Notes
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[1]
En 2016, près de 60 % des mineurs ont été pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance (ase) après l’âge de 16 ans, selon le rapport annuel 2016 de la mission mineurs non accompagnés, ministère de la Justice, mars 2017.
-
[2]
La Cour de cassation a condamné, à plusieurs reprises, l’appréciation de l’intégration du jeune dans la société française dans le cadre de la déclaration de nationalité, au motif que cette condition n’était pas prévue par la loi. Cour de cassation, 4 octobre 2015.
-
[3]
Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.
-
[4]
Circulaire du 2 février 2015.
-
[5]
Colloque de l’ump en 2005 : « Une immigration choisie pour une intégration réussie ».
-
[6]
L’évaluation de la minorité et de l’isolement n’étant inscrite dans aucun délai légal, elle peut durer plusieurs mois.
-
[7]
Article L. 111-1 du Code de l’éducation.
-
[8]
« Mineurs non accompagnés : répondre à l’urgence qui s’installe », Rapport d’information du Sénat, juin 2017, p. 82.
-
[9]
J.-F. Martini, « Mineurs étrangers : le tri qui tue », Plein droit, 2012/1.
-
[10]
Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi. Elle est notamment chargée de la délivrance des autorisations de travail pour la main-d’œuvre étrangère.
-
[11]
« Mineurs non accompagnés : répondre à l’urgence qui s’installe », op. cit., p. 88.
-
[12]
CE, 15 février 2017.
-
[13]
Article L. 222-5 du Code de l’action sociale et des familles, modifié par la loi du 14 mars 2016.
-
[14]
caa Bordeaux, 27.03.2017.
-
[15]
Voir par exemple caa Lyon, 14.02.2017 ; caa Lyon, 22.02.2016.
-
[16]
Circulaire du 28 novembre 2012.
-
[17]
60 % d’un temps complet, soit 964 heures par année civile.
-
[18]
Auparavant elle était conditionnée à un contrat de travail d’une durée supérieure à un an.
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[19]
La carte travailleur temporaire n’est valable que pour le cdd visé, sa durée de validité est alignée à celle du contrat de travail, elle n’est pas renouvelée en cas de perte involontaire d’emploi.
-
[20]
Il existait déjà des motifs de retrait de titre de séjour, tels que la menace à l’ordre public, ou en cas de dépassement du nombre d’heures de travail autorisées pour un étranger sous statut « étudiant ».
-
[21]
Circulaire du 2 novembre 2016.
-
[22]
Office français de l’immigration et de l’intégration. L’ofii a été créé en 2008 et est chargé de l’accueil des étrangers titulaires d’un premier titre de séjour durable. Parmi ses missions, régulièrement élargies, figurent l’accueil des demandeurs d’asile, mais aussi le retour et la réinsertion dans le pays d’origine.
1 Je travaille depuis trois ans auprès de mna, que j’accompagne dans leurs démarches d’accès au séjour. À Strasbourg comme en France, la majorité d’entre eux a déjà 16 ans lorsqu’ils sont confiés à l’ase [1]. Leur âge à ce moment-là est primordial, puisqu’il conditionne leur droit à rester en France au-delà de leur majorité.
2 Les mna confiés à l’ase avant l’âge de 15 ans sont les seuls à bénéficier d’un séjour pérenne : ils deviennent français par simple déclaration. Paradoxalement, alors que l’accès à la nationalité française est ailleurs verrouillé par une condition d’assimilation, cette procédure-ci ne prévoit aucune vérification de leur intégration [2]. Antérieure à la refonte de la politique migratoire opérée depuis 2003, cette disposition du Code civil présumait encore que l’ancienneté du séjour en France suffisait à garantir l’intégration de l’étranger dans la société française. Ces jeunes, les moins nombreux parmi les mna, sont effectivement bien intégrés : sous obligation scolaire, ils rejoignent les bancs de l’école, apprennent le français, choisissent leur formation, puis travaillent. Leur parcours est rapidement similaire à celui des jeunes « issus du territoire ».
3 Passé 15 ans, le statut des jeunes diffère grandement. Ils restent étrangers, et leur séjour est conditionné à leur intégration en France. Mais la carte « vie privée et familiale » qui leur est délivrée est stable et sécurisante. Elle leur est de plus délivrée de plein droit, c’est-à-dire que le préfet dispose d’un pouvoir d’appréciation réduit. Autrement dit, les mna de 15 ans peuvent eux aussi se projeter dans un avenir en France qu’ils auront commencé à construire dès leur minorité.
