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Article de revue

Le recyclage des cartes électroniques en France

Pages 37 à 40

Introduction

1Avant de détailler l’activité de recyclage des cartes électroniques en France, il est indispensable d’en retracer l’itinéraire.

280 % des cartes sont produites en Asie du Sud-Est. Le volume total de cartes produites dans le monde est de l’ordre de 2,5 millions de tonnes par an. L’Europe consomme environ 25 % de ces cartes, qui sont intégrées dans toutes sortes d’appareils électriques, électroniques, dans les automobiles…

3On récupère et commercialise dans le monde 540 000 tonnes de déchets de cartes électroniques, qui sont traitées dans neuf fonderies de cuivre.

4À cela s’ajoute une économie informelle en Afrique, en Inde ou au Pakistan, des pays dans lesquels des traitements sommaires permettent de récupérer un peu d’or et de cuivre dans des conditions environnementales désastreuses.

Itinéraire d’une carte électronique

5Comprendre les étapes techniques de la vie d’une carte est essentiel pour apprécier la complexité et la variabilité du déchet final.

Fabrication du substrat

6Le substrat se présente comme un sandwich constitué de couches de fibre de verre tissée et imprégnée de résine époxy et de feuilles de cuivre. La fabrication se fait couche par couche. À chaque étape, la feuille de cuivre est gravée chimiquement par lixiviation afin de créer un réseau électrique. Lorsque toutes les couches sont en place, des trous sont percés à des endroits précis afin de mettre en contact les réseaux électriques créant ainsi un réseau tri-dimensionnel.

Mise en place des composants

7Les composants (résistances, condensateurs, microprocesseurs, etc.) sont alors installés sur la carte, puis fixés par des points de soudure à base d’étain. La masse des composants est en moyenne égale à celle du substrat. La composition chimique des composants est très variée. Certains composants sont fixés par des vis, ou simplement encastrés dans des fentes.

Figure 1

Exemple d’une carte mère d’ordinateur (Les petits points blancs sont des soudures)

Figure 1

Exemple d’une carte mère d’ordinateur (Les petits points blancs sont des soudures)

Intégration

8La carte est ensuite intégrée dans l’appareil électrique ou électronique. Elle est soit insérée, soit vissée, puis raccordée par des fils électriques. À titre d’exemple, une carte de télévision LCD est fixée par plus d’une centaine de vis.

9S’ajoutent donc à la carte, des châssis métalliques, des transformateurs, des batteries, des écrans, des boitiers thermoplastiques (ABS, polypropylène, etc.)…

10Le poids des cartes électroniques proportionnellement aux équipements dans lesquels elles sont intégrées varie considérablement d’un appareil à l’autre : 10 % pour un écran LCD, 30 % pour une tablette, et moins de 0,1 % dans le cas d’un réfrigérateur.

11Une part non négligeable des cartes est utilisée dans des applications qui ne relèvent pas des équipements électriques et électroniques (EEE). L’électronique a acquis une position forte, notamment dans les véhicules automobiles. Aujourd’hui, les cartes électroniques issues des VHU représentent en potentiel le deuxième gisement tant par sa richesse que par les quantités qu’elles représentent. La croissance des quantités de cartes électroniques destinées aux véhicules automobiles est de l’ordre de 9 % par an, et la tendance devrait s’accentuer.

Démantèlement

12Comme les appareils électroniques ne sont pas conçus pour être réparés, leur démantèlement est difficile. Même triés par familles, les appareils arrivent en vrac chez le démanteleur.

13Le démantèlement comprend des opérations manuelles, à la fois du broyage et des opérations de séparation physique. Les fractions suivantes sont ainsi extraites :

  • la ferraille,
  • l’aluminium et le cuivre,
  • les plastiques,
  • le verre et les céramiques,
  • et les cartes électroniques.

14Une partie de ces cartes est perdue, et les cartes récupérées sont polluées par des matières provenant de l’appareil démantelé.

