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Article de revue

Impacts des pressions environnementales et des changements climatiques sur la propagation des maladies infectieuses et sur la vulnérabilité des populations

Pages 32 à 35

Notes

Introduction

1L’apparition d’épidémies infectieuses est la résultante d’une dynamique complexe influencée à la fois par des conditions environnementales propices au développement et à la propagation des agents infectieux et par les modifications technologiques, sociales et démographiques qui se multiplient. Dès le début des années 1990, l’Institut de médecine des États-Unis insistait sur l’importance de considérer une vision globale intégrant l’environnement pour comprendre la dynamique des épidémies infectieuses (Institute of Medicine, 1992). Récemment, l’OMS a, sur ce point, produit un manifeste [1] en faveur du développement du concept de santé globale dans les politiques de santé destinées non seulement à protéger la santé humaine, mais aussi la santé animale et l’environnement. L’IPBES (2020), dont l’expertise est centrée sur la santé des écosystèmes, souligne également la nécessité d’une telle approche dans un contexte d’augmentation probable des maladies infectieuses, du fait des changements climatiques.

figure im3

2Pour autant, la pratique de la santé publique cloisonne encore « risque infectieux » et « risque environnemental ». Cela n’est pas de nature à appréhender les interactions entre les épidémies infectieuses et les déterminants environnementaux, même si celles-ci sont bien établies pour quelques épidémies, notamment d’origine hydrique.

3Pour de nombreuses épidémies, en particulier les épidémies infectieuses émergentes, les liens sont moins établis et a fortiori peu intégrés dans les politiques de santé. De ce fait, lorsque l’épidémie émerge, les efforts se traduisent avant tout par des mesures de court terme destinées à protéger la population face à un risque immédiat. Ils consistent en la mise en place de mesures visant à freiner la propagation de l’épidémie pour contrer la menace de santé publique. Dans cette phase, les conditions environnementales qui favorisent l’émergence et la propagation de l’épidémie ne sont que peu interrogées. Cependant, porter également une attention aux interactions entre l’environnement et de telles épidémies infectieuses est indispensable pour renforcer les politiques de protection de l’environnement et de la santé.

4Cet article a pour objectif d’analyser ces interactions sous deux angles. Le premier est celui qui considère la dynamique globale du cycle épidémique et interroge, en particulier, l’impact de l’activité humaine sur l’émergence et la propagation des épidémies. Le second concerne plutôt les interactions entre certaines pressions qui s’exercent sur l’environnement, telles que la pollution de l’air, l’exposition aux substances chimiques ou le risque climatique, et la vulnérabilité accrue des populations aux épidémies infectieuses.

L’environnement détermine l’émergence et la diffusion des épidémies infectieuses

5Les maladies infectieuses émergentes, telles que les zoonoses, trouvent leur origine dans les réservoirs naturels. Toutefois, leur émergence est liée à différentes causes dont nombre sont environnementales et associées à l’activité humaine. Les modes de production agricoles, en particulier l’élevage, sont les premiers déterminants de l’émergence et de la propagation des zoonoses. En effet, la nature des agroécosystèmes conditionne le risque d’apparition et de propagation des agents infectieux, risque particulièrement accru dans les élevages intensifs. Selon l’IPBES (2020), 70 % des maladies émergentes, telles que le Zika ou Ebola, sont causées par des micro-organismes d’origine animale qui diffusent dans la population humaine. L’impact de l’activité humaine sur la modification de son environnement est également évoqué comme une cause probable de l’augmentation de l’émergence de certaines maladies. Ainsi, il est établi que certaines modifications de l’environnement induites par l’activité humaine accroissent de manière drastique le risque zoonotique. Parmi ces modifications, la déforestation ou la multiplication de grands centres urbains sont identifiées comme des déterminants d’une augmentation de la fréquence des zoonoses. Enfin, le changement climatique est également identifié comme l’un des facteurs probables ayant des effets sur certaines de ces zoonoses par son impact sur les écosystèmes. Même s’il n’y a pas de consensus établi, plusieurs maladies infectieuses ont d’ores et déjà été identifiées comme climato-sensibles dans certaines régions.

6Les mesures de gestion qui consistent à freiner la propagation de l’épidémie sont une autre source d’interactions. Le temps de leur mise en place, elles ont un impact notable sur l’environnement. En matière de pollution atmosphérique, les mesures mises en place lors du premier confinement, au printemps 2020, ont ainsi eu pour effet d’améliorer la qualité de l’air, notamment grâce à des niveaux faibles d’oxydes d’azote, en raison d’une diminution importante du trafic routier, et, de manière moindre, à la baisse des concentrations en particules. Ces diminutions ont eu pour effet de réduire la mortalité, avec 2 300 décès en moins pour les particules et 1 200 décès en moins pour (Santé publique France, 2021). Bien évidemment, le NO2 les conditions de confinement ne sont pas des conditions durables. Néanmoins, ces résultats constituent un argument supplémentaire d’incitation à la mise en œuvre de politiques durables et de long terme destinées à limiter l’empreinte de l’activité humaine sur la qualité de l’air et, plus généralement, sur l’environnement. Ces politiques auront également un effet positif sur la prévention des épidémies infectieuses.

Les pressions environnementales accroissent la vulnérabilité des populations aux épidémies infectieuses

7Les pressions environnementales accroissent la vulnérabilité aux épidémies infectieuses, directement ou en engendrant des pathologies chroniques. La nature et la complexité des interactions sont ici illustrées au travers de trois problématiques majeures de santé publique : les expositions 1) à la pollution de l’air, 2) aux substances chimiques et 3) à des températures élevées.