4 Il est en tout autrement pour les mna confiés à l’ase après l’âge de 16 ans. C’est à cette catégorie de jeunes que je propose de m’intéresser, à la fois parce qu’ils sont les plus nombreux, mais encore parce que l’injonction d’intégration faite à ces jeunes est singulièrement paradoxale.
Présomption de non-intégration
5 Depuis la loi du 26 novembre 2003, l’objectif d’intégration des étrangers pèse non plus sur l’État mais sur les étrangers eux-mêmes. L’inversion de la charge de la responsabilité vise à réguler les étrangers « subis », qui ne pourront rejoindre la catégorie des étrangers « choisis », autorisés à rester durablement en France, qu’en rapportant la preuve de leur volonté d’intégration. Pour opérer ce tri, Nicolas Sarkozy a défini à partir de 2003 une politique d’exigences envers ces étrangers non désirés, dont font incontestablement partie les mna. N’oublions pas en effet que la majorité d’entre eux sont arrivés clandestinement en Europe.
6 C’est dans ce contexte de sélection accrue qu’a été introduit l’article L. 313-15 au ceseda [3], en 2011, qui prévoit le séjour des mna confiés à l’ase après l’âge de 16 ans. À proprement parler, ils n’ont pas de droit au séjour. Ce n’est qu’« à titre exceptionnel » qu’ils pourront rester en France au-delà de leur majorité. La régularisation de leur séjour est pensée comme une faveur, conditionnée à leur intégration en France.
7 Absence de trouble à l’ordre public, scolarité sérieuse et assidue, suivi d’une formation professionnelle qualifiante depuis au moins six mois, avis de la structure d’accueil sur leur insertion dans la société française, nature des liens avec la famille restée dans le pays d’origine : voilà le faisceau d’indices au crible desquels sera jaugée leur volonté à rester en France, dont l’appréciation est entièrement laissée au préfet.
8 Pour cela, la charge leur revient de s’intégrer – et non plus d’être intégrés. En dehors de leur prise en charge, ces jeunes venus sans visa n’ont pas encore le droit de bénéficier des mesures d’intégration : droit à un statut juridique, à la formation, à l’emploi, et plus globalement à l’insertion sociale et professionnelle. Elles ne leur seront accordées qu’après avoir fait, au préalable, la preuve de leur capacité d’intégration.
9 Or, dans les faits, le respect de ces conditions est à bien des égards indépendant de leur volonté et résistant à leurs efforts. Dépasser ces résistances peut sans doute être interprété, dans une logique plutôt perverse, comme un indice supplémentaire de leur détermination. Mais sous une autre perspective, on est tenté de voir dans ces critères posés à leur régularisation des leurres, rendus inaccessibles pour les empêcher de pouvoir rester sur le sol français.
Un parcours d’intégration verrouillé
10 En 2014, la politique publique d’intégration est réorientée et priorise la phase d’accueil : « la réussite de la phase d’accueil et d’insertion est considérée comme la condition d’une unité complète et durable dans la société [4] ». À regarder le parcours des mna retracé ci-après à grands traits, on constate plutôt un manque de volonté à créer ces conditions de leur « unité complète et durable dans la société ».
11 En effet, pour réunir le faisceau d’indices nécessaires à leur titre de séjour, les mna sont confrontés à une multitude de freins, de résistances, voire parfois de pratiques à la limite de la légalité, qui tapissent ainsi l’ensemble de leur parcours. On a la désagréable impression que le droit au séjour des mna est conditionné à un parcours d’intégration dissuasif. Cette injonction contradictoire semble s’expliquer sous le postulat suivant : si « l’immigration choisie » est promise à une « intégration réussie [5] », l’intégration des « immigrés subis » semble plutôt à l’inverse défavorisée.
Apprendre le français sur liste d’attente
12 À commencer par l’école. Déliée de l’obligation de scolariser les jeunes de plus de 16 ans, l’Éducation nationale se garde de tout excès de zèle pour engager des moyens au bénéfice de ces jeunes étrangers.