Le cas des VHU

15La filière de traitement des VHU est plus ancienne que la filière D3E. Aujourd’hui, la directive européenne 2000/53/CE a fixé un objectif visant à porter à un minimum de 95 % le taux de réutilisation et de valorisation de ces déchets. Cela a poussé les démanteleurs à développer de nouvelles méthodes de traitement. La séparation densimétrique permet de collecter une fraction importante et croissante des cartes électroniques présentes dans les véhicules. Le produit collecté est naturellement très contaminé par d’autres fractions.

L’extraction des métaux

16Le cuivre étant le métal dominant dans ces déchets, les fonderies de cuivre ont été tout naturellement les premières à traiter cette matière. On ne dénombre cependant que neuf usines dans le monde capables de traiter ces cartes. En effet, adapter une usine de cuivre pour qu’elle assure un tel traitement, demande un grand savoir-faire et coûte cher (CAPEX de l’ordre de 4 000 €/t.an de capacité de traitement des cartes). La capacité de traitement de ces cartes avoisine les 540 kt par an. Les acteurs principaux sont les fonderies de cuivre primaire de Saganoseki et Naoshima au Japon, de Horne au Canada, de Rönnskär en Suède et de Onsan en Corée du Sud, auxquelles il faut ajouter de gigantesques fonderies de cuivre secondaire qui se sont développées autour des années 2000 : il s’agit notamment d’Hoboken en Belgique en 1997, de Lünen en Allemagne en 2002 et d’Akita/Kosaka au Japon en 2007.

17Elles extraient de façon performante (récupération à hauteur de 98 %) le cuivre et les métaux précieux. En revanche, certains métaux ne sont pas récupérables, comme l’étain ou le tantale. Elles présentent également certaines limites en termes de capacité de traitement de ces matières complexes que sont les déchets électroniques.

18Les procédés de séparation physique (broyage et séparation gravimétrique) progressent sous l’impulsion des équipementiers chinois et turcs dans les pays en voie de développement. Les pertes en métaux sont toutefois importantes (de l’ordre de 15 %). Ils génèrent également un déchet ultime contenant des plastiques pollués en métaux lourds et en halogènes. Les métaux obtenus doivent être traités au sein des fonderies de cuivre.

19Enfin, les secteurs informels occupent une place importante dans le traitement des DEEE en Afrique, en Inde et en Chine. L’ « acid process » est un procédé très polluant et peu efficace ; il est souvent associé à la fabrication d’objets en or.

Un déchet riche en métaux critiques, mais difficile à traiter

Une mine urbaine riche

20Les cartes électroniques constituent un déchet particulièrement riche en métaux critiques. Les teneurs en or, en palladium, en tantale, en étain ou en antimoine sont généralement très supérieures à celles que l’on trouve dans les mines.

21Ces déchets contiennent des métaux classés critiques en raison de leur utilité pour notre industrie et des menaces pesant sur leur approvisionnement. C’est le cas du palladium, de l’étain, du tantale et du cobalt.

22La teneur en or des cartes électroniques est comprise entre 10g/t et 1 000 g/t, ce qui est à comparer à la teneur des mines d’or qui atteint 10g/t dans les mines souterraines les plus riches et seulement 1g/t dans les mines à ciel ouvert.

23Le même commentaire s’applique au palladium, dont la teneur varie entre 5 et 100 g/t dans les cartes électroniques et culmine à 7g/t dans les mines souterraines.

24Les mines d’étain sont exploitées à des teneurs de l’ordre de 1 %, alors que les cartes électroniques contiennent couramment 2 % d’étain.

25Dans les cartes d’appareils nomades (tablettes, télé-phones…), le tantale est présent à hauteur de 1 000 à 3 000 g/t, alors que les mines de tantale sont exploitées à des teneurs de 300 g/t.

tableau im3

26Outre sa richesse en termes de diversité, c’est une mine abondante. En effet, les équipements électriques et électroniques utilisent :

  • 50 % du tantale produit dans le monde,
  • 50 % du cobalt,
  • et 40 % de l’étain.

Une matière complexe

27Le déchet « carte électronique » présente à ce stade une très grande variabilité. Il est composé de trois grandes familles de matériaux :

  • Les métaux, dans une proportion de 25 % à 40 % (les principaux sont le cuivre, le fer et l’aluminium). La « dimension » de ces métaux varie de quelques microns (plaquage d’or, par exemple) à quelques centimètres, rendant l’échantillonnage particulièrement difficile à traiter.
  • Des verres et céramiques, pour 20 % à 40 %.
  • Des organiques, pour 40 % à 60 %.

