à la vallée de l’Osława, à l’est. Ils ont été déplacés au lendemain de la Seconde Guerre mondiale vers les territoires occidentaux de la Pologne. [ndlr]
-
[4]
Les titres de certaines compositions en témoignent : « De père en fils – une brève histoire d’agriculture dans la famille N. » (no 50) ou encore « De génération en génération – souvenirs » (no 24).
-
[5]
Cette distanciation consciente vis-à-vis de l’Histoire est bien illustrée par le fragment suivant du journal no 4 : « La loi martiale a été imposée deux mois après notre mariage. Nous avons retenu ce jour car nous étions partis pour une escapade d’une journée à Częstochowa. À notre retour à la maison, mon mari a allumé la télévision pour n’y trouver aucun programme, il n’y avait que de la neige à l’écran. Au quotidien, nous devions faire notre boulot à la ferme, ce n’est que qu’en cas de départ que nous avions besoin d’un laissez-passer. […] C’est à cette époque qu’est apparue la possibilité pour les agriculteurs d’acheter, en échange de bétail livré, des produits rares que l’on ne trouvait plus dans les magasins. Nous avons alors pu acheter un lave-linge automatique ».
-
[6]
L’un d’entre eux – le no 40 – est un vaste commentaire qui s’attarde plus spécifiquement sur les événements de la Pologne populaire qui ont laissé une empreinte forte sur l’histoire de la famille.
-
[7]
27 journaux intimes sur 55 au total.
-
[8]
Sigle de Narodnyï Komissariat Vnoutrennykh Del, [Commissariat du peuple aux Affaires intérieures], en charge de la sécurité. [ndlr]
-
[9]
(NdT) Une « zemlianka » est une habitation entièrement enterrée ou semi-enterrée, surmontée d’un toit de bois et le plus souvent recouverte de terre ou de glaise. Elle constitue l’un des plus anciens types connus d’habitat construit. Certaines de ses variantes se sont maintenues dans les régions rurales reculées d’Europe centre-orientale et de Russie jusqu’au milieu du xxe siècle.
-
[10]
Le terme désigne le bonnet que devaient porter les juifs.
-
[11]
« La guerre est arrivée, les quotas n’étaient pas élevés en comparaison avec les années staliniennes, il fallait que cela vienne des semailles des champs et ils donnaient l’engrais » (no 26).
-
[12]
(NdT) Jeu de mots associant le nom du Premier secrétaire du Parti ouvrier polonais sous Staline, Bolesław Bierut, et la transcription phonétique de la phrase russe « vsio bierut » qui signifie « ils prennent tout ». Ce rapprochement, associé à la plasticité de la syntaxe slave, créait une ambiguïté de sens volontaire qui semblait proclamer tout à la fois « Nous devons tout à Bierut » et « Sous Bierut, on nous prend tout ».
-
[13]
L’acronyme original polonais de RSP, signifiant « Rolnicza Spółdzielnia Produkcyjna » désigne une coopérative de production agricole.
-
[14]
Samoobrana [Autodéfense] est un syndicat agricole, fondé le 10 janvier 1992. [ndlr]
-
[15]
Dans le journal no 4, cette date apparaît avec l’information : « la laiterie a fait faillite en 2004 ».
-
[16]
Stanisław Wyspiański, « Les noces », acte III.