13 Alors qu’un effort a clairement été fait en faveur des moins de 16 ans, il n’existe à l’heure actuelle, à Strasbourg, qu’une seule classe d’apprentissage du français pour les jeunes allophones de plus de 16 ans, et ce malgré le nombre croissant de jeunes primo-arrivants. L’engorgement qui en résulte provoque des listes d’attente de plusieurs mois. Le retard de scolarisation a un impact majeur sur l’intégration du jeune en France, car il engendre des difficultés persistantes dans la maîtrise du français – qui pourront lui être reprochées comme défaut d’intégration.
14 Si ce n’est l’absence de place, d’autres jeunes sont confrontés à l’absence de classe. Le Bas-Rhin vient tout récemment de créer un dispositif pour les jeunes de plus de 16 ans allophones et non scolarisés antérieurement. En revanche, les jeunes francophones analphabètes sont eux, après 16 ans, privés de classe adaptée à leurs besoins spécifiques.
15 Pour pallier les carences de l’Éducation nationale, nous orientons les jeunes vers des dispositifs qui ne leur correspondent pas. N’est-ce pas un comble que d’inscrire dans un dispositif de lutte contre le décrochage scolaire des jeunes qui demandent tous les jours à pouvoir aller à l’école ?
16 Et il ne s’agit là que de jeunes reconnus mineurs. À Paris par exemple, ceux dont l’évaluation n’est pas terminée [6] n’ont pas encore le droit d’être sur liste d’attente. La loi française prévoit pourtant que « le droit à l’éducation est garanti à chacun [7] », mais cette garantie est rapidement éclipsée par le « risque d’intégrer aux classes des personnes potentiellement majeures [8] ». Ainsi, le Sénat valide la primauté de la lutte contre l’immigration illégale sur le droit à l’éducation. Aux yeux de l’Éducation nationale comme de la protection de l’enfance, « ces enfants sont plus étrangers que mineurs, étrangers avant d’être mineurs [9] ».
Des métiers de relégation
17 La classe de fle n’est cependant qu’une étape, car elle n’est pas considérée comme une formation professionnelle ouvrant droit à un titre de séjour. Or, le temps joue contre les jeunes : les mna doivent, avant leur dix-neuvième anniversaire, être inscrits en formation depuis déjà six mois. Après avoir longtemps attendu une place, les jeunes doivent donc s’atteler à la libérer rapidement à nouveau.
18 Quand leurs efforts leur permettent enfin d’être orientés en lycée professionnel, les jeunes n’ont pour choix que les places restantes. Ils ne sont pas prioritaires face aux collégiens – parmi lesquels se trouvent notamment les mna confiés plus jeunes à l’ase. Il leur faudra alors être sérieux et assidus dans une formation souvent par défaut, de relégation, qu’ils n’auront pas choisie.
19 Si, par faute de place ou parce que leur niveau est insuffisant, certains n’ont toutefois pas cette « chance » d’intégrer une formation en voie directe, il est possible d’entamer un apprentissage. Mais, nouvel obstacle, la formation en alternance est cependant soumise à la délivrance d’une autorisation de travail. À la difficulté de convaincre un employeur s’ajoute celle d’une démarche administrative entravée.
20 Le Code du travail énonce clairement que cette autorisation n’est soumise à aucune condition de régularité du séjour. Pourtant, les direccte [10] ont tendance à refuser de délivrer une autorisation de travail en l’absence de titre de séjour. La circulaire du 25 janvier 2016 a entériné cette pratique, en conditionnant la délivrance d’une autorisation de travail aux mna de plus de 16 ans à l’examen des critères de délivrance d’un titre de séjour. Pour le Sénat, « ces pratiques, en plus d’être illégales, placent le mineur dans la situation kafkaïenne d’avoir à produire un titre de séjour pour suivre une formation professionnelle, elle-même condition nécessaire à l’obtention de ce titre de séjour [11] ». Il aura fallu attendre une décision du Conseil d’État condamnant ces pratiques pour « atteinte grave et manifestement illégale à l’intérêt supérieur de l’enfant et à l’exigence constitutionnelle d’égal accès à l’éducation [12] » !
L’étau budgétaire de leur accompagnement
21 Pour relever ces défis, les mna ne bénéficient que d’un accompagnement « au rabais ». Sans que l’on revienne sur les nombreuses critiques adressées aux conseils départementaux relatives aux conditions d’accompagnement des mna, les modalités de leur prise en charge empêchent les jeunes de lever ces obstacles.