28Une cinquantaine d’éléments chimiques composent ce déchet. La présence de métaux lourds (comme le plomb), d’halogènes (comme le brome) et de substances organiques dangereuses rendent ces matières difficiles à traiter.

Une source de métaux stratégiques

29L’évolution récente de l’électronique nomade (tablettes, GPS, portables…) s’accompagne d’un effet pervers, l’impossibilité de séparer la batterie lithium de l’appareil. On retrouve donc dans ces DEEE les composants de ces batteries : cobalt, nickel, lithium…

30Dans le souci d’obtenir fiabilité et légèreté, les composants électroniques contiennent du palladium et du tantale.

31Sécuriser l’approvisionnement en ces métaux est essentiel pour notre industrie aéronautique, de production d’énergie, d’équipements chimiques et médicaux.

Le cadre réglementaire français

32La directive européenne sur le traitement des DEEE (initialement 2002/95/CE du 27 janvier 2003, puis 2012/19/UE du 4 juillet 2012) est fondée sur la responsabilité élargie du producteur et définit le cadre réglementaire de la collecte de ces déchets et les objectifs à atteindre en la matière.

33La filière de collecte et de recyclage des DEEE est opérationnelle en France, depuis le 22 juillet 2005, pour les DEEE professionnels, et depuis le 15 novembre 2006, pour les DEEE ménagers.

34En pratique, les metteurs en marché délèguent cette responsabilité aux éco-organismes qui interviennent en tant que délégataires des pouvoirs publics. L’instruction par les pouvoirs publics des candidatures déposées a abouti à l’agrément des éco-organismes suivants pour les différentes catégories d’équipements :

  • Ecologic (pour les catégories 1 à 4, 6, 7, 10 et 14),
  • Ecosystem (pour les catégories 1, 2, 5, 6, 8, 9, 10, 12 et 13),
  • et Screlec (pour la catégorie 14).

35Les éco-organismes deviennent propriétaires du déchet ; ils en organisent la collecte et le démantèlement. Des appels d’offres sont régulièrement lancés auprès d’acteurs industriels pour réaliser ces tâches. Les coûts sont ensuite facturés aux metteurs en marché qui les facturent à leur tour à leurs clients par le biais de l’écotaxe associée à chaque vente.

36Les taux de collecte progressent année après année ainsi que la qualité des traitements associés, qui permettent de traiter près de 700 000 t de DEEE chaque année.

37Cependant, du point de vue de la collecte des cartes électroniques et du suivi du recyclage des métaux qu’elles contiennent, le système n’est pas parfait.

38En effet, les statistiques de collecte additionnent des produits blancs embarquant très peu de cartes à des produits IT en contenant jusqu’à 30 % de leur poids.

39Enfin, une partie des cartes n’entrent pas dans ce schéma, par exemple les équipements électroniques embarqués dans les véhicules.

La collecte et le démantèlement

La typologie des acteurs français

40Cette typologie peut se résumer à deux grandes familles :

  • Les acteurs de l’économie sociale et solidaire, tels qu’Envie 2E ou Emmaüs. Ces acteurs mettent l’accent sur la réutilisation des appareils lorsque ceux-ci peuvent être réparés.
  • Les professionnels du déchet : Veolia, Suez, Derichebourg… Des acteurs locaux indépendants assurent le traitement pour des marchés de niches, tels que la réparation et le recyclage des téléphones portables.

L’évolution de la matière et des technologies

41La matière évolue au cours du temps. Ainsi, nous avons assisté à la fin des écrans TV cathodiques. La présence de batteries dans les appareils nomades introduit des problèmes de sécurité (départ de feux), mais aussi le recours à des métaux nouveaux comme le cobalt.

42Les technologies de démantèlement progressent considérablement avec le développement du tri optique, l’introduction de la robotisation, de la flottaison…

43Des équipementiers français de classe internationale se sont développés. Citons, entre autres, MTB, Pellenc, Vauché, Decoval… Une vingtaine d’acteurs se sont regroupés pour promouvoir le label « French Fab » sous l’impulsion du pôle de compétitivité TEAM2.