Pollution de l’air

8Les polluants de l’air (NO2, particules…) diminuent la résis2 tance aux infections en affectant le système immunitaire. Cela accroît la vulnérabilité aux infections respiratoires, telles que la grippe, et potentiellement à d’autres coronavirus. Même si cela est bien plus marqué chez des enfants ou des adultes atteints de pathologies respiratoires chroniques, l’ensemble de la population est concernée. Par ailleurs, il est également démontré que ces polluants induisent inflammation et stress oxydatif, qui exacerbent plusieurs pathologies chroniques du système respiratoire et cardio-vasculaire, mais aussi certains cancers ou maladies neurodégénératives. En France, l’exposition chronique à la pollution atmosphérique constitue l’un des fardeaux principaux de la mortalité, alors qu’il est évitable. Une estimation récente évalue à 40 000 le nombre de décès prématurés liés à la pollution de l’air en France, qui sont en partie liés à l’exacerbation de maladies respiratoires ou cardio-vasculaires. Ces pathologies ont également été identifiées comme augmentant la vulnérabilité aux infections respiratoires aiguës, dont la Covid-19. Depuis le début de la pandémie de Sars-CoV-2, des associations avérées entre la mortalité due au Sars-CoV-2 et la pollution atmosphérique ont été rapportées aux États-Unis et en Italie (Conti et al., 2020 ; Wu et al., 2020). Cependant, ces résultats, qui reposent pour l’essentiel sur des études observationnelles dites écologiques, méritent encore d’être confortés. En effet, l’étude de ces liens est rendue particulièrement complexe du fait du caractère émergent de l’épidémie de Covid-19, de l’existence de nombreux facteurs confondants, de la diversité des mesures mises en œuvre pour contenir l’épidémie et de la complexité de caractériser de manière représentative et à maille suffisamment fine les expositions aux polluants concernés.

Substances chimiques

9Au-delà de la pollution atmosphérique, l’environnement intérieur ou l’alimentation exposent la population à un nombre important de substances chimiques (Fillol et al., 2021). Ces dernières ont des effets sur l’immunité, le système hormonal ou encore le métabolisme. Elles peuvent aussi être à l’origine de pathologies, telles que l’obésité, le diabète ou encore certains cancers, autant de pathologies identifiées comme des facteurs de comorbidité lors de la pandémie de Covid-19. Une étude fondée sur des approches de bio-informatique a montré un lien entre l’exposition à des perturbateurs endocriniens et des pathologies chroniques comme les maladies métaboliques ou vasculaires et l’obésité, qui favorisent les formes sévères de la Covid-19. Ces analyses ont mis en avant l’implication de voies biologiques liées à l’inflammation (Wu et al., 2020). Dans une étude réalisée chez des patients Covid-19, une équipe danoise a établi une corrélation entre l’exposition à certaines substances perfluorées immunotoxiques et les formes sévères de la Covid-19 (Grandjean et al., 2020). Les mécanismes précis de cette relation ne sont pas encore connus. De plus, l’exposition pendant la vie fœtale à des substances chimiques, comme les perfluorés, augmente le risque de maladies infectieuses chez le jeune enfant (Dalsager et al., 2021). Ainsi, l’exposition à des substances chimiques a des impacts sur le déroulé d’une maladie infectieuse et sur sa gravité.

Chaleur

10L’exposition à la chaleur est aussi un facteur qui augmente probablement la vulnérabilité aux maladies infectieuses. Associées à des températures diurnes et nocturnes intenses, les vagues de chaleur estivales sont de plus en plus fréquentes, du fait des changements climatiques (Pascal et al., 2021a). Elles engendrent un risque sanitaire élevé et une augmentation de la mortalité, notamment pour les personnes les plus âgées qui présentent des pathologies chroniques comme celles citées précédemment. Lors de l’été 2020, une augmentation sensible de la mortalité a été observée, notamment chez les plus de 74 ans, mais aussi, ce qui est plus inhabituel, chez les plus de 45 ans (Pascal et al., 2021b). Bien que des analyses complémentaires portant sur les causes de décès doivent encore être menées, il est possible que l’épidémie de Covid-19 du printemps 2020 ait pu accroître la vulnérabilité de la population, en exacerbant certaines pathologies chroniques ou du fait d’un moindre recours aux soins lié au confinement (Pascal et al., 2021b).

11Ces exemples soulignent l’impact probable des expositions environnementales sur la gravité des épidémies infectieuses. Bien entendu, il serait réducteur de ne considérer que les seuls facteurs environnementaux. La dynamique d’évolution même des agents infectieux, les caractéristiques sociodémographiques des sociétés et la mondialisation des échanges sont également à prendre en considération.

Conclusions

12Mieux protéger la santé en intégrant les liens entre l’environnement et les maladies infectieuses est un enseignement indiscutable de la pandémie de Covid-19. Les analyses portant sur la santé humaine, la santé animale et la santé de l’environnement convergent : la pollution de l’environnement, l’altération de la biodiversité et les changements climatiques sont déterminants dans la propagation et la sévérité des épidémies infectieuses. Pour mieux comprendre ces liens, des programmes de recherche ambitieux et pluridisciplinaires sont indispensables (Barouki et al., 2021). Pour autant, les observations disponibles plaident pour agir dès à présent et durablement pour améliorer la qualité de notre environnement, de nos modes de production et de notre relation à la nature. Ces actions auront des bénéfices sur notre santé. Dans ce contexte, renforcer les politiques publiques en tenant compte de ces liens est un levier indispensable de protection en matière de santé globale.

Références

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Date de mise en ligne : 29/09/2021

https://doi.org/10.3917/re1.104.0032

Notes

Domaines

Sciences Humaines et Sociales

Sciences, techniques et médecine

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