22 Il faut en effet des moyens pour les contourner ou les contester, moyens dont manquent majoritairement les structures d’accueil. Tant d’obstacles et si peu de leviers : cette combinaison laisse penser que la politique de découragement à l’œuvre, au nom de la peur de l’appel d’air, semble ici viser non seulement les mineurs eux-mêmes mais aussi les professionnels les accompagnant.
23 Malheureusement, les structures d’accueil, dans leur avis sur l’insertion du jeune dans la société française qu’elles adressent aux préfectures, ne sont pas tenues de faire état de leurs capacités à favoriser ou non cette insertion. Du reste, je m’inquiète que cet avis ne soit nullement encadré, ce qui laisse un large pouvoir à ces dispositifs pour apprécier cette notion floue qu’est l’insertion.
24 Au-delà de la majorité, les services préfectoraux mesurent encore la volonté d’intégration des mna à la poursuite de leur prise en charge sous contrat jeune majeur. Or, cette compétence facultative des conseils départementaux répond de plus en plus à une logique purement financière, découplée du parcours du jeune. Le législateur a d’ailleurs dû légiférer [13] en la matière, pour éviter des fins de prise en charge brutales en cours d’année scolaire.
25 Certains conseils départementaux réfléchissent l’ensemble de la prise en charge des mna en termes de rentabilité. De nombreux mna qui arrivent en France âgés de plus de 17 ans se voient refuser une prise en charge, quand bien même leur minorité est avérée, au motif que « ça n’en vaut plus la peine ». Un tel refus, bien sûr illégal, est tout à la fois choquant et inquiétant. Considérant ces jeunes comme déjà « trop vieux » pour remplir les conditions d’obtention d’une carte de séjour, les conseils départementaux garantissent ce faisant qu’ils ne pourront pas s’intégrer – avant tout parce que la prise en charge par l’ase est indispensable pour se prévaloir de l’article L. 313-15 du ceseda.
« Gagner les papiers »
26 Au terme de ce parcours d’obstacles, les jeunes n’ont pas de garantie de voir leurs efforts récompensés. S’ils parlent de « gagner les papiers », c’est sans doute parce qu’ils ont bien compris qu’il leur faut aussi compter sur une dose de chance. Leur séjour relève en effet de l’admission exceptionnelle. Il n’y a pas obligation pour le préfet à délivrer un titre de séjour, quand bien même les conditions seraient remplies : « tout ça pour ça ».
27 Face au pouvoir d’appréciation du préfet, le juge n’exerce qu’un contrôle restreint de l’erreur manifeste d’appréciation. La jurisprudence est des plus hétérogènes en matière de droit au séjour des étrangers, privant les jeunes étrangers d’une perspective d’avenir sécurisée.
28 J’ai récemment lu une jurisprudence de la cour administrative d’appel de Bordeaux [14] qui illustre parfaitement cette ambivalence. On se félicite que la cour retienne le besoin d’apprentissage du français en préalable à l’inscription en lycée professionnel, pour justifier que le jeune ne soit pas encore inscrit depuis six mois en formation professionnelle. Ce retard de scolarisation ne saurait être imputé au jeune, qui a par ailleurs fait preuve d’une grande motivation dans la recherche d’un apprentissage. Cependant, dans la foulée, le juge estime que le jeune, qui est dorénavant âgé de plus de 19 ans au moment de la procédure d’appel, ne peut plus se prévaloir des dispositions de l’article L. 313-15 du ceseda !
29 Fort heureusement, la jurisprudence semble faire émerger une ligne directrice qui encadre le pouvoir des préfets sur le droit au séjour des mna : celle de l’appréciation globale de la situation du jeune [15].
30 Ainsi, la bonne intégration des jeunes majeurs est souvent retenue pour justifier l’annulation d’une obligation à quitter le territoire. De sorte que ce sont finalement les jeunes qui gagnent le pari de leur intégration. Mais on ne peut que déplorer qu’il faille une longue procédure juridictionnelle avant que leur intégration ne leur soit reconnue. Je regrette encore que les juges apprécient l’intégration des jeunes à l’aune de leur engagement associatif et dans la vie locale, ce qui me semble ajouter une condition d’intégration non prévue par la loi. Enfin, il serait souhaitable que les liens personnels noués par les jeunes – leurs amis, mais aussi les adultes qui font repère dans leur vie – soient davantage valorisés par la jurisprudence, qui privilégie d’ordinaire les liens familiaux. Or, ces jeunes sont isolés sur le territoire : leurs attaches ne peuvent être que personnelles et non familiales.