44La présence croissante d’électronique embarquée dans les véhicules et les objectifs contraignants en termes de taux de recyclage des VHU (95 %) ont engendré l’extraction de nouvelles fractions, autrefois perdues, contenant des fragments de cartes électroniques suffisamment riches en métaux pour justifier leur traitement (même si celui-ci est encore plus complexe).

45Au total, la production de déchets de cartes électroniques en France est évaluée à 10 000 tonnes par an par les éco-organismes et à 20 000 tonnes par an par la société VELMA, un acteur majeur sur le marché.

Le commerce illicite

46Nous donnons ici l’exemple d’une enquête menée au Nigéria.

47Les exportations depuis l’UE se font principalement au travers des véhicules d’occasion destinés à la vente sur place (système Roll-on/Roll-off). Les exportations américaines et chinoises se font par containers.

48Lors de cette enquête, les autorités ont contrôlé 201 containers et 2 188 véhicules, 55 % de ces derniers étaient remplis de D3E.

49260 tonnes d’écrans CRT ont été interceptés, malgré une loi nigériane qui interdit l’importation de ces équipements : 23 % provenaient de Chine. 15 % des États-Unis, 14 % du Royaume-Uni, 14 % d’Espagne, 8 % d’Italie, 4 % de Hong Kong et 4 % de Hollande. Un peu moins du quart de ces équipements avaient donc pour origine la Chine, pays où la réglementation interdit pourtant l’importation et l’exportation de D3E (source : BCCC & UNU).

50L’évaluation de l’importance du commerce illicite est un exercice difficile à réaliser.

L’extraction des métaux

51La France se caractérise par une R&D très active en la matière, mais elle ne compte aucun acteur industriel de taille significative. De ce fait, elle ne peut récupérer qu’une part infime des métaux contenus dans ses propres déchets, mais aucun d’eux ne sont des métaux stratégiques.

52En France, Bigarren Bizi, WEEE metallica et Morphosis sont les trois sociétés actives dans ce domaine. À ces trois acteurs, il convient d’ajouter le projet Sanou Koura en cours de montage financier.

53L’entreprise Bigarren Bizi est installée à Bidart (ESTIA II) dans le département des Pyrénées-Atlantiques. Elle a développé une unité de traitement mécanique utilisant un broyage fin et des techniques de séparation mécanique. Le projet est entré dans une phase pilote.

54Morphosis est, quant à elle, localisée à Tourville-les-Ifs (en Seine-Maritime). Elle traite diverses sources de matières contenant des métaux précieux, notamment des cartes électroniques riches. La société utilise une combinaison de procédés mécaniques, thermiques et hydro-métallurgiques axés principalement sur la récupération des métaux précieux.

55WEEE Metallica est située à Isbergues dans le Pas-de-Calais et traite, par pyrolyse, 15 000 tonnes de cartes par an. La matière concentrée est ensuite vendue au Japon et à la Corée du Sud.

56Dans la situation actuelle, comme précisé supra, la France ne garde donc qu’une très faible part des métaux contenus et ne récupère aucuns métaux stratégiques.

57Le projet Sanou Koura est installé à Donchery près de Sedan. Il est l’aboutissement d’un long travail de R&D mené sous l’impulsion de la société TND (Terra Nova Développement) et accompli en partenariat avec plusieurs EPIC : le BRGM, le CNRS d’Orléans, l’Institut Jean Lamour, l’ICSM, l’Université de Chambéry, l’École nationale supérieure de chimie de Paris et Polytec Lille.

58Les briques technologiques développées au cours de ces années de recherche ont atteint un TRL 7 (technology readiness level) permettant de construire une usine de traitement de cartes électroniques, d’appareils nomades et de batteries de la petite mobilité, et d’en extraire, outre les métaux classiques (cuivre, or, argent et palladium), des métaux aujourd’hui non récupérés, comme l’étain, le tantale, le cobalt et le nickel. La capacité espérée serait de 20 000 t/an.


Date de mise en ligne : 02/07/2020.

https://doi.org/10.3917/re1.099.0037

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