La précarité pour s’intégrer
31 Quand, enfin, au terme de ce parcours d’obstacles, les mna obtiennent un titre de séjour, la contrainte à l’intégration ne faiblit pas. Depuis 2014, la préfecture du Bas-Rhin délivre systématiquement aux mna confiés à l’ase après 16 ans un titre « étudiant ». Je me souviens des deux premiers jeunes qui ont reçu une carte étudiant. Ils ont protesté, incrédules, en colère et frustrés, mais ils étaient avant tout déçus. Parce que la perspective d’un séjour stable leur reconnaissant leur place en France leur était dérobée.
32 Dérobée en effet, car ce statut est contraire à la loi : l’article L. 313-15 du ceseda prévoit exclusivement la délivrance d’une carte « salarié » ou « travailleur temporaire ». La carte étudiant avait été pensée, en 2012 [16], comme une extension du droit au séjour pour les mna qui seraient inscrits en cursus secondaire ou universitaire. Cette disposition a cependant été détournée par de nombreuses préfectures qui en font une interprétation restrictive.
33 Les deux jeunes avaient déjà compris que ce premier titre de séjour était une mise à l’épreuve, un sursis. Il s’agit d’un titre temporaire délivré aux étrangers qui n’ont pas vocation à rester sur le territoire français. Les droits attachés à ce statut sont donc réduits.
34 Or, parce qu’elle est précaire, la carte étudiant met en péril le parcours d’intégration des mna. À l’issue de la formation professionnelle, l’inscription à la mission locale, dispositif d’aide à l’insertion socioprofessionnelle des jeunes, leur est refusée. Par ailleurs, les employeurs craignent de recruter un jeune sous ce statut, par peur d’être dans l’illégalité. Car ce titre de séjour est assorti d’une autorisation de travail à titre accessoire [17]. Un changement de statut est certes possible, mais cette procédure pénible conduit régulièrement des entreprises à renoncer à recruter ces jeunes étrangers. Il semble que ce sont ici les employeurs que l’on cherche à décourager.
35 Pourtant, l’emploi, et plus globalement l’insertion professionnelle, est un élément clé d’intégration. Les jeunes majeurs doivent donc composer avec ce statut précaire pour continuer de montrer les gages de leur volonté d’intégration, sans quoi ils risquent un refus de séjour. Là encore, on le voit, ils doivent s’intégrer sans qu’on leur en donne les moyens.
36 Parce qu’ils n’ont pas vocation à rester sur le territoire, la sortie de ce statut précaire vers un séjour durable est difficile – et la difficulté s’accentue. La loi du 7 mars 2016 renforce le lien entre droit au séjour et intégration. Cette réforme simplifie et sécurise le séjour des étrangers « choisis », notamment avec la création des cartes pluriannuelles, tandis que celui des autres est davantage précarisé. Ainsi, la carte salarié est désormais réservée aux seuls titulaires d’un contrat de travail à durée indéterminée [18] tandis que la carte travailleur temporaire est généralisée pour tous les cdd. Les jeunes majeurs quittent donc en général un premier statut précaire pour un autre statut précaire [19], une seconde mise à l’épreuve alors qu’ils ont pourtant réussi la première.
37 Pire, cette loi crée un droit de retrait de titre de séjour à tout moment dès lors que les conditions de délivrance ne seraient plus respectées [20]. À cette fin, le préfet est doté d’un pouvoir de contrôle étendu. S’il est encore aléatoire, ce contrôle a vocation à être systématisé [21]. Pour les mna, dont le droit au séjour est le reflet de leur intégration, introduire la possibilité permanente de leur retirer leur titre de séjour pour ce motif, c’est leur signaler que leur intégration n’est finalement jamais acquise.
38 Dernier exemple de ces contradictions dont est pétri le séjour des jeunes majeurs en France, le contrat d’intégration républicaine, signé à l’ofii [22]. La loi du 24 juillet 2006 généralise le contrat d’accueil et d’intégration et le rend obligatoire pour les étrangers titulaires d’un titre de séjour durable. Ce qui exclut, par définition, les cartes étudiant et travailleur temporaire délivrées aux jeunes majeurs. Alors qu’ils seront en France depuis des années, les anciens mna, devenus majeurs, ne viendront que très tardivement signer ce contrat d’intégration, où ils formalisent leur engagement à s’efforcer de s’intégrer en France ! C’est nier leurs efforts antérieurs. Et c’est pour le moins déconcertant de voir l’État s’engager à favoriser l’intégration de ces jeunes après avoir pris grand soin de vérifier qu’ils étaient déjà intégrés. La totalité de nos jeunes sont d’ailleurs dispensés des formations linguistiques. Les convoquer à la formation civique apparaît peu pertinent : les valeurs de la République française ne sont-elles pas transmises en lycée professionnel ou dans les établissements de prise en charge des services de protection de l’enfance ?
39 Le processus d’intégration se poursuit encore jusqu’à l’obtention, in fine, de la carte de résident, mais surtout de la nationalité française, qui est souvent le seul statut « valable » aux yeux des jeunes. Ils perçoivent nettement que les cartes de séjour temporaire les laissent à la merci d’un changement de législation.
40 Selon l’article L. 314-2 du ceseda, la carte de résident est « subordonnée à l’intégration républicaine de l’étranger dans la société française, appréciée en particulier au regard de son engagement personnel à respecter les principes qui régissent la République française, du respect effectif de ces principes et de sa connaissance de la langue française ». D’une part, l’intégration des anciens mna est à nouveau passée sous contrôle. De l’autre, les critères de cette intégration républicaine sont à la fois renforcés et plus flous : en quoi consiste un tel engagement personnel ? Quant à la procédure de naturalisation, elle dépasse les critères d’intégration : les textes continuent d’exiger l’assimilation de l’étranger à la société française.
L’intégration gâchée
41 La légitimité de la présence en France des mna est fréquemment déniée, depuis l’évaluation de leur minorité, où ils sont largement considérés comme des majeurs en situation irrégulière, jusqu’à l’obtention de la nationalité française. Les cartes de séjour précaires dont ils doivent se contenter leur nient un droit au séjour durable, quoi que leurs efforts puissent dire de leur volonté à rester en France.
42 Leur assurer un statut pérenne, en réponse logique à un parcours accessible, valorisé et valorisant, serait par trop risquer l’appel d’air.
43 Pourtant, malgré les contraintes, à Strasbourg, beaucoup transforment l’essai. La stratégie du découragement échoue, les jeunes restent en France, avec beaucoup de courage et de détermination. L’objectif de maîtrise des flux migratoires n’est pas atteint.
44 Mais je m’inquiète de voir que l’autre objectif de la politique migratoire n’est pas non plus atteint : les jeunes ne sont pas intégrés, au sens où ils n’ont pas eu suffisamment à sentir qu’une place leur a été faite. S’ils sont déterminés à rester en France, c’est aussi par cohérence aux nombreux efforts qu’ils ont dû fournir. Renoncer n’est plus possible au terme de toutes ces épreuves. Ils ne restent pas, ou plus tellement, par reconnaissance. Je sens nos jeunes fatigués de l’injustice dont ils se sentent prisonniers, à devoir mériter une place qu’on ne cesse de leur refuser.
45 Étape ultime de l’intégration, la naturalisation est conditionnée à l’assimilation de l’étranger en France, qui est mesurée, entre autres, à l’adhésion de l’étranger à la République française. L’adhésion. Celle-là même que tout le parcours contraint des mna de plus de 16 ans tend à empêcher en leur rappelant régulièrement qu’ils n’ont pas leur place sur le territoire. Quels Français aura-t-on fait d’eux ? Les stigmates de ces longues années probatoires auront manqué, on peut le craindre, à susciter chez eux un sentiment d’appartenance.
46 Ils méritent pourtant une bien meilleure politique d’intégration, au regard des efforts que ces jeunes sont capables de fournir, de leur très bonne intégration malgré ces obstacles, et de la reconnaissance dont ils témoignent pour peu qu’on soit prêt à leur donner une chance.
Bibliographie
Bibliographie
- Commission des Affaires sociales. 2017. « Mineurs non accompagnés : répondre à l’urgence qui s’installe », Rapport d’information n° 598 (2016-2017) de Mme Élisabeth Doineau et M. Jean-Pierre Godefroy, 28 juin.
- Dänzer-Kantof, B. ; Lefebvre, V. ; Torres, F. 2011. Immigrer en France. De l’oni à l’ofii, histoire d’une institution chargée de l’immigration et de l’intégration des étrangers, 1945-2010, Paris, Cherche Midi.
- Dictionnaire permanent du droit des étrangers. 2016. Étude « Intégration », mise à jour décembre.
- Gisti, 2016. Précarisation du séjour, régression des droits.
- Gisti, 2017. « La carte de séjour pluriannuelle », Note pratique.
- Lochak, D. 2006. « Le tri des étrangers : un discours récurrent », Plein droit, p. 4-8.
- Lochak, D. 2006. « L’intégration comme injonction. Enjeux idéologiques et politiques liés à l’immigration », Cultures & Conflits [en ligne], 64, mis en ligne le 6 mars 2007.
- Lochak, D. 2008. « L’intégration à rebours », Plein droit, 1, p. 7-10.
- Martini, J.-F. 2012. « Mineurs étrangers : le tri qui tue », Plein droit, 1, 92, p. 11-15.
- Ministère de l’Intérieur. 2016. Guide de réglementation du séjour et du travail des étrangers en France, 2 novembre, p. 273-279.
- Ribert, É. 2006. Liberté, égalité, carte d’identité. Les jeunes issus de l’immigration et l’appartenance nationale, Paris, La Découverte.
Mots-clés éditeurs : relégation, coercition, parcours d’intégration, papiers
Mise en ligne 10/01/2018
https://doi.org/10.3917/read.096.0233Notes
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[1]
En 2016, près de 60 % des mineurs ont été pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance (ase) après l’âge de 16 ans, selon le rapport annuel 2016 de la mission mineurs non accompagnés, ministère de la Justice, mars 2017.
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[2]
La Cour de cassation a condamné, à plusieurs reprises, l’appréciation de l’intégration du jeune dans la société française dans le cadre de la déclaration de nationalité, au motif que cette condition n’était pas prévue par la loi. Cour de cassation, 4 octobre 2015.
-
[3]
Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.
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[4]
Circulaire du 2 février 2015.
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[5]
Colloque de l’ump en 2005 : « Une immigration choisie pour une intégration réussie ».
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[6]
L’évaluation de la minorité et de l’isolement n’étant inscrite dans aucun délai légal, elle peut durer plusieurs mois.
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[7]
Article L. 111-1 du Code de l’éducation.
-
[8]
« Mineurs non accompagnés : répondre à l’urgence qui s’installe », Rapport d’information du Sénat, juin 2017, p. 82.
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[9]
J.-F. Martini, « Mineurs étrangers : le tri qui tue », Plein droit, 2012/1.
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[10]
Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi. Elle est notamment chargée de la délivrance des autorisations de travail pour la main-d’œuvre étrangère.
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[11]
« Mineurs non accompagnés : répondre à l’urgence qui s’installe », op. cit., p. 88.
-
[12]
CE, 15 février 2017.
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[13]
Article L. 222-5 du Code de l’action sociale et des familles, modifié par la loi du 14 mars 2016.
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[14]
caa Bordeaux, 27.03.2017.
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[15]
Voir par exemple caa Lyon, 14.02.2017 ; caa Lyon, 22.02.2016.
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[16]
Circulaire du 28 novembre 2012.
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[17]
60 % d’un temps complet, soit 964 heures par année civile.
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[18]
Auparavant elle était conditionnée à un contrat de travail d’une durée supérieure à un an.
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[19]
La carte travailleur temporaire n’est valable que pour le cdd visé, sa durée de validité est alignée à celle du contrat de travail, elle n’est pas renouvelée en cas de perte involontaire d’emploi.
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[20]
Il existait déjà des motifs de retrait de titre de séjour, tels que la menace à l’ordre public, ou en cas de dépassement du nombre d’heures de travail autorisées pour un étranger sous statut « étudiant ».
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[21]
Circulaire du 2 novembre 2016.
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[22]
Office français de l’immigration et de l’intégration. L’ofii a été créé en 2008 et est chargé de l’accueil des étrangers titulaires d’un premier titre de séjour durable. Parmi ses missions, régulièrement élargies, figurent l’accueil des demandeurs d’asile, mais aussi le retour et la réinsertion dans le pays d’origine.